Les séances

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En deux mots
Eva la photographe prend la route pour rejoindre sa sœur Liv. C’est l’occasion pour elle de revenir sur les épisodes marquants de leur vie, de leurs parcours respectifs. Un roman sensible et poétique qui explore l’essentiel.

Ma note
etoileetoileetoile (beaucoup aimé)

Les séances
Fabienne Jacob
Éditions Gallimard
Roman
142 p., 15 €
EAN : 9782070196692
Paru en octobre 2016

Où?
Le roman se déroule principalement dans l’Est de la France, notamment le long de l’autoroute Metz-Luxembourg ainsi qu’en Moselle, notamment à Sarreguemines-Frauenberg.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Eva est photographe de mode pour enfants. Un appel pressant de sa sœur Liv l’oblige à revenir séance tenante dans son village natal de la frontière franco-allemande. Sur l’autoroute, souvenirs et pensées affluent et se bousculent à bord de la voiture de location : son rapport, parfois cynique, aux enfants qu’elle prend en photo, son enfance avec Liv, qui soigne aujourd’hui les gens à coups de petites phrases énigmatiques, et aussi les visites rendues à Irène, leur mère, perdue dans les méandres de sa mémoire défaillante. Au terme de ce long voyage sur l’autoroute rectiligne, Eva n’est plus la même.
Ce roman est celui d’une modification intérieure. Mêlant les temps et les portraits de trois femmes aux prises avec leur époque, il sonde en profondeur les rouages d’une société fondée sur le profit, le court terme, et remet en question la place de l’enfant et celle de la femme. Sa construction non linéaire est rythmée par des séances qui s’entrechoquent et s’éclairent les unes les autres. D’une écriture limpide, ce livre est une ode à la possibilité, loin des itinéraires tout tracés, de bifurquer. D’échapper.

Ce que j’en pense
Un beau et court roman qui le temps d’un voyage vers la frontière entre la France, l’Allemagne et le Luxembourg, va donner à Eva l’occasion de faire le point sur sa vie, sur ses relations avec sa sœur Liv et sa mère Irène. Un temps qui offre aussi, avec mélancolie et poésie, l’occasion de s’interroger sur les choses graves. Sur la vie et la mort, sur la famille, la naissance, sur la sensualité et le désir, sur le Corps – pour reprendre le titre d’un précédent roman de Fabienne Jacob.
Si Eva a pris la route, c’est qu’elle répond à l’appel de sa demi-sœur Liv. Leurs différents parcours se rejoignent autour du titre du roman : toutes deux pratiquent des séances.
Eva est une photographe reconnue, directrice d’un magazine dont elle a eu l’idée et dont elle est aussi la principale photographe. Ses séances tournent beaucoup autour des portraits, notamment d’enfants, dont elle sait comme personne sonder les mystères : « En les photographiant, Eva prend aux enfants une chose qu’ils ont au fond d’eux et qui n’a pas de nom, qui irradie du fond de leur être, on ne sait pas exactement où, se fraye un chemin dans le noir et qu’elle finit par faire remonter au grand jour. Quand ça apparaît sur la bouche et dans les yeux des enfants, ça porte enfin un nom, un nom qui dit bien que ça sort, que ça sourd l’expression. »
Liv est pour sa part l’héritière « du don de sa mère Irène et de sa grand-mère Biwi, elle poursuivait leurs pratiques. Les mains de trop femmes soulageaient lumbagos, migraines, sciatiques, mais aussi chagrins et mélancolies. »
C’est ainsi que sa pratique a évolué vers la psychothérapie, mais de manière assez étonnante. Après avoir écouté ses patientes (elle ne reçoit quasiment jamais d’hommes dans son cabinet), qui mettent leur ventre au centre de tout, « certaines s’estimant trop visitées, d’autres pas assez, d’autres jamais, la plupart, mal. Presque toutes se disent insatisfaites à cet endroit de leur corps. » Liv prononce une seule phrase. Ainsi à cette femme venue se plaindre de ne pas avoir d’enfant, dont le «désir est un chemin de croix», elle dira «Rentre chez toi, ouvre grand ta fenêtre et jettes-y ton thermomètre.» Quelques mois après, elle tombera enceinte.
Au fil des kilomètres qui passent, des paysages qui défilent, on accompagne l’histoire d’Eva et de Liv, mais aussi celle de cette région.
De cette promenade dans le vieux cimetière juif de Frauenberg qui est situé sur la frontière entre le France et l’Allemagne (et où j’ai aussi traîné mes pas étant enfant) jusqu’à cette Lorraine du charbon et de l’acier qui n’a plus charbon ni acier, ou si peu. « Personne n’y a jamais cru mais un jour la bête est devenue peau de chagrin, le festin avait eu une fin, il y a eu à nouveau un jour et une nuit, le ciel est devenu comme partout ailleurs, bleu le jour noir la nuit, les hauts-fourneaux n’ont plus craché, les villes se sont tues, les villes sont devenues propres et silencieuses, tout a fermé.
Une évolution qui vient étrangement en résonnance avec le destin d’Irène, mère biologique de l’une et adoptive de l’autre, qui décline jour après jour dans une maison de retraite, fort peu justement baptisée Sérénité.
Elle retrouvera bientôt les anges, comme les suffixes de ces villes traversées, Florange, Hayange, Hagondange… Des suffixes qui «faisaient toujours la roue, la parade de paon se fout des mutations économiques.»

Autres critiques
Babelio
La Croix (Patrick Kéchichian)
Le littéraire.com (Jean-Paul Gavard-Perret)
La semaine.fr (Anne de Rancourt)
Blog Cathulu
Blog Le tourneur de pages

Les premières pages du livre 

Extrait
« En les photographiant, Eva prend aux enfants une chose qu’ils ont au fond d’eux et qui n’a pas de nom, qui irradie du fond de leur être, on ne sait pas exactement où, se fraye un chemin dans le noir et qu’elle finit par faire remonter au grand jour. Quand ça apparaît sur la bouche et dans les yeux des enfants, ça porte enfin un nom, un nom qui dit bien que ça sort, que ça sourd l’Expression. Quelque chose qui nous appartient en propre, une combinaison unique de mille traits qui nous différencient du voisin, mais quand cette chose éclate sur la page du magazine Lamb, les autres, ceux qui la regardent, se l’approprient et la reconnaissent aussitôt comme leur. De singulière, l’expression devient universelle. Cette chose possède aussi un autre pouvoir, celui de faire affluer à la seconde chez celui qui regarde la photo des désirs, des souvenirs et des sensations par centaines »

