Sélectionné par les « 68 premières fois »
En deux mots:
Après avoir perdu son épouse dans un accident, le narrateur subit un nouveau drame, son fils a un cancer du pancréas. Pour lui remonter le moral, il lui promet de trouver un éditeur pour le roman qu’il a écrit. Mais les lettres de refus s’accumulent…
Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)
Ma chronique:
Tout mensonge est-il bon à dire ?
Et dire que ce premier roman, paru en 2018, aurait pu être condamné à l’oubli! Ç’aurait été dommage, tant l’histoire de ce père confronté au cancer de son fils est prenante et émouvante.
On pourrait résumer ce court roman en disant que Jean, le narrateur, n’a pas eu de chance. En épousant Lucille, il savait que sa femme était sensible et fragile. «Pas triste, non, mais mélancolique. Oui, j’aime bien ce mot. Mélancolique. Les médecins ne l’ont pas dit pareil. «Une maladie». Ça portait un nom dont je n’ai pas voulu me souvenir. Un souci dans la tête, quelque chose d’invisible en fin de compte.» Et quelques mois après avoir mis au monde leur fils Pierre, un accident de voiture lui coûte la vie. Un décès qui va hanter Jean, qui se rattache alors à l’éducation de son fils, aménageant ses horaires de chauffeur de taxi pour être plus près de lui. Les vacances qu’ils passent ensemble à faire de la plongée les rapprochent indéniablement. Rêvant d’un avenir heureux pour sa progéniture, il lui laisse choisir sa vocation. Pierre délaisse ses cours de biologie à l’université pour un club de théâtre et pour écrire. Il imagine déjà son œuvre publiée.
C’est alors que survient un nouveau drame. Après des examens consécutifs à une fatigue inhabituelle, les médecins constatent que les résultats des analyses ne sont pas bons: «C’est une tumeur. Il est trop tôt pour en dire l’état d’avancement, mais il faut vite régir.» Le cancer du pancréas, l’un de ceux qu’il est difficile de guérir, gagne du terrain jour après jour.
Pour lui remonter le moral, Jean le laisse espérer une réponse positive à l’envoi de son manuscrit. «J’étais si fatigué d’être ce type, cette moitié d’homme, ravagé de peur et de chagrin. Et puis cette culpabilité, un truc qui n’en finissait plus . Il fallait bien que ça s’arrête. J’avais menti, d’accord; mais ce n’était pas ma faute. On me forçait. Pierre, ses yeux, sa souffrance placardée partout.»
Dès lors Martin Dumont va réussir un vrai tour de force, donner à ce roman si chargé en émotion une dimension métaphysique. Interroger le mal et le bien, le mensonge et la vérité. Dans les choix que l’on fait qu’est ce qui est raisonnable et qu’est ce qui est juste? En mettant ainsi en lumière l’énigmatique titre de son roman. Le paradoxe de Schrödinger est une expérience scientifique – qui n’a jamais été tentée – et dans laquelle, comme nous l’explique Wikipédia «un chat est enfermé dans une boîte avec un dispositif qui tue l’animal dès qu’il détecte la désintégration d’un atome d’un corps radioactif». Cette expérience est censée démontrer que tant que la boîte n’est pas ouverte le chat peut être à la fois mort et vivant et par extrapolation qu’il en est de même de la physique quantique. À chacun alors de tout reconsidérer, selon le point de vue dans lequel on se place. Pour Philippe, la vie qu’il imagine est sans doute plus facile à vivre que celle qui le fait tant souffrir. Et pour le lecteur?
Le chien de Schrödinger
Martin Dumont
Éditions Delcourt Littérature
Premier roman
144 p., 15 €
EAN 9782413006985
Paru le 11/04/2018
Où?
Le roman se déroule en France, principalement au centre hospitalier d’une grande ville, mais on y évoque aussi des sorties en mer et une maison sur la côte, sans doute au large de la Bretagne.
Quand?
L’action se situe de nos jours.
Ce qu’en dit l’éditeur
«Les fils grandissent en s’éloignant des pères; c’est dans l’ordre des choses.» Le monde de Jean, c’est Pierre, le fils qu’il a élevé seul. Depuis presque vingt ans, il maraude chaque nuit à bord de son taxi, pour ne pas perdre une miette de son fils. Il lui a aussi transmis son goût pour la plongée, ces moments magiques où ensemble ils descendent se fondre dans les nuances du monde, où la pression disparaît et le cœur s’efface. Mais depuis quelque temps, Pierre est fatigué. Trop fatigué. Il a beau passer son temps à le regarder, Jean n’a pas vu les signes avant-coureurs de la maladie. Alors de l’imagination, il va lui en falloir pour être à la hauteur, et inventer la vie que son fils n’aura pas le temps de vivre. Quand la vérité s’embrouille, il faut parfois choisir sa réalité. Un premier roman pudique et poignant, le roman de l’amour fou d’un père pour son fils.
