Irréfutable essai de successologie

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En deux mots
Dans cet essai pétillant de malice, Lydie Salvayre nous donne les recettes pour avoir du succès. Avec des portraits au vitriol de l’influenceuse à l’homme influent, de différentes catégories d’écrivains à l’homme politique, elle illustre son propos. Ce vrai-faux manuel de développement personnel est un bonheur de lecture.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Les mœurs de ce siècle

Tout à la fois pamphlet et pastiche, cet essai de Lydie Salvayre nous propose toutes les recettes pour avoir du succès. Né d’une saine colère, ce petit bijou d’ironie vacharde est admirablement bien ciselé.

Il serait bien dommage de suivre l’ultime conseil de Lydie Salvayre, «jetez au loin ce livre», tant sa lecture est réjouissante. Avec son humour vachard, sa grande érudition et son sens de la formule, son essai vaut vraiment le détour.
S’il ne faut pas hésiter à se plonger dans cet Irréfutable essai de successologie, c’est d’abord parce que nous avons affaire à un ouvrage littéraire, à un style inimitable, à des phrases ciselées.
Ensuite, parce que ce panorama de notre société, qui fait la part belle au superficiel et à la course à la notoriété, est une mise en garde qu’il ne faut pas négliger. Car qui peut affirmer qu’il n’a jamais vu son visage se refléter dans ce miroir aux alouettes? N’a jamais cédé à la facilité en s’abrutissant devant une émission de télé racoleuse ou en se noyant dans les réseaux sociaux avec une belle collection d’émojis à la clé.
En forçant le trait et en nous encourageant à pousser le bouchon encore plus loin, Lydie Salvayre nous suggère qu’il y a sûrement mieux à faire, même si les miettes butinées sur les réseaux sont «bien plus faciles à digérer qu’un pavé de 600 pages».
Construit comme un vrai-faux manuel de développement personnel, le livre nous propose ses recettes en intertitres et en caractères gras, nous offre la conduite à tenir, le tout complété de quelques remarques très loin d’être anodines.
Bien entendu, ce guide est accompagné de portraits bien sentis de ces champions toutes catégories du succès, à commencer par l’influenceuse qui fait son miel des réseaux sociaux. Suivront le capitaine d’industrie en homme influent, toute une série d’écrivains – un milieu que Lydie Salvayre connaît fort bien, des débutants aux tueurs – les critiques et bien entendu, l’homme politique qui n’est pas avare lui non plus de flagornerie et de compromissions.
On pense bien entendu aux moralistes qui depuis Horace en passant par Rabelais et La Bruyère ont su railler avec talent les mœurs de leurs confrères et de la Cour qui se pressait autour des monarques. On y ajoutera Jonathan Swift qui a soufflé à Lydie son titre en proposant en 1699 un Irréfutable essai sur les facultés de l’âme.
Du coup, comme l’a si bien écrit Frédéric Beigbeder dans le Figaro, «le retour de Lydie Salvayre à la satire est une bonne nouvelle: si elle a envie de stigmatiser le milieu littéraire, cela prouve qu’il existe encore. (…) Son Irréfutable essai de successologie est absolument réjouissant de bout en bout. On en prend tous plein la gueule.» Dans la bibliographie de l’écrivaine, il vient se placer dans la lignée de Quelques conseils utiles aux élèves huissiers (1997) et Portrait de l’écrivain en animal domestique (2007), mais aussi pour la vivacité du style à Rêver debout (2021).
Alors non, il ne faut vraiment pas jeter au loin ce livre à la langue si férocement chatoyante, aux citations habilement semées, à la mauvaise foi si brillamment mise en scène. Il faut le lire et le relire. Car alors nous ferons partie d’une caste bien particulière, celle des «lecteurs véritables», infime partie de la population «qui n’a pas le cerveau saturé d’informations incessantes et sans lien les unes avec les autres» mais garde «un contact intime, direct, charnel, avec les œuvres littéraires».

Signalons qu’au printemps prochain, Lydie Salvayre sera en résidence avec Chloé Delaume (prix Médicis 2020 avec Le Cœur synthétique), à la Villa Valmont pour une création commune. Cette «Maison des écritures et des paysages», premier site entièrement dédié à l’écriture et à l’accompagnement des auteurs dans l’agglomération bordelaise, sera inaugurée fin avril.

Irréfutable essai de successologie
Lydie Salvayre
Éditions du Seuil
Roman
176 p., 17,50 €
EAN 9782021516678
Paru le 2/01/2023

Ce qu’en dit l’éditeur
Comment se faire un nom ?
Comment émerger de la masse ?
Comment s’arracher à son insignifiance ?
Comment s’acheter une notoriété ?
Comment intriguer, abuser, écraser, challenger ?
Comment mentir sans le paraître ? Comment obtenir la faveur des puissants et leur passer discrètement de la pommade ? Comment évincer les rivaux, embobiner les foules, enfumer les naïfs, amadouer les rogues, écraser les méchants et rabattre leur morgue ? Comment se servir, mine de rien, de ses meilleurs amis ? Par quels savants stratagèmes, par quelles souplesses d’anguille, par quelles supercheries et quels roucoulements gagner la renommée et devenir objet d’adulation ?

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
En attendant Nadeau (Norbert Czarny)
Madame Figaro (Minh Tran Huy)
Diacritik (Christine Marcandier)
Europe 1 (Philippe Vandel – L’invité culture)
Sud-Ouest (Isabelle Bunisset)
Lire (Alexis Brocas)
Lettres capitales (Dan Burcea)

Nonfiction (Jean Bastien)
Blog Baz’Art
Blog Culture 31


Lydie Salvayre, la littérature doit-elle être un lieu d’engagement ? © Production France Culture

Les premières pages du livre
1
Nos esprits les plus hautement spéculatifs ont découvert l’existence de milliers d’exoplanètes, identifié les traces d’un ankylosaure vieux de 168 millions d’années, établi que la vitesse de la lumière était de 299 792 458 mètres par seconde, mis au point des parapluies biplaces, des perruques pour chien, des protège-moustache, des masques antigloutons, des porte-glace à piles, et mille autres merveilles.
Mais nul encore n’a tenté de se lancer dans l’analyse sérieuse et approfondie des meilleurs moyens pour parvenir au succès !
Pourquoi tant d’intelligence gaspillée par des cerveaux admirables pour élucider des choses de bien moindre importance ?

Pourquoi un tel domaine, dont les lois déterminent le bonheur des hommes (ainsi que leur fortune), n’a-t-il pas été traité avec le sérieux qui convient ?
Pourquoi un aussi scandaleux mutisme ? Pourquoi une telle inconséquence ?
Pourquoi, pourquoi ?
Allons-nous plus longtemps demeurer dans cette coupable ignorance qui a réduit à la misère les individus les plus méritants ?
Non, non et non ! Cela est proprement inadmissible.
Je me propose donc de remédier à cette grave lacune en me lançant, avec l’audace d’un Christophe Colomb, dans l’exploration de ce continent ignoré, afin de répondre à ces hautes questions qui tourmentent le genre humain depuis que le monde est monde :
Comment se faire un nom ?
Comment émerger de la masse ?
Comment s’arracher à son insignifiance ?
Comment s’acheter une notoriété ?
Comment intriguer, abuser, écraser, challenger ? Comment mentir sans le paraître ? Comment obtenir la faveur des puissants et leur passer discrètement de la pommade ? Comment évincer les rivaux, embobiner les foules, enfumer les naïfs, amadouer les rogues, écraser les méchants et rabattre leur morgue ? Comment se servir, mine de rien, de ses meilleurs amis ?
Par quels savants stratagèmes, par quelles souplesses d’anguille, par quelles supercheries et quels roucoulements gagner la renommée et devenir objet d’adulation ?
Car se distinguer du reste des humains, être quelqu’un, quelque chose, apparaître au JT de 20 heures, avoir sa photo dans le journal, rêver de devenir une star, convoiter les honneurs et les applaudissements, bref désirer de briller aux yeux du plus grand nombre constitue la passion la plus archaïque et la plus universelle qui soit en ce bas monde.

Grâce à cet irréfutable essai qui, je le présume en toute modestie, licenciera définitivement l’ancienne politique, réinventera les lois de la morale, et m’assurera une admiration universelle, grâce à cet irréfutable essai, disais-je, je donnerai à cette passion la place qu’elle mérite : la première.
Je défricherai pour vous, mes agneaux, les voies encombrées et semées d’embûches qui mènent à la réussite, et vous prodiguerai les conseils nécessaires pour vous empêcher de tomber dans les nombreuses chausse-trapes qui guettent tous les jeunes aspirants à la gloire, et vous aider à être au top, très important ça, d’être au top.
Mais avant que d’aller plus loin dans mon projet que je n’hésite pas à qualifier de salvateur, il me semble important de vous donner une définition précise du succès tel que je le conçois.

2
Définition du succès
Le succès est le remède universel longuement recherché pour guérir du malheur.
Si je place cette définition en tête du présent chapitre, c’est que trois raisons m’ont conduite à cette formulation que j’estime très vraie et très incontestable.

1. La première, tirée d’un grand nombre d’observations, me permet d’avancer que :
le succès embellit,
le succès anoblit,
le succès bonifie,
le succès enhardit,
le succès purifie,
et vous lave des bassesses, mesquineries et saloperies commises par le passé, car :
Le succès possède d’excellentes facultés détergentes.
Le succès vous confère l’estime, la considération et le respect, et fait de vous l’ornement de votre famille, son joyau, son trésor, son magot.
Le succès, de surcroît, vous confère indéniablement du sex-appeal, ce qui m’amène à affirmer que :
Le succès est aphrodisiaque.
Le succès, en accordant de la valeur et du brillant à tous vos gestes et paroles, en vous apportant la consistance dont vous étiez privé, en vous faisant apparaître sous un jour plus avantageux, vous dote, par là même, d’une haute idée de vous-même, satisfait exquisément votre ego, congédie du même coup vos soucis parasites, et décuple ainsi les facultés de votre esprit.
Le succès a aussi ce pouvoir, injustement ignoré, de vous rendre bon, serviable et même charitable. Parfaitement !
Le succès, en enrageant la concurrence, vous vaut un certain nombre d’ennemis dont l’existence, c’est attesté par nos plus brillants neurologues, constitue un excitant remarquable pour vos facultés mentales, qu’il fouette et revigore tout à votre avantage.
Enfin et surtout, le succès immunise contre la mort.

En résumé, le succès, par un phénomène que je n’hésiterai pas à qualifier de transsubstantiation, fait passer pour intelligent l’individu le plus con, pour séduisant le plus moche, pour aimable le plus odieux, pour honnête le plus malhonnête et pour immortel le plus piètrement mortel.
Autant de prodiges qui me permettent d’inférer que ce ne sont plus désormais ni l’art, ni la politique, ni les anciennes croyances qui déterminent notre présent.
C’est, sans contredit, le succès.
Le succès est la nouvelle religion.

2. La deuxième raison, et non la moindre, est que le succès, infailliblement, enrichit.
D’où il s’ensuit que, dans cette nouvelle religion, c’est aux riches, mes anges, que le ciel est promis.

Nous savions depuis longtemps que l’argent gouvernait le monde, et que :
Seuls les imbéciles créent pour une autre raison que l’argent,
ainsi que l’affirma le très pertinent Samuel Johnson dans son Art de l’insulte et autres effronteries.
Mais il est tout à fait nouveau que, loin de s’opposer à son règne ou de coupablement s’y résoudre, le genre humain, avec une unanimité et une ferveur sans égales, s’y plie désormais avec délice, exaltant ses bienfaits et claironnant ses vertus.
Le monde a beau changer, les désirs des humains demeurent invariables et limités à cinq, écrivait Euryloque. Pour ma part, je place au premier rang ce désir religieux d’être riche et célèbre.

Il suffit, du reste, de visionner quelques clips de rappeurs américains mondialement connus, pour constater que l’époque n’est plus aux pudeurs virginales devant la suprématie de l’argent et les money makers.
Si tu m’parles fric, j’suis toujours en déclic, chante Pussy Dundee.
Et son refrain fameux J’veux prendre d’l’oseille jusqu’à l’infini, ouais ouais, est devenu le cri de ralliement de la plupart d’entre eux.
Quant à l’expression de leur douleur mâtinée de révolte, elle se marie admirablement yeah yeah avec les bagouses en diamant qu’ils exhibent à chaque doigt, et les grosses chaînes en or qui ornent leur poitrine.

Je ne donnerai qu’un exemple : la fortune d’Ultra Love évaluée à ce jour à 1 milliard de dollars. Tu mesures frérot ! de la beuh à la pelle ! une Rolex pour chaqu’ jour ! une Ferrari qui fonce ! et une pute à gros luc qui t’suce sur ordre ! le paradis sur terre !

Cette transformation copernicienne des esprits qui s’est opérée depuis peu, et dont l’humanité n’avait encore donné aucun exemple, ne souffre aujourd’hui nulle contestation.
Et l’on peut affirmer sans ambages que :
Il n’y a d’heureux que les gens à succès.
Avec son corollaire :
Ne laissez pas l’argent aux mains des seuls champions de la finance et autres voleurs qualifiés.
Vous y avez droit tout autant qu’eux.

3. La troisième raison enfin découle du constat mille fois reconduit que nul créateur, serait-il un prodige de sensibilité, d’intelligence et d’invention, ne peut être applaudi s’il ne se plie à un certain nombre de règles que j’exposerai ci-après.

Mais avant de vous les faire connaître, je me dois de vous éclairer sur les personnes que vous serez amené à rencontrer et qu’il vous faudra fuir ou au contraire ménager, amadouer, bichonner, aguicher, racoler, flagorner, entuber, ou séduire, si vous voulez obtenir d’elles leurs bonnes grâces et parvenir jusqu’au sommet.

Voici donc quelques portraits de ces spécimens auxquels une jeune femme ou un jeune homme cherchant célébrité sera forcément confronté.
Portraits tracés, je le confesse, sommairement, et souffrant sans doute d’outrance et de simplisme. Mais qui ont le mérite de vous laisser, mes chers lecteurs qui avez la chance inestimable de me lire, de vous laisser, disais-je, toute licence pour introduire la complexité, la nuance, et les ombres nécessaires en ceux de ces archétypes que vous aurez identifiés.

3
L’influenceuse bookstagrameuse
Lila (YouTube 2 millions d’abonnés, Instagram 2,5 millions d’abonnés, TikTok 1,2 million d’abonnés)
Tout un chacun a pu le constater : il est aisé autant que délicieux de gloser sur la bêtise des autres.
Quant à moi, je m’abstiens, autant qu’il m’est possible, de tomber dans ce travers, animée que je suis d’une profonde et sincère philanthropie.
Je m’en dispense d’autant plus aisément que je ne suis pas sans savoir que le plus sot est souvent celui-là même qui désigne la sottise de l’autre et ne voit pas celle qui resplendit en lui.
Cependant, l’inintelligence de notre bookstagrameuse est si prodigieuse, si étourdissante, et d’un niveau si supérieur ; elle opère sur les autres un tel pouvoir fascinatoire que je ferai, pour elle, exception à la règle.

Portrait

Le regard velouté, fort mamelue après une intervention chirurgicale à Dubaï (destination tendance), avantageusement nantie d’un derrière houleux dont les dimensions sont inversement proportionnelles à celles de son esprit, elle dispose d’un potentiel érotique hors du commun, sans doute accentué par une moue boudeuse qu’elle cultive à souhait.
S’évertuant à plaquer sur son visage la profondeur qui manque à son cerveau, elle laisse glisser, de ses lèvres refaites, de grandes déclarations fertiles en évidences, ou se lance, avec l’apparence de la plus grande affliction, dans des discours vibrants de sentiments compassionnels et de propositions réconfortantes (concernant les pauvres qui ont faim, les Ouïghours qui ont froid, les Somaliens qui ont chaud, les Sahraouis qui ont soif, les
Afghanes qui ont peur, les Ukrainiens qui ont mal… elle en possède un jeu entier) grâce auxquels, pense-t-elle, son marché de la compassion gagnera en surface, et son petit capital : en euros.
Elle va jusqu’à défendre le Bien contre le Mal – ce dont nous ne saurions trop l’en féliciter – tout en faisant la publicité du rouge à lèvres repulpant rouge framboise de la marque Fastel. Le sourire qu’elle esquisse alors et qui projette sur son visage une aura d’heureuse niaiserie, constitue une véritable consolation, une exaltante raison d’espérer pour les adolescentes vivant dans des HLM de Créteil, lesquelles représentent son marché porteur. Celles-ci, en effet, depuis qu’elles la suivent sur TikTok et Instagram, ne regardent plus du même œil le hall d’entrée de leur immeuble jonché d’ordures et empestant l’urine, car elles savent désormais que ce hall peut s’ouvrir sur d’exaltantes perspectives. »

Extraits
« Remarque
D’une manière générale, fuyez comme le diable les revêches, les hargneux, les amers, les aigris, les navrés, les meurtris et tous ces mécontents aux rêves avortés qui n’ont pas réussi à convertir en forces leurs frustrations et leurs rancunes.
Il n’est pas contagion plus nocive que celle de ces rabat-joie.
Ils sont tous, de surcroît, affligés d’une haleine fétide probablement liée aux aigreurs d’estomac où se loge leur âme.
Si vous ne parvenez pas à vous en défaire, désignez-leur un bouc émissaire sur lequel ils pourront reporter toutes leurs frayeurs et amertumes: l’un de vos ennemis personnels, par exemple un certain P., une ordure.
Je reprendrai demain mon catalogue d’écrivains, si mon humeur m’y porte. C’est-à-dire si aucune nouvelle sombre ne vient obscurcir mon ciel et paralyser mon esprit.
Précaution: m’abstenir impérativement de regarder la chaîne NewsNews, bien plus nocive pour ma santé psychique qu’un abus de whisky ou de Zolpidem. p. 63

Il est devenu, aujourd’hui,
tout à fait superflu de lire,

je puis vous l’affirmer sans la moindre nostalgie.
Nos cerveaux saturés d’informations incessantes et sans lien les unes avec les autres, ne disposent, en effet, que d’une part réduite d’attention aux œuvres littéraires. Et le nombre de lecteurs véritables, je veux dire de lecteurs ayant un contact intime, direct, charnel, avec elles, ne représente plus qu’une infime partie de la population.
Tous les autres dont vous êtes, j’ose l’espérer, se satisfont fort raisonnablement des miettes qu’ils butinent sur les réseaux, bien plus faciles à digérer qu’un pavé de 600 pages.
Ce qui ne les empêche pas d’exhiber, comme on le fait d’un trophée, l’ouvrage qu’ils ont commandé sur Amazon sans avoir pris la peine de l’ouvrir.
Cela, mes amis, représente un progrès vertigineux dans l’histoire des hommes. » p. 140

À propos de l’auteur
SALVAYRE_lydie_©joel_sagetLydie Salvayre © Photo Joël Saget

Lydie Salvayre a écrit une douzaine de romans, traduits dans de nombreuses langues, parmi lesquels La Compagnie des spectres (prix Novembre), BW (prix François-Billetdoux), Pas pleurer (prix Goncourt 2014) et Rêver debout (2021). (Source: Éditions du Seuil)

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Croire – Sur les pouvoirs de la littérature

AUGIER_croire  RL_2023  

En deux mots
Le projet d’écrire un livre sur la force de la littérature va être contrarié par la leucémie de sa mère. Sauf que la malade est une femme engagée qui va encourager sa fille à réaliser son projet. En retraçant leurs lectures communes puis son propre cheminement, Justine Augier lui rend un bel hommage.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

Lire et écrire, actes de résistance

Justine Augier a grandi avec les livres et a compris combien ils étaient essentiels. Dans ce court essai, qui rend aussi hommage à sa mère, elle dit le pouvoir de la littérature. En partageant ses combats et sa peine, elle nous offre un nouvel horizon. Lumineux.