A propos de l’auteur
Fabienne Jacob a grandi à Guessling-Hémering en Lorraine, où elle a vécu jusqu’à ses 17 ans. Elle n’eut pas le français comme langue maternelle mais le patois lorrain qu’elle à longtemps pratiqué. En 2014, elle en fait la description suivante : « Ma langue maternelle, le platt, a été ensevelie sous plusieurs sédiments de français. Honte et transhumance sociale obligent. Mais au fond de moi, elle a toujours continué d’irradier comme un diamant noir. Je la soupçonne même d’être à l’origine de mon écriture. La matrice. »
Elle a enseigné à Mayotte avant de rejoindre Paris où elle a exercé diverses professions avant de se consacrer à l’écriture. Romancière, elle est l’auteure d’une œuvre romanesque qui explore le corps, la sensation et l’origine et a été nommée à deux reprises au prix Femina. Son roman Corps a été très remarqué par la critique. Le plus beau compliment, dit-elle, qu’on lui ait fait est celui que lui a fait une lectrice : «Fabienne Jacob écrit toujours le même livre, mais je lirai encore le prochain…». (Source : Wikipédia)

Site Wikipédia de l’auteur 

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Les parapluies d’Erik Satie

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En deux mots
Plus qu’un portrait du compositeur Erik Satie, c’est à une plongée dans les arcanes de la création que nous convie Stéphanie Kalfon dans ce premier roman sensible et érudit. Avec cette belle question en filigrane… L’œuvre du musicien serait-elle différente si sa vie avait été plus heureuse ?

Ma note
etoileetoileetoile (beaucoup aimé)

Les parapluies d’Erik Satie
Stéphanie Kalfon
Éditions Joëlle Losfeld
Roman
216 p., 18 €
EAN : 9782072706349
Paru en janvier 2017
Sélectionné pour le Prix de la Closerie des Lilas qui sera remis le 17 avril 2017.

Où?
Le roman se déroule à Paris, à Arcueil, à Honfleur.

Quand?
L’action se situe au tournant du XXe siècle.

Ce qu’en dit l’éditeur
En 1901, Erik Satie a trente-quatre ans. Sans ressources et sans avenir professionnel, il délaisse Montmartre et l’auberge du Chat Noir pour une chambre de banlieue sordide où, coincé entre deux pianos désaccordés et quatorze parapluies identiques, il boit autant, ou plus, qu’il compose. Observateur critique de ses contemporains, l’homme dépeint par Stéphanie Kalfon est aussi un créateur brillant et fantaisiste : il condamne l’absence d’originalité de la société musicale de l’époque, et son refus des règles lui vaut l’incompréhension et le rejet de ses professeurs au Conservatoire.

Ce que j’en pense
« On n’envie jamais les gens tristes. On les remarque. On s’assied loin, ravis de mesurer les kilomètres d’immunité qui nous tiennent à l’abri les uns des autres. » Dès ces premières lignes, on comprend que Stéphanie Kalfon ne va pas se contenter de retracer la vie d’Erik Satie, mais dépeindre une atmosphère, un cheminement, tenter d’expliquer le mystère qui entoure encore aujourd’hui ce compositeur et pianiste à nul autre pareil.
Pour cela, elle va faire fi de la chronologie, commencer par nous présenter «le petit homme hors norme» en mai 1901, alors qu’il a 35 ans, qu’il chemine à pied de Paris à Arcueil parce qu’il n’a pas les moyens de faire autrement pour regagner cette chambre de la rue Cauchy où règne un chaos indescriptible, entre deux pianos qui ne sont plus en état de marche et… quatorze parapluies. Arcueil rime avec cercueil.
Il se retrouve dans la misère après avoir perdu les siens, s’être fâché avec le tout-Paris de la musique, délaissé ses amis et Montmartre où il avait pu, sous l’aile protectrice de Rodolphe Salis, le patron du Chat noir, exercer son métier de gymnopédiste.
Car « depuis toujours il promène sa partition interne hors des musiques à la mode. Taillé pour l’exil, lui se fiche pas mal des « Périmés » et de l’Académie. Ses contemporains se sont embarqués sur un vieux bateau « modern style » et prennent l’eau jusqu’au bout des mâts. Son embarcation à lui, c’est le bout de ses mains. Tout ce qu’elles peuvent dire sans un mot, à leur façon. D’une manière si inimitable qu’elle retient l’oreille de l’Assemblée, elle étonne. »
Au fil de courts chapitres, il sera alors temps de remonter le temps, celui de l’enfance et déjà, de la mort qui rôde. À six ans, sa mère meurt. Avec son frère Conrad il retourne à Honfleur chez ses grands-parents. Mais sa grand-mère meurt est retrouvée à son tout morte sur la plage. Voilà les deux frères de retour à Paris. Erik y apprend le piano, entre au Conservatoire, mais ne tarde pas à refuser des règles qu’il juge désuètes. Il est renvoyé et, aussi curieux que cela puisse paraître, décide alors d’intégrer un régiment d’infanterie.
Bien entendu, il va vite constater que l’armée n’est pas faite pour lui et se fait réformer en se promenant poitrine nue dans le froid hivernal. Suivront les années montmartroises et la rencontre avec les poètes, les peintres, les musiciens parmi lesquels Claude Debussy tiendra sans doute un rôle majeur, entre fascination et rivalité. Non décidément, il reste en perpétuel décalage dans un monde qui est pourtant en train d’entrer dans la modernité. Après l’exposition universelle, le XXe siècle apparaît, celui du jazz et du coca-cola. Celui des gymnopédies et celui des trois morceaux en forme de poire aussi. Car le génie de Satie ne sera vraiment reconnu qu’après sa mort.
En lisant Stéphanie Kalfon, comment ne pas vous suggérer d’écouter en fond sonore cette musique si originale ? En (re)découvrant l’homme, vous (re)découvrez ainsi les principales œuvres d’Erik Satie. Vous verrez alors que le petit homme seul méritait cet hommage sensible, baigné de mélancolie.

68 premières fois
L’insatiable, le blog de Charlotte Milandri
Le Blog du petit carré jaune (Sabine Faulmeyer)
Blog Les livres de Joëlle (Joëlle Guinard)
Blog Mes écrits d’un jour 
Site Facebook de Cécile Rol-Tanguy 

Autres critiques
Babelio
France Culture (Les Émois – François Angelier)
Classiquenews.com
Fragments de lecture Les chroniques littéraires de Virginie Neufville

Les premières pages du livre

Extrait
«Satie fut méconnu. Insaisissable. Incompris. Peuplé d’une vie secrète dans laquelle peut-être, possible oui, possible, il aura mis le meilleur de lui-même. Or la société a besoin de cohérence. Erik Satie était un compagnon d’errance. Un rébus. L’homme qui possédait deux pianos et qui, pourrait-on dire au vu de la taille de sa chambre, vivait chez eux. Et puis surtout cette énigme : il fut l’homme aux quatorze parapluies noirs identiques.» (p. 25-26)

A propos de l’auteur
Titulaire d’une maitrise de philosophie à la Sorbonne et d’un DESS de Mise en Scène de l’Université de Nanterre Paris X (2005), Stéphanie Kalfon approfondit sa formation par des stages de dramaturgie, de scénographie, de direction d’acteurs, etc. Stéphanie Kalfon est lauréate de la bourse scénariste TV de la fondation Jean-Luc Lagardère en 2007 et a débuté comme scénariste de plateau sur la deuxième saison de la série Venus et Apollon pour Arte. Elle est aussi la réalisatrice du film Super Triste ! avec Emma de Caunes. Elle travaille actuellement sur un long métrage avec Jean-Pierre Darroussin. Elle a aussi participé à l’atelier scénario de la FEMIS. Les parapluies d’Erik Satie est son premier roman. (Source : Editions Joëlle Losfeld / agence-adequat.com)

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Chaleur

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En deux mots
Igor et Niko se retrouvent en Finlande pour les championnats du monde de sauna. Au-delà de ce combat dérisoire, voilà le roman de l’ambition et de l’orgueil qui peut conduire à la pire des tragédies. À 130° C, c’est vraiment chaud !

