Les Naufragées

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En deux mots
Louise prépare le repas dominical qu’elle partagera avec sa mère Paula et sa fille Anne. Elle veut profiter de ce moment pour leur révéler un secret trop longtemps enfoui et construire avec ses invitées une alliance féminine.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

«Une alliance sororale indestructible»

C’est avec trois générations de femmes que Manon Hentry-Pacaud entre en littérature. Paula, 75 ans, Louise, 47 ans et Anne 27 ans vont tour à tour se livrer dans cette belle réflexion sur le corps féminin.

Paula a 75 ans. Sa fille Louise 47 ans. Sa fille Anne 27 ans. Trois générations et trois femmes qui se préparent à un rendez-vous fixé ce dimanche à midi. C’est à l’initiative de Louise que ce repas a lieu. C’est elle qui a eu l’idée de réunir sa mère et sa fille pour resserrer les liens qui les unissent.
Alors c’est d’abord Louise que l’on va suivre durant ses préparatifs. Elle s’est levée aux aurores pour pouvoir tout préparer sans se stresser. Elle va avoir le temps de faire mijoter son bœuf bourguignon, de dresser une belle table, de soigner sa mise. Elle va même avoir le temps, après un rapide coup de balai, de se replonger dans ses albums-photo, de replonger dans sa vie. Et de se rappeler l’épisode si douloureux qu’elle a vécu, ce secret qu’elle ne veut plus cacher. Sa fausse couche a vingt-cinq ans et ce traumatisme que la bienséance recommandait de minimiser. En place de «cette vie à deux qui se consolide et se complète avec la construction d’une famille» elle avait basculé dans un «fossé qui s’était creusé entre son mari et elle, fossé qu’elle avait peut-être elle-même créé pour lui faire sentir qu’elle n’était pas la seule responsable, pour se soulager de ne pas avoir réussi à protéger son enfant et à lui donner la vie.»
C’est pourquoi, elle a eu cette idée d’écarter son mari et de construire avec Paula et Anne une alliance sororale indestructible.
Paula, qui ne sait rien de ce projet, se prépare. Après sa douche, elle se regarde dans le miroir et voit les ravages de l’âge. En se faisant belle, elle comprend qu’elle a succombé à tous ces diktats, toutes ces représentations sur papier glacé, ces corps qui n’ont ni vergetures, ni cellulite. Désormais, elle va assumer ses défauts et son âge.
Avant de passer à sa petite-fille, Manon Hentry-Pacaud a l’idée d’introduire un nouveau personnage, celui d’Inès, la meilleure amie d’Anne. Cette dernière lui a donné rendez-vous dans un café pour se délester d’un lourd fardeau. Elle vient d’avorter.
En se rendant chez sa grand-mère, la jeune femme est encore toute secouée par cette révélation, mais aussi forte d’une certitude, «c’est du corps féminin que tout part.»
Ce premier roman, d’une écriture à la fois classique et simple, est construit autour de ces portraits de femmes qui se répondent et se complètent. Le fantôme (Louise), la comédienne (Paula), la disparue (Inès) et l’acrobate (Anne) forment par-devers les destins particuliers, cette alliance tant espérée. Sans occulter l’ampleur de la tâche, ce premier roman est une pierre de plus apportée à l’édification d’une société qui ne serait plus dominée par le masculin.

Les Naufragées
Manon Hentry-Pacaud
Éditions Frison-Roche Belles-Lettres
Premier roman
133 p., 19 €
EAN 9782492536250
Paru le 17/05/2022

Où?
Si le roman n’est pas précisément situé, on y évoque Paris, Disneyland les châteaux de la Loire, «différents départements français» ainsi que des escapades à Bruxelles, Londres, Paris, Rome, Lisbonne, Madrid et Berlin.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Une matinée bouleverse la vie de quatre femmes qui se cherchent, s’observent et se contemplent avant de se réaliser enfin pleinement dans leur féminité. Aujourd’hui, Anne va manger chez sa mère, Louise, en présence de sa grand-mère, Paula. Mais avant, elle a rendez-vous avec Inès, son amie de toujours, dans le café qui les accueille depuis leurs années lycée. Elle sent qu’Inès a besoin d’elle. Rien n’a été explicité, mais elle l’a senti.
C’est la raison pour laquelle elle a proposé ces retrouvailles improvisées, et peut-être un peu rapides, avant le déjeuner dominical familial. C’est Louise qui a instauré cette nouvelle tradition. Elle aurait voulu que ce rituel soit mis en place quand elle avait l’âge d’Anne, mais qu’importe. Ces moments à trois seront l’occasion de débats féminins. Car chacune d’entre elles porte, à sa façon, le poids de sa condition.
Louise, maintenant seule chez elle, regrette le départ de sa fille, qu’elle vit comme un déchirement. Paula, les années passant, a de plus en plus de mal à accepter l’effacement progressif de sa jeunesse et les changements que son corps subit, qui l’éloignent de ce que l’on pourrait attendre de l’apparence d’une femme. Anne, perdue entre son adolescence et sa vie d’adulte, tente d’appréhender la multiplicité du féminin et d’aider Inès, son amie qui, quant à elle, cherche à se reconstruire après un avortement dont elle n’a parlé à personne.
En ce dimanche, ces femmes vont se croiser, leurs parcours vont se mêler, et leur sororité va rayonner.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
La Renaissance du Loir-et-Cher (Audrey Massias)
Blog L’atelier de Litote
Blog Claire se livre

Les premières pages du livre
Louise
Louise appuie sur la tranche du vieux livre de cuisine que sa mère lui a transmis il y a quelques années, par souci de tradition, pour craqueler la reliure déjà fragilisée et la maintenir en place, tandis qu’elle s’efforce de suivre les étapes de la recette. Ce dimanche, elle a enfilé son tablier bleu, celui qu’elle ne porte que lorsqu’elle s’attelle à de grands repas et qu’elle accueille des invités. Elle trouve que cela fait plus chaleureux, que cela correspond à l’image de la bonne cuisinière qu’elle s’est toujours faite, mais qu’elle ne respecte jamais, parce qu’elle n’a pas le temps, le soir, en rentrant du travail, et parce que sa cuisine quotidienne repose sur la simplicité. Mais ce dimanche-là est différent. Elle reçoit, et cela change tout. Elle n’accueille pas n’importe qui, elle a toujours réservé le repas dominical à sa famille, et, à partir de maintenant, elle veut instaurer une nouvelle tradition, celle qu’elle aurait voulu voir émerger lorsqu’elle avait l’âge d’Anne, et peut-être même avant.
Elle a invité sa mère et sa fille à déjeuner. Un repas de fête à trois. Une ouverture vers un conciliabule féminin.

