Une araignée dans le rétroviseur

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En deux mots
Quand elle prend le volant, la narratrice ne va pas seulement rouler en direction d’une grande maison blanche, elle va aussi retrouver son enfance. Et affronter le traumatisme qui la hante, cette « araignée dans le rétroviseur ».

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

Retrouver un passé, découvrir un chemin

Dans son premier roman, Patricia Bouchet raconte un voyage vers la maison de son enfance. Ce bel endroit où elle a vécu un traumatisme qu’elle est désormais prête à affronter.

« Je venais, en ces lieux, retrouver un passé, je découvre un chemin. » Tout le roman de Patricia Bouchet peut se résumer avec cette citation. L’histoire d’une femme qui prend la route vers une maison blanche où elle a séjourné dans sa jeunesse et qui se sent désormais assez forte pour affronter les secrets qui y sont enfouis. Qui va même pouvoir construire sur son traumatisme pour avancer vers une vie plus épanouie.
Un voyage, aussi bien réel qu’intérieur, raconté sans fioritures, avec délicatesse et simplicité, voire avec poésie. Ici L’araignée dans le rétroviseur fait penser à l’aigle noir de la chanson de Barbara. Une image poétique pour affronter un lourd secret, qui va arriver un peu comme une évidence après les souvenirs égrenés au fil du récit. Après la maison, le vaste parc, le grand sapin où était accroché la corde d’une balançoire. «La grosse corde épaisse a disparu et n’a laissé que quelques traces d’encoches. Où est-elle aujourd’hui? Dans le grand placard avec les vieilles espadrilles dépareillées, les bottes en caoutchouc, les raquettes rafistolées, les vieux gilets oubliés, les cannes à pêche, le bateau gonflable?»
Des objets qui sont autant de marqueurs de cette période et qui s’accompagnent de beaucoup de sensualité. Ce sont alors les couleurs, les bruits et les odeurs qui émergent. Celles de la cuisine, celle du beurre fondu, du bois brûlé ou encore pain grillé. Jusqu’à cette senteur anisée…
L’écriture de Patricia Bouchet a ce pouvoir de faire émerger les images. On est aux côtés de la narratrice, nos propres souvenirs viennent alors se mêler à ceux qu’elle évoque. On retombe en enfance, on retrouve nos peurs, mais aussi nos envies, notre soif de découvertes au cœur de cette nature omniprésente. La chaleur des pierres, le clapotis de l’eau. Des alliés de choix. «Je contrains mes oreilles à percer la brume qui obstrue mon regard, je sollicite ma vue pour graver une odeur, et j’allèche mes narines pour faire surgir les émotions. Je suis forte, pleine de vous.»
Et puis vient un cri libérateur. «Quelle ivresse soudain de laisser la porte de mes souvenirs grande ouverte, de laisser sortir ce qui, tapi derrière celle de mon enfance, était blotti (…) Ici, commence le chemin. Il me faut laisser béante cette porte violemment refermée, ne plus craindre le pire. Il me faut dénicher les émotions barricadées. Il me faut évacuer la peur froide et glaciale de l’abandon.»
Il y a quelque chose de magique dans ce petit livre qui vous emporte vers d’autres rives.

Une araignée dans le rétroviseur
Patricia Bouchet
Éditions Parole
Roman
64 p., 9 €
EAN 9782375861196
Paru le 24/03/2022

Où?
Le roman n’est situé géographiquement. Il retrace un voyage vers une maison d’enfance en pleine nature.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Cachée au cœur d’un parc luxuriant, volets et portes encore closes, une maison blanche. Celle de l’enfance où le temps compte si peu. Une jeune femme, déterminée, revient sur ses pas et se souvient. Elle s’abandonne aux fantômes bienveillants, aux parfums retrouvés, aux évocations qui émanent de chaque recoin et surtout, elle affronte les peurs enfermées, les images verrouillées et brise le carcan de l’oubli. Elle trouvera des alliés précieux, des sentiers colorés, un nid dans la tonnelle et puis le pont, pour passer d’une rive à l’autre, sans oublier.
Patricia Bouchet mêle douceur et regards poétiques pour nous livrer un texte fort, émouvant et galvanisant, celui d’une femme qui a le courage d’embrasser sa vie.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Fréquence Mistral (Mathieu Marc)
Blog LittéLecture
Désir de Lire (Evelyne Sagnes)
Blog Les livres de Joëlle
Blog Domi C Lire