Ma note
etoileetoileetoile(beaucoup aimé)

Chaleur
Joseph Incardona
Éditions Finitude
Roman noir
160 p., 15,50 €
EAN : 9782363390769
Paru en janvier 2017

Où?
Le roman se déroule à Heinola en Finlande. C’est à cet endroit que se rendent les protagonistes de quinze pays, notamment depuis Pskov, le trajet par l’Estonie, le golfe de Finlande entre Tallinn et Helsinki, ainsi que depuis Bruxelles.

Quand?
L’action se situe en 2016 (même si la dernière édition de cette compétition a eu lieu en 2010).

Ce qu’en dit l’éditeur
La Finlande : ses forêts, ses lacs, ses blondes sculpturales… et son Championnat du Monde de Sauna.
Chaque année, des concurrents viennent de l’Europe entière pour s’enfermer dans des cabines chauffées à 110°. Le dernier qui sort a gagné.
Les plus acclamés sont Niko et Igor : le multiple vainqueur et son perpétuel challenger, la star du porno finlandais et l’ancien militaire russe. Opposition de style, de caractère, mais la même volonté de vaincre. D’autant que pour l’un comme pour l’autre, ce championnat sera le dernier. Alors il faut se dépasser. Aller jusqu’au bout.
Aussi dérisoire que soit l’enjeu, au-delà de toute raison, la rivalité peut parfois pousser l’homme à la grandeur. À la fois pathétiques et sublimes, Niko et Igor illustrent avec éclat le désir d’absolu de la nature humaine.

Ce que j’en pense

Roman très original, Chaleur est court mais bon, à l’image d’une séance de sauna. Sauf que cette fois, il ne s’agit de perdre quelques toxines nu dans une cabine en bois, mais de suivre les 102 candidats venus à Heinola, une petite ville de Finlande qui accueille les championnats du monde de la discipline. Car dans ce pays, comme le souligne l’auteur «la nature a vite fait d’ennuyer l’homme. (…) Conséquence: ça picole dur. Mais surtout : l’homme recherche l’homme. L’homme est le territoire – davantage que sa faune, sa flore ou sa géographie. Par conséquent : une certaine naïveté couplée à un ennui latent motivent une série d’activités se déroulant dans le pays durant la période estivale. »
Et de lister ces compétitions improbables et qui pourtant existent bel et bien, telles que le championnat du monde de porter d’épouse, le championnat du monde de football en marécage, le championnat du monde de mangeurs de piment (type Naga Morich, Inde), le championnat du monde de cueillette de baies ou encore – berceau de Nokia oblige – le championnat du monde de lancer de téléphone portable.
Ce qui peut paraître ridicule ou anecdotique n’est cependant en rien une partie de plaisir, notamment pour Niko, star locale et champion du monde en 2013, 2014 et 2015 et pour Igor, son challenger russe bien décidé cette fois à battre son principal adversaire. En vrais champions, ils se sont préparés et ne peuvent que mépriser la centaine d’amateurs qui se sont inscrits. Niko les hait même, considérant «l’amateurisme de ses adversaires comme étant le problème majeur de notre époque. Tout le monde veut son moment de gloire, et pour sacrifier à la vanité n’hésite pas à brûler les étapes.»
On oubliera par conséquent assez vite ces faire-valoir pour nous concentrer sur les deux figures de proue de ce roman de l’extrême : Igor Azarov, 1,59m pour 58 kilos, ancien sous-marinier et NikoTanner, 1,89m pour 110 kilos, acteur de films pornographiques. Autant dire que les profils des deux hommes sont à l’exact opposé, nonobstant le fait qu’ils sont tous les deux prêts à aller jusqu’au bout de ce qui va devenir un duel, après que les choses sérieuses ont commencé.
Désormais la chaleur monte de 110° à 130° Celsius. Le drame de l’ambition et de l’orgueil atteint son paroxysme. « Souffrant, c’est comme ça qu’on veut l’homme. Jésus sur la croix. La nécessaire rédemption comme une montagne de verre brisé à escalader pieds nus. La seule chose qui vaille la peine. Le plus cadeau que Dieu ait transmis à l’homme : la souffrance. Amen. »
Aux premières loges, témoin privilégiée de ce combat, Alexandra Azarov, la fille d’Igor. Elle va assister impuissante à la mise à mort : «Les extrêmes sont si proches qu’ils vont bientôt se toucher».
Joseph Incardona est plus proche de la tragédie antique que du roman noir. Il parvient à emporter son lecteur dans cette histoire qui ne serait que dérisoire si la mort ne venait mettre un terme final à ce jeu. «Demain, la terre quittera son orbite mais rien ne changera vraiment dans l’équilibre de l’univers.»

Autres critiques
Babelio
RTL (C’est à lire – Bernard Poirette)
Le Temps (Eleonore Sulser)
L’Express (Delphine Peras)
France Culture (Les Emois – François Angelier)
Obskuremag.net 
Blog Les chroniques de Koryfée (Karine Fléjo)
Blog de Julien Sansonnens
Blog Nyctalopes 

Les vingt premières pages 

Extrait
« Igor pensait surprendre son rival en arrivant au dernier moment, mais Niko l’a déjoué encore une fois. Une façon d’afficher sa supériorité.
Niko Tanner est la star locale. Trois fois Champion du monde de sauna en 2013, 2014 et 2015.
Qui était vice-champion du monde lors des trois dernières éditions ?
Personne ne s’en souvient. En tout cas pas la réceptionniste de l’hôtel ni les filles aux piercings qui l’auraient reconnu, sinon.
Igor se déshabille, enfile son jogging de la marine avec l’étoile rouge cousue sur la poitrine. La couleur bleue est délavée à force de lavages, mais le coton épais et rêche a été fabriqué pour durer. Il chausse ses baskets, un modèle récent et américain, là faut pas déconner. »

A propos de l’auteur
Joseph Incardona est un écrivain Suisse, d’origine italienne. Il vit à Genève où il tente d’arrêter de fumer. Il aime les romans noirs, Harry Crews et les pâtes. Il a 47 ans et il est membre de l’équipe de foot italienne des écrivains. (Source : Éditions Finitude)

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Les insatiables

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En deux mots
Un journaliste d’investigation, enquêtant sur la mort d’une prostituée, met à jour un scandale politico-économico-sanitaire. Une plongée décapante dans la France d’aujourd’hui.