Ce n’est pas grand-chose, mais même dans ces cas-là, ses habitudes épicuriennes demeurent. La simplicité prône sur tout le reste. Peut-être aussi parce qu’elle n’est pas faite pour davantage d’élaboration et de complexité. Elle a toujours évité les obstacles, les omettant pour nier leur existence. Bien sûr, il y a une difficulté qu’elle n’a jamais pu éviter, jamais pu oublier. Mais le frisson qui la saisit la recentre sur sa tâche principale: elle doit couper ses carottes en rondelles pour son bœuf bourguignon.
Louise aime bien les tâches mécaniques, automatiques celles qu’on répète et pour lesquelles seule une concentration minime est requise. Au son brut, régulier et tranchant du couteau sur la planche à découper, ses pensées et ses souvenirs s’égarent. Il est tôt, elle s’y est prise en avance. Elle se veut toujours ponctuelle, toujours droite, toujours digne, fiable. Un roc sur lequel on peut compter, un point d’ancrage entre les générations. Sans qu’elle s’en rende véritablement compte, c’est en partie la raison pour laquelle elle s’est réveillée aux aurores et a déjà commencé à s’activer dans la cuisine. Louise a parfois l’impression d’être le ciment de la relation entre sa mère et sa fille, bien qu’elle n’ait jamais été invitée à leurs retrouvailles secrètes. Auprès d’elles, Louise est double, à la fois mère et fille, seuil de transition entre les générations auxquelles Paula et Anne appartiennent. Parfois, elle n’arrive à discerner qu’un sentiment de filiation, d’appartenance, une convention, un respect mutuel, dans la relation qu’entretiennent les deux femmes. Et parfois, quand cela leur échappe en sa présence, elle voit aussi émerger entre elles un amour indescriptible et omniprésent qu’elle n’arrive pas véritablement à décrire. C’est simplement un mélange de tout ce qu’elle parvient à nommer. Quelque chose de flou, mais qui existe néanmoins, bien que les autres ne s’en aperçoivent pas toujours. Alors, c’est le rôle qu’elle a décidé de se donner, celui de tisonnier. Louise veut leur montrer qu’il y a plus entre elles que la relation qu’elles ont toujours entretenue, cette relation qui va vers l’avant, de l’une vers l’autre, sans pour autant les lier de façon visible. Une grand-mère avec sa petite-fille. Et elle qui se retrouve au milieu, impliquée et invitée sans l’être véritablement.

Et puis, un jour, l’idée lui est venue. Pour qu’on sente sa présence, elle sera l’arbitre. Chaque dimanche, elle les réunira, réinventera la solennité et la sacralité de ce jour pour le féminiser et le familiariser. Louise unifiera sa fille et sa mère, parce que, si elle est à part, si elle n’a jamais véritablement compris les pensées muettes et distantes de sa mère, ni les questionnements et craintes silencieuses, opaques, de sa fille, elle sent, elle sait que toutes deux se ressemblent et se sont toujours répondu. Elle l’a toujours su au fond d’elle-même: elle est l’intermédiaire entre deux générations qui partagent et traversent les mêmes considérations et interrogations. Voilà la raison de la distance, du partage qu’elle sent en elle.

Soudain, elle pousse un léger cri de surprise et de douleur au moment où le couteau dérape sur son doigt. La sensation d’une goutte de sang chaud coulant sur sa peau sèche achève de la tirer hors de ses pensées. Elle soupire, repose l’outil et le légume sur la planche à découper, et rince la plaie dans l’évier, avant de se diriger vers la salle de bains pour y trouver un pansement.

Louise traverse les pièces silencieuses. La maison est vide. Anne n’y vit plus depuis déjà deux ans, elle est partie faire ses études et entamer sa vie d’adulte ailleurs.

Elle ne lui en veut pas, elle ne le peut pas, c’est dans l’ordre des choses. Elle-même en rêvait à son âge. Mais elle lui manque; indubitablement. Elle sait qu’elle ne devrait pas penser cela, que cela apparaît comme particulièrement animal, et égoïste aussi, quelque chose de sauvage, de félin, mais elle a l’impression que, sans sa fille, un trou béant s’est creusé dans sa poitrine, qu’une partie de ses entrailles lui manque, là où elle s’est préparée à sa venue avec angoisse et impatience pendant neuf mois. Mais peut-être que cette part de néant qui sommeille en elle existait déjà avant Anne. Elle l’avait déjà perdue avant son arrivée. En avait été privée, volée avant même qu’elle ne naisse.

Son mari est absent, lui aussi. Volatilisé. Comme elle le lui a demandé, à vrai dire. Elle ne veut pas de présence masculine chez elle aujourd’hui. Même si c’est aussi un peu chez lui et qu’il pourrait légitimement vouloir retrouver sa fille, le dimanche ne lui appartient plus. Elle l’a fait sien, leur, désormais, à elle et au trio féminin familial qu’elle cherche à construire. Plus qu’une succession de sauts entre générations, c’est un ensemble cyclique et complémentaire qu’elle veut constituer.

Louise monte les marches en bois de son escalier en frôlant la rampe du bout des doigts. Elle a l’impression d’y sentir la présence de sa fille quand elle avait sept ans. Elle était alors d’une espièglerie sans fin. Elle s’accrochait la rampe et y glissait comme sur un toboggan, sous les yeux affolés de sa mère qui étaient, avec sa respiration, les seules traces physiques de l’inquiétude qu’elle der se devait de garder en elle, dans le creux de son ventre, pour ne pas la brimer, pour la laisser vivre loin de ses bras protecteurs et sans doute étouffants — ils l’avaient été pendant un temps, elle en avait conscience, même si elle avait encore du mal à l’admettre -, tandis que son père se contentait de regarder sa fille en riant. Il disait sans cesse à Louise qu’elle faisait simplement comme tous les autres enfants, que c’était tant mieux, très bien, même, mais cela ne suffisait pas à calmer son anxiété latente. Et pourtant, maintenant que le poids qui la compressait s’est envolé, elle y repense avec le sourire, s’inquiète pour d’autres choses. Le monde avance, celui des autres et celui qui la concerne, et elle évolue avec lui.

Louise ouvre la porte blanche de la pièce d’eau et note mentalement qu’il faudrait la repeindre, elle s’écaille par endroits et se gondole un peu avec l’humidité. La liste de choses à faire s’allonge et les journées lui paraissent toujours trop courtes et trop pleines. Elle les remplit toujours trop rapidement. Peut-être que la retraite lui fera du bien. Mais elle ne veut pas y penser. Elle ne veut pas se sentir vieille trop vite, tomber dans la crise de la cinquantaine qui semble être un phénomène inéluctable, une étape à laquelle on échappe difficilement.

