Envoyée spéciale

ECHENOZ_Envoyee_speciale

Envoyée spéciale
Jean Echenoz
Editions de Minuit
Roman
320 p., 18,50 €
ISBN: 9782707329226
Paru en janvier 2016

Où?
Le roman se déroule en France, à Paris, Villeneuve-Saint-Georges, Limoges, mais aussi dans des endroits beaucoup plus reculés tels que Châtelus-le-Marcheix ou Bénévent-l’Abbaye ainsi qu’en Corée du Nord.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Constance étant oisive, on va lui trouver de quoi s’occuper. Des bords de Seine aux rives de la mer Jaune, en passant par les fins fonds de la Creuse, rien ne devrait l’empêcher d’accomplir sa mission. Seul problème : le personnel chargé de son encadrement n’est pas toujours très bien organisé.

Ce que j’en pense
****
Quel plaisir de retrouver Jean Echenoz au meilleur de sa forme ! Il s’empare cette fois des codes du roman d’espionnage pour en faire une épopée loufoque. On se retrouve ici plus proche des pieds nickelés en vadrouille que d’une mission à la James Bond. Pour traiter le délicat dossier qui vient d’atterrir sur son bureau, le responsable du renseignement n’a, par exemple, d’autre alternative que de recruter et former un agent capable de déjouer la remarquable organisation mise sur pieds par la Corée du Nord.
Mais n’allons pas trop vite en besogne. Voici notre héroïne qui, comme dans les Trois Mousquetaires, répond au doux prénom de Constance. Après une éphémère carrière de chanteuse, elle se retrouve au sommet… d’une éolienne au centre de la France. C’est dans la nacelle de cette source d’énergie renouvelable qu’elle va renouveler les méthodes de formation en spécialiste du renseignement, secondée par Christian et Jean-Pierre. Des geôliers qui vont, au fil des jours, oublier leurs consignes de prudence pour accorder de plus en plus de liberté et d’initiative à leur prisonnière aux jolis yeux. « Elle avait l’air tonique et déterminée, semblant soudain prendre les choses en main sur un ton de monitrice, de cheftaine, d’animatrice de jeu télévisé mal accordé à son état de captive : Qu’est ce qu’on pourrait faire à manger ce soir, qu’est ce qui vous plairait pour dîner ? »
Dans cette ambiance certes confinée, l’ambiance est vite joyeuse. On mange, on boit – beaucoup – et on se raconte des tas d’histoires jusqu’au jour où l’oiseau décide de quitter son nid pourtant devenu bien douillet.
Mais pour l’intérêt du récit, et parce que Constance trouve la chose plutôt amusante, il n’est pas bien difficile de la localiser et d’enclencher la deuxième phase du programme que le général en charge du dossier ne va pas tarder à lui révéler : «Vous allez déstabiliser la Corée du Nord.»
Nous voici donc partis pour ce pays ô combien hermétique, mais qui ne peut toutefois s’affranchir de quelques règles universelles comme cette fameuse loi de l’attraction des corps dont notre Mata Hari nationale sait faire bon usage avec un haut dignitaire répondant au doux nom de So Thalasso.
Loin de pouvoir disposer de moyens électroniques sophistiqués pour suivre les progrès de cette mission, c’est par le biais d’une coopération intensive avec les autres services secrets que l’on s’informe : «les Américains surveillent tout ce qu’ils veulent dans le coin. Je m’entends bien avec eux, on s’échange des tuyaux, ça se passe beaucoup mieux qu’avec les Chinois, par exemple. Il y a aussi le MI6 qui fait marcher là-bas une toute petite antenne, mais les Anglais ne trouvent jamais grand chose, les Américains sont mieux.»
Toutefois, alors que l’on touche au bout, un grain de sable va venir enrayer la machine… et nous offrir un épilogue à la hauteur de ce roman aussi parodique que distrayant.
Régalez-vous !

Autres critiques
Babelio
L’Express
Télérama (Nathalie Crom)
BibliObs (Jérôme Garcin)
Libération (Philippe Lançon)
Culturebox
Blog motspourmots.fr (Nicole Grundlinger)
Blog Cultur’Elle (Caroline Doudet)

