Le rituel des dunes

LeVieuxJardinAW+

En deux mots:
Quand Roetgen débarque à Tientsin, cet expatrié venu du Brésil, a tout pour déprimer. Mais le nord de la Chine lui réserve quelques surprises, à commencer par l’excentrique Beverly. Leur liaison va provoquer quelques remous au sein de la communauté, allant même jusqu’à déstabiliser le régime. On se régale!

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Le clan des expats

Roetgen, Beverly, Warren et les autres… Les expatriés de Tientsin vont nous entraîner dans une aventure échevelée, servie par la plume truculente de Jean-Marie Blas de Roblès, au meilleur de sa forme.

L’absorption d’une bonne dose de whisky permet des conversations plus libres, détachées des convenances et permet d’oublier un peu le spleen des expatriés, surtout à Tienstsin, au nord de la Chine. Roetgen et Beverly vont en apporter une nouvelle preuve. Lui arrive du Brésil, elle est déjà un pilier de la communauté des expatriés. Et si la belle américaine est plus âgée, elle est aussi plus excentrique: «Chez moi, tout est plus facile. Chez moi, c’est Key West, et pas ailleurs. Et, à Key West, quand deux personnes se rencontrent et réalisent que faire l’amour leur procurerait du plaisir, eh bien ils baisent ensemble. Boire, danser, le soleil, faire l’amour… Ça, c’est Key West! Cela me surprend toujours, dans le monde (c’est-à-dire hors de Key West), comment les gens compliquent les choses à loisir.»
Roetgen oublie ses principes et se laisse séduire.
«Vers deux heures du matin, alors qu’ils gisaient sur le lit, trop épuisés pour dormir, Beverly avait insisté pour qu’il lui raconte une histoire. Elle savait qu’il écrivait, un de ses «informateurs» à l’Institut où il enseignait lui avait même appris qu’une de ses nouvelles venait de paraître en traduction dans une revue de Shanghai.
Roetgen s’était plié à l’exercice: content d’évaluer son texte à haute voix, il lui avait lu le début de Section découpage des porcs, un polar qu’il s’amusait à écrire par correspondance avec Hermelin, son ami de Pékin, chacun inventant la suite de l’intrigue à partir des pages qu’il recevait.» L’imagination fertile de Roetgen va alors nous entraîner dans les méandres d’un pays traversé de mystères, de légendes bien vivaces et de sociétés bien secrètes, le tout agrementé d’espionnage et d’une surveillance étroite.
Jean-Marie Blas de Roblès n’a pas son pareil pour nous entraîner dans ce type d’univers. Un peu comme dans L’Île du Point Némo, il mêle à son contexte historique et ragots, littérature et vieilles croyances.
Au sein de ce microcosme constitué par la colonie des expatriés et des Universitaires, la chose est aisée, tant les individus sont névrosés: «À l’instar de toutes les communautés étrangères résidant en Chine, la proportion de déséquilibrés, d’ivrognes et de malades mentaux y dépassait très largement le taux admis par les statistiques, et chaque semestre avait régulièrement son lot de suicides ou de rapatriés sanitaires.»
On se régale à suivre ce «con de Lafitte», un Québécois pur sirop d’érable, chargé de «polir les dépêches destinées à la France et aux pays francophones», Warren pour lequel la station balnéaire de Beidaihe est l’endroit idéal pour oublier tous ses soucis, Marylou l’Américaine qui va finir dans le coma, Hugo l’Allemand qui «commence à débloquer» lorsqu’il retrouve des traces de son père Albrecht, en poste de 1930 à 1950. On croisera aussi une Danoise avec de fausses dents, une Japonaise douée avec sa langue, des Japonais et, bien entendu, quelques Chinois qui viendront pimenter ce récit jusqu’à l’épilogue, lorsque la malédiction du Four Roses va à nouveau frapper.
Laissez-vous emporter dans ce labyrinthe à la prose hypnotique où se mêle les histoires et les époques, les rêves et les (dés)illusions.