Elle se dirige vers l’armoire à pharmacie dont le contenant a bien évolué depuis qu’Anne a grandi. Le nécessaire est toujours là, mais les sirops d’enfant à la fraise, l’Advil et le Doliprane ont disparu, comme les pansements colorés que les enfants des voisins enviaient quand ils venaient jouer ici avec Anne, et qu’elle leur donnait sans mesure, juste pour voir leurs sourires. Elle opte pour un pansement beige, simple, efficace. Encore ce diptyque qui rythme sa vie. Il le faut bien. C’est principalement ainsi qu’elle s’est forgée, pour tenter de se protéger. Elle rince à nouveau son doigt, qui a continué de saigner pendant Le trajet, avant de défaire les protections et d’enrouler le pansement autour. Sans perdre plus de temps, Louise reprend le chemin de la cuisine.

Extraits
« Mais Louise ne voulait pas recommencer, tout reprendre à zéro, faire comme si ce moment n’avait pas existé ou presque, comme s’il n’avait été qu’un moyen de se propulser dans la vie adulte. Louise avait vingt-cinq ans et elle devait se retenir de crier qu’elle était brisée. Pour vous ceux qui venaient lui tenir de grands discours, c’était évident de parler d’ouverture sur le monde, sur l’extérieur, sur cette vie à deux qui se consolide et se complète avec la construction d’une famille. Ils ne voyaient pas le fossé qui s’était creusé entre son mari et elle, fossé qu’elle avait peut-être elle-même créé pour lui faire sentir qu’elle n’était pas la seule responsable, pour se soulager de ne pas avoir réussi à protéger son enfant et à lui donner la vie. » p. 47

« Inès a vécu un événement difficile, parfois inexprimable ou indicible, mais elle veut prendre la liberté de rompre le silence. Elle voudrait que tout le monde puisse en parler, pas seulement les femmes qui ont avorté. Pourquoi devraient-elles se limiter à un petit comité d’écoute, au lieu d’en élargir l’audience? C’est d’une compréhension, d’une connaissance et d’une attention plus globales dont on aurait besoin. » p. 100

« Elle a l’impression de pouvoir pénétrer l’indicible et l’invisible dans les portraits de femmes qu’elle rencontre et côtoie, qu’ils soient proches ou lointains, connus ou anonymes. Anne voit les visages se démultiplier, se comprendre sans le dire alors qu’ils ne font que passer et s’entrecroiser sur un trottoir défait, s’écouler, s’écouter, s’allier et surtout se rejoindre et se soutenir. Tout cet entremêlement dans l’imperceptible, l’insaisissable et l’indécelable. La formation d’une communauté secrète, puissante et inarrêtable. » p. 106

« Anne sait qu’elle est bien plus qu’un corps, bien plus qu’une chair dont on sent la réalité pure et dure. Elle est une toile. Un voile, une feuille sur laquelle sont projetées des intériorités multiples qui se disent, se répondent, se comprennent, s’écoutent, se consolent et se soutiennent; une toile tissée à partir du fil d’une histoire de sororité et de féminité, sur lequel les femmes qui la relient évoluent, d’arceau en arceau, tel des équilibristes. » p. 120

À propos de l’auteur
HENTRY-PACAUD_Manon_DRManon Hentry-Pacaud © Photo DR

Manon Hentry-Pacaud est née dans le Loir-et-Cher en 2001. Après un baccalauréat littéraire, elle s’installe à Paris pour débuter des études de Lettres, d’abord à Henry IV, puis à la Sorbonne Nouvelle. Elle suit aujourd’hui un master de Lettres modernes mention Études de genre et littérature francophone. Depuis toute petite, la lecture et l’écriture font partie intégrante de sa vie. (Source: Éditions Frison-Roche)

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Le goût du vertige

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En deux mots
Déambulant dans les rues de Madrid, le narrateur croise Isolde, une ancienne relation perdue de vue depuis bien des années. Leurs retrouvailles sont aussi pour lui l’occasion de remonter le cours de l’histoire, de leur histoire mais aussi celle d’Isa qu’il a aimée presque simultanément et qui a été emportée par la maladie.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

Éros et Thanatos en concert

Un homme entre deux femmes, un concert entre l’amour et le mort. Stéphane Chaumet nous livre avec Le goût du vertige un roman âpre et fort, cru et passionné. Un hymne à la vie.

Isa est morte à 22 ans, laissant derrière elle un narrateur désemparé. Près de vingt ans après ce drame, elle occupe toujours ses pensées. Il lui arrive même de rêver qu’elle est encore vivante, qu’ils font toujours l’amour avec passion. En déambulant dans les rues de Madrid, il croise par hasard Isolde, qu’il a connue à peu près à la même époque qu’Isa. Ils vont prendre un verre ensemble et très vite elle lui demande des nouvelles de cette amoureuse qui, dans son souvenir, continuait à l’attendre. Alors, il a bien fallu lui avouer qu’elle était morte, rongée par une maladie aussi rare que foudroyante. Un aveu qui va s’accompagner d’une plongée dans les souvenirs.
Leur rencontre autour de la musique, son extrême sensualité, cette passion dévorante et cette envie de communier dans un amour sans fin, malgré ou peut-être à cause de la maladie. Jusqu’à ce jour où il a pris la fuite, où il a quitté la Touraine pour Bruxelles, où il a assisté à une série de concerts, où il a croisé le regard d’Isolde. Quand ils ont fait l’amour pour la première fois, à Amsterdam, il était loin d’Isa, mais n’avait pu s’empêcher d’en parler à son amante. De dire tout à la fois son plaisir et son désarroi.
Entre l’amante qui se meurt et celle qui croque la vie, il est déchiré. S’il se lance corps et bien dans une nouvelle relation dévorante, c’est qu’il a envie de sexe fort, violent, libre. Sans doute aussi pour poursuivre dans d’autres bras une relation devenue épistolaire.
Les lettres d’Isa qui sont intégrées au fil des chapitres disent la force du désir et l’envie de poursuivre une relation, mais aussi la peur et le désarroi face à la mort qui rôde. Elles ravissent le narrateur autant qu’elles le mettent au supplice. Entre deux femmes, il va se retrouver totalement déstabilisé, en proie au vertige des sens.
Stéphane Chaumet a choisi la cruauté et les mots crus, la violence et le drame pour mettre en scène cette nouvelle rencontre entre éros et thanatos, entre la pulsion de vie et la mort. Baigné d’une lumière crépusculaire, ce roman parviendra à quitter les ombres pour gagner la lumière, même s’il n’est pas facile d’apprivoiser la douleur, de donner au temps le temps de cicatriser les maux.

Le goût du vertige
Stéphane Chaumet
Éditions des Lacs
Roman
168 p., 17,90 €
EAN 9782491404239
Paru le 25/08/2022

Où?
Le roman est situé en Espagne, à Madrid. On y évoque aussi Tours, Bruxelles, Amsterdam, Anvers et Vienne.

Quand?
L’action se déroule de nos jours, avec des retours en arrière une vingtaine d’années plus tôt.

