Les belles ambitieuses

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En deux mots:
Amblard Blamont-Chauvry n’entend rien faire d’autre de sa vie que de profiter des plaisirs qu’elle peut lui octroyer. Mais, dans les années 70, les femmes sont ambitieuses et ne l’entendent pas de cette oreille. Même pas Coquelicot, la plus délicieuse d’entre elles…

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Amblard le Bienheureux

Le nouveau roman de Stéphane Hoffmann est un régal de joyeuse ironie centrée sur un homme qui décide de ne rien faire, sinon de profiter de la vie. Dans son milieu, la chose n’est guère aisée, surtout quand quatre femmes ambitieuses vous entourent.

« Vous aurez beau vous agiter en tous sens, vous n’aurez qu’une expérience résuite à vous-mêmes. Les livres, eux, vous enrichissent de dix mille Existences. » Avouez-le, cette unique phrase suffit déjà à vous faire aimer le nouvel opus de Stéphane Hoffmann. L’auteur de Un enfant plein d’angoisse et très sage va vous convier à une fête de l’esprit ou le trait d’esprit – qu’on appelle aujourd’hui plus volontiers la «punchline» – est servi par une langue classique et élégante, où l’ironie cinglante voisine avec un humour pétillant.
Je ne sais si son «héros», Amblard Blamont-Chauvry, énarque et polytechnicien, aime l’opéra-comique. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il a décidé de vivre selon la formule de Jules Barbier et Michel Carré dans «Galathée» : « Ah ! qu’il est doux De ne rien faire Quand tout s’agite autour de nous. »
Car on s’agite beaucoup autour du jeune homme, énarque et polytechnicien de «bonne famille». Quatre femmes, Les belles ambitieuses du titre, vont essayer de (re)mettre le jeune homme dans le droit chemin. La comtesse de Florensac, sa marraine, est la plus expérimentée. À l’image de la Marquise de Merteuil dans les Liaisons dangereuses elle veut tout savoir des intrigues de cour – elle accueille chez elle et quelquefois dans son lit les ministres en exercice. Aussi manipulatrice qu’orgueilleuse, elle entend bien marier son protégé, quitte à la laisser ensuite folâtrer à sa guise. « Si un homme est doué pour l’amour, il doit faire profiter de ses qualités les autres femmes, si souvent délaissées. Et s’il n’est pas doué, il doit apprendre. Il s’améliore avec des maîtresses, l’épouse en profite, tu vois. »
Amblard va suivre ce conseil et épouser Isabelle Surgères, la seconde ambitieuse. Plus que pour avoir la paix que par amour. De fait, il ne se fait guère d’illusions : « Si on n’y prend pas garde, on se retrouve marié quand on prend juste plaisir à être ensemble. Mal assorti, le mariage est un crime parfait: deux morts. Le criminel – la société – n’est jamais punie. Il arrive même que ce double meurtre lui profite. »
En revanche pour elle, ce mariage doit être un tremplin pour atteindre les hautes sphères, celles qui décident, celles qui changent la vie. Sans doute plus par souci de sortir du rang et de se différencier que par conviction, elle s’affiche de gauche. Après tout, c’est «très tendance». Après des débuts en fanfare, il est nommé à Washington et elle peut parader au bras de son mari dans les dîners de l’ambassadeur Jacques Kosciusko-Morizet, les choses ne vont pas tarder à se gâcher.
Quelques années plus tard viendra le tour de sa filleule, Maxime d’Audignon. La jeune fille a le projet de construire un haras sur les terres familiales et vient demander l’aider d’Amblard, car elle se heurte au refus de son père. Et comme elle lui plaît bien…
Mais ma préférée est incontestablement Coquelicot qui doit ce surnom au jour de sa rencontre avec Amblard. Il faisait alors son service militaire et son régiment avait été choisi pour accueillir la reine d’Angleterre qui avait répondu à l’invitation du président Pompidou. Coquelicot, comme la couleur de la robe qu’elle portait, était l’une des hôtesses d’accueil dépêchées sur place. Très vite, ils vont se retrouver dans les bras l’un de l’autre et très vite ils vont s’amuser. Une complicité qui ne sera pas démentie par le temps, pétillante comme le champagne qui accompagne leurs retrouvailles. Un bonheur simple : « Je suis heureuse avec toi, tu es heureux avec moi. Laissons la société à Isabelle Surgères qui, elle, ne sera jamais heureuse parce que ce qu’elle n’a pas encore est plus important pour elle que ce qu’elle a. »
J’imagine qu’il y a un peu de Stéphane Hoffmann dans ce souvenir de jeunesse d’Amblard quand il raconte qu’il préférait se plonger dans Homère, Chateaubriand, Déon ou Lacarrière que dans la grande bleue. C’est ce qui nous vaut aujourd’hui ce magnifique roman.

Les belles ambitieuses
Stéphane Hoffmann
Éditions Albin Michel
Roman
272 p., 32,40 €
EAN : 9782226437334
Paru le 22 août 2018

Où?
Le roman se déroule en France, principalement à Paris et Versailles, mais aussi à Orly, à Bougival, à Louveciennes, à Rambouillet, à Condé-sur-Vesgre, à Vichy, dans les Alpes italiennes et aux États-Unis, à Washington.

Quand?
L’action se situe du 15 mai 1972 jusqu’à la fin du XXe siècle.

Ce qu’en dit l’éditeur
« Traîner au lit avec une dame aimable est une sagesse : on n’y a besoin de rien ni de personne d’autre. C’est aussi une plénitude, c’est-à-dire un paradis. »
Paris, années 70.
La comtesse de Florensac veut avoir le salon le plus influent de Paris.
La jeune Isabelle Surgères veut changer la vie.
La douce Coquelicot veut faire plaisir à ceux qu’elle aime.
Ce sont les belles ambitieuses.
Elles s’activent autour d’Amblard Blamont-Chauvry qui, bien que polytechnicien, énarque, et promis à une brillante carrière, a décidé de s’adonner à la paresse, l’oisiveté, la luxure, la gourmandise et autres plaisirs.
Que faire de sa vie ? Comment s’épanouir ? Doit-on être utile ? Peut-on être libre ? Faut-il être ambitieux ?
À ces questions, chacun des personnages, entre Paris, Versailles et les États-Unis, à la ville comme à la campagne, répond à sa façon, et de manière parfois surprenante.
On retrouve l’élégance et l’humour mélancolique de Stéphane Hoffmann, prix Roger Nimier pour Château Bougon, dans ce roman éblouissant de finesse. »

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Le blog de Gilles Pudlowski 

Stéphane Hoffmann présente Les belles ambitieuses © Production Albin Michel

Les premières pages du livre
« Je la rencontre dans les jardins de Trianon pendant une visite de la reine d’Angleterre. Je fais alors mon service militaire au 76e régiment d’infanterie. Comme Proust, soit dit en passant. Et je suis du détachement accompagnant le président de la République et Mme Pompidou à Orly pour y accueillir la reine et le duc d’Édimbourg.
Tous se la jouent Grand Vent de l’Histoire. Le Royaume-Uni va entrer dans l’Europe. On annonce un référendum pour l’année suivante. Je me donne des airs de m’en foutre et, de fait, je m’en fous. Je n’y crois pas. L’Histoire ne se joue pas à la coupée d’Orly, avec un Léon Zitrone imbattable sur les couleurs de manteaux, châtaigne pour la reine, abricot pour Mme Pompidou.
Elle est une des hôtesses engagées pour l’occasion. Elle sourit au Grand Trianon, où la reine a pris ses quartiers et où aurait lieu le fla-fla. J’ai vite repéré, entre femmes de ministres et d’ambassadeurs, cette jolie brune à peau mate au bout des regards du duc d’Édimbourg et du ministre français de l’Économie et des Finances. Ces fins chasseurs l’avaient remarquée.
Mais c’est moi qui, le soir venu, l’emmène faire un tour dans les jardins de Trianon.
Elle hésite pourtant un peu :
– Je ne sais pas si je peux quitter le péristyle. On peut avoir besoin de moi à tout instant.
– Quel est votre rôle ?
Elle a une moue un peu vague, et qui me fait rire. Mais déjà elle me suit à pas lents, sans plus d’hésitation ni avoir demandé la permission à personne, ni regardé derrière elle. Bien sûr, je ne doute pas de moi. Nous marchons dans une allée si bien ratissée que les graviers semblent collés au sol. Je bombe le torse. Cet air tiède de tilleuls en fleur et de miel. Nous allons tranquillement vers le Grand Canal sur lequel, pendant des années, j’ai fait de l’aviron. Nous nous taisons. Si le silence se prolonge, il deviendra gênant. Je ne peux tout de même pas lui parler d’aviron.
– Qu’avez-vous fait depuis ce matin ? lui dis-je enfin.
Son petit rire. Spontané, clair et discret. Un rire d’enfant qui ne veut pas qu’on lui demande ce qui l’amuse.
– J’ai attendu, dit-elle enfin.
La voix est gaie, encore rieuse. Elle soupire, presse le pas. Je m’inquiète. Est-ce que je marche trop vite ? Mes grandes jambes. Et ces bottes. Mais elle reprend :
– Il a fallu arriver tôt. Trop tôt. On nous a coiffées. Puis habillées. C’est ma deuxième robe de la journée, explique-t-elle en tournant sur elle-même, dans un mouvement qui m’enchante. Je ne sais pas trop à quoi la première a servi. Vous aimez ?
C’est un fourreau de crêpe d’un rouge assez violent, avec un col Claudine en lamé argent.
– Cette couleur, c’est co-que-li-cot, m’explique-t-elle en détachant lentement les syllabes, comme si elle parlait à un demeuré. Joli, non ? Coquelicot, coquelicot, on dirait une chanson. C’est léger, c’est vif, c’est fragile, ajoute-t-elle. C’est violent, aussi ; et tenace. Comme moi. Dans cette robe, je me sens à la fois nue et protégée. C’est à la fois une peau et une armure, vous voyez ?
Elle éclate encore de rire devant mon air ahuri.
– Non, vous ne voyez pas. Les hommes comme vous ne voient rien aux femmes. Allons, je vous taquine. Bon, je reprends. Depuis ce matin, nous avons donc accueilli les invités. Nous les avons placés. Il a fallu garder le sourire en toutes circonstances. J’ai un peu mal à la mâchoire. Je pourrais vous raconter des choses pas jolies jolies sur certaines personnalités, mais nous dépendons de M. Senard, à qui nous avons promis le silence. J’aime beaucoup M. Senard. C’est le chef du protocole, vous savez, précise-t-elle comme si ça devait m’éblouir.
Je ris à mon tour. Cette fille me plaît.
– Oh ! gardez vos secrets, que voulez-vous que j’en fasse ? Croyez-vous que cela m’intéresse ?
Craignant de l’avoir froissée, je lui pose la main sur le bras. Elle ne frissonne pas.
– Pardon, je ne voulais pas dire ça. Ou, du moins, pas comme ça.
Elle continue à sourire mais, soudain, elle s’arrête net.
– Cette voix ! murmure-t-elle. »

Extraits
« Coquelicot s’arrête et, soudain, tout s’ordonne autour d’elle. Tout est neuf dans ces jardins que je connais depuis l’enfance, et qui partout invitent à l’amour parmi ces tilleuls aux parfums sucrés fuyant dans la perspective du Grand Quinconce. Les insectes tournoient dans la lumière poussiéreuse et dorée de juin. Les promeneurs, insoucieux de la présence de la reine, parlent doucement de leurs affaires. Tout cela pourtant tremble et s’estompe devant Coquelicot qui, seule, semble vraie. Elle s’est arrêtée et, en riant :
– Vous m’entraînez dans les jardins, je ne sais même pas qui vous êtes. Comment vous appelez-vous ? me demande-t-elle. Amblard Blamont-Chauvry ? C’est bien votre nom ? Le vrai ? Vous vous moquez de moi, c’est un pseudonyme, n’est-ce pas ? Savez-vous que Sacha Guitry avait un figurant nommé « Labite » et que c’était un pseudonyme ? (Elle rit encore ; plus longtemps, ça deviendrait vexant.) Mon Dieu ! vous avez un nom plus ridicule encore que le mien, que je ne vous dirai pas.
– Que je ne vous demande pas.
Elle hausse les épaules :
– Que voulez-vous faire, dans la France d’aujourd’hui, avec des noms pareils ? Autant porter des bois. »

« Dire que nous nous sommes amusés tous les deux, c’est ne rien dire. Nous nous sommes amusés, oui, mais surtout nous nous sommes trouvés.
L’amour avec Coquelicot ne va bien sûr pas très loin, dans la charmille, derrière le Buffet d’eau. Nous nous effleurons. Juste mes lèvres contre sa peau, « ne me décoiffez pas, je vous prie, que dirait M. Senard ? », son souffle dans mon souffle, son cœur palpitant, mes mains qui frôlent, une lumière qui naît. Une porte qui s’ouvre ; façon de parler, hélas.
De cette frustration, naît en moi un élan que je ne veux plus jamais perdre. Une frénésie que je veux ne jamais voir finir. Une évidence que je cherchais et que je viens de trouver. Et la certitude, à vingt-cinq ans, que ma vie sera merveilleuse.
D’une certaine manière, je suis né le lundi 15 mai 1972 à Versailles. Comme Archimède dans son bain, Paul de Tarse à Damas, Jeanne d’Arc dans le jardin de son père, entendant sainte Catherine, sainte Marguerite et saint Michel, Isaac Newton dans son verger de Woolsthorpe, Bernadette Soubirous à Massabielle ou Paul Claudel derrière son pilier de Notre-Dame. J’ai trouvé auprès de Coquelicot ma place dans le monde, ce qui engagerait ma vie entière : ma place est auprès de Coquelicot, par elle, avec elle et en elle. » p. 25-26

« Si on n’y prend pas garde, on se retrouve marié quand on prend juste plaisir à être ensemble. Mal assorti, le mariage est un crime parfait: deux morts. Le criminel – la société – n’est jamais punie. Il arrive même que ce double meurtre lui profite. » p. 32

« Depuis l’enfance, d’Audignon et moi nous mettons en garde contre les dangers que nous risquons et les bêtises que nous nous proposons de faire. Nous faisons toujours ces bêtises la prudence n’est pas notre fort -, nous évitons parfois ces dangers, mais avec le soutien d’un ami qui, quoi qu’on fasse, ne nous juge pas et prendra notre défense. .
Aujourd’hui, tout de même, quelque chose change. Pour la première fois, lui et moi nous présentons en même temps sur ce champ de tir aux pigeons qu’est le mariage. Thierry ne peut plus rien pour moi, je ne peux plus rien pour lui. » p.75

« « Je ne sais rien de toi, tu ne sais n’en de moi. » Nous avons trouvé la vérité de notre relation : l’amour physique. On me dit que j’ai une vie de chatte de gouttière. C’est curieux comme on condamne ceux qui font du bien. Je suis heureuse avec toi, tu es heureux avec moi. Laissons la société à Isabelle Surgères qui, elle, ne sera jamais heureuse parce que ce qu’elle n’a pas encore est plus important pour elle que ce qu’elle a. Pourtant, loin d’être frivole, Coquelicot est appliquée, réfléchie, studieuse, pieuse même : ne fait-elle pas une petite prière avant l’amour? Elle met du sérieux dans tout, surtout dans les jeux du lit.
Il est vrai que ce sont les seuls jeux que je lui connaisse. » p. 80

« Nous sentons que nous avons, l’un sur l’autre, du pouvoir et nous décidons de ne pas l’utiliser. Pas encore. Nous nous ménageons, ce qui est normal puisque nous sommes destinés à être un ménage. Nous ressemblons à des chatons pour calendrier des postes.
Ce mariage avec Isabelle serait une catastrophe? Peut-être, et alors? C’est amusant, les catastrophes qui ne concernent que deux personnes et font plaisir à tant de monde. Vivre, n’est-ce pas faire des bêtises ? Ce qu’on appelle : avoir des aventures.
Sinon, quel ennui ! » p. 87

« Je vais te dire ce que je pense, Amblard, poursuit Marraine en prenant la coupe de Dom Ruinart 1966 que lui tend l’hôtesse. Merci, mademoiselle. Je pense qu’un homme fidèle est un vicieux, un égoïste et un goujat. Ou alors, qu’il n’a pas de santé. Parfaitement. À ta santé, justement. (Elle cligne de l’œil.) Et à tes amours, hu! hu! hu! Comprends-moi bien. Si un homme est doué pour l’amour, il doit faire profiter de ses qualités les autres femmes, si souvent délaissées. Et s’il n’est pas doué, il doit apprendre. Il s’améliore avec des maîtresses, l’épouse en profite, tu vois. » p. 124

À propos de l’auteur
Journaliste et critique littéraire, Stéphane Hoffmann publie Le Gouverneur distrait en 1989 et obtient le prix Nimier pour Château Bougon en 1991. Des filles qui dansent (2007) et Des garçons qui tremblent (2008) le consacrent comme un de nos plus brillants romanciers. Les autos tamponneuses, en 2011, confirment son succès. En 2016, il obtient le prix Jean Freustié pour Un enfant plein d’angoisse et très sage. (Source : Éditions Albin Michel)

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Pour Sensi

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En deux mots:
Le narrateur a le spleen. Après la parution de son dernier roman sa maîtresse le quitte lui laissant une immense sensation de vide. Va-t-il pouvoir écrire ce roman sur les Allobroges pour lequel il a rassemblé notes et documents ou sombrer dans la mélancolie?