Les premières pages du livre
« Préambule
Saint-Martin,
Tu es cette maison ventrue, là-bas, enracinée sur cette terre comme les arbres imposants qui t’entourent, et tu renfermes une histoire.
L’idée de revenir vers toi, forte.
Une longue marche nous sépare encore.
Je ferme les yeux et je m’imagine avancer doucement vers toi, bâtisse blanche aux
murs épais, scruter les moindres détails, témoins d’une année écoulée, et, émue, je
te dévisagerai. Ne rien brusquer.
La traversée des multiples visages de France s’écoulera sur une journée et ces étapes me seront nécessaires.
Plantée, droite et immobile à la croisée des chemins, l’âme ouverte au plus profond
de moi, la certitude d’être seule. Je savoure l’attente de nos retrouvailles. Havre de paix,
tu es ma matrice. J’aimerais apprendre à m’y toucher du doigt sans avoir mal, y déposer
une trace, retrouver la clé et renaître dans l’enceinte de tes pierres.
Être moi, enfin.

Entre chien et loup, je pars.
Les lueurs de la ville dessinent une traînée de poudre. Le péage prolonge encore
de quelques minutes la vie citadine. Au loin, d’autres lumières prises dans la nuit
profonde et noire. Les panneaux indicateurs s’étirent, les pointillés fluorescents dessinent ma trajectoire et l’aventure du voyage commence.
Des premiers villages, des clochers éclairés surgissent alors plus effrontément qu’ils
ne l’oseraient en plein jour. Les arbres endormis n’ont pas le temps de me saluer.
Et puis, plus de clochers, plus de lumière, la nuit immobile s’est installée.
Je m’arrête.

Les yeux mi-clos, je tire doucement ma révérence.
Une Renault 16 break se dandine sur une route. À l’intérieur, une cocotte-minute, des ustensiles de cuisine, de la vaisselle, des draps, des couvertures entassées à l’arrière,
un chat miaule, un chien pointe son museau, et parmi ce fatras, quatre fillettes, dont je fais partie, impatientes d’ouvrir les portières.
Un bruit strident me réveille. Courbaturée, je m’étire et délie mon corps. Le jour sou-
lève la couverture sombre de la nuit, ne reste alors qu’un léger voile de pénombre.
Le paysage martèle des incursions dans mes pupilles réfractaires.
Je poursuis. La route tente des rondeurs sinueuses. De douces descentes s’amorcent, de timides côtes leur succèdent. Les mêmes boîtes à quatre roues me précèdent et les mêmes fourmis, aux yeux hagards jaunis, me suivent, comme apeurées.
Quelques lueurs naissantes indiquent que bientôt il fera jour, mais rien ne m’est familier encore.
Il me serait possible de retranscrire la perfection des couleurs, des formes, qui se dessinent au fil des heures mais l’instant magique des émotions vécues ne se retrouve qu’en s’aventurant dans les recoins de chaque histoire, et la mienne n’est pas en ces lieux mais bien là où je vais.
Avancer. Il me faut encore avancer. Bientôt, comme l’étranger qui revient au pays, je sentirai une odeur avec qui je ferai à nouveau connaissance et timidement, la couleur des pierres redeviendra le sourire tendre du cousin, les couleurs des champs seront les oncles et tantes perdus.
Je laisse les réminiscences, qui émergent, me frôler.
Réminiscence. Comme le vieux lavoir

Je me souviens de cette dernière halte avant l’arrivée. J’avais dix ans, je me précipitais vers ce lavoir de pierre, dissimulé dans un recoin de campagne. Je brassais l’eau claire et fraîche avec frénésie, rafraîchissait ma mine endormie. Un coup de brosse redonnait à mon apparence une coiffure enfantine, je vérifiais la propreté de ma tenue et reprenais ma place dans la boîte à sardines pour les derniers kilomètres. Je sentais se rapprocher le moment où je verrai un petit bout de quelque chose que je reconnaîtrai.

J’aperçois enfin au loin les deux clochers élancés. Le premier virage les efface. Et puis soudain, passé le petit pont après la courbe, la porte de mon enfance s’ouvre.
Au bout de mon regard se dressent, avec fierté, les hauteurs prétentieuses de la
ville et ses anciens vestiges. Encerclée de maisons soudées dissimulant une
fourmilière de visages connus, telle une gouvernante autoritaire, elle dirige.
Je l’ignore, je presse l’accélérateur dans la dernière rectiligne.
Je suis à l’orée de MON chemin.
J’arrête mon véhicule. Saint-Martin se dessine, dissimulée parmi les haies de buissons sauvages. Je continue le chemin, à pied, comme je le faisais autrefois.
Dans les fossés intrigants fourmillaient des locataires campagnards dont je craignais les attaques. J’y cueillais de délicieuses mûres dégoulinantes, au jus couleur de sang. L’exercice paraissait parfois difficile, les plus grosses, atteignant les sommets me faisaient frôler les insectes les plus répugnants.
Ces buissons, ces fossés, rien n’a changé.
Une grosse araignée velue surgit et rien ni personne, aujourd’hui encore, ne me ferait tendre la main vers la demoiselle rayée noire et jaune.
Je frissonne. »