Ce qu’en dit l’éditeur
Peut-être que mourir ce n’est pas grand-chose, ce qu’il y a d’inadmissible, c’est la mort de ceux qu’on aime.
Une vingtaine d’années après la disparition de son amie, morte à 22 ans d’une maladie rare, le narrateur retrouve par hasard une autre femme qu’il a connue à cette époque, une violoniste avec laquelle il a vécu une étrange et brutale passion. Resurgissent ces deux histoires séparées mais intimement liées dans sa mémoire, où se mêlent la violence du désir et celle du deuil.
À défaut de pouvoir vivre à pleins poumons, je t’embrasse jusqu’au souffle coupé.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
L’info tout court (Mélina Hoffmann)
Blog Kanou Book

Les premières pages du livre
« Je ne suis jamais retourné sur ta tombe et aujourd’hui tu aurais 40 ans. Quelle femme serais-tu ? Qu’aurais-tu fait de ton visage, de ta vie ? Aurais-tu réussi à être la comédienne que tu rêvais de devenir ? Aurais-tu des enfants ? Est-ce qu’un jour nous nous serions retrouvés, par hasard ou non, puis retrouvés nus, dans un lit, le tien ou le mien, ou celui d’un hôtel, à nouveau happés par le désir ? J’aurais passé mon doigt le long de ta cicatrice que les années auraient atténuée mais toujours là, du nombril au bas de la gorge, en silence, tu aurais suivi des yeux mon geste puis nos regards se seraient croisés et nous aurions su qu’à cet instant nous pensions à la même chose, basculés dix-huit ans en arrière, dans ta chambre, et par pudeur de cette complicité on se serait tus. Ou aurions-nous simplement bavardé, plus ou moins émus, nous racontant à gros traits nos vies, nos échecs, avec dérision, sans nous lamenter, retrouvant cet humour entre nous dès que nous étions autre part que dans ta chambre. Tu avais 22 ans quand tu es morte, et j’ai quelques fois eu, dans les mois qui ont suivi ta disparition, de terribles envies de toi. Des envies, bizarrement, beaucoup plus violentes que lorsque tu étais en vie et qu’on se rejoignait. Une nuit, je m’étais masturbé en pleurant, je nous voyais faire l’amour et en même temps je savais que plus jamais nous le ferions, que c’était fini, que ton corps était fini. Mais ta mort n’a pas aboli mon désir. Je ne me suis pas rendu compte tout de suite que j’avais des larmes, pris par une érection si dure qu’elle en était presque douloureuse, me branlant comme on arracherait quelque chose d’enterré au plus profond. On dit que la masturbation est solitaire, mais de quoi et de qui notre tête est-elle peuplée quand nous la pratiquons ? Je ne sais pas à qui ni à quoi tu pensais en te caressant, seule dans ta chambre ou la salle de bain, lors de ces trop longues journées où la maladie t’enfermait. Pour ma part je ne pensais pas à toi, d’autres filles que je connaissais, avec lesquelles une aventure semblait possible mais qui pour une raison ou une autre n’avait pas pu se produire, occupaient alors mon plaisir. C’est la seule fois où je me suis masturbé en pensant à toi, à t’ouvrir les cuisses, à sentir tes mains sur ma nuque tandis que ma langue se faisait fébrile, à m’enfoncer en toi contemplant ton visage renversé et lumineux. Avoir envie de faire l’amour avec une morte – pas un cadavre –, avec une fille qu’on désire mais qui est morte, une fille dont on a connu le corps chaud et qu’on ne prendra plus jamais dans ses bras, dont on ne sentira plus ni l’odeur ni le grain de la peau, un corps qu’on n’ouvrira et ne pénètrera plus, a longtemps été, quand ce désir m’a envahi, une douleur.

Le pire a pourtant été un rêve, quelques mois après ta mort. Je rentre chez moi, même si ça ne ressemble à aucun endroit où j’ai vécu, et tu es là, ta présence d’abord me stupéfie, je n’arrive pas à croire qu’il s’agisse vraiment de toi, je dois être en train de rêver me dis-je, et devinant mon trouble tu me dis c’est moi, si, c’est Isa, je suis venue te voir, je ne suis pas morte, regarde ma cicatrice, et tu ouvres lentement ton chemisier, sans honte, en me souriant. Je te regarde convaincu dans le rêve que ce n’est pas un rêve, que je ne dors pas, c’est inouï, j’ai du mal à comprendre mais l’évidence est là, je peux te toucher, te sentir, tu es bien vivante, de retour. À voix basse tu me dis je suis revenue à cause de ta carte postale, tu me la montres mais je vois à la photo que ce n’est pas celle que je t’ai envoyée, on se retrouve allongés sur le sol, tout est en ciment brut mais une immense vitre offre les lumières d’une ville comme flottant sur la mer, nous avons nos habits, nos corps se rapprochent imperceptiblement, toujours plus près, cherchent une tendresse, à se blottir, tes lèvres sont si proches que je sens ton souffle sur mon visage, et on reste comme ça. Quand je me suis réveillé, encore dans un demi-sommeil, avec la certitude et la sensation prégnantes en moi que tu n’étais pas morte, que j’allais te revoir, entendre ta voix, je me suis senti consolé, traversé par une joie souterraine. Il fallait tout de suite que je t’appelle, et me disant cela, comme si l’impatience de t’avoir au téléphone m’avait brusquement réveillé, la réalité m’est revenue de plein fouet, un vrai coup cinglant, et ç’a été une telle douleur, une telle rage surtout, une rage contre les odieux pièges du rêve. Les jours suivants je me suis couché avec la crainte de revivre un rêve aussi cruel, retrouvant une longue période d’insomnie, désirant un sommeil noir, un sommeil de pierre, un sommeil de pomme.

Dans ce rêve, je ne voyais pas cette cicatrice que tu aurais dû avoir après l’opération si elle avait réussi, mais je pense seulement aujourd’hui que même morte ils ont dû te recoudre de haut en bas et que ton cadavre aussi portait cette cicatrice. T’ont-ils recousue avec minutie ou bien grossièrement, comme sur la photo de cette jeune Mexicaine nue sur une table d’autopsie, qui me revient à l’esprit soudain avec ce genre de question tordue, et je me demande pourquoi. J’ai la vision de ton corps mort, ta mort jeune, la beauté sereine de ton visage mort, tes paupières closes. Les chirurgiens t’ont recousue, on a drainé ton sang, on lui a injecté un liquide embaumeur, on t’a nettoyée, habillée, peignée, maquillée, et ton visage est serein, figé, beau d’une beauté inhabituelle et qu’on a du mal à reconnaître.

