Les nuits d’Ava

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En deux mots:
Alors qu’elle tourne à Rome, Ava Gardner s’offre une nuit un peu folle en compagnie d’un chef opérateur à qui elle va proposer un petit jeu: refaire en photo quelques toiles de nus célèbres. Des décennies plus tard, un passionné de la star hollywoodienne va tenter de retrouver les clichés. Une enquête exaltante, entre cinéma et beaux-arts.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

De l’origine à la fin du monde

Ce qui rend le nouveau roman de Thierry Froger aussi passionnant, c’est le savoureux mélange des genres qu’il nous propose, entre biographie romancée d’Ava Gardner, enquête menée comme un thriller et besoin pour le narrateur de retrouver l’affection et la considération de sa fille.

Et si le roman de Thierry Froger était plus proche de la réalité que les biographies – officielles ou non – d’Ava Gardner? En refermant ce délicieux roman, je ne suis pas loin de répondre par l’affirmative, parce que la magie de l’écriture nous fait prendre place aux côtés de la belle brune dans ses déambulations romaines, partager ses coups de folie et, à l’image du narrateur, nous rendre tous un peu amoureux.
Nous sommes à Rome en 1958. La MGM a choisi de quitter ses studios pour tourner La Maja nue dans une réalisation d’Henry Koster. Il s’agit du dernier film dû par l’actrice au studio et qui ne laissera pas de souvenir impérissable dans la carrière de l’actrice. Dans ses Mémoires, Ava écrira du reste que «La Maja nue, meilleur titre que bon film, n’a pas été ma contribution la plus mémorable à l’art du cinéma. Il s’agit d’une biographie assez insipide du grand peintre espagnol Francisco Goya. Je jouais la duchesse d’Albe, le modèle favori de Goya». Avant d’ajouter que ce film lui a permis de faire la connaissance de Giuseppe Rotunno «dont les couleurs superbes illuminent le film de bout en bout».

GARDNER_The-naked-Maja_AfficheThierry Froger imagine alors que, lassée de partager ses nuits avec Anthony Franciosa – qui interprétait le rôle de Goya – Ava décide une escapade avec le chef opérateur. Poursuivis par les paparazzis, leur virée nocturne va se terminer au petit matin par un petit jeu: Rotunno est chargé de reproduire quelques grandes toiles de nus célèbres, de «de rejouer la peinture en photographie». Tâche peu aisée pour les problèmes de cadrage qu’elle posait, mais ô combien stimulante pour «les attraits qu’elle proposait à ses yeux d’homme.» Voici donc les rouleaux de pellicule imprégnés des mises en scène de GOYA_la_maja_desnuda

La Maja desnuda de Goya,

TITIEN_La_venus_durbinode La Vénus d’Urbino du Titien,

VELASQUEZ_La_Venus_au_miroirde La Vénus au miroir de Vélasquez et de …

COURBET_la_naissance_du_mondeLa naissance du monde de Gustave Courbet!
Si l’alcool a désinhibé le photographe et son modèle, tous deux se rendent vite compte au réveil combien ces clichés sont explosifs. Ava fait promettre à Rotunno de les détruire, ce qu’il fera après avoir réalisé un tirage qu’il confiera à son modèle et avoir oublié un négatif dans sa chambre noire.
Jacques Pierre, le narrateur, délaisse alors ses travaux d’historien pour enquêter sur le sort des quatre clichés produits cette nuit-là. Il va alors nous entraîner d’un bout à l’autre de la planète, «de la MGM à Hughes, de Sinatra à Hoover, d’Hemingway à Castro» et constater «avec inquiétude le pouvoir vénéneux de ces images» car les convoitises qu’elles suscitent vont jusqu’à laisser quelques cadavres ici et là. Un thriller haletant qui va se doubler d’un rapprochement inattendu avec sa fille Rose. Car sa progéniture, qui vit à Rome avec un homme beaucoup plus âgé qu’elle, accepte de l’aider dans sa quête. L’occasion aussi de constater que les errances du cœur ne sont pas réservées aux stars d’Hollywood.
Avec maestria l’auteur nous fait découvrir quelques épisodes fort intéressants de l’histoire de l’art, notamment la genèse de la toile la plus célèbre de Gustave Courbet, avant de raconter la vie rêvée d’Ava – je suis persuadé que vous adorerez l’épisode de sa rencontre avec Marylin Monroe – sans oublier de nous éclairer sur les motivations de cet enquêteur passionné qui deviendra «une sorte de spécialiste d’Ava Gardner, de sa vie et de ses légendes».
C’est enlevé, drôle, documenté et follement exaltant. Il n’y a effectivement «pas de plus belle quête que celle du chasseur sans proie, traquant l’ombre d’un doute, si ridiculement suspendue soit-elle aux petites lèvres d’Ava Gardner et aux forêts obscures comme des images.»

Les nuits d’Ava
Thierry Froger
Éditions Actes Sud
Roman
304 p., 20 €
EAN: 9782330108632
Paru le 22 août 2018

Où?
Le roman se déroule d’une part sur les traces d’Ava Gardner en Italie, à Rome et Naples, mais également à Madrid, Londres, Los Angeles, la Floride, Haïti ou encore à La Havane et d’autre part dans les pas du narrateur en France, à Arcis-sur-Aube, Paris, mais aussi à Nantes et Chalonnes-sur-Loire près d’Angers ou encore à Prondines dans le Massif central et à l’étranger, notamment à Charlotte, Raleigh et Smithfield en Caroline du Nord et à Punta Raisi et Palerme en Sicile.

Quand?
L’action se situe de 1958 à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Rome, août 1958. Ava Gardner s’ennuie sur un tournage. Hors champ, elle invente la dolce vita avant Fellini. Par une nuit arrosée, la star entraîne son chef opérateur, le timide Giuseppe Rotunno, dans une séance photo inspirée des grands nus de l’histoire de l’art. Dont un scandaleux tableau de Courbet… peint d’après photographie.
Les Nuits d’Ava raconte ce moment de bascule où Ava Gardner affronte l’érosion de sa propre image en s’adonnant à toutes les dérives. Et l’obsession parfois distraite d’un certain Jacques Pierre, historien fantasque, qui s’improvise détective sur les traces des quatre clichés produits cette nuit-là.
Avec une aisance joueuse et impertinente, Thierry Froger circule des cimes du glamour hollywoodien aux questionnements de l’adolescence provinciale, des vertiges de la gloire aux gouffres de la solitude, et slalome gracieusement entre les débats idéologiques agitant deux générations françaises et les coulisses crapuleuses du pouvoir américain des années 1950 à 1970.
Roman-tourbillon, enquête et rêverie, Les Nuits d’Ava orchestre une réflexion amusée et mélancolique sur notre rapport à l’image et aux icônes. On y explore les aléas de la construction et de la déconstruction de soi, l’invention de l’histoire et de notre modernité. Le tout dans la légère sensation d’ivresse des amitiés naissantes.

« Je crois aimer les images par-dessus tout, qu’elles soient peintures, photographies, projections tremblantes sur un drap blanc. Je les aime minuscules ou grandes, vives ou fatiguées. Je les aime quand, cherchant à mieux les voir, j’ai l’impression qu’elles me regardent un bref instant avant de s’évanouir.
Car me ravissent plus que toute autre les images fantômes : celles entrevues en songe, celles des films non tournés ou brûlés, les tableaux volés ou bien voilés, les dessins effacés à la gomme, les chefs-d’œuvre inconnus, invisibles, les photographies perdues.
Je pense souvent à cette phrase de Pascal Quignard : “L’homme est celui à qui une image manque” et il me semble que Les Nuits d’Ava raconte cette histoire : un homme se met à la recherche d’une image manquante qu’il désire et qui l’effraie.
Embarqué dans cette quête des origines qu’il mène comme une enquête moins policière que rêveuse, le narrateur navigue à vue. Il est vite ballotté entre les époques et les continents, entre sa petite histoire et celle des grands de ce monde, entre ses souvenirs et ses fantasmes, en premier lieu desquels sa vieille obsession pour Ava Gardner. Celle-ci – ou plutôt l’image impossible de celle-ci – traverse tout le livre au fil des naufrages et des épiphanies. Elle nous interroge sur ce que nous voyons, croyons voir, ou voulons voir, puisque juste en-deçà et au-delà de l’image, il y a l’imaginaire – c’est-à-dire ce bref instant où Ava Gardner nous regarde avant de s’évanouir comme une apparition. » T. F

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Télérama (Jacques Morice)
France Culture (Le réveil culturel – Tewfik Hakem)
Libération (Virginie Bloch-Lainé – entretien avec l’auteur)
En attendant Nadeau (Norbert Czarny)
Le Temps (Jean-Bernard Vuillème)
Blog Loupbouquin
Blog Shangols 
Blog Les mots de la fin 
Blog Baz’Art 


Thierry Froger présente Les Nuits d’Ava © Production Actes Sud

INCIPIT
(Les premières pages du livre)
« Je crois avoir vu comme dans un songe cette voiture qui filait dans les rues désertes de Rome, vers quatre heures vingt du matin, poursuivie par les éclairs d’un cyclope. La Facel-Vega (ou la Ford Thunderbird) semblait rouler à l’aveugle et zigzaguait sur les pavés tièdes, éclairée par le gros œil circulaire et intermittent du flash Braun de deux paparazzi. Leur décapotable répétait le trajet erratique de la première voiture que conduisait Ava Gardner avec la grâce et l’inconscience des merveilleux pochards. À ses côtés, tout aussi ivre et néanmoins apeuré, l’acteur Anthony Franciosa bégayait mollement des lambeaux de prières qu’Ava Gardner ne pouvait entendre, hurlant et riant à chaque coup de volant qui faisait crisser le caoutchouc sur le basalte noir, les ailes de la voiture frôlant les murs comme on caresse et comme on griffe. Franciosa se cramponnait à son siège, tétanisé par l’alcool, la peur et les jurons d’Ava. Voyant dans le rétroviseur que les poursuivants ne perdaient pas de terrain, l’actrice a eu soudain l’intuition stratégique de les retarder en lançant par la fenêtre tout ce qui lui tombait sous la main, léchant imprudemment le volant et tirant de son sac des objets vite projetés en direction de la décapotable. Celle-ci a finalement ralenti, sans que ces pauvres projectiles en soient la cause, les deux photographes s’avisant de la plus grande vélocité de la Facel-Vega (ou de la Ford Thunderbird) ainsi que de la mauvaise tournure que pourrait prendre cette course poursuite nocturne où chacun semblait manquer de sang-froid et de lucidité dans la conduite des événements comme des véhicules. La voiture des paparazzi a fait un demi-tour soyeux sur une petite place au puits couvert et a parcouru le chemin inverse, non sans quelques haltes pour récupérer ici ou là les tendres dédicaces – ou ce qu’il en restait – que leur avait adressées Ava Gardner.
Le lendemain, le samedi 16 août 1958, l’actrice s’est réveillée avec un goût d’orange confite et d’oignon dans la bouche. Elle est sortie sur la terrasse de son appartement vers midi, vêtue d’un peignoir blanc, un verre de gin à la main pour réparer sa gueule de bois et la mauvaise conscience volatile qu’elle avait parfois. Elle a regardé un instant les adolescentes qui, en contrebas de son balcon, se faisaient photographier sur les marches qui montaient de la piazza di Spagna vers Trinità dei Monti: la plupart de ces jeunes filles imaginaient avec force et foi qu’elles ressemblaient à Audrey Hepburn dans Vacances romaines, imitant comme elles pouvaient son sourire espiègle et gracieux, agrandissant démesurément les yeux en prenant la pose. Rentrée dans l’appartement pour fuir la chaleur du milieu de journée, Ava Gardner a mis un disque de Frank Sinatra sur l’électrophone et a fait couler un bain d’eau froide pour réveiller son corps effacé. Cela faisait des mois qu’elle s’étourdissait . Rome avec le bonheur suffisant de croire qu’après ce tournage elle serait libre. On dit que la voix de Sinatra est de velours. »

Extraits
« Rotunno la regardait sans réussir à bien appréhender la folle étrangeté – et c’est probablement ce qui nous arrive à tous, deux ou trois fois peut-être au cours de notre vie misérable, quand nous sommes incapables de reconnaître l’inouï au moment où il surgit, condamnés ensuite à le traquer vainement dans la mémoire défaillante et complaisante, ce qui nous permet de tout inventer, y compris les possibilités de rêver et regretter sans fin ce qui s’est passé ou non. Il est difficile d’imaginer ce que pouvait penser Rotunno à quatre heures du matin, ivre et seul avec le plus bel animal du monde dont la peau nue débordait outrageusement d’une grande chemise blanche mal boutonnée. En ces circonstances et à sa place, sans doute aurais-je souhaité que cette nuit n’ait jamais existé – mais surtout qu’elle ne finisse pour rien au monde. » (p. 50-51)

« Devenu malgré moi une sorte de spécialiste d’Ava Gardner, de sa vie et de ses légendes, je commençais à être bien placé pour savoir qu’on racontait en général n’importe quoi sur son compte. Soucieux de ne pas trop m’égarer, j’essayais d’appliquer à mon enquête les méthodes rigoureuses de l’investigation scientifique… » (p. 109)

« Après six mois de recherches désordonnées que je qualifiais pompeusement d’enquête, j’avais désormais quelques certitudes. Hormis la grande Origine dérobée chez Rotunno et la petite Vénus au miroir dont je n’avais pas retrouvé la trace, il semblait que les images scandaleuses d’Ava Gardner avaient ricoché d’un bout à l’autre de la planète, changeant plusieurs fois de main, de la MGM à Hughes, de Sinatra à Hoover, d’Hemingway à Castro, et charriant dans leur sillage de nombreuses morts sans qu’aucun rapport de causalité ne puisse être formellement établi. Certains signes apparaissaient troublants cependant et il m’arrivait de considérer avec inquiétude le pouvoir vénéneux de ces images dont j’étais, à ma manière consentante, également la victime en y consacrant tout mon temps et une partie de l’héritage maternel. Je n’arrivais pas à démêler la cause de la conséquence, la conséquence du fortuit, le vrai du probable et le probable du fictif, tant je me méfiais de mon goût des rapprochements douteux qui me conduisaient à tirer une pelote par les cheveux comme on crible de balles ou d’aiguilles la gueule d’une belette dans une meule de foin. » (p. 241)

À propos de l’auteur
Thierry Froger, né en 1973, enseigne les arts plastiques. Son travail questionne les transports de l’image, ses fragilités et ses fantômes (réels ou imaginaires, cinématographiques ou historiques). En 2013, il publie un recueil de poèmes, Retards légendaires de la photographie, (Flammarion, prix Henri-Mondor de l’Académie française en 2014). Sauve qui peut (la révolution) est son premier roman, pour lequel il a reçu le Prix Envoyé par la Poste. (Source : Éditions Actes Sud)

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Trancher

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En deux mots:
Une femme insultée par son mari a décidé de lui pardonner ses écarts de langage. Mais après sept années, le voilà qui recommence. Une violence verbale qui frappe aussi leurs deux enfants. Se pose alors la seule qui vaille: faut-il supporter plus longtemps ces agressions à répétition?