Sélection anniversaire des «68 premières fois»: le choix de Gabrielle Tuloup:
Née en 1985, Gabrielle Tuloup a grandi entre Paris et Saint-Malo. Championne de France de slam en 2010, elle est professeure agrégée de lettres et enseigne en Seine-Saint-Denis. En 2018, elle est lauréate du Festival du premier roman de Chambéry pour La nuit introuvable. Elle confirme son talent en 2020 avec Sauf que c’étaient des enfants. (Photo: DR)
«Le Chien de Schrödinger est un roman qui fait danser les possibles derrière les portes.
Un roman qui interroge notre notion univoque de la vérité et pose cette question inconfortable: «y a-t-il de beaux mensonges?» J’insiste: pas de mensonges légitimes ou utiles, de beaux mensonges, de ceux qui colorent une réalité trop insupportable.
Ce que j’ai admiré dans le livre de Martin Dumont, c’est que l’histoire ne perd jamais la délicatesse et la pudeur comme ligne de vie, même au plus profond des abîmes de l’inacceptable. On y suit les personnages, en apnée, en espérant, à l’image des plongeurs, savoir faire ralentir son cœur qui bat un peu trop vite à la surface du monde.
Crayon à papier à la main, combien de phrases ai-je soulignées, combien d’accolades ou de petites croix dans la marge? C’est toujours juste, sans concession. Juste dans la révolte, juste dans la douceur, juste dans le passage de l’une à l’autre.»
Les critiques des «68 premières fois»
Blog DOMI C LIRE
Blog Les livres de Joëlle
Blog Lire & Vous
Les autres critiques
Babelio
Lecteurs.com
Actualitté (Clémence Holstein)
Page des libraires (Marie Michaud, Librairie Gibert Joseph, Poitiers)
Blog froggy’s delight (Jean-Louis Zuccolini)
Une petite curiosité en fond sonore, le titre «Schrodinger’s Cat» de Tears for Fears.
INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Il y a quelqu’un derrière le mur.
Je ne crois pas que je dormais. Je somnolais, peut-être. Je suis allongé sur le dos, je n’ai pas ouvert les yeux.
Le parquet grince, on s’approche lentement de la chambre. Je ne suis pas sûr. Peut-être que je rêve encore.
Les pas s’éloignent vers la cuisine. Les secondes s’égrènent et je ne perçois plus le moindre son.
Et si ce n’était pas Pierre?
C’est possible, après tout ; il pourrait s’agir d’un cambrioleur. Un type habile et bien entraîné – je n’ai pas relevé de bruit particulier. Il aura crocheté la serrure puis ouvert doucement.
C’est facile de vérifier. Je me lève et je vais voir. Je peux même me contenter d’appeler: Pierre répondra s’il m’entend. Le voleur, lui, prendra plutôt la fuite. Dans les deux cas, je dissipe le doute.
Pour savoir, il me suffit d’agir.
Alors pourquoi est-ce que je reste là?
C’est étrange, cette impression ; j’ai le sentiment que je gâcherais tout. Parce qu’il y a un équilibre. Au fond, c’est presque un jeu : derrière le mur, il y a quelqu’un qui marche. Ce n’est pas Pierre, ce n’est pas un cambrioleur ; c’est comme s’ils se superposaient. Oui, c’est ça. Tant que je ne m’en assure pas, c’est un peu des deux.
J’ai fini par me redresser. Mes réflexions me semblaient stupides. Peut-être que l’idée d’un cambrioleur avait fini par m’inquiéter, je ne sais pas. Disons simplement que j’avais envie de voir mon fils.
Je suis sorti du lit et j’ai regardé l’heure. Je n’avais presque pas dormi. J’ai soupiré en pensant que je le payerai en fin de nuit.
En sortant de la chambre, j’ai aperçu Pierre. Il s’installait sur le balcon. Il avait posé des gâteaux et un verre de lait sur la petite table en fer.
Pierre a vingt ans, il ne manque jamais un seul goûter. Quand je lui fais remarquer, il hausse les épaules en souriant.
Je me suis servi un café dans la cuisine – je déteste le lait. Les biscuits, j’ai toujours aimé ça, mais lui mange des trucs trop sucrés pour moi. Le temps de le rejoindre, il avait déjà fini la moitié du paquet.
« Salut papa. »
Il m’a souri, un gâteau entre les dents, puis il m’a demandé comment s’était passée ma journée.
Le matin, j’avais chargé plusieurs clients à l’aéroport. Direction le centre-ville. La plupart n’avaient pas lâché leur téléphone ; les autres avaient dormi, tête appuyée contre la vitre. Je ne suis plus surpris de les entendre ronfler à peine installés sur la banquette. En début d’après-midi, j’étais rentré et je m’étais couché.
Ce n’était pas intéressant, alors j’ai simplement répondu «bien» et je lui ai retourné la question.