C’est durant le confinement, ce temps suspendu, que Justine Augier a eu l’idée d’écrire sur les pouvoirs de la littérature. Une idée qui va l’accompagner quelques temps et qu’elle va confier à sa mort qui se bat contre une leucémie qui finira par l’emporter. Mais avant sa mort, elle aura eu le temps d’intimer à sa fille sa volonté de la voir mener à bien ce projet. Alors, il n’est plus question de tergiverser. Elle reprend ses notes et se met au travail. Assez vite, elle dresse ce constat: «Les livres sédimentent en moi d’une façon mystérieuse, ils déclenchent de longues et lentes transformations dont il m’arrive parfois de repérer les effets, discernant une preuve du cheminement. Le philosophe Emanuele Coccia n’hésite pas à évoquer la radioactivité de l’écriture, pour tenter d’approcher cette façon dont la matière mutante ne cesse de cheminer en nous et d’irradier.» Alors revenir à ses lectures, surtout celles partagées avec sa mère, c’est continuer à vivre avec elle. C’est retrouver dans les souvenirs toute ces «figures d’une génération qui font le lien avec une époque qui commence à se dessiner, floue encore, une époque vouée à imprégner mon enfance.» Il y a là Romain Gary mais aussi Simone de Beauvoir, Boris Vian, André Malraux et Albert Camus. Des auteurs qu’elle idolâtre et aime découvrir au fil des parutions. Puis viendront Miller, Lowry et Lawrence Durrell auquel Justine doit du reste son prénom.
Des lectures qui donnent des envies d’ailleurs mais poussent aussi à la liberté, y compris celle de s’émanciper de sa mère, de choisir d’autres auteurs, d’autres styles. C’est l’époque où après Camus, elle choisit Sartre, Proust, Claudel, puis Deleuze et Barthes, Blanchot et Derrida. «J’éprouve une joie profonde à découvrir mes auteurs, à découvrir qu’on peut écrire de tant de manières différentes». Quand sa mère lit Yourcenar, elle tourne vers une autre Marguerite, Duras qui lui paraît «tellement plus essentielle et profonde. La grande découverte c’est Le Ravissement de Lol V. Stein» et ces mots qui sonnent si justes, ces combats qui réveillent les consciences.
Sa Marguerite a poussé Justine vers la révolte, vers les témoignages, vers d’autres héros tels que Razan engagé en Syrie contre le dictateur. «La littérature prend soin des rêves défaits et les attise, dans l’espoir aussi que peut-être et d’une façon mystérieuse, ils puissent cheminer pour en embraser d’autres.»
La fille de Marielle de Sarnez, femme politique et brièvement ministre des affaires européennes, réussit avec brio et bonheur à nous faire partager ses bonheurs de lecture et sa conviction qu’il faut toujours avancer dans la vie avec les livres. Quel beau message pour ouvrir la rentrée littéraire 2023 et la promesse de découvrir les nouveaux livres d’auteurs avec lesquels nous cheminons, mais aussi de faire de nouvelles découvertes.

Signalons une rencontre-lecture ce 10 janvier à la Maison de la poésie animée par Sophie Joubert avec des lectures de Constance Dollé.

Croire, sur les pouvoirs de la littérature
Justine Augier
Éditions Actes Sud
Récit
144 p., 18 €
EAN 9782330174835
Paru le 2/01/2023

Ce qu’en dit l’éditeur
Justine Augier (« De l’ardeur », « Par une espèce de miracle »…) qui pratique et incarne une forme de pudeur et d’éthique littéraire assez uniques voit son projet d’écrire sur la littérature comme lieu de l’engagement entrer en collision avec la maladie et bientôt la mort de sa mère. Alors que la nature même de l’urgence mute, l’intime et l’universel se tressent dans un texte bouleversant de justesse et de clairvoyance. Et qui rappelle le potentiel devenir résistant de chaque lecteur.
À l’intersection du littéraire et du politique un livre bref et fulgurant qui trouve sa place entre Hannah Arendt et Joan Didion. Pas moins.
« Dans un temps d’enfermement et de suspens qui rendait curieusement attentif aux dangers de l’époque, l’envie d’écrire sur la littérature et ses pouvoirs m’a traversée une première fois. Elle naissait d’une croyance familière bien qu’intermittente en la puissance de la littérature face à ce qui enferme, écrase le temps, les identités, la langue, les possibles, les luttes et les espoirs. En ces temps suspendus qui nous enjoignaient de revenir à l’essentiel, dans lesquels vibraient toutes nos craintes, existentielles et politiques, j’ai pensé trouver de quoi tenir en revenant à cette croyance en une capacité des phrases à changer quelque chose au réel, par l’entremise de ceux qui lisent. Puis, à mesure que la vie a repris son cours, cette foi a peu à peu faibli, a fini par perdre de son aura brûlante, et j’ai mis de côté les quelques pages écrites.
L’hiver suivant, mon envie s’est imposée de nouveau. Cinq mois plus tôt, nous avions découvert que ma mère souffrait d’une leucémie dont elle allait mourir un mois plus tard. Elle avait passé la plus grande partie des cinq mois qui venaient de s’écouler enfermée dans une chambre stérile d’hôpital, séparée du reste du monde, une pièce dans laquelle, à part le personnel médical, seuls mon frère et moi avions le droit de pénétrer. Lors d’une visite, j’ai évoqué l’envie qui m’avait traversée et, des semaines plus tard, alors que nous pressentions une rechute après des mois de rémission, alors que nous attendions dans la chambre les résultats d’une analyse devant confirmer nos craintes, elle a prononcé ces mots : Il faut que tu l’écrives, ce livre sur la littérature et ses pouvoirs. J’ignorais quelle idée elle pouvait s’en faire depuis son enfermement mais je savais une chose, la possibilité de ne pas l’écrire avait disparu.» J. A.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Actualitté (Hocine Bouhadjera)

Les premières pages du livre
« Dans un temps d’enfermement et de suspens qui rendait curieusement attentif aux dangers de l’époque, l’envie d’écrire sur la littérature et ses pouvoirs m’a traversée une première fois. Elle naissait d’une croyance familière bien qu’intermittente en la puissance de la littérature face à ce qui enferme, écrase le temps, les identités, la langue, les possibles, les luttes et les espoirs. Pendant le confinement, cette croyance est donc revenue m’habiter, et les pouvoirs du livre trouvaient des contours presque nets alors que je venais de raconter l’histoire de Razan Zaitouneh, avocate, écrivaine et figure de la révolution syrienne, et celle de son ami, le penseur et écrivain Yassin al-Haj Saleh.
Tous deux nous mettaient en garde – Yassin avait prévenu, s’adressant aux Européens : La Syrie est votre futur, et cette phrase ne cessait de me hanter –, mais ils dégageaient aussi de l’espace, eux qui inventaient, pensaient et écrivaient d’une façon neuve, ouvraient des brèches, laissaient entrevoir un peu de ces échappées tant espérées.
Je le devinais, la clarté de cette vision serait éphémère, vouée à s’effilocher et se défaire, ses contours seraient bientôt perdus, rendus au mystère pour être de nouveau cherchés. Mais en ces temps suspendus qui nous enjoignaient de revenir à l’essentiel, dans lesquels vibraient toutes nos craintes, existentielles et politiques, j’ai pensé trouver de quoi tenir en me tournant vers ce que peut la littérature contre ce qui entrave, au-delà de ces semaines confinées, en revenant à cette croyance ténue mais entière en une capacité des phrases à changer quelque chose au réel, par l’entremise de ceux qui lisent. Puis, à mesure que la vie reprenait son cours, cette foi a faibli et bientôt, quand je la considérais hors du travail d’écriture, revenue de l’immersion profonde, elle avait perdu de son aura brûlante, avait laissé place à une sorte de lubie, vaguement ridicule. J’aurais pu tenter de raconter l’intermittence de cette croyance puisqu’elle fait partie de la question, cette difficulté que nous avons à croire une fois pour toutes à la possibilité de déplacer, même de façon infime, une situation qui semble perdue d’avance, mais j’ai renoncé et mis de côté les quelques pages écrites.
L’hiver suivant, cette envie s’est imposée de nouveau. Cinq mois plus tôt, nous avions découvert que ma mère souffrait d’une leucémie dont elle allait mourir un mois plus tard. Elle avait passé la plus grande partie des cinq mois qui venaient de s’écouler enfermée dans une chambre semi-stérile à la Pitié-Salpêtrière, une pièce séparée du reste de l’hôpital et du monde par un sas, une pièce dans laquelle, à part le personnel médical, seuls mon frère et moi avions le droit de pénétrer mais pas en même temps, chacun de nous s’y rendant un jour sur deux pour y passer quelques heures. L’un de ces jours sur deux, j’ai évoqué l’envie qui m’avait traversée. Quand ma mère était séduite par une idée, elle devenait incapable d’y renoncer, s’y consacrait à sa manière, subtile et tenace, résolue à agir mais sans trop en avoir l’air, trouvant des moyens détournés, et s’il s’agissait ainsi de soutenir et d’accompagner, elle donnait l’impression d’une présence presque magique à vos côtés, tant elle savait se faire discrète et efficace.
Cinq mois après le diagnostic et un mois avant sa mort, en décembre 2020, elle porte un pull en laine bleu marine col en v, bien droite, le pull devenu trop grand, le bout de ses doigts repliés sur le revers des manches (J’insiste sur le fait qu’il y a toujours un détail qui “crispe” le souvenir, qui provoque cet arrêt sur image, la sensation et tout ce qu’elle déclenche, Annie Ernaux). Le col en v révèle les taches de rousseur sur la peau blonde dont je sais depuis toujours la chaleur et l’odeur, quelque chose dans son visage, dans la place qu’y ont pris ses yeux, donne à chaque mot prononcé, même le plus anodin, une forme de gravité, mais sans peser. On pourrait penser que nous sommes en train de compter les mots qui lui restent à dire mais ce n’est pas le cas, nous nous concentrons entièrement sur l’oubli de la possibilité du pire, et peut-être la gravité vient-elle de là, de cet effort intense que nous fournissons toutes les deux sans relâche. C’est en tout cas ce que je pense sur le moment. Maintenant j’ai compris que ce n’était pas le cas, qu’elle savait très bien ce qu’elle faisait, qu’elle avait comme toujours un coup d’avance.
Nous avons appris à circuler dans la petite chambre aux murs mauves, appris à nous y passer les objets, à nous y croiser, et ce jour de décembre nous attendons les résultats d’une analyse, celle d’un fragment de moelle osseuse prélevé la veille dans sa crête iliaque, et nous pressentons la rechute après des mois d’une rémission qui devait permettre greffe et espoir. Nous avons déjà occupé le temps en regardant sur la petite télévision suspendue un documentaire consacré à la métamorphose des chenilles, concentrées devant la beauté curieusement appropriée du spectacle, et là nous sommes debout, très proches l’une de l’autre, je me suis levée pour la laisser reprendre sa place et je ne sais trop comment dire ce moment, malgré son intention qui aujourd’hui me semble claire, ce n’est pas comme si elle tentait de dramatiser l’instant, comme si elle disait écoute, je te parle depuis ce lieu où je me sais condamnée. Son regard bien planté dans le mien, ses doigts jouant un peu avec le revers de la manche elle dit seulement, alors que nous n’avons pas évoqué ce sujet depuis des semaines: Il faut que tu l’écrives, ce livre sur la littérature et ses pouvoirs. J’ignore quelle idée elle s’en fait, ce qu’elle imagine depuis son enfermement, à quel point son envie peut ressembler à la mienne, mais une chose est sûre, la possibilité de ne pas l’écrire disparaît.
Un an après sa mort je la revois, me laisse envahir par son visage concerné, l’écoute me passer commande et me donner rendez-vous, comme si elle avait su que la force pourrait venir à me manquer, qu’il lui faudrait encore me soutenir et se pencher avec moi sur ce texte à écrire, qui deviendrait aussi un lieu où nous retrouver.

PARLER AU FANTÔME
J’ai découvert l’existence de Razan Zaitouneh en même temps que je découvrais sa disparition, dans un documentaire qui avait été filmé alors qu’elle se trouvait à Douma, une ville de la banlieue de Damas, bombardée et assiégée mais libérée de la présence du régime Assad, où Razan tentait avec d’autres d’in- venter la Syrie nouvelle. Apparition furtive d’une jeune femme blonde et menue de trente-sept ans, qui demande à celui qui tient la caméra d’arrêter de la filmer avant d’ajouter, sourire en coin: Je ne plaisante pas. J’ai vu ce film alors que je vivais à Beyrouth, en 2014, près d’un an déjà après la disparition de Razan, dans la nuit du 9 au 10 décembre 2013.
Razan Zaitouneh s’est toujours opposée au régime de Bachar al-Assad, dont elle s’est acharnée à documenter les crimes, mais elle a été enlevée avec trois camarades par le groupe islamiste qui avait fini par prendre le pouvoir à Douma, a ainsi disparu comme tous ceux qui partageaient la vision d’un régime démocratique et pluriel. Ces opposants avaient méthodiquement été pris pour cible et finissaient alors d’être éradiqués après avoir été poussés à l’exil, torturés, tués ou torturés encore. Ils ont été écrasés avec la révolution et ses promesses, et puis ils ont été écrasés une seconde fois, par l’indifférence et l’oubli que le monde leur a réservés quand pourtant jamais écrasement n’avait été si bien documenté : centaines de milliers de preuves à disposition pour qui aurait la force de chercher à savoir.
Le monde a ignoré la Syrie. L’Europe aussi, qui s’était pourtant construite après la Seconde Guerre mondiale en faisant de certaines valeurs universelles son socle, en affirmant sa détermination à lutter contre le fascisme, en affirmant avec force – et dans cet espoir résidait en grande partie la beauté de son programme – que certains crimes concernaient l’humanité et qu’il fallait tout mettre en œuvre pour que jamais ils ne se reproduisent. J’ai grandi dans une Europe en construction que les pays rejoignaient les uns après les autres et c’était chaque fois une fête, rien ne semblant pouvoir arrêter ce mouvement, idée folle qui était la nôtre d’un progrès constant, d’une modernité dans laquelle dorénavant nous aurions été bien établis. La construction venait après la grande destruction et ces deux termes étaient devenus inséparables : il fallait garder en mémoire les crimes mais c’était certain, nous étions parvenus à sauver quelque chose des ruines. Pourtant nous avons renoncé à considérer les femmes et hommes syriens qui se sont battus pour un idéal que nous prétendons incarner, et ce que révèle ce renoncement est vertigineux – nous l’avons entraperçu peut-être, le temps d’un court frisson, d’une peur ancienne que nous avions cru disparue, alors que la Russie envahissait l’Ukraine.
Razan et ses camarades ont produit des preuves sur les crimes commis par le régime Assad pour échapper à un premier enfermement – c’est toujours ce qu’ils font, ils passent leur temps à trouver des brèches pour se dégager de l’état de siège, pour lutter contre l’idée même d’une absence d’alternative –, enfermement d’un temps défait de son passé, de sa mémoire, un temps statique voué à un éternel présent, privé d’avenir et de la possibilité d’un déplacement du réel. Ils ont réuni ces preuves pour répondre à ce slogan du régime syrien : Assad pour l’éternité, pour répondre à ce régime qui tentait de nier sa propre finitude en privant le peuple syrien de son histoire.
Yassin al-Haj Saleh, qui a passé seize ans dans les prisons d’Hafez al-Assad, dont le frère a disparu après avoir été enlevé par l’État islamique, dont la femme, Samira al-Khalil, a disparu à Douma en même temps que Razan, a écrit sur la façon dont les révolutionnaires ont voulu s’élever contre l’idée d’une Syrie qui serait terre d’oubli, se réappropriant leur histoire et les noms effacés par le régime, nommant les disparus et rouvrant ainsi la possibilité du futur, que chacun parle en son nom. Que chacun résiste à l’oubli général, parce que tout comme la prison et l’exil, l’oubli est d’ordre politique. Et c’est ainsi qu’au péril de leurs vies des milliers de Syriens se sont lancés dans un gigantesque travail de documentation, ont réuni des documents administratifs, des images, des témoignages, des films et des métadonnées, les ont fait sortir de Syrie, les ont confiés – et il faudrait raconter l’histoire de chaque document sauvé, les risques pris pour chaque preuve –, afin de constituer une mémoire, désirant croire que cette matière pourrait un jour venir à bout de l’impunité, poussés par leur désir de justice et le refus du monde tel qu’il va. »

Extraits
« Je l’ai dit, je me souviens très mal des livres, et j’éprouve souvent de grandes difficultés à en extraire des scènes ou des phrases précises. Les livres sédimentent en moi d’une façon mystérieuse, ils déclenchent de longues et lentes transformations dont il m’arrive parfois de repérer les effets, discernant une preuve du cheminement. Le philosophe Emanuele Coccia n’hésite pas à évoquer la radioactivité de l’écriture, pour tenter d’approcher cette façon dont la matière mutante ne cesse de cheminer en nous et d’irradier. » p. 31

« Il y a Gary mais aussi Beauvoir, Vian, Malraux er Camus, figures d’une génération qui font le lien avec une époque qui commence à se dessiner, floue encore, une époque vouée à imprégner mon enfance. Je Les lis, les idolâtre, m’intéresse à leurs vies, aime découvrir les glissements d’un livre à l’autre, voir l’œuvre se métamorphoser. » p. 39

« La littérature fait vivre la pluralité en chacun, donne vie en soi à d’autres regards sur le monde, réactive une manière enfantine de se réinventer, enjoint à déployer des représentations et entraîne l’imagination, fait souffrir un peu l’ego et si je me souviens mal des livres c’est aussi pour cette raison, parce que lorsque je lis vraiment, je deviens incapable de distance critique, m’en remets tout à fait à l’auteur, adhère et le laisse me pousser un peu hors de moi, accepte cette forme d’effraction, de léger bousculement (Au fond, le but final de l’écriture, l’idéal auquel j’aspire, c’est de penser et de sentir dans les autres, comme les autres — des écrivains, mais pas seulement — ont pensé et senti en moi. Annie Ernaux). » p. 54