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

La femme parfaite est une connasse

Le premier roman d’Amélie Cordonnier va sonder la psychologie d’une femme qui subit jour après jour les agressions verbales de son mari. Après un premier répit, il reprend ses insultes. Faut-il dès lors Trancher?

« Alors ça sort, sans prévenir. Personne ne s’y attend. Ni toi ni les enfants qui se figent instantanément. Je suis chez moi, quand même, alors ferme ta gueule, une bonne fois pour toutes, connasse, si tu veux pas que je la réduise en miettes. Uppercut. Souffle coupé. Tu baisses la tête sous l’effet du coup. Quand tu la relèves, tu vois, sur la table, les miettes du petit déjeuner que tu n’as pas encore débarrassé. La porte claque aussi fort que sa menace. La honte cuit tes joues. Tu ne sais que dire, alors tu te tais. C’est un silence atterré qui vous accable tout à coup. Dans les yeux horrifiés de Romane, la surprise le dispute à l’effroi. Vadim ronge ses ongles, son frein aussi, tu le vois bien. » Un épisode parmi d’autres. Des dérapages qui s’accumulent. Mais pourquoi Aurélien se laisse-t-il aller? N’avait-il pas demandé pardon, ne s’était-il pas promis d’arrêter? Et pourquoi les vieux démons se réveillent-ils? Après le choc, la sidération vient la phase de honte, de culpabilisation. Qu’a-t-elle à se reprocher? Parce qu’après tout cela ne vient pas forcément de lui. Lui qui suivait des séances chez le psy…
Amélie Cordonnier déroule avec habileté le fil des sentiments et des émotions. Quand l’épouse comprend dans le regard de ses enfants combien elle est victime, quand elle doit faire bonne figure lors des repas de famille, mais surtout comment le poison s’installe insidieusement, transformant le quotidien en un enfer. La peur d’un nouveau dérapage s’ancrant littéralement dans les tripes. Au propre autant qu’au figuré. Un épisode, lors d’un déplacement en voiture, viendra du reste illustrer de manière spectaculaire ce mal insidieux.
Pour s’en sortir, elle va employer plusieurs stratégies. Par exemple minimiser «Allez, c’est bon, maintenant. Arrête de pleurnicher comme ça, ton père n’est pas mort au Bataclan !». Ou alors essayer l’évitement, la fuite. Ou encore essayer de le confronter au drame qu’elle et ses enfants affrontent en lui montrant des films plus ou moins explicites pour le faire réagir comme Une séparation, Le Client d’Asghar Farhadi, L’économie du couple de Joachim Lafosse ou encore Nahid d’Ida Panahandeh. Et, en désespoir de cause, utiliser la méthode Coué «à cause de Proust et de son fichu Temps retrouvé».
Mais les «tirades incendiaires d’Aurélien» reprennent vite le pas sur les promesses de rédemption, sur les jours de rémission, sur les tentatives – maladroites il est vrai – de regagner les faveurs d’une épouse de plus en plus malheureuse.
Et qui réussit à se persuader qu’elle n’est pas «la gourde, la bonne à rien, la fille incapable et médiocre qu’il décrit.»
Vient alors le temps de l’action. De prendre l’air, de se confier à son amie Marie, voire même de s’offrir une séance de sexe à l’impromptu.
Je ne dirai pas une ligne de l’épilogue de ce livre, sinon qu’il vous réserve encore une belle salve d’émotions. Refermant ce roman choc, je me dis que nous serons nombreux à nous précipiter sur son prochain opus.

Trancher
Amélie Cordonnier
Éditions Flammarion
Roman
176 p., 17 €
EAN : 9782081439535
Paru le 29 août 2018

Où?
Le roman se déroule en France, à Paris et Vincennes ainsi qu’en Normandie, à Cabourg, Trouville et Dives, dans les Alpes, à Vars. On y évoque aussi un voyage en Croatie.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
« Des pages et des pages de notes. Tu as noirci des centaines de lignes de ses mots à lui. Pour garder une trace, tenter de les désamorcer, avec le pathétique espoir qu’ils aillent s’incruster ailleurs qu’en toi. »
Cela faisait des années qu’elle croyait Aurélien guéri de sa violence, des années que ses paroles lancées comme des couteaux n’avaient plus déchiré leur quotidien. Mais un matin de septembre, devant leurs enfants ahuris, il a rechuté : il l’a de nouveau insultée. Malgré lui, plaide-t-il. Pourra-t-elle encore supporter tout ça ? Elle va avoir quarante ans le 3 janvier. Elle se promet d’avoir décidé pour son anniversaire.
D’une plume alerte et imagée, Amélie Cordonnier met en scène une femme dans la tourmente et nous livre le roman d’un amour ravagé par les mots.

68 premières fois
Blog motspourmots.fr (Nicole Grundlinger)
Blog Les livres de Joëlle
Blog Quand Sy lit
Blog Mes écrits d’un jour (Héliéna Gas)
Blog À bride abattue

Les critiques
Babelio 
Lecteurs.com
L’Express (David Foenkinos)
Actualitté (Clémence Holstein)
Publik’Art (Bénédicte de Loriol)
Blog La Rousse bouquine 
Blog Kroniques


Amélie Cordonnier présente son premier roman, Trancher, à la Grande Librairie de François Busnel © Production France Télévisions

Incipit
(les premières pages du livre)
« Prologue
Tu as toujours fait des listes. Petite, tu notais le nom de tes poupées, des copains à inviter, des poneys que tu voulais monter, les mots inconnus à chercher dans le dictionnaire et tous les cadeaux d’anniversaire dont rêvait Anna. Tu griffonnais aussi le titre des Bibliothèque Verte à commander, Alice et les Faux-Monnayeurs, Alice et le Pick-Pocket, Une cavalière pour l’Étalon noir, puis Jonathan Livingston le Goéland ou Le Petit Lord Fauntleroy. La liste des romans à lire en priorité n’a jamais quitté ton sac, mais un jour, il y eut aussi celle des garçons qui te souriaient à la sortie du lycée, puis rencontrés le samedi en boîte de nuit. Quand les enfants sont nés, d’autres listes se sont ajoutées. Celles de la semaine et du week-end, celles des corvées et des réjouissances à venir. Les horaires de biberons, puis ceux de la danse, du tennis et du judo, les légumes à acheter, les purées à préparer, les activités à programmer, les dates de vacances, le menu du dîner avec les plats à réchauffer que tu continues de rédiger chaque matin pour la baby-sitter avant de partir travailler à la médiathèque, les films, les spectacles et les expos à ne pas manquer, les fêtes à ne pas oublier : toutes ces listes-là, tu les as faites. Souvent avec plaisir, parfois en grognant, mais toujours de ton plein gré. Des listes d’insultes, en revanche, ça jamais tu n’en avais fait.
Première partie
C’est revenu sans prévenir. C’était un de ces week-ends de septembre que tu préfères. Vous aviez décidé de le passer tous les quatre à Cabourg, dans la petite maison héritée de Josette, la grand-mère d’Aurélien. L’adorable vieille dame, un peu foutraque, l’avait baptisée « La bicoque ». À sa mort, Aurélien t’avait proposé de repousser les avances des agents immobiliers et de tout refaire. Tu avais dit oui, évidemment. Il y avait du pain sur la planche car la chaumière n’avait jamais été rénovée en quarante ans. Il avait fallu trier et beaucoup jeter. Josette avait engrangé un nombre incalculable de figurines en tous genres, recouvertes de poussière. La collection de bateaux, celle de chats en porcelaine, de cœurs, de canards en bois, de poupées anciennes et de boules de neige. Il a fallu des litres d’huile de coude et près de quatre-vingts sacs-poubelle pour faire place nette. Un vrai crève-cœur de devoir se séparer de tout ça. Tu avais suggéré à Aurélien de garder un exemplaire, mais pas plus, de chacune des collec’ de Josette. Pour la famille des nains de jardin, vous aviez toléré une entorse à la règle. Trois d’entre eux trônent aujourd’hui encore dans la cuisine ouverte sur le salon. C’est sous leur œil goguenard et leur mine renfrognée que tout a éclaté.
Il est 10 heures, ce matin-là. Le soleil darde à travers les larges baies vitrées qui remplacent les fenêtres vétustes de Josette. Le décor n’a rien à envier à celui de la famille Ricoré. À l’exception des carreaux, sales comme jamais. « Dégueu ! » s’exclame Romane, dans un sourire impertinent, en les pointant du doigt, avant d’expliquer à son frère : « Dégueu, on a le droit de le dire, mais pas dégueulasse. » Tu ris. Peu importe la crasse, tu t’es promis de ne pas passer le dimanche à faire le ménage. Ta tasse de thé refroidit devant le jeu des différences. Il en reste trois à trouver et Romane se désespère, tandis que Vadim, installé en face de vous, peine à résumer La Fortune des Rougon. Il y a bien assez de place pour que tout le monde s’étale. Livres cornés, gommes, cahiers, feuilles, fiches, feutres, classeurs, effaceurs et crayons de couleur s’amoncellent sur la longue table de ferme où tu ne t’assois jamais sans une pensée pour Josette qui y enchaînait jadis les grilles de mots croisés, emmitouflée dans son châle rose. C’est le seul meuble que vous avez gardé, avec le lourd banc de chêne sur lequel Vadim s’est souvent cogné, petit. Il règne un calme aussi joyeux que studieux, qui te réjouit. Tu as éteint la musique, une fois les pains au chocolat dévorés, histoire que ton lycéen de quinze ans puisse mieux se concentrer. Il a déjà assez de mal comme ça à tenir en place sans faire trembler sa cuisse ni tourner son Bic comme une toupie. Tu as toujours affectionné ces moments-là, où rien ne s’agite, où chacun cogite dans un silence entrecoupé de soupirs et parfois de râleries. Romane dessine un arbre avec un oiseau, Vadim cherche ses mots en croquant son stylo, toi tu as ouvert ton roman et tu aimes lire comme ça, même si tu n’avances pas. Tu tournes laborieusement la page 100 quand Vadim décrète que la maison de Josette ressemble pas mal à celle où vivent Silvère et sa grand-mère. De guerre lasse, tu refermes ton bouquin. Si tu ne lui donnes pas un coup de main pour sa dissert, on y sera encore demain. C’est à ce moment-là qu’Aurélien déboule dans la cuisine. Tu remarques l’air agacé qu’il affiche ostensiblement. Il allume la baffle et met la musique à fond. « Mais non, t’exclames-tu en baissant le son, on ne peut pas travailler dans ces conditions. » Alors ça sort, sans prévenir. Personne ne s’y attend. Ni toi ni les enfants, qui se figent instantanément. « Je suis chez moi, quand même, alors ferme ta gueule une bonne fois pour toutes, connasse, si tu veux pas que je la réduise en miettes. » Uppercut. Souffle coupé. Tu baisses la tête sous l’effet du coup. Quand tu la relèves, tu vois, sur la table, les miettes du petit déjeuner que tu n’as pas encore débarrassé.
La porte claque aussi fort que sa menace. La honte cuit tes joues. Tu ne sais que dire, alors tu te tais. C’est un silence atterré qui vous accable tout à coup. Dans les yeux horrifiés de Romane, la surprise le dispute à l’effroi. Vadim ronge ses ongles, son frein aussi, tu le vois bien. Après un long moment, le pli qui barre son front finit par disparaître, il relève la tête, te regarde avec une douceur infinie et, tout fier de lui, déclare : « Ça nous fait donc un deuxième point commun avec Silvère puisque son amoureuse s’appelle Miette. » Sa blague vous sauve tous les trois. »

Extrait
« Dans le bus ou le métro, à la médiathèque ou au parc, pendant que Vadim tape dans son ballon de foot avec les copains et que Romane fait le cochon pendu ou joue à la petite marchande sous le toboggan, tu égrènes ses mots partout. Des pages et des pages de notes. Tu as noirci des centaines de lignes de ses mots à lui. Pour garder une trace, tenter de les désamorcer, avec le pathétique espoir qu’ils aillent s’incruster ailleurs qu’en toi. »

À propos de l’auteur
Amélie Cordonnier, 38 ans, est journaliste depuis 2002. Après avoir travaillé pour Europe1, La Tribune ou encore Le journal du dimanche, Amélie Cordonnier est chef de rubrique Culture à Femme Actuelle depuis 2014 ainsi qu’à Prima. Trancher est son premier roman. (Source: Livres Hebdo)

Compte Twitter de l’auteur 

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Le Nord du monde

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En deux mots:
Pour fuir l’homme chien qui la poursuit, la narratrice décide de prendre la route du Nord. On va la suivre jusqu’en Norvège, essayant d’oublier son traumatisme, faisant des rencontres improbables, volant un enfant et cherchant l’apaisement au bout de sa quête.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Le Nord est un point cardinal

Nathalie Yot nous offre une quête étonnante pour ses débuts de romancière. Sa narratrice décide fuir l’homme qui la harcèle, sûre de trouver la paix en marchant vers le Nord. Une quête qui la conduira en Norvège et au bout d’elle-même.

