Un puma dans le cœur

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  RL_2023

En deux mots
En voulant aider sa mère dans ses recherches généalogiques, la narratrice découvre que son arrière-grand-mère est décédée près de quarante ans après la date que la famille annonçait. Un mystère qui va la pousser à enquêter et à découvrir que son ancêtre a été internée en asile où sa famille l’a quasiment oubliée.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Enquête sur une arrière-grand-mère oubliée

À partir d’un extrait du registre des décès, «Anne Dèche née Décimus 14 mai 1875 – 14 mars 1964», Stéphanie Dupays raconte l’enquête qu’elle a mené pour retrouver l’histoire de son arrière-grand-mère, «oubliée» par sa famille durant quarante ans. Un récit bouleversant.

La narratrice occupe un poste au ministère de la santé et des affaires sociales, loin de son sud-ouest natal. Sa vie parisienne est désormais comme déconnectée de ses racines. C’est ainsi que, quand le TGV la mène à Bordeaux, elle a l’impression d’arriver dans un autre monde. Ses parents continuent de mener leur vie, de jardiner, sans s’épancher. Aussi n’est-ce pas sans étonnement qu’elle découvre que sa mère a trouvé une nouvelle occupation, la généalogie. Mais avec ce nouveau loisir, elle atteint très vite ses limites, ne parvenant pas à trouver trace cette arrière-grand-mère que la légende familiale dit morte d’un chagrin d’amour. Du coup, elle sollicite sa fille afin de l’aider à compléter son arbre généalogique. À l’heure d’internet, il suffira à cette dernière de quelques clics pour que le registre des décès de Gironde affiche l’information souhaitée: «Anne Dèche née Décimus 14 mai 1875 – 14 mars 1964».
Deux dates qui entrainent une réécriture de l’histoire familiale. «Ce soir-là je pressens que l’histoire familiale qui passe de « matière solide et stable de lieux et de faits » à « un tissu lâche et mouvant de souvenirs déformés, de fantômes errants et de mensonges. (…) Je sens que derrière le récit autorisé se presse une réalité difficile à cerner mais impossible à écarter.»
Intriguée par cette longue vie qui n’a pas laissé de traces, elle cherche et interroge, découvre que cette ancêtre a été internée en asile psychiatrique où elle est décédée, quasiment oubliée des siens.
«Mes parents ne comprennent pas pourquoi cette histoire me bouleverse. Ils restent indifférents à ma quête. (…) Ma mère dit: « De l’eau a coulé sous les ponts ». Mon père dit: « C’était une autre époque, les gens se posaient moins de questions que maintenant. »»
Mais les temps changent. Aujourd’hui, on étudie l’hérédité et la psychogénéalogie, on cherche comment se transmet l’héritage. Ce sont dès lors ces voies que part explorer la narratrice. Elle va explorer les rares documents qu’elle retrouve sur l’asile où Anne a été internée, chercher des témoins, tenter de percer ce secret de famille: comment Anne a-t-elle vécu plus de trente années sans que sa famille se préoccupe d’elle? Comment occupait-elle ses journées? De quoi est-elle morte? Où est-elle inhumée? Quand sa mère lui assène «Il n’y a rien à raconter. Nos vies ne sont pas des romans», elle y voit un encouragement à lui prouver le contraire, à poursuivre une enquête. Comme elle le souligne dans un texte confié au site Actualitté, elle va chercher à organiser le chaos: «Je pose sur le papier les faits, les dates, les souvenirs comme autant de petits cailloux en espérant qu’ils dessineront un chemin. Je convoque l’archive administrative, la médecine, la sociologie pour m’aider à approcher la vie d’Anne Décimus.»
Outre la vie de l’aïeule, on y explore l’histoire de la psychiatrie ou encore le sort des internés durant la Seconde guerre mondiale. Instructif et émouvant, ce troisième roman de Stéphanie Dupays, après le brillant Brillante (2016) et le superbe Comme elle l’imagine (2019) vaut aussi pour sa forme. La romancière choisit en effet de dire «je» pour ne pas ajouter de la fiction au mensonge. Elle prend toutefois soin de compléter sa prose de poésie, entre haikus et plus longs poèmes qui soulignent les émotions ressenties et offrent une transition, une respiration dans cette quête difficile et par trop lacunaire. «La documentation m’a ouvert le passage pour comprendre ce qu’elle a vécu. Et la poésie m’a permis d’affronter le bouleversement, d’oser exprimer une émotion, pas frontalement, mais par la grâce de l’image.»

