Elmet

MOZLEY_elmet
  RL2020  coup_de_coeur

Lauréate du Polari First Book Prize, du Somerster Maugham Award et finaliste du Man Booker Prize 2017, du Women’s Prize for Fiction et de l’International Dylan Thomas Prize.

En deux mots:
John Smythe s’est construit une maison pour vivre à l’écart avec ses enfants Cathy et Daniel. Mais dans le Yorkshire les étrangers ne sont pas forcément les bienvenus. Dès lors, ils vont devoir se battre pour s’imposer, même si les armes sont très inégales.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

La fuite désespérée de Cathy et Daniel

Couronnée de nombreux Prix en Grande-Bretagne, Fiona Mozley est l’une des révélations de cette rentrée dont Joëlle Losfeld nous assure – à juste titre – qu’elle nous invite à une «fête de la lecture».

Cathy et Daniel vivent avec leur père John Smythe dans le Yorkshire. Ils se sont établis là, dans la région natale de leur mère, après avoir quitté la maison sur la côte à la suite du décès de leur grand-mère. «On était arrivés peu de temps avant mon quatorzième anniversaire. Cathy venait juste d’avoir quinze ans. C’était le début de l’été, ce qui laissait à papa tout le temps nécessaire pour construire la maison. Il savait qu’elle serait terminée bien avant l’hiver. Dès la mi-septembre, on put l’occuper.»
John, qui a une stature imposante, gagne sa vie en participant à des combats rémunérés ou bien vend sa force de travail, passe des heures dans les bois à chasser et à abattre du bois, mais ne s’épanche guère sur ses activités devant sa progéniture. Un jour pourtant, il raconte à Cathy et Daniel qu’il est allé récupérer une somme d’argent qu’un ami, victime d’un accident, n’était plus à même de réclamer par lui-même. Il a ainsi pu réparer une injustice. Valeur cardinale à ses yeux.
«À l’époque, il ne cherchait qu’une chose: nous endurcir contre l’inconnu. Contre les choses sombres du monde. Car plus on en savait, plus on serait armés. Et pourtant, le monde était totalement absent de nos vies…»
Quand Cathy est importunée par les jeunes collégiens, s’il se range derrière sa fille qui a choisi de ne pas se laisser faire et de défendre son petit frère, il ne proteste toutefois pas quand la directrice de l’établissement la réprimande pour avoir fait subir de mauvais traitements aux garçons. Il décide simplement de confier à Vivien, une amie, le rôle de préceptrice plutôt que de continuer à envoyer ses enfants à l’école.
La confiance qu’il accorde à ses enfants le pousse à croire aussi Cathy lorsqu’elle raconte qu’elle a vu un homme près d’une jeune fille retrouvée morte, alors que la police avait conclu à un suicide. Une thèse qui ne sera du reste pas remise en cause avec la découverte d’un second cadavre. John prend alors l’initiative d’effectuer des rondes, mais sans résultat. S’il ne va pas voir la police, c’est qu’il est réticent à l’autorité. Et aux institutions de manière plus générale.
Il n’aspire qu’à la paix, en quasi autarcie.
Mais, par la confession du narrateur, le lecteur sait d’emblée que l’histoire a mal fini. Daniel se retrouve seul, sans argent, erre à la recherche de sa sœur. Que s’est-il passé? On ne le découvrira qu’à la fin du livre.
En revanche, on apprend assez vite qu’un certain Price, qui possède quasiment toutes les terres du Comté, entend faire valoir ses droits de propriété sur le lopin où John a construit sa maison. Et que John organise la riposte, chargeant Daniel et Cathy d’en savoir plus sur la façon dont Price mène ses affaires et comment avec Coxswain, son homme de main, il exploite les familles.
Le conte prend alors des allures de lutte des classes avec «un combat illégal pour régler légalement un différend.» Comme Joëlle Losfeld, on pense aux Raisins de la colère et à une tragédie contemporaine sur «l’enfance, la révolte, l’injustice, la tyrannie, la violence faite aux femmes, ais aussi le courage qu’il faut pour être libre et l’amour.»
Le tour de force de Fiona Mozley étant de nous livrer le tout presque sous forme poétique, avec un style léger qui va soudain basculer dans l’horreur, donnant plus de force encore au choc final. C’est superbe !