« Duras, Proust, Claudel, puis Deleuze et Barthes, Blanchot et Derrida un peu plus tard, J’éprouve une joie profonde à découvrir mes auteurs, à découvrir qu’on peut écrire de tant de manières différentes, une exaltation qui accompagne le sentiment d’émancipation et passe par cet endroit, par la découverte de ce qui s’ouvre ainsi et semble sans fond.
Ma mère lit Marguerite Yourcenar, me l’a souvent conseillée mais je refuse de la lire, décide de ne pas lui accorder d’importance, surtout ne plus accepter ses conseils, et je découvre une autre Marguerite qui devient la mienne et paraît tellement plus essentielle et profonde, La grande découverte c’est Le Ravissement de Lol V. Stein… » p. 72

« La littérature prend soin des rêves défaits et les attise, dans l’espoir aussi que peut-être et d’une façon mystérieuse, ils puissent cheminer pour en embraser d’autres. Elle a le pouvoir de renverser les imaginaires, de rendre désirables ces sources lumineuses, aussi parce qu’elle se fait avec l’obscurité, qu’il faut rétablir pour pouvoir repérer les lueurs émises, obscurité peuplée, que l’on traverse sans ricanement et les yeux bien ouverts. » p. 81

À propos de l’auteur
AUGIER_Justine_©Jean-Luc_BertiniJustine Augier © Photo Jean-Luc Bertini

Après avoir passé cinq années à Jérusalem, trois à New York, et trois à Beyrouth, Justine Augier a provisoirement posé ses bagages – et ses trois enfants – à Paris.
Elle est l’autrice de deux romans parus chez Stock (Son absence, 2008 et En règle avec la nuit, 2010). En 2013, Actes Sud publie son récit polyphonique Jérusalem, portrait. En avril 2015, paraît son nouveau roman, Les idées noires. Elle revient ensuite au récit littéraire avec le très impressionnant De l’ardeur (Histoire de Razan Zaitouneh, avocate syrienne) qui lui vaut le prix Renaudot Essai 2017. Elle retrace l’histoire de Razan Zaitouneh, dissidente syrienne enlevée en 2013, en même temps que Samira Khalil, l’épouse de Yassin al-Haj Saleh.
Avec Par une espèce de miracle (2021), elle accompagne dans l’exil celui qui devient sous nos yeux un ami et prolonge le geste qui fait de l’écriture le lieu de son engagement. Elle est également l’autrice du roman pour adolescents Nous sommes tout un monde (Actes Sud junior, 2021) et a récemment traduit Avoir et se faire avoir de l’Américaine Eula Biss pour les éditions Rivages.
Son nouveau récit, Croire. Sur les pouvoirs de la littérature, paraît en janvier 2023. (Source: Éditions Actes Sud)

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L’Autre Livre

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En deux mots
Deux ouvrages viennent rendre hommage à Michel Butel. Ses romans et nouvelles rassemblées en un volume ainsi qu’un fac-similé de l’un des journaux qu’il a lancés durant sa riche carrière, «L’azur». L’occasion de (re)découvrir un esprit libre et une plume aussi féconde que talentueuse.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Tout Michel Butel, ou presque

«L’Autre livre» rassemble les écrits de Michel Butel. En complément à ses écrits, un second ouvrage rassemble les fac-similés de sa revue «L’Azur». L’occasion de retrouver les multiples talents du Prix Médicis 1977.

Une fois n’est pas coutume, laissons le soin à Delphine Horvilleur de commencer cette chronique. Lors des obsèques de Michel Butel (1940-2018), elle a rendu hommage à son ami avec ces mots qui retracent parfaitement l’itinéraire de ce touche-à-tout de génie: «On pourrait commencer ce récit par la fin, par ce lieu où il reposera pour l’éternité tout près d’un homme qui a tant compté pour lui, son grand père Naoum, pilier de son enfance, héritier de cette histoire juive d’arrachement et d’exil, qui plonge ses racines dans le Yiddishkeit de l’Europe de l’est, de la Pologne, de l’Ukraine et de la Russie.
On pourrait raconter la vie de Michel depuis le début, à partir de 1940, d’un mois de septembre à Tarbes où naît un petit garçon caché et sauvé. Une histoire où des Justes vont jouer un rôle-clé, et le sauver, lui et son grand père. A travers eux, la question de la justice, du courage et de la droiture morale habitera toute son œuvre, ses écrits et ses engagements.
On pourrait raconter son histoire à partir, non pas d’un héritage, mais au contraire, de la rupture d’un système familial. Raconter son histoire à partir de la façon dont il s’est fait renvoyer de tant d’établissements scolaires, du collège et du lycée, de l’école alsacienne, comme un «Robin des Bois» de cours d’école qui aurait pu mal tourner, mais qui fut aussi sans doute sauvé par sa force de séduction… et par-dessus tout, sauvé par les mots, par l’écriture et par les journaux. Raconter l’histoire d’un garçon qui crée à douze ans son premier journal, et décide que l’écriture sera le cœur de sa vie, et prend un pseudo, Michel d’Elseneur, pour se débarrasser de son nom de naissance.
On pourrait raconter sa vie à partie de son œuvre, bien sûr. Des livres et des journaux qu’il a lus mais surtout écrit et créé, et dont les titres livrent un secret : L’Azur, L’Imprévu, L’Autre Journal, L’Autre Amour, L’Autre Livre. »
Mais on peut aussi désormais raconter sa vie en lisant cet autre livre qui rassemble ses romans, nouvelles, contes, essais ainsi qu’une courte biographie. Commençons par la fiction et ce premier roman L’Autre Amour, couronné par le Prix Médicis 1977 et qui a tout du thriller d’espionnage sur fond d’affaires louches, de luttes souterraines et de chantage. Van, qui est chargé de «régler les problèmes», n’a rien d’un enfant de chœur. Pas davantage que ses donneurs d’ordre. Ni même Mérien, figure de la lutte en 1968 aux côtés d’un certain Cohn-Bendit. Tous vont finir par douter de la justesse de leur engagement, tous cherchent la vérité sans jamais la trouver. Tous ont rendez-vous avec le drame. Un résumé qui fait oublier l’essentiel que le titre du livre révèle pourtant. La belle Enecke, c’est l’amour de Van, c’est aussi l’amour de Mérien. C’est aussi le rêve inaccessible. Un ange passe…
Le second roman, La Figurante, est tout aussi désespéré. Il raconte l’histoire d’Helle, une femme qui a rêvé de retrouver son père déporté à Auschwitz avant de tenter de se trouver une autre vie en s’enfuyant de chez elle à seize ans. Entre galères et clochardisation, elle va faire de vraies belles rencontres avec d’autres cabossés de la vie, une actrice, une psy très particulière et son homme, artiste-peintre. Mais celui qui va jouer le rôle déterminant est Haas, qui vient de sortir de prison. Ensemble, ils vont croire à la rédemption avant d’être rattrapés par leurs démons.
Puis vient L’Autre livre qui rassemble une tentative d’autobiographie – «Je ne voulais surtout pas être romancier, ni poète, ni essayiste, ni auteur de théâtre. Mais écrivain. Ce qui signifiait publier simultanément un roman, une pièce de théâtre, un recueil de poèmes, un essai, que sais-je encore» – des contes, des poèmes, des bouts d’essai qui éclairent aussi la richesse d’une œuvre, les fulgurances de son écriture.
Michel Butel, en ne cessant de parler à ses morts, a surtout été obsédé par cette idée de transmettre avec une plume inspirée.
Voilà venu pour moi le moment d’une confidence. Étudiant en journalisme à Strasbourg au début des années 1980, j’ai suivi avec passion le Michel Butel patron de presse et je me suis nourri de ses journaux que Béatrice Leca – qui fut associée notamment à L’Impossible en tant que directrice adjointe et rédactrice en chef – détaille avec gourmandise dans sa préface: «mensuels, hebdomadaires, en couleur, en noir et bleu, sur papier bible, agrafés, des journaux de trois cents ou de quatre pages. Le plus célèbre: L’Autre Journal (1984-1992). Le plus fou: l’azur (1994), Le plus insolent: Encore (1993), Le plus jeune: L’Imprévu (1975). Le plus risqué: L’Impossible (2012-2013.» Je rêvais alors moi aussi d’un journalisme de «plumes», de ce pouvoir des mots capables de mettre de la poésie en politique, de l’épopée dans un match de foot, du polar dans un fait divers.
Tout ce que l’on retrouve dans L’Azur que l’Atelier contemporain a eu la bonne idée de rassembler en un volume. 55 numéros de 4 pages et un spécial été que Michel Butel voyait lui-même comme un ensemble : «Dès que possible, dès que j’aurais trouvé les quelques pages de publicité qui le financeront, j’éditerai un album réunissant les 56 parutions.» La mort et les soucis financiers l’empêcheront de mener ce projet à terme. Ce beau livre est l’aboutissement de son projet, même au-delà de la mort. C’est aussi le plus bel hommage que l’on pouvait rendre à cet homme remarquable.

L’Autre livre
Michel Butel
Éditions de l’Atelier contemporain
Romans, nouvelles, contes, poèmes et autres écrits
664 p., 12 €
EAN 9782850350979
Paru le 21/10/2022

L’azur
fac-similé du journal fondé par Michel Butel
Éditions de l’Atelier contemporain
264 p., 28 €
EAN 97828503509-6
Paru le 21/10/2022

Ce qu’en dit l’éditeur
L’Autre livre
Préface de Béatrice Leca.

Au cœur de son œuvre éparse, aussi bien poétique et romanesque que théorique ou journalistique, si l’on se souvient des journaux qu’il a fondés dont les titres seuls déjouent déjà les attentes du champ médiatique comme L’autre journal, Encore, l’azur ou L’impossible, se trouve cependant une profonde nécessité. Michel Butel est avant tout un écrivain qui écrit depuis « la diagonale du désespoir », au sens où il puise dans son désespoir même les ressources pour lui échapper. Ainsi notait-il, dans le volume hétéroclite L’Autre livre paru en 1997 qui donne son nom à cette édition complète de ses écrits : « Peut-être que tout ce qui précède la mort est une affaire de lignes, d’angles, d’inclinaisons. Peut-être la vie n’est-elle qu’une géométrie variable, les sensations seulement des positions, les sentiments des directions. Et de ce lieu où nous nous attardions, de cette vie où nous fûmes si perplexes, il ne resterait que la diagonale du désespoir. » Autrement dit, écrire est une manière de « se maintenir en un état de gai désespoir », comme il le dit encore, en citant son amie Marguerite Duras.
La littérature, pour Michel Butel, est un consentement aux diagonales, aux flux transgressant perpétuellement les identités, aux innombrables « lignes de fuite » qui nous traversent, comme les nommait son compagnon de pensée Gilles Deleuze. Elle doit lutter contre l’appauvrissement de la vie, contre la mutilation de nos vies multiples ; elle doit nous rendre à la possibilité d’être toujours « autre », de vivre plusieurs vies : « Il faudrait dire à chacun et à tous : ayez plusieurs vies, toutes ces vies mises ensemble n’en feront jamais une, la vraie. Mais du moins, nous permettent-elles d’approcher la vie qui devrait être la nôtre, celle qu’on appelle vraie, d’ailleurs sans raison. » Cela revient, poursuit-il en héritier du mouvement incandescent de Mai 1968, à ne rejoindre rien qui ressemble à un parti ou à une organisation politique, mais à rejoindre plutôt « un vol d’oiseaux », « la nuée de ceux que nous aimons », où se situe « la possibilité de vie, d’action et d’espérance ».
Cette manière de se rendre insaisissable, les trois récits qu’il publia de son vivant, rassemblés ici selon ses vœux, en sont la quête. Ces récits tiennent à la fois du roman policier, du conte philosophique, du témoignage historique. L’Autre Amour , prix Médicis en 1977, raconte une double histoire d’amour en fuite : entre Enneke, actrice de théâtre au destin tumultueux, et Van, gauchiste désabusé recherché par la police ; plus tard entre la même Enneke et Guillaume, survivant du cauchemar nazi, tous deux pressentant avoir attendu « quelque chose comme cela depuis les années d’enfance ». La Figurante , parue en 1979, en est la suite : Helle, devenue figurante de cinéma après une enfance à fuir les persécuteurs nazis, croise sur son chemin Enneke, mais aussi l’analyste Annehilde, le peintre Simon, et enfin Haas, désespéré et révolté, selon qui « il nous faut mener à la fois la vie et la mort ». Quant au récit L’Enfant , paru en 2004, il se démarque de ces tentatives romanesques, par sa brièveté envoûtante, qui est celle d’une fable : dans une chambre d’hôpital, un homme recueille les paroles prophétiques d’un enfant gravement malade ; l’enfant n’a pas de nom, il est seulement « celui qui transmet un message mais il ignore lequel, il ne sait pas qui le lui a confié, il ne sait plus à qui le remettre ». L’écrivain lui-même est comme cet enfant, qui toujours « pense à autre chose ».
Un dernier récit, dont l’écriture fut dictée par la secousse des attentats du 11 septembre à New York, était resté à l’état de manuscrit ; L’Autre Histoire est publiée ici pour la première fois. Deux inconnus l’un pour l’autre, Matthias Manzon, écrivain, et Lena Zhayan, analyste, vivent une aventure brève et passionnée, alors que le monde entier et toutes les dimensions de l’existence sont ébranlés par l’effondrement des tours jumelles. Aimer, écrire, sont les seules réponses imparfaites qu’ils entrevoient à la catastrophe :
« Écris notre réponse à ce qui eut lieu, Matthias, à ce qui avait déjà eu lieu, à ce qui aura encore lieu.
Écris-la
dans notre langue,
qui n’est ni la langue de Dieu, ni celle du Diable, ni celle du Bien, ni celle du Mal
mais
celle de la beauté du monde,
oui, cher Matthias,
je te le demande
écris
dans notre langue
celle qui louange
la beauté du monde
où nous nous sommes connus. »

Écrivain? (…) Ce mot a son importance. Je ne voulais surtout pas être romancier, ni poète, ni essayiste, ni auteur de théâtre. Mais écrivain. Pour Michel Butel, disparu en 2018, être écrivain signifiait essentiellement ne pas faire de l’écriture une activité cloisonnée : écrire dans la même fièvre poèmes, contes, nouvelles, romans, essais ou fragments d’essais. L’Autre livre rassemble, pour la première fois, la pluralité des œuvres de l’écrivain protéiforme qu’il fut.

L’Azur
Préface de Jean-Christophe Bailly.
En ce temps de crise à quoi sert un journal ? Un journal, c’est une conversation. Une conversation banale : des hésitations, des reprises, des silences, des scories, des envolées, des rechutes, des images, des merveilles, des horreurs, des phrases, des noms, des erreurs, des principes, des idées, des interruptions. Si notre modernité est une série de crises perpétuelles morcelant nos solitudes désespérées, un journal doit être, selon Michel Butel, l’ébauche d’une communauté malgré tout. l’azur, mince feuille de quatre pages qui parut de juin 1994 à juillet 1995, dont il était l’unique rédacteur, sans argent, sans bureaux, sans salariés, en fut l’illustration.

L’Azur ce fut un hebdomadaire, 55 numéros de 4 pages avant ce Spécial été.
Dès que possible, dès que j’aurais trouvé les quelques pages de publicité qui le financeront, j’éditerai un album réunissant les 56 parutions.
L’Azur, ce fut aussi une minuscule théorie de 10 (très) petits livres, comportant chacun une ou deux nouvelles. Vous pouvez les commander (pour 50 francs les 10, port inclus).
L’Azur, la première année, pour dire les choses sans exagérer, ce ne fut pas facile.
Le 14 septembre interviendront de grands changements. (L’Azur n°56, 20 juillet 1995)

Les critiques / À propos de Michel Butel
Babelio
Lecteurs.com
Vacarme (Selim Nessib)
Pretexteed (Jean-Christophe Millois)
La Règle du jeu (Delphine Horvilleur)


Extrait de Notre Monde, de Thomas Lacoste. Michel Butel y parle de la presse écrite © Production http://www.notremonde-lefilm.com

Extraits
L’autre amour
« Quand accomplir un mouvement redevient possible, elle s’enfonce dans le dédale des couloirs à la recherche de Marennes ; tout entière enfermée dans la décision de partir. Partir. Une idée à la fois, cela permettra peut-être de se sauver. Elle ne trouve pas Marennes, ou elle ne le reconnaît pas. Si seulement elle parvenait à partir. Où ses pas ne la portent pas, elle va. Des gens grossiers affirment : je vous assure Guillaume a écrit L’autre livre. Demandez-le-lui. Des gens qui rient et qui ne sont pas tous mal intentionnés entourent celui dont le prénom prononcé distinctement et plusieurs fois est Guillaume. Elle s’avance, l’actrice, elle veut le délivrer de ce poids qu’on lui inflige, elle entreprend donc la phrase nécessaire, celle qui confondra les imbéciles, elle ne peut que murmurer, ne dites pas cela, ne dites pas cela ; tous s’écartent. Plus tard elle comprend qu’elle est encore vivante, elle laisse voler son regard, le grand oiseau de l’amour passe de branche en branche.
Guillaume est près d’elle dans la disposition entièrement d’elle.
Ils sont allés dans une chambre très petite, sous les toits, une mansarde encombrée – le vestiaire des invités qu’ils déménagent en silence. Ils s’enferment. Elle le déshabille autant qu’il la dévêt. Allongés, ils se placent sur le flanc, ils se regardent. De la vie, ils attendaient quelque chose comme cela depuis les années de l’enfance. Prononcer un mot, un nom, ils n’y songent même pas. Le grand oiseau de l’amour vole jusqu’à l’aube.
Elle rentre avec Marennes à six heures du matin.
Il ne sait pas mon nom pense-t-elle quand elle va dans le sommeil. »

La figurante
« Elle la revoit deux jours plus tard, à l’enterrement de Marennes. Marennes le vieil écrivain est mort chez lui, d’un cancer à évolution foudroyante. Il n’en avait parlé à personne. Il y a beaucoup de monde au cimetière, Helle s’attarde. Elle aperçoit soudain Haas, presque caché derrière un arbre.
Ils reviennent à pied ensemble. Haas aimait Marennes qu’il avait connu au théâtre.
Les rangs s’éclaircissent trop.
Affolement de l’un et de l’autre. Helle l’à demi enterrée vivante. Haas l’incendié, le survivant.
Rien ne ressemble au bonheur nouveau plus que le tremblement recommencé de l’ancien malheur.
Helle rêve : elle se rend chez Annehilde. L’analyste a déménagé. Il y a un gros homme moustachu à sa place. Partout des meubles renversés, des traces de lutte. Elle s’enfuit. Dans l’escalier elle croise une enfant qui lui crie une horreur. Elle se retourne pour la gifler, c’est Annehilde qui reçoit la gifle – mais d’où vient-elle ? Quand elle ouvre les yeux, Haas penché au-dessus de son désespoir l’embrasse.
Au fond, dit-il plus tard, il nous faut mener à la fois la vie et la mort.
Ils quittent Paris. »