Un puma dans le cœur
Stéphanie Dupays
Éditions de l’Olivier
Roman
208 p., 18 €
EAN 9782823620092
Paru le 10/02/2023

Où?
Le roman est situé en France, à Paris et à Bordeaux ainsi que dans la région Aquitaine.

Quand?
L’action se déroule de nos jours, avec des retours en arrière jusqu’à la fin du XIXe siècle.

Ce qu’en dit l’éditeur
«Morte de chagrin, le cœur brisé.»
C’est la légende familiale qui entoure l’arrière-grand-mère de la narratrice; Anne Décimus aurait suivi son mari dans la mort. L’étrange proximité que Stéphanie Dupays ressent avec son ancêtre la pousse à mener l’enquête. Elle découvre alors un secret qui fait vaciller ses certitudes : Anne a passé la majeure partie de sa vie dans un asile; elle est décédée quarante ans après la date que tous pensaient officielle. Comment l’existence de cette femme a-t-elle pu être effacée au point que même les siens ignorent tout d’elle? Un puma dans le cœur raconte un cheminement intime vers la compréhension et la reconquête d’un héritage. En sondant les liens et les malentendus qui unissent ou séparent les êtres d’une même famille, ce sont nos failles originelles que ce roman bouleversant interroge. Mêlant fiction et récit personnel, Stéphanie Dupays redonne une voix à une femme extraordinaire qui ne savait pas comment supporter le monde et qu’on a réduite au silence. Elle prouve que la littérature peut apaiser les fantômes.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Agence Trames
Actualitté

Les premières pages du livre
« 1. On n’est pas seul dans sa peau

Je viens de loin de beaucoup plus loin qu’on ne pourrait croire
C’est une famille restreinte, quelque peu ratatinée, que la mienne. Mes parents, ma grand-mère et moi. C’est tout. Depuis sa retraite, ma mère a entrepris d’y ajouter des ascendants puisque je lui refuse les descendants : elle s’est mise à la généalogie. Je n’ai jamais voulu d’ enfant, ceux de mon compagnon me suffisant amplement. Je devine que ce choix est une douleur pour mes parents, bien qu’ils ne m’en aient jamais parlé. Nous parlons très peu chez nous, surtout des sujets importants. Peut-être aussi qu’éviter de poser la question donne le bénéfice du doute: tant que le non n’est pas clairement prononcé, cela laisse le oui virtuellement possible.
Ce soir-là, nous sommes attablés dans le jardin de Marc.
Le soleil se couche derrière la rangée de pins et le ciel est tout rose. Dans la nuit odorante qui nous enveloppe, nous parlons de tout et de rien. Nous avons atteint la trentaine, cet âge où les moins chanceux d’entre nous commencent à avoir des problèmes avec leurs parents. Ce n’est pas mon cas, les miens continuent de se lever à six heures du matin pour retourner le jardin avec l’énergie de travailleurs exploités. Ils débordent d’activités nouvelles et je me mets à raconter avec une certaine ironie comment ma mère tente par tous les moyens de grossir les rangs de la tribu, à ma place. Clément réagit au nouveau hobby de ma mère:
— Tu n’as pas peur qu’elle découvre un ancêtre meurtrier ou bagnard ?
Il est historien, spécialiste des guerres de religion, il s’y connaît en massacres.
— Ou alors un noble, un Jean-Eudes de la Tour-qui-penche, renchérit Romain qui connaît ma phobie des particules.
J’avoue ne pas y avoir pensé. Des aïeux morts et enterrés depuis des siècles, quel intérêt? Je balaie la question d’un revers de main, il faut bien que vieillesse s’occupe. Et mieux vaut la généalogie que le parapente.
— Le passé proche, je le connais. Quant au passé lointain, il ne peut blesser personne. Claire se lève et déclame: Je viens de loin de beaucoup plus loin
Qu’on ne pourrait croire