Ma note
etoileetoileetoileetoile (j’ai adoré)

Les Insatiables
Gila Lustiger
Éditions Actes Sud
Roman
traduit de l’allemand par Isabelle Liber
384 p., 23 €
EAN : 9782330066598
Paru en septembre 2016

Où?
Le roman se déroule en France, à Paris et en région parisienne, à Évry, Mantes-la-Jolie et en allant vers la Normandie à Vernon, Louviers, Rouen, Pont-l’Évêque, tandis ques communes de Charfeuil et Rosaires semblent nées de l’imagination de l’auteur. En revanche, des voyages dans les hauts-lieux touristiques sont tels que Saint-tropez, Marbella, Genève, Saint-Moritz ou Porto-Cervo sont évoqués.

Quand?
L’action se situe d’une part en 1984 et d’autre part 27 ans plus tard avec le reprise de l’enquête par le personnage principal du livre.

Ce qu’en dit l’éditeur
En 1984, Émilie T., jeune escort-girl parisienne, avait été sauvagement assassinée, meurtre jamais élucidé. Vingt-sept ans plus tard, la presse annonce l’arrestation d’un employé de banque sans histoires, Gilles Neuhart, dont l’ADN correspond à celui trouvé sur la scène du crime.
Dix-sept lignes – c’est ce que son rédacteur en chef demande à Marc Rappaport sur cette affaire. Le journaliste, homme complexe et tourmenté, suit son intuition et cherche, envers et contre tout, à en savoir davantage sur le destin de la jeune femme.
Patiente et tenace, son enquête lève le voile sur un drame sanitaire impliquant quelques insatiables de l’industrie chimique et de la sphère politique.
Dans cet ambitieux roman dédié au journalisme d’investigation, Gila Lustiger dresse un portrait impitoyable de certains milieux français. S’inspirant de faits réels, l’auteur explore strate par strate la société parisienne et provinciale.
Un réquisitoire puissant contre les maux qui affligent nos démocraties néolibérales.

Ce que j’en pense
Gila Lustiger, auteur allemande vivant depuis plus de vingt ans en France, nous offre avec ce roman tout à la fois un thriller passionnant, une charge contre les élites, la révélation d’un scandale sanitaire et un portrait au vitriol de la France d’aujourd’hui. C’est dire la richesse et la densité de cette analyse sans concessions des mœurs de ces dirigeants politiques et économiques que le pouvoir aveugle et qui s’autorisent crimes et châtiments en toute impunité. Ceux qu’on appelle Les Insatiables. Elle nous dépeint la réalité de cette France à deux vitesses, ce fossé entre les nantis qui se permettent tout et les sans-grade qui semblent condamnés à subir leur sort.
C’est à un journaliste d’investigation répondant au nom de Marc Rappaport que l’auteur va confier le soin d’entraîner le lecteur dans un dossier non-élucidé. Franc-tireur et mouton noir de la famille, ce dernier ne se satisfait pas de voir les enquêtes de police bâclées ou trop vite classées, comme cet assassinat d’une prostituée survenu en 1984. Si, près de trente ans plus tard, on reparle de l’affaire, c’est que la police scientifique a pu exploiter des traces ADN et remonter jusqu’à un certain Gilles Neuhart, employé de banque et père de famille sans histoires.
Seulement voilà, Marc va constater très vite que sa culpabilité ne saurait être aussi évidente que la police l’affirme. En parlant à son épouse, puis au présumé coupable, il va comprendre que l’origine de ce viol, puis du meurtre brutal qui a suivi, est à chercher ailleurs.
Pierre, son rédacteur en chef et ami, lui enjoint de ne pas s’obstiner, d’autant que les pressions ne tardent pas à arriver.
«Pour des raisons profondes et inconnues, on se laissait entraîner et, soudain, on se retrouvait tout entier accaparé». Marc ne cédera pas, notamment en raison de son passé (son grand-père était un grand capitaine d’industrie) ainsi que de la proximité avec les habitants de son village d’enfance. Du coup Gila Lustiger rajoute encore une strate supplémentaire à ce formidable roman : on peut le lire comme un manuel à l’usage des jeunes journalistes, véritable mode d’emploi de l’investigation.
Ne négliger aucune piste, essayer de rapprocher des éléments qui n’ont à priori rien à voir, faire parler tous les protagonistes de l’histoire…
Voilà comment on passe d’un meurtre à une curieuse accumulation de cas de cancers, d’une prostituée tuée à Paris à une usine chimique aux procédés douteux. Grâce au chantage à l’emploi, elle peut se permettre de passer outre à certaines procédures, à faire fi de la législation pour accroître son marché et ses bénéfices.
Avec cette acuité que possède les personnes étrangères quand elles découvrent pour la première fois une ville, un milieu, des habitudes qui nous semblent tellement ancrées dans la société que l’on ne pense plus à les questionner, Gila Lustiger va dresser le catalogue des compromissions, des petits arrangements, de la corruption, de la criminalité en col blanc qui gangrènent notre pays.
On ne lâche plus le roman, d’autant que sa construction nous offre régulièrement de nouveaux coups de théâtre, reliant subtilement toutes les pièces du puzzle les unes aux autres : « D’un côté, nous avons le meurtre d’une prostituée commis il y a trente ans, e de l’autre ? Un groupe qui fabrique des additifs pour l’alimentation animale et dont le personnel présente un nombre élevé de cas de cancer du sein. Nous pensons que les deux histoires sont liées parce que le père de la victime et le beau-frère du meurtrier supposé travaillaient dans le même groupe. »
Bien plus plaisant que des ouvrages de sociologie, bien plus fascinant que les essais politiques, ce roman montre avec force détails un visage de la France, de l’évolution de la société. Que tous les candidats à la présidentielle devraient méditer, tant il est éclairant !