Pierre est étudiant, en troisième année de biologie. Il m’a détaillé son emploi du temps. Après le déjeuner, il est allé au club théâtre. Je dis «club», c’est pour marquer la distinction. Pierre ne va jamais voir de spectacles, il préfère jouer. C’est comme ça depuis qu’il est petit.
Il y a passé l’après-midi. Je ne comprends pas pourquoi il n’a jamais cours. Quelquefois, je demande des explications mais il se braque. Il dit que je ne suis jamais allé à l’université. « Tu ne peux pas comprendre. »
Sa troupe prépare une nouvelle représentation. « Une œuvre originale », il précise. Il en est l’auteur.
Pierre aime beaucoup écrire. Je ne sais plus de quand ça date. Plus jeune, il remplissait des carnets entiers.
Il me parle de la pièce et je hoche la tête parce qu’il m’a déjà raconté dix fois l’intrigue. Il a les yeux qui brillent quand il récite les scènes. La révolte, l’amitié, la peur et la justice. L’amour aussi. Il y a de tout dans son machin.
«Tu vois, papa? Tu devrais la lire!»
Je n’ai aucune excuse. Il m’a imprimé le texte le mois dernier. J’ai promis et, depuis, il est posé sur ma table de nuit.
Il me décrit les répétitions. Il joue de ses mains, s’accompagne de mouvements exagérés. Il rit un peu mais son visage se durcit lorsqu’il évoque les premiers rôles – un couple, si j’ai bien compris.
«Il est pas au niveau, le type.»
La fille, par contre ; un talent monstre. Il la voit déjà au cinéma. Je la devine jolie : cheveux longs, sourire d’ange, bonne élève. Mon Pierrot tombe toujours amoureux des premières de sa classe.
Je le pensais lancé sur elle, mais voilà qu’il repique sur le comédien. Cette fois, c’est plus virulent. Mauvaise diction, jeu caricatural. La grosse tête avec ça.
«Il se prend pour une star!»
Un sourire m’échappe. Pierre rougit. Il dit «Ouais, bon d’accord. Je suis jaloux», et il se met à rire.
Après ça, il débarrasse. Ses joues paraissent un peu creusées. C’est comme s’il était fatigué tout à coup, légèrement fébrile. Je demande et il dit que non, que tout va bien. «C’est presque le week-end. C’est normal d’être un peu crevé.» Je n’insiste pas.
On est jeudi, alors il sort. Je n’ai même pas demandé. C’est la même chose toutes les semaines, j’ai l’habitude.
Je prendrai le service à vingt-deux heures. En attendant, il y a James Bond à la télé. Un de ceux avec Roger Moore. La courgette humaine. Pierre rigole quand je dis ça.
J’ai fait réchauffer deux morceaux de quiche mais lui n’en prendra pas. Il mangera un sandwich en route. Il m’embrasse et enfile sa veste. « Je rentrerai tard, peut-être après toi. » Je ne dois pas m’inquiéter.
Quand il claque la porte, je me fige quelques secondes. Dans la cuisine, la quiche me toise à travers la porte vitrée du four. Tant pis. Je mangerai les deux parts. »
Extraits
« Je n’ai pas vu le moment où elle a basculé. Avec le recul, je me dis que j’aurais pu faire quelque chose. Au début, en tout cas, quand elle a commencé à m’échapper. Mais j’avais trop de boulot. Le môme, même à deux ans, il prenait encore une place terrible. D’ailleurs ce n’était pas aussi distinct. Je veux dire : elle avait toujours été comme ça. Fragile, trop sensible. Pas triste, non, mais mélancolique. Oui, j’aime bien ce mot. Mélancolique.
Les médecins ne l’ont pas dit pareil. « Une maladie ». Ça portait un nom dont je n’ai pas voulu me souvenir. Un souci dans la tête, quelque chose d’invisible en fin de compte. C’est frustrant parce qu’on a du mal à se l’imaginer.
Ce penchant pour le malheur, bien sûr que je l’avais senti. Ça lui venait toujours par phase, de longues périodes à soupirer. Je suis quand même tombé amoureux d’elle, parce qu’on ne contrôle pas tout. Peut-être que ça me plaisait de pouvoir l’aider. »
« J’ai marché jusqu’à la plage. À vrai dire, c’était plutôt une crique, un bazar de sable: des roches plantées un peu partout. L’écume fouettait l’ensemble avec acharnement. J’ai écouté les vagues se fracasser. Je les voyais à peine. Une nuit sans lune était tombée, du pétrole sur l’horizon. J’ai inspiré l’odeur de la marée. J’ai compris à quel point ça me manquait, cette histoire d’embruns. J’ai pensé qu’un jour j’y reviendrai à toute cette flotte. »
À propos de l’auteur
Né à Paris en 1988, Martin Dumont a longtemps vécu en Bretagne, où il est tombé amoureux de la mer. Un décor au cœur de son premier roman, Le Chien de Schrödinger, et une passion dont il a fait sa profession: il est aujourd’hui architecte naval. (Source : Éditions Delcourt Littérature)
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