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Le roman de l’écrivain mélancolique

Avec «Pour Sensi», Serge Bramly nous livre sans doute son roman le plus personnel en nous contant le vide existentiel de l’écrivain qui voit sa maîtresse le quitter, en même temps que sa dernière œuvre.

On a beaucoup glosé sur le rapport de l’écrivain à son œuvre. Depuis le fameux «Madame Bovary c’est moi» de Flaubert jusqu’à l’autofiction, le roman aura été beaucoup ausculté, analysé, expliqué. Mais jamais peut être le rapport de l’auteur à son œuvre n’aura été si joliment mis en abîme que dans ce roman jubilatoire – pour le lecteur bien davantage que pour le narrateur – qui parcourt les chemins tortueux de l’inspiration littéraire.
Nous voilà prévenus dès les premières lignes, le livre que nous sommes en train de lire est une «possibilité de roman» parmi d’autres : «Six débuts possibles. Des phrases sortent d’entre les autres, et je pourrais commencer ainsi: Nous marchions en direction de la place de la République lorsque Rivka m’a annoncé qu’elle mettait fin à notre liaison. Elle ne voulait plus continuer comme ça.»
Cela faisait pourtant dix-neuf mois qu’il entretenait une liaison avec l’épouse du frère de sa copine et que leurs rendez-vous clandestins semblaient les satisfaire autant que les réjouir. C’est du moins l’avis de l’auteur qui ne comprend pas cette soudaine rupture. «C’est un début. J’ignore si c’est le bon. Parce qu’il faudrait préciser alors, et cela m’entraînerait dans une autre direction, impliquant un tout autre commencement, que j’étais d’ores et déjà déprimé, très, avant que Rivka m’annonce sa volonté de rompre.»
Car comme on parle du «Baby blues», il existe pour le romancier une sorte de «Parution blues» quand le livre trouve le chemin des librairies et qu’il échappe à son auteur. En combinant le vide amoureux avec le vide de l’écriture, Serge Bramly a trouvé une manière élégante de dire son désarroi, son incompréhension face à cette double trahison. Son livre, tout comme Rivka, lui échappe : « J’entre en jachère, en hibernation tel le loir dont la neige ensevelit le territoire. Entretenus par des bourrasques de pensées désagréables, torpeur et désarroi vont durer de trois à six mois, je le sais; quelquefois davantage: le temps qu’un nouveau livre se mette en place, qu’il m’échauffe, m’emplisse, gonfle la baudruche de mon esprit et m’occupe en entier. »
Il y aurait bien ce projet de livre sur les Allobroges, ce peuple des guerriers gaulois établis sur ce qui deviendra plus tard la Savoie et pour lequel il s’est déjà bien documenté, mais en attendant de trouver le bon angle d’attaque, l’inspiration créatrice qui lancera la rédaction de l’ouvrage, il aimerait bien que Rivka revienne.
Et c’est là que Serge Bramly est grand. Il utilise toutes les ficelles du romancier pour emberlificoter son lecteur, le roman dans le roman, le retour en arrière dans une biographie qui, depuis sa Tunisie natale jusqu’aux tournées de promotion de ses précédents ouvrages, va tenter de comprendre l’origine de ses pannes. Il va même convoquer un sorcier mexicain pour sortir de son mal-être. Avant de nous révéler qui est cette Sensi du titre et qu’il pourrait bien être ce «figurant fictif d’une fiction» qui nous a enchanté tout en nous menant en bateau. Du grand art !

Pour Sensi
Serge Bramly
Éditions JC Lattès
Roman
256 p., 20 €
EAN : 9782709650595
Paru le 29 août 2018

Où?
Le roman se déroule en France, à Paris avec l’évocation de la Tunisie natale, du côté de Bizerte et de voyages à Bruxelles et au Maroc.

Quand?
L’action se situe de nos jours, avec quelques retours en arrière.

Ce qu’en dit l’éditeur
Quiconque s’obstine à pleurer la disparition d’un être cher au-delà des trente jours et des onze mois prescrits, disent les Écritures, c’est une autre disparition qu’il pleure.
Au moment où commence cette histoire, Serge Bramly voit se terminer simultanément deux aventures, l’une amoureuse, l’autre littéraire. Rivka, la jeune femme avec qui il a entretenu une liaison adultère durant dix-neuf mois, vient de le quitter. Quant à son grand roman sur la conjuration de Catilina, la rédaction en est au point mort. Il semble alors à l’auteur qu’il ne sera plus jamais capable ni d’aimer ni d’écrire: devant lui, le monde se referme.
Cette sensation de vide l’oblige à tourner pour la première fois son regard vers l’arrière et à arpenter le dédale de causes et d’effets qu’est sa vie, dans l’espoir de comprendre.
Méditation sur un amour défunt, Pour Sensi nous emmène des oliviers de la Tunisie natale jusqu’aux contreforts de l’Himalaya et aux cérémonies vaudou des Tropiques. Car il faut saisir la magie pour goûter au pouvoir salvateur de la littérature.

Les critiques
Babelio 
Lecteurs.com
Putsch (Emmanuelle de Boysson)
Blog Cultur’elle (Caroline Doudet)
Blog Chasseur de livres 

Les premières pages du livre
« Six débuts possibles.
Des phrases sortent d’entre les autres, et je pourrais commencer ainsi :
Nous marchions en direction de la place de la République lorsque Rivka m’a annoncé qu’elle mettait fin à notre liaison. Elle ne voulait plus continuer comme ça. « Ce n’est pas ma vie », a-t-elle déclaré. Et elle a répété la sentence en l’accompagnant d’un geste circulaire assez véhément pour englober la rue du Faubourg-du-Temple, les platanes jaunissants du canal, Paris, le ciel qui s’assombrissait.
« Ce n’est pas ma vie. »
Décision réfléchie, je le percevais au son de sa voix, brusque, un peu forcée comme si les syllabes s’étaient frayé un long chemin avant de jaillir. Jugement sans appel. Sauf extraordinaire, les femmes ne reviennent pas sur un reniement quand l’idée a mûri. On dirait même qu’elles mettent un point d’honneur à s’y tenir. Voyez avec quelle ardeur certaines abjurent les produits lactés ou deviennent végétariennes. Elles ont brisé un lien, une sensation de délivrance les comble. Conviction héroïque : cassure irréparable.
Je m’y attendais vaguement depuis la rentrée. Depuis qu’elle était revenue d’Espagne où elle avait passé en famille des «vacances de rêve» (elle ne m’avait envoyé de là-bas qu’une seule carte postale, la mer, un rocher, et le rocher barrait l’accès à la mer), Rivka espaçait nos rencontres. Elle jouait la défensive, m’opposait des accès d’agressivité injustifiés, s’en voulait et m’en voulait de lui être devenu un problème. On ne mène pas impunément une double vie. L’amour adultère rend l’existence difficile autant qu’il la fait excitante : du violon sur les nerfs. Trop de dissimulations, pour ne pas dire de mensonges. La culpabilité mine. Bientôt les montées d’adrénaline épuisent. Ça pèse. À force, on se sent écartelé.
Je voyais Rivka prendre ses distances et me préparais au pire, oui, mais sans y croire. Il y avait eu des précédents dénués de suite. Dans mon esprit des promesses implicites nous liaient, sur lesquelles il était inenvisageable qu’on revînt jamais. Comment imaginer que notre histoire se terminerait de cette façon, sur un bout de trottoir, entre un McDo et une solderie, à la va-vite ?
Le jugement à peine rendu (la corvée expédiée ?), Rivka filait à son cours de fitness.
Elle devait se moquer quelque temps plus tard, dans un café de la Bastille (elle refusait désormais de monter chez moi, de même qu’elle éludait le jeudi, qui avait été notre jour) : « Qu’est-ce que tu voulais ? Qu’on pleure ensemble ? » Oui, oui, sûrement. Qu’on parle, qu’on s’explique, un procès en règle. Pour moi, pensais-je, les choses seraient moins douloureuses peut-être.
Elle avait choisi une table éloignée de la porte, dans un renfoncement qu’un pilier dissimulait en partie. «Ce serait idiot, a-t-elle dit, de se faire choper maintenant qu’on ne…» Si l’idée l’amusait, elle outrait le sourire. Je la sentais gênée, divisée. Elle ignorait quelle attitude adopter à mon égard, comment se positionner à présent qu’elle avait balisé notre relation de garde-fous, et son embarras, pour ce qu’il laissait présager, m’emplissait de tristesse.
Nos cocktails avaient le goût chimique d’un succédané de citron. Pop-corn en papier mâché. Tout paraissait factice dans ce café qui se voulait branché, les suspensions d’usine, les affiches, les photos pendues à touche-touche, duplicata nostalgiques d’images de célébrités, les parois de briques pour faire américain, la pénombre intentionnelle, la musique même, niaiserie débitée au mètre. Réduisant le langage des apparences à un argot suffisant, notre époque se complaît chaque jour davantage dans la réplique, le trompe-l’œil, l’approximatif, le toc, sans en mesurer les effets délétères.
«Il faut que je te raconte…» J’ouvrais grand l’oreille. J’espérais. Rivka s’en tenait à des anecdotes neutres, qui nous cantonnaient en terrain neutre, neutralisant par avance toute possibilité d’épanchement. Son enjouement ne paraissait pas moins artificiel que le décor. Plus d’escapade. Les barrières interdisaient le hors-piste. En était-ce fini aussi de nos discussions, de la franchise, de l’authenticité d’autrefois ?
Elle et moi nous retrouvions toujours par intervalles, nous ne pouvions faire autrement, ne serait-ce que parce que le mari de Rivka était le frère de ma copine (de ma girlfriend, de ma compagne ; «fiancée» serait exagéré – disons : de la jeune femme que je fréquentais alors); et que nous étions amis avant d’être amants ; et qu’un membre amputé survit un moment, paraît-il, à l’état de fantôme. Mais Rivka se comportait à présent comme s’il ne s’était rien passé entre nous. Presque rien, rien de sérieux, des « simulacres anodins » (la formule vient de Paludes, d’André Gide, que je lui avais fait découvrir et dont la lecture l’avait enchantée), des broutilles : inutile de s’étendre. Ou alors comme si nos amours s’étaient déroulées dans un espace-temps si reculé qu’une prescription extinctive la dégageait de toute responsabilité. Et je lui en voulais presque autant de refouler nos souvenirs secrets dans une nébuleuse lointaine, où ils s’estomperaient vite, rêve de pacotille, que de me bannir du cercle de ses désirs.
Je revoyais sa hâte à me laisser sur un bout de trottoir, au bas de la rue du Faubourg-du-Temple. Son baiser claque en l’air, son regard vole ailleurs, son «salut» me parvient quand elle est déjà partie…
Que Rivka file à son cours de gym, me disais-je, que nous nous quittions à la sauvette entre un McDo et une solderie, que je rejoigne ensuite ma copine chez elle l’air de rien, j’en avais pris l’habitude. Seulement Rivka fuyait à toutes jambes cette fois, soulagée de fuir, je ne pouvais me défaire de cette image. Et n’apercevais plus que cela : sa façon de claquer la porte, l’unilatéralité de la décision, la lâcheté du procédé.
Elle baissait souvent les yeux vers la gauche. Ne pas comprendre (ne plus la comprendre) me mettait au supplice. Qu’est-ce qui avait déclenché ce revirement ? Je me rebiffais. Insistais. Pourquoi ne se justifiait-elle pas ? Je réclamais de faire le point, de « dresser un inventaire », expression maladroite, qui a eu le don de la hérisser. Pourquoi ne m’exposait-elle pas les raisons de son…
«Pour te protéger», a-t-elle marmonné.
Me protéger de quoi ?
«De quoi?» ai-je insisté, sans obtenir d’autre réponse qu’une moue opaque. Et je me suis demandé alors: que cache-t-elle que je ne dois pas savoir?
Avait-elle rencontré quelqu’un?
Était-ce le beau gosse de son bureau, dont elle m’avait dit peu auparavant qu’il l’avait invitée à boire un verre?
«Tu crois que ça a été facile pour moi? a-t-elle murmuré à la rencontre suivante. Que ça ne me coûte pas, à moi aussi…?» Je ne le pensais pas, non. Le serpent de la jalousie inoculait son poison. Il y a forcément quelque chose, me disais-je, donc quelqu’un. Que faisait Rivka de ses heures de loisirs si elle en profitait sans moi ? Et si elle en profitait sans moi, brûlais-je de découvrir, qui en profitait avec elle ?
C’est un début. J’ignore si c’est le bon. Parce qu’il faudrait préciser alors, et cela m’entraînerait dans une autre direction, impliquant un tout autre commencement, que j’étais d’ores et déjà déprimé, très, avant que Rivka m’annonce sa volonté de rompre. »

Extraits
« J’entre en jachère, en hibernation tel le loir dont la neige ensevelit le territoire. Entretenus par des bourrasques de pensées désagréables, torpeur et désarroi vont durer de trois à six mois, je le sais ; quelquefois davantage: le temps qu’un nouveau livre se mette en place, qu’il m’échauffe, m’emplisse, gonfle la baudruche de mon esprit et m’occupe en entier. »

« La conviction de vivre en propre m’a longtemps fait défaut. Autrefois j’avais l’impression d’appartenir plutôt à l’espèce des «fausses gens» (ces gens qui n’ont que l’apparence de gens) que Carlos Castaneda prétend avoir appris à identifier grâce à l’enseignement d’un sorcier mexicain, don Juan Matus, un Indien Yaqui dont aucun anthropologue sérieux ne pense aujourd’hui qu’il a vraiment existé. Figurant fictif d’une fiction, c’est ainsi que je me vivais. Sans m’alarmer outre mesure. Savoir ce que l’on est ou que l’on n’est pas ne modifie guère le cours des événements. J’habitais une fable cohérente, dont je n’avais pas conscience d’être l’auteur, et m’en accommodais : elle semblait la réalité même. »

À propos de l’auteur
Né en 1949 à Tunis, Serge Bramly est l’auteur de romans érudits qui tournent autour du thème de l’irréalité, de la tromperie, de la mystification : L’itinéraire du fou (prix Del Duca), Ragots. Il est en outre l’auteur de nombreux essais sur la Chine (Le voyage de Shanghai), sur l’art (Léonard de Vinci, prix Vasari) et la photographie. Il vient d’obtenir le Prix Interallié avec Le Premier principe, Le second principe. (Source : Éditions JC Lattès)

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C’est la rentrée

rentree_15785015482065031951.jpgLes parutions fleurissent en librairie à l’occasion d’une rentrée littéraire prometteuse.Du coup, je vous donne rendez-vous tous les jours à 10h pour une nouvelle chronique.
Bien entendu, mon
Grand guide de la rentrée littéraire, qui détaille l’ensemble des parutions, éditeur par éditeur, vous permet de vous orienter dans le maquis des centaines de romans parus et à paraître dans les prochaines semaines. Mes quatre premières chronique sur
Si vous souhaitez recevoir tous les matins une nouvelle chronique par courriel, il vous suffit de vous abonner sur la page d’accueil de mon site « Ma collection de livres ».

