Crime au pressoir

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En deux mots:
La découverte des cadavres de deux bébés dans un pressoir d’Ingersheim, au cœur du vignoble alsacien est l’affaire du journaliste Julien Sorg. Rendant compte de l’enquête, il nous offre par la même occasion de découvrir le patrimoine de cette région à l’histoire aussi riche que mouvementée.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Enquête dans le vignoble alsacien

Après Crime de guerre en Alsace, Jean-Marie Stoerkel poursuit son exploration du patrimoine alsacien à travers les faits divers sur lesquels enquête un journaliste de L’Alsace. Cette fois, il s’agit d’élucider un double infanticide: deux bébés sont retrouvés morts dans un pressoir.

La commune d’Ingersheim, proche de Colmar, est l’un des joyaux de la route des vins d’Alsace. Si elle n’est pas aussi réputée que ses voisines Riquewihr ou Turckheim, elle vaut tout autant le détour, notamment pour ses appellations Grand cru d’Alsace et ses crémants, mais aussi pour son patrimoine architectural, à commencer par sa Tour des sorcières, vestige d’un château fort du XIIIe siècle. C’est du reste à deux pas de cette tour que se situe le nouveau fait divers dont va devoir s’occuper Julien Sorg, le journaliste au quotidien L’Alsace – le double de l’auteur – qui se passionne pour tous les mystères de sa région.
Quand il arrive sur place, le domaine viticole a déjà été cerné par les forces de l’ordre qui lui refusent l’accès au pressoir où ils viennent de découvrir les cadavres de deux bébés. Une attitude plutôt inhabituelle pour le localier qui a quotidiennement rendez-vous avec les commissariats, gendarmeries et tribunaux.
Cela dit, le fait qu’on veuille lui mettre des bâtons dans les roues est plutôt du genre à exciter sa convoitise et à l’encourager à en savoir davantage.
Lorsque le procureur annonce en conférence de presse que l’ADN récupéré sur les lieux est exploitable et que la police scientifique devrait permettre de mettre un nom sur le coupable, le capitaine Loïc Caradec qui dirige l’enquête et a finalement accepté de collaborer avec Julien – il sait tout l’intérêt que peut avoir une communication habilement dirigée – peut s’enorgueillir d’avoir rondement mené les choses. Car la chance est avec lui. L’empreinte génétique d’une femme, victime deux ans plus tôt d’un accident de la route qui a coûté la vie à son mari et à son fils, correspond à celle d’un cheveu retrouvé sur le cordon qui entourait les cadavres. Elle est incarcérée rapidement. Il ne lui reste plus qu’à la faire avouer.
C’est alors que les choses se compliquent. Muriel est devenue une amie de Véronique, l’épouse de Julien et elle ne croit pas une seconde à la culpabilité de l’esthéticienne. Avec l’aide d’une avocate pénaliste, le couple va tenter d’apporter son soutien à la jeune femme qui croupit en prison.
Mais les semaines, puis les mois passent sans qu’un progrès notable ne puisse être enregistré. Et au moment où Julien commence à perdre espoir, un nouvel élément va permettre de relancer le dossier.
Le suspense est habilement construit, poussant le lecteur à ne pas lâcher le livre. Mais son intérêt est triple. Jean-Marie Stoerkel nous fait aussi partager le fruit de ses recherches et de ses découvertes sur sa région natale, sur son patrimoine artistique et architectural. Un trésor qui fascinera à la fois ceux qui n’ont pas encore visité l’Alsace et ceux qui passent tous les jours devant certaines bâtisses où qui ont déjà visité les musées sans connaître l’histoire des œuvres exposées.
Ajoutons-y aussi les souvenirs du journaliste qui pour avoir travaillé de longues années dans la presse locale en connaît tous les rouages et nous en livre les secrets de fabrication, tout en rendant hommage à quelques collègues qui ont marqué de leur empreinte la région, en défendant des valeurs plutôt que des bilans comptables.
Enfin, et ce n’est pas le moins intéressant, on apprend comment fonctionnent les rouages de la justice, quels rôles jouent les enquêteurs, le procureur, le juge et la police scientifique dont les tests ADN semblent aujourd’hui être l’alpha et l’oméga de toute enquête. Comme à chaque fois, tout est inventé et tout est vrai. Un régal !

