En deux mots:
Exilé aux États-Unis, Adrien rêve de devenir photographe. En attendant , il fait le taxi dans une petite ville du Wisconsin. Ayant trouvé un emploi dans un centre photo du Maine, il va y faire deux rencontres déterminantes et tracer son parcours avant de devoir fuir devant la police.
Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)
Ma chronique:
«L’Amérique, je veux l’avoir et je l’aurai»
Le premier roman de Sébastien Verne a tout du roman d’apprentissage. Il retrace le parcours d’Adrien, un Français exilé aux États-Unis avec un appareil photo en bandoulière. Il va tutoyer son rêve avant de prendre la fuite et basculer vers le polar…
Les photographes et la photographie semblent particulièrement inspirer les romanciers. Après Une femme en contre-jour de Gaëlle Josse et La femme révélée de Gaëlle Nohant, voici le parcours d’Adrien, jeune photographe français qui s’est exilé aux États-Unis. On le retrouve à La Crosse, petite cité du Wisconsin qui borde le Mississipi au moment où débute le roman.
Il vient d’obtenir le droit de conduire un taxi et peut ainsi mêler l’utile à l’agréable, en réalisant des clichés de la région mais surtout de ses habitants et notamment de certains de ses clients. Celui qui l’intrigue le plus est un homme qui lui commande une bouteille de brandy qu’il doit lui livrer tous les matins et empoche pour cela cinquante dollars. Sans le connaître, il aimerait le prendre en photo. Mais ses demandes restent vaines jusqu’au jour où le silence l’accueille. S’enhardissant, il pénètre dans la maison et découvre une femme morte «encadrée d’animaux empaillés qui semblent lui survivre». Plutôt que d’appeler les urgences, il récupère son matériel et réalise une séance photo, m’hésitant à mettre le cadavre en scène. Ce sera son dernier rendez-vous, car son patron le vire illico.
«Du coup, Adrien a du temps à tuer. En fouillant à la bibliothèque, il trouve une quantité phénoménale d’articles. La vieille femme au brandy, c’est «madame Dahmer, mère de Jeffrey Dahmer, condamné pour multiples assassinats, tueur en série». Son fils a défrayé la chronique, il a marqué l’Amérique au fer blanc. On l’a appelé «le cannibale de Milwaukee» en 1991.»
Adrien n’aura pas chômé longtemps. Il est embauché comme technicien de laboratoire à Rockport, dans le Maine. Un travail à mi-temps qui va tout à la fois lui permettre de se perfectionner et de côtoyer photographes de renom et élèves du Rockport Photo Center où il ne tarde pas à faire son trou. Parce qu’il a aussi trouvé là deux personnes qui ont trouvé le moyen de mettre du beurre dans leurs épinards. Gloria, responsable de la galerie photo, s’occupe entre autres des tirages photo et n’hésite pas à se constituer une petite réserve personnelle. Travis pour sa part gère les commandes pour le laboratoire et complète ses revenus en organisant du trafic de matériel. Tout se passe bien jusqu’au jour où les soupçons se précisent et où la fuite semble le moyen le plus sûr d’échapper à la police. Le road-trip qui s’impose alors nous conduit à travers le Maine vers le Canada…
Pour un premier roman Sébastien Verne combine parfaitement les codes du roman d’apprentissage et celui du roman «américain», y ajoutant même une touche de polar bienvenue. Dans les pas de ce trio improbable, dont il serait dommage, de dévoiler ici le destin, on se laisse emporter. Comme dirait Barbara,
Si la photo est bonne
Juste en deuxième colonne
Y a le voyou du jour
Qui a une petite gueule d’amour
Des vies débutantes
Sébastien Verne
Asphalte Éditions
Premier roman
192 p., 16 €
EAN 9782918767916
Paru le 29/08/2019
Où?
Le roman se déroule principalement aux États-Unis, à La Crosse dans le Wisconsin, puis à Rockport dans le Maine, avant de partir vers la frontière canadienne en passant notamment par Belfast puis Unity et Skowhegan. On y évoque aussi la France où Adrien retrouve quelques temps ses racines.
Quand?
L’action se situe aux début des années 1990.
Ce qu’en dit l’éditeur
Fin 1992, en bordure du Mississippi. Jeune photographe français, Adrien fait le taxi dans le Wisconsin et documente son périple américain: portraits de clients, paysages fluviaux. Repéré pour un de ces clichés, il est embauché par un centre photographique de prestige, dans le Maine. C’est là qu’il fait deux rencontres fondamentales: Gloria, la responsable de la galerie, qui détourne des tirages de grande valeur, et Travis, avec qui il se livre à des trafics de petite envergure. Mais le trio d’écorchés va s’embarquer sur un coup trop gros pour lui. Vingt ans plus tard, Adrien aura l’opportunité de retourner sur les lieux de cette jeunesse aventureuse…
Roman d’apprentissage, Des vies débutantes est une ode à la liberté et aux grands espaces américains. Au fil des pages se dessine la trajectoire d’un homme qui s’est écarté malgré lui du chemin tracé pour se retrouver en marge de sa propre existence.
Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Blog L’Or des livres
Blog Unwalkers
Blog Bepolar (Jérôme Vincent)
Blog The killer inside me
INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Entretien d’embauche
« Tu veux du café?
– Non merci.
– Comment tu t’appelles?
– Adrien Beausure.
– T’es canadien?
– Oui, Québec francophone.
– Tu as le permis ? »
Il hoche la tête, connivence.
«Jamais condamné?»
Il secoue la tête, connivence à nouveau.
Le voilà presque au volant d’un taxi jaune, à la suite du plus rapide entretien d’embauche de sa vie. Il a menti – il n’est pas plus canadien que portoricain –, mais il est recommandé par Slim, le reste est convenu. Celui avec qui Adrien a rendez-vous est un Indien qui se fait appeler Rikkie. Le téléphone sonne, il répond, attentif, puis reformule quasi instantanément : «Hillview Homes, pour Lutheran Hospital, dans cinq minutes, entendu.»
Bande-son, l’annonce au dispatch : «Hillview Homes, pour Lutheran Hospital, dans cinq minutes pour Phil, tu te dépêches !»
Le business de Rikkie donne sur State Road. Pour y entrer, on passe un portail vaguement grillagé, à l’ombre en cette saison. Le soleil distille de longues silhouettes sur le rectangle d’asphalte à l’opposé. Ses rayons, sur le mur d’en face, aux briques peintes en rouge, réchauffent un peu le parking, au moins visuellement. Deux taxis hors d’usage sont garés là, à l’écart. Le premier, enfoncé à l’avant, est amputé d’une portière ; l’autre patiente, essoufflé, sur un cric. Rikkie se réserve l’exigu garage comme atelier et, à l’arrière, il camoufle tant bien que mal des bidons d’huile usagés, vestiges encombrants d’une flottille de taxis en bordure du Mississippi.
Le local de Rikkie est ouvert à tous les vents. Il y habite, aussi. Le rez-de-chaussée est équipé d’une cuisine qui ne sert qu’à faire du café. L’endroit est assez propre. Dans le flot des appels matinaux, Rikkie s’active, seul à gérer sa minuscule plate-forme logistique, son mug à la main ; il pioche un donut nappé au chocolat avec des pépites roses. On se réveille tout juste dans cet îlot de La Crosse, Wisconsin. Au talk-show du matin, des soldats américains débarquent en Somalie, ils sont en nombre, opération « Restore Hope », ni Adrien ni Rikkie ne savent vraiment pourquoi. Ils se laissent distraire par l’écran, après la pub, des images de routiers en déroute dans le blizzard plus au nord, à la frontière du Minnesota. Il est 8 heures, Channel 8 WKBT, les news, mercredi 9 décembre 1992, moins onze degrés Celsius à La Crosse, pas de précipitations, soleil toute la journée.
Dans cette pièce basse de plafond, un cerf empaillé, trophée de chasse, toise les deux hommes. Le téléphone sonne à nouveau, Adrien s’écarte et sort du terrier. Depuis la porte, il entend Rikkie qui fait l’annonce au dispatcher :
«Hillview Homes, pour Lutheran Hospital, t’es sur place Phil?»
Rikkie s’affaire aux urgences du matin. Adrien joue avec son ombre contre le mur ; ça l’occupe et le réchauffe sûrement. Il traîne sur le parking en attendant son taxi jaune.
Période d’essai
Une Oldsmobile Sedan 1987 franchit lentement le portail, son ombre déformée se dessine sur le mur, elle se gare à dix mètres de là. Le chauffeur, bedaine en mauvaise santé, s’extirpe de la voiture, quelques miettes accrochées aux rayures vertes de son pull-over. Rikkie observe puis s’approche. Il aime qu’on prenne soin des véhicules, Adrien l’a immédiatement compris.
« Tu remplaces toujours un gars, tu prends sa voiture. Il finit la nuit, tu prends la journée. Pour l’instant, on fait comme ça, on verra après comment ça se passe. Tu t’arrangeras avec les autres, tu prendras la nuit ou la journée, c’est pas mon problème. »
La buée sort de sa bouche comme d’un pot d’échappement.
«La Sedan revient toujours avec le plein, sinon c’est toi qui payes. Tu me dois 75 dollars de location et le reste, c’est pour toi.»
Voilà pour la fiche de poste. Les règles doivent être simples pour les chauffeurs de taxi, ça limite les embrouilles. La radio, c’est déjà assez problématique. Le téléphone sonne, Rikkie se presse à l’intérieur.
Dispatch: «University Main Hall vers l’aéroport. Phil, c’est pour toi dans la foulée!»
10 h 30, calé au fond d’une lourde américaine jaune pétant, Adrien parcourt l’étendue d’un territoire qu’il partage désormais avec l’immense Mississippi, monstre de boue.