 

Sergent papa

CITTI_Sergent_papa

Logo_premier_roman

En deux mots:
Mathieu va fêter ses cinquante ans alors que sa carrière de comédien bat de l’aile et que son cœur flanche. À l’inverse son fils Antoine est le nouveau prodige de la scène rock. Deux trajectoires opposées mais une admiration réciproque qui n’a jamais été exprimée. Est-il trop tard pour essayer?

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Avec leur cœur de rockeur

Pour ses débuts dans le roman Marc Citti confronte un père et son fils unis par la musique, mais désunis par la vie. Vont-ils réussir à se rapprocher alors que leurs parcours personnels prennent des routes opposées ?

Si ce premier roman est centré sur les rapports père-fils, il est aussi un hommage au rock et à la musique qui, au-delà de toutes les vicissitudes aura rassemblé Mathieu et Antoine Scarifi. Les courts chapitres de Sergent papa ont pour titre celui de chansons des Beatles, de Joe Cocker ou encore de David Bowie. S’ils ont imprégné la mémoire du fils, c’est parce que le père, à chaque fois qu’il s’en allait, laisser trainer les vinyles qui ont fait l’éducation musicale de son rejeton et constitué la base de sa carrière de rockeur. Et puis, même si leurs relations se sont beaucoup espacées, ils se livraient à un petit jeu, s’exprimant par SMS en utilisant les titres des morceaux de leurs idoles communes. « Cela pouvait donner par exemple ceci, lorsqu’Antoine se trouvait à un endroit où il s’ennuyait ferme :
Antoine : Help ! Should I stay or should I go ?
Papa : Hell ain’t a bad place to be…
Antoine : Wish you were here….
Papa : I’ll be back!
Antoine : Time waits for no one… »
Et comme le temps n’attend personne, le roman s’ouvre alors qu’Antoine est sur scène avec son groupe «Les Extradés». Il fait la fierté de son père, admiratif de celui que les médias décrivent comme le «nouveau prodige de la scène rock indé, fascinant par son projet musical postmodeme et ambitieux.» Un père qui aimerait bien renouer des liens distendus au fil du temps et qui culpabilise de n’avoir pas été davantage présent, lui qui «avait quitté la maison lorsqu’il était encore enfant, mettant un terme à la brève passion qui l’avait fait épouser Florence quelques années plus tôt.»
Voilà Antoine est en pleine ascencion et Mathieu en plein doute. Il n’est plus vraiment un comédien demandé et adulé et ne doit qu’à ses relations, à la belle Marie Bellecour qui ne l’a pas oublié, de pouvoir remonter sur les planches. Un projet contrarié par une attaque cardiaque qui aurait pu l’emporter si Irina, sa femme de ménage, n’avait eu un réflexe salvateur. « Vous êtes passé à ça, monsieur Scarifi, lui avait déclaré le professeur, il va falloir changer votre manière de vivre. Ce qui fut fait: Mathieu s’efforça de se conformer aux injonctions des médecins et, dès sa sortie de l’hôpital tenta d’adopter une existence monacale. Le plus douloureux, on s’en doute, fut de se priver de son paquet de Camel journalier. »
Du coup, c’est une sorte d’urgence qui pousse le père vers le fils, mais aussi à l’inverse le fils vers le père. Une invitation à une série de concerts à Casablanca servira de catalyseur pour l’un comme pour l’autre.
Avec beaucoup de finesse, Marc Citti va suivre le cheminement de l’un et de l’autre, leurs relations réciproques et leurs désirs, mais aussi leurs addictions. La drogue et l’homosexualité, l’alcool et l’impuissance pour l’autre. Au fil des pages, on va voir la distance entre les deux hommes s’atténuer jusqu’à cette magnifique lettre. Mais n’en disons pas davantage, sinon que l’expérience de l’auteur et notamment son travail aux côtés de Patrice Chéreau vient ici fort à propos donner de l’épaisseur et de la crédibilité aux protagonistes. Et comme j’ai commencé avec la musique, je terminerais sur le même registre en imaginant Antoine changer le mot maman par papa en interprétant cette chanson de Julien Clerc
Avec mon cœur de rockeur
J’ai jamais su dire je t’aime
Oui mais maman (papa) j’ t’aimais quand même
Comme personne ne t’as jamais aimé

Sergent papa
Marc Citti
Éditions Calmann-Lévy
Roman
160 p., 16 €
EAN : 9782702163597
Paru le 16 août 2018

Où?
Le roman se déroule en France, principalement à Paris. On y évoque aussi des tournées en province, notamment à Tourcoing et Brest ainsi que le Maroc, à Casablanca, Tanger et les montagnes du Rif et Londres.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Si encore je t’avais abandonné pour parcourir le monde ou pour plonger dans l’ivresse d’une trépidante vie d’artiste, peut-être aurais-tu pu me fantasmer en père aventurier absorbé par des voyages extraordinaires, mais non, j’ai toujours été là, à quelques encablures de ta chambre d’enfant, et pourtant si éloigné.
Comédien à la carrière essoufflée, Mathieu tente de renouer avec son fils Antoine, musicien prodigieux. Au rythme des tâtonnements de ce père absent se découvrent la tendresse prudente et la violence sourde des sentiments.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Toute la culture (Marine Stisi)
Livres Hebdo (Léopoldine Leblanc)
Page des libraires (Béatrice Putégnat, Librairie Les Cyclades, Saint-Cloud)
Blog froggy’s delight (Jean-Louis Zuccolini)

Les premières pages du livre
« A DAY IN THE LIFE
C’est l’instant qu’Antoine préfère, lorsque la sueur commence à perler sur ses tempes et que la chaleur colonise tout son corps, jusqu’au bout des doigts de sa main gauche qui travaillent le manche de la White Falcon. Au moment de plaquer le premier accord, il s’est permis une furtive suspension, le temps d’embrasser d’un coup d’œil panoramique la pénombre de la salle bondée du Casino de Paris. Il sait que le public est là pour Alabama Shakes, mais aussi qu’il y a peu de risques pour que son groupe se fasse jeter comme la semaine dernière, quand ils ont assuré la première partie de Razorchild au Zénith de Reims, dans un énorme malentendu que seul le rock’n’roll peut provoquer. L’assistance est composée de quadragénaires curieux de découvrir les nouvelles pépites débusquées par l’équipe du festival des Inrockuptibles. Il n’est pas exclu que certains d’entre eux soient snobs et poseurs, mais le risque de débordements n’est pas à craindre. Le groupe qui a joué avant eux, un trio de punkettes new-yorkaises composé de deux ukulélés électrifiés et d’une DJ, a reçu un accueil favorable et Antoine ne voit pas pourquoi il n’en serait pas de même pour eux. Au pire l’auditoire leur opposera-t-il indifférence polie ou départ discret vers la buvette, avait-il songé pour dissiper son trac en attendant de monter sur scène.
Ethan attaque l’intro de batterie de Lexington Boogie en moulinant souplement sur ses toms, bientôt rejoint par la basse hypnotique de Kamel. La salle chaloupe comme un gigantesque banc de poissons nocturnes. Lorsque la ligne rythmique de ses partenaires aura suffisamment pénétré la moelle épinière de la foule, Antoine créera la surprise en y adjoignant un riff rageur et atypique sur lequel il posera sa voix si particulière, toute en glissandos périlleux et en inflexions narquoises, qui avait fait écrire au type des Inrocks, quelques semaines plus tôt : « Cet énergumène est le rejeton naturel de Little Richard et de Catherine Ringer autant que le cousin hexagonal de Jack White » (s’ensuivait toute une série de considérations convoquant les nœuds borroméens lacaniens et la grammaire saussurienne dont il ressortait, sauf erreur, que Les Extradés distillaient un putain de groove).
Alors qu’il est agenouillé pour régler son pédalier, l’œil d’Antoine est attiré vers la coulisse. Brittany Howard, l’imposante chanteuse d’Alabama Shakes, l’observe en souriant. Au moment où leurs regards se croisent, elle lève le pouce et lui décoche un clin d’œil enthousiaste. Cette marque de complicité, émanant de la plus fantastique voix soul du moment, le comble plus que ne le feraient toutes les ovations du monde.
À la fin de Lexington Boogie, leur set, d’une durée non négociable de quarante minutes, s’achèvera. Il n’y aura pas de rappel, les règles draconiennes édictées par les organisateurs ne le permettent pas. Kamel, Ethan et Antoine lèveront alors le poing vers le ciel et emprunteront le couloir des loges. Ils se reposeront quelques instants, se congratuleront peut-être, puis on cognera à la porte.
Kamel, une serviette autour du cou, torse nu, ira ouvrir, découvrant une vingtaine de personnes turbulentes qui feront résonner la pièce d’exclamations chaleureuses. Ethan, comme à son habitude, se montrera ironique et classieux, et Antoine, par la porte restée entrebâillée, apercevra la silhouette de son père sanglée dans un manteau autrefois élégant.
Mathieu se grattera alors la nuque, dansera d’un pied sur l’autre en lui souriant pauvrement. Antoine lui fera signe d’entrer. »

Extraits
« Tout en souriant aux plaisanteries qu’Ethan distille à l’assemblée hilare, Antoine se déhanche sur sa chaise pour tenter d’apercevoir Mathieu. Depuis combien de temps n’a-t-il pas parlé avec son père ? Il a toujours entretenu des rapports complexes avec lui. Mathieu avait quitté la maison lorsqu’il était encore enfant, mettant un terme à la brève passion qui l’avait fait épouser Florence quelques années plus tôt. Antoine, fruit de ce péché de jeunesse, ne lui était redevable que d’une chose, mais elle se posait là : lorsque son père était parti, il avait laissé une platine disque, une guitare acoustique Gibson de série et sa collection de vinyles forte de plus de mille exemplaires, en insistant pour que le tout soit installé dans la chambre du petit. »

« Antoine Scarifi, guitariste et chanteur du groupe Les Extradés, ce fils d’un acteur à la carrière discrète et d’une psychomotricienne, À vrai dire, même si nos camarades des pages Culture nous avaient prévenus avec gourmandise que nous nous apprêtions à rencontrer celui qui, à vingt-trois ans, incarne l’espoir de renouveau du rock hexagonal, on ne savait pas trop à quoi s’attendre lorsque rendez-vous avait été pris dans l’arrière-salle de ce salon de thé de la rue Quincampoix. D’emblée, le ton est donné: l’interview se déroulera dans une absolue courtoisie et une disponibilité de tous les instants. Antoine Scarifi arbore une tenue élégante et curieusement anachronique pour un garçon de sa génération: veste de velours chocolat, col roulé… »

« Voici donc Marie Bellecour rendue aux affaires de l’amour, convoquée à nouveau par le charme ambigu du désordre des sentiments, redoublé en l’espèce par le fait qu’il s’incarne à travers les traits d’un invétéré Casanova de vingt-deux ans son cadet. Elle plie ses affaires de sport, les range dans son sac, sort du vestiaire et se dirige vers la sortie en réempruntant le chemin de la salle de musculation. Le gros type s’accorde une pause en la regardant s’éloigner. Dehors, le carillon de l’église Saint-Eustache sonne 18 heures. Ethan sera chez elle à 20 h 30. Elle n’en peut déjà plus de l’attendre. »

À propos de l’auteur
Né en 1966, Marc Citti est acteur, dramaturge, auteur, compositeur et interprète. Il a notamment travaillé sous la direction de Patrice Chéreau et Jacques Audiard. Il est l’auteur de Les Enfants de Chéreau (Actes Sud, 2015).
Sergent Papa est son premier roman. (Source : Éditions Calmann-Lévy)

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Le guetteur

BOLTANSKI_Le_guetteur

En deux mots:
À la mort de sa mère, le narrateur vient mettre de l’ordre dans ses affaires et découvre qu’elle écrivait des romans policiers. Désireux d’en savoir davantage sur cette passion secrète, il va enquêter et découvrir un tout autre visage de cette femme… y compris le secret de sa naissance.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Christophe joue à cache-cache

Le nouveau roman de Christophe Boltanski est un fascinant kaléidoscope qui va permettre, au fil des chapitres, de découvrir toute les facette d’une inconnue : sa mère.

Christophe Boltanski passe d’une cache à l’autre avec le même bonheur. De La cache de la rue de Grenelle où sa famille trouvait refuge pour échapper aux rafles durant la Seconde guerre mondiale jusqu’à celle de la rue Philibert-Lucot où, au début des années 60, papiers et documents des combattants clandestins pour la libération de l’Algérie étaient planqués. Cette fois, l’auteur a décidé de se pencher sur la biographie de sa mère, un personnage qu’il va découvrir, aussi extraordinaire que cela puisse paraître, au fil de cette enquête passionnante.
Après son décès, il se rend au domicile de cette dernière pour le vider. Si son nettoyage avait été un peu plus expéditif, il n’aurait jamais su qu’elle aimait le roman noir. « J’aurais pu ne jamais savoir que ma mère écrivait. Ou plus exactement qu’elle avait tenté d’écrire. La chemise plastifiée bleu iris, retenue par deux élastiques, reposait dans le tiroir de sa table de chevet. Je faillis la jeter, comme le reste. Elle attira mon attention à cause de son étiquette collée sur la tranche : «Dossier Polar». Une mention plutôt ludique, vu les circonstances, propre à éveiller la curiosité. Je l’ouvris sans craindre de violer un secret. Elle contenait des notes sur le Prozac « un nouvel antidépresseur avec très peu d’effets secondaires » -, le virus du sida et ses premiers traitements, une étude de nature scientifique consacrée aux agresseurs sexuels, de nombreuses coupures de presse datant de la fin du XXe siècle et des textes rédigés à l’encre violette, sa couleur fétiche, d’une calligraphie ample, régulière… »
À partir de ce matériau la curiosité du romancier – à moins que ce ne soit celle du journaliste qui sait comment rassembler des informations, les recouper et les vérifier – va être piquée au point de devenir quasi obsessionnelle, n’hésitant pas à harceler les voisins ou témoins supposés, à solliciter les administrations et à multiplier les recours. Un acharnement qui va finir par payer…
Mais n’anticipons pas. Le Guetteur qui donne son titre au roman est un personnage imaginé par sa mère dans une ébauche de texte influencé par les «maîtres du genre, des auteurs américains qu’elle adulait comme Dashiell Hammett, David Goodis, James Cain ou Raymond Chandler.» En le découvrant, il a l’intuition qu’il a vraiment existé ou au moins qu’il a été inspiré par l’une de ses connaissances. C’est pourquoi il épluche les carnets d’adresse, recherche d’autres documents. « Ma mère était ce que je ne savais pas d’elle et que je chercherais indéfiniment toute ma vie. Elle se barricadait, elle élevait des remparts et guettait un ennemi invisible. Pour pouvoir l’appréhender, je devais la transformer en un roman policier, la réduire à des informations consignées dans mon carnet, méthode familière que je pratiquais depuis des décennies, et la tenir ainsi à distance, parce que cette histoire me faisait peur. Par ce biais, les moindres bribes que je recueillais acquéraient une profondeur, une grandeur imprévues. »
Il va finir par découvrir qu’au tournant des années 60 sa mère avait joué un rôle actif en faveur du mouvement pour l’indépendance de l’Algérie, son appartement servant notamment de base arrière aux militants recherchés par la police. Et si elle avait effectivement été espionnée?
Au fil des 33 courts chapitres, la partie de cache-cache va se transformer en un jeu de la vérité qui, à travers le détail de l’opération Flore, dont je ne dévoilerai rien ici, va conduire le narrateur à découvrir dans quelles circonstances il est né. Remercions donc la DST et le docteur Ogino, sans lesquels nous n’aurions pas pu nous régaler de ce délicieux roman.