Le Rituel des dunes
Jean-Marie Blas de Roblès
Éditions Zulma
Roman
276 p., 20 €
EAN : 9782843048432
Paru en janvier 2019

Où?
L’action se situe en Chine du Nord, à Tientsin, à Pékin, à Beidaihe, Macao. On y évoque aussi les États-Unis avec Key West, New York, ou encore Détroit, l’Afrique avec Mombasa et le Brésil avec Fortaleza.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Dans un petit milieu d’expatriés, joyeusement délétère et décalé, Beverly, l’Américaine, fait figure de brillante excentrique. Elle n’a aucune limite, mène sa vie comme au casino, et ne vit que par passion. Elle est exubérante, impulsive : irrésistible.
Quand Roetgen débarque sans transition du Brésil à Tientsin, mégapole glaciale du nord de la Chine, il est séduit par cette femme inouïe, de vingt ans son aînée. Comme une Shéhérazade en ombre chinoise, Beverly, qui a vécu (ou fantasmé) mille vies rocambolesques, des plus sordides aux plus éclatantes, réclame à son jeune amant des histoires à la hauteur de sa propre biographie: les affres d’un empereur chinois au double visage, une nuit hallucinée au cœur de la Cité interdite, un vrai faux polar mâtiné de sexe et de mafia chinoise. Mais entre fiction et réalité, la mécanique s’enraye, Beverly s’enflamme, dévoilant sa face obscure…
Le Rituel des dunes est un roman extraordinairement brillant, réjouissant et profond – et qui porte haut les grands bonheurs du romanesque.

Les autres critiques
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Jean Marie Blas de Roblès présente Le rituel des dunes © Production Librairie Mollat

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Macao, et c’est presque le soir sur la terrasse du Boa Vista. Roetgen est assis derrière les balustres rongés par les embruns, entre deux des colonnes – vert amande et blanc alternés – qui rythment la façade victorienne de l’hôtel. Sur la Baía da Praia Grande, la mer, jaune sale et affligée de maladives taches roses, se confond maintenant avec le ciel. L’air, pourtant immobile, apporte par instants de vagues odeurs de seiche et de poulpes salés. Collée au mur, une tarente, si rapide à gober d’invisibles insectes, paraît concentrer au nœud de sa transparence les molécules même de l’attente.
Un cyclone passe au loin, dans la mer de Chine. Il ne fera, dit-on, qu’effleurer la ville ; assez néanmoins pour imprégner déjà toute chose de sa menace et faire naître, comme de l’étrange phosphorescence de la lumière, une sourde irritation de l’être.
Il a suffi d’un geste de Roetgen pour que le vieux serveur chinois, voyant sa bouteille vide, se hâte sans dire un mot d’en apporter une autre. Du vinho verde, un peu pétillant. Celui dont l’étiquette figure un crustacé indéfinissable, et qu’il buvait au Brésil, avec Andreas, dans ces mêmes flacons à panse plate.
De retour, Lao Tia, qui se pique de savoir les usages, verse un doigt de vin dans le verre et, main gauche derrière le dos, attend son approbation. Le breuvage n’en vaut pas la peine, mais Roetgen se plie quand même au glouglou chichiteux de la première gorgée. Ils sont tacitement copains, le serveur et lui, depuis que le vieil homme s’est aperçu que Roetgen baragouinait sans trop d’erreurs le mandarin. Lao Tia a appris son métier au café Kiessling de Tientsin, avant l’avènement du régime communiste ; ces derniers jours, il a eu avec son client de longues conversations nostalgiques sur la Chine à la grande époque des concessions étrangères. »

Extraits
«Chez moi, tout est plus facile. Chez moi, c’est Key West, et pas ailleurs. Et, à Key West, quand deux personnes se rencontrent et réalisent que faire l’amour leur procurerait du plaisir, eh bien ils baisent ensemble. Boire, danser, le soleil, faire l’amour… Ça, c’est Key West! Cela me surprend toujours, dans le monde (c’est-à-dire hors de Key West), comment les gens compliquent les choses à loisir. J’expérimente tous les jours à quel point j’ignore les bonnes manières en usage a l’extérieur de ma ville. Alors j’essaie de garder un profil bas, et c’est assez difficile dans la mesure où, malgré moi, j’obéis à d’autres règles. » p. 40

« Vers deux heures du matin, alors qu’ils gisaient sur le lit, trop épuisés pour dormir, Beverly avait insisté pour qu’il lui raconte une histoire. Elle savait qu’il écrivait, un de ses « informateurs » à l’Institut où il enseignait lui avait même appris qu’une de ses nouvelles venait de paraître en traduction dans une revue de Shanghai.
Roetgen s’était plié à l’exercice: content d’évaluer son texte à haute voix, il lui avait lu le début de Section découpage des porcs, un polar qu’il s’amusait à écrire par correspondance avec Hermelin, son ami de Pékin, chacun inventant la suite de l’intrigue à partir des pages qu’il recevait. » p. 41