Crime au pressoir
Jean-Marie Stoerkel
Éditions du Bastberg
Roman
316 p., 15,20 €
EAN 9782358591270
Paru le 1/10/2019

Où?
Le roman se déroule en France, principalement à Ingersheim, Colmar et Mulhouse, mais aussi dans les villages limitrophes de Turckheim, Kaysersberg ou encore Éguisheim.

Quand?
L’action se situe en 1991.

Ce qu’en dit l’éditeur
Vendanges 1991 en Alsace. Deux nouveau-nés sont découverts morts dans le pressoir d’un vigneron à Ingersheim. Muriel, une jeune femme de Kaysersberg au passé dramatique, se reconnaît dans le portrait-robot envoyé aux gendarmes et à un journaliste par un correspondant anonyme. Elle se retrouve inculpée du crime et emprisonnée, car l’ADN, la nouvelle reine des preuves, l’accuse.
Pourtant, le journaliste colmarien Julien Sorg croit en son innocence. Ce roman est une sorte de suite, située plus de quarante ans après, de Crime de guerre en Alsace, hymne à la Résistance alsacienne, où l’ancien résistant et soldat libérateur Thomas Sorg, le père de Julien, a fait face à un dilemme cornélien en découvrant que le père de son amoureuse était un vil collabo.
Crime au pressoir est aussi une ode à l’Alsace, à son histoire riche, à son formidable patrimoine et à ses grands personnages.

Les critiques
Babelio 
Lecteurs.com

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« 1. Deux petits cadavres dans le raisin
«C’est donc arrivé comme ça. On était rentrés des vendanges et on venait de déposer dans la cour les cuves remplies de raisins. Vous savez, ces belles cuves en chêne, pas comme ces caisses en plastique qu’on utilise de plus en plus maintenant. Deux de mes camarades vendangeurs sont allés dans la pièce où se trouve le pressoir. Tout à coup, un des deux a poussé un grand cri qui a tout déchiré avant de s’évanouir aussitôt dans le silence subit…»
Julien sourit malgré lui à l’idée que son interlocuteur, s’adressant à un journaliste, s’est mis en tête d’utiliser un phrasé littéraire. Dès son entrée dans le bistrot d’Ingersheim où ils s’étaient donné rendez-vous, il lui a trouvé une tête d’artiste maudit, avec ses longs cheveux plaqués en arrière et sur les côtés, sa barbe broussailleuse et son regard fiévreux. Une gueule à ne pas beaucoup aimer les gendarmes, qu’il s’est dit aussi. Et ce témoin était en or.
Il était tombé miraculeusement bien. C’était un peu plus d’une heure auparavant. Julien venait de se faire sèchement rembarrer par les gendarmes quand il s’était présenté dans la Hintergass, appelée en français la rue du Maréchal-Foch, devant la maison du vigneron. Son copain Philippe, qui est aussi le correspondant du journal à Ingersheim, lui avait téléphoné à son bureau de l’agence à Colmar, le prévenant qu’on avait découvert chez le viticulteur les corps sans vie de deux petits enfants.
Julien Sorg ne comprend toujours pas pourquoi les enquêteurs l’ont aussi mal accueilli et chassé. D’habitude, l’adjudant-chef et tout l’effectif de sa brigade se montraient plutôt aimables avec lui, même lorsqu’ils s’efforçaient de lui cacher des éléments d’une affaire. C’était d’ailleurs devenu une sorte de jeu, avec les règles du fair-play, et Julien ne leur avait jamais fait de coup vache. Mais là, les affiliés de la grande muette ne s’affichaient pas seulement muets ; ils manifestaient carrément une hostilité à son encontre. Et lui ne saisissait pas pourquoi.
«Circulez, il n’y a rien à voir!», l’a rembarré tout de suite celui qui interdisait l’entrée de la propriété du viticulteur. Julien a alors demandé à parler an commandant de brigade. II a dû poireauter un très long moment dans la rue. Les badauds se regardaient comme on contemple une curiosité. Certains le reconnaissaient comme le journaliste à Colmar qui a grandi ici à Ingersheim où ses parents habitent toujours.
L’adjudant-chef Sutter a fini par apparaître sur le trottoir en fulminant. «Vous me dérangez en pleine enquête, monsieur, et je n’ai rien à vous dire! Fichez le camp!», qu’il lui aboyait. «Pourquoi? Il s’est passé quelque chose me concernant?», s’est étonné Julien de plus en plus abasourdi.
En temps normal, le sous-officier lui aurait au moins résumé l’événement. Mais là, il l’a furieusement toisé et lui a hurlé avant de tourner les talons: «Vous voulez savoir ce qui se passe? Demandez donc au directeur de votre journal, il vous expliquera! Maintenant déguerpissez! Et que je ne vous voie pas traîner dans la rue, sinon je vous fais arrêter pour entrave à une enquête judiciaire!»
C’est après ça que Julien, cuvant son incompréhension, a redécouvert qu’il y a toujours un dieu pour les journalistes. Retournant dans la maison du vigneron, le gendarme a bousculé un bonhomme qui en sortait. Chacun râlait contre l’autre et Julien a adressé au malmené un regard de compassion.
«Ils me saoulent avec toujours les mêmes questions! J’avais beau leur dire que je devais absolument partir, ils ne me lâchaient pas la grappe. Comme si c’était moi qui avais tué ces deux bébés!» maugréait le type. «Hein? Ce sont deux bébés tués?», a rebondi Julien, du coup rempli à nouveau par la fièvre journalistique. «Oui, étranglés, retrouvés dans le pressoir!», a répondu l’autre, pressé, en ajoutant: «Navré, mais je dois aller récupérer ma voiture chez le garagiste. Il va fermer…»
Julien lui a couru après, l’a questionné: «Je peux vous parler après? Je suis Julien Sorg, journaliste à L’Alsace…» Il s’est angoissé durant le bref instant précédant la réponse. Qui fut: «Oui. Attendez-moi au bistrot en face de la mairie, sur la rue de la République… »