Je dis oui, je sais, des choses importantes dans ma vie ont eu lieu avant que je vienne au monde.
J’ai souvent lu que les traumatismes se transmettent de génération en génération. Il m’arrive de penser que la pluie de catastrophes qui s’était abattue sur ma grand-mère avait certainement quelque chose à voir avec l’inquiétude de ma mère et avec la mienne. Mais jusqu’où faut-il remonter le fil? Qu’est-ce que cela apporte?
C’est le moment où le soleil rougeoyant enflamme la cime des pins, mon moment préféré. Le flamboiement des couleurs donne à l’atmosphère une certaine solennité. Je me cale contre le fauteuil et je finis par dire:
— Je ne vois pas ce qu’on pourrait découvrir de pire que ce que je sais déjà à propos de ma grand-mère et de mon arrière-grand-mère. Même Dickens n’aurait pas osé farcir de tant de drames la vie de ses personnages!
Devant les regards curieux de mes amis, je continue:
— Rien que leur nom a quelque chose de menaçant. Décimus. «Décimer» c’est «mettre à mort une personne sur dix».
La réalité a largement dépassé l’onomastique: quatre des six membres de la famille de ma grand-mère ont été emportés alors qu’elle n’avait pas huit ans. Par réflexe professionnel — je suis statisticienne de formation —, j’aime bien ramener le particulier au général et le mettre en perspective. Parce que je crains l’excès, l’outrance, le mélodrame, je relativise tout de suite mes propos dramatiques. Pour ces générations nées entre deux massacres, les destins comme ceux-là étaient fréquents. Les femmes mouraient encore en couches, les bébés étaient terrassés par des fièvres que l’on ne savait pas soigner, La médecine n’avait pas encore triomphé des maladies infectieuses. La précarité des modes de vie et la rudesse des travaux exterminaient les gens très tôt. Pourtant, la banalité de ces destins dévastés n’apaisait en rien la douleur que j’ai pu ressentir, enfant, à savoir ma grand-mère au centre du carnage. L’évocation de ses disparus m’a toujours meurtrie, comme si je Les avais connus. Mais ce n’est pas le moment de gâcher la douceur de cette fin de soirée en développant ces vieilles histoires. Je minimise:
— C’était le lot de beaucoup de familles, la mort faisait partie de la vie.
Brice interrompt la conversation en apportant des infusions pour les uns et des digestifs pour les autres et La discussion change de cours. En sirotant la boisson chaude, je me dis que j’ai de la chance d’être une femme du XXIe siècle, qui n’a pas connu la perte brutale et fréquente d’amis, de parents, d’enfants, pour qui les guerres et les épidémies sont, encore, lointaines, et qui peut profiter d’une soirée insouciante entre amis dans une maison de campagne sentant la résine de pin et l’océan.

Quelque chose se débattait en vous que vous ne pouviez dire avec des mots
Chaque fois que j’interrogeais ma grand-mère sur son enfance et sa vie d’avant ma naissance, d’avant la naissance de ma mère, elle évoquait ses disparus comme on égrène les billes d’un chapelet. Ou plutôt des lentilles car la scène avait lieu le plus souvent dans la cuisine, le cœur battant de la maison.
Nous prenions deux assiettes, elle disposait une poignée de graines d’un côté et, avec un doigt, les faisait passer d’une extrémité à l’autre de l’assiette, en enlevant les grains de blé et les cailloux minuscules qui s’étaient glissés dans le tas. Concentrée sur cette activité aux allures de rite ancestral, elle me parlait des siens.
Ses deux frères, Léon et Louis, étaient morts alors qu’elle était petite fille. Léon qui travaillait dans une vinaigrerie avait été gazé lors de la Première Guerre mondiale et avait succombé à ses blessures. Probablement des lésions pulmonaires. Léon avait été renversé par un tramway à Bordeaux. Leur père, Armand, avait été terrassé par une crise cardiaque ou un AVC, une nuit. Et leur mère, Anne Dèche née Décimus, avait disparu à sa suite.
À ce stade de l’histoire, ma grand-mère interrompait le tri. Sa voix devenait plus grave et elle disait dans un soupir :
— Elle est morte de chagrin, le cœur brisé.
Suivre son bien-aimé dans la mort, un vrai destin d’héroïne tragique! Nous n’étions plus dans la petite cuisine aux tommettes frottées une fois par semaine à la brosse mais sur la scène d’une tragédie, avec le lourd rideau rouge, les fauteuils de velours et les trois coups. Les moineaux se ruant sur les grains de blé extraits des lentilles que ma grand-mère venait de jeter devant la porte se transformaient en oracles, annonciateurs d’une catastrophe.