Extrait
« C’est à hauteur de ce véhicule que l’homme en bleu de travail s’est arrêté en disant: Attendez un instant, je voudrais vous montrer quelque chose qui pourrait vous intéresser, et Constance a paru tout à fait prête à s’intéresser. Il a fait glisser de son épaule la courroie de sa boîte à outils qu’il a ouverte et dont il a extrait, toujours souriant, une perceuse. Regardez-moi ça, lui a-t-il dit, si ce n’est pas beau. Elle est insensée, cette perceuse, c’est ce qu’on fait de mieux. Compacte, légère, efficace, parfaitement silencieuse. Pas mal, non ? Comme Constance hochait poliment, elle s’est sentie happée par un coude : elle s’est tournée, c’était un type qui venait de sortir de la fourgonnette, côté passager, et qui tenait à présent gentiment son bras, tout aussi souriant mais beaucoup moins beau : grand, osseux, cou décharné, regard d’autruche. Vous voyez, a poursuivi l’homme en bleu, elle est idéalement adaptée aux travaux de précision, délicats et répétitifs. Elle fait visseuse, aussi, notez. Regardez, je vais la faire fonctionner. Et Constance a perçu alors qu’un troisième type, sans doute le chauffeur de l’utilitaire, la prenait par son autre bras non sans un sourire tout aussi affable, et celui-ci non plus n’était pas terrible : râblé, courtaud, rougeaud, museau de lamantin. Semblable mise en place n’a rien qui puisse d’emblée vous rassurer, certes, mais ces trois hommes affichaient une expression aimable, prévenante, attentionnée : par effet de mimétisme niais, Constance s’est mise à sourire à son tour. Donc, a dit l’homme en bleu, je la mets en marche, voyez-vous, et Constance a en effet vu, dans le plus grand silence, le foret de la perceuse se mettre à tourner rapidement sur lui-même cependant qu’un des types, sans lâcher le bras de Constance, levait de l’autre main le hayon de la fourgonnette. Puis, lorsque l’homme en bleu a dirigé la mèche de la perceuse vers la mâchoire inférieure de la jeune femme, comme procèderait un dentiste sans vous prier d’ouvrir auparavant la bouche, elle a cessé de sourire. Autruche et Lamantin la maintenaient à présent par les deux bras, fermement. Tout cela se déroulait sans témoins car, tout en étant proche des grands axes, ce qui permet un repli facile, l’angle des rues Pétrarque et du Commandant-Schloesing est donc un coin sans trop de passage, idéal pour régler discrètement une affaire. Constance a vite battu quatre fois des paupières. Mais je ne vais évidemment pas faire une chose pareille, l’a rassurée l’homme en bleu, c’était juste pour vous faire voir. D’ailleurs je m’en vais vous laisser tranquille, a-t-il annoncé en désignant le hayon ouvert de l’utilitaire, si vous voulez bien vous donner la peine. Et comme Constance se tournait vers le véhicule, il lui est apparu que son espace arrière, séparé de l’avant par une paroi métallique, était occupé par un fauteuil d’allure confortable mais dont les pieds, les accotoirs étaient équipés de sangles en polypropylène à boucles de serrage plastique. Sur le dossier du siège, un élégant capuchon noir se trouvait négligemment plié. Constance a hésité comme nous hésiterions tous mais, observant que la mèche de la perceuse était toujours en rotation, elle a préféré monter dans la fourgonnette qu’envisager de subir, sans anesthésie, d’aléatoires travaux stomatologiques. »

A propos de l’auteur
Jean Echenoz est né à Orange (Vaucluse) en 1947. Prix Médicis 1983 pour Cherokee. Prix Goncourt 1999 pour Je m’en vais. (Source : Editions de Minuit)

Site Wikipédia de l’auteur

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Focus Littérature

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Moro-sphinx

ESTEVE_Moro-sphinx

68_premieres_fois_Logo

Moro-sphinx
Julie Estève
Stock
Roman
184 p., 18 €
ISBN: 9782234080959
Paru en avril 2016

Où?
À l’exception d’une escapade dans les Cyclades (Santorin, Milos, Adamas), le roman se déroule à Paris, dans le XIVe près du Parc Montsouris, et banlieue, par exemple à Saint-Germain-en-Laye ou Pantin.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Lola est une trentenaire parisienne, comme les autres. Enfin pas tout à fait. Jamais la phrase dite par Charles Denner dans L’homme qui aimait les femmes de François Truffaut n’a été si bien appliquée : les jambes des femmes sont des compas qui arpentent le monde en tous sens. Lola arpente la ville, amazone, chaque fois que son envie devient plus forte que la raison, l’homme succombe, chasseur devenant proie, même le plus repoussant. À la fin de l’acte, clac, elle lui coupe un ongle. Lola, c’est M la maudite, aux pulsions guerrières. Elle semble sortie d’un manga, bouche rouge et grands yeux. Jusqu’à ce que Lola tombe amoureuse. Mais est-elle vraiment faite pour l’amour ? Et si la passion, c’était la fin du rêve ?