Un rythme, une urgence, un besoin : dès les premières lignes de son court premier roman Nathalie Yot parvient à capter l’attention du lecteur. Avec des phrases courtes comme un halètement, on sent la narratrice cherchant à fuir cet «homme chien» qui la harcèle. Comme une sorte de besoin vital. Sans trop en savoir sur les véritables raisons qui la pousse à prendre la route, on va la suivre sur la route. Et dans sa conviction que la sécurité, la nouvelle vie est au Nord.
Commence alors une étrange quête parsemée de rencontres qui sont autant de points de repère dans l’initiation de cette femme. Monsieur Pierre lui fera faire un bout de chemin jusqu’à Lille et partagera quelques temps sa couche. Mais elle sent bien qu’elle n’est pas au bout du chemin. Laissant un petit mot d’adieu, elle poursuit vers la Belgique et les Pays-Bas.
Aux abords de Meerle, il lui faudra toutefois s’arrêter car l’état de ses pieds est inquiétant. Madame Flaisch viendra à son secours, l’hébergera dans sa ferme et la soignera. Elle va alors pouvoir reprendre son Odyssée, car elle entend «simplement s’installer dans la fuite». Elle arrive à Amsterdam où sa route va croiser celle de trois Polonais, Elan, Vince et Piotr avec lesquels elle se sent bien. Les semaines passent et le traumatisme s’éloigne grâce à ces trois partenaires: « Juste le sexe. La simplicité de la mécanique. Quand l’acte est terminé, on fait ralentir le cœur. On respire les effluves. On scrute notre peau, l’œil collé à l’épiderme, comme avec la Flaisch endormie. On écoute le plaisir qui se dissipe doucement, au rythme de l’avachissement. L’accalmie nous berce. On pourrait découper les secondes, on les sentirait quand même passer. Tous les jours, les mains. Tous les jours, les rires. On ne peut plus s’en passer. J’ai sauvage maintenant. J’ai sauvage. Dans cet échange sans promesse et sans certitude, la peur se retire dans mes flancs. Tout disparait dans le fatras charnel. » Tout irait pour le mieux si un enfant ne venait pas croiser sa route. Elle écrit alors très sobrement: «le 6 juin 1999 je vole un enfant». Désormais, c’est à d’eux qu’ils poursuivent leur rêve et partent en direction de la Norvège.
«Isaac connait ma détermination. Il dit que je cherche un secret. Tant que je n’aurai pas touché le mur du fond du Nord du monde, nous ne serons pas tranquilles.»
Je n’en dirai pas plus, ni sur les étapes qui suivent, ni sur leurs rencontres, ni surtout sur l’épilogue, car il faut bien ménager le suspense. Sachez toutefois que Nathalie Yot, artiste pluridisciplinaire, aime jouer avec les mots, avec les phrases et que la musicalité de son texte vous apparaîtra si vous prenez le temps de lire quelques pages à haute voix. Une musique envoûtante.

Le Nord du monde
Nathalie Yot
Éditions La contre allée
Roman
152 p., 16 €
EAN: 9782376650010
Paru le 22 août 2018

Où?
Le roman se déroule en France, à Paris puis vers Lille avant de franchir la frontière vers le Nord, passant par Bruxelles, Anvers, Meerle, Amsterdam, Heerenween, Groningue. Passant par l’Allemagne, la route va ensuite au Danemark (Copenhague) en Suède (Göteborg) et en Norvège (Bergen, Trondheim). Le Nord du monde est situé entre Storslett et Straumfjord, du côté d’Elvenland. On y évoque aussi Nîmes.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
« Elle fuit. Elle fuit l’homme chien. Elle trotte comme un poulain pour qu’il ne la rattrape pas, aussi pour fabriquer la peinture des fresques du dedans. Elle voudrait la folie mais elle ne vient pas. Toucher le mur du fond, le Nord du Monde, se cramer dans la lumière, le jour, la nuit, effacer, crier et ne plus se reconnaître. Sur la route, il y a Monsieur Pierre, il y a la Flaish, il y a les habitants des parcs, il y a Andrée, il y a les Polonais, Elan, Vince et Piotr, et aussi Rommetweit, les Allemands, les Denant. Il y a Isaac, neuf ans environ. Et il y a les limites. »

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Les premières pages du livre
« C’est courir qu’il faudrait. Avancer vite. Même si c’est vers le Nord. Même s’il fait froid pour tout dans le corps. Le Nord ira bien. Ira mieux. C’est plus sûr d’aller vers le Nord. Il ne pensera pas m’y chercher. Il sait que je n’irais jamais vers le Nord. Je n’ai ni les habits ni l’attirance. Il faut s’habiller pour le froid et être attirée par le Nord pour y aller. L’attirance ça peut venir. Mais je n’irais jamais vers le Nord sans les habits. L’homme le croira parce qu’il ne m’a jamais offert d’habits chauds. Comme un manteau. Il ne m’offrait que des chocolats. Dans le Nord il ne me retrouvera pas. Je vais courir. C’est mieux. Je sais que l’homme est derrière. Pas très loin. Il veut me parler et m’offrir quelque chose pour en finir.
Un cadeau de finissage. Peut-être un manteau. Je cours et l’eau coule de mes yeux. Pour lui. Pour l’homme. Je suis effrayée.
Je cours à mon allure qui est celle d’ un poulain trotteur. Il faut que je tienne longtemps. Je n’ai jamais couru comme ça, de manière aussi élastique. Si j’en avais le temps, je me filmerais, mais ce n’est pas le moment, pas l’endroit, on reporte. Mes chaussures ne sont pas des sabots. Ce ne sont pas non plus des chaussures pour le Nord, mais elles trottent. Elles m’emmènent dans des quartiers que je ne connais pas, déjà sur le périphérique et plus loin encore, après la ville, après les lumières. On dirait la campagne mais ce n’est pas elle. Sur le bas-côté, du gravier, parfois des arbres, des grues haut dans le ciel. Je comprends que ce sont des chantiers. La ville qui s’étire, s’étale, se déverse, vomit peu à peu sur les champs. Elle gagne du terrain, la ville. Autour de moi, ce soir, c’est évident. Elle s’élance. Je n’aurais pas cru ça d’elle.
Au bout de quelques heures, j’arrête le trot, je vais au pas, petits pas, puis c’est l’arrêt complet. Je ne peux plus avancer. Je crache. À chaque inspiration, j’ai l’impression que tout va s’arracher à l’intérieur. Je regarde derrière moi pour la première fois. L’homme n’est pas là. Il a pris du retard, cherche dans la mauvaise direction. L’homme, c’est un chien, pas un poulain. Un homme chien. Il me renifle, m’a toujours reniflée. Mon fumet, il le connait. Je sais qu’il peut me retrouver à l’odeur de mes chairs. L’aigre de ma peau. C’est un chien endurant, un chien qui ne lâche pas. Il avait ça, l’acharnement. Je n’en veux plus maintenant. Mauvais chien, sale bête.
L’homme chien va mettre du temps pour me rejoindre. Je me demande si je dois l’attendre. J’ai cette hésitation. Une hésitation qui fait des tours de manège. En finir ou courir encore. C’est dur les deux. Pour l’homme chien, ce ne doit pas être facile non plus. Il a terminé de m’aimer et veut une fin à sa manière, une fin qui dit qu’il ne m’aime plus mais que je ne dois pas partir dans le Nord. Il croit qu’on ne s’en va pas comme ça, en trottant. Il croit que je ne peux pas être sans lui. Mais il ne sait pas que j’invente. Il est à mes trousses et pense qu’il a raison de vouloir une fin gluante, alors que moi, je préfère aller vers le Nord, en trottant, sans les habits.
L’amour se coupe à la machette, d’un coup sec, alors les bords sont lisses. On dit faire les choses proprement, comme pour un meurtre. Propre, c’est toujours mieux. Faut réfléchir avant et pas regretter après. Quand c’est fait, c’est fait. Même si c’est dommage. Avec l’homme chien, on avait décidé que jamais la machette ne nous tomberait dessus. C’était se croire plus forts.
La nuit tombe sans m’attendre. Je suis avertie de la fin de la journée par le noir immense. Je n’ai plus qu’à l’admettre. Si le ciel ne s’était pas éteint, j’aurais couru encore. Fuir est un bon passe-temps. Le meilleur dans mon cas. J’aperçois quelques maisons éparpillées, qu’on dirait jetées au hasard sur la terre, de grosses lucioles au milieu de terrains vides. Il n’y a rien d’autre. Je cherche désespérément un arbre sous lequel je pourrais dormir, prendre du repos, me figurer un toit et recouvrer des forces pour la suite. Je trouve l’arbre. Je m’allonge. Je suis au sol. C’est presque bien. Le jour, on ne peut pas dormir à vue. On ne peut pas l’envisager. Alors que la nuit, on disparaot, on s’efface. Les yeux se ferment seuls.
Par contre, je pourrais plus facilement me faire agresser, tabasser, violer, couper en morceaux et jeter dans un fossé. Je fais semblant de ne pas y penser. Je vois les fenêtres allumées des maisons avoisinantes, il y en a trois, c’est rassurant. Trois carrés lumineux, cela suffit pour que la trouille se dissipe. »

Extrait
« Parfois, on se tait. Juste le sexe. La simplicité de la mécanique. Quand l’acte est terminé, on fait ralentir le cœur. On respire les effluves. On scrute notre peau, l’œil collé à l’épiderme, comme avec la Flaisch endormie. On écoute le plaisir qui se dissipe doucement, au rythme de l’avachissement. L’accalmie nous berce. On pourrait découper les secondes, on les sentirait quand même passer.
Tous les jours, les mains. Tous les jours, les rires. On ne peut plus s’en passer. J’ai sauvage maintenant. J’ai sauvage. Dans cet échange sans promesse et sans certitude, la peur se retire dans mes flancs. Tout disparait dans le fatras charnel. Je bloque le souvenir de l’exclusivité jusque dans l’irritation de mon col. »

À propos de l’auteur
Nathalie Yot est née à Strasbourg et vit à Montpellier. Artiste pluridisciplinaire, chanteuse, performeuse et auteure, elle a un parcours hétéroclite. Elle est diplômée de l’école d’architecture mais préfère se consacrer à la musique puis à l’écriture poétique. Ses collaborations avec des musiciens, danseurs ou encore plasticiens sont légion. D’abord elle publie deux nouvelles érotiques Au Diable Vauvert (Prix Hémingway 2009 et 2010) sous le pseudonyme de NATYOT. Puis, avec la parution de D.I.R.E (Gros Textes, mai 2011), elle est invitée sur de multiples scènes en France comme à l’étranger pour lire ses textes. Plusieurs textes suivront, toujours chez Gros textes mais aussi chez Maelström pour une collaboration avec Charles Pennequin, ou encore aux éditions du Pédalo Ivre avec HotDog. (Source : Éditions La contre allée)

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Quand Dieu boxait en amateur

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En deux mots:
Un père forgeron, champion de France de boxe et interprète de la passion du Christ. Face à cet homme aux talents multiples, son fils est émerveillé. Jusqu’au jour où l’âge et la maladie viennent mettre à bas cette statue qu’il croyait indéboulonnable. L’incompréhension et la douleur viennent alors se mêler à l’admiration.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Mon père, ce héros

Après Fils du feu, un premier roman choc, Guy Boley rend hommage à son père à travers les épisodes marquants de sa vie. L’occasion aussi de prendre congé d’un monde ouvrier et d’une époque englouties par le «progrès».

Présentant Fils du feu, le premier roman de Guy Boley, j’écrivais: «un livre forgé avec puissance et élégance, avec rage et exaltation. C’est l’enfer la tête dans les étoiles.» Quand Dieu boxait en amateur est dans la droite ligne de cette découverte initiale et nous offre le portrait de René Boley, né le 3 mai 1926 à Besançon à l’hôpital du quartier, «entre les rails et les wagons, les tenders et les tampons, dans les panaches bleutés de leurs lourdes bouzines aux déchirants sifflets», décédé le 8 octobre 1999, «dans ce lieu ferroviaire où le destin la lui avait offerte. (…) Distance entre le lieu de sa naissance et celui de sa mort: trois étages.»
Entre son décès et sa mort, il y a aussi le vibrant hommage d’un fils qui a partagé sa vie de chanteur, d’acrobate et acteur, de forgeron et de boxeur. Et de chercheur de mots. Car le dictionnaire ne l’a jamais quitté: «C‘est son problème, les mots, à cause du père inconnu qui s’est fait écraser paf-entre-deux-wagons-comme-une-crêpe-le-pauvre, la mère contrainte d’aller faire des ménages chez les riches (bourgeois du centre-ville) et lui l’école au rabais, puis l’apprentissage chez le premier patron qu’on a trouvé forgeron-serrurier, on aurait pu tomber sur pire pour, hop, entrer dans la vie active à tout juste quatorze ans, l’âge légal, parce que ça fait un salaire de plus à la maison.» Le travail est dur, pénible, mais il n’est pas pour autant sujet à déprime. Au contraire, on essaie d’avancer, de progresser, de construire. «On ne choisit pas son enfance, on s’acclimate aux pièces du puzzle, on bricole son destin avec les outils qu’on a sous la main» Ainsi, avec sa belle voix pousse René à distraire ses amis les cheminots, à leur offrir des morceaux d’opérette. Mais il n’entend pas s’arrêter là: «La gloire l’attirait comme l’aimant la limaille».
Sa mère et son grand ami Pierre vont lui en donner l’opportunité. La première l’inscrit à la boxe pour l’aguerrir. Le 28 décembre 1952, il sera couronné champion de France et donnera naissance trois jours plus tard à son narrateur de fils. Le second, devenu curé, lui offre de un rôle d’apprenti comédien, «catégorie théâtre d’eau bénite» dans la représentation de la passion du Christ. On imagine bien ce que le garçon de trois ans peut ressentir en voyant son paternel en Jésus-Christ.
Mais cette route vers la gloire va soudain se briser. Car si les difficultés du quartier, l’arrivée des locomotives électriques et la mutation industrielle commencent à faire des dégâts, ce monde qui change n’est rien face à la douleur de perdre un enfant.
Le chagrin, l’incompréhension, la colère sourde s’exprimer alors avec violence.
Le roman a soudain basculé. Le fils découvre un autre père…
Guy Boley a le sens de la formule qui fait mouche. Son style, à nul autre pareil, nous offre un roman superbe, entre épopée et tragédie. Où l’humain à toute sa place, à savoir la première!
« Quand un monde s’écroule, tous ceux qui vivent dedans, au loin ou à côté, s’en retrouvent affectés. Et, s’ils n’en meurent pas, toujours ils perdent pied Vésuve ou Pompéi, chagrins d’amour ou deuils intempestifs, c’est du pareil au même, il ne reste que cendres, vapeur d’eau ou buée, tempêtes de cris et océans de larmes. Des vies en suspens, comme des draps humides qui ne sécheront jamais plus. Aussi ai-je fui au plus vite ce pays endeuillé, et quitté ce cocon qui n’en était plus un. »

Quand Dieu boxait en amateur
Guy Boley
Éditions Grasset
Roman
180 p., 17 €
EAN : 9782246818168
Paru le 29 août 2018

Où?
Le roman se déroule en France, à Besançon

Quand?
L’action se situe de 1926 à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Dans une France rurale aujourd’hui oubliée, deux gamins passionnés par les lettres nouent, dans le secret des livres, une amitié solide. Le premier, orphelin de père, travaille comme forgeron depuis ses quatorze ans et vit avec une mère que la littérature effraie et qui, pour cette raison, le met tôt à la boxe. Il sera champion. Le second se tourne vers des écritures plus saintes et devient abbé de la paroisse. Mais jamais les deux anciens gamins ne se quittent. Aussi, lorsque l’abbé propose à son ami d’enfance d’interpréter le rôle de Jésus dans son adaptation de La Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ, celui-ci accepte pour sacrer, sur le ring du théâtre, leur fraternité.
Ce boxeur atypique et forgeron flamboyant était le père du narrateur. Après sa mort, ce dernier décide de prendre la plume pour lui rendre sa couronne de gloire, tressée de lettres et de phrases splendides, en lui écrivant le grand roman qu’il mérite. Un uppercut littéraire.