Autres critiques
Babelio 
RTL (Les livres ont la parole – Bernard Lehut)
Culture-Tops 
La Vie (Yves Viollier)
Le Temps (Stefanie Brändly)
Blog Le Suricate 
Blog Bouquivore 

Extrait
« Des questions, des questions, toujours des questions. Et une seule conclusion : il vieillissait, il perdait peu à peu de son mordant, comme Pierre, dont la mine était si pincée, maintenant, que Marc n’avait aucun doute sur la suite. Le rédacteur en chef allait céder. Allez, d’accord, dirait-il, je te donne une semaine pour tes recherches, une semaine, pas plus. Et bien sûr, à peine sorti du restaurant, il regretterait sa décision et confierait à son ami la fastidieuse page locale pour une période d’expiation d’au moins dix jours. Ce qu’il regretterait aussi. Si bien qu’un soir, il sonnerait chez Marc avec une bouteille de pomerol et un petit sourire en coin. »

À propos de l’auteur
Gila Lustiger, auteur de langue allemande, vit en France. Elle a notamment publié Nous sommes (Stock, 2005, sélectionné pour le prix Médicis étranger), Un bonheur insoupçonnable (Stock, 2008) et Cette nuit-là (Stock, 2013). (Source : Éditions Actes Sud)

Site Wikipédia de l’auteur 

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Sans Véronique

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En deux mots
Véronique, l’épouse de Bernard, est l’une des victimes de l’attentat terroriste de Sousse. Après la sidération, le mari veut comprendre et qui sait, se venger.

Ma note
etoileetoileetoile (beaucoup aimé)

Sans Véronique
Arthur Dreyfus
Éditions Gallimard
Roman
256 p., 19,50 €
EAN : 9782072688874
Paru en janvier 2017

Où?
Le roman se déroule d’abord en France, puis en Tunisie et Lybie et enfin en Turquie et Irak. En France, on passe par Paris, Thomery, Chailly-en-Bière, Perthes, Tremblay-en-France, Roissy, Villepinte, Villeparisis, Courty, Vaujours et Sevran.
En Tunisie, les villes de Tunis, Kairouan, Gaâfour, Port El-Kantaoui et Sousse sont mentionnées. En Lybie, la ville côtière de Sabratha abrite un camp d’entrainement. Après un atterrissage à Istanbul, la route conduira en Irak jusqu’à Alep et aux alentours.

Quand?
L’action se situe autour de la date du 26 juin 2015.

Ce qu’en dit l’éditeur
«Plusieurs secondes ont passé, durant lesquelles Bernard s’est efforcé d’ordonner les mots qu’il venait d’entendre, et qui s’enchevêtraient dans son esprit : Sousse, la Tunisie, un attentat, ce matin, Véronique – tout cela n’avait aucun sens, Monsieur, vous m’entendez? a articulé la voix, tandis que, de l’autre côté, Bernard se mettait à trembler, écrasant sa main gauche sur la tablette du téléphone, ici les chiens, qui avaient perçu son état, se sont approchés, avant qu’une phrase enfin s’échappe de sa bouche : Qu’est-ce qui est arrivé à ma femme?»

Ce que j’en pense
Méfiez-vous des écrivains. Ils peuvent faire leur miel d’une situation banale et, sans le savoir, vous vous retrouvez au cœur d’un roman passionnant. À entendre Arthur Dreyfus, venu présenter son nouveau livre la semaine passée à Mulhouse, la scène d’ouverture de Sans Véronique s’est déroulée exactement telle que décrite : assis dans le métro, il croise le regard d’un couple au moment où le mari et la femme se quittent. Ils sont à l’âge de la retraite, mais leur amour ne semble pas usé. Dans leurs gestes, dans leur attitude, on sent l’affection qu’ils se portent.
Ils s’appellent Véronique et Bernard. Elle est caissière à Intermarché, il est plombier. Sils se retrouvent sur la ligne 11, c’est parce que Véronique part pour la Tunisie. Ses patrons lui ont offert une semaine en Tunisie, «ça ne valait sans doute pas une fortune à l’échelle d’Intermarché, mais ils l’avaient fait, c’était important de retenir la gentillesse, avait souligné Véronique, parce que c’est pas tous les jours.»
Huit jours, cela passe vite. Mais en rentrant chez lui, Bernard a immédiatement senti le vide, cherché à le compenser en «s’occupant». Pas avec sa maquette de train miniature, mais en allant se promener du côté des prostituées. À son retour, il constate que son épouse et sa fille Alexia ont cherché à le joindre et que ses deux heures d’absence ont déjà semé un vent de panique, sa fille s’apprêtant même à signaler sa disparition à la police.
Le temps de rassurer tout le monde, il se seul chez lui, entouré de ses chiens. Il fait le constat amer que la voix, la présence de Véronique lui manque. Aussi est-il déjà psychologiquement fragilisé quand le Ministère des Affaires étrangères l’appelle pour lui apprendre dans ce jargon diplomatique que sa femme figure parmi les victimes de l’attentat qui vient d’être perpétré en Tunisie.
Tout s’effondre. Après l’incrédulité, il faut bien se rendre à l’évidence, suivre le policier venu l’escorter jusqu’à la cellule de crise du quai d’Orsay. Se retrouver avec les autres familles, avec Alexia, avec cette douleur d’autant plus incompréhensible qu’elle frappe la plus innocente des victimes.
Arthur Dreyfus divise alors son roman en deux, nous offrant de suivre ces deux trajectoires qui n’auraient jamais dû se rencontrer, celle de Véronique et celle de Seifeddine. Le jeune tunisien qui rêvait d’un avenir meilleur et qui, comme son frère, travaille bien à l’école, rêve de liberté, d’un «océan de désirs». Ses professeurs le voient déjà ingénieur, il fait la connaissance de Sophie, une étudiante Belge spécialiste du pilotage des réseaux industriels avec laquelle il goûte à l’amour et échafaude des rêves d’avenir.
Mais alors comment va-t-il basculer dans le terrorisme ? À cette question cruciale, on serait tenté de répondre Inch’Allah, tant les circonstances qui font basculer un jeune vers le terrorisme tiennent – dans ce cas-ci – du destin et de circonstances fortuites. Le frère de Seifeddine est foudroyé lors d’un orage, ce qui entraîne un fort traumatisme et une remise en cause de sa manière de vivre. Ajoutons un refus de visa pour la Belgique et on y trouvera le ferment d’une révolte attisée d’une part par un sentiment de trahison, car Sophie ne lui répond plus, et d’autre part par les «amis» de la mosquée qui sentent le jeune homme prêt à devenir le prochain martyr de leur cause. Son professeur de mathématiques et son père vont bien essayer de le raisonner, mais déjà Seifeddine est «hors de portée», prêt à « frapper l’Occident dans son cœur, là où on insultait le plus effrontément la culture musulmane, dans un hôtel pour Blancs, une station balnéaire où les femmes se dénudaient, où les Tunisiens étaient réduits en esclavage, témoins forcés d’actes de mécréance ».
La grande force du roman tient dans le parallèle fait par l’auteur entre cette dérive et celle de Bernard, lui aussi est bientôt «hors de portée». Après la prostration, l’hébétude, vient cette envie d’agir qu’il va assouvir en prenant un billet pour la Turquie et de là partir se venger en Syrie.
Bien loin de toute propagande ou d’une démonstration manichéenne, Arthur Dreyfus met le doigt sur le point le plus sensible… et ne nous laisse guère d’illusions sur l’évolution du conflit. La violence va continuer d’entraîner la violence. Le terrorisme va perdurer. Cette tragédie contemporaine est éclairante.