L’enfant
« Le grand autrefois. Voici qu’il regardait au-dedans. « J’aperçois des espèces inconnues ! » Elles n’étaient pas inconnues. Il exagérait. Mais peu visibles. Le limon des siècles a presque tout recouvert.
Certains jours d’exaltation particulière, il soutenait que si nous le désirions vraiment, si nous le désirions avec une force prodigieuse ce grand autrefois nous pourrions le ranimer, nous habiterions à nouveau là-bas. Monde d’une langue commune, naissant à l’identique dans tous les corps et traversant à l’identique toutes les gorges et jaillissant à l’identique de toutes les bouches et prononcée à l’identique par toutes les dents par toutes les lèvres, nommant à l’identique par tant de mots aujourd’hui disparus chacune de nos misères chacun de nos miracles chaque personne et chaque objet. Autrefois les vagabonds, les contrefaits, les idiots, les Juifs marmonnaient une même langue.
Je ne comprenais pas mais j’acquiesçais.
Nous étions en juin, il ne se rasait plus, il délirait peut-être. »

L’Autre livre
« Vers douze ans, j’avais pris la décision d’écrire des livres et de fonder un journal.
Quelques mois plus tard, je décidai de devenir en outre chef de l’État. Ce n’est qu’à l’âge de quinze ans, après avoir vu Le Troisième homme, que je complétai cet ensemble de résolutions: je serai aussi cinéaste.
Le journal, cela ne posa pas trop de problèmes. J’en créai un aussitôt — hebdomadaire (éphémère) au printemps 53. Puis il y eut un trou de vingt ans. Ce fut alors un quotidien (éphémère). Nouveau trou de dix ans. Décembre 84: L’Autre Journal.
Le cinéma? J’y renonçai (provisoirement) en 59.
Écrivain? Justement, ce mot a son importance. Je ne voulais surtout pas être romancier, ni poète, ni essayiste, ni auteur de théâtre. Mais écrivain. Ce qui signifiait publier simultanément un roman, une pièce de théâtre, un recueil de poèmes, un essai, que sais-je encore. Sinon, je serais à tout jamais le romancier (si le premier livre était un roman) qui écrit aussi des poèmes (quand ceux-ci paraîtraient).
À l’époque, je haïssais mon nom de famille. Je m’étais donc choisi un pseudonyme. Pas n’importe lequel: Michel d’Elseneur. Tout simplement. Et j’avais fait les démarches nécessaires pour que cela devienne mon vrai nom.
J’allais visiter Jérôme Lindon (il avait publié Samuel Beckett), là-bas, parfois, je rencontrais Alain Robbe-Grillet, j’essayais d’obtenir une avance en échange de la publication de l’ensemble de mon œuvre (non écrite encore). Lindon me recevait, il était même attentif. Mais prudent.
Sur ces entrefaites j’eus dix-neuf ans et je renonçais à publier de mon vivant. » p. 346

Contes
« Le secret de cette conversation ininterrompue avec ceux et celles qui sont morts et que nous avons aimés à en mourir (mais c’est eux qui sont morts), c’est qu’elle nous protège de mourir à notre tour, à leur façon ils veillent sur nous les morts, ils nous maintiennent en vie avec ce commerce secret, parce qu’ils savent qu’ainsi notre vie est à l’abri, à l’écart, entre parenthèses, à côté de ce dialogue infini, et ils savent qu’ainsi, pensant à eux et parlant avec eux, nous ne vivons pas la vraie vie, la vie infernale, celle qui nous tuerait aussitôt, par sa laideur, sa violence, son horreur, ils savent qu’elle est là cette vie, qu’ils ne peuvent pas nous l’épargner mais au moins la tiennent-ils en lisière, en lisière des paroles que nous échangeons les morts et nous, qui nous aimons à en mourir, mais nous ne sommes pas morts et tant que nous parlerons avec eux, nous ne mourrons pas. » p. 398

L’Azur
« Tu marches le soir dans une rue déserte. Tu rentres chez toi. Chez toi c’est nulle part. Par la fenêtre d’une chambre éclairée, tu entends une sonate de Schubert.
Tu marches sous les pins de l’été. Un amour perdu à côté de toi. À côté de toi, il n’y a personne. Tu entends l’océan, une algue te vient au coeur.
Tu marches, le jour se lève, la ville te dit non, cent fois non. Pourquoi insister ? Un oiseau chante soudain, tu peux pleurer.
Le bonheur, vois-tu, on ne sait pas ce que c’est. » (14 juillet 1994)

« Je crois qu’il faudrait sortir un beau jour de nos gonds. Mais pas n’importe comment.
Quitte à jouer les idiots, aller au bout de l’idiotie.
Faire l’éloge du simple.
Nous réunir en une communauté (bleue), désireuse de choses simples, une autre école, une autre ville, une autre vie.
L’autre vie ?
S’il y en a que ça amuse, ce genre de facéties… rendez-vous à l’automne. » (4 août 1994)

« Je crois que je vais louer un bureau, un petit local qui donnera sur une rue calme. Peut-être ne serais-je pas disponible, d’ailleurs pourquoi le serais-je ? Mais, les soirs de mauvais temps, ce sera comme une petite place d’une Italie absente, ouverte au passant, ouverte à la méditation, ces soirs-là surtout, lorsqu’on apprend que Guy Debord s’est tué.
Je voudrais ajouter quelque chose qui vous paraîtra insolite, mais que voulez-vous ? Ces maisons, ces ateliers, ces jardins, ces cours, ces places qui n’existent pas, nous devrions nous y retrouver à la sortie d’un film (Petits arrangements avec les morts), après la lecture d’un livre (Récits d’Ellis Island), chaque fois que l’aile de la vraie vie nous a effleuré le visage.
Il en serait de même les jours de manifestation politique.
Je tiens à vous dire cela : si nous nous donnions spontanément, librement rendez-vous tantôt parce que quelqu’un est mort, tantôt parce qu’un livre a paru, tantôt parce que quelque chose a eu lieu qui nous jette dans la rue,
la politique serait enfin à sa vraie place, le lieu d’une souffrance commune, d’une douleur commune, d’une révolte commune, comme à la mort de quelqu’un, comme à la sortie de tel ou tel film, de tel ou tel concert.
La politique ne chercherait plus à prendre la place de la vie, de l’ensemble de la vie, elle n’en serait que plus vivante. Non, même pas plus vivante. Mais pour la première fois vivante.
Vivante comme chaque blessure particulière, comme chaque séparation singulière. Et invisible comme les autres souffrances. Car la souffrance est invisible.
Je ne dis pas qu’il ne faut pas manifester. Mais manifester, c’est-à-dire rendre manifeste ce qui ne l’était pas, n’est-ce pas produire les signes de l’invisible ? Et cet invisible, nous ne supporterions pas de l’amener au jour n’importe comment, dans n’importe quel état, ivre, obscène, furieux, bavard. Il suffit donc de se tenir ensemble, ensemble et séparés, pour que soit tout à fait évidente notre si terrible insatisfaction, notre détresse, notre colère même. Le silence sera toujours plus manifeste que la parole.
Et puis ce que nous cherchons à faire accéder au réel, c’est aussi cette séparation et cette communauté qui la nie et qui la fonde. Cette solitude où la communauté prend sa source. Nous voulons manifester cela, qui est au fond de chacun de nous, solitude irrémédiable et irrépressible appartenance à la communauté. Le silence, les larmes, l’absence de mouvement sont sans doute le plus naturel dans l’état où nous voici.
Il faut veiller à l’exactitude de la manifestation, en proportion du secret qu’elle cherche à dévoiler. Sinon ce secret sera dévoyé. Et la manifestation, une imposture.
Et je demande : qui d’entre nous est assez sûr de ses cris ? de ses forces ?
Ne convient-il pas d’abord de se ressaisir ? De reprendre son souffle ? De veiller ? De retrouver une chose perdue ? Cela se fait seul, au milieu de plusieurs.
Et puis crier, c’est faire parler l’animal. Crier vraiment c’est convoquer l’animal en nous disparu. Qui d’entre nous se souvient qu’il est animal ?
Voici pourquoi il faut manifester. Mais d’une telle façon que l’on en vienne à prononcer un jour une vraie parole.
Il n’en existe pas de présage. » (8 décembre 1994)

À propos de l’auteur
BUTEL_Michelucas_©DRMichel Butel © Photo Michel Lucas

Michel Butel est né à Tarbes en 1940, et mort à Paris en 2018. Il fut écrivain ; aussi bien romancier, poète, critique, que fondateur de nombreux journaux singuliers dans l’univers médiatique : L’autre journal, Encore, L’azur ou L’impossible. De son vivant sont parus quatre livres: deux romans, L’autre amour (Mercure de France, 1977, prix Médicis) et La figurante (Mercure de France, 1979), un recueil hétéroclite, L’autre livre (Le passant, 1997), et une brève fable, L’enfant (Melville, 2004). (Source: Éditions L’Atelier Contemporain)

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Eloge de la séduction

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En deux mots:
Voilà des décennies que le machisme ordinaire fait des ravages, avec en point d’orgue, la suite des affaires #MeToo. Désormais, les relations hommes-femmes ressemblent à une guerre de tranchées. Alors, le temps est venu de demander conseil à Casanova pour retrouver une générosité complice, à égalité.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Savoir aimer

Un essai revigorant et riche pour bien commencer 2022. Avec David Medioni, qui veut redonner ses lettres de noblesse à la séduction, je vous souhaite la plus belle des années 2022, sous le signe de la générosité, de la fraternité et de l’égalité.

«Et si, au fond, la séduction et l’érotisme tels que nous les entendons n’étaient rien d’autre qu’une générosité complice où l’on donne autant que l’on reçoit, où l’on partage et où l’on ouvre l’ensemble de ses sens? Pour ressentir ensemble.» C’est la thèse défendue par David Medioni qui, après Être en train, nous offre cet essai qui fait le constat d’un dérangement des relations entre hommes et femmes qui soit se joue sur le rôle agressif, chacun des sexes défendant son pré carré et s’arc-boutant sur ses conquêtes, soit sur un nouvel ordre amoureux qui donne aux femmes, après #MeToo, le rôle de juge des règles autorisées en matière de séduction. Ce qui pour l’hétérosexuel commun est plutôt paralysant. Et ne parlons pas de la crise sanitaire venue compliquer encore davantage les choses.
Le constat ne date pourtant pas d’hier. Déjà, il y a des décennies on vilipendait Romain Gary lorsqu’il affirmait que «le drame des hommes et des femmes, en dehors des situations d’amour, en dehors des situations d’attachement profond, est une sorte d’absence de fraternité. Tout cela est dû à des siècles et des siècles de préjugés qui font que l’homme doit conserver son image virile et supérieure, la femme son image féminine, douce et soumise et que finalement, l’égalité dans l’explication franche, ouverte et libre (y compris dans les questions sexuelles) est un tabou.»
En critiquant cette «intoxication, cette infection virile» qui n’a que très peu de rapports authentiques avec la virilité ou ce qu’elle est réellement, le romancier était dans le vrai. On ne l’a pas écouté. Alors David Medioni, qui cherche à «tracer les lignes d’une masculinité pour le XXIe siècle a l’idée de partir pour Venise afin d’y rencontrer un maître en matière de séduction, le grand Casanova. Et le miracle se produit, assis dans une trattoria, il peut deviser avec l’auteur d’Histoire de ma vie, manuel inspirant pour tout séducteur et lui exposer son projet, «réinventer l’homme, pris dans un étau entre la performance patriarcale qui incombe – qu’on le veuille ou non – à chacun des hommes, et le nécessaire accueil des femmes dans l’égalité, C’est maintenant. Ou jamais.»
Après un instant de sidération devant l’état des relations entre hommes et femmes aujourd’hui, le Vénitien ne tarde pas à reprendre la main et à donner raison à son interlocuteur, fervent amateur du badinage et même de l’amour galant. Car il s’agit bien plus d’avancer ensemble, de se découvrir dans un respect mutuel que de conquérir. La séduction n’est pas une bataille, mais un subtil besoin de découvrir l’autre, quitte à se découvrir soi-même. Reste la délicate question de la sexualité. Que David et son interlocuteur cernent, notamment avec les femmes et les réflexions de Belinda Cannone Belinda, Amandine Dhée, Anne Dufourmantelle ou encore Delphine Horvilleur (voir à ce propos la bibliographie éclairante ci-dessous).
«Recentrons nous. Ce que j’avançais était qu’en plus de se transformer en érotisme au moment où elle entre dans le champ charnel, la séduction mute aussi en une curiosité complice et égalitaire des deux êtres humains concernés. Toujours entre deux partenaires de jeux. C’est ainsi que la sexualité érotique, faite de séduction, de complicité et d’égalité, est peut-être le plus grand champ des possibles qui soit et, par la même occasion, un terreau fertile d’élaboration d’un nouvel ordre social où l’homme et la femme, suite aux jeux qu’ils ont explorés et auxquels ils ont gagné ensemble, trônent désormais sur le pied d’égalité le plus parfait.»
Joli programme pour 2022!
Je vous souhaite à tous qui me faites l’honneur de me lire, de pouvoir partager la même émotion que Maria Casarès s’adressant à Albert Camus: «nous nous sommes rencontrés, nous nous sommes reconnus, nous nous sommes abandonnés l’un à l’autre, nous avons réussi un amour brûlant de cristal pur, te rends-tu compte de notre bonheur et de ce qui nous a été donné?»

Bibliographie proposée par l’auteur
Breton André, L’Amour fou, Paris, Gallimard, 1937. Camus Albert, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2008.
Camus Albert, Casarès Maria, Correspondance (1944-1959), Paris, Gallimard, 2017.
Cannone Belinda, Petit éloge du désir, Paris, Gallimard, 2013.
Cannone Belinda, S’émerveiller, Paris, Stock, 2017.
Cannone Belinda, Le Nouveau Nom de l’amour, Paris, Stock, 2020.
Casanova Jacques, Histoire de ma vie, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2015.
Char René, La Parole en archipel, Paris, Gallimard, 1962.
De Luca Erri, Impossible, Paris, Gallimard, 2020.
Dhée Amandine, À mains nues, Bègles, Le Castor Astral, 2020.
Dufourmantelle Anne, Blind date. Sexe et philosophie, Paris, Calmann-Lévy, 2003.
Dufourmantelle Anne, Éloge du risque, Paris, Payot et Rivages, 2011.
Dufourmantelle Anne, Puissance de la douceur, Paris, Payot et Rivages, 2013.
Emmanuelle Camille, Sexpowerment. Quand le sexe libère la femme et l’homme, Paris, Anne Carrière, 2016.
Flem Lydia, Casanova, l’homme qui aimait vraiment les femmes, Paris, Seuil, 2011.
Horvilleur Delphine, En tenue d’Ève. Féminin, pudeur et judaïsme, Paris, Grasset, 2013.
Kundera Milan, L’Insoutenable Légèreté de l’être, Paris, Gallimard, 1984.
Le Tellier Hervé, Assez parlé d’amour, Paris, JC Lattès, 2009.
Lipovetsky Gilles, Plaire et toucher. Essai sur la société de séduction, Paris, Gallimard, 2017.
Marcuse Herbert, Éros et civilisation, Paris, Minuit, 1955.
Mitterrand François, Lettres à Anne (1962-1995), Paris, Gallimard, 2016.
Nin Anaïs, La Séduction du Minotaure, Paris, Stock, 1958.
Nin Anaïs, Vénus Erotica, Paris, Le Livre de Poche, 1978.
Page Martin, Au-delà de la pénétration, Paris, Le Nouvel Attila, 2019.
Pépin Charles, La Rencontre. Une philosophie, Paris, Allary, 2021.
Sapienza Goliarda, L’Art de la joie, Paris, Viviane Hamy, 2005.
Sollers Philippe, Casanova l’admirable, Paris, Plon, 1998.
Thomas Chantal, Casanova. Un voyage libertin, Paris, Denoël, 1985,
Zeldin Théodore, De la conversation. Comment parler peut changer votre vie, Paris, Fayard, 2013.
Toute l’œuvre de Romain Gary, publiée chez Gallimard.

Éloge de la séduction
David Medioni
Éditions de L’Aube
Essai
160 p., 17 €
EAN 9782815943840
Paru le 3/12/2022

Ce qu’en dit l’éditeur
« Je vous écris de chez ces hommes qui se sont mis à douter, à s’interroger et à se dire qu’un changement était souhaitable. Je vous écris de chez ces hommes qui s’étonnèrent qu’aucun d’entre eux ne vienne prendre la parole et porter une voix aux côtés des femmes qui révélaient alors ce qu’elles avaient subi ou subissaient encore. Je vous écris de chez ces hommes qui exprimèrent alors la volonté et l’envie de se battre ensemble, femmes et hommes. Pour inventer du nouveau. […] Par où commencer ce que l’on pourrait appeler un chemin de désir, une construction intime, voire la création d’un “mâle” ? »
Dans ce vif essai, David Medioni déconstruit la virilité, brosse les contours d’une séduction égalitaire entre les sexes et rêve de générosité.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Goodbook.fr

Les premières pages du livre
« Introduction
Lettre d’un homme un peu perdu
Je suis un homme hétérosexuel de 41 ans. Je vous écris de chez les lourds, les porcs, les connards, les dragueurs, les manspreaders, les harceleurs, les lâches, les qui « ne rappellent pas après une nuit de sexe », les qui ne se « rendent même pas compte que leur conception du monde est profondément machiste et genrée », les mariés qui cachent leurs alliances, les visionneurs de YouPorn, les peine-à-jouir, les deux minutes douche comprise, les qui « s’endorment après l’amour », les « qui se barrent au milieu de la nuit », les qui « ont fait des listes de leurs nanas avec les copains », les qui ne voient pas bien pourquoi c’est choquant de tenir la porte à une femme ou de lui proposer de porter sa valise, les qui ne trouvent pas choquant de dire « Mademoiselle » à une femme qui n’est pas mariée, les qui ont enterré leur vie de garçon avec une strip-teaseuse… Je vous écris de chez les hommes. De chez ces collabos du patriarcat qui oppresse les femmes. De chez ces hommes dont il ne faut plus « lire les livres », « regarder les films », « écouter les chansons », et qu’il conviendrait de « détester », voire « d’éliminer ».