Le Guetteur
Christophe Boltanski
Éditions Stock
Roman
288 p., 19 €
EAN : 9782234081710
Paru le 22 août 2018

Où?
Le roman se déroule en France, principalement à Paris. On y évoque aussi Verneuil-sur-Seine.

Quand?
L’action se situe de la fin des années cinquante à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Mais qui guette qui ? Lorsque le narrateur découvre dans l’appartement de sa mère le manuscrit d’un polar qu’elle avait entamé, « Le Guetteur », il est intrigué. Des recensements de cigarettes fumées, les pneus des voitures voisines crevés – comment vivait cette femme fantasque et insaisissable ? Elle qui aimait le frisson, pourquoi s’est-elle coupée du monde ?
Elle a vécu à Paris avec pour seul compagnon son chien Chips. Maintenant qu’elle est morte, le mystère autour d’elle s’épaissit. Alors il décide de la prendre en filature. Et de remonter le temps. Est-ce dans ses années d’études à la Sorbonne, en pleine guerre d’Algérie, où l’on tracte et l’on se planque, que la jeune femme militante bascule ?
Le Guetteur est le roman bouleversant d’une femme qui s’est perdue. La quête d’un fils qui cherche à retrouver sa mère. La confirmation d’un grand écrivain.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com 
Culturebox (Laurence Houot)
Télérama (Nathalie Crom)
Le JDD (Marie-Laure Delorme)


Christophe Boltanski présente «Le Guetteur» © Production Hachette

Les premières pages du livre
« Suis-je le seul à l’espionner ? Je l’aperçois à travers la vitre embuée du café. Posée sur la banquette en skaï jaune, droite comme une ballerine, elle écoute deux garçons qui se font face. Fidèle à son habitude, elle fume une cigarette. Les volutes bleuâtres de sa Gauloise nimbent les contours de son visage et l’amènent à plisser ses yeux bruns. Elle correspond aux photos que j’ai conservées d’elle. Avec son attitude réservée, discrète, presque boudeuse, son pantalon pied-de-poule, sa marinière à rayures, ses souliers plats et sa frange longue, lissée à droite, qui lui barre la vue et qu’elle s’évertue à repousser d’un bref battement de tête, elle paraît vouloir imiter une chanteuse yé-yé à la mode, plus jeune de quelques années, dont elle partage le prénom.
Ses compagnons, jambes étendues, épaules voûtées, affectent une allure plus décontractée, presque avachie. Le premier tient le rôle du boute-en-train. Le second, celui du beau ténébreux. Elle trône entre les deux. Avec son port haut, elle les domine d’une mèche malgré sa petite taille. Le cendrier plein et les tasses vides accumulés devant eux témoignent qu’ils sont assis là depuis longtemps. Ils occupent la table du fond, celle qui jouxte la cabine de téléphone couverte de dessins phalliques et de graffiti à la gloire du lettrisme. Manteaux en boule, piles de livres et de journaux, ils s’étalent, ils prennent racine, comme si ce recoin plaqué de plastique stratifié leur appartenait. Le plus enjoué des trois passe commande, fouille dans sa poche, compte ses sous, lève à nouveau la main, bredouille ce qui ressemble à des excuses. Après plusieurs allers-retours, le serveur à gilet revient avec une demi-portion de frites.
Part réduite de moitié et petits soins. L’attitude du garçon à leur égard confirme leur statut d’habitués. De toute évidence, La Fourchette, snack-bar franchouillard de la rue de l’École-de-Médecine, constitue leur quartier général. Difficile, à cet instant, de définir la nature des liens qui les unissent. En revanche, leur occupation se devine aisément. Ce sont des étudiants en lettres, comme le dénotent leur âge, leur mise affranchie des codes vestimentaires de l’époque, leur condition économique précaire sans être miséreuse, le quartier où ils évoluent, à mi-chemin entre le boulevard Saint-Michel et la place de l’Odéon, leur apparente oisiveté, le simple fait qu’ils soient là, dans un café, un après-midi de semaine, et non pas dans un bureau ou, pis, de l’autre côté de la Méditerranée, un uniforme sur le dos et la trouille au ventre.
Afin de saisir des bribes de leur conversation, je pousse la porte de mon imaginaire et m’accoude au comptoir. Qu’est-ce que vous prenez ? me demande une femme-tronc, chef d’un orchestre de percolateurs et de tireuses à bière. Je ne me formalise pas de son ton revêche que j’attribue autant à sa pratique professionnelle, celle de tenancière d’un troquet parisien, qu’à une trop longue fréquentation d’une clientèle estudiantine et désargentée. Contrairement à son employé, elle paraît ne plus supporter tous ces parasites qui confondent son mobilier en similicuir avec des bancs publics. Je l’entends bougonner en briquant une soucoupe avec son chiffon: « Ce ne sont pas des consommateurs, ils ne boivent rien ! »
La salle sent le tabac gris et l’eau de Javel. Quelqu’un entre, on quête son salut, on l’interpelle, on lui lance un sourire de connivence, on lui serre la dextre, on le congratule. Ce n’est plus un débit de boissons, mais un club privé, un aréopage de membres cooptés. Carabins d’un côté, sorbonnards de l’autre. Fraternités réunies par amphis, convictions ou goûts musicaux. Presque autant de filles que de garçons. Plus de couples que de polycopiés. La Fourchette, c’est un café où l’on vient draguer.
Un nouveau venu, vite repéré à son air halluciné, fait son apparition. Après avoir balayé la salle du regard, un regard de myope, perdu dans le vague et filtré par de grosses lunettes rectangulaires, il s’approche du trio d’un pas mal assuré, comme s’il marchait dans l’obscurité. Un visage rond, encore enfantin, des cheveux noirs et crépus, il porte une chemise à carreaux fermée jusqu’au col, un pull épais, des mocassins fatigués, nécessitant un bon coup de cirage, et une veste en daim au revers molletonné d’où dépasse de la poche une revue de poésie reconnaissable à sa minceur et à la sobriété de sa couverture. Il tend l’oreille en ouvrant la bouche car il souffre aussi de surdité. Il ne semble connaître personne à part l’éternel railleur de la bande qui lui désigne une chaise et le présente au reste de la tablée.
Pendant un instant, chacun se jauge, se renifle, relève les babines, montre les dents, émet des signes discrets relatifs à son origine sociale et son orientation sexuelle, capte des molécules suspendues dans l’air, filtre des fréquences sonores, guette chez l’autre un geste, un mouvement de tête, une inflexion de voix susceptible de le trahir. Quelques échanges de salutations et de phéromones plus tard, les voilà tous assis. Pour se donner une contenance, l’inconnu sort une pipe et la coince entre ses lèvres sans l’allumer.
Le groupe qu’ils forment à présent suit un schéma assez classique: les deux premiers garçons, le nouvel arrivant et son ami jovial, témoignent de leur empressement pour la fille qui ne cache pas son attirance pour le troisième, en dépit du fait ou peut-être, précisément, parce que celui-ci affecte à son égard une indifférence dont il est malaisé de dire si elle est feinte ou sincère. Impossible à ce stade de deviner que c’est l’outsider qui va remporter la course.
En attendant, ils ont des choses plus austères à discuter. Pour pouvoir s’entretenir en toute tranquillité, ils alimentent le juke-box en pièces de monnaie. Leur conversation se mêle à la voix stridente de Marvin Gaye, puis à celle plus grave de Sarah Vaughan. Des pieds bibopent sur le carrelage. Entre deux disques et avant que le saphir planté au bout du bras en bakélite ne touche le fond du sillon, j’entends parler de peuples frères, de gouvernement impérialiste, de vérité révolutionnaire. « Notre sort est lié au leur, s’écrie le ténébreux qui, visiblement, exerce sur la meute un pouvoir sans partage. Leur violence qui au quotidien nous est étrangère est objectivement la nôtre. Il faut sortir de la passivité et reprendre l’initiative. »

Extraits
« Son personnage était une ombre. Un désir mal défini et menaçant. Deux faisceaux optiques. Deux chemins lumineux dans la nuit. L’homme épie des femmes. Ou plutôt des cibles. Il les tient en joue. Chacune dans son carré. Dans quel but ? À ce stade, ses motifs ne sont pas connus. Jusqu’où est-il prêt à aller ? Ses deux petits hublots lui permettent de gommer la distance qui le sépare de ses proies. Mais va-t-il se contenter d’être deux yeux morts ?
Le voyeur souhaitait-il être vu ? Trouvait-il son plaisir dans son absence, son effacement ou dans le croisement des focales ? Il ne se contentait pas de regarder ses voisines, il voulait exercer sur elles un pouvoir. « Au bout de ses jumelles, elles perdaient leur innocence et modifiaient insensiblement leur comportement ; tels des animaux pris dans le pinceau des phares, leurs gestes s’altéraient, se faisaient gauches, leur visage se crispait, comme si elles subissaient, de mauvais gré, sa volonté à distance. » Plus inquiétant encore, il les actionnait par des fils, pareilles à des marionnettes. Internet et la téléphonie cellulaire n’existant pas encore, il les pêchait à la ligne fixe. Il les harcelait au téléphone. Le texte s’arrêtait, comme les autres, six pages plus tard, au moment où le guetteur s’apprêtait à contacter l’une de ses victimes : « Il lui laissa le temps de sortir de la douche, compta jusqu’à dix, puis fit le numéro. »

« Tout la rattachait au roman noir, à un univers noir, à une littérature qui vise moins à résoudre une énigme qu’à montrer la noirceur de la société. Son rejet de l’ordre établi, son caractère atrabilaire, son pessimisme foncier la portaient naturellement vers des auteurs qui s‘appliquent à dépeindre des villes pourries, des mondes dominés par des salopards, où le héros ne peut compter sur personne et ne vaut en général pas mieux que les autres. Il n’est pas nécessaire d’être un grand spécialiste pour reconnaître dans ses ébauches de textes l’influence des maîtres du genre, des auteurs américains qu’elle adulait comme Dashiell Hammett, David Goodis, James Cain ou Raymond Chandler. »

À propos de l’auteur
Romancier et journaliste, Christophe Boltanski est l’auteur de Minerais de sang, et de La Cache, qui a reçu le prix Femina en 2015. (Source : Éditions Stock)

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Bazaar

CABOCEL_Bazaar

Logo_premier_roman

En deux mots:
Entre Paris, Texas et Bagdad Café, le premier roman de Julien Cabocel nous entraîne dans un coin perdu de Haute-Provence. Entre road-movie et roman initiatique, soyez le bienvenu au Bazaar.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Parenthèse enchantée en Haute-Provence

Parmi les nouvelles voies de cette rentrée, celle de Julien Cabocel résonne par son originalité et sa musicalité. Prenez la route du Sud avec Dominique, de belles rencontres vous attendent.

Cela peut ressembler à un pari fou, un soir de déprime : prendre sa voiture et partir. Laisser tout derrière soi et rouler sans but précis. C’est ce que décide de faire Dominique Chevallier à la sortie d’un spectacle de ballet à l’opéra-Bastille. La grâce et la beauté d’une danseuse lui ont fait comprendre la médiocrité de son existence. Dans son agence de pub, le Parisien vend de l’artificiel et des fausses promesses, à mille lieues des émotions qu’il a ressenties.
Nous voilà entraînés dans un road-movie à la française, direction le sud. Rouler pour se vider la tête, rouler sans savoir où aller, rouler… jusqu’à ce que le réservoir d’essence soit vide.
Quand sa voiture stoppe sur un promontoire au bord d’une rivière, il ne lui reste qu’à attendre le jour pour découvrir un paysage aussi sauvage que magnifique. « Le soleil se levait lentement. Un dégradé halluciné de rose et de mauve se déchirait sur le noir pour se déverser sur mon pare-brise comme un cocktail que la nuit buvait du bout des lèvres. Et c’était beau. C’était même mieux que ça. » Un vieil homme est là, muni d’un appareil photo «qui mange le présent» et disparaît aussitôt.
Mais il n’a pas le temps de se poser trop de questions car son attention est captée par un néon grésillant et quelques lettres qu’il déchiffre derrière une vitre poussiéreuse: BAZAAR.
« Au milieu d’autocollants en lambeaux, j’ai lu un poème improbable Gulf Motor oil Coopérative Butar Bienvenue Gasol France Soir. J’ai poussé la porte de verre mais le battant n’a rien voulu savoir. Derrière la poignée, une barre condamnait la porte depuis l’intérieur. J’ai longé la grande vitre où les lettres rouges chancelaient encore jusqu’à l’angle du bâtiment. »
Le motel que l’on imagine proche du Bagdad Café de Percy Adlon. Sauf qu’ici Brenda est remplacée par la belle et envoûtante Stella : « Certaines femmes sont comme des aimants, on ne peut rien y faire, il faut qu’on les regarde, parce que l’on sent comme intuitivement que si on ne le fait pas, notre vie n’aura pas été tout à fait la même, on aura manqué quelque chose en somme du mystère du monde, on aura insulté Dieu sait qui, quelque divinité peut-être, qui dans des temps reculés, anciens, révolus, avait offert aux hommes la beauté, toute la beauté : les femmes. »
Le jeu de la séduction peut commencer au milieu d’une tribu bigarrée.
Théo qui, outre son mértier de berger, entretient de drôles de machines sur le Causse, Gene qui entend profiter de l’aérodrome abandonné pour s’envoler et réquisitionner Dominique pour conduire le tracteur . Millie la tatoueuse, dont la particularité et d en’être pas tatouée elle-même, sans oublier Barnold, le livreur de panneaux solaires qui va passer quelques jours à installer ces derniers.
Ce petit monde va s’apprivoiser le temps d’une parenthèse enchantée, d’évoquer des souvenirs, de se raconter de blles histoires comme celle d’Ilda et Rilt qui ont inventé l’amour…
Mais les beaux rêves ont tous une fin… que je me garde bien de vous dévoiler ! Je ne peux que vous encourager à prendre la route aux côtés de Julien Cabocel, de sa petite musique douce et quelquefois un peu acidulée. Son court roman sent bon la nostalgie et l’utopie, un peu comme dans le sud de Nino Ferrer
Tant pis pour le Sud
C’était pourtant bien
On aurait pu vivre
Plus d’un million d’années
Et toujours en été.

Bazaar
Julien Cabocel
Éditions L’Iconoclaste
Roman
198 p., 17 €
EAN : 9782378800215
Paru le 22 août 2018

Où?
Le roman se déroule en France, partant de Paris vers le sud de la France en passant par Lyon jusqu’en Haute-Provence. On y évoque aussi les trois K (Kaboul, Katmandou, Kuta) et Goa.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Et si, las de votre vie, vous décidiez de prendre votre voiture et de rouler droit devant, jusqu’à vider votre réservoir d’essence… Dans quel Bazaar atterririez-vous?
Dominique Chevallier travaille dans une agence de pub. Un soir, alors qu’il assiste à un ballet, il est bouleversé par la performance d’une danseuse ; sa grâce absolue, la perfection de son geste. Sa vie lui paraît soudain dénuée de sens. Alors, c’est décidé́, il va partir. Partir avec, pour seule règle, celle de rouler droit devant, jusqu’à̀ ce que son réservoir d’essence soit vide. Et peu importe où il atterrira. Il en est sûr, quelque chose l’attend.