Autres critiques
Babelio 
Arte (Lionel Jullien)

Les premières pages du livre 

Extrait
« La dernière fois qu’il l’a vue vivante, c’était dans le métro parisien, quelques secondes après la fermeture des portes à l’arrêt République ; un garçon de vingt ans assis face à eux les a observés se dire au revoir, il a été touché par leur affection imperceptible et, bien qu’il fût monté à la station précédente, il avait compris avant le moindre échange de paroles, de regards, que ces deux-là formaient un couple – son intuition était due, estimait-il, à leur apparence : on s’approchait de Beaubourg, de l’Hôtel de Ville, après les arrêts Jourdain, Goncourt, et Belleville; la plupart des voyageurs connaissaient la mode, une jeune femme à la frange parfaite et chatoyante avait inscrit sur son sac en toile my chanel is at home, il y avait aussi un garçon africain aux cheveux rasés d’une façon très stylisée, dont la chemise était boutonnée jusqu’au col, qui écoutait une musique au tempo lent, il y avait deux adolescentes vêtues de leggings roses et parées »

A propos de l’auteur
Arthur Dreyfus est scénariste et réalisateur. Il est le fils de l’écrivain Isabelle Kauffmann. Il a obtenu le Prix du jeune écrivain 2009 pour sa nouvelle « Il déserte » (Buchet-Chastel). La Synthèse du Camphre, son premier roman, est édité chez Gallimard.
En 2012, est sorti son deuxième roman, toujours chez Gallimard, Belle-famille, roman inspiré par l’affaire de la disparition de Madeleine McCann. Le livre reçoit le Prix Orange du livre 2012. Pendant quelques mois à partir de janvier 2012, Arthur Dreyfus présente une chronique hebdomadaire décalée dans l’émission culturelle de France 2, « Avant-premières ».
L’auteur est l’un des parrains de l’association Bibliothèques sans frontières.
Il vit et travaille à Paris. (source: Babelio)

Site Wikipédia de l’auteur 

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Lucie ou la vocation

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Lucie ou la vocation
Maëlle Guillaud
Éditions Héloïse d’Ormesson
Roman
208 p., 17 €
EAN : 9782350873749
Paru en août 2016

Où?
Le roman se déroule à Paris

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Lucie est amoureuse. Éperdument. Mais pour imposer celui qu’elle a choisi, elle va devoir se battre. Ne pas céder face à l’incompréhension et à la colère des siens. Malgré les humiliations quotidiennes, les renoncements et l’ascèse, elle résiste et rêve d’absolu. Un jour, pourtant, le sacrifice qu’elle a durement payé est ébranlé par la découverte d’un secret. Le doute s’immisce. S’est-elle fourvoyée ou est-elle victime d’une manipulation ?
Avec une sensibilité et une justesse infinies, Maëlle Guillaud nous entraîne dans un monde aux règles impénétrables. En posant la question de la foi et en révélant sa puissance à tout exiger, Lucie ou la vocation entre en résonance avec l’actualité.

Ce que j’en pense
***
Il en va de certains romans comme pour certaines spécialités culinaires : on n’est pas trop sûr de vouloir essayer tout en se disant que l’on passe peut-être à côté de quelque chose de délicieux. Je dois à la sélection proposée par les «68 premières fois» la découverte ce premier roman étonnant à bien des égards et qu’il ne me serait jamais venu à l’idée d’acheter. L’histoire d’une jeune fille qui choisit de consacrer sa vie à Dieu en entrant dans les ordres n’est à priori pas fait pour m‘enthousiasmer outre-mesure.
Mais si le premier roman de Maëlle Guillaud mérite le détour, c’est qu’il est bien plus que cela. Au fil des pages la quête spirituelle va se transformer en enquête, l’amour de Dieu en une réflexion sur la «vraie» vie de cette communauté. Disons-le tout net, le livre est de plus en plus passionnant au fil des pages.
Quand Lucie décide d’abandonner ses études supérieures pour «se marier avec Dieu», c’est l’incompréhension qui domine. L’incompréhension de sa famille, sa mère qui imaginait un tout autre avenir pour sa fille, sa grand-mère qui va la perdre à tout jamais, l’incompréhension pour son amie Juliette, qui va tenter à plusieurs reprises de lui faire changer d’avis : « Je dois la convaincre que la vraie vie est ailleurs. Dans les baisers, l’amour, la maternité, tous ces instants qui embellissent nos nuits et nous portent vers autre chose qu’une cellule austère et un époux qu’elle ne pourra jamais toucher. » L’incompréhension du lecteur aussi qui partage les interrogations de ses proches. Comment peut-on s’orienter vers un tel choix sans éprouver le moindre doute ? N’y-a-t-il pas quelque chose de l’ordre de l’emprise sectaire dans l’attitude des religieuses et du père Simon, un jésuite qui lui explique combien son engagement est merveilleux, qui explique à Julie que «le monde qui s’ouvre à toi est d’une beauté dont tu n’as pas idée», qui la pousse à tous les sacrifices.
La jeune fille ne fera pas marche arrière : « Je me souviens, maman. Je t’ai vue tellement souffrir. Je refuse de commettre la même erreur. J’ai choisi la solitude. Je refuse de dépendre de quelqu’un. De me perdre dans le désir, dans tout ce qu’il a d’imprévisible, de sauvage. »
Les premières semaines, les premiers mois de celle qui deviendra Sœur Marie-Lucie vont bien se passer. Elle s’engage totalement dans cette nouvelle vie, n’a de cesse d’apprendre, de tout partager pour l’amour de Dieu. Elle va jusqu’à trouver Juliette puérile dans son combat pour la faire changer d’avis. Les années passent et petit à petit un malaise s’installe. Car plus on s’élève dans la hiérarchie, plus on en apprend sur les principes de gestion d’une telle communauté, sur le caractère des mères supérieures et sur les petits secrets des unes et des autres. Et il y a là bien de quoi ébranler les certitudes. Comment posséder quelque chose quand on a fait vœu de pauvreté ? Pourquoi faut-il tout noter, quelles remarques peuvent faire des religieuses qui sont censées ne pas parler ? Quelle confiance accorder à une personne qui vous ment ostensiblement ?
Vient alors pour Sœur Marie-Lucie l’heure de la remise en cause et pour nous, pauvres lecteurs, le basculement du roman d’une vocation vers un thriller au suspense haletant.
Laissons le voile du mystère se lever et saluons la jolie performance de Maëlle Guillaud !