La mort m’a regardé fixement dans les yeux, a observé mon corps nu, ensanglanté, couvert de poussière d’or, et pendant qu’elle s’apprêtait à tendre ses bras vers moi, quand j’ai senti son haleine glacée, j’ai lancé ce hurlement qui ne pouvait pas sortir de la gorge d’une moribonde, un hurlement de rage, un hurlement d’amour pour la vie que je ne voulais pas abandonner à 18 ans, j’ai hurlé mon viva la vida, et la grande chienne, abasourdie, est restée stupéfaite au moins autant que les vivants qui se pressaient autour de moi. Quand j’ai découvert ce texte de Frida Kahlo, je me suis dit à haute voix sans réfléchir, Isa, pourquoi tu n’as pas poussé ton viva la vida ? Mais anesthésié, qui peut crier au visage de la mort ? Des années plus tard on m’a fait une anesthésie générale. Au réveil, après une phase de vague délire d’où émergeait peu à peu la conscience, je ne me souvenais de rien, j’étais ressorti d’un trou absolument noir, sans aucune sensation, aucune image, aucune conscience de ce temps mort. Noir et inexistence. J’aurais pu ne pas me réveiller, je n’en aurais eu aucune conscience, jamais, aucune sensation. Et j’ai pensé à ta mort, avec l’illusion de comprendre comment tu étais « partie ».

Que serait devenue Isa, je me le suis demandé en regardant Isolde au restaurant, après l’avoir, elle, rencontrée par hasard, et quand elle m’a posé la seule question à laquelle je ne m’attendais absolument pas.
– Et ta copine qui était malade, qu’est-ce qu’elle est devenue ?

Comment pouvait-elle se souvenir d’Isa ? J’avais à peine parlé d’elle à Isolde, à regret, et il a fallu qu’elle devine ou soupçonne bien des choses à ce moment-là pour ne pas avoir oublié Isa et me poser cette question, alors qu’on se revoyait pour la première fois depuis dix-huit ans. J’ai simplement répondu qu’elle était morte, juste après… Je n’ai pas terminé ma phrase.
– Juste après quoi ? a insisté Isolde. Et comme je ne disais rien sans la quitter des yeux, j’ai encore pu constater sa redoutable intuition. Ta fuite ?

J’ai continué à me taire, buvant mon verre de vin et regardant Isolde. Ses yeux, sa bouche, ses fines rides autour, la beauté de cette femme de 45 ans qui me troublait encore. Isolde m’a souri et je n’ai pu m’empêcher de sourire à mon tour. Je crois qu’elle aussi avait envie de m’embrasser, mais nous savions qu’aucun des deux n’allait se pencher au-dessus de la table, que ce n’était pas encore le moment ni le lieu, et qu’on pouvait tout aussi bien ne pas s’embrasser. Ne voulant plus penser à cette tentation, je me suis remis à parler.

Depuis des années je ne pensais plus à Isolde, sauf furtivement, de façon involontaire, m’appliquant toujours à ne pas m’attarder sur les images ou sensations qui remontaient. On n’oublie pas, on s’efforce juste de ne pas remuer le souvenir. Après « ma fuite » j’ai durement et longtemps bataillé avec moi-même pour ne plus être hanté par sa présence, pour ne pas céder au désir qui me tenaillait de la revoir, de jouir avec elle. Si j’avais redouté au début – et désiré dans l’ombre de cette peur – de la croiser par hasard, avec le temps je n’envisageais même plus cette possibilité, encore moins dix-huit ans plus tard à Madrid, où je vivais depuis quelques semaines. Isolde faisait partie de mon passé, point, et ce passé avait fini de me tourmenter. Des choses fortes et déterminantes pour moi, vécues ces dix dernières années, ont enfoui mon histoire avec Isolde. La présence d’Isa dans ma mémoire a été plus constante, à cause de sa mort. Par son absence définitive, sa présence a pris une place et un sens tout autre.

Mais en revoyant Isolde dans la rue, je me suis rendu compte que ce n’était qu’une illusion, que cela ne voulait rien dire, j’ai dans la seconde senti une palpitation, quelque chose où se mêlaient l’inquiétude et le plaisir, un déferlement de souvenirs moins sous forme d’images que de sensations confuses que je n’ai pas eu le temps d’esquiver. Je marchais sans itinéraire ni but précis, pour le plaisir de marcher en ville, et j’ai fait une chose qu’habituellement je ne fais jamais, je suis retourné sur mes pas pour prendre un autre chemin, sans raison particulière, sauf que je n’avais soudain pas envie d’être dans cette rue-là, et deux minutes après, arrivant sur la Plaza del Ángel, j’ai vu une femme, presque de dos déjà, descendre la calle Huertas, et j’ai aussitôt pensé à elle, que c’était Isolde, impossible de confondre sa silhouette, sa démarche, les traits de son visage même aperçus en raccourci. Est-ce que j’allais l’aborder ou la laisser filer ? J’ai marché derrière elle, pour être sûr, pour me laisser un temps de réaction, mais c’est Isolde qui a résolu mon indécision en se retournant, comme si elle avait perçu l’insistance d’un regard dans son dos, qu’on la suivait.

Nous sommes restés plantés là, n’arrivant pas à y croire, à nous regarder en silence avant qu’un sourire nous vienne aux lèvres, et Isolde m’a dit bonjour, en français, et j’ai répondu la même chose, on ne s’est pas touchés, pas fait la bise. Sans nous concerter, on s’est remis en marche côte à côte, tout en parlant, avec presque trop de naturel, presque enthousiastes de ce hasard dans notre surprise où le plaisir se mêlait au trouble. Aucun de nous deux n’a proposé de prendre un verre, on a beaucoup marché en faisant une sorte de boucle, puis on a quand même fini par aller dîner quand Isolde s’est soudain exclamée, reconnaissant une manière et un ton impulsifs bien à elle, « J’ai faim ! » Je l’ai emmenée dans un restaurant galicien très connu à Madrid, mais il était encore tôt pour les Madrilènes et il n’y avait pas grand monde.

Ça m’a fait bizarre de marcher avec elle dans les rues de Madrid, quelques minutes avant Isolde était encore effacée de ma vie, et je me retrouvais à côté de cette femme que j’avais connue dix-huit ans plus tôt, frôlant son corps toujours svelte, magnifique dans sa petite robe d’été, ayant à peine besoin de me pencher pour sentir l’odeur de ses cheveux, m’efforçant de ne pas trop regarder ses jambes à cause de leur capacité à me troubler, et je repensais à nos marches nocturnes dans Bruxelles ou Amsterdam, à cette première nuit après son concert. Isolde m’avait proposé une invitation, je l’avais connue quelques jours avant, nous n’avions échangé que quelques mots, et j’étais venu de Bruxelles pour l’écouter.