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Les critiques
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La Croix (Jean-Claude Raspiengeas)
Toutelaculture.com (Julien Coquet)
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Guy Boley présente Quand dieu boxait en amateur © Production Hachette France

Les premières pages du livre
Besançon est une petite ville de l’est de la France qui, sous ses airs de ne pas y toucher, n’en est pas moins capitale de la Franche-Comté et de l’horlogerie, préfecture du Doubs, chef-lieu d’un arrondissement composé de treize cantons et de trois cent onze communes, ville natale de Victor Hugo et des frères Lumière mais aussi, excusez du peu, capitale de l’ancienne Séquanie, connue alors sous le nom latin de Vesontio, cité qui fut, en cette époque barbare, une ville pilote d’envergure puisqu’elle possédait déjà, bien avant l’invention du tourisme, un sens inné de l’hospitalité. Des hordes d’envahisseurs portant la hache, la masse d’arme ou l’espingole en guise de caméscope la visitaient régulièrement et laissaient, dans le gris-bleu de ses pierres, stigmatisés, gravés, burinés ou ciselés, quelques indices de leurs passages qui constituent ce que l’on nomme en une formule quelque peu pompeuse: la longue et douloureuse histoire de la cité.
Plaquée au creux d’une cuvette naturelle comme l’est une pâte feuilletée dans le fond d’un moule à tarte, la ville est close par un couvercle caparaçonné de toits ocre, aux tuiles serrées et aux cheminées hautes que maintiennent et soutiennent des maisons relativement basses habitées par d’honnêtes commerçants, des pharmaciens aisés plus ou moins bovarystes, de respectables docteurs et d’éminents notaires, sans omettre, bien sûr, militaires et curés qui occupaient jadis casernes et églises, leurs bâtisses imposantes obstruant encore, à ce jour, la partie la plus antique et dénommée romaine de la susdite cuvette.
Un fleuve en forme de lyre, le Doubs, sertit comme un bijou ce bouclier de toitures et d’âmes subséquemment nommé centre-ville, où grouillent, jours fériés et chômés, des badauds dont l’activité maîtresse consiste à arpenter les deux ou trois rues commerçantes et à s’extasier devant leurs luxuriantes vitrines, aquariums du désir frustré où des chaussures neuves, poissons de cuir inertes sur fond de velours rouge, se contemplent par paires dans le blanc des œillets.
Quelques ponts, dont les ingénieurs respectant le cahier des charges ont privilégié la robustesse au détriment de l’esthétique, permettent de traverser le fleuve et d’accéder aux quartiers périphériques qui, s’éloignant progressivement de l’épicentre, vont du plus huppé au plus populaire.
C’est précisément dans l’un de ces quartiers d’ultime catégorie que nous nous trouvons actuellement, un peu plus haut que la gare Viotte, entre la cité des Orchamps et la cité des Parcs, à la frontière du quartier des Chaprais et du dépôt, loin des vitrines et des godasses, loin des rupins et des bourgeois, des militaires et des vicaires, en bordure d’une espèce de no man’s land formé par un amas de traverses, de hangars et de rotondes où sont entreposées les locomotives qui ne roulent pas et celles qui ne roulent plus.
Au pied de ces ferrailles aux ronces entrelacées, s’élève un bâtiment trapu et court sur pattes qui fut jadis coquet et que tous appelaient: l’hôpital du quartier. On y faisait de tout, deuil et maternité. C’est là qu’il vit le jour, René Boley, mon père, le 3 mai 1926, entre les rails et les wagons, les tenders et les tampons, dans les panaches bleutés de leurs lourdes bouzines aux déchirants sifflets.
Ce quartier fut toute sa vie, sa seule mappemonde, sa scène de théâtre, son unique opéra. Il y grandit, s’y maria, procréa. Ne l’aurait pas quitté pour toutes les mers du globe et leurs îles enchantées.
Il y passa sa vie, sa vie de forgeron, y aima l’enclume, la boxe et l’opérette. Et le théâtre, par-dessus tout.

Fidèle à ses amours, attaché à sa terre, aux pierres et aux amis, aux fumées qui mouraient et aux rails qui rouillaient, il rendit l’âme, le 8 octobre 1999, dans ce lieu ferroviaire où le destin la lui avait offerte: l’hôpital du quartier. Ce dernier avait beaucoup vieilli ; mon père aussi ; ils étaient quittes.
Toujours est-il, pierres ou chair délabrées, qu’il mourut dans le même bâtiment que celui qui l’avait enfanté et, si l’on en croit les indications inscrites dans le livret d’état civil : presque à la même heure.
Distance entre le lieu de sa naissance et celui de sa mort: trois étages.

Extraits
« C‘est son problème, les mots, à cause du père inconnu qui s’est fait écraser paf-entre-deux-wagons-comme-une-crêpe-le-pauvre, la mère contrainte d’aller faire des ménages chez les riches (bourgeois du centre-ville) et lui l’école au rabais, puis l’apprentissage chez le premier patron qu’on a trouvé forgeron-serrurier, on aurait pu tomber sur pire pour, hop, entrer dans la vie active à tout juste quatorze ans, l’âge légal, parce que ça fait un salaire de plus à la maison. »

« Il y a donc la boxe et le linge qui sèche. Les escaliers cités, le cornet à pistons, le père en uniforme prisonnier dans son cadre. Le dictionnaire, bien sûr, ses mots échevelés dont nul ne sait user. Il y a aussi la forge, ses masses et son enclume, puis les rails du dépôt. Tableaux de son enfance qui serait triste et vide s’il n’existait l’humain pour lui donner une âme.
Et l’humain, pour René, se condense en un seul: Pierrot, l’ami des origines, le copain de toujours. Le frère incontournable. Ils sont tous deux semblables à Oreste et Pylade. Ou Castor et Pollux. Unis du berceau au tombeau. »

« Ils ont remarqué, ça derniers mois, que les locomotives à vapeur n’arrivaient plus ici comme des malades à rétablir mais comme des condamnées, à la queue leu leu, la chaine autour du cou, sans espoir de retour. Le dépôt, jadis brave dame compatissante, ne fait plus fonction d’hôpital, de centre de soins ou maison de repos: c’est devenu un lieu d’équarrissage où la ferraille hurle sous la morsure du chalumeau. C’en sera bientôt fini de ces bouzines asthmatiques, de ces masses de fonte affectueuses, bonnes grosses mères fessues à qui des pelletées de charbon mettaient le feu au cul. La fée électricité promène désormais ses volts au cœur des caténaires, le charbon ne brûle plus, les fumées disparaissent, le ciel est bien trop bleu. »

À propos de l’auteur
Guy Boley est né en 1952. Après avoir fait mille métiers (ouvrier, chanteur des rues, cracheur de feu, directeur de cirque, funambule, chauffeur de bus, dramaturge pour des compagnies de danses et de théâtre) il a publié un premier roman, Fils du feu (Grasset, 2016) lauréat de sept prix littéraires (grand prix SGDL du premier roman, prix Georges Brassens, prix Millepages, prix Alain-Fournier, prix Françoise Sagan, prix (du métro) Goncourt, prix Québec-France Marie-Claire Blais). (Source : Éditions Grasset)

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Le fou de Hind

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En deux mots:
À la mort de son père, Lydia découvre la lettre qu’il lui a laissée. Commence alors une enquête auprès de ceux qui l’ont côtoyé pour tenter de comprendre ce qu’il a essayé de lui dire. De surprises en révélations, elle va comprendre qu’il y a eu une autre femme dans sa vie.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

La femme dont il ne faut pas parler

Pour ses débuts en littérature, Bertille Dutheil nous propose un premier roman à tiroirs dans lequel plusieurs voix prennent la parole pour raconter leur version d’une histoire que beaucoup ont voulu occulter, la passion de Mohsinn pour Hind, sa fille adoptive.

«Toutes les familles ont un squelette dans le placard, et ces choses-là gagnent à être dites.» C’est suivant ce précepte que Lydia, journaliste de 27 ans, décide d’enquêter après avoir trouvé une lettre de son père Mohsin qui vient de mourir. Il y écrit notamment: «Je ne suis pas un homme bon. Je suis corrompu, j’ai péché au-delà de ce qui est imaginable, oui, et dans ma folie et mon inconséquence, j’ai été responsable de la mort d’un être innocent.» Dans une boîte, quelques vieilles photos sur lesquelles on voit surtout une fille appelée Hind, apportent les premiers indices.
Au chagrin vient s’ajouter le choc de cet aveu. Aussi décide-t-elle, sans doute aussi pour évacuer son chagrin, d’en savoir plus en se rapprochant des gens qui ont connu son père par le passé et qui pourront peut-être lui en dire davantage sur cet homme et son secret.
Bertille Dutheil a choisi une construction assez complexe pour son premier roman en donnant tour à tour la parole à ceux qui ont partagé une partie de la vie de Mohsin. Le premier à s’exprimer est Mohammed le fleuriste, «analphabète par entêtement et par fumisterie». Il a fait partie de cette tribu installée au «château», un immeuble de Créteil où ont trouvé refuge quelques immigrés d’Algérie dans les années soixante-dix où il a côtoyé Mohsin et Hind, dont il est immédiatement tombé amoureux.
Sauf que le jeune homme se découvre un rival en la personne de Badr, sorte de fils prodigue «revenu maintenant lâcher ses démons, ses grandes pattes, sa violence sur la vie enfin apaisée… Badr avec sa moto, sa licence, son assurance odieuse… Badr enfin, mon frère, leur seigneur à tous!» Un caïd qui se lance dans toutes sortes de trafics avant de sombrer dans la drogue et la violence.
Deux femmes en savent davantage sur la vie de Hind, Luna, qui a émigré aux États-Unis et Sakina, la «tisseuse de rêves». Hind a croisé la route de Mohsin à Oran. Après la mort de ses parents, il s’est démené pour lui obtenir des papiers et l’autorisation de l’emmener avec lui en France. Mais une autre version circule «selon laquelle Hind était la nièce par alliance de Mohsin, la fille de sa belle-sœur morte au cours de la même épidémie que sa femme et sa fille.»
Pour Lydia – mais aussi, avouons-le pour le lecteur – il est difficile de séparer le vrai du faux. «Les gentilles anecdotes que j’ai recueillies et collectionnées comme de minuscules fossiles ne sont que quelques points de pâle lumière dans le noir épais qui paraît recouvrir tout ce qui concerne ma sœur et sa relation à notre père. Mes interlocuteurs se sont excusés, se sont troublés, ont composé et éludé toute information trop précise, trop définitive. J’ai senti mon courage faiblir, et la tentation était grande d’abandonner mes recherches, de laisser ce passé obscur à la place où tous semblaient s’être promis.»
Deux hommes vont alors venir éclairer le récit et faire le portrait d’une Hind, loin de l’innocente adolescente décrite jusque-là, Marqus le Libanais et Ali al-Amami, analyste financier chez HSBC. Ils vont aussi revenir sur les circonstances de la mort de Hind qui a fait perdre la tête à Mohsin.
Roman d’un amour fou, d’un amour interdit, ce récit vibrant est aussi celui de ces immigrés qui essaient de trouver une place dans leur pays d’accueil avec leurs différences culturelles, qui tente de se rassembler avant de s’émanciper, qui gardent pourtant à jamais la blessure de l’exil.
«Le quatrain d’Omar Khayyam me revenait en mémoire:
Nous serons effacés du chemin de l’amour;
Le destin nous broiera sous ses talons;
Ô porte-coupe au doux visage, quitte ta pose paresseuse…
Donne-moi de l’eau, car je deviendrai de la poussière.»

Le fou de Hind
Bertille Dutheil
Éditions Belfond
Roman
400 p., 18 €
EAN: 9782714479716
Paru le 16 août 2018

Où?
Le roman se déroule en France, à Saint-Ouen, Sartrouville, Créteil, Rungis, Billancourt, Nanterre, Maisons-Alfort, Bucy-le-Long, Neuilly, Marseille et Paris. On y évoque aussi Oran, Tifritine dans le Haut Atlas et Agrigente en Sicile, un village de la région d’al-Genayna, près de la frontière du Tchad, Khartoum, Le Caire, Mexico, San Francisco.

Quand?
L’action se situe des années soixante-dix à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
«La maison avait fait le tour du monde. C’était le navire de Sindbad. Elle avait roulé jusqu’à la rive et elle avait dormi jusqu’à ce que nous, les Arabes, qui n’avions rien, décidions de la retaper. Nous, les champions de la récup et des chansons d’amour, de la colle industrielle et du voyage au long cours, nous avions traversé la mer pour échouer ici, aux accents d’une poésie imparfaite mais vivante, quotidienne, qui donnait à l’exil de nos pères une saveur moins amère.»
Mohsin, un immigré algérien, vient de décéder. Il laisse derrière lui une lettre dans laquelle il s’accuse de la mort d’un être innocent, ainsi qu’une série de vieilles photos où il apparaît avec une enfant brune, omniprésente, Hind.
Sa fille, Lydia, interroge alors ceux qui ont autrefois connu son père, à Créteil, à la fin des années 1970. En particulier les habitants du «Château», une villégiature délabrée plantée non loin de la cité des Choux et transformée par Mohsin et ses amis en maison communautaire. Mohammed, Ali, Luna,Marqus et Sakina font ainsi revivre toute une époque par leurs témoignages. Sous les yeux de Lydia, le puzzle prend forme, révélant la personnalité de l’absente – flamboyante et
mystérieuse Hind –, et la nature de sa relation avec Mohsin…
Un roman polyphonique hanté par une héroïne sans voix, qui s’empare avec brio de la question de l’immigration et de l’intégration en France.