68 premières fois
Blog Domi C lire 
Blog motspourmots.fr (Nicole Grundlinger)
Blog Dans la bibliothèque de Noukette
Blog Fragments de lecture (Virginie Neufville)
Blog Les lectures du mouton (Virginie Vertigo)
Blog Les livres de Joëlle 
Le blog du petit carré jaune (Sabine Faulmeyer)

Autres critiques
Babelio 
Toute la culture
La cause littéraire (Thomas Besch-Kramer)
Blog Les chroniques de Koryfée (Karine Fléjo)

Extrait
« – Comme un ami parle à un ami, j’ai confié à Dieu mes doutes et j’ai compris que tant qu’on n’a pas pris conscience de l’amour qu’Il nous porte, le Lui rendre semble impossible. Pourtant, il faut chaque jour essayer. Vivre cet amour, c’est s’abandonner comme un enfant dans les bras de son père. C’est accepter d’être tout petit en Sa présence.
Lucie acquiesce. Elle ne s’est jamais sentie aussi démunie, aussi fragile.
– Accepte la démaîtrise.
Elle fronce les sourcils.
– Tu dois lâcher prise, oser adopter une attitude déroutante dans notre société où tout est planifié. Probité et vertu sont les maîtres mots. Le zèle sincère d’une âme qui se cherche… Cela requiert un grand courage, et un esprit libre. »

A propos de l’auteur
Née en 1974, Maëlle Guillaud est éditrice. Lucie ou la vocation est son premier roman. (Source : Éditions Héloïse d’Ormesson)

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Cet été-là

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Cet été là
Lee Martin
Sonatine
Roman
traduit de l’anglais par Fabrice Pointeau
320 p., 21 €
EAN : 9782355845581
Paru en février 2017

Où?
Le roman se déroule aux Etats-Unis, principalement dans l’Indiana. On y traverse des endroits appelés Gooseneck, Honeywell, Tower Hill, Georgetown, Jasper, Brazil ou encore Martinsville.

Quand?
Le narrateur se situe de nos jours pour raconter des faits qui se sont déroulés trente ans auparavant (voir extrait ci-dessous).

Ce qu’en dit l’éditeur
Un thriller poignant, sélectionné pour le prix Pulitzer du meilleur roman.
Tout ce qu’on a su de cette soirée-là, c’est que Katie Mackey, 9 ans, était partie à la bibliothèque pour rendre des livres et qu’elle n’était pas rentrée chez elle. Puis peu à peu cette disparition a bouleversé la vie bien tranquille de cette petite ville de l’Indiana, elle a fait la une des journaux nationaux, la police a mené l’enquête, recueilli des dizaines de témoignages, mais personne n’a jamais su ce qui était arrivé à Kathy.
Que s’est-il réellement passé cet été là ?
Trente ans après, quelques-uns des protagonistes se souviennent.
Le frère de Katie, son professeur, la veuve d’un homme soupçonné du kidnapping, quelques voisins, tous prennent la parole, évoquent leurs souvenirs. Des secrets émergent, les langues se délient.
Qui a dit la vérité, qui a menti, et aujourd’hui encore, qui manipule qui ?
Avec ce magnifique roman polyphonique, littéralement habité par le désir et la perte, Lee Martin nous entraîne dans la résolution d’un crime à travers une exploration profonde et déchirante de la nature humaine.

Ce que j’en pense
***
« J’avais pris trop de came, deux fois plus que d’habitude, et maintenant, la vérité, c’est que je me souviens de rien. Croyez-moi, mon frère, j’ai essayé. Tout a disparu. C’est comme si c’était jamais arrivé.
Il étaient dans une impasse. Que faites-vous, se demanda M. Dees, quand votre fille a disparu depuis quatre jours, que vous avez un revolver pointé sur la tête de l’homme que vous savez responsable, mais que celui-ci ne peut pas – ou ne veut pas – vous dire ce que vous voulez savoir ? Vous revenez en arrière. Voilà ce que pensa M. Dees. C’est ce qu’il disait à ses élèves. Décomposez le problème en ses parties, focalisez-vous sur un calcul plus simple et apprenez-le. Remontez jusqu’à avoir appris tout ce que vous avez besoin de savoir pour trouver la réponse que vous croyiez hors de portée. »
M. Dees ne pouvait pas mieux résumer ce thriller, ni mieux expliquer comment il va tenter d’expliquer au lecteur ce qui s’est passé chez les Mackey ce soir-là, quand Katie a disparu : en décomposant le problème, en retraçant morceau par morceau le fait divers qui a secoué toute la communauté, que l’on imaginait sans histoires, de Gooseneck. Dans un tel endroit, où chacun connaît son voisin, où la plupart des habitants travaillent à la verrerie – même si cette dernière est sur le déclin – et où tout étranger est repéré dès qu’il entre en ville, la vie est paisible. La famille Mackey peut même être le symbole de ce petit bonheur tranquille. C’est du reste ce que pense Henry Dees, qui observe les faits et gestes des Mackey à la manière d’un entomologiste. Engagé pour donner des leçons de mathématiques à Katie, il est littéralement fasciné par cette élève si belle et si gentille.
Il profite de ses loisirs pour humer les mêmes pétales de fleurs que la jeune fille, pour lui soustraire une mèche de cheveux, pour prendre des photos de la maison et même pour s’introduire dans la maison. Poussé par une irrépressible envie, il ira même jusqu’à embrasser son élève sur la joue.
Un geste qui va énormément le perturber et qui pourrait même l’anéantir s’il savait que Raymond R., son voisin, l’épie à son tour. Pourtant lorsque Katie prend son vélo pur ramener des livres à la bibliothèque et qu’elle ne rentre pas, ni l’un ni l’autre ne sera en mesure d’expliquer cette disparation.
Contrairement aux thrillers qui mettent les enquêteurs au premier plan, la trame tourne ici autour de ce curieux microcosme, de cette communauté et des relations que les uns entretiennent avec les autres. La bonne idée de l’auteur étant de donner successivement à chacun la parole.
Outre Henry et Raymond, Junior et Gilley, les père et frère de Katie et Clare, l’épouse de Raymond vont nous livrer «leur» vérité dans une ambiance de plus en plus lourde au fur et à mesure que la disparition de Katie prend un caractère définitif.
Entre omissions et témoignages partiels, voire partiaux, on va découvrir que chacun cache des choses, des déviances, des obsessions.
Cependant, à force de déconstruire et de reconstruire, d’assembler des bribes, la vérité va finir par éclater…
Le premier roman – pour moi, il ne s’agit pas à proprement parler d’un thriller – de Lee Martin traduit en français nous permet de découvrir une plume incisive et une œuvre que l’on ne manquera pas de suivre.