J’imagine
ma grand-mère enfant
quelle drôle d’expression
moi qui ne l’ai connue que ridée les cheveux gris
Enfant
c’est-à-dire
désarmée
dépendante
naïve
Trois jours après son anniversaire
réveillée
en pleine nuit
une nuit noire comme le fond des mers
elle entend des cris des bruits une lampe qui tombe
Sa mère
Anne Décimus
les cheveux emmêlés les yeux affolés
trébuchant comme une soûlarde
Les pompiers sont là
« Ils n’ont pas pu le sauver»
Que signifie la mort à sept ans?
Il fait nuit partout

Anne Décimus se laisse sombrer. La présence de ses deux filles, Henriette et Andrée, ne suffit pas à l’extirper du trou noir. Elle disparaît, elle aussi.
L’aînée, Andrée, «un mauvais sujet», est placée en maison de redressement, la Miséricorde, à Bordeaux. La cadette, ma grand-mère, part à Soulac, une ville balnéaire coincée entre la côte atlantique et l’estuaire de la Gironde, à cent kilomètres de là. Elle entre à l’orphelinat qu’elle nomme le «couvent» car il est tenu par les religieuses de la Présentation. Ma grand-mère et sa sœur avaient des oncles et tantes et une marraine «qui vivait dans un château à Cenon». Aucun n’a adopté les orphelines. Pour ma grand-mère, cet abandon tenait à un ostracisme politique: Armand et Anne Décimus étaient brouillés avec le reste de la famille car ils étaient communistes. Cela reste une hypothèse, que pouvait en savoir une enfant de sept ou huit ans?
Ce récit maintes fois répété a fait germer en moi deux idées:
— on ne peut pas compter sur les riches;
— on peut mourir de chagrin. D’un chagrin d’amour.
Il fallait donc s’en protéger (des riches et de l’amour). Les études ont joué leur rôle de paratonnerre contre les dominants; quant à l’amour, je n’ai pas encore trouvé l’antidote. »

Extraits
« Ce soir-là je pressens que l’histoire familiale qui m’était apparue jusqu’alors comme une matière solide et stable de lieux et de faits ressemble plutôt à un tissu lâche et mouvant de souvenirs déformés, de fantômes errants et de mensonges. Les violons et les clarinettes entament une plainte sombre et grave. Dans cet état d’attention flottante qu’autorise le concert, mon esprit se met à errer, je revisite mes souvenirs. Je sens que derrière le récit autorisé se presse une réalité difficile à cerner mais impossible à écarter. » p. 28

« Le silence est notre langue maternelle
Mes parents ne comprennent pas pourquoi cette histoire me bouleverse. Ils restent indifférents à ma quête alors même que la démarche généalogique émanait de ma mère. Étrangement, ce n’est pas le destin d’Anne Décimus qui attise sa curiosité mais la vie d’un autre ancêtre, un marin nommé Barthes qui fut décoré de la Légion d’honneur pour avoir sauvé plusieurs passagers lors du naufrage de la corvette française L’Uranie, aux Malouines en 1820. Elle dévore un ouvrage sur le sujet et programme une visite aux Archives de la Marine à Vincennes. Mais sur Anne Décimus, elle ne veut rien savoir. Ma mère dit: «De l’eau a coulé sous les ponts». Mon père dit: «C’était une autre époque, les gens se posaient moins de questions que maintenant.» p. 63

«Il n’y a rien à raconter. Nos vies ne sont pas des romans. » p. 80

À propos de l’auteur
DUPAYS_stephanie_DR_mollatStéphanie Dupays © Photo DR – Librairie Mollat

Stéphanie Dupays est l’auteur de trois romans. Son travail se situe à la croisée à la croisée de l’intime, du social et du politique et questionne l’expérience de l’homme (et de la femme) contemporaine confronté(e) à un monde en mutation. Brillante (Mercure de France 2016, J’ai lu 2017) explore la violence des rapports au travail. Comme elle l’imagine (Mercure de France 2019) interroge la façon dont les réseaux sociaux bouleversent nos manières de penser, de se parler et d’aimer. Dans Un puma dans le cœur ( éditions de l’Olivier 2023), elle mêle les formes (récit, poésie et document-) pour évoquer la transmission intergénérationnelle des traumatismes et la prise en charge de la maladie mentale. En plus de son activité d’écrivain, elle collabore depuis une dizaine d’années au supplément littéraire du Monde et travaille dans le domaine de la santé. (Source: AOC média)