Quand on se retrouve à la sortie de la salle à Amsterdam – je me suis imaginé qu’on irait boire un verre avec les deux autres musiciens du trio, mais ils se sont séparés sur le trottoir, ce qui m’a soulagé –, j’aime qu’Isolde ne me demande pas si le concert m’a plu. Ce qui m’a fasciné c’est la voir jouer, debout, la voir faire corps avec son instrument, tanguer mélodieusement avec lui, la musique à la fois sortir d’elle et la pénétrer, la tension de ses muscles, son visage terriblement concentré, enfoui dans la musique et la musique rejaillissant sur elle… Mais je ne lui dis rien, peut-être plus tard, je n’aime pas trop parler d’un spectacle dès que je viens d’en sortir, c’est pour ça que j’aime aller seul au cinéma ou au théâtre. Ce qu’elle me demande c’est si j’ai faim et si je connais Amsterdam. Non, je découvre, je lui raconte rapidement comment j’ai passé l’après-midi, et je n’ai mangé qu’un sandwich.
– C’est une ville à déambuler, dit-elle.

J’aime vraiment son accent. Et sa bouche. Puisqu’on est tout près, elle voudrait déposer son violon chez elle. C’est un violon qu’elle a acheté à Paris, elle n’aime pas tellement traîner avec, il vaut une fortune. Je l’attends en bas de l’escalier, puis on va manger dans un restaurant du Jordaan, le quartier où elle habite. La bouteille de vin blanc est finie. Isolde me regarde.
– Je n’ai pas envie de rentrer, qu’est-ce qu’on fait ?

À cette heure-là je ne sais pas s’il y a encore un train pour Bruxelles, et je m’en fous, je n’ai pas envie de rentrer moi non plus. Je suis venu les mains dans les poches, je trouverai bien un hôtel zéro étoile quelque part…
– J’ai tout le temps de déambuler la ville.

Nous marchons dans la nuit, les rues sont plus ou moins animées, plus ou moins lumineuses, on traverse une passerelle, vers une petite place, je me trouve un peu en retrait d’Isolde, ses jambes gainées de noir tendent le tissu de la robe bien au-dessus des genoux. Ses jambes me sourient, et mes muscles en tremblent. Un peu plus loin Isolde s’arrête, tournée vers l’eau, je m’appuie sur le bord d’un parapet, dos au canal. Elle vient se mettre face à moi, presque entre mes genoux. On se regarde, immobiles. J’ai un peu peur, de quoi je ne sais pas trop, mais j’ose, c’est plus fort que moi je le fais, je pose mes mains sur ses hanches, et lorsque je sens Isolde frémir avec un souffle, une exhalation qui est presque un cri et presque un rire, c’est une décharge dans le sang, une intuition me traverse, je l’oublie aussitôt, et les mouvements se précipitent, mes bras entourent ses reins et la tirent, sans se dégager Isolde résiste, le dos s’arque, la tête et les bras tendus en arrière. Si je la lâche, elle tombe. Mais je serre plus fort, mes lèvres cherchent sa gorge, mon corps son corps, mes dents glissent le long du cou, et le même frisson nous parcourt, sa tête chute au creux de mon épaule, je ne respire plus que sa chevelure. Dès qu’elle m’offre son visage, ma bouche le couvre, avec l’impression de l’attirer vers un gouffre, mais sa bouche happe la mienne, ses lèvres sur mes lèvres ont le goût du vertige, et quand nos yeux s’atteignent, je ne sais plus lequel d’elle ou moi emporte l’autre. Mais c’est elle. Isolde me tire par la main, m’entraîne en courant, nos corps tournent l’un autour de l’autre, se frôlent, se touchent, se séparent. Si je lui prends le bras, elle le durcit, si j’entoure sa taille, elle se cabre, m’empêche de la saisir, fuit en courant, très vite, les talons claquant mais juste quelques mètres. Vers elle doucement j’avance, elle se retourne et marche à reculons, me rend mon sourire, légèrement courbée vers moi, et d’un coup je m’élance et l’attrape, elle me lance à nouveau ce souffle qui condense rire et cri, ou le lance au ciel noir, elle gigote mais je serre davantage, l’embrasse dans le cou, partout où mes lèvres arrivent à se poser, on s’arrête au milieu du trottoir, mes bras autour de sa taille, ses mains sur ma nuque fouillant dans mes cheveux, nos bouches se dévorent, baisers de faim, de manque. Puis elle repart vite, longues enjambées, longues jambes, me laissant sur place, elle tourne la tête, les yeux joueurs et brillants, comme pour vérifier si je la suis bien, ne sait-elle pas déjà que je suis prêt à la suivre partout ? Une fois à sa hauteur, on se prend la main, elle pose quelques secondes sa tête sur mon épaule, regards, sourires, silence. Je cherche à nouveau sa bouche, elle me la refuse, alors je mords son oreille. Isolde écarquille les yeux, exagère sa plainte, « Sauvage ! » me dit-elle. Je lui montre les dents. C’est elle qui est sauvage. « Moi ? » Et tandis qu’elle feint l’étonnement je confirme de la tête. C’est indéniable, Isolde dégage quelque chose de sauvage, son corps, son attitude, ses regards, de sauvage et de souple. »

Extrait
« « Ne pas rater sa mort. » C’est quoi ne pas rater sa mort ?
Ma réponse: S’il n’y a rien après la mort, on ne peut pas faire l’expérience de la mort, de ce rien, puisqu’une fois mort on ne sait rien, on ne sent plus rien. On ne peut faire que l’expérience de mourir. C’est cette expérience que je ne voudrais pas “rater”, c’est-à-dire en avoir conscience. Mourir dans le sommeil, si je ne le sens pas, ne pas se réveiller, mourir comme on dit de « sa belle mort », voilà ce qui pour moi serait “rater sa mort”.
La sienne: Et si tu sentais l’ombre de la mort planer au-dessus de toi, pire, si tu sentais l’ombre de la mort s’étendre en toi, est-ce que tu penserais à la mort de la même façon?
Et la mienne: Je ne sais pas. Sans doute que non. Et encore moins si elle venait, à contretemps et scandaleusement, usurper sa place. Et je joignais un fragment du poème de Rilke où il souhaite à chacun « sa propre mort ».
Isa m’avait répondu avec un poème de Desnos (Comme une main à l’instant de la mort et du naufrage se dresse), accompagné d’un dessin naïf et drôle où elle se caricaturait en dansant avec un squelette et moi faisant la lecture au chevet d’un lit vide, un chat assis sur la table de nuit comme à la place d’une lampe nous observait avec ironie.
Le poème de Desnos se termine par ces vers :
Tu pleureras sur mon tombeau,
Ou moi sur le tien.
Il ne sera pas trop tard.
Je mentirai. Je dirai que tu fus ma maîtresse.
Et puis vraiment c’est tellement inutile,
Toi et moi, nous mourrons bientôt. »