BIENVENUE AU BAZAAR
Il prend la route et, au matin, c’est la panne sèche. Un désert brûlant s’étend sous ses yeux. Mais au loin, il aperçoit un grand pilier de béton sur lequel une lueur, un tremblement, quelques lettres, hésitent à̀ s’écrire dans le soir. Un motel est planté là. Son nom? Le Bazaar. C’est là qu’il pose ses valises. Peu à̀ peu, il s’intègre dans le quotidien du lieu et de ses résidents. Il retrouve Stella, son ancienne amante, Théo, un étrange berger, Millie, une tatoueuse détonante… Le Bazaar est une poupée russe dans laquelle s’emboîtent des vies. Et, plus encore, toutes les vies qui auraient pu être la sienne. Dans lesquelles sommeillent les désirs enfouis, les amours perdues, les occasions manquées.

UNE PUISSANCE D’ÉVOCATION
Ses images sont puissantes, hypnotiques. Son écriture, mature et maîtrisée. Dans ce premier roman, Julien Cabocel parvient à̀ disséquer le désir, l’amour ; la vie elle-même. Il érige un monde de papier qui se déploie au fil des pages. Bazaar est un « Bagdad Café́ existentiel », qui n’est pas sans rappeler l’univers d’Arizona Dream d’Emir Kusturica. Et qui révèle les premiers pas d’un auteur prometteur.

Les critiques
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Zazy – mon blogue de lecture

Les premières pages du livre
« J’ai assez facilement démonté le GPS – j’ai bazardé le tout, l’écran tactile et les câbles, dans le vide-ordures de l’immeuble. En glissant dans le conduit, ils ont résonné étrangement. J’y ai jeté aussi les vieilles cartes routières rouge et jaune que j’avais retrouvées dans le fond de la boîte à gants. Lorsqu’elles sont tombées à leur tour, l’idée m’est venue qu’un type inventerait un jour des GPS pour se repérer dans la vie. Et il ferait fortune : « Au prochain croisement, ne choisissez pas ce job. Dans six semaines, invitez cette fille à boire un verre, elle partagera votre vie pour mille et une nuits. Ensuite, prenez… » J’avais bien fait de tout balancer. Cette idée me glaçait les os. Même si j’étais bien placé pour savoir qu’on s’engageait parfois sur des voies sans issue.
Combien d’années avais-je passées à l’agence avant de me décider ? Dix ? Quinze ? Je ne sais même plus. J’avais pu en tous les cas suivre en direct la « mutation », comme on avait décidé un beau matin d’appeler le bordel généralisé dans lequel nous avions commencé à nous prendre les pieds. « Mutation ». C’était un tel euphémisme que je me suis demandé un moment si ce n’était pas quelqu’un de l’agence qui avait bossé là-dessus. Dominique Chevalier. C’était du Dominique tout craché. Il faut lui reconnaître un certain talent pour ce genre de trouvailles, pour des images et des mots qui n’auraient jamais dû se croiser. Un certain génie même, on peut le reconnaître. Si vous saviez le nombre de slogans improbables qu’on lui doit, vous en seriez malades. Des exemples ? Honnêtement, je n’en ai pas le courage. Plus l’envie. Si ça vous empêche de dormir, allumez vos téléviseurs, longez les murs de vos villes ou les panneaux publicitaires des zones commerciales de leurs périphéries, vous finirez bien par trouver une idée ou une ligne dont il est l’auteur, si on peut appeler cela comme ça. Je crois que si je n’étais pas parti, si j’avais continué à jouer notre petit jeu quotidien, ç’aurait mal fini. Je ne pouvais plus le voir.
Je vous dois une petite précision : je suis Dominique Chevalier.
En silence, j’ai refermé la porte derrière moi. Le bois de l’escalier a craqué comme une étreinte. J’ai fait tomber le trousseau dans la boîte aux lettres où, sur une petite étiquette blanche, était inscrit mon nom. La voiture était garée en face de l’immeuble, devant le salon de coiffure pakistanais. J’ai allumé la radio mais la réception était mauvaise. Rien ne sortait des enceintes qu’un grésillement d’insectes brûlant leurs ailes sur une ampoule. Le bruit du moteur a fait s’envoler un pigeon. J’ai pris à droite la rue Beaurepaire.
Quand le rideau de l’opéra était tombé sur la scène, l’idée m’était apparue comme une évidence. J’allais rouler jusqu’à ce que le réservoir soit vide. J’allais brûler jusqu’à la dernière goutte, l’ultime petite larme de pétrole, jusqu’au dernier embrasement dans la chambre de combustion. Encore un roulement de tambour quelque part dans les entrailles du moteur et je m’arrêterais. Un genre de burn out, à ma façon. Et à l’endroit précis où il ne serait plus possible d’avancer, une réponse m’attendait.
J’étais bien incapable d’expliquer ce qui m’était arrivé ce soir-là. Cette fille dansait sur la scène. Et je pleurais. C’est tout. Son corps était d’une grâce, d’une fragilité, d’une force qui m’émouvaient au plus haut point, qui me réconciliaient avec l’univers tout entier.
Comme si elle me parlait une langue que je ne connaissais plus, que j’avais oubliée depuis des siècles et que pourtant je comprenais parfaitement. Elle dansait sur la scène de l’opéra Bastille. Et moi, au milieu d’une rangée de fauteuils au velours bleu nuit, je pleurais. Je pleurais infiniment.
Le temps d’un bras qui se déplie avec une grâce absolue, l’instant d’un saut suspendu, mes rêves abandonnés avaient repris forme, pareils à ces villes fabuleuses que le vent dessine avec le sable des tempêtes.
J’avais cherché son nom sur le programme et je l’avais attendue à l’arrière du bâtiment circulaire pour la remercier de ce qu’elle avait accompli. Non pas la danse elle-même mais le sens de la vie, de ma vie, qu’elle avait ravivé. Ce pour quoi je me tenais sur ce morceau de terre, perdu au milieu d’océans de plus en plus rancuniers, sous des cieux de moins en moins cléments.
L’idée était venue de là. »

Extraits
« Le soleil se levait lentement. Un dégradé halluciné de rose et de mauve se déchirait sur le noir pour se déverser sur mon pare-brise comme un cocktail que la nuit buvait du bout des lèvres. Et c’était beau. C’était même mieux que ça. Puis peu à peu, la terre est devenue plus claire et les rétroviseurs se sont mis à dessiner d’étranges volutes de poussière, une fumée qui se dissipait lentement dans les couleurs du matin.
Je n’avais pas prévu de m’arrêter mais je n’en étais quand même pas à pisser dans des bouteilles en plastique comme les camionneurs qui balancent ça par la fenêtre – d’une part parce que je n’étais pas vraiment habitué à la chose et que j’avais peur de m’en foutre partout, … »

« Le néon grésillait quelques lettres que je déchiffrai à l’envers sur une grande vitre couverte de poussière : BAZAAR. Au milieu d’autocollants en lambeaux, j’ai lu un poème improbable Gulf Motor oil Coopérative Butar Bienvenue Gasol France Soir. J’ai poussé la porte de verre mais le battant n’a rien voulu savoir. Derrière la poignée, une barre condamnait la porte depuis l’intérieur. J’ai longé la grande vitre où les lettres rouges chancelaient encore jusqu’à l’angle du bâtiment. Je me suis engagé à gauche dans un passage étroit entre deux murs de pierre qui avaient l’air de vouloir se rejoindre dans un éboulement. »

« La nuit se tenait là tout entière. Elle a filé à mon passage et s’est mise à courir sur le causse. »

« Stella était assise dans un canapé de velours déglingué dans un angle du grand espace qui servait de cour intérieure au Bazaar. Elle regardait le ciel étoilé, lovée dans un long gilet marron, trop grand de trois ou quatre tailles, les jambes repliées sous elle, la tête sur un gros coussin de la même couleur ambre que le canapé. Si elle n’a pas semblé faire trop attention à moi, j’ai eu de mon côté le plus grand mal à regarder ailleurs. Certaines femmes sont comme des aimants, on ne peut rien y faire, il faut qu’on les regarde, parce que l’on sent comme intuitivement que si on ne le fait pas, notre vie n’aura pas été tout à fait la même, on aura manqué quelque chose en somme du mystère du monde, on aura insulté Dieu sait qui, quelque divinité peut-être, qui dans des temps reculés, anciens, révolus, avait offert aux hommes la beauté, toute la beauté : les femmes. » p. 45-46

« En me redressant, j’ai jeté un œil vers la chambre de Stella. J’ai fait un pas dans sa direction mais je n’ai pas descendu les lattes de bois de la terrasse. Qu’aurais-je pu ajouter à ce que nos corps s’étaient déjà dit, à cette langue parfaite que nous avions parlée l’autre après-midi et dont les mots nous échappaient dès que nous en saisissions le sens? Que pouvais-je espérer de plus? Sans plus me retourner, j’ai bifurqué en direction du self derrière lequel m’attendait le camion de la Solarem. »

À propos de l’auteur
Julien Cabocel est né en 1970. Après des études de lettres, il se consacre à̀ la chanson en tant qu’auteur, compositeur et interprète. Bazaar est son premier roman. (Source : Éditions L’Iconoclaste)

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Les enfants de ma mère

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En deux mots:
Après son divorce Françoise va devoir trouver les moyens de ses ambitions, vivre libre tout en offrant à ses enfants les meilleures chances de réussite. En suivant Françoise, Nathalie et Laurent des années 80 à nos jours, on retrouve cette France qui voulait changer la vie.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Françoise, Nathalie, Laurent … et les autres

Dans son second roman, Jérôme Chantreau a choisi de nous replonger dans la France des années 80 à travers la vie d’une mère divorcée et ses deux enfants. Superbe fresque, entre émancipation et renoncements.

Jérôme Chantreau a fait une entrée remarquée en littérature avec Avant que naisse la forêt, un roman que l’on pourrait qualifier d’écologique, même si déjà la relation entre un fils et sa mère défunte structurait le récit.
Son nouvel opus nous raconte aussi la relation d’une mère – bien vivante cette fois – avec ses enfants. Tout commence pour un épisode décisif dans la vie des protagonistes, celui où Françoise décide de rompre avec son mari. Une scène qui donne d’emblée le ton de ce roman qui, à travers les biographies des protagonistes, va relater les mutations de la société française et notamment l’émancipation des femmes: « Elle avait commandé une sole. Elle ne pourrait jamais plus manger de sole. Elle se demandait pourquoi il mentait, alors qu’il était là, de toute évidence, pour annoncer la vérité. Elle avait mal pour lui. Elle lui aurait bien mis les mots dans la bouche. Mais il arrive un moment où les femmes comprennent qu’il faut cesser d’infantiliser les hommes. Ce moment-là, c’est souvent le jour de la rupture. Françoise aurait pu, malgré tout, l’aider encore une fois, tant était puissant en elle le sentiment maternel. Prendre sur soi la douleur des autres. L’encaisser, pour qu’ils restent heureux et légers. Être encore une fois la femme, la mère, inépuisable et inconditionnelle. Elle sentit monter en elle une force inconnue. Et cette impression nouvelle provoqua une poussée d’endorphine qui répandit dans tout son corps quelque chose qui ressemblait à du bonheur. C’était du bonheur. Elle faillit relancer la conversation, parce qu’à elle, les mots venaient tout seuls: Tu es un homme qui s’en va, un homme qui renverse tout en partant, se cogne contre les meubles, oublie ses affaires, revient penaud, ressort bêtement. Um homme, comme tous les hommes, qui rate sa sortie. »
Aux côtés de ses enfants Nathalie et de Laurent, Françoise va désormais devoir tenir le coup, trouver un emploi. En écho aux affiches de François Mitterrand qui vient de remporter l’élection présidenteille, elle entend profiter de sa liberté retrouvée pour changer la vie.
Très vite, les amants vont défiler sous le regard quasi indifférent des ados qui ont chacun leur territoire dans l’appartement du 26, rue de Naples et entendent bien profiter aussi de ce vent nouveau.
Et tandis que Françoise trouve un emploi de graphiste, Laurent se lance dans la musique. Avec quelques amis, ils investissent la cave pour en faire une salle de répétitions. Quant à Nathalie, elle joue les anges gardiens en ramenant Édurne à la maison. Spontanément, Françoise décide de loger la jeune punkette dans la chambre de bonne. « Laurent avait assisté à cette scène sans pouvoir prononcer une parole. Il comprenait seulement qu’une fille, qui ressemblait à la chanteuse sur la pochette de Kids in America, débarquait, la veille de Noël, et que tout le monde trouvait cela normal. Il aurait pu lui en vouloir de le déloger de la chambre de bonne, mais la curiosité de la voir habiter sous le même toit et d’autres sentiments qu’il ne s’expliquait pas encore faisaient qu’il n’éprouvait aucune jalousie. »
De cette cohabitation, somme toute assez éphémère, la famille conservera un souvenir marquant et voudra s’imprégner de ce caractère rebelle…
Viendra alors le moment pour chacun de vouloir tracer sa route. Françoise va organiser des dîners où se retrouvera une faune assez disparate d’amis et d’artistes et va concrétiser une envie restée longtemps enfouie: peindre.
Laurent prend la route, se désintéresse de ses études et, tout en testant les paradis artificiels, va essayer de percer dans la musique avec son ami Victor. Mais pour l’heure, tout ce qu’il récolte, c’est le renvoi de son collège.
Nathalie, de son côté, avait choisi sa voie. « Son tempérament la poussa à entrer directement dans le monde du travail, à la radio plus exactement, où, dès ses débuts, elle réussit au-delà de toute attente. »
Si j’ai beaucoup aimé suivre les différents protagonistes, c’est parce que Jérôme Chantreau pose sur eux un regard d’une acuité exceptionnelle. Au fil des pages, on a l’impression de tellement bien connaître chacun d’eux qu’on s’imagine pouvoir les reconnaître si on les croisait dans la rue. Gageons du reste que vous n’aurez aucune peine à trouver une Françoise dans vos relations, une femme des années Mitterrand qui s’imaginait se débarasser de ses chaînes pour vivre autrement ou encore un artiste maudit que la drogue n’a pas réussi à élever. Sans oublier la jeune fille qui, à l’inverse de sa mère, entend profiter du système, aussi impafait soit-il.
Superbe roman et gros coup de cœur!

Les enfants de ma mère
Jérôme Chantreau
Éditions Les escales
Roman
480 p., 19,90 €
EAN : 9782365693134
Paru le 23 août 2018

Où?
Le roman se déroule en France, à Paris. Mais on y évoque aussi Orgosolo, un village en plein cœur de la Barbagia en Sardaigne et Baïgorry, un village près de la vallée des Aldudes, à côté de Saint-Jean-Pied-de-Port au Pays Basque et Bayonne et des voyages à Liverpool, le Mexique, l’Egypte du Caire à Assouan et à Laval.

Quand?
L’action se situe des années 80 à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
À travers le portrait d’une femme en quête d’elle-même et la musique d’une adolescence tourmentée, Jérôme Chantreau nous invite à passer la porte du 26, rue de Naples et réenchante Paris.
Changer la vie.
Trois mots pour s’inventer un destin. Trois mots que Françoise, fraîchement divorcée, a décidé de faire siens, elle qui, pour la première fois, a voté à gauche le 10 mai 1981.
Au 26, rue de Naples, un appartement ouvert aux quatre vents, Françoise tente de changer la vie – sa vie. Elle métamorphosera surtout celle de ses enfants en les plongeant dans un tourbillon aussi fantasque que brutal. Tandis que son fils Laurent crée un groupe de rock dans les caves parisiennes, Françoise recueille chez elle des gamins du quartier, fracassés par la drogue, les mauvais coups et l’exil. Mais à trop s’occuper des enfants des autres, ne risque-t-elle pas d’en oublier les siens ? Laurent est là, qui se tient au bord de l’abîme, hypnotisé par Victor – le plus beau, le plus brillant de la bande.
Dans ce roman où Paris se fait personnage, Jérôme Chantreau nous offre un portrait sans complaisance de la France mitterrandienne, aux accents violents et poétiques.