Autres critiques
Babelio 
Blog Les pages de Sam
Blog Croqueuse-Livres
Blog L’écran à la page 

Extrait
« Je n’ai jusqu’à présent jamais réussi à relater cette histoire et le rôle que j’y ai tenu, mais écoutez, je la raconterai en toute honnêteté : un homme ne peut vivre qu’un temps avec une telle chose sans la partager. Mon nom est Henry Dees et j’étais alors enseignant – professeur de mathématiques et tuteur pendant l’été auprès d’enfants tels que Katie qui en avaient besoin. Je suis désormais un vieil homme, et même si plus de trente années se sont écoulées, je me rappelle encore cet été et ses secrets, la chaleur et la manière qu’avait la lumière de se prolonger le soir comme si elle n’allait jamais partir. Si vous voulez écouter, vous allez devoir me faire confiance. Sinon, refermez ce livre et retournez à votre vie. Je vous préviens : cette histoire est aussi dure à entendre qu’elle l’est pour moi à raconter. »

A propos de l’auteur
Lee Martin vit à Colombus, dans l’Ohio, ou il enseigne la littérature. Cet été-là est son premier roman traduit en français. (Source : Éditions Sonatine)

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Arrêt non demandé

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En deux mots
Six histoires qui sont autant de tranches de vie savoureuses. De l’enfant qui assiste à une rixe en famille jusqu’au candidat au suicide qui dialogue avec la mort, voilà des embryons de roman furieusement cyniques, joyeusement déjantés et terriblement frustrants pour le lecteur qui en voudrait encore plus !

Arrêt non demandé
Arnaud Modat
Alma éditeur
Nouvelles
160 p., 17 €
EAN : 9782362792113
Paru en janvier 2017

Ma note
etoile etoile etoileetoile (j’ai adoré)

Où?
Les nouvelles sont situées en France, notamment dans la région de Strasbourg, à Schiltigheim, mais également dans des lieux qui ne sont pas précisés.

Quand?
L’action se situe en 1989 pour la première nouvelle et de nos jours pour les histoires suivantes.

Ce qu’en dit l’éditeur
Dans la maison Modat, on rit, on blague, on s’insurge, on affronte. Tout commence par la rédaction d’un enfant de huit ans. « J’aimerais raconter mes vacances si ça dérange personne, où plutôt une chose qui m’est arrivée pendant les vacances et qui a failli gâcher ma belle jeunesse. »
La vie étant ce qu’elle est sur l’échelle du temps, résumons les épisodes : la paternité, la responsabilité, l’art d’exister et de disparaître… Tout cela : grave, et furieusement désopilant.
Roman de l’enfance, Arrêt non demandé raconte comment grandir peut faire mal aux os, aux cheveux ou à l’âme. Une opération qui dure toute la vie…

Ce que j’en pense
Je n’aime pas les recueils de nouvelles, surtout quand ils sont bons. Et celui-ci est très bon. À tel point qu’en le lisant j’ai quelquefois pensé à Annie Saumont – qui vient de nous quitter – et qui était considérée comme la sœur française de Raymond Carver, ainsi qu’à J. D. Salinger, autre nouvelliste hors-pair. J’imagine du reste que dans l’autoportrait qui clôt ce recueil, la citation tirée de L’Attrape-cœurs est un clin d’œil à une source d’inspiration de ce jeune nordiste installé à Strasbourg.
Non, si je n’aime pas les recueils de nouvelles, c’est que ma frustration croît au fur et à mesure que j’entre dans les histoires, que je vis avec les personnages, que je suis leur parcours. Prenez par exemple La Mer dans le ventre qui ouvre ce recueil.
Il vous suffira de quelques lignes pour vous sentir bien, pour vous imaginer aux côtés de ce petit garçon dans cette réunion de famille houleuse. Racontée par l’enfant, ce drame va vite prendre la dimension d’une épopée déjà esquissée lors du voyage effectué au volant d’une Fiat Tipo : « Papa conduit comme si demain n’existait pas et il double dans les ronds-points, pris de colère ancestrale. Il passe les vitesses sans arrêt. Il a des problèmes dans ses rapports. Papa pilote comme un chien enragé parce qu’on doit se pointer sans faute à un apéro. »
On se régale de cette altercation verbale, puis physique qui prend des allures d’opéra et qui culmine sur le grand air de la rupture. Je ne peux m’empêcher d’imaginer le plaisir que nous autres lecteurs aurions eu à suivre cette famille et à voir ce garçon grandir. Laisser ainsi le lecteur en plan est bien cruel. D’autant que je soupçonne la préméditation. Rappelons que ce recueil s’intitule Arrêt non demandé et qu’en effet nous n’avons pas demandé que l’histoire s’arrête au bout de 28 pages !
Plus grave encore : le cas d’Arnaud Modat s’aggrave avec les nouvelles suivantes, tout aussi brillantes. Raoul raconte l’étape cruciale pour de nombreux couples, celui du premier enfant. Pour Aurore et Quentin, cet épisode survient « après trois ans de vie commune, la perte de nos amis respectifs, l’adoption d’un chat de merde, un mariage clef en mains et un crédit immobilier mal négocié ». Au baby-blues viendront s’ajouter tous les tue-l’amour inhérents à la post-grossesse. Quand Raoul aura montré le bout de son nez, il faudra faire preuve d’imagination pour retrouver une vie amoureuse épanouie. Faites confiance à l’auteur et à son double (le narrateur s’essaie au roman) pour trouver le truc. Une seconde fois, cet embryon de roman devient formidablement addictif et nous laisse sur notre faim.
Et que dire de Tapage nocturne et neige précoce ? De J’existe (je ne fais que ça) ?, de La dernière nuit du hibou ? et de La fourchette à poisson ? Que ces quatre autres nouvelles sont de la même veine. Qu’on s’y amuse beaucoup, que l’on a sans doute tous déjà rencontré des voisins bruyants qu’il a fallu calmer, que l’on adore le côté transgressif de cet employé d’agence intérimaire chargé de répondre au courrier adressé au père Noël, que l’on se délecte du dialogue entre le candidat au suicide et la mort (après l’appel quasi surréaliste à SOS amitié) et qu’enfin on «voit» déjà sur grand écran le joli film proposé dans l’ultime nouvelle, avec tous les extraits de films référencés ici.
Non, décidément, je ne pardonnerai ce crime de lèse-lecteur à Arnaud Modat que le jour où paraîtra son premier roman. Le plus vite sera le mieux!

Autres critiques
Babelio
Blog Cultur’Elle (Caroline Doudet)
Blog Les lectures du mouton (Virginie Vertigo)
Le Blog de YV

Extrait de la nouvelle 4. J’existe (je ne fais que ça)

À propos de l’auteur
Arnaud Modat a 37 ans. Il est né à Douai (Hauts-de-France) et vit aujourd’hui à Strasbourg. Il a publié deux recueils de nouvelles humoristiques : La fée Amphète, le 1er mai 2012 aux éditions Quadrature, et Comic strip, paru le 19 octobre 2012 chez Intervalles. (Source : Livres Hebdo /Alma éditeur)

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