Extraits
« Je retrouve le beau vieux Sapin et sa branche élue. La grosse corde épaisse a disparu et n’a laissé que quelques traces d’encoches. Où est-elle aujourd’hui? Dans le grand placard avec les vieilles espadrilles dépareillées, les bottes en caoutchouc, les raquettes rafistolées, les vieux gilets oubliés, les cannes à pêche, le bateau gonflable? » p. 16

« Quelle ivresse soudain de laisser la porte de mes souvenirs grande ouverte, de laisser sortir ce qui, tapi derrière celle de mon enfance, était blotti. Ici je libère, je crie et je hurle. Je dépose la plainte, je fais enregistrer les sévices. Ici, commence le chemin.
Il me faut laisser béante cette porte violemment refermée, ne plus craindre le pire. Il me faut dénicher les émotions barricadées. Il me faut évacuer la peur froide et glaciale de l’abandon. » p. 42

« Soudain, des bruits secs et saccadés. Je reconnais la mélodie de Monsieur Pivert. J’écoute et mes yeux clos devinent la cachette du musicien. Une recherche attentive et scrupuleuse sous les arbres n’aurait pu me guider aussi précisément sous la branche porteuse de mon ami chanteur. Je contrains mes oreilles à percer la brume qui obstrue mon regard, je sollicite ma vue pour graver une odeur, et j’allèche mes narines pour faire surgir les émotions. Je suis forte, pleine de vous. » p. 54

À propos de l’auteur
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Patricia Bouchet © Photo DR

Patricia Bouchet est originaire de la région parisienne et vit actuellement dans le sud de la France. Elle poursuit un travail d’écriture et d’images photographiques qui a donné lieu à plusieurs expositions. Grande lectrice de littérature, elle anime aussi des ateliers d’écriture auprès de publics adultes. Une araignée dans le rétroviseur est son premier roman. (Source: Éditions parole)

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Le poids de la neige

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En deux mots:
Un grand blessé est recueilli par un vieil homme dans un village au seuil de l’hiver. Un huis-clos sous des tonnes de neige avec des protagonistes qui se mettent à l’unisson de la météo. Glaçant et magique.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

20000 lieues sous l’hiver

Un grave accident oblige le narrateur à séjourner dans un village isolé au seuil de l’hiver. La plume du Québécois Christian Guay-Poliquin étincelle comme la neige qui recouvre ce récit.