Elmet
Fiona Mozley
Éditions Joëlle Losfeld
Roman
Traduit de l’anglais par Laetitia Devaux
240 p., 19 €
EAN 9782072880117
Paru le 3/01/2020

Où?
Le roman se déroule en Angleterre dans le Yorkshire.

Quand?
L’action se situe il y a quelques années.

Ce qu’en dit l’éditeur
John Smythe est venu s’installer avec ses enfants, Cathy et Daniel, dans la région d’origine de leur mère, le Yorkshire rural. Ils y mènent une vie ascétique mais profondément ancrée dans la matérialité poétique de la nature, dans une petite maison construite de leurs mains entre la lisière de la forêt et les rails du train Londres-Édimbourg. Dans les paysages tour à tour désolés et enchanteurs du Yorkshire, terre gothique par excellence des sœurs Brontë et des poèmes de Ted Hughes, ils vivent en marge des lois en chassant pour se nourrir et en recevant les leçons d’une voisine pour toute éducation.
Menacé d’expulsion par Mr Price, un gros propriétaire terrien de la région qui essaye de le faire chanter pour qu’il passe à son service, John organise une résistance populaire. Il fédère peu à peu autour de lui les travailleurs journaliers et peu qualifiés qui sont au service de Price et de ses pairs. L’assassinat du fils de Mr Price déclenche alors un crescendo de violence ; les soupçons se portent immédiatement sur John qui en subit les conséquences sous les yeux de ses propres enfants…
Ce conte sinistre et délicat culmine en une scène finale d’une intense brutalité qui contraste avec la beauté et le lyrisme discret de la prose de l’ensemble du roman.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Le JDD (Karen Lajon)
France Bleu (Des livres et délires)
L’Usine Nouvelle (Christophe Bys)
Blog The killer inside me 


Entretien avec Fiona Mozley à l’occasion de la rencontre entre l’auteur et les lecteurs de Babelio © Production Babelio

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Je ne projette pas d’ombre. La fumée dans mon dos étouffe la lumière du jour. Je compte les traverses, et les chiffres défilent. Je compte les rivets et les boulons. Je marche vers le nord. Mes deux premiers pas sont lents et traînants. Je ne suis pas sûr d’avoir pris la bonne direction, mais je dois m’en tenir à mon choix : j’ai franchi le tourniquet, et la barrière s’est refermée.
Je sens encore l’odeur des braises. Contour charbonneux d’une épave qui ondule. J’entends à nouveau les voix de ces hommes et de la fille. La rage. La peur. La détermination. Puis ces vibrations destructrices dans les bois. La langue des flammes. Leurs crachats secs et brûlants. Ma sœur à la peau maculée de sang, et cette terre vouée à la destruction.
Je longe la voie ferrée. Quand j’entends une locomotive au loin, je me jette derrière les aubépines. Pas de trains de passagers, juste de marchandises. Des wagons en acier maculés d’emblèmes inattendus : l’héraldique d’une jeunesse qui a bien vieilli. De la rouille, des gravillons, des décennies de brouillard sale.
La pluie tombe puis s’arrête. Les herbes folles sont trempées. La semelle de mes chaussures crisse dessus. Si mes muscles me font mal, je les ignore. Je cours. Je marche. Je reprends ma course. Je traîne des pieds. Je me repose un peu. Je bois dans des trous remplis d’eau de pluie. Je me redresse. Je repars.
Je doute sans cesse. Si elle est partie vers le sud en atteignant la voie ferrée, c’est fichu, je ne la retrouverai jamais. J’aurai beau marcher, trotter, courir, m’allonger au milieu des voies pour me faire couper en deux par un train, ça ne changera rien. Si elle est partie vers le sud, je l’ai perdue.
J’ai choisi le nord, alors je continuerai par là.
Je brise tous les liens. Je progresse en bordure des champs. J’escalade des barbelés, des barrières. Je franchis des zones industrielles et des jardins privés. Je ne m’occupe pas des limites des comtés, des quartiers, des paroisses. Je traverse des prés, des pâturages et des parcs.
Les rails m’aiguillent au milieu des collines. Les trains glissent dans les vallons assombris par les sommets. Je passe une nuit étendu dans la lande à observer le vent, les corbeaux, les véhicules au loin ; absorbé par les souvenirs de cette même terre, plus au sud ; avant, bien avant ; puis par les souvenirs d’une maison, d’une famille, de ses hauts et ses bas, des revers de fortune, des commencements et des fins, des causes et des conséquences.
Le lendemain matin, je reprends ma route. Les vestiges d’Elmet gisent à mes pieds.