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Bertille Dutheil présente son premier roman Le fou de Hind © Production Librairie Mollat

Les premières pages du livre
« Lydia (l’enterrement)
Nous sommes aujourd’hui le 9 décembre 2011 et mon père vient de mourir à la maison de retraite de Saint-Ouen où je l’avais placé il y a deux ans, peu après la naissance de mon deuxième fils et mon retour au travail. J’étais au journal, occupée à la rédaction d’un article sur la décision du Sénat en faveur du droit de vote des étrangers. Comme je ne suis en poste que depuis deux mois et que je dois encore faire mes preuves, j’étais profondément concentrée et je travaillais avec ardeur, en répondant d’un sourire distrait aux blagues et aux avances de l’un de mes collègues. Cette mesure signifie le net basculement du Sénat à gauche et laisse pressentir la victoire des socialistes aux prochaines élections… J’en étais là lorsque j’ai reçu un appel. Mon mari, qui était au bout du fil, a laissé tomber d’un ton abrupt et désolé ces quelques mots : « La maison de retraite a appelé. Mohsin est mort. »J’avais rendu visite à mon père à plusieurs reprises, quelques semaines auparavant. Pendant l’automne, il avait contracté une pneumonie bactérienne assez grave, qui avait même nécessité des jours d’hôpital. Je m’étais inquiétée alors, mais les médecins avaient été surpris de la rapidité de son rétablissement.— Les patients de cet âge présentent souvent une résistance aux antibiotiques, m’avait dit l’interne. Mais votre père a très bien réagi, toute l’équipe est confiante. Dans quelques jours, au plus, il pourra rentrer chez lui. Lors de ma dernière visite à la maison de retraite, où il avait réintégré sa chambre avec interdiction, pour le moment, de quitter le lit, je lui avais reproché son imprudence.— Les soignants m’ont dit que tu étais tombé malade après avoir passé l’après-midi assis dans le jardin, en simple chandail, sans que personne puisse te convaincre de rentrer. En octobre, avec ce vent !— Le jardin est si beau en cette saison, tu sais, avec ses feuilles rouges ou jaunes et son air de grande décadence, comme un chant du cygne de la nature avant la venue de l’hiver, avait-il répondu en baissant les paupières, tel un petit enfant qu’on gronde. Puis il m’avait exprimé son regret de n’avoir pas pu voir ses petits-fils, en vacances chez les parents d’Antoine. Mais mon père n’était pas de ces hommes que le temps rend amers ou exigeants. Il ne s’est jamais plaint du sort qui lui était fait, pas plus que de sa solitude, ou de son ennui. Seulement il m’avait demandé, en me pressant doucement la main, de ne pas manquer de les amener, une prochaine fois. Ce souhait, que la mort m’a empêchée de réaliser, a été, je ne sais pourquoi, la première chose qui m’est venue à l’esprit. En raccrochant le téléphone, raide et comme terrassée, je me suis mise à pleurer, une main sur la bouche pour étouffer mes sanglots. Celui de mes collègues qui me tournait autour, de goguenard est devenu soucieux. Bientôt je me suis trouvée enveloppée, caressée et consolée par une nuée de gens compatissants et importuns qui m’étouffaient et que je n’ai pas eu la force de renvoyer. Je suis sortie en courant du bâtiment du journal, les jambes vacillantes sur l’asphalte glissant de pluie, et j’ai retiré mes talons hauts pour continuer de courir en collants sur le sol trempé. Sur le pont du Garigliano, que j’ai traversé pour rejoindre la station de RER, le vent glacé s’engouffrait dans ma veste mal fermée, et les nuages, d’un blanc de perle sur le gris de fer du ciel, semblaient filer si vite que j’en avais le vertige. Pendant un instant, en m’engouffrant dans la bouche de RER, j’ai cru qu’il y avait une erreur. Mon père allait mieux. Il était remis. Il n’avait ni problèmes de cœur, ni cancer, ni maladie dégénérative. Il était vieux, il était seul, il n’avait nulle part où aller, mais il tenait bon tout de même. »

Extraits
« Hôpital Bichat, 8 novembre 2011
Chère Lydia, ma toute petite fille,
Tu viens à peine de refermer la porte que je me lève avec difficulté, en traînant derrière moi ma perche à roulettes, pour aller me poster à la fenêtre et vous regarder sortir. Je vois la minuscule silhouette de Salim, qui te tient par la main, et le maillot de foot blanc de Loïc qui gambade autour de vous et mime des tirs au but fait comme une fusée claire dans la semi-obscurité. Vos trois silhouettes sont brouillées par la buée que fait ma respiration en chauffant la vitre. Mes jambes tremblent, je devrais me recoucher. Mais, ici, lorsque je regarde par la fenêtre, je vois l’entrée de l’hôpital et le va-et-vient des nombreux passants du quartier. J’aime cela, toute cette vie de la grande ville. (…)
Je ne veux pas que tu honores un lâche. Je ne te dirai que ceci: je ne suis pas un homme bon. Je suis corrompu, j’ai péché au-delà de ce qui est imaginable, oui, et dans ma folie et mon inconséquence, j’ai été responsable de la mort d’un être innocent. Je suis un assassin, et je suis sans dignité car j’ai fait le mal et je n’ai pas eu la bravoure d’avouer mon ignominie à quiconque, pas même aux êtres que j’aimais le plus au monde.On ne peut espérer de pardon pour de telles fautes. Dieu m’a supplicié en me donnant de survivre trente années à ma victime, et sa mort m’a hanté jusqu’à me faire perdre tout intérêt, tout goût pour la vie. Je n’ai pas su aimer ta mère, je n’ai pas pris de toi le soin que j’aurais dû, j’ai cru imposer silence à ma conscience en me taisant tout à fait, mais ma faute m’a poursuivi chaque jour, comme Oreste tourmenté par les Érinyes. »

À propos de l’auteur
Bertille Dutheil est née en 1991 et vit à Paris. Étudiante en histoire, elle a vécu à Beyrouth pour les besoins de ses recherches. Le Fou de Hind est son premier roman. (Source : Éditions Belfond)

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Le paradoxe d’Anderson

En deux mots:

Une famille comme tant d’autres, le père, la mère, le garçon, la fille. Une vie ordinaire jusqu’au jour où tout bascule, jusqu’au jour où – délocalisation oblige – tous deux perdent leur emploi. Commence alors un combat difficile pour tenir le coup, pour ne pas perdre sa dignité. 

Ma note:
★★★★(j’ai adoré)

Ma chronique:

La trop illégale lutte des classes

Dans un roman qui prend aux tripes, Pascal Manoukian retrace le destin d’une famille ordinaire soudain confrontée au drame de la délocalisation. Aline et Christophe perdent leur emploi. Comment vont-ils pouvoir s’en sortir?

Comme Léa, la fille d’Aline et Christophe, qui s’apprête à passer son bac ES, je n’avais pas entendu parler de ce paradoxe qui donne son titre à ce beau roman. Le paradoxe d’Anderson comme nous l’apprend Wikipédia «est un paradoxe empirique selon lequel l’acquisition par un étudiant d’un diplôme supérieur à celui de son père ne lui assure pas, nécessairement, une position sociale plus élevée. Ce paradoxe a été mis en évidence par le sociologue américain Charles Arnold Anderson (1907-1990) en 1961.» 

Vous l’avez compris, le drame que Pascal Manoukian nous propose ici illustre cette lutte des classes que certains imaginent aujourd’hui dépassée. Car il semble bien que depuis des décennies, le combat n’a rien perdu de son actualité, bien au contraire. La famille a du reste de qui tenir, comme le prouve l’épisode au demeurant fort cocasse du grand-père Léon qui a joué un tour pendable à Lucien Jeunesse, l’animateur du Jeu des mille francssur France Inter. S’emparant du micro, il s’est lancé dans une diatribe que Cambronne aurait sans doute trouvée fort à propos, le tout couronné par une interprétation énergique de L’Internationale. Depuis ce temps où PC signifiait d’abord Parti Communiste et non Personal Computer, on va constater que l’horizon ne s’est pas éclairci. L’ombre de l’extrême-droite s’étend au fur et à mesure que la mondialisation et la désindustrialisation laissent les ouvriers sur le carreau.

Aline qui travaille dans une usine textile et Christophe qui a un emploi dans une fabrique de bouteilles n’imaginaient pas faire partie du lot. Deux enfants, une maison, la voiture et les vacances. Même si tout n’est pas toujours facile, leur petite vie tranquille va soudain exploser. L’effet de souffle a pour nom délocalisation. Et le scénario est bien rodé: «Avant d’acheter, ils se racontent l’histoire, imaginent tout, les coûts de production, les frais de transport, le contexte politique, les risques de grève, la qualité du produit, la docilité de la main-d’œuvre, la souplesse des lois du travail, et ils choisissent le meilleur scénario. Tu imagines qu’ils vont fabriquer nos chaussettes dans un pays où presque tout le monde marche encore pieds nus… »

Au fil des jours, il est de plus en plus difficile de cacher la situation aux enfants, d’autant que la banque n’est pas prête à faire un geste.

Et tandis que Léa théorise sur le paradoxe d’Anderson, ses parents inventent des stratagèmes pour s’en sortir et font le Une du quotidien local en «Bonux et Tide». Mais je vous laisse découvrir ce qui se cache derrière ce titre assez bien trouvé, ma foi.

Ajoutons que Pascal Manoukian a le sens de l’intrigue et l’art de pimenter son récit. En imaginant que dans la belle villa voisine s’installe un couple aisé et que Léa tombe amoureuse de son fils, il fait entrer le loup dans la bergerie. Les pages qui suivent sont d’une intensité dramatique croissante, le tout culminant sur un épilogue qui vous laissera pantois. Parlant des Enfants après eux,un commentateur a écrit que c’était le roman qu’Emmanuel Macron devrait lire toutes affaires cessantes. C’est le même conseil que je donnerai ici. D’abord parce que c’est sans doute bien plus agréable à lire que des statistiques économiques et ensuite parce que ce roman pourrait fort bien être la suite du Prix Goncourt.

Quand? L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur Plus rien n’est acquis. Plus rien ne protège. Pas même les diplômes.

À 17 ans, Léa ne s’en doute pas encore. À 42 ans, ses parents vont le découvrir. La famille habite dans le nord de l’Oise, où la crise malmène le monde ouvrier. Aline, la mère, travaille dans une fabrique de textile, Christophe, le père, dans une manufacture de bouteilles. Cette année-là, en septembre, coup de tonnerre, les deux usines qui les emploient délocalisent. Ironie du sort, leur fille se prépare à passer le bac, section « économique et social ». Pour protéger Léa et son petit frère, Aline et Christophe vont redoubler d’imagination et faire semblant de vivre comme avant, tout en révisant avec Léa ce qui a fait la grandeur du monde ouvrier et ce qui aujourd’hui le détruit. Comme le paradoxe d’Anderson, par exemple. «C’est quoi, le paradoxe d’Anderson?» demande Aline. Léa hésite. «Quelque chose qui ne va pas te plaire», prévient-elle. Léon, dit Staline, le grand-père communiste, les avait pourtant alertés : «Les usines ne poussent qu’une fois et n’engraissent que ceux qui les possèdent.»

Les critiques

Babelio

Lecteurs.com

RTBF Culture (Christine Pinchart) – Rencontre avec l’auteur 

Blog motspourmots.fr (Nicole Grundlinger) 

Pascal Manoukian vous présente Le paradoxe d’Anderson© Production Librairie Mollat 

Incipit

(Les premières pages du livre) 

Août

Aline maudit l’alignement désordonné des Caddie serpentant jusqu’aux caisses. On dirait une colonne de chenilles processionnaires dévorant les rayons. Dans ses jambes, elle sent encore les vibrations des tricoteuses.

Même éteintes, les machines continuent à la torturer, une douleur fantôme, des heures supplémentaires après la fermeture, «l’offrande aux patrons», disent les ouvrières.

Un instant elle ferme les yeux et s’imagine que c’est le roulis du ferry pour la Corse. Christophe, son mari, a juré de l’y emmener un jour. Il y fait, lui assure-t‑il, aussi chaud que devant les fours où il transforme le sable en verre. Le soleil remplace alors les néons. Elle peut presque sentir la mer, la vraie, la bleue, pas celle du Tréport.

L’annonce d’une promotion sur le poisson la ramène à terre. Elle a encore choisi la mauvaise file. À l’autre bout du serpentin métallique des chariots, le tapis roulant s’est arrêté, le dos rond, encombré de produits premiers prix. Devant la caisse, telle une baleine échouée, il lui semble reconnaître Sandra, sa petite Lucie ventousée à son gros ventre. Elles ont partagé une machine chez Wooly il y a longtemps.

Les années ont épaissi sa silhouette. Le chômage et les acides gras saturés, sans doute. Aline se rassure aussitôt en cherchant son reflet dans la grande baie vitrée. Pas trop mal pour la quarantaine. Si on oublie quelques vergetures, souvenirs de ses deux grossesses, c’est un bilan à la Georges Marchais de son enfance, plutôt globalement positif. Mais dans l’Oise de Beauvais et des friches industrielles, les communistes ont disparu depuis longtemps, emportant avec eux le travail et les tailles fines.

Désormais, plus on se serre la ceinture et plus on grossit. Magali, la caissière, maudit Sandra et la gamine accrochée à ses bourrelets. C’est la cinquième depuis ce matin à bloquer sa file en recomptant ses pièces jaunes.

Dans la queue, personne ne crâne. Tout le monde a peur, un jour aussi, de ne plus pouvoir y arriver. Le mois dernier, Louis, un vigile, s’est fait renvoyer pour avoir laissé une employée sortir sans avoir payé un paquet de serviettes hygiéniques à 4,40 euros. L’écart de salaire entre ceux qui vendent et ceux qui volent est devenu si ténu qu’il faut surveiller tout le monde.

Aline aussi est inquiète. Cette semaine chez Wooly, trois fois les machines se sont arrêtées, faute de commandes. Ce n’est pas le moment pourtant, cette année Léa, sa grande, passe le bac. Si tout va bien, l’été prochain elle s’inscrit à la fac et dans trois ans elle est licenciée.

C’est drôle, remarque-t‑elle en regardant Sandra additionner les centimes, comme un même mot peut susciter l’espoir et son contraire. Les chenilles piétinent. Elle va être en retard pour faire réviser Léa. Elle fait signe à Lucie. La gamine, étonnée, remonte le convoi des Caddie, un petit poney rose mal coiffé à la main.

– C’est la petite souris qui me l’a amené.

Il lui manque deux dents devant.

– Moi, je voulais une télévision, ajoute-t‑elle, on en a plus.

Aline lui tend 10 euros.

– Tiens, va donner ça à ta maman.

Lucie file retrouver sa baleine. La caissière soupire mais prend l’argent. Sandra remercie Aline d’un regard désespéré et disparaît vers le parking comme elle a déjà depuis longtemps disparu de la vie.

Aline jette un coup d’œil à sa montre. Elle a encore le temps de s’arrêter à la pépinière pour essayer d’apercevoir les chevreuils.

Leur maison au fond du vallon borde une rue étroite.

C’est la dernière du village, ensuite la voie se transforme en un chemin de terre et file entre les haies de frênes et d’églantines jusqu’au lavoir dont elle porte le nom. D’un côté, une prairie grimpe à la lisière d’un bois de chênes; de grosses normandes noir et blanc aux pis rose pâle y broutent du printemps à la fin de l’été. De l’autre s’étire une rivière en pente légère, les berges plates, plantées d’un saule centenaire ébouriffé: l’arbre à Tarzan.»