À propos de l’auteur
CHAUMET_stephane_©DNA_DRStéphane Chaumet © Photo Mara – DR

Stéphane Chaumet est né à Dunkerque en 1971. Écrivain, poète et traducteur, il a passé de longs séjours dans différents pays d’Europe, d’Amérique latine, au Moyen-Orient, en Asie et aux États-Unis avant de s’installer à Bogotá (Colombie). À une œuvre déjà riche, il ajoute Le goût du vertige en 2022. (Source: Éditions des Lacs)

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Ce qui reste des hommes

KHOURY-GHATA-ce-qui_reste-des_hommes  RL_hiver_2021

En deux mots
Avançant en âge Diane réserve une tombe dans un cimetière. Un emplacement prévu pour deux personnes. Elle va alors chercher qui pourrait l’accompagner dans sa dernière demeure. Une mission que suit d’un œil amusé son amie Hélène, une veuve bien joyeuse.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

Deux veuves et une tombe-double

Dans un roman aussi court que pétillant, Vénus Khoury-Ghata raconte le parcours de deux veuves, la première en quête d’un compagnon pour sa tombe, la seconde passant du bon temps avec celui qui pourrait avoir occis son mari. Loufoque et entraînant!

Voilà une histoire peu banale. Diane, après avoir vécu un épisode traumatisant à la mort de son mari – il a été enterré à la va-vite – décide de prendre les choses en main pour sa propre mort en allant réserver un emplacement dans un cimetière. Son choix va se porter sur un marbre rouge, comme sa robe, mais surtout sur une tombe à deux places. La boutade de son amie Hélène, «il ne te reste plus qu’à trouver celui qui t’accompagnera», va vite devenir une obsession pour la croqueuse d’hommes. Lequel de ses amants accepterait-il de partager son tombeau? Et puis d’ailleurs sont-ils toujours en vie? Comme elle n’a plus de nouvelles, voici Diane en chasse. Si son carnet d’adresses est rempli de numéros de téléphone obsolètes, il peut encore servir grâce aux mentions des rues et des villes et lui permettre de renouer certains fils par trop distendus. Grâce à une concierge, qui a gardé le courrier de son locataire, elle va par exemple en apprendre davantage sur ce sinologue, parti visiter l’Empire du Milieu sur les traces de Révolution culturelle de Mao et la longue marche, et qui pourrait fort bien accepter son étrange proposition.
Hélène, également veuve, regarde cette chasse à l’homme avec intérêt, même si elle a pour sa part choisi de profiter de la vie. Rentrant dans la maison où son mari a été assassiné, elle se retrouve nez à nez avec deux squatteurs qui se sont appropriés les lieux et pourraient fort bien ne pas être étranger au règlement de compte sanglant perpétré là près de deux décennies plus tôt. Surprise mais nullement effrayée, elle va accepter ces deux hôtes un peu particuliers, alors que les voisins commencent à jaser. Mieux, elle les accompagne au casino et règle leurs dettes! Une veuve joyeuse et délirante qui n’hésite pas non plus à pratiquer des séances de spiritisme, histoire de demander leur avis aux défunts. À moins que ce ne soit un fantasme. Car il se pourrait fort bien que son histoire ne soit que littérature, une matière servie à sa copine romancière: «Tu t’es toujours servie de ta vie et de celle de tes amis pour imaginer tes livres. La goutte d’eau devient océan, sous la plume. Que d’amis caricaturés, leur vie fouillée, étalée au grand jour, au nom de la littérature!»
Dans ce subtil jeu de miroirs, Vénus Khoury-Ghata joue avec les codes, avec la fiction et avec ses lecteurs. Ceux qui connaissent un peu sa biographie savent qu’elle a eu deux maris, le second enterré chez des amis après un décès brutal, et un compagnon et peuvent faire le rapprochement avec Diane. Mais ce serait aller vite en besogne, sauf peut-être ce besoin de placer la littérature au-dessus de tout. La littérature qui vous sauve en période de confinement. La littérature et peut-être la présence d’un chat. «Elle oubliait qu’elle était une femme, rechignait à faire l’amour, réservant l’orgasme aux héroïnes de ses romans.» Avec beaucoup d’humour, elle nous offre ce bel antidote à la solitude.

Ce qui reste des hommes
Vénus Khoury-Ghata
Éditions Actes Sud
Roman
126 p., 13,80 €
EAN 9782330144623
Paru le 4/02/2021

Ce qu’en dit l’éditeur
Diane, qui a atteint un âge qu’on préfère taire, se rend dans une boutique de pompes funèbres pour acheter une concession et se retrouve avec un emplacement prévu pour deux cercueils… La voilà qui recherche parmi les hommes qui l’ont aimée celui qui serait prêt à devenir son compagnon du grand sommeil. Un roman aussi grave que fantasque, qui mêle la vie et la mort, l’amour et la solitude, l’émerveillement et le chagrin.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
France tv infos (Valérie Oddos)
Actualitté (Victor de Sepausy)
L’Orient-Le Jour 1 (Fifi Abou Dib)
L’Orient-Le Jour 2 (Joséphine Hobeika)
RFI (Littérature sans frontières – Catherine Fruchon-Toussaint)
Mare Nostrum (Guillaume Sanchez)


Vénus Khoury-Ghata présente son nouveau roman Ce qui reste des hommes © Production TV5 Monde

Les premières pages du livre
« – Du marbre rouge alors que les tombes voisi¬nes sont noires ou grises, je vous le déconseille, madame.
L’employé de l’agence funéraire est catégorique. Mais ton choix est fait. Ton doigt revient sur le même échantillon : rouge méché de gris. Même couleur que la poitrine du rouge-gorge qui t’a regardée avec insistance ce matin à travers ta fenêtre.
Impatiente d’en finir, tu remplis le formulaire, si¬¬gnes puis te lèves.
– Une concession pour deux, précise-t-il en te raccompagnant à la porte.
Précision sans intérêt : tu y seras forcément seule, toi qui as si peur de la solitude.

Grand déballage de fleurs, boulevard Edgard-¬Quinet. Demain, la Toussaint ; après-demain, la fête des Morts. Des cadeaux d’anniversaire à deux sous. Des chrysanthèmes, comme si les morts ne méritaient pas mieux.
“Et pourquoi pas de l’herbe ? Ils n’ont qu’à brouter !” Tu maugrées, prise d’une colère incompréhensible.
Tant de douceur dans l’air. Septembre s’est faufilé dans l’automne. Par-delà le mur du cimetière, les feuilles d’un platane se prennent pour des petits soleils. Pourtant tu marches vite, comme on fuit : grande est ta hâte de quitter le boulevard des Morts.
Une robe dans une vitrine te cloue face à une boutique de la tour Montparnasse. Même rouge feu que ta pierre tombale : la soie copie la pierre.
Tu n’essaies pas, paies, retrouves la rue, traverses au feu rouge, pressée de rentrer avant la nuit.
Rares sont les taxis libres à cette heure du soir. Pas d’autobus qui mène à ton quartier. Pliée sous le poids du sac devenu soudain lourd, tu avances sous une pluie cinglante alors qu’il faisait beau une heure auparavant. Ta porte ouverte, tu poses le sac dans l’entrée, prends un bain puis te couches, trop fatiguée pour essayer la robe.