Extrait
« La période la plus terrible a été après l’annexion en 1940 de l’Alsace par le IIIe Reich, assortie d’une véritable répression culturelle et linguistique. Les Alsaciens n’avaient même plus le droit de parler alsacien, une langue pourtant germanophone. Et quand l’Alsace est redevenue française en 1945, il fallait plus que parler le français à l’école et on se faisait taper sur les doigts quand on parlait l’alsacien.» L’élu a débuté sa carrière de professeur en 1964 au lycée Bartholdi à Colmar. Il y a enlevé les grands panneaux “Il est chic de parler français“ accrochés dans les couloirs. Le proviseur a écrit au rectorat en le stigmatisant comme quelqu’un de très dangereux. Puisque Cronenberger n’était pas encore titulaire, il n’a pas eu de poste à la rentrée suivante à cause de cette rébellion. Il a été sauvé par le syndicat SGEN-CFDT de l’Éducation nationale. Dans une autre interview, il a aussi déclaré: «Jamais on n’a enseigné dans nos écoles à nos enfants ni la littérature alsacienne ni l’histoire de l’Alsace. Les enseignants ne connaissent plus les grands auteurs alsaciens depuis le Moyen Âge à aujourd’hui, de Brant à André Weckmann en passant par Nathan Katz, Émile Storck, Albert Schweitzer, Germain Muller et Jean-Paul Sorg. Les élèves français ignorent d’ailleurs tout autant ce qu’était la rafle du Vel’ d‘Hiv pendant la Seconde Guerre mondiale et en Alsace. Ils ne savent pas non plus ce qu’étaient les incorporés de force. J’en veux beaucoup au système éducatif. On a besoin de nos racines. Quand on ne sait plus d’où on vient, on a du mal à savoir on où on va.» p. 255

À propos de l’auteur
Né en 1947 à Ingersheim où il vit désormais, Jean-Marie Stoerkel a effectué une carrière de journaliste à L’Alsace à Mulhouse. Il y était chargé de la rubrique faits divers et justice. Il est l’auteur de seize précédents livres (documents, récits et romans policiers), dont neuf aux Éditions du Bastberg, souvent inspirés de ses enquêtes. (Source : Éditions du Bastberg)

Page Wikipédia de l’auteur 

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L’homme de Grand Soleil

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En deux mots:
Un médecin installé à Montréal est chargé de suivre une communauté dans le Grand Nord. Là il va faire deux découvertes extraordinaires: l’un de ses patients a un ADN qui n’est pas humain et la bibliothèque renferme un ouvrage de valeur inestimable. D’un coup, le monde change…

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Des choses cachées depuis la fondation du monde, ou presque…

Pour son premier roman Jacques Gaubil réussit le tour de force de remettre en question les fondements de l’humanité. Avec autant de force que d’ironie.