Extrait

« Mais le fait d’armes de Léon, resté célèbre dans l’histoire du village, il le devait à l’arrivée du Jeu des mille francsà Clergeons, un jour de juin 1973, à l’époque où la radio s’intéressait encore aux campagnes. À 55 ans, Lucien Jeunesse, l’animateur, portait encore bien son nom. Devant le chapiteau de France Interinstallé sur la place de l’Église, une dizaine de candidats se pliaient nerveusement aux épreuves de sélection. Léon l’avait emporté haut la main en donnant coup sur coup le nom de la capitale du Botswana, l’altitude exacte du mont McKinley et, plus surprenant, la date de la première parution du catalogue de la Manufacture de Saint-Étienne. »

Àpropos de l’auteur

Photographe, journaliste, réalisateur, Pascal Manoukian a couvert un grand nombre de conflits. Ancien directeur de l’agence Capa, il se consacre à l’écriture. Il a notamment publié, aux éditions Don Quichotte, Le Diable au creux de la main(2013), Les Échoués(2015) et Ce que tient ta main droite t’appartient(2017). (Source: Éditions du Seuil)

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Le paradoxe d’Anderson

Pascal Manoukian

Éditions du Seuil 

Roman

304 p., 19 €

EAN: 9782021402438

Paru le 16 août 2018

Où? Le roman se déroule en France, principalement côté de Beauvais dans l’Oise, dans des villes appelées Essaimcourt et Clergeons.

Quand? L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur Plus rien n’est acquis. Plus rien ne protège. Pas même les diplômes.

À 17 ans, Léa ne s’en doute pas encore. À 42 ans, ses parents vont le découvrir. La famille habite dans le nord de l’Oise, où la crise malmène le monde ouvrier. Aline, la mère, travaille dans une fabrique de textile, Christophe, le père, dans une manufacture de bouteilles. Cette année-là, en septembre, coup de tonnerre, les deux usines qui les emploient délocalisent. Ironie du sort, leur fille se prépare à passer le bac, section « économique et social ». Pour protéger Léa et son petit frère, Aline et Christophe vont redoubler d’imagination et faire semblant de vivre comme avant, tout en révisant avec Léa ce qui a fait la grandeur du monde ouvrier et ce qui aujourd’hui le détruit. Comme le paradoxe d’Anderson, par exemple. «C’est quoi, le paradoxe d’Anderson?» demande Aline. Léa hésite. «Quelque chose qui ne va pas te plaire», prévient-elle. Léon, dit Staline, le grand-père communiste, les avait pourtant alertés : «Les usines ne poussent qu’une fois et n’engraissent que ceux qui les possèdent.»

Les critiques

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RTBF Culture (Christine Pinchart) – Rencontre avec l’auteur 

Blog motspourmots.fr (Nicole Grundlinger) 

Pascal Manoukian vous présente Le paradoxe d’Anderson© Production Librairie Mollat 

Incipit

(Les premières pages du livre) 

Août

Aline maudit l’alignement désordonné des Caddie serpentant jusqu’aux caisses. On dirait une colonne de chenilles processionnaires dévorant les rayons. Dans ses jambes, elle sent encore les vibrations des tricoteuses.

Même éteintes, les machines continuent à la torturer, une douleur fantôme, des heures supplémentaires après la fermeture, «l’offrande aux patrons», disent les ouvrières.

Un instant elle ferme les yeux et s’imagine que c’est le roulis du ferry pour la Corse. Christophe, son mari, a juré de l’y emmener un jour. Il y fait, lui assure-t‑il, aussi chaud que devant les fours où il transforme le sable en verre. Le soleil remplace alors les néons. Elle peut presque sentir la mer, la vraie, la bleue, pas celle du Tréport.

L’annonce d’une promotion sur le poisson la ramène à terre. Elle a encore choisi la mauvaise file. À l’autre bout du serpentin métallique des chariots, le tapis roulant s’est arrêté, le dos rond, encombré de produits premiers prix. Devant la caisse, telle une baleine échouée, il lui semble reconnaître Sandra, sa petite Lucie ventousée à son gros ventre. Elles ont partagé une machine chez Wooly il y a longtemps.

Les années ont épaissi sa silhouette. Le chômage et les acides gras saturés, sans doute. Aline se rassure aussitôt en cherchant son reflet dans la grande baie vitrée. Pas trop mal pour la quarantaine. Si on oublie quelques vergetures, souvenirs de ses deux grossesses, c’est un bilan à la Georges Marchais de son enfance, plutôt globalement positif. Mais dans l’Oise de Beauvais et des friches industrielles, les communistes ont disparu depuis longtemps, emportant avec eux le travail et les tailles fines.

Désormais, plus on se serre la ceinture et plus on grossit. Magali, la caissière, maudit Sandra et la gamine accrochée à ses bourrelets. C’est la cinquième depuis ce matin à bloquer sa file en recomptant ses pièces jaunes.

Dans la queue, personne ne crâne. Tout le monde a peur, un jour aussi, de ne plus pouvoir y arriver. Le mois dernier, Louis, un vigile, s’est fait renvoyer pour avoir laissé une employée sortir sans avoir payé un paquet de serviettes hygiéniques à 4,40 euros. L’écart de salaire entre ceux qui vendent et ceux qui volent est devenu si ténu qu’il faut surveiller tout le monde.

Aline aussi est inquiète. Cette semaine chez Wooly, trois fois les machines se sont arrêtées, faute de commandes. Ce n’est pas le moment pourtant, cette année Léa, sa grande, passe le bac. Si tout va bien, l’été prochain elle s’inscrit à la fac et dans trois ans elle est licenciée.

C’est drôle, remarque-t‑elle en regardant Sandra additionner les centimes, comme un même mot peut susciter l’espoir et son contraire. Les chenilles piétinent. Elle va être en retard pour faire réviser Léa. Elle fait signe à Lucie. La gamine, étonnée, remonte le convoi des Caddie, un petit poney rose mal coiffé à la main.

– C’est la petite souris qui me l’a amené.

Il lui manque deux dents devant.

– Moi, je voulais une télévision, ajoute-t‑elle, on en a plus.

Aline lui tend 10 euros.

– Tiens, va donner ça à ta maman.

Lucie file retrouver sa baleine. La caissière soupire mais prend l’argent. Sandra remercie Aline d’un regard désespéré et disparaît vers le parking comme elle a déjà depuis longtemps disparu de la vie.

Aline jette un coup d’œil à sa montre. Elle a encore le temps de s’arrêter à la pépinière pour essayer d’apercevoir les chevreuils.

Leur maison au fond du vallon borde une rue étroite.

C’est la dernière du village, ensuite la voie se transforme en un chemin de terre et file entre les haies de frênes et d’églantines jusqu’au lavoir dont elle porte le nom. D’un côté, une prairie grimpe à la lisière d’un bois de chênes; de grosses normandes noir et blanc aux pis rose pâle y broutent du printemps à la fin de l’été. De l’autre s’étire une rivière en pente légère, les berges plates, plantées d’un saule centenaire ébouriffé: l’arbre à Tarzan.»

Extrait

« Mais le fait d’armes de Léon, resté célèbre dans l’histoire du village, il le devait à l’arrivée du Jeu des mille francsà Clergeons, un jour de juin 1973, à l’époque où la radio s’intéressait encore aux campagnes. À 55 ans, Lucien Jeunesse, l’animateur, portait encore bien son nom. Devant le chapiteau de France Interinstallé sur la place de l’Église, une dizaine de candidats se pliaient nerveusement aux épreuves de sélection. Léon l’avait emporté haut la main en donnant coup sur coup le nom de la capitale du Botswana, l’altitude exacte du mont McKinley et, plus surprenant, la date de la première parution du catalogue de la Manufacture de Saint-Étienne. »

Àpropos de l’auteur

Photographe, journaliste, réalisateur, Pascal Manoukian a couvert un grand nombre de conflits. Ancien directeur de l’agence Capa, il se consacre à l’écriture. Il a notamment publié, aux éditions Don Quichotte, Le Diable au creux de la main(2013), Les Échoués(2015) et Ce que tient ta main droite t’appartient(2017). (Source: Éditions du Seuil)

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Comment t’écrire adieu

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En deux mots:
Quand elle se retrouve seule, Juliette essaie de se réfugier dans les mots et dans la musique. Égrenant la bande-son de sa vie, de Françoise Hardy à Springsteen, elle va nous raconter son histoire d’amour, la déchirure et la tentative de reconstruction. Original et musical.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

La playlist de la séparation

Dans un premier roman étonnant, Juliette Arnaud raconte comment elle s’est retrouvée seule la quarantaine passée. Et comment sa vie a toujours été accompagnée par la musique. Jusqu’à l’obsession.

Une lecture rapide de ce premier roman pourrait laisser penser qu’il s’agit d’un collage de critiques musicales, d’analyse des chansons qui ont marqué la vie de Juliette. Mais ce premier roman est bien plus que ça, il raconte comment la musique a accompagné une vie, comment les chansons ont construit un imaginaire et combien elles mettent en relief les sentiments, les émotions.
Si chacun d’entre nous s’amusait à dresser une liste des titres qui l’ont marqué depuis l’enfance, j’imagine combien cette dernière raconterait un parcours, des expériences, des amours, des douleurs aussi. «La chanson m’attendait, les chansons nous attendent tous.»
Juliette se retrouve seule. Enfin, pas tout à fait, parce qu’elle a son chat, fidèle lui. R. a choisi de s’enfuir. On serait censé de d’écrire comme le font souvent les hommes, sans une explication. Sans dire adieu. Du coup, elle va s’en charger. Elle va écrire son adieu, rembobiner le film et nous dire comment tout a commencé, comment cinquante fois leur histoire a failli finir et comment cinquante fois, ils se sont retrouvés. Parce que, comme le chante Françoise Hardy, elle aimerait comprendre: «Tu as mis à l’indEX / Nos nuits blanches, nos matins gris-bleu / Mais pour moi une EXplication vaudrait mieux.»
Après Françoise Hardy, défileront dans un bel éclectisme Selena Gomez, George Harrison, Mireille et Jean Sablon, Étienne Daho et tous les autres que vous retrouverez dans la playlist ci-dessous. EXplication de texte mais aussi des mélodies qui vous entrainent que la romancière accompagne souvent de parenthèses – et quelquefois de parenthèse dans la parenthèse – pour nous dire son état d’esprit.
« C’est quand qu’on arrête d’écrire des chansons d’Amour? Tout n’a-t-il pas déjà été dit? Sur tous les tons? Chanté? Chuchoté? Hurlé? Scandé? Psalmodié? Eh ben, on n’arrête pas. On s’entête. Tout ça me va très bien, je suis entêtée de nature. Avec un terrain addictif à livrer ma tronche à la neurobiologie après ma mort. »
Cette manière de dire sa vie à travers la musique, à travers des paroles qui touchent font l’originalité de ce premier roman en même temps qu’elle en marque les limites. Car sans les références, sans le bruit et la fureur que véhiculent certains morceaux, il est quelquefois difficile de suivre.
Mais il n’en reste pas moins une écriture, une originalité que l’on prendra plaisir à suivre. Ce livre n’est pas un adieu, mais un au revoir.

Playlist
Comment te dire adieu, Françoise Hardy (1968)
Love You Like a Love Song, Selena Gomez and the Scene (2011)
Isn’t It a Pity ? George Harrison (1970)
Puisque vous partez en voyage, Mireille et Jean Sablon (1936)
Les Voyages immobiles, Étienne Daho (1991)
Delilah, Florence and the Machine (2015)
Give Him a Great Big Kiss, The Shangri-Las (1965)
Secret Garden, Bruce Springsteen (1995)
Dreams, Fleetwood Mac (1977)
You’re So Vain, Carly Simon (1972)
Mess Is Mine, Vance Joy (2014)
Gnossiennes 1, 2, 3 et Gymnopédie 1, Erik Satie (1893 et 1888)
Here You Come Again, Dolly Parton (1977)
… et, I Ain’t Mad at Cha, Tupac Shakur (1996)

Comment t’écrire adieu
Juliette Arnaud
Éditions Belfond
Roman
144 p., 17 €
EAN : 9782714479938
Paru le 6 septembre 2018

Où?
Le roman se déroule en France, de Saint-Étienne à Paris

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
« J’ai l’intuition que les chansons nous attendent. J’ai toujours aimé Comment te dire adieu. Il aura fallu R. et sa fugue finale, sans annonce, sans explication, mais blindée de fausseté, pour que je l’entende. La chanson m’attendait, les chansons nous attendent tous. »
À 45 ans, Juliette se retrouve face à elle-même, avec le cœur déchiré et l’envie de rire de tout. Elle se repasse alors les 14 titres de sa bande originale, d’Étienne Daho à Dolly Parton, sans oublier Bruce Springsteen, 14 pop songs qu’elle a écoutées religieusement et dont elle connaît les paroles par cœur. Pourquoi sa vie chante-t-elle tout à coup si faux? Qu’est-ce qui a mal tourné? Elle a pourtant suivi à la lettre ce que les refrains suggéraient. Elle a scrupuleusement appliqué les adages de chacun des couplets.
À défaut de réponse, puisque R. est parti sans un mot, Juliette va s’y coller, à écrire adieu. Elle essaiera d’être drôle et elle sera sincère, pour comprendre, peut-être, que tout ce qui mène à la fin d’une histoire d’amour, on le porte en soi.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Livres Hebdo (Cécilia Lacour)
Actualitté (Clémence Holstein)
Blog Baz’Art
Blog Moka – Au milieu des livres
Blog Chronicroqueuse de livres
Blog Les paroles s’envolent 