Sommeil agité, rêve oppressant. Tu marches dans la même rue que tout à l’heure, avec le même sac mais rempli à ras bord d’échantillons de marbre que tu dois livrer à un client dont tu as oublié le nom et l’adresse. Les passants s’écartent sur ton passage. Aucun d’eux ne propose son aide.

Réveillée, tu retrouves le sac là où tu l’as posé hier.
Vu dans la pénombre, il évoque un chat qui fait le gros dos.
La robe enfilée pèse lourd sur tes épaules. Une poussière rouge, du même rouge que la pierre tombale, se répand sur le parquet au moindre mouvement. Tu ne peux pas la garder. Tu vas la rendre à la boutique et demander du même coup au marbrier la date de livraison de la dalle.

Un tombeau à deux places, a-t-il dit.
Avec qui le partager ?
Question posée à ta première tasse de café du matin.
Divorcée, veuve et sans enfants, tu as perdu de vue les rares hommes qui t’ont aimée. Ta mémoire en a gardé quatre. Pas énorme, pour une vie. Tu aurais pu en compter plus si chaque veuvage n’était suivi d’une dépression de deux ans et chaque rupture de la décision de ne plus jamais aimer.
Quatre hommes éparpillés dans le même carnet de téléphone, jamais changé ou recopié en vingt ans.
Comment les retrouver et par quels mots leur expliquer la cause de ton appel ?
“Je viens de m’acheter une tombe dans un beau cimetière, ça te dit de partager ?”
Trop brutal.
“Il est vrai qu’on s’était mal quittés, mais il est temps de faire la paix. Pas de rancune de ma part. D’où ma proposition de t’installer pour l’éternité dans ma tombe. Gratis. Tu te déchausses et tu entres.”
Vulgaire.
Tu chercherais d’autres formules si le rouge-gorge d’hier ne venait se poser sur le rebord de ta fenêtre. Trois coups de bec rapides sur la vitre. Il réclame ses miettes de pain quotidiennes.
Vue de près, la tache rouge sur son poitrail te renvoie à une blessure sur une poitrine.

Opéré à cœur ouvert, Paul luttait contre la mort depuis vingt-trois jours dans le service de soins intensifs d’un hôpital parisien. On t’avait accordé deux minutes de visite, pas une de plus, et tu avais obéi.
“Sors-moi d’ici, ils veulent me tuer.”
Que d’efforts pour parvenir à prononcer ces quel¬ques mots, ses derniers, d’une voix hachée ! Les deux minutes écoulées, tu avais marché vers la porte puis crié “Je t’aime” de loin, sans te retourner.
“Je t’aime”, bonne réplique dans un mélodrame. À la différence que ce n’était pas du théâtre : Paul mourrait la nuit même. Rideau.

Paul était ton mari. Tu voulais faire des enfants avec lui, vieillir avec lui. La mort est inenvisageable quand on a une femme à aimer. N’étant propriétaire de rien dans aucun cimetière, Paul a été inhumé dans une tombe appartenant à des amis où tu n’auras pas ta place.
De lui, tu gardes une pipe en écume et des lunet¬tes, qu’il t’arrive encore de chausser pour savoir com¬¬ment il te voyait. Tu as également longtemps conservé son costume croisé, avant de le céder finalement à son ami Marc, qui tenait le rôle principal dans une pièce de Ionesco.
Tu as assisté à toutes les représentations. De dos, Marc dans le costume de Paul devenait Paul. Tu oubliais de respirer. De face, la magie cessait d’un coup. Tu étais la seule à ne pas l’applaudir lorsqu’il saluait. C’est tout juste si tu ne l’accusais pas de vol d’identité, de supercherie.
De retour dans sa loge, Marc se débarrassait vite du costume du mort, comme on le fait d’un person¬nage qui vous est imposé.
La pièce ayant fait son temps et Marc s’étant re¬¬trouvé au chômage, Paul est redevenu un mort parmi d’autres.

Toujours la même rage et le même sentiment d’im¬¬puissance quand tu penses à lui enterré chez des étrangers. Toujours la même déception face à la robe achetée sans l’avoir essayée. Comment expliquer la poussière rouge et grise qui tombe de l’ourlet ?
Un rouge noirâtre comme du sang séché, un gris à la texture de cendre.

La propriétaire du magasin n’est pas étonnée de te voir revenir avec la robe.
– Vous n’êtes pas la seule dans votre cas. D’autres clientes ont eu la même mésaventure. On n’entre pas dans ma boutique après un passage à la marbrerie funéraire. L’explication est simple : le marbre scié saigne. Ce qu’on prend pour de la poussière rouge est son sang.
Elle ne reprend pas la robe mais te conseille de t’en débarrasser, de préférence dans une benne de chantier.
– Les autres pierres seront libres de l’accepter ou de la rejeter.
– C’est ton prochain roman ? Un sujet en or. Il te reste à l’écrire. Un roman d’amour, cette fois, et surtout pas de poésie. Écris comme on parle.
Du délire, pour Hélène, la robe qui vomit de la poussière et le marbre qui saigne. Seule la tombe à deux places mérite son attention :
– Tu auditionnes les quelques hommes qui t’ont aimée et tu choisis le moins encombrant pour te tenir compagnie là où tu sais. »

Extrait
« Et si ton histoire de robe assortie à ta pierre tombale n’était qu’un subterfuge pour écrire un nouveau roman? Tu t’es toujours servie de ta vie et de celle de tes amis pour imaginer tes livres. La goutte d’eau devient océan, sous la plume. Que d’amis caricaturés, leur vie fouillée, étalée au grand jour, au nom de la littérature! “Du moment qu’ils ne lisent pas, me disais-tu. Les hommes de notre société sont trop occupés à gagner de l’argent, les femmes à Le dépenser.” » p. 55

À propos de l’auteur
KHOURY-GHATA_venus_©Catherine_HelieVénus Khoury-Ghata © Photo Catherine Helie

Née au Liban, Vénus Khoury-Ghata vit à Paris depuis 1972. Romancière et poète, elle est l’auteure d’une œuvre importante que plusieurs prix littéraires ont récompensée. Chez Actes Sud, elle a publié une Anthologie personnelle de poésie (1997) ainsi que quatre romans : La Maestra (1996 ; Babel n°506), Le Moine, l’Ottoman et la Femme du grand argentier (2004 ; Babel n°636), Une maison au bord des larmes (2005 ; Babel n°676) et La Maison aux orties (2006 ; Babel n°873). (Source: Éditions Actes Sud)

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