Les critiques
Babelio
Page des libraires (Betty Trouillet, Librairie Cultura, Carcassonne)
Lecteurs.com

Les premières pages du livre
« Françoise posa dans l’entrée ses valises en tissu écossais et ses deux enfants. Elle apprécia la luminosité des pièces, la hauteur des plafonds, les moulures en plâtre. Le pan de mur qui menait jusqu’au salon était couvert d’un miroir que le reflet vermillon de la moquette faisait flamboyer. L’effet espéré était moins de proposer une image satisfaisante de soi qu’une fuite du regard, mais une fuite brûlante, un luxe d’espace en trompe l’œil. Elle en fut troublée. Dès son premier pas sur le tapis rouge, Françoise sentit que sa vie allait se jouer là. L’impression que cet appartement l’attendait. Elle n’en voudrait plus d’autre. Elle était arrivée.
Ce jour-là, il n’y avait qu’elle, ses valises et ses enfants. Son mari travaillait. L’instant aurait mérité une petite célébration, mais à cette époque, la fin des années 1960, les hommes passaient leur vie au bureau. Ils rataient tous les rendez-vous familiaux.
Elle garda pour elle ses impressions au moment de découvrir, une à une, les pièces du 26 rue de Naples. Elle jeta un coup d’œil à la cave qui sentait le salpêtre et à la chambre de bonne sous les combles. Au milieu du salon, Laurent se réveillait déjà dans son couffin avec son regard perdu de nourrisson. Nathalie, âgée de trois ans, courait sur la moquette en feu.
En prenant possession des lieux, Françoise acceptait d’en devenir la maîtresse, ce qui impliquait d’en être le plus souvent la servante. Elle avait vingt-cinq ans. Le soir, quand les jeunes époux se couchaient, toujours un peu trop tôt à son goût, son mari lui répétait qu’ils n’étaient pas encore assez riches pour s’offrir les services d’une femme de ménage. Il travaillait pour que les choses s’améliorent. Pour travailler, on pouvait lui faire confiance. Ils mangeaient leur pain noir, disait-il. Encore quelques années et tu verras… Et puis il s’endormait. Tournée de son côté, Françoise attendait le sommeil qui viendrait plus tard. Elle ne se plaignait pas. Elle n’avait pas appris à le faire.
Dès les premiers mois, Françoise se lança dans des travaux de rénovation. Elle conserva la moquette rouge et tendit de papier ciel et blanc la chambre de Laurent dont la fenêtre donnait sur une cour d’immeuble. Nathalie avait la sienne, lumineuse et bruyante, au-dessus du carrefour de la rue du Rocher. La petite faisait sa rentrée dans une école privée du quartier. Françoise n’avait plus qu’à accomplir sa part de travail en se répétant qu’elle avait fait le bon choix, que la réussite viendrait et qu’elle serait libérée de ces tâches qui remplissaient sa journée. Avec un peu de chance, elle serait encore jeune. Combien de temps faudrait-il ? Cinq ans ? Non, c’était trop peu. Dix ans alors ? Quinze, plus certainement. Elle n’était pas très bonne en calcul mental. Avant de se remettre au ménage, elle eut le temps de voir s’amonceler un gros paquet d’idées noires.
L’appartement se trouvait au deuxième étage d’un immeuble, tout près de la place Villiers. Un coin de Paris tranquille quoique populaire. Le quartier n’avait pas atteint le standing que l’on trouvait de l’autre côté du parc Monceau, mais les rues de l’Europe, propres et bien proportionnées, renvoyaient une impression d’harmonie propice à la réussite. Les petits commerçants votaient à droite. Tous les habitants semblaient partager le même objectif : travailler à la réalisation d’une vie confortable.
Comme les affaires avançaient plus vite que prévu, son mari lui offrit une cuisine en formica. La pièce était exiguë. Il y avait une table escamotable pour les petits déjeuners et, au-dessus, un téléviseur de poche qui représentait le dernier cri de la miniaturisation. Une fenêtre, près de l’évier, donnait sur la cour d’immeuble. Françoise y plongeait souvent son regard. Elle s’était familiarisée avec les bruits : de longues plages de silence ponctuées d’un grincement de lit, un meuble qu’on pousse sur le parquet, quelques voix qui s’élèvent, puis retombent, un tintement de vaisselle. Des fenêtres, s’élevait la mélodie des familles. Elle était plutôt triste.
Françoise alluma le poste de télévision. L’image en noir et blanc, saupoudrée de neige, tremblota avant de se stabiliser. Les informations montraient des étudiants hurlant des slogans incompréhensibles. Leur colère d’opérette s’opposait au large sourire qui barrait leurs visages. Ils portaient des casques de moto, quelques-uns haranguaient la foule avec un mégaphone. Françoise repensa aux membres de sa famille qui avaient connu la guerre. Ils savaient l’importance de l’ordre et de la sécurité. Françoise se disait qu’elle ne connaissait pas grand-chose et qu’elle avait arrêté l’école beaucoup trop tôt. Qu’elle serait bien allée à la fac, elle aussi. En imper et en casque de moto. Si elle avait poursuivi ses études, au lieu de se marier, elle serait peut-être là, dans le poste, au milieu de cette foule heureuse. Ne te plains pas ! se répétait-elle, les mains dans la vaisselle.
Les voisins, au quatrième, dîneraient bientôt. Elle avait reconnu le bruit de la table que l’on déplie, les couverts qui tintent à rythme régulier, quelques voix, celle d’un homme plutôt vieux, d’une femme âgée. De son côté, le repas du soir était prêt et les enfants dormaient déjà. Françoise ne pouvait dire à quelle heure rentrerait son mari. On entendait les réclames à la télévision. Pendant les actualités, le journaliste avait été très sévère envers les jeunes révoltés. De Gaulle avait parlé de chienlit. Le Sacha Show allait commencer. Elle aimait bien Petula Clark. »

Extraits
« Françoise avait été bombardée graphiste, métier d’avant-garde dont elle percevait mal les contours. Sur quoi allait-elle dessiner ? Sur des ordinateurs. Comment cela était-il possible? Elle paniqua un peu les premiers jours. Elle apprit à allumer une unité centrale et à attendre qu’elle se mette en route. Pascal, son collègue, avait dix ans de moins et beaucoup plus de compétences en informatique. Lui, le peintre surdoué, avait consenti, pour gagner sa vie parisienne, à devenir un virtuose de l’image 3D. Il lui apprit en quelques semaines ce qu’elle devait savoir pour ne pas passer pour une incapable aux yeux des chefs. Françoise n’avait plus qu’à griffonner ses idées sur un bloc-notes.
Le reste du temps, elle connaissait une sorte de déprime, pas très violente, qui lui servait de vêtements de deuil pour femme divorcée. Ses amies y virent l’occasion de s’empiffrer de pâtisseries. Elle les avait connues pendant son mariage. Elles disparaîtraient bientôt, comme une volée de moineaux, parce que le divorce, on ne sait jamais, ça peut être contagieux. Pour le moment, elles voulaient bien que cela dure un peu, pourvu qu’on puisse montrer son grand cœur cher Angelina, devant un chocolat mousseux. »
« Françoise ruminait ces pensées tout en transformant la salle à manger en atelier d’artiste. Elle voyait bien que quelque chose lui échappait. Elle prit une décision : elle arrêterait les dîners, et elle ne les recommencerait qu’à la rentrée, se laissant tout l’été pour faire ce qu’elle aimait vraiment, la peinture.
Dès le début des grandes vacances, elle avait renvoyé Laurent à Liverpool, en voyage linguistique. Il avait paru enchanté. Nathalie était allée perfectionner son espagnol au Mexique. Françoise était minée, mais riche d’un mois de vacances. Pour la premiére fois, elle n’avait pris en compte ni son couple ni ses enfants.
Françoise s’installa devant un chevalet. La lumière entrait par les trois fenêtres de la salle à manger. Pascal l’avait aidée pour l’achat des peintures à l’huile, des aquarelles, des fusains, des pastels et des pinceaux. Il avait souri en la voyant s’entourer de toutes les techniques possibles, chacune ouvrant une voie différente, chacune nécessitant une maîtrise, une implication totale et exclusive. Il avait souri, mais il n’avait rien dit. Il fallait bien qu’elle commence. »
« Le choc de modernité avait pris tout le monde de court. Peu d‘adultes et moins encore d’adolescents étaient préparés à accueillir la révolution informatique dans leur quotidien. S‘il existait des geeks, c’était au fond de garages, dans quelques banlieues minables de la côte ouest des États-Unis. Aussi l‘informatique domestique, la miniaturisation, les nouvelles inventions provoquaient-elles chez les gens une sorte d‘hystérie compulsive.
Ce fut d’abord l’invasion des gadgets, comme une nuée de sauterelles sur l’Égypte biblique. On s’arrachait les porte-clefs qui répondaient au sifflement, les montres Casio avec calculatrice et tout ce qui pouvait se télécommander. Ne plus se lever de son fauteuil pour changer les chaînes du poste de télévision était vécu comme une avancée majeure dans la vie des ménages. On avait d’abord pensé que les voitures voleraient et que l’on mangerait des pilules aux repas. Il n’en était rien. Françoise conduisait une R5 et les Français préféraient toujours la blanquette de veau. »

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Les heures rouges

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En deux mots:
Quatre femmes, quatre destins: Roberta, une prof d’histoire qui a 42 ans veut à tout prix un enfant ; Mattie, son élève de quinze ans qui va se retrouver bêtement enceinte ; Susan, la mère de famille qui a tout sacrifié pour sa progéniture et Gin, la «sorcière» que l’on consulte en désespoir de cause. Quatre destins rassemblés par toutes les questions liées à la maternité.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Quatre femmes et quelques enfants

Dans un roman choral, Leni Zumas met en scène quatre femmes de Newville, Oregon. Quatre femmes aux destins fort différents, mais que la question de la maternité va lier et déchirer.

Newville est une petite bourgade de l’Oregon, au Nord-ouest des Etats-Unis. C’est dans ce coin de l’Amérique profonde que Leni Zumas a situé son nouveau roman et a choisi de nous retracer le combat de quatre femmes très différentes et pourtant reliées par un lien aussi invisible que fort. Gin, aussi appelée la guérisseuse, est une marginale, que l’on vient consulter parce que l’on craint les médecins et surtout le qu’en-dira-t-on, est peut-être en fin de compte la plus censée et la plus libre de toutes.
Car dans la bourgade les tensions s’exacerbent, en raison d’un amendement voté par le Congrès sur l’identité de la personne qui décrète le droit à la vie dès la conception, ce qui rend notamment l’avortement illégal et pose de graves problèmes s’agissant de PMA et de dons d’ovule et de sperme, le transfert d’embryons dans l’utérus étant désormais interdit.
Bien entendu, il s’agit d’une dystopie, mais on sait que dans les Etats-Unis de Trump une large fraction de la population se bat pour ce type de régression qui entend faire de la seule cellule familiale traditionnelle le seul et unique modèle acceptable.
Mais revenons à nos quatre femmes. Si Gin est une observatrice attentive du microcosme qui gravite autour d’elle, Roberta est directement concernée par la nouvelle législation. Cette prof d’histoire a en effet décidé de faire un bébé toute seule. À 42 ans son horloge biologique tourne et elle se dit que la prochaine fécondation in vitro sera sans doute la dernière. Tout en décrivant sa peine, son mal-être et son combat, Leni Zumas a eu la bonne idée d’entrecouper le récit avec des extraits de la biographie sur laquelle Roberta travaille et qui retrace la vie de l’exploratrice polaire Eivør Mínervudottír au XIXe siècle. Cette islandaise intrépide a aussi été victime de l’ostracisme et de la misogynie.
L’une des plus brillantes élèves de Roberta est Mattie. Quinze ans à peine et elle aussi en proie à un terrible dilemme. Sa première expérience sexuelle tourne au drame. Elle se retrouve enceinte et va éprouver toutes les peines du monde à avorter, le Canada ayant érigé un «mur rose» pour empêcher les Américaines de franchir la frontière pour avoir recours à une IVG.
Reste Susan, la mère de famille qui n’a, à priori, pas à se préoccuper de ces questions. Mais Leni Zumas est bien trop habile pour ne pas ajouter à ce panorama une femme bien sous tous rapports. Susan est mariée, mère de deux enfants qu’elle a choisi d’élever en mettant entre parenthèses sa carrière d’avocate. Mais le bilan est bien amer. Entre un mari et des enfants qui la délaissent, elle sombre dans la déprime et envisage le divorce et même le suicide.
Il faut d’abord lire ce beau roman comme un avertissement face à la montée d’un néo conservatisme qui viendrait mettre à mal les conquêtes si fragiles résultant d’années de luttes. La peur et la douleur qu’expriment ces femmes doit résonner auprès de tous les lecteurs comme un signal d’alarme.
Parce que c’est sans doute ce manque de vigilance qui a piégé toutes les femmes qui, comme Roberta, ont cru à « une comédie politique, une surenchère de la Chambre des représentants et du Sénat ligués avec le nouveau président amoureux des fœtus». Jusqu’au jour où la loi est passée…

Les heures rouges
Leni Zumas
Les Presses de la Cité
Roman
traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Rabinovitch
400 p., 21 €
EAN : 9782258146921
Paru le 16 août 2018

Où?
Le roman se déroule aux Etats-Unis, à Newville, du côté de Salem, Oregon.

Quand?
L’action se situe dans un futur plus ou moins proche.

Ce qu’en dit l’éditeur
«Drôle, mordant, poétique, politique, alarmant, inspirant, Les Heures rouges révolutionne la fiction de notre époque.» Maggie Nelson (Une partie rouge, Les Argonautes)
États-Unis, demain. Avortement interdit, adoption et PMA pour les femmes seules sur le point de l’être aussi. Non loin de Salem, Oregon, dans un petit village de pêcheurs, cinq femmes voient leur destin se lier à l’aube de cette nouvelle ère. Roberta, professeure célibataire de quarante-deux ans, tente de concevoir un enfant et d’écrire la biographie d’Eivør, exploratrice islandaise du xixe. Des enfants, Susan en a, mais elle est lasse de sa vie de mère au foyer – de son renoncement à une carrière d’avocate, des jours qui passent et se ressemblent. Mattie, la meilleure élève de Ro, n’a pas peur de l’avenir : elle sera scientifique. Par curiosité, elle se laisse déshabiller à l’arrière d’une voiture… Et Gin. Gin la guérisseuse, Gin au passé meurtri, Gin la marginale à laquelle les hommes font un procès en sorcellerie parce qu’elle a voulu aider les femmes.

Les critiques
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Les premières pages du livre
« Née en 1841 dans une bergerie féroïenne,
L’exploratrice polaire fut élevée dans une ferme près de
Dans l’océan Atlantique, entre l’Écosse et l’Islande, sur une île où les moutons sont plus nombreux que les humains, la femme d’un berger mit au monde un enfant qui, une fois adulte, étudierait la banquise. Autrefois cet amas de glaces flottantes représentait un tel danger pour les bateaux que tout expert connaissant la personnalité de cette glace capable de prédire son comportement était précieux pour les compagnies et les gouvernements qui finançaient les expéditions polaires. En 1841, dans les îles Féroé, à l’intérieur d’une petite maison au toit de tourbe, sur un lit qui sentait la graisse de baleine, une mère qui avait mis au monde neuf enfants, dont cinq avaient survécu, donna naissance à l’exploratrice polaire Eivør Mínervudottír.