On arriva en été, quand le paysage était en fleurs, les journées longues et chaudes, la lumière douce. Je me promenais torse nu, et ma sueur était propre. J’aimais l’étreinte de cet air épais. Pendant ces mois-là, des taches de rousseur apparurent sur mes épaules osseuses. Le soleil était long à se coucher, les soirées tournaient à l’étain avant de noircir, puis un nouveau matin s’immisçait. Les lapins gambadaient dans les champs et, avec un peu de chance, lorsqu’il n’y avait pas de vent et que la brume s’accrochait aux collines, on apercevait un lièvre.
Les fermiers abattaient les nuisibles, et nous, on piégeait des lapins pour les manger. Mais pas le lièvre. Pas mon lièvre. C’était une femelle qui veillait sur sa portée dans un terrier à l’ombre du chemin de fer. Elle était habituée au passage des trains et quand je la voyais, elle était toujours seule, comme si elle avait réussi à s’échapper de son terrier. C’est rare qu’une créature de son espèce abandonne sa progéniture en plein été pour courir les champs, pourtant cette hase était en quête. De nourriture ou de compagnie. En quête comme un animal qui chasse, à croire qu’elle avait décidé de ne pas rester proie, mais au contraire de courir et de chasser. Comme si un jour, alors qu’elle était poursuivie par un renard, elle avait fait volte-face pour se lancer aux trousses de son poursuivant.
Quelle qu’en soit la raison, cette hase n’était pas comme les autres. Lorsqu’elle filait, je la distinguais à peine, mais quand elle faisait halte, elle se transformait en la chose la plus immobile à des kilomètres à la ronde. Plus immobile que les chênes et les pins. Encore plus immobile que les rochers et les pylônes. Plus immobile que la voie ferrée. À croire qu’elle dominait la terre, qu’elle avait réussi à la bloquer en se plaçant au centre, que même les jalons les plus fixes tournoyaient follement autour d’elle, et que tout le reste, tout le paysage, était aspiré par son œil disproportionné, globuleux, de la couleur de la braise.
Si la hase faisait figure de mythe, cette terre qu’elle griffait l’était tout autant. Ce paysage qui n’avait été qu’une immense forêt était à présent parsemé de pustules en forme de bosquets. Les fantômes de l’ancienne forêt se manifestaient encore lorsque le vent soufflait. Le sol regorgeait d’histoires brisées qui tombaient en cascade, pourrissaient puis se reformaient dans les sous-bois de façon à mieux ressurgir dans nos vies. On racontait que des hommes verts avec des visages en feuille d’arbre et des membres en bois noueux scrutaient depuis les fourrés. Les cris de meutes à moitié mortes de faim qui couraient, haletantes, pour attraper du gibier en train de les charger. Robin des Bois et sa troupe de vagabonds faméliques qui sifflotaient, se battaient et festoyaient avec la même liberté que les oiseaux à qui ils volaient leurs plumes. La forêt s’étirait sur une large bande entre le nord et le sud. Sangliers, ours et loups. Biches, cerfs, daims. Kilomètres de champignons souterrains. Perce-neige, campanules, primevères. Les arbres avaient depuis longtemps cédé le terrain à des champs, des pâturages, des routes, des maisons et des voies ferrées, il ne restait plus que quelques bois comme le nôtre.
Papa, Cathy et moi, on occupait une petite maison qu’il avait construite de ses mains avec des matériaux provenant des environs. Il avait choisi pour nous ce petit bois de frênes séparé de la principale ligne de chemin de fer de l’est par deux champs, suffisamment loin pour ne pas être vus, suffisamment près pour bien connaître les trains. Ils passaient assez souvent, si bien qu’on savait différencier le vrombissement et le sifflet des trains de voyageurs des sons étouffés et étranglés que produisaient les trains de marchandises avec leur cargaison dans des conteneurs en métal peint. Ils avaient des horaires et des intervalles bien à eux, et leur son se propageait comme les cernes des arbres autour de notre maison, tintant à la manière des carillons tibétains. Les longs Andelante et Pendolino indigo qui reliaient Londres à Édimbourg ; les convois plus petits et plus vieux, avec de la rouille sur leurs pantographes crissants. Les vieux trains à bestiaux qui faisaient teuf-teuf en direction de l’abattoir, trop lents pour les rails modernes, aussi mal à l’aise sur l’acier laminé à chaud que des vieillards sur de la glace. »