Les premières pages du livre
« J’ai l’intuition que les chansons nous attendent.
J’ai toujours aimé Comment te dire adieu.
La batterie d’abord, le piano aussi agaçant qu’une comptine enfantine, et puis la voix chantée et digne de Françoise Hardy que les trompettes moquent un peu. Quand elle parle et ne chante plus aussi, avec comme une nuance de vocodeur, les violons pour sentimentaliser l’affaire.
J’ai admiré Gainsbourg et ce modèle parfait d’allitération en EX, presque aussi parfait techniquement que celui en INGUE/ANG de Comme un boomerang.
Oui, je l’ai toujours beaucoup aimé et admiré.
Il aura fallu R. et sa fugue finale, sans annonce, sans EXplication, mais blindée de fausseté, pour que je l’entende.
La chanson m’attendait, les chansons nous attendent tous.
Plus de deux années de liaison, plus de huit saisons, et pas d’adieu. C’est la première réflexion que je me suis faite.
Il ne m’a pas dit adieu.
Il ne l’a pas jugé utile. C’est son droit, j’imagine, comme c’est le mien d’attraper, au hasard d’une lecture, le vade-mecum de Montherlant quand il fait dire à l’un de ses personnages, Costal : « Apprends qu’un écrivain a toujours le dernier mot. »
«Comment te dire adieu»: je vais m’y coller.
Que veux-tu, R.! J’ai Costal de mon côté et puis, j’ai été élevée comme ça, la politesse, tout ça tout ça.
Je viens seulement de piger, après des décennies à l’aimer et à l’écouter, cette chanson, que le mot important n’est pas «adieu», c’est «dire».
Et crois-moi, mon pauvre, je vais dire.
Parenthèse nécessaire: cons de chats/pitoyables humains
«I don’t wanna play in your yard / If you can’t be good to me», H. W. Petrie, 1894.
C’est pas compliqué, non?
C’est pas compliqué comme une chanson de gosses, avec un qui dit à l’autre : «Moi, je viens plus jouer dans ta cour si tu ne peux pas être gentil avec moi.»
Cette base-là, cette petite idée enfantine, à être appliquée, nous sauverait les miches à nous, adultes.
Et puis, il y a les chats. Et certains humains.
Et moi qui ai vu, il y a longtemps, à la télé, un reportage dans un pays de très grand froid et de glace, où une femme s’était mis en tête d’apprivoiser un chat sauvage.
Elle posait de la nourriture pour lui devant sa maison.
Il venait depuis des mois, petit à petit elle s’approchait, mais à chaque avancée de main décisive, celle qui permettra d’enfin toucher la fourrure, le chat sauvage à moitié éborgné et crasseux lui crachait dessus, à la dame.
Alors elle retirait vivement sa main, regardait la caméra en riant d’elle, de lui, d’eux deux, je suppose, et recommençait invariablement.
Elle, la dame du pays froid: «C’est pas grave, c’est normal, c’est un chat, c’est sa nature…», etc., jusqu’à la nausée, mais je vous (nous) épargne toutes ses considérations biologiques/psychologiques/angéliques.
Lui, le chat: «Bah oui. Personne n’a dit que je devais quelque chose en échange. C’est pas moi qui lui ai demandé, à cette conne. Qu’elle baise la trace de mes pieds divins et ça va bien.»
Je suis la dame, R. est le chat.
Parenthèse fermée »

Extraits
«Tu as mis à l’indEX / Nos nuits blanches, nos matins gris-bleu / Mais pour moi une EXplication vaudrait mieux.»
Les gens qui se quittent se le disent. Ils donnent une EXplication.
La plupart du temps, je le sais bien, ceux qui partent tâtonnent autour de la vérité.
Tâtonnent seulement parce que : la lâcheté, la fatigue, le désir de ne pas faire plus de mal.
Je me souviens d’une fois où il m’a semblé être au plus proche de la vérité en disant à un homme : «Je ne t’aime plus.» C’était tout à fait vrai puisque ça contenait «je t’ai aimé».
Je me souviens de son visage à ce moment-là : tout espoir s’est évanoui d’un seul coup. J’ai failli revenir là-dessus, tenter de dire quelque chose pour amoindrir le choc, mais j’ai tenu bon. Et il est parti.
R. m’a quittée une bonne cinquantaine de fois, sans exagération, entre le début et la fin de notre liaison. »

« C’est quand qu’on arrête d’écrire des chansons d’Amour?
Tout n’a-t-il pas déjà été dit? Sur tous les tons?
Chanté? Chuchoté? Hurlé? Scandé? Psalmodié?
Eh ben, on n’arrête pas. On s’entête.
Tout ça me va très bien, je suis entêtée de nature. Avec un terrain addictif à livrer ma tronche à la neurobiologie après ma mort.
On s’entête, et même, parce qu’on n’est ni idiot ni ignorant, on le dit au début de la chanson: « Tout a été dit et fait / Toutes les belles pensées ont déjà été chantées. » »

À propos de l’auteur
Juliette Arnaud est comédienne, dramaturge et chroniqueuse sur France Inter. Par ailleurs, elle danse comme une Allemande, entretient une relation névrotique avec ses cheveux et s’est fait tatouer en souvenir de son chien, Gros. Comment t’écrire adieu est son premier roman. (Source : Éditions Belfond)

Page Wikipédia de l’auteur

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Deux mètres dix

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En deux mots:
Deux championnes de saut en hauteur et deux haltérophiles, l’un et l’autre américains et kirghizes s’affrontent pour prouver qu’ils sont les meilleurs au monde. Mais au-delà de leur histoire personnelle, on découvre un combat politique féroce où tous les coups sont permis.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Champion ou marionnette?

Jean Hatzfeld continue à explorer le monde du sport dans son nouveau roman qui confronte l’Amérique et l’Union soviétique entre 1980 et 1984 à travers les portraits de deux championnes de saut en hauteur et de deux haltérophiles. Cruel et beau.

Le nouveau roman de Jean Hatzfeld a réveillé en moi des souvenirs et des émotions liées à mon adolescence et à ma famille, même si le sujet peut sembler à priori bien éloigné de cet univers. Dès 1972 et les Jeux olympiques de Munich, mon père a décidé de participer à la grande fête du sport. Il a été retenu comme bénévole et nous avons été retenus à la maison, condamnés à suivre les épreuves devant notre téléviseur. À son retour, le récit de son expérience nous a enthousiasmé, en particulier les tournois de boxe et d’haltérophilie qu’il a pu suivre sur scène et en coulisses. Pratiquant l’athlétisme, j’ai alors décidé que j’irais mois aussi partager cette expérience. Mon rêve s’est réalisé en 1976 à Montréal.
Et si le roman se base sur les jeux suivants, en 1980 à Moscou (boycotté par les États-Unis) et en 1984 à Los Angeles (boycotté par l’Union soviétique), j’ai bien retrouvé l’ambiance très particulière qui règne alors et cette tension dans la course aux records et aux médailles.
Jean Hatzfeld choisit de dresser le portrait de quatre athlètes désormais retraités pour raconter ce combat entre l’est et l’ouest, entre les deux systèmes politiques qui entendent chacun démontrer leur supériorité.
Il y a d’abord Sue Baxter, la championne de saut en hauteur américaine et Tatyana Izvitkaya, sa rivale du Kirghizistan devenue Tatyana Alymkul. C’est leur rivalité pour un record du monde mythique qui donne son titre au roman.
En complément, et sans doute pour montrer le contraste entre la grâce et la fluidité de la discipline féminine, l’auteur nous raconte la rivalité dans une discipline où la puissance et la force physique dominent: l’haltérophilie incarnée ici par Randy Wayne et Chabdan Orozbakov.
Avant de dire un mot du contexte de l’époque, soulignons que ces quatre athlètes sont nés de l’imagination du romancier, mais résument parfaitement ce que le journaliste a vu et rapporté dans ses articles (l’auteur était alors envoyé spécial aux J.O. pour Libération).
Emboîtant le pas à Vincent Duluc qui a retracé les parcours de Kornelia Ender et Shirley Babashoff et leur combat lors des Jeux Olympiques de Montréal (j’y étais!), Jean Hatzfeld fait du corps des athlètes le symbole de la guerre froide, des gymnases le champ d’une bataille politique épique et des entraîneurs les émissaires d’un système qui n’hésite pas à recourir aux substances dopantes et au chantage pour assouvir le besoin de gloire des dirigeants. Ou quand le reporter sportif se souvient qu’il a aussi été reporter de guerre.
Il y a du reste de la mélancolie de l’ancien combattant dans cette rencontre, des années après, entre des athlètes qui ont été plus manipulés qu’acteurs de leur destin, plus marionnettes du pouvoir que héros. Leur corps est abîmé et leurs illusions se sont envolées. L’alcool et la drogue ont remplacé les amphétamines et les anabolisants. Dur constat, triste réalité.

Deux mètres dix
Jean Hatzfeld
Éditions Gallimard
Roman
208 p., 18,50 €
EAN : 9782072799914
Paru le 23 août 2018

Où?
Le roman se déroule aux États-Unis et dans l’ancienne Union soviétique, plus précisément au Missouri et en Arizona ainsi qu’au Kirghizistan. On y évoque aussi les lieux de compétition tels que Helsinki, Moscou et Los Angeles.

Quand?
L’action se situe de 1980 à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
« — 2,10 mètres, dit Sue.
— Oui, 2,10 mètres, alors?
— Depuis le temps, des filles l’ont passé?
— Non, j’ai entendu qu’elles se cognent toujours le nez dessus.
— Tu en dis quoi?
— Je ne sais pas. La barre nous attend.»
Histoire de quatre sportifs de très haut niveau, entre les Jeux olympiques de 1980 et aujourd’hui: deux champions haltérophiles, un Américain du Missouri et un Kirghize ; deux sauteuses en hauteur exceptionnelles, une jeune Américaine et une Kirghize d’origine koryo-saram. Leurs rivalités sont mêlées d’admiration et d’incompréhension réciproques, parfois extrêmes, qui, des années plus tard, donneront lieu à des retrouvailles inattendues dans les montagnes kirghizes.
Jean Hatzfeld raconte l’univers sportif dans le contexte tendu de l’époque (guerre froide, déportations dans le bloc soviétique…) qui cabossera ses héros. Il porte aussi un regard très aigu sur les gestes des champions jusqu’à rendre poétiques les sauts en hauteur de Sue et Tatyana et leurs corps délivrés de la pesanteur. Les haltérophiles sont peints dans la puissance héroïque de leur musculature et de leurs rituels, telles des créatures fabuleuses.
Quatre destins qui se croisent, quatre portraits inoubliables.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
L’Express (entretien croisé avec Vincent Duluc)
France Inter ¬– Le 80’ de Nicolas Demorand
L’Humanité (Muriel Steinmetz)
Les Échos (Philippe Chevilley)
La Grande Parade (Serge Bressan)


Jean Hatzfeld présente son roman Deux mètres dix © Production Librairie Mollat

Les premières pages du livre
« Un mobile home
Depuis un moment les merles ne chantaient plus, ils babillaient à peine et Sue le percevait. La chaleur dans le mobile home confirmait une matinée bien avancée.
Le drap dont elle avait recouvert sa tête ne pouvait plus duper son esprit embrumé. Elle finit par céder à une fatalité qu’elle savait impitoyable et ne repoussa pas
davantage l’attaque de la migraine que provoquerait son premier geste.
Sue se redressa d’un coup pour s’asseoir au bord du lit. Remarquant l’absence de culotte, elle fit la moue, tâtonna du bout des doigts entre ses jambes afin de vérifier si en plus elle n’avait pas couché. Elle tendit ses longues jambes bronzées, s’amusa à faire saillir ses muscles en rapides contractions. Sans fierté, seulement ravie, elle les contempla une nouvelle fois. Mes îlots de beauté qui résisteront à tout, pensa-t‑elle. Du bout du pied, elle ramena une jupe et un tee-shirt qui traînaient par terre. Les merles savouraient les derniers recoins d’ombre dans les branches des séquoias, avant qu’elle ne soit absorbée par le soleil qui frappait d’en haut. Ils s’avancèrent sur une branche, les mâles en plastron noir, les dames en chemisier roux, foulard blanc, et saluèrent d’un trille flûté. Merci, merci, les amis. Éblouie par la lumière, les mains serrant une tasse de café, Sue se posa en haut du marchepied et observa dans l’herbe les bouteilles et les mégots éparpillés. Encore une lame de fond d’ivresse qui l’avait échouée en vrac, sans nausée. Ça la paniqua presque. Elle fut tentée de se glisser deux doigts dans la gorge. Elle eût souhaité vomir son dégoût contre un arbre, même sous le regard des passants, comme ça lui était déjà arrivé, ou hoqueter sa bile, vider la saleté au bord de sa cuvette, pleurnicher de fureur.
Au loin, en bordure d’une prairie, une file de silhouettes se dirigeait vers l’entrée de l’Old Coyote Park. Un chien vint par-derrière fourailler de son museau les mains de Sue jusqu’à les ouvrir.
— Hi, young fellow!
Il tenta en trois bonds de l’entraîner vers les arbres, mais comprit que ce n’était pas le jour, revint la dévisager, s’abstint de frétiller de la queue ou de pencher sa tête avec de grands yeux affectueux et toutes sortes de minauderies qui ne marchaient pas avec elle. Elle lui souffla sur la truffe. Sue aimait sa gaieté, lui aimait la gentillesse de Sue, sa gaieté aussi et ses sautes d’humeur.
C’était le chien du mobile home d’à côté, dont le maître passait ses jours et ses nuits à démonter des carburateurs dans une casse de Sunny Slope.
Deux coups de klaxon, la voiture du facteur arriva, qui lui tendit une lettre :
— Hello, Sue, si jolie. Tiens.
Sue fit tourner l’enveloppe verte dans ses doigts :
— Regarde ces caractères, ces timbres, on dirait des russes.
— Tes fans se cachent jusqu’au bout du monde, et fidèles ! À plus, Sue.
Le papier rugueux intriguait Sue qui retrouva sa marche d’escalier, fit tourner une nouvelle fois le pli avant de l’ouvrir. Écrite au stylo à plume, la lettre débutait ainsi :
« Chère Susan,
Je m’appelle Tatyana Alymkul, mais tu m’as connue sous mon nom russe, Tatyana Izvitkaya. Peut-être te souviens-tu, nous nous sommes rencontrées à Helsinki en 1982. Un journaliste français est venu la semaine dernière pour me poser un tas de questions. Il voulait tout savoir sur cette époque. C’est lui qui m’a rappelé ce concours d’Helsinki. Il y avait assisté, et m’a demandé une foule insensée de détails, il s’imaginait que j’y pensais chaque matin. J’espère que tu n’en gardes pas un mauvais souvenir et que cette lettre ne réveille pas des sentiments désagréables. Nous avons donc parlé de la dernière barre, de l’orage et de toi, beaucoup de toi, bien sûr. Ce journaliste m’a parlé des soucis et des difficultés que tu affrontes depuis quelques années. J’ai abandonné le monde de l’athlétisme depuis longtemps, je suis retournée chez moi, au Kirghizistan. C’est un petit pays inconnu. Je vis dans une maison en bois peinte en bleu. Dans la rue, d’autres maisons sont rouges ou vertes.
Elle se trouve dans un village en montagne. Il fait très froid l’hiver, le blanc s’accorde au paysage. L’été, les journées sont chaudes, et en cette saison les arbres se parent de belles couleurs. Une rivière coule dans le village. Nous aimons cette rivière. Il y a un lac plus haut, on s’y baigne en été. Partout autour, des dizaines de milliers de chevaux et de moutons. Les chevaux sont de bonne compagnie en période chahutée, nos moutons aussi, crois-moi. La montagne te voudrait du bien. Une chambre t’attend. Elle est meublée de tapis de chez nous et de jolies étoffes. Elle donne sur un jardin. Il est en fouillis car je jardine mal. Les fleurs se disputent tant elles s’y plaisent. Ça me ferait plaisir que tu viennes, le temps que tu veux. On se promènera, on parlera seulement de ce que tu veux… »