La biographe
Dans une pièce réservée aux femmes dont le corps est brisé, la biographe d’Eivør Mínervudottír attend son tour. Entre deux âges, elle a la peau blanche, des taches de rousseur, et porte un jogging. Avant d’être appelée à monter sur la table d’examen et à poser les pieds sur les étriers, à sentir une sonde explorer son vagin, à voir sur l’écran les images sombres de ses ovaires et de son utérus, la biographe passe en revue les alliances des autres patientes. Des pierres authentiques, de larges anneaux scintillants. Elles épousent le doigt de femmes dotées de canapés en cuir et de maris solvables, mais dont les cellules, les trompes et le sang faillissent à leur destin animal. Du moins c’est ce que la biographe aime à imaginer. Une histoire simple, facile, qui lui permet de ne pas penser à ce qui se passe dans la tête de ces femmes ou des maris qui les accompagnent parfois. L’infirmière Crabby a une perruque rose fluo et un corset à lanières en plastique qui dénude pratiquement tout son torse et expose son décolleté.
— Joyeux Halloween, explique-t-elle.
— À vous aussi, répond la biographe.
— Allons aspirer un peu de lignée.
— Pardon ?
— Anagramme de sang.
— Hmm, dit poliment la biographe. Crabby ne trouve pas la veine tout de suite. Elle doit la chercher, et ça fait mal. « Où es-tu passée, petite ? » demande-t-elle. Des mois de piqûres ont balafré et assombri le creux des coudes de la patiente. Heureusement, les manches longues sont de mise dans cette région du monde.
— Les Anglais sont revenus, n’est-ce pas ? dit Crabby.
— L’esprit vengeur.
— Eh bien, Roberta, le corps est une énigme. Ça y est… je te tiens. Le sang afflue dans le tube. Le prélèvement leur indiquera les taux d’hormone folliculostimulante, d’œstradiol et de progestérone fabriqués par le corps de la biographe. Il y a de bons et de mauvais chiffres. Crabby range le tube dans un support, à côté d’autres échantillons. Une demi-heure plus tard, quelqu’un frappe un coup à la porte de la salle d’examen – pour signaler sa venue, pas pour demander la permission d’entrer. L’homme qui pénètre dans la pièce porte des lunettes d’aviateur, un gilet et un pantalon de cuir, et une perruque noire bouclée sous un chapeau rond.
— Je suis le garçon de la bande, annonce le Dr Kalbfleisch.
— Waouh ! s’exclame la biographe, perturbée par ce nouveau look si sexy.
— Jetons un coup d’œil, vous voulez bien ? Il pose ses fesses gainées de cuir sur un tabouret, face aux cuisses ouvertes de la patiente, et laisse échapper un « oups » en retirant ses lunettes. Kalbfleisch a joué au football dans une université de la côte est, et il a encore un visage d’étudiant. Le teint doré, une piètre capacité d’écoute. Il sourit en énonçant des statistiques peu réjouissantes. L’infirmière tient le d’hormone folliculostimulante (14,3), à la température extérieure (13) et au nombre de fourmis par mètre carré de sol juste en dessous (87), et vous saurez quelles sont vos chances. D’avoir un enfant. Il fait claquer ses gants de latex en les enfilant.
— Très bien, Roberta, voyons ce qu’il en est. Sur une échelle de un à dix, dix étant la puanteur infecte d’un fromage trop fait et un, l’absence totale d’odeur, comment évaluerait-il le fumet émanant du vagin de la biographe ? En comparaison des autres vagins qui défilent jour après jour dans cette salle d’examen, des années de vagins, une foule de fantômes vulvaires ? Beaucoup de femmes ne se douchent pas avant de consulter, ou luttent contre une candidose, ou bien puent naturellement de l’entrejambe. Kalbfleisch a reniflé plus d’une fois des effluves musqués au cours de sa carrière. Il introduit la sonde échographique enduite d’un gel bleu fluo et l’appuie contre le col.
— La paroi est fine et lisse, dit-il. Quatre millimètres et demi. Exactement ce qu’il nous faut. Sur l’écran, la paroi utérine est un trait de craie blanche dans une masse obscure, si fin qu’il semble impossible à mesurer, mais Kalbfleisch est un professionnel qualifié, ses compétences inspirent une totale confiance à la biographe. Et justifient le montant des honoraires qu’elle lui verse – des sommes si énormes que les chiffres en paraissent virtuels, mythiques, ils n’ont aucun rapport avec votre compte en banque, car ils dépassent l’imagination. En tout cas, les revenus de la biographe n’y suffiront pas. Elle utilise des cartes de crédit. Le médecin passe aux ovaires, enfonçant et inclinant la sonde afin d’obtenir l’angle qu’il recherche.
— Voici le bon côté. Joli paquet de follicules… Les ovocytes eux-mêmes sont trop petits pour qu’on les distingue, même en agrandissant l’image, mais on peut compter leurs poches – les trous noirs sur l’écran grisâtre.
— Croisons les doigts, dit Kalbfleisch en retirant doucement la sonde. Docteur, j’ai vraiment un joli paquet de follicules ? Il recule sur le tabouret à roulettes, loin de l’entrecuisse de la patiente, et ôte ses gants.
— Pendant les derniers cycles – ce n’est pas elle qu’il regarde, mais son dossier –, vous avez pris du Clomid pour stimuler l’ovulation. Elle n’a pas besoin qu’il le lui rappelle.
— Malheureusement, le Clomid provoque aussi un rétrécissement de la paroi utérine, nous conseillons donc aux patientes de ne pas poursuivre le traitement pendant de longues périodes. Ce qui est votre cas. Attendez, de quoi s’agit-il ? Elle aurait dû le vérifier elle-même.
— Donc cette fois-ci nous allons essayer un protocole différent. Un autre médicament connu pour améliorer les chances de certaines patientes âgées au stade prégravide.
— Âgées ?
— Un terme clinique, c’est tout. Il ne lève pas les yeux de l’ordonnance qu’il est en train de rédiger.
— Elle vous expliquera le mode d’emploi et nous vous reverrons ici le neuvième jour. Il tend le dossier à l’infirmière, se lève et rajuste son pantalon en cuir avant de s’éloigner à grands pas. Connard – reyvarhol en féroïen. Crabby explique :
— Procurez-vous ces comprimés aujourd’hui et commencez à les prendre demain, à jeun. Chaque matin pendant dix jours de suite. Pendant cette période, il se peut que vos pertes vaginales dégagent une odeur désagréable.
— Génial, répond la biographe.
— Certaines femmes disent que cette odeur est très… euh, surprenante, continue l’infirmière. Mais quoi qu’il arrive, évitez la douche vaginale. Cela introduirait dans le canal des produits chimiques qui, s’ils franchissent la barrière du col, peuvent compromettre le pH de la cavité utérine. La biographe n’a jamais pratiqué la douche vaginale de sa vie et ne connaît personne qui l’ait fait.
— Des questions ? dit l’infirmière.
— À quoi sert – elle examine l’ordonnance en plissant les yeux – l’Ovutran ?
— À stimuler l’ovulation.
— Mais de quelle façon ?
— Il faudra le demander au médecin. Elle se plie à ces multiples intrusions dans son intimité sans comprendre le centième de ce qu’elle subit. Cela paraît brusquement effroyable. Comment peut-on élever un enfant seule si on ne sait pas ce qu’on inflige à son corps ?
— Je voudrais lui en parler maintenant, reprend-elle.
— Il est déjà avec une autre patiente. Le mieux, c’est d’appeler le cabinet.
— Mais je suis sur place. Ne pourrait-il… ou y a-t-il quelqu’un d’autre qui…
— Désolée, tout le monde est surchargé aujourd’hui. Halloween et tout ça.
— Quel rapport avec Halloween ?
— C’est une fête.
— Pas une fête nationale. Les banques sont ouvertes et le courrier est distribué.
— Vous devrez téléphoner au cabinet, énonce lentement Crabby, pesant ses mots. »

Extrait
« Deux ans plus tôt, le Congrès américain a ratifié l’amendement sur l’identité de la personne, qui accorde le droit constitutionnel à la vie, à la liberté et à la propriété à un oeuf dès l’instant de sa conception. L’avortement est aujourd’hui illégal dans les cinquante Etats. Les avorteurs peuvent être accusés de meurtre au second degré et les femmes désireuses d’avorter, de complicité de meurtre. La fécondation in vitro est également interdite au niveau fédéral, parce que l’amendement condamne le transfert d’embryons du laboratoire dans l’utérus (les embryons ne sont pas en mesure d’y consentir). » p. 42

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Trois fois la fin du monde

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En deux mots:
Joseph Kamal est entraîné par son frère dans un braquage qui tourne mal. Il finit en prison. C’est sa première «fin du monde». Un accident nucléaire va provoquer un exil de masse. C’est sa seconde «fin du monde». Pour retrouver un semblant de liberté, il va lui falloir vivre dans la zone interdite. C’est sa troisième «fin du monde». Trois parties d’un roman habilement construit qui confirme le talent de Sophie Divry.

Sélection Prix du Roman Fnac 2018

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Robinson Crusoé à la française

En jetant un repris de justice dans une zone contaminée par un accident nucléaire, Sophie Divry nous livre une version trash de Robinson Crusoé et sans doute l’un de ses romans les plus aboutis.

Trois fois la fin du monde aurait aussi pu s’intituler trois expériences ultimes, de celles qui laissent des traces indélébiles et pour lesquelles l’auteur de La Condition pavillonnaire et de Quand le diable sortit de la salle de bain retrouve son terrain de prédilection, celui des moments de crise qui obligent à faire des choix, peut-être pas toujours conscients.
Comme il se doit, tout commence très mal. Tonio entraîne son frère Joseph dans un braquage qui vire au drame. Son frère est tué et Joseph arrêté. Le jeune va alors très vite être confronté à la condition détentionnaire, aux règles qui régissent la vie dans les centres de détention et qu’il va devoir assimiler très vite. Car cette première «fin du monde» ne laisse guère la place à la fantaisie. En dehors ou avec la complicité des matons, il faut apprendre à survivre sans confort, nourriture, sommeil, calme et affection, mais surtout à une hiérarchie brutale et à une promiscuité répugnante. «Je me demande pourquoi mon frère ne m’a jamais dit un seul mot sur ses années de prison. Ça me serait utile aujourd’hui. Mais il est vrai que je n’étais pas censé m’y retrouver. C’était lui le voyou de la famille, pas moi.»
À la sidération du néo-détenu vient s’ajouter celle du lecteur qui découvre la loi des caïds, la violence aveugle et les châtiments qui n’ont rien à voir avec une quelconque justice. Avec Joseph Kamal, il se rend compte de l’abomination que peut représenter un séjour carcéral en France aujourd’hui. Et sous la plume de Sophie Divry s’éclairent subitement bien des questions. Les statistiques sur les taux de récidive ou sur la dimension criminogène de nos prisons s’incarnent ici. Avec de tels traitements, comment ne pas sombrer… ne pas être habité par la haine. « Ce n’est plus une haine étroite et médiocre, celle des premières humiliations, non, c’est une haine comme une drogue dure. Elle fait jaillir dans le cerveau des consolations fantastiques. Elle caresse l’ego. Elle transforme l’humiliation en désir de cruauté et l’orgueil en mépris des autres. Je ne hais plus seulement les matons, je hais aussi cette engeance de damnés qui croupit là, encline à la soumission, complice des guet-apens. Dans cette cellule étroite, sans matelas, mes pensées-haine se répercutent d’un mur à l’autre. Je m’y adonne avec plaisir, suivant de longues fantaisies mentales où moi seul, brûlant la prison, reçois le pouvoir de vie ou de mort sur les détenus et les gardiens, les faisant tour à tour pendre, brûler vif, empaler. Parfois la rêverie s’arrête brusquement, mon cœur plonge dans une fosse de chagrin à la pensée de mon frère. Je comprends pourquoi Tonio ne m’a jamais dit un mot sur ce qu’il a vécu ici. »
Aux idées noires vient pourtant se substituer une seconde «fin du monde» tout aussi dramatique : une catastrophe nucléaire. On peut imaginer le vent de panique face aux radiations et on comprend que tout le monde cherche à fuir. Une chance que Joseph ne va pas laisser passer, quitte à tuer à son tour. Un meurtre avec un arrière-goût de vengeance.
Vient alors la partie du livre qui m’a le plus intéressé. Joseph choisit de s’installer dans la zone interdite pour échapper à la police.
Quelque part en France, il rejoue Robinson Crusoé sans Vendredi à ses côtés.
« Toute sa vie, il a été éduqué, habillé, noté, discipliné, employé, insulté, encavé, battu – par les autres. Maintenant, les autres, ils sont morts ou ils ont fui. Il est seul sur le causse. » Il est libre mais seul.
Avec un sens de la tension dramatique, qui avait déjà fait merveille dans Quand le diable sortit de la salle de bain, Sophie Divry va alors creuser dans la tête de Joseph Kamal et nous livrer les pensées d’un homme qui, pour l’avoir déjà perdu, va chercher encore un toujours un sens à sa vie. Magistral!

Trois fois la fin du monde
Sophie Divry
Les éditions Noir sur Blanc / Notabilia
Roman
235 p., 16 €
EAN : 9782882505286
Paru le 23 août 2018

Où?
Le roman se déroule en France, à Paris puis en Province dans une région qui n’est pas précisément définie

Quand?
L’action se situe dans un futur plus ou moins proche.

Ce qu’en dit l’éditeur
Après un braquage avec son frère qui se termine mal, Joseph Kamal est jeté en prison. Gardes et détenus rivalisent de brutalité, le jeune homme doit courber la tête et s’adapter. Il voudrait que ce cauchemar s’arrête. Une explosion nucléaire lui permet d’échapper à cet enfer. Joseph se cache dans la zone interdite. Poussé par un désir de solitude absolue, il s’installe dans une ferme désertée. Là, le temps s’arrête, il se construit une nouvelle vie avec un mouton et un chat, au cœur d’une nature qui le fascine.
Trois fois la fin du monde est une expérience de pensée, une ode envoûtante à la nature, l’histoire revisitée d’un Robinson Crusoé plongé jusqu’à la folie dans son îlot mental. L’écriture d’une force poétique remarquable, une tension permanente et une justesse psychologique saisissante rendent ce roman crépusculaire impressionnant de maîtrise.
« Au bout d’un temps infini, le greffier dit que c’est bon, tout est en règle, que la fouille est terminée. Il ôte ses gants et les jette avec répugnance dans une corbeille. Je peux enfin cacher ma nudité. Mais je ne rhabille plus le même homme qu’une heure auparavant. »

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com


Sophie Divry présente Trois fois la fin du monde © Production Les Éditions Noir sur Blanc