Extraits
« On était arrivés peu de temps avant mon quatorzième anniversaire. Cathy venait juste d’avoir quinze ans. C’était le début de l’été, ce qui laissait à papa tout le temps nécessaire pour construire la maison. Il savait qu’elle serait terminée bien avant l’hiver. Dès la mi-septembre, on put l’occuper. Avant ça, on vivait dans deux anciens camions de l’armée que papa avait achetés à un receleur de Doncaster, puis ramenés par les petites routes et les chemins. On les avait reliés avec des filins d’acier, puis on avait tendu et attaché avec soin une toile goudronnée au centre en guise de toit. Papa dormait dans un camion, Cathy et moi dans l’autre. À l’abri de la toile goudronnée, il y eut d’abord de vieux fauteuils de jardin en plastique, puis un canapé bleu tout défoncé. C’était notre salon. On posait nos tasses et nos assiettes sur des caisses en bois retournées pour éviter de les mettre par terre, et aussi nos pieds, par les chaudes soirées d’été où il n’y avait rien d’autre à faire que parler et chanter. » p. 17

« Parfois, on avait l’impression que nos questions embarrassaient papa. Il cherchait à être ouvert, à partager son savoir avec ses enfants, à leur donner des détails sur sa vie avant leur existence, et sa vie actuelle, mais on savait que si des détails étaient trop délicats, il les gardait pour lui. À l’époque, il ne cherchait qu’une chose: nous endurcir contre l’inconnu. Contre les choses sombres du monde. Car plus on en savait, plus on serait armés. Et pourtant, le monde était totalement absent de nos vies » p. 69

À propos de l’auteur
Née à Hackney, Grand Londres, en 1988 Fiona Mozley est romancière et médiéviste. Elle a grandi à York et a étudié l’histoire à Cambridge. Elle prépare à l’Université de York une thèse de doctorat en études médiévales sur le Moyen Âge tardif tout en travaillant à mi-temps dans la librairie The Little Apple Bookshop à York. Elmet (2017), son premier roman, a obtenu le prix Somerset-Maugham 2018, et été sélectionné pour le prestigieux Man Booker Prize en 2017. (Source: Babelio)

Compte Twitter de l’auteur (en anglais)

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