« À l’instar de toutes les communautés étrangères résidant en Chine, la proportion de déséquilibrés, d’ivrognes et de malades mentaux y dépassait très largement le taux admis par les statistiques, et chaque semestre avait régulièrement son lot de suicides ou de rapatriés sanitaires. Américains et Japonais se signalant à cet égard par leur commune fragilité. La proverbiale patience des Asiatiques trouvait ici matière à se manifester, et c’est avec un flegme souverain qu’ils raccompagnaient quotidiennement dans une brouette à charbon tel éthylique séduit par le prix dérisoire de  (p. 89-90)

« Comment as-tu fait? dit Beverly sans le regarder. Pour deviner que j’avais deux visages?
Puis, quelques secondes plus tard, comme en réponse é une muette interrogation:
– L’un, c’est celui que tu vois, l’autre, le vrai, est a l’intérieur. Il est constitué par toutes les bétes qui grouillent sous ma peau et lui donnent sa forme visible. Je suis l’empereur Tsang, sa femme é deux tétes et le palais aux monstres tout £1 la fois. C’est pour ga qu’on m’enferme dc temps en temps :21 l’Ocean Drive… Tu me prends pour une folle, n’est-ce pas? Qui sait, tu as sans doute raison, mais après ce que j’ai vécu, c’est d’être saine d’esprit qui tiendrait du prodige.

Et comme Roetgen se taisait:
– A quoi penses-tu?
Il répondit qu’il réfléchissait 51 cc qu’elle venait dc dire, au grouillement des bêtes sous sa peau. Un
– Qui a tué ton F113, Hanbao, et ea inconnu dans la maison dc mes parents. Et pourquoi Marylou? Cette histoire de société secrète, la Sécurité publique qui me surveille, tout ce qui m’arrive ces derniers temps ct que je ne comprends pas…
– Hanbao, c’est la Société de l’Observance, j’ai reconnu leur façon de procéder. L’autre homme était l’un de ces brigands, sans doute un règlement de compte. Quant é Marylou, je n’ai pas de réponse. Pour t’empêcher d’arriver jusqu’é moi? Je n’y crois pas, ils ne risqueraient pas si gros pour cette seule raison…
– Et la Sécurité publique? ..
– N’oublie pas que tu es en Chine. Il est normal qu’ils te surveillent, comme nous tous ct comme tous les autres étrangers. C’est leur façon de te laisser les coudées franches qui est surprenante: ils cherchent

À propos de l’auteur
Né en 1954 à Sidi-Bel-Abbès, Jean-Marie Blas de Roblès est notamment l’auteur de Là où les tigres sont chez eux (Prix Médicis 2008) et du très remarqué L’Île du Point Némo. Après Dans l’épaisseur de la chair, le magnifique hommage d’un fils à son père, il nous revient avec ce Rituel des dunes, un roman labyrinthique, extraordinairement brillant, réjouissant et profond – et qui porte haut les grands bonheurs du romanesque. (Source: Éditions Zulma)

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L’été en poche (18): Géopolitique du moustique

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En 2 mots

Après avoir exploré le coton, l’eau et le papier, Erik Orsenna poursuit ses voyages didactiques en s’attaquant cette fois au moustique. Un combat perdu d’avance, ou presque, mais qui n’en demeure pas moins passionnant.

Ma note
★★★★
(j’ai adoré)

Si vous voulez en savoir plus…
Ma chronique complète publiée lors de la parution du roman en grand format