Le narrateur est un médecin installé à Montréal. Il est chargé de rendre visite une fois par mois à Grand Soleil qui, comme son nom ne l’indique pas, est une communauté située dans le Grand Nord canadien où le froid règne en maître. Le petit groupe de personnes qui vit là, en grande majorité des vieux, bravent le froid en ingurgitant une grande quantité d’alcool qu’ils fabriquent sur place. L’occasion pour le narrateur de montrer d’emblée son sens de la formule : « Un rien enseveli sous la neige, une température avec des pointes en hiver à moins quarante-neuf et une moyenne d’âge de soixante-sept ans: ce n’était pas un village mais un congélateur à vieux. »
Tout au long du livre, on va se régaler de son style incisif, de formules qui prouvent qu’il s’est approprié la formule d’Anatole France « Sans ironie, le monde serait comme une forêt sans oiseaux». Peut-être est-ce parce que son patronyme, Leboucher, est lui-même ironique quand on a pour vocation de soigner les gens ?
Toujours est-il que cette distance lui permet d’apprivoiser ses patients, à commencer par une jeune femme dont la présence ici l’intrigue : «Les gens d’ici vous aiment bien, affirme-t-elle en souriant. Il y en a eu beaucoup avant vous, des jeunes, surtout. Ils venaient d’avoir leur diplôme et le village était pour eux un monde inhospitalier. Ils ont tous essayé de lutter contre l’alcoolisme. Il y en a même un qui a voulu mettre en place des séances de jogging. Il voulait nous faire acheter des baskets. »
Au fil de ses voyages, il va alors aller de découverte en découverte, comme quand il pénètre dans la vaste demeure de sa nouvelle alliée: « Une immense bibliothèque constitue l’ornementation principale de cet intérieur. On devine que les rayonnages ont pris forme, durant des années, à la manière d’une plante grimpante qui recouvre progressivement tous les murs. Au début, la jeune pousse avait dû être assez modeste, puis, les livres bourgeonnant, de nouveaux rameaux étaient apparus. La plante avait été repiquée plusieurs fois sans jamais perdre de sa vivacité. Finalement, la bâtisse ne semble plus être autre chose qu’un immense tuteur pour cet organisme sans cesse en croissance. »
C’est là que l’attend un vieil homme au physique de rugbyman répondant au doux nom de Cléophas et qui semble bien mal en point. Aussi décide-t-il de faire une prise de sang pour analyses complémentaires. La jeune femme qui partage cette demeure lui permet aussi de prendre des clichés d’une vieille bible qui l’intrigue beaucoup.
De retour à Montréal, il va aller de surprise en surprise.
Le laboratoire lui révèle que ses échantillons ne sont pas ceux d’un humain et son ami bibliophile que cette bible est quasiment un exemplaire unique à la valeur inestimable.
C’est alors que le roman prend une nouvelle dimension. Les laboratoires veulent en savoir plus sur cet ADN. Le monde s’émeut. Les questions qui se posent sont vertigineuses: « Est-ce que je suis un néandertalien? (…) Qui suis je? (…) Qu’est-ce qu’être français, ou canadien, ou autre chose? L’homme et la femme sont-ils différents? Suis-je de droite ou de gauche, libéral ou conservateur? Homo, bi ou hétéro? Croyant ou athée ?

Chacun y va alors de sa théorie. « Sont convoqués : des égyptologues, des primatologues, des spécialistes des civilisations précolombiennes, des éthologues, des habitants de Ia vallée de Néander, quelques voisins de Ia grotte de Lascaux et, bien sûr, les inévitables psys. Je suis persuadé que, sur certaines chaînes, on entend des sexologues s’exprimer à propos de Néandertal. »
Face à ce déferlement, notre médecin va tenter de préserver la communauté tout en s’interrogeant sur ses découvertes et sur les vertigineuses questions qu’elles posent.
L’homme de Grand Soleil est une fable à la fois drôle et incisive qui se lit comme un roman d’aventures.