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La sirène d’Isé

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En deux mots
Leeloo met au monde Malgorne, avant de disparaître. L’enfant sourd et muet va grandir dans un asile d’aliénés, aux bons soins de Sigrid, une vieille dame et du Dr Riwald qui règne sur cet endroit bien à l’abri des regards. Jusqu’au jour où l’avancée de la mer, qui ronge la falaise, l’oblige à fermer l’établissement.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

L’enfant sourd entendra-t-il le chant de la sirène?

Dans son nouveau roman, initiatique et envoûtant, Hubert Haddad met en scène un enfant né sourd dans un établissement isolé au fin fond d’une baie. Un conte lumineux.

Cela commence par une naissance quasi miraculeuse dans un sanatorium transformé en «maison de repos» construit face à la mer, au bord d’une falaise, dans la baie d’Umwelt. C’est dans cet endroit reculé, à l’abri des regards – en fait la population ne préfère rien savoir des traitements qu’on y prodigue – que la fragile Leeloo met au monde un fils baptisé Malgorne. Le bébé, né sourd, va devoir se débrouiller dans cet environnement hostile mais aussi protégé de la fureur du monde. Il ne pourra bénéficier de l’aide de sa mère, Leeloo étant portée disparue, emportée par l’océan. Sigrid va alors jouer le rôle de mère de substitution de même que le Dr Riwald, qui règne sur cette institution et à qui la justice a confié l’enfant. Un troisième viendra jouer un grand rôle dans l’initiation de l’enfant, Martellhus, le jardinier. C’est lui qui est en charge de la récréation du labyrinthe, un immense espace boisé devenu «un dispositif privilégié d’analyse comportementale, voire de thérapie» pour les patients. Prenant de l’âge, Martellhus confie son savoir à Malgorne qui, patiemment, va apprendre à apprivoiser cette végétation, faire des arbres des alliés qui vont lui permettre d’avancer.
Pendant ce temps, la mer sape la falaise. Jusqu’à ce jour où un effondrement important provoque la fermeture de l’institution psychiatrique.
«On dissémina les malades dans les institutions asilaires du district; quant aux membres du personnel, ils durent subir divers contrôles et interrogatoires avant d’aller postuler ailleurs selon leurs qualifications. La vieille Sigrid fut transférée dans une maison de retraite. Déserté face à l’immédiate proximité de l’océan, le domaine des Descenderies prit vite un aspect irréel qui raviva d’anciennes rumeurs combinant folie et phtisie, dégénérescence et contagiosité, sur fond d’enquête criminelle».
Martellhus et Malgorne continuent de veiller sur le domaine désormais à la merci des éléments. Seule une jeune fille répondant au doux nom de Peirdre, ose encore s’aventurer à bicyclette sur le chemin côtier pour tromper sa solitude, car son père, au décès de son épouse, a pris le commandement d’un navire. «D’évidence, le veuf avait fui les pluies infinies, battantes comme un cœur au tombeau. Il avait repris du service dans la marine marchande au lendemain des funérailles et n’était plus jamais reparu. La fin d’un amour est une fin du monde. On oublie tout au milieu des mers, la mort et la trahison. On s’oublie soi-même aux cimes de l’océan, seul endroit avec le ciel où l’infini partout s’abîme en lui-même.»
Cette apparition va envoûter Malgorne qui n’aura qu’une envie, la revoir.
Après avoir revisité une page d’histoire avec Un monstre et un chaos qui se déroulait dans la ghetto de Lodz, Hubert Haddad continue à explorer les territoires de l’enfance, les rites initiatiques et le combat contre l’adversité. Toujours aussi prenant, avec des phrases toujours aussi joliment ciselées, ce conte convoque sirène et solitude, grand large et rêves d’enfants, malédiction et soif de liberté. Laissez-vous à votre tour envoûter par la puissance poétique de ce récit.

La sirène d’Isé
Hubert Haddad
Éditions Zulma
Roman
192 p., 17,50 €
EAN 9791038700024
Paru le 14/01/2021

Où?
Le roman est situé principalement à Umwelt, contrée imaginaire dans une baie reculée d’Angleterre. On y évoque aussi Tanger, Göteborg, ou encore Port Harcourt au Niger.