Ça ne fait pas rêver. Et pourtant, convenons-en, si la barque est aussi chargée, c’est bien que quelque chose cloche. Profondément, intensément, structurellement. Un portrait ne peut pas être aussi négatif sans être basé sur des faits tangibles, sur un ras-le-bol, sur une souffrance intense, sur une forme de sentiment d’impuissance face au mur du patriarcat tellement consubstantiel à notre société que l’on ne le voit plus. Ce portrait, celui que certaines font des hommes, est légitime, nécessaire, mérité parfois, indispensable pour réinventer nos rapports. Pour qu’ils soient plus égalitaires, plus universels. Et pourtant, faut-il qu’il soit aussi violent, aussi peu nuancé, aussi à charge ?

Je vous écris aussi de chez les hommes qui ont ressenti un profond sentiment de sidération devant l’ampleur de la libération de la parole qu’a été le mouvement #MeToo. Dans cette sidération, il y avait à la fois le sentiment d’avoir peut-être été un jour le « porc » en étant un peu trop insistant dans la drague ; il y avait aussi le sentiment d’avoir été sourd, aveugle, et d’avoir profité allègrement et inconsciemment d’un privilège uniquement basé sur le sexe. Il y avait également l’interrogation de savoir si nos mères, nos femmes, nos sœurs, nos filles étaient elles aussi victimes de tout ce que #MeToo révélait. Je vous écris de chez ces hommes qui se sont mis à douter, à s’interroger et à se dire qu’un changement était souhaitable. Je vous écris de chez ces hommes qui s’étonnèrent qu’aucun d’entre eux ne vienne prendre la parole et porter une voix aux côtés des femmes qui révélaient alors ce qu’elles avaient subi ou subissaient encore. Je vous écris de chez ces hommes qui exprimèrent alors la volonté et l’envie de se battre ensemble, femmes et hommes. Pour inventer du nouveau. Je vous écris de chez ces hommes qui pensent qu’il faut encourager les colleuses d’affiches qui rappellent le massacre dont sont victimes les femmes, et qu’il convient aussi de ne plus jamais taire cette violence et lutter contre ceux qui voudraient le faire.
Je vous écris de chez ces hommes qui ont sincèrement cru que la déflagration serait telle qu’elle nous amènerait – collectivement – à construire de concert. Mais ce ne fut pas le cas. Les hommes ne furent globalement pas au rendez-vous. Se terrant dans le silence, se demandant comment agir, ou pis, critiquant la façon dont la parole s’exprimait. Puis, les fronts se divisèrent. Pour ou contre le « droit d’importuner ». Tu ne peux pas parler, toi, « actrice bourgeoise » tu es « has-been », tu marques un but contre ton camp. Tu en as bien profité de l’époque, alors ne « viens pas maintenant salir notre combat et ce pourquoi nous nous battons ». Et toi, l’homme, tu restes un ennemi. Tu continues de nous oppresser, de ne pas comprendre, de nous payer 25 % de moins à compétences égales. Tu continues de ne pas vouloir que nous puissions accéder à la même visibilité dans l’espace public. Tu nous infliges des Polanski, des Darmanin, des « Ligue du LOL », etc. Tu nous agaces avec ton male gaze ou tes porte-parole « masculinistes » qui viennent nous expliquer que nous sommes en train de vous « castrer ».

Je vous écris de chez les hommes qui ont vu ce débat passer d’un mouvement de société puissant, joyeux, nécessaire, indispensable, salutaire – pour les hommes comme pour les femmes – à une guerre de tranchées. Celle des féministes pro-sexe contre les autres, celles des intersectionnelles essentialistes contre les universalistes et celle, surtout, des femmes contre les hommes, alors tous mis dans le même sac.

C’est ainsi que nous en sommes arrivés à voir un homme barbu demander à un animateur télé qui lui donnait du « Monsieur » : « qui vous dit que je suis un homme ? ». C’est ainsi que l’on en est venu à lire des chroniques intitulées, dans des médias sérieux, « L’hétérosexualité est dangereuse1 », à voir émerger des « lieux de débats ou des médias qui s’affirment non mixtes », ouverts seulement aux femmes. C’est ainsi que lors d’un débat nauséabond sur la possibilité ou non d’adopter ou d’avoir des enfants pour un couple de lesbiennes on a pu entendre les propos suivants : « j’aimerais que l’on revienne sur la question de la référence paternelle. On peut arrêter deux minutes avec ça ? J’aimerais que l’on m’explique pourquoi il faut avoir une référence paternelle. Vous voulez faire sortir un peu des études sur le rôle des pères dans la société dans le monde entier ? Moi, j’attends hein, parce que personnellement, en tant que femme, ne pas avoir de mari m’expose plutôt à ne pas être violée, à ne pas être tuée, à ne pas être tabassée, et ça évite que mes enfants le soient aussi. » Ces mots sont terribles, caricaturaux certainement. Certes, ils viennent contredire des propos lamentables sur le fait que sans père, un enfant ne pourrait pas grandir normalement – les exemples inverses sont légion et ce n’est pas exactement le débat ici –, mais en les écoutant et en les réécoutant, une chose frappe : pourquoi ce ton guerrier, martial, péremptoire et définitif ?

Des mots et une tonalité qui font désormais partie de tout un discours militant qui n’a qu’un seul objectif : faire émerger un affrontement. Sinon, pourquoi n’est-il pas rare d’entendre des appels à l’élimination des hommes ? Pourquoi n’est-il pas rare de lire que l’imaginaire des hommes aurait conquis l’esprit des femmes ? »

Extraits
« Esprit de séduction et esprit critique, voilà deux outils que Casanova possède et qui nous seront certainement utiles pour interroger tous les dogmatismes d’aujourd’hui. Ils seront aussi un moyen pour tracer les lignes d’une masculinité pour le XXIe siècle, qui peut peut-être s’inspirer de la masculinité «casanovienne». Loin des schémas de la virilité de vestiaire, mais aussi loin des caricatures de l’homme comme ennemi. «Il faut réinventer l’amour», scandait Rimbaud. En le paraphrasant, disons qu’aujourd’hui, il faut réinventer l’homme, pris dans un étau entre la performance patriarcale qui incombe – qu’on le veuille ou non – à chacun des hommes, et le nécessaire accueil des femmes dans l’égalité, C’est maintenant. Ou jamais.
Et en général, pour se réinventer, il faut revenir aux racines. Non pas aux racines romaines, mais aux racines vénitiennes. Aux racines qui viennent du passé mais tendent clairement vers l’avenir.
Entre donc ici Casanova, avec ton cortège de mots, de sens, d’aventures. » p. 29

« le drame des hommes et des femmes, en dehors des situations d’amour, en dehors des situations d’attachement profond, est une sorte d’absence de fraternité. Tout cela est dû à des siècles et des siècles de préjugés qui font que l’homme doit conserver son image virile et supérieure, la femme son image féminine, douce et soumise et que finalement, l’égalité dans l’explication franche, ouverte et libre (y compris dans les questions sexuelles) est un tabou. Au moment de la parution du livre, Romain Gary est vilipendé. On l’accuse même de porter atteinte à la virilité des hommes et de vouloir mettre à mal l’ordre social. Chancel lui en parle. Il précise encore sa pensée. “Je ne critique pas l’homme, je critique deux mille ans de civilisation qui font peser sur l’homme une hypothèse de fausse virilité qui pèse sur la société et qui est catastrophique. Cette intoxication, cette infection virile, n’a que très peu de rapports authentiques avec la virilité ou ce qu’elle est réellement. » p. 44-45

« Recentrons nous. Ce que j’avançais était qu’en plus de se transformer en érotisme au moment où elle entre dans le champ charnel, la séduction mute aussi en une curiosité complice et égalitaire des deux êtres humains concernés. Toujours entre deux partenaires de jeux. C’est ainsi que la sexualité érotique, faite de séduction, de complicité et d’égalité, est peut-être le plus grand champ des possibles qui soit et, par la même occasion, un terreau fertile d’élaboration d’un nouvel ordre social où l’homme et la femme, suite aux jeux qu’ils ont explorés et auxquels ils ont gagné ensemble, trônent désormais sur le pied d’égalité le plus parfait. » p. 90

« Ovidie, si elle fait le procès de nos constructions érotiques et sexuelles, invite également chacune et chacun à l’interrogation et surtout à l’invention. Ainsi, elle rappelle aux hommes qu’il ne convient pas de « baiser tout seul », mais elle demande aussi aux femmes de s’interroger sur la façon dont leurs fantasmes sont construits. Surtout, ce qui est passionnant dans tous ces ouvrages, c’est qu’ils ne sont jamais normatifs et, au contraire, ouvrent un grand éventail de possibilités et de discussions. En liberté et en égalité. Dans une curiosité complice et égalitaire. Dans une forme de réhabilitation de l’idée même de générosité. Et si, au fond, la séduction et l’érotisme tels que nous les entendons n’étaient rien d’autre qu’une générosité complice où l’on donne autant que l’on reçoit, où l’on partage et où l’on ouvre l’ensemble de ses sens? Pour ressentir ensemble. Plus globalement, ce que viennent souligner avec intelligence et humour ces ouvrages, c’est que cette libération salutaire des mots doit entraîner une nouvelle donne. Une nouvelle donne dans les mœurs de nos sociétés encore plombées par des siècles de patriarcat. » p. 100-101

« Je les imagine toujours s’écrire des mots d’amour. Comme ceux d’une irradiante certitude de Maria Casarès à Albert Camus: « nous nous sommes rencontrés, nous nous sommes reconnus, nous nous sommes abandonnés l’un à l’autre, nous avons réussi un amour brûlant de cristal pur, te rends-tu compte de notre bonheur et de ce qui nous a été donné? ». Camus et Casarès qui, eux aussi, choisissent la vie, la séduction, l’amour en parallèle. En addition. » p. 146

À propos de l’auteur
MEDIONI_David_©Anna_LailletDavid Medioni © Photo Anna Laillet

David Medioni est journaliste, fondateur et rédacteur en chef d’Ernest, qui lui a permis de rassembler ses deux passions, les livres et le journalisme. Celle des livres qu’il a cultivé très tôt en étant vendeur pendant ses études à la librairie la Griffe Noire. Après avoir bourlingué 13 ans durant dans les médias. À CB News, d’abord où il a rencontré Christian Blachas et appris son métier. Blachas lui a transmis deux mantras: «Ton sujet a l’air intéressant, mais c’est quoi ton titre?», et aussi: «Tu as vu qui aujourd’hui? Tu as des infos?». Le dernier mantra est plus festif: «Il y a toujours une bonne raison de faire un pot». David a également été rédacteur en chef d’Arrêt Sur images.net où il a aiguisé son sens de l’enquête, mais aussi l’approche économique du fonctionnement d’un média en ligne sur abonnement. (Source: Éditions de l’Aube / Ernest)

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Être en train

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En deux mots
En montant dans un TGV Paris-Montpellier le 21 juin 2019, l’auteur ne peut s’empêcher d’observer le petit monde qui voyage avec lui. Une «manie» qu’il va approfondir en traversant le pays et nous livrer avec finesse ses observations de sociologue du quotidien.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

Ceux qui aiment prendront le train

Dans un essai-témoignage savoureux David Medioni raconte ses voyages en train un peu partout en France. Mêlant géographie et sociologie, reportage et littérature, il nous donne des envies de voyage.

Et si David Medioni avait écrit le livre idéal à acheter dans un kiosque de gare avant quelques heures de voyage? Le fondateur du magazine littéraire en ligne Ernest donnera en tout cas aux voyageurs d’agréables pistes de réflexion, aussi bien sur les rails qu’une fois arrivés à destination.
Dans son introduction, il raconte comment en avril 2019, venant de Quimper et arrivant à Paris, il a posté sur Facebook et Instagram un «instantané du train» disant ceci: «Le voyage en train a ceci de particulier qu’il est un espace-temps réduit qui permet l’introspection, la créativité et la recherche du mieux. Les pensées vagabondent. Là un homme à l’air pressé qui s’agace sur son tableur Excel Ici deux jeunes étudiants en transit. Ils n’arrêtent pas de se toucher, de se regarder, de se sourire, de se bécoter. Ils ont vingt ans de moins que moi. J’étais eux, des fois, en revenant de Bordeaux. Là, une vieille dame à une pile de journaux: le Canard, Marie France, elle lit et elle dort à intervalles réguliers. Un peu plus loin, une femme seule, 45 ans environ. Elle pleure. J’ai toujours aimé ces instants en train. Instantanés de nos vies grandes et minuscules à la fois. Il paraît même que dans ce wagon, un journaliste en transit rêvait d’écrire un roman. #soleil #train #writing #write #sun #sky #clouds #rails»
Les retours très positifs qui ont suivi et l’étincelle dans les yeux de ses enfants lorsqu’ils évoquent ensemble le train vont le convaincre de poursuivre sa réflexion. De noter les scènes vues, les livres lus, mais aussi les films, les musiques, les jeux qui occupent les passagers durant ce temps suspendu. Avec délectation, il se transforme en sociologue du quotidien, essayant de déterminer si l’habit fait le moine, de différencier les populations en fonction des horaires et des destinations ou encore du type de train. Le TER et le TGV, sans parler du train de nuit, ayant chacun des rôles et des types de voyageurs bien différents.
Puis vient ce petit jeu auquel on s’est sans doute déjà tous livrés: imaginer quelle peut-être la vie de ces personnes avec lesquelles on partage un compartiment pendant quelques heures. Qui est ce cadre qui ne peut lâcher son ordinateur? Et cette femme qui n’arrête pas téléphoner, faisant partager son intimité a tout le wagon. Et cette famille partant en vacances avec une bouée déjà gonflée. Ou encore ces deux jeunes amoureux qui ne peuvent s’empêcher de se toucher.
Un peu voyeur, un peu rêveur, on se délecte de ces bribes d’histoire, d’autant qu’elles viennent souvent s’associer à un souvenir personnel.
Qui n’a pas vécu l’épisode du passager qui ne retrouve pas son billet, celui qui s’est trompé de place, celui qui est parvenu haletant à attraper son train au dernier moment? Ou encore, moins drôle, l’incident du train arrêté en pleine voie, de la correspondance qui est déjà partie, de la voiture-bar qui est fermée.
L’amateur de littérature n’est pas en reste non plus. En feuilletant la bibliographie des ouvrages consacrés au train ou le mettant en scène, en détaillant la filmographie et en y ajoutant la bande sonore des musiques que l’on peut y entendre – quelquefois contre son gré – David Medioni réveille tout un imaginaire.
Comme je vous le disais, pensez à vous munir de ce nouveau bréviaire du voyageur la prochaine fois que vous vous rendrez à la gare !

Être en train
David Medioni
Éditions de l’Aube
Essai
184 p., 17 €
EAN 9782815941389
Paru le 21/01/2021

Où?
Les voyages en train nous emmènent un peu partout en France, partant principalement de Paris et avec une Eskapade à Bruxelles.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Prendre le train est une aventure. Instantanés de voyage, réflexions sur la place du train dans nos vies et sur son avenir dans nos sociétés peuplent cet ouvrage. Qui sommes-nous quand nous sommes sur les rails ? Qui sont ces voisins que nous ne connaissons pas mais avec lesquels nous allons partager une certaine intimité, parfois pendant de longues heures ? Que disent de nous nos « tics de train », de la peur de ne plus voir sa valise à celle de ne pas être assis à la bonne place ? Quels sont les personnages récurrents rencontrés dans un train ? Que nous l’empruntions pour le plaisir ou pour le travail, le train offre une suspension du temps dans un espace clos, que chacune ou chacun d’entre nous expérimente plus ou moins régulièrement. Ce livre décortique cette expérience universelle avec tendresse, intelligence et humour. Vous ne prendrez plus le train par hasard !

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com 
La Vie (Olivia Elkaim)

