De nos frères blessés
Joseph Andras
Actes Sud
Roman
144 p., 17 €
ISBN: 9782330063221
Paru en mai 2016
Où?
Le roman se déroule principalement en Algérie, à Alger, Cherchell, Tipaza et à Paris, avec l’évocation de quelques endroits où ont vécu Fernand et son épouse: Annet-sur-Marne, Lagny, Chartres ou encore Dolany, en Pologne et Lausanne, en Suisse.
Quand?
L’action se situe de 1956 à 1957, avec des évocations qui remontent jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.
Ce qu’en dit l’éditeur
Alger, 1956. Fernand Iveton a trente ans quand il pose une bombe dans son usine. Ouvrier indépendantiste, il a choisi un local à l’écart des ateliers pour cet acte symbolique : il s’agit de marquer les esprits, pas les corps. Il est arrêté avant que l’engin n’explose, n’a tué ni blessé personne, n’est coupable que d’une intention de sabotage, le voilà pourtant condamné à la peine capitale.
Si le roman relate l’interrogatoire, la détention, le procès d’Iveton, il évoque également l’enfance de Fernand dans son pays, l’Algérie, et s’attarde sur sa rencontre avec celle qu’il épousa. Car avant d’être le héros ou le terroriste que l’opinion publique verra en lui, Fernand fut simplement un homme, un idéaliste qui aima sa terre, sa femme, ses amis, la vie – et la liberté, qu’il espéra pour tous les frères humains.
Quand la Justice s’est montrée indigne, la littérature peut demander réparation. Lyrique et habité, Joseph Andras questionne les angles morts du récit national et signe un fulgurant exercice d’admiration.
Ce que j’en pense
***
Ceux qui suivent l’actualité littéraire n’ont guère pu manquer la vague médiatique déclenchée après l’attribution du Goncourt du premier roman à Joseph Andras, alors même que ce roman n’était pas encore publié. Les premiers commentaires sur cette «curieuse pratique» ont vite été oubliés par la publication de la lettre du lauréat qui refusait ce prix pourtant prestigieux.
L’occasion d’une nouvelle série de commentaires qui précédèrent la polémique initiée par Pierre Assouline qui voyait en Joseph Andras un nouveau Romain Gary / Émile Ajar, soupçonnant la discrétion et la retenue du romancier de camoufler une supercherie. L’écume de cette vague médiatique étant aujourd’hui retombée, on peut en revenir à l’essentiel, le roman lui-même.
Il s’ouvre à la fin de l’année 1956, au moment où Fernand Iveton s’apprête à déposer une bombe dans l’usine de gaz qui l’emploie. Ce militant communiste a trouvé là le moyen de participer à la lutte, de faire acte de résistance, sans toutefois chercher à tuer, ni même à user de violence : « Pas de morts, surtout pas de morts. Mieux vaut le petit local abandonné où personne ne va jamais. Matahar, le vieil ouvrier avec sa tête moutarde en papier froissé, lui a donné la clé sans le moindre doute – juste pour faire une petite sieste, Matahar, je te la rends demain, tu dis rien aux autres, promis? Le vieux n’avait qu’une parole, jamais je dirai rien à personne, Fernand, tu peux dormir sur tes deux oreilles. Il sort la clé de sa poche droite, la tourne dans la serrure, regarde furtivement derrière lui, personne, il entre, ouvre le placard, pose le sac de sport sur l’étagère du milieu, referme, un tour de clé. »
Cette bombe n’explosera pourtant jamais, car Fernand a été trahi. À peine son forfait commis, ils est arrêté par une escouade de policiers et militaires : « Ils sont quatre, peut-être cinq – l’idée ne lui vient pas de les compter. Plus loin, le contremaître Oriol faisant mine de, mais tout de même, sa petite bouche de salaud s’efforçant de ne pas sourire, de ne rien divulguer, sait-on jamais, les communistes ont l’art des représailles à ce que l’on rapporte ici et là. Trois soldats arrivent, des premières classes de l’armée de l’air sans doute appelés à la rescousse. On a bouclé l’usine et fouillé partout, on n’a trouvé qu’une seule bombe pour le moment, dans un sac vert à l’intérieur d’un placard, assure l’un d’eux. »
L’interrogatoire qui suit rappelle les heures sombres qui ont «normalisé» la torture, les arrestations arbitraires, voire les homicides «involontaires».
Seulement voilà, le colonisateur peut se targuer d’apporter avec lui les valeurs de la démocratie, au premier rang desquelles figure l’Etat de droit et le procès équitable. Comme il n’y a eu ni dégâts, ni décès, l’affaire semble entendue. La justice sera rendue.