Extrait
« C’est dans ce parc, un matin à l’aube, qu’Earl l’avait découverte alors qu’il traitait les arbres avant l’arrivée de la foule. Elle gisait inerte sous un taillis. La grande taille de ce corps féminin d’abord l’étonna. Puis le survêtement tricolore l’intrigua ; de plus près, il reconnut l’écusson des équipes américaines. Un pied avait perdu sa chaussure, aucun sac ne traînait alentour. Elle se tenait recroquevillée sur le côté, ses longs cheveux emmêlés recouvraient son visage, l’immobilité laissait penser à un sommeil profond. Lorsqu’il lui tapota l’épaule, elle tourna vers lui des yeux grands ouverts, un visage boursouflé par l’alcool, marqué de taches violacées, probablement des coups, s’inquiéta Earl. (…) Soudain, une intuition. Ça ne peut pas être elle! Elle l’entendit, il fallut qu’elle bredouille son nom pour qu’il admette qu’elle était Sue Baxter, il n’y a encore pas si longtemps le visage le plus célèbre de la ville. »

À propos de l’auteur
Jean Hatzfeld est né en 1949 à Madagascar. Petit-fils de l’archéologue et helléniste français du même nom (Jean Hatzfeld, mort en 1947), fils d’un professeur de philosophie et d’une infirmière, Jean Hatzfeld passe son enfance en Haute-Loire et en Corrèze. Il entre au journal Libération dans les années 1970 et y créée avec Serge Daney, Homeric et JP Delacroix, le premier service des sports, domaine jusque là négligé voire méprisé par la rédaction du journal. Jean Hatzfeld exerce alors sa plume au sein de cette rédaction, «car le sport c’est de la littérature, avec sa mythologie, ses codes, sa langue, ses personnages et ses histoires».
Jean Hatzfeld découvre la guerre « par hasard », à l’occasion du remplacement d’un confrère au Liban en 1979. Fasciné par cette expérience «métallique», il s’engage dans le grand reportage et le reportage de guerre. Il couvre pour son journal, le début du conflit en ex-Yougoslavie, «** je suis parti quand les premiers obus sont tombés sur Sarajevo»** et publie des articles «où l’horreur et le naturel donnent une étrange couleur» (Le Figaro). Grièvement blessé par un sniper près de l’aéroport de Sarajevo le 29 juin 1992, Jean Hatzfeld publie son premier livre en 1994 aux éditions de l’Olivier (L’air de la guerre), où il vide son carnet de notes et raconte le quotidien de la guerre sur les routes des Balkans. En 1994, la découverte du génocide Tutsi au Rwanda sera l’occasion pour le journaliste, de s’interroger sur le sens de cette terrible extermination. Nourrissant cette expérience par ses lectures de Primo Levi et Hannah Arendt, il passe dix ans «au bord des marais à regarder passer les fantômes», et délaisse sa plume de journaliste pour celle de l’écrivain. Il consacre une trilogie sur son expérience rwandaise, réalisée à partir de témoignages recueillis auprès de rescapés ou de bourreaux: Dans le nu de la vie , Seuil 2000, Une saison de machettes , Seuil 2003, La stratégie des antilopes , Seuil 2007. Ayant définitivement quitté la rédaction du journal Libération en 2006, Jean Hatzfeld publie un roman en 2011, Ou en est la nuit (Gallimard), une enquête menée par un jeune reporter français en Éthiopie, découvrant l’étrange histoire d’un athlète et marathonien nommé Ayanleh Makeda. (Source: France Inter)

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JAMBON_PUILLET_Objet-trouve
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En deux mots:
Une femme habillée de latex est retrouvée morte dans un appartement de Lyon. Dans la pièce attenante, un homme prostré. L’enquête qui commence va nous entraîner dans le milieu BDSM de Lyon, mais aussi nous offrir une réflexion sur la sexualité et la quête de la jouissance, sur le couple et sur… la vie de famille!

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Maîtresse et esclave

Sabrina est retrouvée morte dans son appartement de Lyon. En racontant l’enquête qui suit Matthias Jambon-Puillet nous offre un premier roman qui explore une face cachée de la sexualité. À la fois étonnant, sans tabous, et surprenant.

Attention, livre chaud, livre choc! Cet Objet trouvé n’est pas à mettre entre toutes les mains, même s’il nous dévoile un pan fort intéressant de la sexualité connu sous le sigle BDSM et dont Wikipédia nous apprend qu’il signifie «Bondage, Discipline, Sado-Masochisme» et «désigne une forme d’échange sexuel contractuel utilisant la douleur, la contrainte, l’humiliation ou la mise en scène de divers fantasmes dans un but éro-gène. Au centre des pratiques sadomasochistes et fondé sur un contrat entre deux parties (pôle dominant et pôle dominé)».
Avec l’histoire de Marc, Matthias Jambon-Puillet va nous en offrir une illustration sai-sissante. Marc, c’est cet homme retrouvé par une brigade de pompiers un immeuble de la Croix-Rousse à Lyon. Chargée de vérifier si une jeune femme dont on est sans nouvelles depuis plusieurs jours est toujours en vie, elle va tomber sur le corps sans vie de Sabrina, ligotée dans une tenue de cuir qui ne couvre qu’un minimum de ses attributs généreux et sur cet homme prostré, recroquevillé dans la pièce attenante.
L’enquête commence. Elle va nous permettre, grâce à l’habile construction du roman, de découvrir petit à petit comment on en est arrivé à ce drame. Comment Marc a sou-dain basculé d’une vie à une autre. Comment, le soir de l’enterrement de sa vie de garçon, il a disparu, laissant Nadège, sa fiancée, désemparée. D’autant plus que, quelques mois plus tard, elle donnera naissance à un petit garçon qu’elle appellera Enzo.
L’habile construction du roman, qui fait alterner les points de vue, nous permet de suivre Marc et Sabrina – le dominé et la dominante – ainsi que Nadège et Enzo qui essaient de se construire un avenir avec Antoine. Jusqu’à ce fameux fait divers qui va remettre Marc dans la vie de Nadège. C’est l’heure des questions, des remises en cause, des doutes: «J’espère que je n’étais pas à côté de la plaque; pas pendant toutes ces années avec toi. Je crois que ce serait ça, le pire, que je sois passée à côté de qui tu es vraiment». Mais c’est aussi un formidable jeu de la vérité où les masques vont tomber les uns après les autres.
Évitant tout manichéisme, Matthias Jambon-Puillet nous propose une réflexion aigüe sur les liens qui unissent un homme et une femme, sur la quête de l’harmonie sexuelle, sur les limites du pouvoir que l’on peut avoir sur une personne et sur la pos-sibilité – ou non – de changer après avoir été pris dans un tel engrenage. Un premier roman parfaitement maîtrisé et une jolie performance, car avec un tel sujet les risques de dérapages étaient très nombreux.

Objet trouvé
Matthias Jambon-Puillet
Éditions Anne Carrière
Roman
200 p., 18 €
EAN : 9782843379215
Paru le 31 août 2018

Où?
Le roman se déroule en France, principalement à Lyon et Villeurbanne. On y évoque aussi un voyage jusqu’au Saintes-Maries-de-la-Mer

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Le soir de son enterrement de vie de garçon, Marc disparait, laissant seule sa fiancée, Nadège, enceinte de leur premier enfant. Trois ans plus tard, alors que Nadège a refait sa vie, on retrouve Marc: nu, dans une salle de bain, bras menottés dans le dos. Dans la pièce voisine, quelqu’un est mort – une femme gainée de cuir. Qui était-elle? Que s’est-il passé durant ces années? Et, surtout, quel futur pour Marc et Nadège?
Derrière l’énigme apparente se cache une histoire simple qu’il faut reconstituer, celle de trois personnes qui se cherchent, se frôlent, et doivent choisir comment mener leur vie.
Dans ce roman, Matthias Jambon-Puillet donne à voir un triangle amoureux atypique, qui trouve sa réalisation dans l’exploration des sexualités alternatives. C’est aussi, en filigrane, une réflexion sur la masculinité, l’engagement et la quête de la jouissance.

68 premières fois
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Les autres critiques
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Les Echos (Esther Attias)

Les premières pages du livre
« Prologue
Thibaut est l’homme par lequel l’histoire commence. C’est là son rôle. Il n’en avait pas conscience quand il s’est engagé dans les pompiers volontaires. Lui, ce qu’il s’imaginait du métier, c’était surtout sauver des vies, la camaraderie, le feu. Après plu-sieurs années de service, il connaît maintenant l’enjeu véritable. Il a accepté cette nouvelle fonction. Lorsqu’une intervention se déroule sans accroc, lorsqu’il sauve quelqu’un, résout un problème bénin, lui et son équipe ne font que maintenir la situa-tion initiale en place. «Non, vous ne mourrez pas aujourd’hui.» «Non, votre apparte-ment ne partira pas en flammes.» «Non, votre chat n’est pas perdu.» «Je n’ai rien à vous apprendre si ce n’est que vous avez évité le pire, que la vie continuera sans heurt.» Le revers de la médaille du mérite, ce sont toutes les tragédies, les catas-trophes, les arrivées trop tard. Dans ces cas-là, Thibaut constate, consigne et commu-nique l’information. Il est l’étincelle de la réaction en chaîne qui s’apprête à tout dévas-ter.
Il pense à tout ça, Thibaut, pendant que son collègue tape aux portes du petit im-meuble montée de la Grande-Côte, en plein milieu des pentes de la Croix-Rousse. La mission de ce lundi matin consiste à s’assurer qu’une jeune femme, dont on est sans nouvelles depuis plusieurs jours, est toujours en vie. Thibaut n’aime pas intervenir dans le quartier. Foule de complications que cet enchevêtrement de maisons sur ter-rains pentus, tous ces bâtiments de pierre qui se mêlent les uns aux autres, cousus entre eux par d’étroits escaliers en colimaçon. Par exemple, le petit groupe ne peut pas pénétrer dans l’appartement par la fenêtre, comme ils procéderaient s’il s’agissait d’un immeuble récent. Alors, avant d’enfoncer l’épaisse porte d’époque, et en l’absence de gardien, on interroge les voisins. «Quelqu’un a-t-il une clef?» Les col-lègues de Thibaut tambourinent, s’excusent, expliquent. Le cirque dure cinq étages et dix bonnes minutes avant que l’équipée ne s’avoue vaincue. Ils auront essayé. Thi-baut enfile ses lunettes de protection, retrousse ses manches, attrape le pied-de-biche qu’on lui tend.
Le pompier fléchit les jambes, raidit le dos, accélère le pouls. Il fiche d’un coup net la pointe de la barre en métal au niveau de la serrure, entre la porte et son cadre. Thibaut contracte des années de renforcement musculaire. Poignets, avant-bras, biceps, tri-ceps, épaules et pectoraux besognent de concert pour maximiser la pression contre le montant. La peinture s’écaille, le bois plie. La barre vient appuyer contre le verrou. Il ne s’agit dès lors plus que d’une question de force, jusqu’au point de rupture, là où les lois de la physique termineront le travail. Le reste de l’équipe s’écarte.
Le bruit fascine, la chair de bois qui hurle, le métal de la serrure que l’on pousse, c’est une lente agonie. La porte cède dans une gerbe d’échardes. Thibaut, pris de court, titube en arrière, on le rattrape. Ses muscles tremblent de la différence de sollicitation, passés de tout à rien, ses doigts restent crispés autour du métal. On lui reprend le pied-de-biche. La porte achève de s’ouvrir, soulagée parce que vaincue.
– Est-ce qu’il y a quelqu’un? Madame, c’est les pompiers. Est-ce que tout va bien?
Pas de réponse, pas même d’écho, aucun bruit, Thibaut pénètre dans l’appartement. Une entrée avec portemanteau, petit meuble orné de bibelots et courriers ouverts au-tour duquel se prosternent des chaussures alignées avec soin. Le couloir aux murs nus s’enfonce quelques mètres vers l’intérieur, enjambe une petite cuisine séparée pour arriver au salon. Plafond haut, poutres et pierres apparentes, la décoration est froide: meubles de verre et de métal, pas de magazines jetés en vrac sur le canapé. Seule source de chaleur au milieu du minimalisme, plusieurs étagères de livres habil-lent un renfoncement. L’appartement se déploie via une mince marche qui donne sur un second couloir. Thibaut remarque une ligne de démarcation en forme de relief sous le plâtre qui court du sol au plafond au niveau de la marche: il pénètre dans l’im-meuble voisin. Le logement s’étend entre deux bâtisses distinctes. Typique du quar-tier, datant de l’époque où les ateliers textiles ont été convertis en souricières pour la petite classe moyenne. »

Extraits
« – On m’a dit que tu n’obéissais qu’aux infirmières, pas aux médecins ni aux policiers. Tu ne réponds pas à leurs questions. C’est pour ça que tu es encore suspect. À moins que ce ne soit pour ça que tu n’es pas encore coupable. Je ne sais pas qui elle était ni ce qu’elle t’a fait et maintenant elle est morte. Je ne peux pas lui demander. Elle ne peut pas me répondre. Peut-être même qu’elle ne t’a rien fait, peut-être que tu étais toujours comme ça, planqué quelque part au fond. Notre couple n’était pas parfait, je me souviens de chaque engueulade, ces moments où on a bien cru en rester là. Et parce que tu confiais tes doutes et frustrations, je pensais te connaître. J’espère que je n’étais pas à côté de la plaque; pas pendant toutes ces années avec toi. Je crois que ce serait ça, le pire, que je sois passée à côté de qui tu es vraiment. La vérité, c’est que je n’en sais rien. Et sans cette femme, il n’y a que toi qui peux me dire. »

« « Quoi? » demande-t-elle? « Aucune importance en fait », répond-il. Les plans ont chan-gé, il est temps de prendre ses responsabilités. Il compte l’annoncer ce soir: sa fiancée est enceinte. Ce n’était pas prévu. Mais il ne regrette pas, promis. Elle veut le garder et lui veut faire ce qu’il faut, Sabrina ne comprend pas, en quoi l’enfant change tout, qu’est-ce qu’il l’empêche de continuer à étudier? Marc lève les yeux, regarde le ciel. Un enfant, c’est une responsabilité, morale, financière. Il doit se marier, il doit mettre la fac de côté, le temps de se stabiliser. D’ailleurs, ses parents l’y encouragent, feront ce qu’il faut pour les soutenir. Ils en ont beaucoup parlé, ils y tiennent. Son ami Nicolas lui a proposé de prendre une place à son atelier, en menuiserie, au moins les premières années du bébé. Ce ne sera pas si mal. Si le cœur de Sabrina continue à battre, ce n’est plus de désir. »

À propos de l’auteur
Né à Lyon en 1986, Matthias Jambon-Puillet vit à Paris. Il travaille dans le milieu du divertissement et des nouvelles technologies. Objet trouvé est son premier roman. (Source : Éditions Anne Carrière)

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