Bande-annonce du livre

Les premières pages du livre
« Introduction
«Papa, papa, tu sais de quoi je rêve? me demanda un matin, au petit déjeuner, Rafaël.
— Non, je ne sais pas.
— Mon rêve en ce moment, c’est de prendre le train.
— De prendre le train? m’étonnai-je.
— Oui j’aimerais prendre le Poudlard Express comme dans Harry Potter. J’aimerais être dans ce train parce qu’il est différent des TGV pour aller à Montpellier.
— Oh oui, ce serait trop bien de prendre un vieux train», a renchéri son grand frère Nathan.
La discussion a continué. Le train à voyager dans le temps de l’épisode 3 de Retour vers le futur ou celui de La Grande Vadrouille «où il y a un restaurant» furent évoqués. Et quand je leur ai parlé des trains-couchettes dans lesquels on peut dormir, les yeux de mes deux garçons pétillaient comme s’ils venaient de croiser Dumbledore (le directeur de l’école de sorcellerie dans Harry Potter) en personne.
Cette conversation avec mes enfants m’a surpris. J’ai senti la puissance de la fiction, évidemment. Harry Potter for¬ever… Mais aussi et surtout la puissance de ce que l’évocation du train et de ses possibles pouvait susciter. Leur raconter le train comme un lieu de vie a créé un désir chez mes enfants.
Quelques jours plus tard, pour les besoins d’un reportage, j’ai pris un TGV. Naturellement, en repensant aux yeux de Nathan et de Rafaël, l’idée d’observer de manière plus précise mes congénères de voyage est venue. Elle ne m’a plus quittée.
En observant attentivement et en écoutant ce qui se passe dans une rame de train, qu’elle soit de TGV ou de train Intercités, on se plonge dans un moment de vie. Les tics et les habi¬tudes des uns et des autres apparaissent de manière plus ou moins prononcée selon que le trajet est long ou cours. À force de multiplier les voyages en train, on remarque également que les personnes sont différentes, mais que les habitudes sont similaires. Pas de doute, nous sommes tous et toutes frères et sœurs humains.
Ce jour-là, donc, après la fameuse discussion avec Nathan et Rafaël, j’étais assis dans une voiture de TGV. Quasiment à la fin du trajet, j’ai ouvert mon ordinateur et je me suis mis frénétiquement à écrire sur ce que je venais de vivre. Réflexe de la modernité: en descendant du TGV, avant de partir en reportage, j’ai posté ce texte sur Facebook et Instagram :
Instantané du train
4 avril 2019, Paris-Quimper, TGV
Le voyage en train a ceci de particulier qu’il est un espace-temps réduit qui permet l’introspection, la créativité et la recherche du mieux. Les pensées vagabondent. Là un homme à l’air pressé qui s’agace sur son tableur Excel. Ici deux jeunes étudiants en transit. Ils n’arrêtent pas de se toucher, de se regarder, de se sourire, de se bécoter. Ils ont vingt ans de moins que moi. J’étais eux, des fois, en revenant de Bordeaux. Là, une vieille dame a une pile de journaux : le Canard, Marie France, elle lit et elle dort à intervalles réguliers. Un peu plus loin, une femme seule, 45 ans environ. Elle pleure. J’ai toujours aimé ces instants en train. Instantanés de nos vies grandes et minuscules à la fois. Il paraît même que dans ce wagon, un journaliste en transit rêvait d’écrire un roman. #soleil #train #writing #write #sun #sky #clouds #rails
Le soir, une fois le reportage terminé, alors que j’arrivais à mon hôtel, j’ai regardé mon téléphone. Un raz de marée. Des like à tire larigot. Des commentaires élogieux : « Merci de cet instantané, c’est beau et vrai » ; « Il n’y a pas de j’adore sur Instagram, dommage » ; « Tu tiens un truc, continue. C’est génial ! ».
Quelques jours plus tard, nouveau voyage. Et nouvel instantané.
Dans le train ce matin, au bar. C’est le tout petit matin. À gauche, un cadre, costume propre, cravate slim grise, chaussures italiennes, il boit une orange pressée pour accompagner son café. À droite, une femme, seule. Elle lit le dernier Guillaume Musso.
Au fond, trois collègues qui discutent de la réunion à venir dans la journée. Ils se plaignent d’un quatrième qui a fini la présentation PowerPoint la veille à 22 heures. « Tu te rends compte c’est un vrai procrastinateur ! Il met tout le monde dans la merde. » L’un d’entre eux temporise : « En même temps, je crois qu’il n’avait pas toutes les informations… » Juste derrière, un homme et une femme. Ils sont câlins. Elle lui dit : « Je ne pensais pas que nous arriverions à nous faire enfin ce moment tous les deux. » Il répond : « Je te l’avais promis. » « Dis-moi qu’il y en aura d’autres… » dit la femme. Il ne répond pas. Silence. Ils se tiennent la main. Dans le train, la vie, les vies s’écrivent. J’aime les observer.
Même réflexe de poster sur les réseaux sociaux ce moment, accompagné d’une photo. Même résultat. De très nombreux pouces levés, des commentaires. «Génial!», «Tu as tellement bien décrit l’hypocrisie masculine. Cette femme qui espère et l’autre qui ne répond pas», «Je vais faire attention la prochaine fois que je prendrais le train à vérifier que tu ne sois pas dans les parages à écouter mes conversations 😉 Super instantané en tout cas. On en veut encore.»
Des mots qui, comme les yeux de mes enfants, narraient en creux la relation passionnelle clandestine que nous entretenons avec le train. Passion clandestine, car il est souvent de bon ton de vilipender la SNCF, ses retards, ses trains mal organisés, et pourtant chacun et chacune d’entre nous vit avec le rail une histoire qui dit beaucoup de ce que nous sommes. Certainement que cela nous renvoie à l’enfance. À la magie du train électrique. C’est étonnant à quel point ce classique des jouets pour enfants est resté indémodable. Les enfants – et certains adultes – continuent à faire « tchou tchou » à quatre pattes dans leur chambre. Mais pourquoi le train? Peut-être parce que la voiture – même comme symbole de la liberté de circulation – fatigue et stresse le conducteur. Peut-être parce que l’avion anesthésie le voyageur et uniformise le voyage avec ses aéroports semblables de Rio à Paris ou de New York à Bangkok. Plus rien dans le voyage en l’air ne se distingue, et le voyageur distrait pourrait atterrir ici ou là sans être capable de dire exactement dans quel aéroport il se trouve. Au fond, seul le train permet de réfléchir, de rêver, de divaguer tout autant que de travailler, de synthétiser ou de théoriser. Seul le train permet d’être soi-même. Sans fard.
Dans ce moment de suspension du temps dans un espace clos, soit les masques tombent pour laisser place à une forme d’authenticité, soit ils ne veulent pas disparaître. Au contraire. Ils demeurent et deviennent des caricatures qui, elles aussi, nous racontent. Tour à tour, tous les rôles du train nous ont échu un jour: homme pressé, voisin bruyant, dormeur invétéré, liseur passionné, famille avec enfants bruyants et/ou malades, couple bécoteur, ou encore travailleur acharné.
En observant, en acceptant la suspension que le train offre, en jouant et en ne faisant plus qu’un avec elle, l’œil s’aiguise, l’oreille se tend, et la mémoire imprime mieux encore. Les couleurs, les odeurs, les sons, les mots, les apparences, les lumières, les ombres, les détails, sont là. Présents. Signifiants. Observer mes frères humains dans tous les trains que j’ai empruntés durant un an me permet de brosser un portrait éminemment subjectif, mais profondément honnête et authentique sur ce que nous sommes tous et toutes aujourd’hui. Pompeux ? Non, réaliste. Dans les trains, la France – bigarrée, différente, agaçante, joyeuse, enivrante, folle, calme – circule. Mieux, elle vit. Elle respire. Elle écrit des histoires individuelles qui sont des histoires collectives parfois, des histoires universelles toujours. Ces instantanés, ces histoires de trains, ce sont nos victoires, nos défaites, nos doutes, nos certitudes, nos envies, nos renoncements. Ce sont nos vies.
Des vies tellement réelles que ce lieu de confinement (non, il ne sera pas question du Covid-19, rassurez-vous) a inspiré les écrivains. Dans toutes les époques. Dans tous les genres. C’est ainsi, par exemple, que Marcel Proust vénérait le train. Et qu’il écrivait dans À la recherche du temps perdu, et plus précisément dans Du côté de chez Swann, un éloge de ce que le voyage par le rail faisait naître chez lui.
J’aurais voulu prendre dès le lendemain le beau train généreux d’une heure vingt-deux dont je ne pouvais jamais sans que mon cœur palpitât lire, dans les réclames des Compagnies de chemin de fer, dans les annonces de voyages circulaires, l’heure de départ: elle me semblait inciser à un point précis de l’après-midi une savoureuse entaille, une marque mystérieuse à partir de laquelle les heures déviées conduisaient bien encore au soir, au matin du lendemain, mais qu’on verrait, au lieu de Paris, dans l’une de ces villes par où le train passe et entre lesquelles il nous permettait de choisir ; car il s’arrêtait à Bayeux, à Coutances, à Vitré, à Questembert, à Pontorson, à Balbec, à Lannion, à Lamballe, à Bénodet, à Pont-Aven, à Quimperlé, et s’avançait magnifiquement surchargé de noms qu’il m’offrait et entre lesquels je ne savais lequel j’aurais préféré, par impossibilité d’en sacrifier aucun.

Extraits
« INSTANTANÉ DU TRAIN
4 AVRIL 2019, Paris-Quimper, TGV
Le voyage en train a ceci de particulier qu’il est un espace-temps réduit qui permet l’introspection, la créativité et la recherche du mieux. Les pensées vagabondent. Là un homme à l’air pressé qui s’agace sur son tableur Excel Ici deux jeunes étudiants en transit. Ils n’arrêtent pas de se toucher, de se regarder, de se sourire, de se bécoter. Ils ont vingt ans de moins que moi. J’étais eux, des fois, en revenant de Bordeaux. Là, une vieille dame à une pile de journaux: le Canard, Marie France, elle lit et elle dort à intervalles réguliers. Un peu plus loin, une femme seule, 45 ans environ. Elle pleure. J’ai toujours aimé ces instants en train. Instantanés de nos vies grandes et minuscules à la fois. Il paraît même que dans ce wagon, un journaliste en transit rêvait d’écrire un roman. #soleil #train #writing #write #sun #sky #clouds #rails » p. 11-12

« Au fond quel est le bon train de vie? Qu’il soit financier, amoureux, professionnel. À chacun de trouver sa réponse. Celle que l’auteur pourrait livrer est certainement bien différente de celle de cette jeune cadre, robe bordeaux, qui oscille entre la tentation du sommeil et les documents qu’elle est
en train de finaliser. Adolescente, se rêvait-elle dans un train à 6h39 du matin, plongée dans son travail? Et cet homme mûr, habillé en dandy, barbe de trois jours et armé de l’assurance du conquérant, s’il se retourne, estime-t-il qu’il a bien mené le train de sa vie? Les wagons qu’il tirait lui ont-ils permis d’atteindre l’allure à laquelle il aspirait ?
Au fond, la puissance d’un trajet en train, C’est qu’il nous renvoie à nous-mêmes et, par métaphore, au train de notre propre vie. À son allure. À ses wagons, chargés ou légers. Emplis de voyageurs, ou vides. Au bruit, ou au silence. Cela nous invite à regarder l’intérieur de nos wagons. À ouvrir telle porte et à se confronter à ce que l’on trouve derrière. Le wagon de la joie abrite tous les bons souvenirs; ils sont aériens, ils flottent avec nous et donnent au train de notre vie une belle allure. Bien sûr, il y a le wagon que nous n’aimons pas ouvrir. Celui des mauvais moments, des erreurs, des choses que nous aurions aimé ne pas faire, et des peines aussi. Mais ce wagon, même s’il pèse et peut parfois ralentir le train de notre vie, fait partie intégrante de nous, de ce que nous sommes. Indéniablement. Reste un autre wagon. Un dernier wagon. Celui des choses que nous transportons mais qui ne sont pas à nous. Ce wagon dans lequel chacun et chacune trouve les espoirs des parents, les constructions bancales d’identité, les chemins empruntés pour de mauvaises raisons, etc. C’est certainement ce wagon qui pèse le plus lourd dans notre «train de vie» et qui nous empêche parfois d’avancer à l’allure souhaitée. C’est ce wagon auquel nous pensons quand un voyage en train s’étire et invite à la contemplation, à l’introspection et à la méditation. Inévitablement, ces instants amènent une réflexion plus large. Les paysages qui défilent sous les yeux viennent interroger le citadin: pourquoi ne ferais-je pas comme ces voyageurs qui — chaque jour — prennent le train pour se rendre à Paris? Le soir, ils rentrent chez eux, à la campagne. Ils ont, eux, franchi le Rubicon d’une vie proche de la nature et d’un travail dans la capitale. » p. 55-58

À propos de l’auteur
MEDIONI_David_©Anna_LailletDavid Medioni © Photo Anna Laillet

David Medioni est journaliste, fondateur et rédacteur en chef d’Ernest, qui lui a permis de rassembler ses deux passions, les livres et le journalisme. Celle des livres qu’il a cultivé très tôt en étant vendeur pendant ses études à la librairie la Griffe Noire. Après avoir bourlingué 13 ans durant dans les médias. À CB News, d’abord où il a rencontré Christian Blachas et appris son métier. Blachas lui a transmis deux mantras: «Ton sujet a l’air intéressant, mais c’est quoi ton titre?», et aussi: «Tu as vu qui aujourd’hui? Tu as des infos?». Le dernier mantra est plus festif: «Il y a toujours une bonne raison de faire un pot». David a également été rédacteur en chef d’Arrêt Sur images.net où il a aiguisé son sens de l’enquête, mais aussi l’approche économique du fonctionnement d’un média en ligne sur abonnement. (Source: Éditions de l’Aube / Ernest)

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Contagions

GIORDANO_contagions

  RL2020

En deux mots:
Docteur en physique théorique et romancier, Paolo Giordano a su trouver les mots pour raconter ce moment particulier de l’histoire de l’humanité où une pandémie a paralysé la planète. Son essai éclairant ouvre aussi des perspectives pour l’avenir.

Ma chronique:

«Aucun homme n’est une île»

Il ne tient qu’à nous de réaliser le vœu de Paolo Giordano et de passer de la contagion à la réflexion vers ce monde qui reste désormais à construire. Car cet essai salutaire démontre combien les effets de la pandémie s’inscrivent dans la durée.

«Quand vous lirez ces pages, la situation aura changé. Les chiffres seront différents, l’épidémie se sera étendue, elle aura atteint tous les coins civilisés du monde, ou aura été domptée – peu importe. Les réflexions que la contagion suscite maintenant seront encore valables. Car nous n’avons pas affaire à un accident fortuit ou à un fléau. Ce qui arrive n’a rien de nouveau: cela s’est déjà produit et cela se reproduira.» Quand Paolo Giordano s’est décidé à écrire, un samedi 29 février, près de 85000 personnes étaient malades du COVID-19 (dont 80000 en Chine) et le nombre de morts approchait les 3000. L’Italie avait décidé des mesures de confinement et peu après, le monde allait s’arrêter. C’est ce qui rend cet essai aussi saisissant, c’est à la fois le décalage avec le «monde d’avant» et le vertige avec le monde qui vient. Passé l’urgence et le temps de la sidération quand, comme lui, nous avons «échoué dans un espace vide inattendu», il a bien fallu réfléchir aux moyens de s’en sortir, à imaginer quel sens ce nouveau monde pourrait avoir.
Pour le docteur en physique théorique qu’est Paolo Giordano, les mathématiques, la recherche scientifique, mais aussi en sciences humaines sont essentielles pour analyser et tenter de comprendre, aussi bien maintenant, dans ce qu’il appelle la phase des sacrifices autant que demain, durant la «phase la plus difficile, celle de la patience.»
Car c’est sans doute l’un des points essentiels de cette réflexion éclairante. Au moment où les premières mesures de déconfinement sont prises, il serait illusoire de croire que les choses vont redevenir normales. Tant qu’il n’y aura pas de vaccin, il faudra de la patience. Cependant, il ne tient qu’à nous de ne pas désespérer, même si les temps restent terriblement difficiles. De faire un meilleur usage de ce laps de temps, «nous en servir pour méditer ce que la normalité nous empêche de méditer: comment nous en sommes arrivés là, comment nous aimerions reprendre le cours de notre vie. Compter les jours. Appliquer notre cœur à la sagesse. Ne pas permettre que toute cette souffrance passe en vain.»
Aussi paradoxalement que cela puisse sembler avec les mesures barrière en vigueur, il nous faut comprendre que nous sommes membres d’une collectivité, «voir que nous sommes inextricablement reliés les uns aux autres et tenir compte de la présence d’autrui dans nos choix individuels.»
C’est aussi pour cela que je vous invite à acheter cet essai éclairant chez votre libraire – pour le lire si vous n’avez pas pu le faire jusque-là (rappelons que les éditions du Seuil ont choisi de mettre Contagions gratuitement à disposition sur leur site durant la période de confinement) – mais aussi pour conserver ce document qui, à n’en pas douter, sera un marqueur de votre histoire personnelle comme de celle du monde.

Contagions
Paolo Giordano
Éditions du Seuil
Essai
Nel Contagio, traduit de l’italien par Nathalie Bauer
64 p., 9,50 €
EAN 9782021465761
Paru le 29/05/2020
L’auteur s’est engagé à reverser une partie de ses droits d’auteur à la l’urgence sanitaire et la recherche scientifique.

Ce qu’en dit l’éditeur
Alors que le monde, frappé par l’épidémie du coronavirus, traverse une crise sanitaire sans précédent, un écrivain prend la parole. Homme de lettres et de science, mais citoyen avant tout, Paolo Giordano nous offre un témoignage personnel et une réflexion dont la portée va bien au-delà des soubresauts de l’actualité, de l’inquiétude et de l’incertitude immédiates. Ni « accident fortuit » ni « fléau », l’épidémie du COVID-19, nous dit-il avec espoir, vigueur et lucidité, est un miroir dans lequel doit se réfléchir la société, et qui peut ainsi nous conduire à une prise de conscience salutaire : nous appartenons tous à une seule et même collectivité humaine, et nous sommes les hôtes d’une nature que nous avons trop longtemps négligée. À cet égard, la contagion est le « symptôme » d’un désordre écologique auquel nous ne sommes pas étrangers – mais face auquel nous ne sommes pas non plus impuissants.
Un petit livre d’une grande sagesse, pour aujourd’hui et pour demain.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
RTBF (Sophie Creuz)
Usbek & Rica (Fabien Benoit)

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Rester à terre
L’épidémie de coronavirus brigue la première place parmi les urgences sanitaires de notre époque. Ni la première ni la dernière, peut-être pas la plus terrible non plus. Il est probable qu’elle ne produira pas davantage de victimes que beaucoup d’autres, or, trois mois après son apparition, elle a déjà établi un record : le SARS-CoV-2 est le premier nouveau virus à se manifester aussi rapidement à une échelle globale. D’autres, comme son prédécesseur le SARS-CoV, assez semblable, ont été vaincus très vite. D’autres encore, tel le VIH, ont comploté dans l’ombre pendant des années. Le SARS-CoV-2 a été plus audacieux. Son effronterie nous révèle ce que nous savions déjà et que nous avions toutefois du mal à mesurer : la multiplicité des niveaux qui nous relient les uns aux autres, partout, ainsi que la complexité du monde que nous habitons, de ses logiques non seulement sociales, politiques, économiques, mais également interpersonnelles et psychiques.
En ce rare 29 février, un samedi de cette année bissextile, où j’écris, les contagions confirmées dans le monde ont dépassé la barre de quatre-vingt-cinq mille – près de quatre-vingt mille dans la seule Chine – et le nombre de morts approche les trois mille. Cela fait plus d’un mois que cette étrange comptabilité tient lieu d’arrière-fond à mes journées. À cet instant aussi, je regarde la carte interactive de la Johns Hopkins University. Des cercles rouges se détachant sur un fond gris signalent les zones de diffusion : les couleurs de l’alarme, qu’on aurait pu choisir avec plus de sagacité. Mais, c’est bien connu, les virus sont rouges, les urgences sont rouges. Si la Chine et le Sud-Est asiatique ont disparu sous une unique grande tache, le monde entier est grêlé, et le rash s’aggravera inéluctablement.
L’Italie, à la surprise de bon nombre d’observateurs, s’est retrouvée sur le podium de cette compétition anxiogène. Il s’agit cependant d’une circonstance aléatoire. En l’espace de quelques jours, d’autres pays risquent d’être davantage touchés que le nôtre, y compris de manière inopinée. Dans cette crise, l’expression « en Italie » s’affadit, il n’y a plus ni frontières, ni régions, ni quartiers. Ce que nous traversons possède un caractère supra-identitaire et supra-culturel. La contagion est à la mesure du monde d’aujourd’hui, global, interconnecté, inextricable.
Je m’en rends bien compte, et pourtant, en observant le disque rouge sur l’Italie, je ne peux m’empêcher d’être impressionné. Mes rendez-vous des prochains jours ont été annulés en vertu des mesures de confinement, j’en ai moi-même repoussé d’autres. J’ai échoué dans un espace vide inattendu. C’est un présent largement partagé : nous traversons un intervalle de suspension de notre quotidien, une interruption de notre rythme, comme dans certaines chansons, lorsque la batterie cesse et que la musique semble se dilater. Établissements scolaires fermés, de rares avions dans le ciel, des pas solitaires et sonores dans les couloirs des musées, partout plus de silence que d’habitude.
J’ai décidé d’employer ce vide à écrire. Pour tenir à distance les présages et trouver une meilleure façon de réfléchir à tout cela. L’écriture a parfois le pouvoir de se muer en un lest qui ancre au sol. Ce n’est pas tout: je ne veux pas passer à côté de ce que l’épidémie nous dévoile de nous-mêmes. Une fois la peur surmontée, les idées volatiles s’évanouiront en un instant – il en va toujours ainsi avec les maladies.
Quand vous lirez ces pages, la situation aura changé. Les chiffres seront différents, l’épidémie se sera étendue, elle aura atteint tous les coins civilisés du monde, ou aura été domptée – peu importe. Les réflexions que la contagion suscite maintenant seront encore valables. Car nous n’avons pas affaire à un accident fortuit ou à un fléau. Ce qui arrive n’a rien de nouveau: cela s’est déjà produit et cela se reproduira.