L’homme de Grand Soleil
Jacques Gaubil
Paul & Mike Éditions
Roman
248 p., 16 €
EAN : 9782366511079
Paru en janvier 2018

Où?
Le roman se déroule à Montréal et à Kisiwaki dans le Grand Nord canadien. On y évoque aussi l’Ariège et Bordeaux.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Un médecin de Montréal se rend tous les mois à Grand Soleil, un village perdu dans le Québec arctique. Docteur de l’âme autant que du corps, il y rencontre Cléophas, un patient particulier. Conservé par le froid qui a saisi cette partie du Canada, l’homme de Grand Soleil a vécu caché, il n’a rien écrit, rien accompli de notable et personne ne le connaît. Pourtant son apparition va tout bouleverser, sous le regard impuissant du médecin, témoin d’un monde qui se délite.
Avec une plume intelligente, incisive et souvent drôle, Jacques Gaubil dresse un portrait froid et parfois cruel de l’homme moderne, tout en proposant un récit bienveillant et chaleureux.

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Les autres critiques
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Les premières pages du livre
« Ils appelaient ça vivre en région. En région, je veux bien, mais vivre ? Un village de cent personnes à cinq heures de route d’une autre bourgade à peine plus grosse. Ils appelaient la route le cordon ombilical. Pas parce qu’elle les reliait à la mère patrie, mais parce qu’elle pouvait être coupée. À la fin de l’été, avec les premières neiges, le cordon était sectionné. Alors, comme par un accouchement, le village renaissait. Dès qu’il était isolé, le hameau apparaissait dans toute sa gloire : pas de poste, d’école, de banque, de clinique, d’épicerie, d’église, de centre administratif. Un rien enseveli sous la neige, une température avec des pointes en hiver à moins quarante-neuf et une moyenne d’âge de soixante-sept ans : ce n’était pas un village mais un congélateur à vieux. Tous les mois, il fallait que je leur rende visite. Avant, je devais faire quelques achats car chaque fois que j’allais les voir, ils me donnaient une liste de courses. Quand je distribuais les commandes, ils me soupçonnaient de prendre une marge. J’avais réussi à leur imposer une limite de dix kilos, toujours les mêmes trucs de vieux : des médicaments, des bouillottes, certaines sucreries, des parfums au patchouli, des loupes et des cadenas ! Coincés dans leur trou, à quelques encablures de la mort, ils avaient encore peur les uns des autres. J’en avais pour au moins deux heures de vol et six heures de 4×4. L’hiver, c’est-à-dire huit mois sur douze, le cordon étant coupé, il fallait prendre l’hélicoptère, une journée rien que pour y aller. Quand j’arrivais, je logeais chez Antoine Bouchard. Il s’occupait de la station météo et devait se sentir administrativement responsable. Il était fonctionnaire, ça lui donnait un statut, un peu comme moi. En plus, sa maison était propriété d’une entreprise publique, aussi elle était mieux entretenue. Il y avait une grande salle qui faisait o7ce de cabinet pour les recevoir. Ça commençait à sept heures du matin, comme ils ne dormaient pas, ils se levaient tôt. Ils venaient tous et ça dé%lait toute la journée. Certains n’avaient rien, ils débarquaient malgré tout, pour la conversation, et puis ils pouvaient aussi s’observer les uns les autres, dans la salle d’attente.
Je n’ai jamais vraiment compris comment une fille de trente-cinq ans pouvait vivre là. Il faut dire qu’elle était laide, mais de là à vivre dans un cimetière ! Et puis le froid ! L’hiver, on avait mal partout dès qu’on sortait et en été, je devais porter un manteau. Les recettes de grand-mère pour lutter contre le froid ne marchent pas. Je les ai toutes essayées. Non vraiment, une fille de trente-cinq ans, ça collait pas, elle devait avoir un passé et elle n’avait plus le choix qu’entre ça et la Légion Étrangère.