Quand?
L’action n’est pas précisément située dans le temps.

Ce qu’en dit l’éditeur
À la pointe sud de la baie d’Umwelt, loin du monde et hors du temps, le domaine des Descenderies a accueilli des générations de patientes. Né de la fragile Leeloo, Malgorne grandit sous la houlette de Sigrid, entre incompréhension et possession jalouse. Il trouve bientôt refuge dans le dédale de l’extravagant labyrinthe d’ifs, de cyprès, de pins et de mélèzes imaginé par le Dr Riwald. S’il n’entend ni le ressac ni les vagues qui se déchirent sur les brisants, Malgorne se nourrit des vents et scrute sans fin l’horizon.
Depuis l’ancien sémaphore, Peirdre sonde elle aussi chaque soir l’océan, hantée par la voix d’une amie disparue. Son père, capitaine au long cours, fait parfois résonner pour elle les cornes de brume de son cargo de fret.
C’est sur la grève, un matin, devant le corps échoué d’une étonnante créature marine, que Peirdre et Malgorne forgent soudain l’espoir du retour d’autres sirènes. Après Le Peintre d’éventail, Hubert Haddad nous entraîne dans la magie d’un nouveau jardin entre terre et mer. La Sirène d’Isé est un roman magnétique, envoûtant et lumineux.

Les critiques
Babelio 
Lecteurs.com 
La Cause Littéraire (Fawaz Hussain) 
RFI (Vous m’en direz des nouvelles – Jean-François Cadet) 
Blog Levons l’encre 
Blog Baz’Art 
Blog encres vagabondes (Serge Cabrol) 
Le blog de Virginie Neufville 
Blog La Viduité 
Blog Lili au fil des pages 

Les premières pages du livre
« Avertissement
C’est une histoire véridique et pourtant fabuleuse, mais elle ne m’appartient pas, elle n’appartient à personne, pas même aux rares protagonistes encore de ce monde. En second rôle d’aucune étoile, je préfère ne pas dévoiler celui qui me fut assez distraitement imparti. On comprendra à demi-mot quelle exigence m’engage à relater cette histoire invraisemblable si dramatiquement avérée.

Prologue
On naît aveugle au milieu d’une fanfare : voix, cris, bruits d’organes et d’engins, rivières du vent, appels et chants d’oiseaux. Lui ne put rien entendre une fois délogé du ventre de sa mère, pas même un souffle. Sans doute devina-t-il le monde au chaud remuement qui soudain l’entourait, tout de poussées, de glissements et d’entraves, et à cette tiède haleine modulée en ondes légères sur son visage à peine déplissé des ténèbres. Le silence existe-t-il plus qu’un cri muet de sourd ? Ployée, les seins nus, la démente à l’enfant fredonnait à son oreille. Elle psalmodiait sans paroles une complainte du fond des âges. Mais Leeloo n’était pas si folle ; ses mouvements avaient une grâce nécessaire. Dans ses bras, le nouveau-né semblait inspirer ses gestes par secrète influence. Leeloo fredonnait et parfois des mots lui venaient incompréhensiblement :
De l’eau, donnez-moi de l’eau fraîche
La neige tombe seule dans les rues
La neige monte et descend l’escalier
Donnez-moi de l’eau fraîche pour chanter
Au petit matin, la sage-femme qui l’avait assistée dans la nuit revint d’un pas précipité à son chevet comme si elle avait craint le pire. La jeune mère dormait, la tête inclinée vers l’enfant que l’infirmière de service venait de replacer dans un minuscule lit de fer.
— C’est bien de le lui avoir laissé, dit l’accoucheuse en effleurant d’un doigt le montant du berceau. Mais il ne faudrait pas la perdre de vue.
— Il n’y a pas à s’inquiéter, répondit froidement l’infirmière.
Les deux femmes échangèrent un regard vide, bouches closes. L’une et l’autre devaient se demander par quel extraordinaire cette naissance avait pu s’accomplir.