Des après-midi de nerd
Je me rappelle certains après-midi, en seconde et en première, passés à simplifier des expressions. Recopier une longue série de symboles contenus dans un livre puis, pas à pas, la réduire à un résultat concis et compréhensible : 0, -½, a2. Derrière la fenêtre la nuit tombait, et le paysage laissait place au reflet de mon visage éclairé par la lampe. C’étaient des après-midi de paix. Des bulles d’ordre à un âge où tout, en moi et hors de moi – surtout en moi –, semblait virer au chaos.
Bien avant l’écriture, les mathématiques m’ont permis de réfréner l’angoisse. Il m’arrive encore, le matin au réveil, d’improviser des calculs et des successions de nombres : c’est en général le signe que quelque chose cloche. Je suppose que cela fait de moi un nerd. Je l’accepte. Et j’assume pour ainsi dire cet embarras. Or, il se trouve qu’en ce moment les mathématiques ne sont pas seulement un passe-temps à l’usage des nerds : elles sont l’instrument indispensable pour comprendre la situation et se débarrasser des suggestions.
Avant d’être des urgences médicales, les épidémies sont des urgences mathématiques. Car les mathématiques ne sont pas vraiment la science des nombres, elles sont la science des relations : elles décrivent les liens et les échanges entre différentes entités en s’efforçant d’oublier de quoi ces entités sont faites, en les rendant abstraites sous forme de lettres, de fonctions, de vecteurs, de points et de surfaces. La contagion est une infection de notre réseau de relations.

La mathématique de la contagion
Elle était visible à l’horizon comme un amoncellement de nuages, mais la Chine est loin, et puis pensez-vous… Quand la contagion a fondu sur nous, elle nous a étourdis.
Pour dissiper mon incrédulité, j’ai cru bon de recourir aux mathématiques à partir du modèle SIR, l’ossature transparente de toute épidémie.
Une distinction importante, d’abord : le SARS-CoV-2 est le virus, le COVID-19 la maladie. Ce sont des noms fastidieux, impersonnels, dont le choix répond peut-être au désir d’en limiter l’impact émotif, mais ils sont plus précis que le populaire « coronavirus ». Je les utiliserai donc. Pour plus de simplicité et pour éviter les confusions avec la contagion de 2003, j’abrégerai désormais SARS-CoV-2 en CoV-2.
Le CoV-2 est la forme de vie la plus élémentaire que nous connaissions. Afin de comprendre son action, nous devons adopter son intelligence limitée, nous voir ainsi qu’il nous voit. Et nous rappeler que le CoV-2 ne s’intéresse guère à nous, à notre âge, à notre sexe, à notre nationalité ou à nos préférences. Pour le virus, l’humanité entière se partage en trois groupes : les Susceptibles, c’est-à-dire tous ceux qu’il pourrait encore contaminer ; les Infectés, c’est-à-dire ceux qu’il a déjà contaminés ; et les Rejetés, ceux qu’il ne peut plus contaminer.
Susceptibles, Infectés, Rejetés : SIR.
D’après la carte de la contagion qui vibre sur mon écran, le nombre des Infectés dans le monde s’élève, à cet instant, à environ quarante mille ; celui des Rejetés, morts ou guéris, est légèrement supérieur.
Mais c’est l’autre groupe qu’il faut surveiller, celui qu’on ne mentionne pas. Les Susceptibles, les êtres humains que le CoV-2 pourrait encore infecter, constituent une population d’un peu moins de sept milliards et demi d’individus. »

À propos de l’auteur
Paolo Giordano, né en 1982 à Turin, est docteur en physique théorique et romancier (La Solitude des nombres premiers, Dévorer le ciel). Il vit entre Rome et Paris. (Source: Éditions du Seuil)

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Tu ressembles à une juive

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  RL2020

 

En deux mots:
«Tu n’es pas une juive» ou a contraire «Tu ressembles à une juive». Cloé Korman a dû entendre les deux assertions et combat avec vigueur et érudition le racisme et l’antisémitisme plus ou moins déclaré qui semble resurgir avec plus de vigueur aujourd’hui.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Les bonnes questions sur l’antisémitisme

Délaissant le roman, Cloé Korman nous offre un court essai, une réaction aussi érudite que salutaire sur l’antisémitisme et le racisme qui semblent regagner du terrain aujourd’hui. Un texte utile.

Il m’arrive peu souvent de parler d’essais et de documents dans ce blog qui est d’abord consacré à la littérature contemporaine. Si je fais aujourd’hui exception c’est à la fois parce que j’ai eu la chance l’an passé de rencontrer Cloé Korman, qui siégeait à mes côtés en tant que membre du jury du Prix Orange du livre, et ensuite parce que le thème traité dans son livre m’apparait très important, ayant malheureusement dû constater dans ma région – l’Alsace – une recrudescence d’actes antisémites.
La profanation des cimetières juifs est d’ailleurs évoquée dans ce livre, même si c’est à partir d’exemples personnels que la romancière ancre ce manifeste. Comme ces phrases entendues qui semblent anodines au premier abord et qui, si on prend la peine d’y réfléchir un instant, sont porteuses de préjugés, pour ne pas dire d’intentions blessantes. Ainsi ce «tu n’es pas vraiment juive» qu’une camarade lui lance en constatant qu’elle n’est pas «juive comme elle» ou comme elle le voudrait. «Je prends l’uppercut, je garde pour moi ma rage et je rentre méditer l’insulte…»
Ou à l’inverse ce «Tu ressembles à une juive» tout autant porteur d’à priori et qui vont pousser Cloé à prendre la plume, à développer ce sujet brûlant.
En déroulant son histoire familiale, celle des juifs alsaciens du côté de sa mère, et celle des juifs immigrés de Pologne du côté de son père, elle constate combien ce sujet est longtemps demeuré tabou, qu’il valait mieux ne pas en parler, que la clandestinité valait bien mieux. Animant des ateliers d’écriture en banlieue parisienne (elle est enseignante en Seine-Saint-Denis), elle constate aussi qu’elle ne dit rien de ce passé ou encore de son appartenance à cette communauté. Le non-dit est massif. «Il me ramène à ce constat: aimer on ne pas aimer les juifs est devenu, redevenu, un positionnement stratégique au sein de la société française. C’est une ligne brisée qui la parcourt à nouveau en tous sens et sert à séparer les riches des pauvres, les élites des laissés-pour-compte, les Blancs des non-Blancs, et dont l’instrumentalisation se fait toujours aux dépens des juifs, mais aussi de toutes les minorités qui se distinguent de la norme blanche, catholique, à laquelle l’extrême droite cherche à résumer cette société. Dans une atmosphère d’autant plus inquiétante qu’elle se place dans un contexte de montée des extrêmes droites partout en Europe et sur le continent américain.»
C’est du reste le passage le plus intéressant à mon sens, celui qui lie l’antisémitisme et le racisme, celui qui explique qu’il faut faire cause commune: «Le racisme, ce n’est pas seulement accuser l’autre de son altérité. C’est aussi tout faire pour qu’il n’en sorte pas, et cette stratégie est bien en place dans la société française. Elle est structurée suivant un dispositif qui exploite de façon scandaleuse la différence entre l’antisémitisme et le racisme, qui creuse habilement la différence entre les juifs et tous les autres.»
Rappelant les faits historiques qui ont conduit l’État français à organiser les rafles et à livrer les juifs aux Allemands, elle nous rappelle aussi qu’après le conflit, on a choisi d’«oublier» ce rôle en concentrant le «devoir de mémoire» sur les camps de concentration et en oubliant par exemple Drancy. Bien entendu, la Shoah et ses conséquences n’en constituent pas moins un volet fort intéressant, avant d’en arriver aux dernières évolutions, aux attentats en France mais aussi aux Etats-Unis ou encore en Nouvelle-Zélande et aux faits divers aussi sordides que choquants. Un panorama qui lui permet de conclure «qu’il faut penser la solidarité entre les luttes contre le racisme et contre l’antisémitisme, et mener ces combats de façon tolérante et pluraliste, en surmontant les divisions liées à nos origines sociales et culturelles ce qui exige sans doute de surmonter le racisme au sein même de l’antiracisme.»
S’il faut lire ce court essai, c’est à la fois parce qu’il est solidement argumenté, qu’il anime au débat, mais aussi parce que la patte de la romancière le rend très abordable, très plaisant. Oui, il faut mener ce combat, sauf à finir «dans un monde mort, un jardin aux statues où nous irions ressembler à mort à nous-mêmes jusqu’à ce que mort s’ensuive, jusqu’à ce que la rose soit à la rose moins qu’une rose mais une rose de poussière, une rose d’épines, un fil barbelé de cauchemar.»

Tu ressembles à une juive
Cloé Korman
Éditions du Seuil
Essai
108 p., 12 €
EAN 9782021432374
Paru le 9/01/2020

Ce qu’en dit l’éditeur
La France a une vieille tradition de racisme. Du Code noir à l’islamophobie contemporaine, la mise au ban de certaines populations a pris de multiples formes, souvent tragiques. Pour ma famille, ce fut le Statut des Juifs en 1940 qui marqua la plongée dans l’horreur et entraîna un sentiment d’aliénation durable.
«Attache tes cheveux sinon tu ressembles à une juive»: d’une assignation à être plus discrète, à me conformer à une certaine norme physique, je ferai la focale de ce récit. En tant que femme, en tant qu’enfant d’une famille juive rescapée mais aussi en tant qu’écrivaine des banlieues, des minorités, des marges, le clivage pervers entre la lutte contre l’antisémitisme et les autres luttes antiracistes me choque. Il produit des effets politiques et électoraux désastreux. Il est au service de toutes les oppressions. C. K.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
RFI (Olivier Favier)
Times of Israël
Le Monde (Christine Rousseau)
BibliObs (Élisabeth Philippe)

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Avril 2007. J’assiste à un office dans une synagogue du nord de Manhattan, où j’accompagne un groupe de Français. C’est pour Pessah, la fête qui célèbre la sortie d’Égypte, la fin de l’esclavage du peuple juif. En tant que femme, on m’oblige à rester au fond de la salle, derrière les hommes. Je ne vois, je n’entends rien. Tout est masqué par les silhouettes noires et les chapeaux des hommes.
Trouvant cette situation à la fois ridicule et humiliante, j’ai fini par quitter les lieux. J’ai décidé d’attendre dehors mes amis.
Je patiente sur le perron de la synagogue, en haut de quelques marches en pierres grises, et je regarde tomber la pluie en cette journée pourrie d’avril (Pessah voisine avec Pâques, libération des uns, résurrection de l’Autre se produisent chaque année à peu de temps d’intervalle). Qu’est-ce que cela veut dire, d’exiger que les femmes assistent à l’office (elles étaient tout aussi nombreuses que les hommes), mais qu’elles n’y entendent rien ? Pourquoi cette insulte à l’intelligence, ce mépris ? La misogynie de la religion juive est là. Comme elle est là aujourd’hui à Paris, en plein été, quand je regarde les petites filles des Buttes-Chaumont qu’on oblige à sortir en collants épais par trente-cinq degrés, comme si les jambes nues des fillettes de dix ans étaient un outrage au soleil, de même que les cheveux et les bras, les chevilles de leurs mères qui les attendent sur les bancs du parc en longues tenues noires et couvrantes. Comme est misogyne la religion catholique, dont le pape mène la lutte contre l’avortement en disant des femmes qui y ont recours qu’elles sont des meurtrières, qu’elles embauchent un « tueur à gages » contre leur bébé, et qui force chaque année des millions d’entre elles de par le monde à assumer des grossesses non désirées, indifférent à ce que signifie pour l’enfant à venir de naître à une mère qui ne veut pas de lui.
Mais je ne vois pas qu’en France on s’intéresse énormément à la misogynie des rabbins ou à celle du Saint-Père, je n’ai encore jamais constaté que ces sujets faisaient les gros titres de la presse hebdomadaire. Le premier cas serait jugé, sans doute à raison, antisémite, attirant l’attention sur les orthodoxies d’un groupe social rescapé d’un génocide, et qui ne représente qu’un seul pourcent de la population française. Dans le deuxième cas, on trouverait malvenu de s’en prendre à une religion à laquelle se rattache à peu près la moitié de la population. En revanche, la presse hebdomadaire de droite s’inquiète assidûment de la misogynie dans la religion de huit autres pourcent des Français, la religion musulmane. Les hebdomadaires nationaux de droite les désignent régulièrement comme les véritables ennemis des droits des femmes. Regardez-les, d’ailleurs, ces femmes musulmanes, avec leur voile signe de soumission. Elles prétendent le porter pour accompagner les sorties scolaires. Elles l’arborent au supermarché, au restaurant ! Y compris pour faire du jogging !
Ce jour-là à Manhattan, mon œil erre sur l’avenue pluvieuse et j’attends. J’attends mes amis français et leur volonté de célébrer cette fête, par cet office, me paraît plus que légitime. Car j’aime Pessah, ainsi que le dîner rituel qui l’accompagne, qu’on appelle le séder. C’est un moment de souvenirs joyeux. L’épopée de la sortie d’Égypte m’a émerveillée étant petite. Je me remémore l’audience de Moïse auprès de Pharaon, l’invasion des sauterelles dans la ville, les bébés sacrifiés… puis les eaux de la mer Rouge se refermant sur les troupes royales, les chevaux et les cavaliers engloutis, les lances qui percent la crête des vagues quelques instants encore avant de sombrer. La liberté au prix de cette noyade, de ces actes terribles. Enfin, la vie d’expédients dans le désert, que nous rejouons à la table familiale chaque année pendant mon enfance : mon père met sa kippah ; il ouvre une haggadah illustrée par l’encre lumineuse de Raymond Moretti, aux lettres colorées, sertie d’or ; il lit un ou deux des passages qu’il préfère, il prononce les mots en hébreu. Nous disons un poème pour l’interroger sur le sens de quelques aliments symboliques rassemblés sur la table et que ma petite sœur qualifie de « crudités ». J’aime Pessah comme j’aime Hannukah et ses flammèches. C’est à peu près toute mon éducation religieuse.
Mes amis arrivent enfin. Je pense que nous allons repartir dîner tous ensemble mais je ne suis pas au bout de mes peines. J’apprends que nous sommes invités à rester pour le séder avec les fidèles de cette synagogue. Comme je n’ai pas aimé l’esprit du lieu je m’empresse de refuser, je dis que je vais rentrer chez moi. Après la sommation dans la salle de prière, le rappel à mon statut inférieur de femme, je ne sais pas à ce moment-là que le pire est encore à venir, une remarque qui va me faire chanceler : « Si tu vas dîner seule au lieu d’être avec nous », c’est une camarade qui parle, « tu n’es pas vraiment juive. »
Qu’est-ce qui autorise cette jeune femme française, étudiante aux Beaux-Arts en échange dans une prestigieuse université new-yorkaise, qui aurait tout pour être plutôt éclairée et tolérante, à me déclarer non juive ? Je prends l’uppercut, je garde pour moi ma rage et je rentre méditer l’insulte, mais pas longtemps. En fait, je ne suis pas venue jusqu’ici pour réfléchir à mon identité juive. New York a beau être la ville cosmopolite par excellence, la ville de la sublimation des communautés, qui arborent leur folklore et leurs mœurs à travers les restaurants ethniques, les commerces, les églises de chaque quartier, chinois, latino, noir évangélique… rien ne m’intéresse moins à ce moment de ma vie que d’explorer mes origines. La remarque de cette compatriote me fait penser à un témoignage entendu peu de temps avant au mémorial d’Ellis Island, d’une immigrée des années 1930 fraîchement débarquée de Pologne à qui un psychologue de l’Administration, censé trier les personnes aptes au travail et les autres, demande dans quel sens elle envisage de balayer un escalier : « De haut en bas ? Ou de bas en haut ? » Dans le casque audio à disposition des visiteurs du grand hall des arrivées devenu musée, la voix de la femme commente : « Mais je ne suis pas du tout venue jusqu’ici pour balayer des escaliers ! » Voilà : pour ma part, à ce moment-là je ne suis pas à New York pour me demander si je suis, ou non, juive. »

Extraits
« Enfin, s’il était vrai, par quelque logique absurde, que je n’étais pas juive, et que mes parents, mes grands-parents dans leur athéisme plus ou moins consommé ne l’avaient pas été non plus, ils auraient pu compter sur d’autres qu’eux pour les désigner comme juifs et vouloir les assassiner en tant que tels. Le «tu n’es pas vraiment juive» de cette camarade sonnait comme un écho sordide au «vous n’êtes pas français» adressé à mes ancêtres en 1942, assorti de l’obligation de porter l’étoile jaune et d’aller s’inscrire eux-mêmes sur des registres servant à organiser leur extermination. »

«Il me ramène à ce constat: aimer on ne pas aimer les juifs est devenu, redevenu, un positionnement stratégique au sein de la société française. C’est une ligne brisée qui la parcourt à nouveau en tous sens et sert à séparer les riches des pauvres, les élites des laissés-pour-compte, les Blancs des non-Blancs, et dont l’instrumentalisation se fait toujours aux dépens des juifs, mais aussi de toutes les minorités qui se distinguent de la norme blanche, catholique, à laquelle l’extrême droite cherche à résumer cette société. Dans une atmosphère d’autant plus inquiétante qu’elle se place dans un contexte de montée des extrêmes droites partout en Europe et sur le continent américain.» p. 23

«Il est une identité juive, athée, intellectuelle, diasporique, qui n’est pas bien accueillie dans la France d’aujourd’hui. Et ce bannissement a tout à voir avec l’antisémitisme, qui hait les juifs pour leur culte, leurs traditions, mais aussi pour leur intégration, leur mélange à l’intérieur des autres territoires et des autres cultures qui les ont accueillis. La fabrication imaginaire de la matrice israélienne, cette simplification, ce renoncement au pluralisme juif, je considère cela comme un acte antisémite.» p. 35

«Le racisme, ce n’est pas seulement accuser l’autre de son altérité. C’est aussi tout faire pour qu’il n’en sorte pas, et cette stratégie est bien en place dans la société française. Elle est structurée suivant un dispositif qui exploite de façon scandaleuse la différence entre l’antisémitisme et le racisme, qui creuse habilement la différence entre les juifs et tous les autres.» p. 40

« C’est en mesurant ce danger qu’il faut penser la solidarité entre les luttes contre le racisme et contre l’antisémitisme, et mener ces combats de façon tolérante et pluraliste, en surmontant les divisions liées à nos origines sociales et culturelles ce qui exige sans doute de surmonter le racisme au sein même de l’antiracisme. À défaut, C’est le racisme qui nous pense et nous conduit collectivement dans un monde mort, un jardin aux statues où nous irions ressembler à mort à nous-mêmes jusqu’à ce que mort s’ensuive, jusqu’à ce que la rose soit à la rose moins qu’une rose mais une rose de poussière, une rose d’épines, un fil barbelé de cauchemar.» p. 107

À propos de l’auteur
Cloé Korman est née en 1983 à Paris. Son premier roman, Les Hommes-couleurs (Seuil, 2010), a été récompensé par le prix du Livre Inter et le prix Valery-Larbaud. Ses derniers livres parus au Seuil sont Les Saisons de Louveplaine (2013) et Midi (2018). (Source: Éditions du Seuil)

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Géopolitique du moustique

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En deux mots:
Après avoir exploré le coton, l’eau et le papier, Erik Orsenna poursuit ses voyages didactiques en s’attaquant cette fois au moustique. Un combat perdu d’avance, ou presque, mais qui n’en demeure pas moins passionnant.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Géopolitique du moustique
Erik Orsenna / Isabelle de Saint-Aubin
Fayard
Essai
288 p., 19 €
ISBN: 9782213701349
Paru en mars 2017

Où?
Poursuivant ses traités sur la mondialisation, l’auteur nous entraîne sur presque tous les continents, de Guyane au Cambodge, en passant par la Chine, le Sénégal, le Brésil et la France, sans oublier la forêt Zika en Ouganda.