Ce roman est d’abord celui d’une ambiance, d’un décor qui saisit le lecteur et qui va l’accompagner jusqu’à l’épilogue. « J’ai vu le lent mouvement du paysage, le ciel gris de l’automne, la lumière rougeoyante des arbres. J’ai vu les fougères se faire mâcher par le givre, les hautes herbes casser à la moindre brise, les premiers flocons se poser sur le sol gelé. J’ai vu les traces laissées par les bêtes qui inspectaient les alentours après la première neige: Depuis, le ciel n’en finit plus d’ensevelir le décor. L’attente domine le paysage. Et tout a été remis au printemps. C’est un décor sans issue. Les montagnes découpent l’horizon, la forêt nous cerne de toute part et la neige crève les yeux. »
Le narrateur est un jeune homme gravement blessé à la suite d’un accident de voiture dont on ne saura ni le nom, ni le lieu où il se trouve. En revanche, on apprendra que la communauté villageoise a proposé à Matthias, un vieil homme habitant une maison un peu à l’écart à la lisière de la forêt, de lui confier la garde de cet homme jusqu’à ce qu’il puisse à nouveau se déplacer. En échange, on lui promet une place dans un bus qui, quand les routes seront à nouveau praticables, le conduira vers la ville où se trouve son épouse mourante.
Mais la situation n’est pas prête de s’arranger, bien au contraire. À la neige qui tombe vient s’ajouter une panne d’électricité. La tension va alors croître au fil des jours entre les habitants pris au piège, mais aussi entre le narrateur et Matthias. Une tension que l’on va pouvoir mesurer de chapitre en chapitre sur une échelle à neige installée dans la clairière, à portée de vue du lit de notre convalescent. « Merveilleux, me dis-je. Nous allons désormais pouvoir mesurer notre désarroi. »
Et de fait, le manteau neigeux ne va cesser de croître de chapitre en chapitre, avant un épilogue surprenant.
Alors que les habitants se divisent sur la stratégie à adopter, faut-il fuir un village aux conditions de vie de plus en plus précaires en montant une expédition très risquée ou organiser la survie en attendant des temps plus cléments, Matthias et son hôte continue à se méfier l’un de l’autre, alternant les phases d’apaisement et les phases conflictuelles.
« J’ai toujours su que tu finirais par céder, recommence Matthias. Si on ne peut pas changer les choses, on finit par changer les mots. Je ne suis pas ton médecin, je ne suis pas ton ami, je ne suis pas ton père, tu m’entends? On passe l’hiver ensemble, on le traverse, puis c’est fini. Je prends soin de toi, on partage tout, mais, dès que je pourrai partir, tu m’oublies. Tu te débrouilles. Moi, je repars en ville. Tu m’entends? Ma femme m’attend. Elle a besoin de moi et j’ai besoin d’elle. C’est ça mon aventure, c’est ça ma vie, je n’ai rien à faire ici, tout ça est un concours de circonstances, un coup du sort, une grossière erreur. »
Dans cet affrontement psychologique, il n’y a guère que Maria, la belle vétérinaire, qui se convertit en infirmière – et bien davantage – pour apaiser le grand blessé. Mais cette dernière finira aussi par choisir la fuite…
Comme la neige, les pensées s’accumulent dans la tête du narrateur. Il va refaire la route qui a conduit à l’accident, nous expliquer qu’après dix ans d’absence il revenait voir son père, le mécanicien du village, mais qu’il arrivera trop tard. Qu’il n’a plus rien à faire là, «mis à part le fait que mes jambes parviennent à peine à me supporter».
Christian Guay-Poliquin a été couronné du Prix du Gouverneur Général au Québec (l’équivalent du Goncourt en France) pour ce roman sur la solitude et la réclusion, à moins que ce ne soit celui de la reconstruction et de la résilience… Le livre idéal pour accompagner les longues soirées d’hiver.

Le poids de la neige
Christian Guay-Poliquin
Éditions de l’Observatoire
Roman
260 p., 19 €
EAN : 9791032902134
Paru le 10 janvier 2018

Où?
Le roman se déroule dans un endroit qui n’est pas nommé, mais que l’on situera volontiers sau Canada.

Quand?
L’époque n’est pas précisée non plus, mais les indices – accident de voiture, motoneige – laissent à penser que le roman se déroule à notre époque.

Ce qu’en dit l’éditeur
À la suite d’un accident, un homme se retrouve piégé dans un village enseveli sous la neige et coupé du monde par une panne d’électricité. Il est confié à Matthias, un vieillard qui accepte de le soigner en échange de bois, de vivres et, surtout, d’une place dans le convoi qui partira pour la ville au printemps, seule échappatoire.
Dans la véranda d’une maison où se croisent les courants d’air et de rares visiteurs, les deux hommes se retrouvent prisonniers de l’hiver et de leur rude face-à-face.
Cernés par une nature hostile et sublime, soumis aux rumeurs et aux passions qui secouent le village, ils tissent des liens complexes, oscillant entre méfiance, nécessité et entraide.
Alors que les centimètres de neige s’accumulent, tiendront-ils le coup face aux menaces extérieures et aux écueils intimes ?

Les critiques
Babelio
Télérama (Fabienne Pascaud)
Le Soleil (Valérie Lessard / Valérie Gaudreau)
Le Devoir (Christian Desmeules)
Artichaut Magazine (Florence Dancause)
Blog Hop! Sous la couette
La Fabrique culturelle Une superbe présentation vidéo du livre


À l’occasion du festival « Étonnants voyageurs » de Saint Malo, Christian Guay-Poliquin vous présente son ouvrage Le poids de la neige © Production Librairie Mollat


Entretien avec Christian Guay-Poliquin à l’occasion de la rencontre entre l’auteur et les lecteurs de Babelio.com dans les locaux des éditions de L’Observatoire, le 19 janvier 2018. Découvrez les 5 mots choisis par l’auteur pour évoquer son livre Le Poids de la neige.