Extraits:
« Après cette introduction, je commence discrètement à lui parler de la bible. Elle me raconte que dans sa communauté, ces livres se transmettent de génération en génération. Cléophas, le dernier gardien du Saint Graal, a choisi de les lui remettre. Selon les mythes les plus anciens de sa communauté, ils ont tous émigré au Québec au moment de la Révolution française, tout un village des Pyrénées. Ils ont pris avec eux leurs plus précieux trésors, les trois livres anciens qui se trouvent maintenant dans sa bibliothèque. Une histoire similaire à la fuite d’Égypte, simplement ils ont traversé un océan au lieu d’une mer et ils avaient le livre saint dès le début du voyage plutôt que de le recevoir au mont Sinaï. Avec le temps, ces livres sont devenus un héritage qui rappelle leurs origines, ils précèdent chacun des membres de la communauté et lui survivent. Les perdre ce serait égarer son âme, obscurcir le soleil ou profaner le langage. »

« Se faire traiter de blaireau par un Italien d’un mètre soixante-cinq, en train d’endurer une calvitie précoce, fut une des expériences les plus abouties de mon existence, un existential ontologique aurait dit Heidegger. »

« En recherchant son nom dans Google, on peut savoir où on en est dans l’existence. Ce que le monde dit de nous, c’est ce que nous sommes, le web est un miroir. Tous les matins, on s’examine devant une glace pour vérifier sa coiffure ou ses vêtements. De la même façon, tous les jours, nous devrions nous observer sur internet. Avant le net, chacun pouvait espérer ne pas être immédiatement saisi. […] On appelait cela l’intimité. Nous n’étions pas d’emblée disponibles. Et puis, le temps de la transparence est venu, l’incontinence est la maladie du siècle, les gens font leur être sous eux. »

« Ma valise pour Cuba est à moitié remplie de livres, j’emporte les romans policiers suédois, islandais ou danois que je suis incapable de lire à Montréal. Je défie quiconque de lire Hypothermie d’Arnaldur Indridason quand il fait moins quinze. La littérature est fonction de la latitude, il y a des livres réservés à certaines coordonnées géographiques. Les policiers nordiques sont en général admirables, les crimes sont sordides. L’exhibition des chairs ne me procure aucune exaltation et Halloween m’a toujours semblé une fête absurde. En tant que médecin, je suis suffisamment exposé à la viande. En revanche, la littérature noire permet au vice des Scandinaves de s’épanouir avec impudeur. Sans doute ont-ils été, eux aussi, abîmés par les températures. Le roman noir me semble d’ailleurs la meilleure approche pour appréhender notre société et c’est la raison pour laquelle je lis mes livres policiers à la façon dont d’autres étudient des essais. Le crime manifeste le monde comme un révélateur photographique dévoile des images. Il fait exploser les conventions, les habitudes, et divulgue les tempéraments. On a violé un commandement majeur, plus rien ne tient, chacun se lâche. Pour comprendre un cabinet de notaire en province, un bordel de Pigalle ou un clan ostendais, rien de tel qu’un bon assassinat qui met les âmes à nu. Le commissaire Maigret est le meilleur des anthropologues. L’homme éclot quand il tue. »

« Et puis, petit à petit, a émergé la véritable interrogation, la seule qui compte. Est-ce que je suis un néandertalien? Les laboratoires ont été submergés par des demandes de séquençages de génomes. Une gigantesque crise d’identité s’est répandue. Qui suis je? Depuis des décennies cette question taraudait les esprits avec une acuité sans cesse plus vive. Qu’est-ce qu’être français, ou canadien, ou autre chose? L’homme et la femme sont-ils différents? Suis-je de droite ou de gauche, libéral ou conservateur? Homo, bi ou hétéro? Croyant ou athée ? Néandertal introduisait une continuité entre nous et le règne animal La culture apparut bien futile, un rempart de papier face à ce retour de la nature. Existe-t-il des différences entre l’homme et l’animal? L’exaspération était maintenant à son comble. l’ultime défi avait pris forme : être Sapiens ou ne pas être, telle fut la question. »

À propos de l’auteur
Jacques Gaubil est un Franco-canadien de 50 ans. Il a vécu et travaillé dans divers pays européens, en Corée du Sud, en Egypte et aux Etats-Unis avant de s’établir à Montréal. L’homme de Grand Soleil est son premier roman. (Source : Paul & Mike Éditions)