Ce que j’en pense
****
Voilà un roman qui commence très fort, par un homicide à l’aide de couteaux de cuisine en céramique (voir extrait ci-dessous). L’occasion, si je puis dire, de mettre le lecteur en appétit. On sait d’emblée de quoi Lola est capable et on s’imagine le traumatisme qu’elle a dû subir pour en arriver à de telles extrémités.
Pour un premier roman, Julie Estève fait montre d’un beau savoir-écrire et parvient à ménager le suspense, à nous livrer chapitre après chapitre les bribes d’une vie qui se dissout dans une sorte d’ordinaire peu ordinaire.
Car Lola a trouvé dans l’alcool et plus encore dans le sexe, on moyen d’oublier sa solitude. Elle aligne les amants comme un collier de perles, entre les habituels tels que le cordonnier et sa cave aménagée et les occasionnels qui ne la reverront plus. Son rituel consistant à leur arracher à tous un ongle, avec l’idée de remplir tout un bocal de ces bouts de corne. Et ma foi, les beaux ongles manucurés se mélangeant aux crasseux, le petit tas va croître jour après jour.
« Il faut qu’elle trouve de la peau, qu’on la prenne, qu’elle sente en elle un corps et que son corps se gorge d’amnésie. » Parce que Lola a perdu sa mère à huit ans «en morceaux sous les roues d’une voiture. On n’en revient pas.» D’autant que son père va quant à lui trouver dans l’alcool de quoi oublier…
On suit la Princesse dans ses pérégrinations, de bar en fête foraine, des rayons de magasins en simple regard croisé dans la rue. « Elle avait remarqué les ongles blancs manucurés du type. Tout de suite, elle avait eu envie d’eux dans sa collection. Elle avait eu envie de ça comme un caprice distrait la douleur. »
Sauf que la douleur ne part pas. Que le mal s’installe. Qu’il ne la quitte plus. Qu’il l’épuise. « Elle pourrait retourner au supermarché, acheter des lames de rasoir, fondre sous le jet chaud de la douche et se taillader les veines. Ça coûte rien de crever. Trois euros. Trois petits euros pour mettre en pièces les cris de son corps et faire que tout s’arrête, les minutes, les mois, les années. Gagner l’autre rive, l’oubli durable. Trois petits euros pour affranchir l’esclave et achever la solitude. »
À moins que l’amour, le vrai, ne vienne mettre un terme à cette dérive. Mais Lola est-elle prête pour cela ? Et son compagnon se doute-t-il du drame intérieur qui ronge Lola ? Ne s’agit-il pas plutôt d’un « piège à cons dans lequel on se jette en sachant très bien que ça coupe, que ça blesse. »
Sous couvert d’un drame qui couve, Julie Estève nous livre une fable cruelle sur l’amour et ses illusions, sur les clichés qui n’ont pas la vie si dure que cela, sur les choses à dire et à ne pas dire et sur la durée de vie d’une relation, surtout au regard de son intensité. Avec beaucoup de justesse et sans tabous. Ce qui donne à ce conte froid une vraie justesse que les amateurs d’histoire à l’eau de rose éviteront soigneusement !

68 premières fois
Blog Les lectures du mouton (Virginie Vertigo)
Blog motspourmots.fr (Nicole Grundlinger)
Blog Les livres de Joëlle
Blog Anita & son Bookclub (Anita Millot)
Blog Les carnets d’Eimelle (Eimelle Laure)
Le blog d’Eirenamg (Nathalie Germinal)
Blog Le chat qui lit (Nathalie Cez)
Blog Les battements de mon cœur (Albertine Proust)
Blog Les jardins d’Hélène (Laure Alberge)

Autres critiques
Babelio
France Info (Info culture – Thierry Fiorile)
L’Express (Marianne Payot)

Extrait
« Elle n’en peut plus de ces ronflements. Ça devient exaspérant, à la longue, ce ramdam. Son père aussi bourdonnait, comme si un essaim de frelons s’était logé au fond de sa gorge. Elle pourrait le secouer gentiment, siffler quelques notes mais ça ne réglerait pas le problème. Sans parler du reste des choses à redire, c’est inépuisable. Tiens, l’autre soir, il s’est endormi sans une caresse à son endroit. Ça commence par un rien et ça finit dans une longue traînée d’amertume. Elle a le trac car bientôt il l’aimera dans la normalité ou pire, par habitude. Et c’est insupportable. Elle met la main devant la bouche pour étouffer un cri et elle marche vers la cuisine. Quatre couteaux en céramique sont campés en rang d’oignons, du plus petit au plus grand, comme les Dalton et c’est idiot, dans un bloc noir sur l’étagère à poivre, sel, vinaigre, fines herbes et condiments. Elle extrait la lame longue. « Sandoku » est gravé en italique sur le manche. Elle tient la chose, fort dans la main droite. Elle le voit dans le bâillement de la porte, elle entend les raclements de nez, irréguliers et inégaux. Elle se dirige vers lui, se met à genoux au pied du lit. Il est plein de plis et de draps. Elle lui sourit, c’est très tendre et elle lui plante le Sandoku en plein dans le cœur. » (p. 8-9)

A propos de l’auteur
Julie Estève a 36 ans. Moro-sphinx est son premier roman. (Source : Editions Stock)

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