La première page du livre:
« La neige règne sans partage. Elle domine le paysage, elle écrase les montagnes. Les arbres s’inclinent, ploient vers le sol, courbent l’échine. Il n’y a que les grandes épinettes qui refusent de plier. Elles encaissent, droites et noires. Elles marquent la fin du village, le début de la forêt.
Près de ma fenêtre, des oiseaux vont et viennent, se querellent et picorent. De temps à autre, l’un d’eux observe la tranquillité de la maison d’un oeil inquiet.
Sur le cadre extérieur, une fine branche écorcée a été fixée à l’horizontale, en guise de baromètre. Si elle pointe vers le haut, le temps sera clair et sec; si elle pointe vers le bas, il va neiger. Pour l’instant le temps est incertain, la branche est en plein milieu de sa trajectoire.
Il doit être tard. Le ciel gris est opaque et sans aucune nuance. Le soleil pourrait être n’importe où. Quelques flocons virevoltent dans l’air en s’accrochant à chaque seconde. À une centaine de pas de la maison, dans l’éclaircie, Matthias enfonce une longue perche dans la neige. On dirait le mât d’un bateau. Mais sans voile ni drapeau. »

Extraits:
« Je connais pourtant ce décor par cœur. Je l’observe depuis longtemps. Je ne me souviens plus vraiment de l’été, à cause de la fièvre et des médicaments, mais j’ai vu le lent mouvement du paysage, le ciel gris de l’automne, la lumière rougeoyante des arbres. J’ai vu les fougères se faire mâcher par le givre, les hautes herbes casser à la moindre brise, les premiers flocons se poser sur le sol gelé. J’ai vu les traces laissées par les bêtes qui inspectaient les alentours après la première neige: Depuis, le ciel n’en finit plus d’ensevelir le décor. L’attente domine le paysage. Et tout a été remis au printemps. C’est un décor sans issue. Les montagnes découpent l’horizon, la forêt nous cerne de toute part et la neige crève les yeux.
Regarde mieux, lance Matthias.
J’examine la longue perche que Matthias vient d’installer dans la clairière. Je remarque qu’il l’a minutieusement graduée. C’est une échelle à neige, annonce-t-il triomphalement. Avec la longue-vue, je peux voir que la neige atteint quarante et un centimètres. Je considère la blancheur du décor pendant un instant, puis me laisse choir sur mon lit en fermant les yeux.
Merveilleux, me dis-je. Nous allons désormais pouvoir mesurer notre désarroi. »

« J’ai toujours su que tu finirais par céder, recommence Matthias. Si on ne peut pas changer les choses, on finit par changer les mots. Je ne suis pas ton médecin, je ne suis pas ton ami, je ne suis pas ton père, tu m’entends? On passe l’hiver ensemble, on le traverse, puis c’est fini. Je prends soin de toi, on partage tout, mais, dès que je pourrai partir, tu m’oublies. Tu te débrouilles. Moi, je repars en ville. Tu m’entends? Ma femme m’attend. Elle a besoin de moi et j’ai besoin d’elle. C’est ça mon aventure, c’est ça ma vie, je n’ai rien à faire ici, tout ça est un concours de circonstances, un coup du sort, une grossière erreur. »
En disant cela, il avance une pièce sur l’échiquier et m’invite à le défier.
J’ai toujours su que tu finirais par céder. Personne ne peut se taire ainsi. Tout le monde retourne vers la parole un jour ou l’autre. Même toi. Et, bientôt, je te le dis, tu vas aussi t’adresser à moi. Tu vas me parler, même s’il n’y a pas le feu, même si je ne suis pas une jeune vétérinaire. Tu vas me parler, tu m’entends ? Et tu vas jouer aux échecs avec moi. C’est ça qui va arriver. Rien d’autre. Vas-y, c’est à toi de jouer. »

« Dans le coin du salon, il y a les livres que nous avons entassés pour brûler les bibliothèques. Les livres dans lesquels Matthias trouvait ses histoires. Je me penche et saisis quelques bouquins, les premiers qui me tombent sous la main. Je retourne devant le foyer et, sans attendre, je jette un livre sur les braises crépitantes. La couverture prend feu presque immédiatement. Les coins se replient et le carton se cintre dans les flammes. Les premières pages se retroussent. Le livre gondole comme un accordéon. La chaleur est intense, mais rapidement le livre n’est plus qu’une masse informe, orange et noir. On dirait une pierre brûlante et friable. Alors j’en brûle un autre et les flammes reprennent vie de plus belle, vrillent dans la cheminée, et une lumière vive rayonne dans la pièce. Je me déshabille complètement pour profiter de la chaleur des livres et mange quelques betteraves dans le vinaigre prises chez la dame. En regardant les pages se consumer, je me demande où peut bien être rendu Matthias, à l’heure qu’il est. Plus loin que moi, ça ne fait aucun doute. »

À propos de l’auteur
Né au Québec, en 1982, Christian Guay-Poliquin est doctorant en études littéraires. Le Poids de la neige, grand succès au Québec, a été distingué par plusieurs prix prestigieux. (Source : Éditions de L’Observatoire)

Site Wikipédia de l’auteur 
Site internet de l’auteur 

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