Les premières lignes
Mais à quoi servent les moustiques ?
Au départ, ces petites bêtes avaient tout pour mériter notre sympathie. D’abord, une incontestable élégance : de grands yeux noirs, de longues antennes, un corps élancé pourvu néanmoins d’un thorax puissant, trois paires de pattes aussi graciles que les jambes de mannequins anorexiques et deux ailes étroites recouvertes d’écailles colorées. La mouche, boulotte, et le trapu scarabée auront beau faire, ils n’auront jamais le millième de la séduction des moustiques. Ensuite, dès leur sortie de l’œuf, ils dépolluent. A l’état de larves, vivant dans les mares ou dans les flaques, ils se gavent de tous les animalcules passant à leur portée. Ainsi, pas meilleur filtre qu’un bébé moustique : jusqu’à 2 litres d’eau purifiée chaque jour. Mieux, ils pollinisent. Devenus adultes, ils passent de fleur en fleur pour se gorger de nectar, leur principale nourriture. Nos chères abeilles n’ont pas le monopole de cet immense service rendu à toutes celles et tous ceux qui aiment les fruits. Pour finir, ils se font gentiment dévorer, par millions, sans protester. Les oiseaux, les poissons, les chauves-souris feraient bien de ne pas l’oublier : sans les moustiques, ils crèveraient la dalle. Tout pourrait donc aller pour le mieux dans le meilleur des mondes vivants possibles si l’irrépressible besoin de se reproduire ne venait pas tout gâcher.
Des « piqués volontaires » à Pasteur
L’Orstom (Office de la recherche scientifique et technique outre-mer, ancêtre de l’Institut de recherche pour le développement) et l’Institut Pasteur ont installé une base en pleine forêt, à 10 kilomètres de Kédougou, sur la route de Dakar. Pour cette raison, on appelle PK10 cet endroit devenu mythique. C’est là que sont collectés, depuis 1972, tous les moustiques possibles, en même temps que tout ce qu’ils transportent avec eux. Grâce à ceux que l’on nomme les « captureurs ». Hommage leur soit rendu ! Les pièges fonctionnant mal, on fait appel à des hommes et à des volontaires qui s’exposent à toutes les heures du jour et de la nuit dans tous les lieux de la forêt. Une fois le moustique posé sur son bras nu ou sur sa jambe, le courageux l’emprisonne prestement dans un tube. Parfois le geste n’est pas assez vif pour éviter la piqûre. Les « captureurs » sont donc vaccinés et préventivement traités quand le vaccin n’existe pas, ce qui est le cas pour le paludisme. Avouons que ces précautions ne suffisent pas toujours… Pour être sûr de ne laisser échapper aucun spécimen, les captureurs sont aussi placés dans neuf autres forêts alentour, dans dix champs et dans dix villages, aussi bien à l’intérieur des habitations qu’au-dehors. Pour chaque capture, on indique la date, l’heure et le lieu. Le tube est ensuite plongé dans une bonbonne d’azote liquide à – 196 °C et envoyé le plus vite possible à Dakar. L’Institut Pasteur s’est ainsi constitué, depuis cinquante-cinq ans, l’une des plus formidables collections au monde de vecteurs et de leurs passagers clandestins : parasites, bactéries et virus, pas moins de 200 espèces. Virus d’aujourd’hui et virus de demain puisque nombre d’entre eux, comme on le sait, se réveillent un beau jour et se mettent à nuire. Il y a fort à parier qu’ils soient déjà répertoriés dans les archives pasteuriennes. C’est pourquoi les chercheurs qui travaillent à PK10 l’appellent la « Silicon Valley des virus ».
Eradiquer les moustiques? trop dangereux!
Le moment était venu de poser la question qui me brûlait les lèvres : « Vous, vous qui êtes sur la ligne de front, vous qui vous trouvez chaque jour devant des enfants qui meurent, quelle est votre position face aux nouvelles techniques génétiques qui devraient permettre, un jour et pour pas cher, d’éradiquer les moustiques ? » La réponse ne s’est pas fait attendre. Immédiate et unanime, médecins et entomologistes. Contrôler ? Oui, mille fois oui, de toutes nos forces ! Eradiquer ? Jamais ! […]. Et heureusement ! Aucun risque n’est pire que celui de détruire un écosystème. Et chacun de développer son argument. Nous allons créer des monstres ! Et nos manipulateurs, je ne crois pas à leurs promesses : quoi qu’ils disent, si un problème se présente, jamais nous ne pourrons revenir en arrière ! Et les virus, s’ils perdent leurs maisons favorites pour se développer et leurs moyens habituels de transport, vous pensez qu’ils vont rester là et disparaître sans réagir? Vous pensez vraiment, depuis le temps qu’ils existent, qu’ils ne vont pas trouver d’autres domiciles, d’autres vecteurs? Et s’ils se révélaient pires pour nous, bien pires?
Répulsif ou insecticide? L’impossible protection