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Ainsi fleurit le mal

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Ainsi fleurit le mal
Julia Heaberlin
Presses de la Cité
Thriller
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Cécile Leclere
560 p., 23 €
EAN : 978-2258135307
Paru en septembre 2016

Où?
Le roman se déroule aux Etats-Unis, principalement au Texas

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
« J’ai toujours pensé que la mort avait quelque compte à régler avec moi. »
À seize ans, Tessa est retrouvée agonisante sur un tas d’ossements humains et au côté d’un cadavre, dans une fosse jonchée de milliers de marguerites jaunes aux yeux noirs. Partiellement amnésique, seule survivante des « Marguerite » – surnom que les journalistes ont donné aux victimes du tueur en série –, elle a contribué, en témoignant, à envoyer un homme dans le couloir de la mort. Terrell Darcy Goodwin, afro-américain, le coupable parfait pour la juridiction texane.
Presque vingt ans ont passé. Aujourd’hui, Tessa est une artiste et mère célibataire épanouie. Si elle entend parfois des voix – celles des Marguerite qui n’ont pas eu sa chance –, elle est toutefois parvenue à retrouver une vie à peu près normale. Alors, le jour où elle découvre un parterre de marguerites jaunes aux yeux noirs planté devant sa fenêtre, le doute l’assaille… Son « monstre » serait-il toujours en cavale ? La narguerait-il ?
« Une intrigue formidable, portée par la qualité de l’écriture et par la tension superbement rythmée. »The Times

Ce que j’en pense
***
Deux histoires vont se dérouler en parallèle tout au long de ce thriller haletant. Tout d’abord celle de Tessa, retrouvée en 1995 quasi morte au fond d’un trou avec un autre cadavre, des ossements d’autres personnes, une cheville cassée et la manière dont va être menée l’enquête qui conduira à la condamnation d’un présumé coupable: Terrell Darcy Goodwin.
Les chapitres retraçant cette époque vont alterner avec ceux qui nous parlent de la Tessa d’aujourd’hui confrontée à un terrible dilemme. Les agissements dont elle et sa fille Charlie sont victimes, des menaces voilées et l’apparition de marguerites noires dans six différents endroits sont-ils le fait de personnes dérangées ou du tueur qui court toujours. Faut-il dans ce cas essayer de sauver Terrell du couloir de la mort ?
Entre les pièces à conviction égarées, les analyses pseudo-scientifiques à un moment où les recherches de traces ADN n’en étaient qu’à leurs balbutiements et une veste élimée trouvée à un kilomètre des lieux du crime, il y effectivement de quoi se poser des questions sur le jugement prononcé.
On est bien loin d’en avoir fini avec ce «cold case». Grâce aux progrès de la police scientifique et à l’acharnement d’enquêteurs qui ne supportent pas de se voir rappeler année après année qu’ils ne sont toujours pas capables de retrouver des personnes disparues ou encore pire, de laisser courir des tueurs en série, le dossier est réouvert. L’analyse des os trouvés aux côtés de Tessa dans la « tombe » permet d’identifier une première victime : Hannah Stein, 20 ans, disparue de son poste de serveuse à Georgetown et dont le frère est flic à Houston.
Même si le temps a passé, les plaies sont restent béantes et nombreuses sont les personnes qui restent traumatisées par ce drame, comme on va le découvrir au fil des pages.
Un bon thriller, tel que celui-ci, laisse le lecteur établir ses hypothèses et ne révèle que dans les dernières pages la clef de l’énigme. Disons simplement à ce propos que Julia Heaberlin a parfaitement travaillé la psychologie des personnages et qu’on ne saurait avoir de doute sur la crédibilité de son scénario. Raison suffisante pour se mettre ses pas dans ceux de Tessa.

Autres critiques
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Les premières pages du livre 

A propos de l’auteur
Originaire d’une petite ville du Texas, Julia Heaberlin a quitté son travail de rédactrice au sein d’un journal pour se consacrer à l’écriture de Qui es-tu ?, son premier roman. Avec son nouvel ouvrage, Ainsi fleurit le mal, elle s’impose sur la scène du thriller psychologique. (Source : Presses de la Cité)

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