Avec une plume alerte, mais loin de toutes fioritures, Joseph Andras raconte les jours qui suivent l’incarcération, l’inculpation, l’instruction qui a conduit à la condamnation à mort de Fernand Iveton, seul Européen à avoir subi ce sort funeste durant la guerre d’Algérie. François Mitterrand, alors Garde des Sceaux, Guy Mollet, alors Président du Conseil et René Coty, alors Président de la République n’interviendront pas dans cette décision rendue par un tribunal militaire. S’il semble que le premier nommé a par la suite regretté son attitude – peut-être même que son aversion future pour la peine de mort vient de là – les autres acteurs de ce drame sont restés droits dans leurs bottes.
J’entends déjà les voix qui rétorqueront qu’il faut se reporter à l’époque, qu’au moment où les attentats du FLN vont se multiplier, il fallait bien se défendre, voire faire un exemple. Il n’en reste pas moins que Joseph Andras n’a eu qu’un seul tort, celui d’avoir compris avant les autres la marche de l’histoire…
Pour lui, pour son épouse Hélène qui n’a pas ménagé sa peine pour le secourir, pour ses parents et amis, pour ses camarades de combat, ce roman sonne comme un premier acte de réhabilitation. Alors tant mieux, si on en parle autant, même si ce n’est pas toujours pour les meilleures raisons !
68 premières fois
Blog motspourmots.fr (Nicole Grundlinger)
Le Blog du petit carré jaune (Sabine Faulmeyer)
Blog Les livres de Joëlle (Joëlle Guinard)
Blog Les lectures de Martine (Martine Galati)
Autres critiques
Babelio
Culturebox (Anne Brigaudeau)
Diacritik (Christine Marcandier)
Viabooks (Camille Dufour)
Le Point (Valérie Marin la Meslée – avec un entretien avec l’éditrice Marie Desmeures)
L’Humanité (Lionel Decottignies)
Les quinze premières pages du livre
Extrait
« La bombe, enculé, parle ! Les électrodes ont été placées sur le cou, au niveau des muscles sternocléidomastoïdiens. Fernand hurle. Il ne reconnaît pas ses propres cris. Parle ! Le courant électrique brûle la chair. Le derme est atteint. On arrête dès que tu nous dis. Djilali et Jacqueline arrivent sur la place. Quelques bonnes sœurs passent près d’un vieil homme barbu en turban qu’un autre, plus jeune, arabe lui aussi mais en costume bistre, aide à traverser tant il avance lentement, tremblant de toutes ses années sur sa canne. Cacophonie des automobiles et des trolleybus, un conducteur peste et tape du plat de la main sur la portière de son véhicule, des gamins jouent au ballon sous un palmier, une femme en haïk porte un enfant en bas âge enfoui dans ses bras. Le couple ne dit rien mais tous deux le notent : on ne compte plus les cars de Compagnies républicaines de sécurité dans les rues. Les premiers attentats revendiqués par le FLN ont mis la ville à cran, c’est peu de le dire. Personne n’ose encore la nommer mais elle est bien là, la guerre, celle que l’on dissimule à l’opinion sous le doux nom d’événements. Fin septembre, les explosions du Milk-Bar et de La Cafétéria, rue Michelet, et puis, il y a deux jours, la gare d’Hussein-Dey, le Monoprix de Maison-Carrée, un autocar, un train sur la ligne Oujda-Oran et deux cafés à Mascara et à Bougie… Jean habite rue Burdeau. Djilali glisse à l’oreille de Jacqueline qu’il est préférable qu’elle entre seule, en premier, afin qu’il puisse surveiller ses arrières. Elle pousse la porte avec son sac de provisions. Il regarde autour de lui, rien de suspect, aucun policier. Ouvrez ! »
À propos de l’auteur
Né en 1984, Joseph Andras vit en Normandie. Il séjourne régulièrement à l’étranger. De nos frères blessés est son premier roman. (Source : Éditions Actes Sud)
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Un premier roman qui a attiré l’attention de tous avec ce refus de Goncourt. Mais il semble mériter son audience sans cet évènement. J’espère pouvoir le lire.
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Je n’aime pas trop ce genre de petites sagas médiatiques, mais le bouquin semble valoir le coup malgré tout. Je suis surtout curieux du style de ce Joseph Andras, qui est généralement loué par les critiques…
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Pour découvrir le style de l’auteur, il suffit de cliquer ici (les quinze premières pages du livre)
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