C’est [à l’hôpital Bichat] que donne cours le Dr Eric Lundwall, l’un des créateurs d’une des entreprises les plus florissantes de répulsifs, notamment au Brésil : Tropical Concept. […] J’apprends d’abord à préciser les termes. Un insecticide est un produit qui, comme son nom l’indique, tue (les insectes). […] Il agit en masse. C’est la raison pour laquelle il est considéré avec respect par tous les acteurs de la santé publique. Le répulsif n’a pas ce noble statut. On le voit trop souvent comme un simple auxiliaire du confort personnel. Et sa définition respire l’humilité : « Une surface est dite répulsive si les insectes y passent moins de temps qu’ailleurs et en moins grand nombre. » (J.S. Kennedy, 1947). En fait, la distinction entre les deux catégories est moins évidente qu’il ne semble. Car, en plus de l’effet « knock down », le moustique en subit un autre, appelé « excito-répulsif ». Entrant dans une pièce dont les murs ont été aspergés d’insecticide, ses antennes détectent une odeur insupportable, et il s’en va. C’est la raison pour laquelle il faut « imprégner » les moustiquaires. Les moustiques s’en détournent, au lieu de rôder tout autour, attirés par l’odeur du dormeur et n’ayant qu’à attendre tranquillement pour le piquer qu’il soit contraint d’aller soulager sa vessie. […] Généralement, c’est le DEET qui se montre le plus efficace. Appliquez-le sur votre bras. Il vous protégera en moyenne quatre cent vingt-six minutes contre l’attaque des moustiques-tigres, contre moins de cent pour les produits concurrents. Peut-on en tirer pour autant la conclusion qu’avec le DEET on a trouvé le rempart ? Vous connaissez maintenant l’ingéniosité de dame Nature pour deviner qu’il n’en est rien. […] D’innombrables tests, impliquant des milliers et des milliers de cobayes humains […] ont montré : 1. Qu’aucune protection n’est absolue. 2. Que la protection d’un répulsif diminue d’un minimum de dix fois le risque d’être piqué. 3. Qu’il ne faut pas lésiner sur la dose : un répulsif n’est pas un parfum ; deux-trois gouttes derrière l’oreille ne suffisent pas. D’autant qu’il perd beaucoup de son efficacité au-delà de 4 centimètres : une application sur une joue ne protège pas l’autre. C’est la raison pour laquelle les bracelets qu’on vous propose sont de simples escroqueries. 4. Que la durée de la protection diminue assez vite avec le temps : six heures après le traitement, vous avez déjà perdu la moitié de son effet. 5. Que, dans une pièce, la durée de la protection dépend de la chaleur : dix heures à 26 °C, deux heures à 2 °C. 6. Qu’aucune publication sérieuse n’établit la toxicité des répulsifs, même sur la peau de bébés de 2 mois. 7. Que les vêtements aussi peuvent être traités avec des répulsifs, et avec grande efficacité. Souvent meilleure que celle offerte par les répulsifs sur la peau. L’exemple des soldats américains engagés en Somalie montre une efficacité deux fois et demie supérieure contre le paludisme. Et n’ayez pas peur de nettoyer vos chemises et vos pantalons : ils gardent intact leur pouvoir d’écarter les moustiques après trois lavages. Seul leur « knock down effect » s’atténue fortement. 8. Que ce traitement des vêtements est ainsi plus pratique, car son efficacité plus durable : pas besoin de s’étaler sur la peau du produit toutes les deux heures. 9. Que la combinaison d’un double traitement, peau et vêtements, assure la meilleure des protections. 10. Que la dengue est particulièrement habile pour franchir toutes les barrières.
Modifier l’ADN du moustique afin de détruire le parasite qu’il héberge
Eliminer ou vacciner les moustiques ?
Le processus est d’une grande intelligence. On injecte de l’ADN modifié dans les œufs. Cet ADN ordonne la production d’une protéine capable de bloquer le développement des cellules. En captivité, on fournit aux moustiques issus de ces œufs un antibiotique, la tétracycline, qui empêche la méchante protéine d’agir. Ainsi traités, les moustiques peuvent se développer et se reproduire. Une fois les moustiques relâchés dans la nature, laquelle ne produit pas cette molécule de synthèse qu’est la tétracycline, la protéine retrouve sa capacité de nuisance. Et c’est ainsi que meurent les moustiques. Notons que la descendance de ces mâles, après accouplement avec une femelle sauvage, ne sera pas plus viable. Quant à la façon de lâcher ces moustiques « modifiés », rien de plus simple pour les projeter hors de leur cage : il suffit d’un ventilateur sans pales et d’une camionnette roulant doucement dans les quartiers infectés.
Même si les tenants de cette méthode réfutent l’accusation de « mosquito genocide » (« Notre ennemi, c’est la dengue et le Zika, non le moustique »), cette extermination inquiète. Et comment pourrait-on ne pas s’interroger ? La nature a horreur du vide. Qui va occuper la niche laissée vide par ces campagnes antimoustiques, quels insectes vont les remplacer ? Ceux-là ne seront-ils pas plus malfaisants, porteurs de parasites plus meurtriers ? Autre raison de s’angoisser : comment vont se nourrir les animaux qui font leur ordinaire des moustiques, larves ou adultes ? Quelles seront les conséquences des famines chez les batraciens, chez les poissons d’eau douce et chez les oiseaux ? Notre agriculture ne sera-t‑elle pas atteinte ? Pour toutes ces raisons, d’autres chercheurs suivent une autre piste, celle du vaccin. Il s’agit de réveiller le système immunitaire du moustique. Pourquoi accepte-t‑il sans réagir l’intrusion d’un étranger dans son corps ? A l’université de Californie, Anthony James et son équipe modifient eux aussi l’ADN du moustique à qui ordre est donné de détruire le parasite. […] Quel que soit le choix retenu, éradiquer ou vacciner, reste une difficulté majeure : la transmission des modifications du gène. Devra-t‑on toujours déverser dans la nature des millions et des millions de mâles modifiés ? Technique sans doute dangereuse, mais aussi coûteuse.

