La septième fonction du langage
Laurent Binet
Grasset
Roman
496 p., 22 €
ISBN: 9782246776017
Paru en août 2015
Où?
Le roman se déroule principalement en France, à Paris, dans le quartier de la Sorbonne notamment, mais aussi à Bologne, Venise et Naples (Italie), à New York et à l’Université de Cornell à Ithaca (Etats-Unis), à Moscou, sans oublier des détours par Vincennes, Urt ou encore Ris-Orangis.
Quand?
L’action se situe du 25 février 1980 à fin 1981.
Ce qu’en dit l’éditeur
« A Bologne, il couche avec Bianca dans un amphithéâtre du XVIIe et il échappe à un attentat à la bombe. Ici, il manque de se faire poignarder dans une bibliothèque de nuit par un philosophe du langage et il assiste à une scène de levrette plus ou moins mythologique sur une photocopieuse. Il a rencontré Giscard à l’Elysée, a croisé Foucault dans un sauna gay, a participé à une poursuite en voiture à l’issue de laquelle il a échappé à une tentative d’assassinat, a vu un homme en tuer un autre avec un parapluie empoisonné, a découvert une société secrète où on coupe les doigts des perdants, a traversé l’Atlantique pour récupérer un mystérieux document. Il a vécu en quelques mois plus d’événements extraordinaires qu’il aurait pensé en vivre durant toute sa vie. Simon sait reconnaître du romanesque quand il en rencontre. Il repense aux surnuméraires d’Umberto Eco. Il tire sur le joint. »
Le point de départ de ce roman est la mort de Roland Barthes, renversé par une camionnette de blanchisserie le 25 février 1980. L’hypothèse est qu’il s’agit d’un assassinat. Dans les milieux intellectuels et politiques de l’époque, tout le monde est suspect…
Ce que j’en pense
***
Mettons d’emblée les choses au point : Voilà l’un des meilleurs romans de l’année. En s’intéressant à une septième fonction – secrète – du langage, Laurent Binet réussit une œuvre polyphonique qui ne peut que ravir les amateurs de littérature, ceux qui aiment la petite musique des mots et ne dédaignent pas à l’occasion, en apprendre un peu plus sur des domaines qu’ils n’ont pas explorés jusque là.
Comme l’épistémologie ou la sémiologie, termes restés pour moi assez abscons jusqu’à la lecture de ce roman qui tient à la fois de l’enquête policière, d’un traité sur les fonctions du langage, d’une photographie des années 80 au sein du milieu universitaire et intellectuel français, d’une analyse de la victoire de François Mitterrand face à Valery Giscard d’Estaing et d’un magistral plaidoyer pour la littérature !
Car il fallait une bonne dose d’audace pour mettre en scène des personnages qui, pour nombre d’entre eux, continuent leur bonhomme de chemin aujourd’hui, Philippe Sollers ou Bernard Henry-Levy, Laurent Fabius ou Jack Lang, pour n’en citer que quatre, et qui auront peut être différemment apprécié le traitement que leur fait subir Laurent Binet. Mais ce n’est que du roman… Quoique.
C’est ainsi que Wikipédia nous indique que l’auteur de Mythologies est «fauché par la camionnette d’une entreprise de blanchissage alors qu’il se rend au Collège de France et que Roland Barthes meurt des suites de cet accident le 26 mars suivant à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Il est enterré auprès de sa mère, dans le cimetière d’Urt au Pays basque.» Au plus près de la réalité et de la biographie que lui a consacrée Marie Gil (et dont Laurent Binet a rendu compte avec enthousiasme dans les colonnes de Marianne en 2012), nous allons revivre tous ces épisodes, retrouver les témoins et tenter de comprendre l’enchaînement fatal. Etait-ce un simple accident?
Autre trouvaille géniale de l’auteur : le duo de choc qu’il constitue pour mener cette enquête. Jacques Bayard est un enquêteur des RG qui va bien vite être dépassé par les théories intellectuelles. Pour tenter de démêler cet inextricable écheveau, le commissaire va s’adjoindre les services d’un jeune universitaire, titulaire d’un DEA e lettres modernes sur le roman historique et qui prépare une thèse de linguistique sur les actes de langage. Simon Herzog, même s’il n’est pas a proprement parler sémiologue, va accepter d’aider Bayard qui vient d’acheter Le Barthes sans peine en librairie.
Ce dernier épisode donne du reste le ton jubilatoire de ce roman. C’est drôle de bout en bout. A partir du moment où Jacques et Simon comprennent à la fois l’importance du document qu’ils recherchent et qu’ils ne sont pas seuls sur cette piste, la quête va devenir de plus en plus ébouriffante. Des bancs de la Sorbonne à ceux de l’université de Bologne puis de Cornell, ils n’auront de cesse de mettre la main sur cette septième fonction, quitte à laisser quelques cadavres sur le côté, à goûter aux joies des backrooms, à succomber aux charmes d’une espionne russe et à éviter les parapluies bulgares… sans oublier les Dupont et Dupond asiatiques, les Brigades rouges et la belle Bianca.