Quand?
Si les reportages sont actuels, de nombreuses références historiques nous entraînent vers le passé tout au long de l’ouvrage.

Ce qu’en dit l’auteur
« Les moustiques viennent de la nuit des temps (250 millions d’années), mais ils ne s’attardent pas (durée de vie moyenne : 30 jours). Nombreux (3 564 espèces), volontiers dangereux (plus de 700 000 morts humaines chaque année), ils sont répandus sur les cinq continents (Groenland inclus).
Quand ils vrombissent à nos oreilles, c’est une histoire qu’ils nous racontent : leur point de vue sur la mondialisation.
Une histoire de frontières abolies, de mutations permanentes, de luttes pour survivre, de santé planétaire, mais aussi celle des pouvoirs humains (vertigineux) qu’offrent les manipulations génétiques. Allons-nous devenir des apprentis sorciers ?
Toutefois, ne nous y trompons pas, c’est d’abord l’histoire d’un couple à trois : le moustique, le parasite et sa proie (nous, les vertébrés).
Après le coton, l’eau et le papier, je vous emmène faire un nouveau voyage pour tenter de mieux comprendre notre terre. Guyane, Cambodge, Pékin, Sénégal, Brésil, sans oublier la mythique forêt Zika (Ouganda) : Je vous promets des surprises et des fièvres !
Pour un tel périple dans le savoir, il me fallait une alliée. Personne ne pouvait mieux jouer ce rôle que le docteur Isabelle de Saint Aubin, élevée sur la rive du fleuve Ogooué, au cœur d’un des plus piquants royaumes du moustique. » Erik Orsenna

Ce que j’en pense
Erik Orsenna est un vulgarisateur hors-pair. J’imagine qu’il pourrait même rendre l’analyse d’un bottin téléphonique passionnante. Fidèle au modèle qu’il a conçu pour nous expliquer la mondialisation et avec lequel il nous a successivement raconté le parcours d’une balle de coton, suivi le trajet de l’eau ou encore la fabrication du papier, il a cette fois choisi un animal comme figure de proue de la mondialisation: le moustique. À suivre notre académicien avide de savoir, on comprend très vite le potentiel formidable de cet insecte aussi minuscule que terrifiant.
Quelques chiffres suffisent du reste à illustrer la dimension du problème. En 2015, les moustiques ont causé la mort de plus de 800000 personnes, alors que la même année les conflits humains ont tué 580000 personnes. Même un bestiaire à la Prévert qui rassemblerait requins, lions, crocodiles, serpents, chiens, ours ou autres prédateurs n’arriverait pas à la cheville de ces insectes. Au tableau de chasse du moustique on répertorie les victimes du paludisme, de la dengue, du Zika, de la fièvre jaune, du chikungunya pour ne prendre que les parasites et virus les plus connus que transmettent ces espèces qui n’ont sans doute pas encore été toutes découvertes.
C’est dire le potentiel de nuisance de ces minuscules bestioles. C’est dire aussi combien le combat mené sur tous les continents est vital. Avec l’aide et la caution d’Isabelle de Saint-Aubin, Erik Orsenna peut se lâcher et entraîner le lecteur dans cette guerre à l’issue très incertaine, dans un combat où les plus malins ne sont pas forcément ceux qu’on croit (l’adaptabilité des moustiques aux pièges qu’on leur tend est phénoménale), dans une stratégie battue en brèche par le tourisme et les voyages qui rendent possible – voire inéluctable – l’invasion de nouvelles espèces dans des régions jusque-là préservées. Le cas du moustique-tigre en est un exemple révélateur.
Très didactique, l’ouvrage est construit sur une série de voyages et d’entretiens qui en le rendent aussi passionnant à lire qu’un roman. Découpé en trois grandes parties, il commence par dresser le portrait des moustiques (Qui sont-ils ?) avant de partir sur leurs traces (Où sont-ils ?) puis de détailler les recherches en cours (Comment s’en débarrasser?). Si le but du livre n’est pas de gâcher les vacances du lecteur, il faut bien reconnaître que les différentes techniques d’éradication, des recettes de grand-mère aux techniques utilisant la génétique, montrent toutes leurs limites.
Puis-je me permettre de vous suggérer l’achat d’un moustiquaire avant d’attaquer cet essai passionnant ? Car si vous avez besoin d’être rassurés, je ne vois guère que cette solution. Le très intéressant dossier complémentaire mis en ligne par l’Institut Pasteur n’étant pas vraiment susceptible de vous rassurer, au moins à court terme. Bzzzz, bzzzz !

Autres critiques
Babelio 
Paris-Match (Catherine Schwaab)
L’Express (Marianne Payot)
Le JDD (Bernard Pivot)
La Croix (Denis Sergent)
Le Point (Violaine de Montclos)
Blog Errances immobiles 


Erik Orsenna présente son livre « Géopolitique du moustique. Petit précis de mondialisation IV » (Fayard)

Les premières pages du livre 

Extrait
« Si certains parviennent tant bien que mal à la cinquantaine, la plupart d’entre eux, à commencer par les moustiques, ne vivent pas longtemps. En d’autres termes, ils ne sont pas embarrassés par leurs vieux. À peine ont-ils at teint la pleine force qu’ils ont la décence de mourir pour laisser la place aux jeunes. On pourrait objecter qu’ils perdent ainsi en expérience. Ce manque est pallié par leur très longue présence sur la Terre : en quatre cents millions d’années, certes on prend son temps, mais on s’adapte à tout !
Quand la dynamique de l’espèce l’emporte sur la revendication de l’individu, il y a gros à parier que la vitalité générale y gagne. »

À propos de l’auteur
Erik Orsenna est l’auteur de L’Exposition coloniale (prix Goncourt 1988), de Longtemps, de Madame Bâ et de Mali, ô Mali. Il a écrit aussi des petits précis de mondialisation, dont Voyage aux pays du coton (2006), et deux biographies, l’une consacrée au jardinier de Louis XIV, André Le Nôtre, Portrait d’un homme heureux (2000), et l’autre à Louis Pasteur, La Vie, la Mort, la Vie (2015). On lui doit également cinq contes célébrant la langue française dont La grammaire est une chanson douce (2001). Entré à l’Académie française en 1998, il occupe, sans légitimité aucune, le siège de Louis Pasteur et d’Émile Littré. (Source : Editions Stock)

Site internet de l’auteur 
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Mon mari et moi

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En deux mots
Sous forme d’exploration intime Elisabeth Jacquet cherche à définir le mari. Ce faisant, elle sonde sa vie de couple et cherche, au-delà de son cas, si la rue, la littérature, le cinéma reflètent son histoire personnelle.

Ma note
etoileetoileetoile (beaucoup aimé)

Mon mari et moi
Elisabeth Jacquet
Serge Safran éditeur
Essai sentimental
144 p., 14,90 €
EAN : 9791090175655
Paru en mars 2017

Ce qu’en dit l’éditeur
Il y a un homme et une femme. Puis il y a une femme et un mari. « Un jour un homme est devenu mon mari » dit-elle. Mais au fait qu’est-ce qu’un mari ?
Avec humour, sérieux, tendresse ou gravité, Élisabeth Jacquet explore le concept de mari, éternel ou pas, le considère, l’interroge, s’en étonne, cherche des éclaircissements.
Essai sentimental sous forme de précis conjugal, Mon mari et moi conte ce qui se joue au cœur de notre intimité quand nous la partageons avec quelqu’un d’autre.
Après le mariage pour tous, voici un petit livre pour tous sur le mariage.

Ce que j’en pense
Il y a sans doute de nombreuses façons de parler du mariage, le plus souvent on a affaire au mode ironique et cruel ou alors au mode épique et idéaliste. Pour faire court, on citera Sacha Guitry dans la première catégorie: « Les hommes n’ont que ce qu’ils méritent. Les autres sont célibataires! » Et Sören Kierkegaard dans la seconde catégorie: « Le mariage est et restera le voyage de découverte le plus important que l’homme puisse entreprendre. » Elisabeth Jacquet a choisi une troisième voie. Même si cette dernière n’est pas exempte ici et là d’une certaine ironie ou d’élans du cœur on qualifiera ce recueil de pensées et courts textes d’analyse réaliste, ponctuée de doutes et de nombreuses questions. Un peu comme une entomologiste, l’auteur observe sa vie conjugale et celle des autres, disséquant à la fois le langage (quand parle-t-on de conjoint, d’époux, de moitié, de régime matrimonial, de devoir conjugal?), la gestuelle (un doigt qui se glisse au creux d’un bras, un bras passé autour des hanches), les habitudes (la position de lit conjugal, la place de la brosse dans le salle de bain) avant de se lancer dans une étude comparative (sommes-nous les seuls ans ce cas? Comment font les autres?). On comprend vite que le fruit de ses réflexions ne nous est pas livré par une novice, mais s’appuie sur une belle expérience. Quand le temps a passé, que les habitudes se sont installées, que l’on associe « avec autant de constance et de naturel tu me manques à je ne peux plus te supporter? Viens on parle à je n’arrive pas à t’écouter? Lâche-moi à prends-moi dans tes bras? »
Les moments de poésie pure ont en effet vite fait de céder la place à la trivialité. Mais c’est sans doute dans cette curieuse manière de vivre ensemble que se cimente le couple : « De qui d’autre pourrais-je ainsi systématiquement trier les chaussettes ? Ou déchirer pour en faire d’astucieux chiffons les chemises et caleçons qu’il continue à porter même troués? Avec qui d’autre aussi longtemps partager les sanitaires, bruits odeurs et rituels de nos corps sans cesse à proximité? »
Car c’est bien dans les détails de la vie commune que se trouve la finalité du mariage et non dans les grandes envolées lyriques. Elisabeth Jacquet nous le fait habilement comprendre en construisant l’édifice commun sur la sommes «des âges, craintes, complexes, peurs, espérances, angoisses, désirs, rêves et chagrins». Avant d’ajouter avec lucidité qu’il est logique que cette somme entraîne quelquefois des dérapages.
Des allers-retour entre son mari et ceux qu’elle croise dans la rue ou dans la littérature, l’auteur essaie de trouver un modèle universel, une sorte d’archétype du mari. Mais il lui faut vite déchanter. Entre le mari de la duchesse de Guermantes et celui d’Anna Karénine, entre celui de Madame Bovary et celui de Rebecca, il n’y guère de similitude. Passant de la littérature au cinéma et allant jusqu’aux séries télé, Elisabeth Jacquet fait le même constat de typologies bien différentes. Ce qui explique aussi qu’il n’y a pas de règles ou de mode d’emploi, mais bien davantage une sorte de pari sur l’avenir. Exaltant autant que risqué : « Nous nous imaginions semblables et très différents, les mêmes mais autrement, puisqu’il était impossible de prévoir l’ensemble et la nature des événements qui prendraient place au cours de notre vie commune. »

Autres critiques
Babelio
Le Monde (Bertrand Leclair)
L’Alsace (Jacques Lindecker)
Blog Les lectures de Martine
Zazy – mon blogue de lecture
Blog Encres vagabondes
Blog Le Littéraire (Jean-Paul Gavard-Perret)

Les premières pages du livre 

Extrait
« J’ai remarqué ceci : s’il ne le fait pas dès le début ou presque, chaque couple dans la durée finit la plupart du temps par se marier. À cause des impôts, des enfants, de la maladie, de la vieillesse, à cause du partage des biens… Mais surtout pas car nous désirions braver le Temps, nous nous sentions si grelottants dans le grand néant qui nous entoure ! » (p.67)

À propos de l’auteur
Élisabeth Jacquet travaille différentes formes de narration. Chacun de ses livres possède, en fonction du sujet traité, sa forme singulière. Certains de ses textes, dont Mon mari et moi sont adaptés en fictions radiophoniques. (Source : Serge Safran éditeur)

Site internet de l’auteur 

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Bière qui coule n’amasse pas mousse

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Bière qui coule n’amasse pas mousse
Enfin la vérité (ou presque) sur quelques expressions françaises
Charlotte Dekoker
Digobar Éditions
110 p., 12 €
EAN : 9791096139002
Paru en octobre 2016

Ce qu’en dit l’éditeur
Une vraie fausse enquête érudite et complètement déjantée. Charlotte Dekoker nous invite à détricoter les expressions avec une imagination débridée et une mauvaise foi absolue. Un cocktail détonnant d’humour à partager sans modération !
Il aura fallu qu’une mi-Belge/mi-Ch’ti s’y attèle pour que l’on découvre enfin les origines loufoques et surréalistes d’une dizaine d’expressions françaises.
Nous nous demandons ainsi pourquoi il faut se tenir à carreau plutôt qu’à pique ou à trèfle, et quel est le programme de la politique de l’autruche. Nous découvrons que le fameux Pierre qui roule n’amasse pas mousse est une pure invention du lobby viticole destinée à piquer des parts de marchés aux vendeurs de cervoise.
La narratrice nous entraîne dans ses élucubrations et nous livre au passage quelques anecdotes croustillantes sur la vie privée de Gutenberg ou de Jésus Christ, voire, sur ses pratiques en matière de port de culotte.

Ce que j’en pense
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« Ce serait beaucoup plus simple si je pouvais vous donner un nom. Vous comprendriez tout de suite. A peine auriez-vous lu le prénom que, déjà, vous auriez deviné le reste. Déclic immédiat assuré. Satisfait ou remboursé. » Vous n’aurez pas à attendre la page 55 de ce délicieux opuscule pour en trouver le mode d’emploi, car je viens de vous le livrer en patûre. Rassurez-vous cette expression n’est pas à prendre dans l’acception de Simone de Beauvoir qui écrivait dans Les Mandarins que « Quand on livre un roman en pâture aux critiques, ils mordent l’un après l’autre » mais bien davantage comme un cadeau fait pour vous simplifier les choses, en quelque sorte l’exception qui confirme la règle.
Mais foin de digressions, commençons donc par le nom. Dekoker. Vous comprenez immédiatement qu’avec ce patronyme l’auteur est quelqu’un qui a du chien. Certes Dekoker n’est peut-être pas aussi viril que Dedoberman ou Depitbull, mais c’est un compagnon de jeu fidèle. En flairant cette piste, je suis tombé sur cette définition proposée par les spécialistes canins : «heureux de vivre, il sème la joie autour de lui. Sensible à nos humeurs, il sait que l’histoire d’Amour qu’il partage avec nous, c’est pour le meilleur et pour le pire. Si votre journée a été maussade, il viendra vous remonter le moral.» Pour résumer, on dira que Dekoker fait du bien à ceux qui font un bout de route avec lui. À condition de lui lâcher la bride sur le cou.
Car c’est avec une joyeuse liberté que les expressions françaises sont ici passées à la moulinette. Mais, comme diraient conjointement Mathieu Delaporte et Alexandre de La Patellière, avant d’en venir au sujet, une autre digression s’impose : Le Prénom.
Charlotte aura bien essayé de nous donner le change en allant sur le site internet du magazine ELLE pour essayer de se définir, mais nous ne sommes pas dupes et encore moins prêts à avaler toutes les couleuvres qui passent. En parlant de Charlotte, je ne pense pas à cet horrible couvre-chef que l’on vous oblige à porter dès que les consignes d’hygiène deviennent par trop rigoureuses, mais bien plutôt de ce délicieux dessert : «Qu’elle soit aux fruits, au chocolat ou encore au fromage blanc, la charlotte est un dessert plein de fraîcheur, toujours apprécié en fin de repas. Elle se décline en de nombreuses recettes faciles et fruitées.» Si jusqu’à aujourd’hui la plus célèbre d’entre elles est sans doute la charlotte à la fraise, je vous garantis que la variante Charlotte Dekoker gagne à être connue, tant elle est pétillante et surprenante. Vous allez vous régaler, c’est promis !
Je sens bien, amis lecteurs, que vous aimeriez en savoir davantage sur le contenu du livre. Vous vous dites peut-être que je vous mène en bateau. Que nenni !
Sans vous dévoiler comment pierre qui roule n’amasse pas mousse, par déviation sémantique, a donné le titre à cet essai (formidablement transformé, comme on dit aux bord des terrains de rugby), je vous mettrai sans doute l’eau à la bouche en faisant la liste des sept expressions que décortique la belle Charlotte, en les accompagnant d’un petit qualificatif de mon cru : Se tenir à carreau (à lire en axyant toutes les cartes en main), Pierre qui roule… (vous connaissez maintenant la suite, mais découvrirez la mise en bière d’une expression), Avoir les dents qui rayent le parquet (en oubliant de rouler un patin), Être dur de la feuille (tout en étant critique du système éditorial), la Politique de l’autruche (un exercice de devinette dans les arcanes du pouvoir), Mettre les points sur les i (et se mettre les typographes à dos), Se dorer la pilule (tout en passant des vacances aux frais de la princesse).
Par les temps qui courent, voilà un remède idéal à la morosité ambiante. Précipitez-vous chez votre libraire!

Autres critiques
Babelio
Le Figaro (Alice Develey – avec interview de l’auteur)

A propos de l’auteur
Si Desproges et Rabelais s’étaient rencontrés dans une taverne à Ostende, et que de leurs amours avait pu naître une fille… Ce serait elle. Elevée entre le Nord de la France et la Belgique, Charlotte Dekoker en a gardé l’humour et la générosité. A trente ans, elle vit aujourd’hui à Paris où elle occupe des fonctions de direction dans le secteur du mécénat. (Source : Digobar Éditions)

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