Les premières pages du livre
« Ils ont tué mon frère. Ils l’ont tué devant la bijouterie parce qu’il portait une arme et qu’il leur tirait dessus. Ils n’ont pas fait les sommations réglementaires, j’ai répété ça pendant toute la garde à vue. Vous n’avez pas fait les trois sommations, salopards, crevards, assassins. Les flics ne me touchent pas, à quoi bon, ils savent que je vais en prendre pour vingt ans pour complicité. Moi j’attendais dans la voiture volée. Quand j’ai vu la bleusaille, il était trop tard pour démarrer, ils se sont jetés sur moi, m’ont plaqué à terre. C’est de là que j’ai vu la scène, rien de pire ne pouvait m’arriver: Tonio tué sous mes yeux. Mais pourquoi ce con a-t-il fait feu ? Il était mon dernier lien, ma dernière famille. Notre mère est morte quand on avait vingt ans, on n’a jamais eu de père. Tonio assassiné, je suis désormais seul sur la terre, je n’ai plus d’amis, tous se sont détournés de moi, ni d’amantes, j’étais à ce moment-là célibataire, je n’ai plus qu’un immense chagrin qui me déchire, me révolte. J’en veux à mort aux flics, je m’en veux à moi aussi. J’aurais dû empêcher Tonio de faire cette connerie. J’étais sûr que ce braquage était une mauvaise idée, qu’il allait à sa perte. Mais comment est-il fait celui qui laisserait perdre son frère sans prendre le risque de se perdre avec lui? En ces temps-là, il y avait des frères, on se rendait des services et il y avait des hommes pour vous punir. Voilà pourquoi je me retrouve un soir devant la porte de la prison de F.
C’est le mois de juin, il fait chaud à l’intérieur du fourgon de police. Les précédentes nuits ont été si affreuses que je me suis assoupi durant le trajet. L’arrêt du moteur me réveille. La première chose que j’aperçois quand les flics m’extraient de la voiture, c’est une porte noire encastrée dans un mur d’enceinte de vingt mètres de haut, un mur tout en béton. Un des deux flics m’enlève les entraves que j’ai aux pieds. L’autre appuie sur l’hygiaphone. Une caméra de surveillance cligne au-dessus de nous Le métal de la porte renvoie la chaleur de cette fin de journée. Mes yeux sont douloureux, j’ai trop pleuré les nuits précédentes. Derrière nous, il y a des champs jaunes et secs, je remarque qu’ils viennent d’être moissonnés. Encore un centre de détention établi loin des villes, posé au milieu de champs plats et mornes, sans reliefs saillants où poser le regard. À quelques centaines de mètres, je vois une rangée de pavillons minables, sans doute construits là pour loger des gardiens, à l’écart eux aussi de toute société. Le soleil se couche entre ces maisons. Mais je ne peux pas contempler plus longtemps. La porte noire s’est ouverte, une main grise en sort, attrape la chaînette reliée à mes menottes et me tire de l’autre côté du seuil. On avance vers une seconde enceinte à peine moins haute que la première et surmontée de barbelés. Je marche sans rien dire. Au-dessus de nous, un filet de sécurité découpe le ciel en petits carrés. Le portier me fait franchir ce second mur par un portail grillagé. Au passage, je croise son regard, affreusement vide. À présent c’est une cour triangulaire, bitumée, qui semble servir de cour de livraison. Devant nous un bâtiment délabré de quatre étages dont les fenêtres sont dépourvues de barreaux. C’est sans doute le bâtiment administratif du complexe pénitentiaire. »

Extraits
« Et je sens que règne ici un continent de règles et de termes qu’en tant que primaire j’ai intérêt à assimiler au plus vite. Je repense à Tonio, je me demande pourquoi mon frère ne m’a jamais dit un seul mot sur ses années de prison. Ça me serait utile aujourd’hui. Mais il est vrai que je n’étais pas censé m’y retrouver. C’était lui le voyou de la famille, pas moi. »

« Je suis en manque de tout : confort, nourriture, sommeil, calme, affection. La promiscuité est répugnante. Ce que je suis en train de vivre me sidère tellement, je me dis ce n’est pas possible, on va me sortir de là, c’est une blague, un cauchemar, ce scandale va cesser. Les gens du Dehors ne savent pas, l’apprendront, vont faire quelque chose. Une pareille abomination ne peut pas se passer dans mon pays. »

« J’analyse le piège dans lequel je suis tombé. Et cela m’ouvre des perspectives qui, tout en m’effarant, renforcent ma haine. Ce n’est plus une haine étroite et médiocre, celle des premières humiliations, non, c’est une haine comme une drogue dure. Elle fait jaillir dans le cerveau des consolations fantastiques. Elle caresse l’ego. Elle transforme l’humiliation en désir de cruauté et l’orgueil en mépris des autres. Je ne hais plus seulement les matons, je hais aussi cette engeance de damnés qui croupit là, encline à la soumission, complice des guet-apens. Dans cette cellule étroite, sans matelas, mes pensées-haine se répercutent d’un mur à l’autre. Je m’y adonne avec plaisir, suivant de longues fantaisies mentales où moi seul, brûlant la prison, reçois le pouvoir de vie ou de mort sur les détenus et les gardiens, les faisant tour à tour pendre, brûler vif, empaler. Parfois la rêverie s’arrête brusquement, mon cœur plonge dans une fosse de chagrin à la pensée de mon frère. Je comprends pourquoi Tonio ne m’a jamais dit un mot sur ce qu’il a vécu ici. »

À propos de l’auteur
Sophie Divry est née en 1979 à Montpellier et vit actuellement à Lyon. Elle a publié cinq romans – La cote 400; Journal d’un recommencement; La Condition pavillonnaire; Quand le diable sortit de la salle de bain et Trois fois la fin du monde ainsi qu’un essai, Rouvrir le roman. (Source: Les éditions Noir sur Blanc)

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K.O.

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En deux mots:
Sitam n’a pas été gâté par la vie. Pauvre et malade, il essaie de s’accrocher au monde par la musique et la littérature. Avec la môme Capu l’espoir renaît, son nouvel amour, il va tenter de se construire un avenir loin de Paris et son lourd climat. Un premier roman au ton très original, au style inimitable.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Voyage au bout de l’écrit

Hector Mathis. Retenez bien ce nom qui pourrait se révéler comme l’une des révélations de cette rentrée. Sur les pas d’un vagabond, il nous entraîne dans une odyssée dramatique et somptueuse.

Ce qui frappe d’abord à la découverte de ce premier roman, c’est le style, entre gouaille populaire et langue parlée, entre slam et néo-classique. Pour le coup, les libraires œuvrant pour le magazine PAGE m’ont sans doute pas beaucoup débattu avant de sélectionner ce livre pour leur Prix du style qui sera remis le 20 novembre prochain.
Hector Mathis choisit de nous entraîner sur les pas de Sitam, un jeune SDF, à qui il confie le soin de nous livrer sa vision du monde qui, on l’imagine, est loin d’être joyeuse. Aux côtés d’Archibald, toute sa fortune peut se résumer en quelques « conserves poussiéreuses, une bouilloire cabossée, une casserole et un réchaud. À peine de quoi entretenir un mourant. »
Cependant, si ce nouveau Boudu n’est pas sauvé des eaux, il va aussi avoir droit à une rencontre déterminante pour son avenir, celle de la môme Capu avec laquelle il voit pouvoir regarder le ciel virer du gris au rose, partager son amour du jazz et de la littérature…
Mais le bonheur n’est que de courte durée, car un sombre climat s’installe dans la ville. « Voilà que la terreur débarquait au coin de la rue. Que tout son jus se déversait en flots ininterrompus dans les artères de l’arrondissement. Le compteur à cadavres s’affolait de plus en plus. Les chiffres grimpaient sur l’écran. L’anéantissement trouvait sa jauge. Sa ligne graphique. Et nous étions aux premières loges. « Ça me débecte tout ça ! que je lui ai d’abord dit à la môme Capu. Tout est tellement dégueulasse que j’arrive plus à penser. Elle a qu’une envie l’humanité, retourner dans la boucherie. Maintenant qu’elle a bien dansé, elle veut s’amuser comme les parents. De la chair, des nouvelles recettes, saignantes, à point, crues de chez crues ! » Et si l’on tient un peu à la vie, la meilleure des choses est de fuir ce chaos pour essayer de reconstruire quelque chose et oublier les chocs, les traumatismes passés.
Pour Sitam, le voyage vers les Pays-Bas est aussi un retour aux sources. Dans son pays natal, il trouve assez vite un emploi dans un restaurant et de nouvelles perspectives aux côtés de son collègue et ami Benji, amoureux transi de la patronne. Mais une fois encore, dès que le ciel se dégage un nouveau coup de tonnerre vient mettre à néant les efforts consentis. Un coup de tonnerre au goût de sang. « Moi, je me disais juste que la patronne c’était une dégueulasse, qu’elle avait eu ce qu’elle voulait, du drame jusque dans la vie des autres et que comme ça elle était bien heureuse, parce que la mort maintenant c’était pour tout le monde et pas que pour elle… »
On the road again…
Reparti sur les routes pour se sauver de la mort, notre « héros » aussi tenter de se construire un avenir en alignant les mots et les phrases sur le papier, à essayer de transcender son voyage au bout de la nuit : « Je traquais mon roman, ma musique, partout, à travers les routes, dans la grisâtre, seul, avec Benji, sans lui. J’en avais trop. Fallait que j’écrive ! Que je m’y risque ! À jouer un air désagréable pour l’époque. À enfoncer la vingtaine ! À retenter l’enfance, cette infidèle. Ce corbillard d’imaginaire ! Fallait bien de la discipline pour préparer l’encéphale à fabriquer de la chair d’inconnu, des châteaux de boue, des viandes de chimères. »
Entre Céline et le Mars de Fritz Zorn, notamment pour la maladie qui ronge lentement Sita, Hector Mathis a su trouver sa propre voix. Une voix que nous ne sommes pas près d’oublier !

K.O.
Hector Mathis
Éditions Buchet-Chastel
Roman
202 p., 15 €
EAN : 9782283031483
Paru le 16 août 2018

Où?
Le roman se déroule en France, à Paris puis en banlieue avant un séjour aux Pays-Bas, à Amsterdam.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Sitam, jeune homme fou de jazz et de littérature, tombe amoureux de la môme Capu. Elle a un toit temporaire, prêté par un ami d’ami. Lui est fauché comme les blés. Ils vivent quelques premiers jours merveilleux mais un soir, sirènes, explosions, coups de feu, policiers et militaires envahissent la capitale. La ville devient terrifiante…
Bouleversés, Sitam et Capu décident de déguerpir et montent in extremis dans le dernier train de nuit en partance. Direction la zone – « la grisâtre », le pays natal de Sitam. C’est le début de leur odyssée. Ensemble ils vont traverser la banlieue, l’Europe et la précarité…
Nerveux, incisif, musical, K.O. est un incroyable voyage au bout de la nuit. Ce premier roman, né d’un sentiment d’urgence radical, traite de thèmes tels que la poésie, la maladie, la mort, l’amitié et l’errance. Il s’y côtoie garçons de café, musiciens sans abris et imprimeurs oulipiens. Splendide et fantastique, enfin, y règne le chaos.

Les critiques
Babelio 
Lecteurs.com
Livres Hebdo
Blog motspourmots.fr (Nicole Grundlinger)


Hector Mathis présente K.O. © Production Librairie Mollat

Les premières pages du livre
« Me voilà bien seul, maintenant. Ici le froid dévore tout. Le vent flotte et la lumière s’épuise. Drôle de rempart au désenchantement, le domaine. Peut-il encore lutter ? Avec ses illusions, ses écorces qui se mêlent à la rouille pour faire juter l’imagination. J’aperçois le château au loin, taillé dans la colline, solide, attirant. Pas à pas je m’éloigne du chemin de terre sans le quitter des yeux. Je m’abandonne aux rêvasseries. Je pense à la musique, à la littérature, je n’ai plus que ça dans l’estomac. J’agite une pensée de fortune. Ça sera de plus en plus difficile pour ceux qui voudront se mettre à écrire. Ils se préparent une marelle sur des cendres. Écrire ou baver ! Même pas terminé le premier que je voudrais en entamer d’autres, des bouquins. Affamé que je suis. L’air du château me donne envie d’avaler les pages. Me goinfrer jusqu’à la nausée. Bouffées délirantes. Même malade, un œil sur le carreau, le reste qui menace de foutre le camp, j’en veux encore des paragraphes, caractère cinq, illisibles, à tout remplir, de mauvaise foi, de féeries puis de goudron fumant ! Du mot qui s’étale partout, qui grignote les pavés, les couvertures. Du mot qui coule, qui gueule, qui jouit jusqu’à la douleur. À tordre la fiction jusqu’au monde. Démence ! Les châteaux ça me dérègle complètement. Faut dire que celui-là c’est un surprenant. Dressé dans la nuit comme un pachyderme lithique. Ce que je suis bien, de l’autre côté du miroir… Dommage que je ne puisse pas dormir au château. Peu importe. Aux bordures du petit bois existe une cabane avec de quoi passer la nuit. Il s’y trouve des couvertures, un vieux matelas, et même une petite cheminée bricolée par le garde-chasse. Le tout est poussiéreux, humide mais habitable. Ici les autres n’auront jamais idée de chercher. Leur territoire s’étend jusqu’au moderne, jamais au-delà. Le fantastique leur est étranger. Je vérifie rapidement dans mes poches que j’ai bien la petite boîte. Je ne m’en sépare plus. C’est une petite boîte dont je dépends entièrement. La voilà, bien au fond de ma doublure. Je poursuis alors ma route. En m’approchant de la cabane j’entends grommeler. Une voix étonnamment placée. Tantôt fragile, puis volontaire, déterminée et à nouveau tremblante. Je recule de quelques pas pour mieux distinguer la petite cheminée. De la fumée s’en échappe. Ce n’est sûrement pas le garde-chasse, il joue aux cartes à cette heure-là. Ça fait bien longtemps qu’il ne s’aventure plus jusqu’à la cabane le soir, il n’a plus l’âge des marches nocturnes. Je tends l’oreille. Ça remue, ça grogne, ça tousse à l’intérieur. Ça glaviotte en claudiquant. Attention ! La nuit on croise d’étonnantes créatures. Des monstres hallucinés, bouffis de chagrin ou bien de colère. On n’est jamais assez méfiant avec eux. Même blessés ils restent tout entiers disposés au drame. Silence. Plus rien ne semble s’agiter. J’attends. J’ai peut-être affaire à un attentif. Toujours rien. Ah ! Voilà que j’entends vibrer quelques notes. Un souffle brut qui fait comme une mélodie. Ça ressemble à de la trompette. Ou bien du cornet. Non, c’est plus enroué, plus plaintif. C’est un saxophone, aucun doute. Quelqu’un joue, s’arrête, reprend du début, encore, et s’interrompt pour tousser, avant de recommencer. »

Extraits
« La modernité, quoi ! Les boiteux fascinent les rassasiés parce que ça fait bien de clamer que la vérité se trouve dans la misère, ça fait mieux, ça fait humble. Des croque-poussière il n’y en a bien sûr plus tellement, ils seront bientôt bourgeois comme les autres, grâce à la fin du langage. Les images sont beaucoup plus parlantes, immédiates, pathétiques, catégoriques. Supprimée la nuance ! À feu doux la littérature. Tout doucement carbonisée. Substituée par le discours intérieur, le livre qui ne dit plus rien, ni du monde ni de l’époque. Assis sur la seule chaise d’Archibald, j’observe la pièce. Des conserves poussiéreuses, une bouilloire cabossée, une casserole et un réchaud. À peine de quoi entretenir un mourant. »

« Voilà que la terreur débarquait au coin de la rue. Que tout son jus se déversait en flots ininterrompus dans les artères de l’arrondissement. Le compteur à cadavres s’affolait de plus en plus. Les chiffres grimpaient sur l’écran. L’anéantissement trouvait sa jauge. Sa ligne graphique. Et nous étions aux premières loges. « Ça me débecte tout ça ! que je lui ai d’abord dit à la môme Capu. Tout est tellement dégueulasse que j’arrive plus à penser. Elle a qu’une envie l’humanité, retourner dans la boucherie. Maintenant qu’elle a bien dansé, elle veut s’amuser comme les parents. De la chair, des nouvelles recettes, saignantes, à point, crues de chez crues ! Éteins ça Capu, c’est à se foutre en l’air ! » La télévision se reprenait au jeu du direct. »

« Ça n’avait rien d’un roman, ça relevait plus du soliloque. Je m’en étais fait une idée de mon écriture! Une idée qui avait pris trop de place dans mon imagination. Me sauver de la mort avec ce pauvre torchon que je baladais dans un sac plastique ! Quel fou j’étais devenu. Je ne savais pas tenir une narration plus de deux pages. Je philosophais comme une espadrille et je voulais devenir romain ! Repeindre le ciel ce n’était pas pour moi. La musique c’était pour les autres. Les types du conservatoire. Moi je poussais la chansonnette, à peine. Je fredonnais. « C’est moi l’imposture. » »

À propos de l’auteur
Né en 1993, Hector Mathis grandit aux environs de Paris entre la littérature et les copains de banlieue. Ecrivant sans cesse, s’orientant d’abord vers la chanson, il finit par se consacrer pleinement au roman. Frappé par la maladie à l’âge de vingt-deux ans, il jette aujourd’hui l’ensemble de ses forces dans l’écriture. (Source : Éditions Buchet-Chastel)

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