« Quand on a goûté à la langue, on s’ennuie assez vite avec toute autre forme de langage : étudier la signalisation routière ou les codes militaires est à peu près aussi passionnant pour un linguiste que de jouer au tarot ou au rami pour un joueur d’échecs ou de poker. Comme pourrait dire Umberto Eco : pour communiquer, la langue, c’est parfait, on ne peut pas faire mieux. Et cependant, la langue ne dit pas tout. Le corps parle, les objets parlent, l’Histoire parle, les destins individuels ou collectifs parlent, la vie et la mort nous parlent sans arrêt de mille façons différentes ».
Et nous, on se régale, on s’amuse, on s’instruit de ces mille façons. «Sublime, forcément sublime» !
Autres critiques
Babelio
Libération (Next)
Le Point
France Info (Le livre du jour – Philippe Vallet)
Télérama
Culturebox
Blog Cultur’elle (Caroline Doudet)
Blog Mediapart
Extrait
(les fonctions du langage)
« – la fonction « référentielle » est la première fonction du langage et la plus évidente. On utilise le langage pour parler de quelque chose. Les mots utilisés renvoient à un certain contexte, une certaine réalité, au sujet de laquelle il s’agit de donner des informations.
– la fonction dite « émotive » ou « expressive » vise à manifester la présence et la position de l’émetteur par rapport à son message : interjections, adverbe de modalisation, traces de jugements, recours à l’ironie…
La façon dont l’émetteur exprime une information se référant à un sujet extérieur donne elle-même des informations sur l’émetteur. C’est la fonction du « Je ».
– la fonction « conative » est la fonction du « Tu ». Elle est dirigée vers le récepteur. Elle s’exerce principalement avec l’impératif ou le vocatif, c’est-à-dire l’interpellation de celui ou ceux à qui on s’adresse : « Soldats, je suis content de vous ! » par exemple. (Et vous pouvez noter au passage qu’une phrase ne se réduit quasiment jamais à une seule fonction mais en combine plusieurs en général. Quand il s’adresse à ses troupes après Austerlitz, Napoléon marie la fonction émotive -« je suis content »- avec la conative -« soldats/de vous ! »)
– la fonction « phatique » est la plus amusante, c’est la fonction qui envisage la communication comme une fin en soi. Quand vous dites « allô » au téléphone, vous ne dites rien d’autre que « je vous écoute », c’est à dire « je suis en situation de communication ». Quand vous discutez des heures au bistro avec vos amis, quand vous parlez du temps qu’il fait ou du match de foot de la veille, vous ne vous intéressez pas vraiment à l’information en soi, mais vous parlez pour parler, sans autre objectif que d’entretenir la conversation. Autant dire qu’elle est la source de la majorité de nos prises de parole.
– la fonction « métalinguistique » vise à vérifier que l’émetteur et le récepteur se comprennent, c’est-à-dire utilisent bien le même code. « Tu comprends ? », « Tu vois ce que je veux dire ? », « Qu’est-ce que ça signifie ? » etc. Tout ce qui concerne la définition d’un mot ou l’explication d’un développement, tout ce qui se rapporte au processus d’apprentissage du langage, tout propos sur le langage, tout métalangage, renvoie à la fonction métalinguistique. Un dictionnaire n’a pas d’autre fonction que métalinguistique.
– enfin la dernière fonction est la fonction « poétique ». Elle envisage le langage dans sa dimension esthétique. Les jeux avec la sonorité des mots, les allitérations, assonances, répétitions, effets d’écho ou de rythme, relèvent de cette fonction. On la trouve dans les poèmes, évidemment, mais aussi dans les chansons, dans les titres des journaux, dans les discours oratoires, dans les slogans publicitaires ou politiques… Par exemple, « CRS=SS » utilise la fonction poétique du langage. » (p. 145-147)
(définition de la septième fonction)
« Imaginons une fonction du langage qui permette de convaincre n’importe qui de faire n’importe quoi dans n’importe quelle situation. Celui qui aurait la connaissance et la maîtrise d’une telle fonction serait virtuellement le maître du monde. Il pourrait se faire élire à toutes les élections, soulever les foules, provoquer des révolutions, séduire toutes les femmes, vendre toutes sortes de produits inimaginables, escroquer la terre entière. »
A propos de l’auteur
En 2010, Laurent Binet a publié HHhH, qui a obtenu le Prix Goncourt du Premier roman et a été traduit dans près de quarante pays. La Septième fonction du langage est son deuxième roman, fruit de cinq ans de travail. (Source : Editions Grasset)
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