La Sedan a déjà le ventre vide, le pull rayé vert est un arnaqueur. Il fait le plein au Kwik Trip, spécialiste en remplissage, gasoil, estomac, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, café tiède. Helen est une balise au comptoir, ils se voient tous deux pour ne pas se sentir seuls, passer la mauvaise saison ensemble, blottis parfois l’un contre l’autre. Elle habite l’immeuble le plus haut de toute la ville, au coin de Cass Street et de Third Street, au-dessus du Piggy’s. Avant d’entrer, il passe toujours sous une tenture à la belle calligraphie blanche sur fond bleu d’où se détache « Elliot Arms Apartments », ça donne un air citadin à leur liaison, mais ça ne suffit pas. Il se lasse parfois très vite des jouets, surtout de ceux qu’il n’a pas vraiment voulus.
Un taxi fonctionne comme les griffes d’un râteau. Il agrippe tout. Rikkie possède la compagnie. Quoi qu’il arrive, il prend 75 dollars au chauffeur du matin et autant en fin de journée. Tous les taxis de La Crosse, Wisconsin, appartiennent à Rikkie, tous les taxis sont jaunes, c’est comme ça, la règle est immuable, un numéro de téléphone, 782-9492, sur chaque portière. Le véhicule fonctionne sans taximètre. Dès son premier jour, préliminaire à toute chose, Adrien passe au lavage et astique vite fait l’intérieur de la Sedan. Touche finale, il asperge l’habitacle de quelques gouttes d’huile essentielle de lavande ; un taxi présentable est un taxi aimable. Chacun des chauffeurs se souvient de cette pancarte accrochée au-dessus du coin de table qui fait office de bureau, réalisée dans un point de croix grossier. Rikkie la pointe volontiers du doigt, elle rappelle sans ambiguïté la devise éclairée du patron : «Qualité, disponibilité, ponctualité.»
«Quoi qu’il arrive, tu règles le compteur à zéro en début de trajet, tu multiplies par un dollar cinquante le mile et tu as le prix de ta course. Facile de t’en souvenir, non?»
Bien que l’usage de cette arithmétique ait objectivement quelque chose d’effrayant, il semble que c’est la norme acceptée. Ne manque plus qu’un joli canevas «tu t’y conformes ou tu dégages!». Il faut à Adrien une demi-douzaine de courses avant de payer la location et le gasoil. Son travail finance la rente de Rikkie. C’est normal, il en a fait, des efforts, le boss, pour se garder une place au soleil. Une compagnie de taxis, ça se construit à la force du poignet, et Adrien a toute sa place dans cette petite chaîne alimentaire. Son visa expire bientôt et il a besoin d’argent.
Dispatch : « Au 3035, 31st Street vers Kmart… »
Alors, en arpenteur, des journées entières, Adrien parcourt un bout du comté et tente de reconstituer sa trésorerie. Il s’aventure jusqu’à Shelby, Coon Valley ou Lake Delton. Il emprunte des routes désertes, improbables et qui parfois figurent à peine sur sa carte. Il pousse jusqu’à Trempealeau tout au bout, après State Road 61, pour une dame qui veut se rendre chez le coiffeur à La Crosse. C’est une excellente course, il fera l’aller-retour.
À cette époque de l’année, les rives du fleuve sont prises par les glaces, à Trempealeau. Les semaines d’hiver se succèdent et le ciel crache de la neige lorsqu’il ne fait pas trop froid. Le village est recroquevillé sur une route principale que le fleuve, glacé et poissonneux, peut avaler à la première crue. Au bout, l’embarcadère des barques à fond plat. Lorsqu’à l’été elles rentrent, ventrues, c’est pour laisser la famille Dubois décharger, vider, fumer des carpes et des poissons-chats au bois de hêtre. Dubois Smokery est un passage obligé avant l’expédition vers les quartiers juifs de New York. La lumière se rend complice, devient propice. Adrien prend quelques photos, documente un village hibernant. Il se gare à l’écart, laisse le moteur de sa voiture tourner et s’éloigne d’une centaine de mètres environ, puis il photographie son taxi jaune dans la grisaille. »
Extrait
« Du coup, Adrien a du temps à tuer. En fouillant à la bibliothèque, il trouve une quantité phénoménale d’articles. La vieille femme au brandy, c’est «madame Dahmer, mère de Jeffrey Dahmer, condamné pour multiples assassinats, tueur en série». Son fils a défrayé la chronique, il a marqué l’Amérique au fer blanc. On l’a appelé «le cannibale de Milwaukee» en 1991; Slim a presque mis dans le mille. Le type, il a tué dix-sept homosexuels, ils l’ont chopé c’était il y a deux ou trois ans. Sa tête au regard vitreux, vestige unique, relique, est conservée par sa tordue de mère. La légende veut qu’il ait été scalpé et décapité par son codétenu, un Indien. C’était partout dans les journaux.
Adrien a quitté La Crosse le soir du 16 avril 1993, suite au message téléphonique d’une certaine Gloria Underwood, responsable au Rockport Photo Center lui signifiant que son tirage intitulé Roue de la fortune est porteur de bonnes nouvelles et qu’on l’attendait dès que possible à Rockport, Maine pour un job à mi-temps de technicien labo. » p. 50-51
À propos de l’auteur
Sébastien Verne vit à Lyon. Des vies débutantes est son premier roman. (Source : Asphalte Éditions)
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