Les stériliser, oui, mais quid des manipulations génétiques ?
Voici la réponse de Frédéric Simard, directeur du Mivegec de Montpellier (maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle): « La méthode du mâle stérile ? Pourquoi pas? C’est une méthode sur laquelle nous travaillons. Dans certains contextes (îles, villes, camps de réfugiés…) et à certaines périodes, elle pourrait bien permettre de faire la différence. Après tout, les mâles stériles n’ont, par définition, pas de descendance : ils ne risquent donc pas d’envahir la planète, pas plus qu’ils ne menacent l’espèce d’extinction. En combinaison avec d’autres méthodes (insecticides, répulsifs, destruction des gîtes larvaires…), ils peuvent nous aider à limiter les risques d’épidémie, là où c’est le plus nécessaire. En revanche, jouer avec les lois de l’hérédité, je ne nous y lancerais pas. Donner sciemment au moustique le pouvoir de modifier lui-même, et avec une telle efficacité, son propre patrimoine génétique en pensant qu’on en restera là, c’est bien mal connaître les mécanismes de la vie. Notre histoire, et celle, beaucoup plus vaste, des moustiques et des parasites, prouvent que rien ne s’arrête jamais. La probabilité est forte qu’un jour le « kit » du « forçage » déraille. Un monstre en surgira, doté d’un gène avec une malfaisance inconnue contre laquelle nul ne pourra rien. Et je ne crois pas aux discours de ces bricoleurs qui nous promettent de toujours « pouvoir revenir en arrière ».

L’avis de… Catherine Schwaab (Paris Match)
« En lisant sa « Géopolitique du moustique », on est à la fois bluffé et accablé. Pas de clémence sous nos climats tempérés. On n’est pas à l’abri des catastrophes. Dengue, Zika, chikungunya, paludisme… Avec le réchauffement, nos moustiques sont chargés des parasites les plus redoutables. Erik Orsenna est allé visiter les instituts Pasteur du Sénégal, du Vietnam, de la Guyane, du Panama… Il a tremblé de peur dans la « forêt Zika », près de Dakar, et frissonné d’angoisse au vu des résistances aux médicaments antipaludéens au Cambodge. « Si la même résistance observée en Asie surgit en Afrique où le paludisme est très répandu, c’est une hécatombe. » Un chercheur devenu son ami est en train de plancher sur l’antidote de demain. Une course contre la montre car, on l’a compris, les mutations ne s’arrêtent jamais. »

Vidéo


Erik Orsenna présente son livre « Géopolitique du moustique. Petit précis de mondialisation IV » © Éditions Fayard

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