À peine éveillée, Leeloo, le front moite, s’était écriée : « Du lait, donnez-moi du lait froid ! », comme si sa vie en dépendait. Bulles remontées d’abysses dans l’écume de l’aube, les images d’un rêve lui revinrent. Elle courait, les bras serrés contre sa gorge. Une lumière poussiéreuse filtrait d’un dédale de couloirs obscurs. Chaque porte s’écartait sur une silhouette menaçante qui n’était autre que la porte suivante. Il n’y a pas d’issue, toutes les portes franchies se referment derrière elle.
Après un coup d’œil sur la fenêtre et les deux personnes en blouse dressées au pied de son lit, Leeloo s’est tournée vers l’enfant dans un sursaut d’effroi. Le berceau de fer lui paraissait si éloigné, comme un esquif à la dérive. La jeune femme concentra toute son attention sur cette créature inconnue d’elle et de l’univers quelques heures plus tôt. D’où sortait cette petite chose d’une prodigieuse fragilité ? Existait-elle pour de vrai ? Un subterfuge lui parut soudain flagrant : on avait profité de son sommeil pour intervertir les poupées ; celle du rêve, bien à elle, à cette autre un peu rouge et fripée. Dans ce cas, comment échapperait-elle à son cauchemar ?
Mais le bébé bâilla et s’étira mollement dans ses langes. Leeloo crut deviner un sourire de porcelaine sous le bouton rose du nez. Subitement, il se mit à happer l’air et à grimacer. La sage-femme s’empressa.
— On dirait qu’il a faim, dit-elle.
Leeloo reçut le nourrisson avec une expression terrifiée. Elle ressentit une brûlure à la pointe du sein, comme si sa propre chair aspirait son sang. Ses larmes apitoyèrent les soignantes qui ne saisirent rien de sa douleur.
— Il ne faut pas s’affoler, dit l’une.
— Tout ira bien, dit l’autre.

Le docteur Riwald était puissant. Personne d’autre que lui ne voulait prendre soin de Leeloo. Pas même l’ombre sans nom qui l’eût plutôt maudite. On la ramènerait donc à l’institution des Descenderies. Le docteur avait tout arrangé. On ne lui retirerait pas l’enfant, il vivrait à l’abri avec elle, côté jardins, face à la mer, dans une annexe privée de l’immense édifice. Leeloo ne comprenait rien à son sort. Après la mort du père et de la mère coup sur coup, d’un excès d’amour ou de découragement, il y avait de cela un gouffre d’années, l’ombre sans nom et deux gendarmes l’avaient conduite un jour au bout des landes, à la pointe sud de la baie d’Umwelt, dans ce drôle de château face au vide.
Il y a maintes espèces d’établissements publics ou privés en charge des corps souffrants et des âmes affolées, éperdues, expirantes d’avoir tant espéré, mais la plupart de ces lieux de relégation, soumis aux pesanteurs administratives, n’assurent que l’ordinaire de leur fonction et cèdent à l’extraordinaire au gré des circonstances.
Édifié à la fin du XIXe siècle sur l’une des plus hautes falaises de la côte, en respect de la bande littorale inconstructible d’une centaine de mètres, le vaste complexe des Descenderies fut l’un des premiers hôpitaux maritimes destinés aux poitrinaires. La peste blanche frappait en priorité les plus démunis, les ouvriers et leurs enfants, mais aussi les plus exposés à la solitude morale et à la déréliction. On l’appelait atrocement « le mal des petites bonnes », mal qui n’épargnait guère les demoiselles bien nées confiées aux pensionnats et aux instituts religieux où la dureté de la règle entretenait les foyers d’infection. À l’origine dévolue aux jeunes filles phtisiques, la fondation des Descenderies perdit sa vocation première à la suite de la découverte de la pénicilline en 1928 et plus spécialement de la streptomycine peu avant le second conflit mondial. Dans l’après-guerre, à l’heure où l’on fermait les uns après les autres ce type d’établissements devenus inutiles, en bord de mer comme en montagne, un autre motif hâta la désaffectation du sanatorium des abords d’Umwelt : les vagues de suicides de résidentes transies de solitude, comme appelées par l’immédiate délivrance, à moins de cent mètres, entre abîme et lointain. Malgré les grilles en façade surélevées de pointes de lance, les jeunes pulmoniques parvenaient à contourner les obstacles dans l’exaltation de la fièvre. Cet usage du néant frappa durablement les imaginations et se perpétua en contes et en ragots longtemps après la fermeture de l’établissement. Recyclé deux décennies plus tard en «maison de repos», litote convenue pour rasséréner le voisinage, le domaine des Descenderies accueillit jusqu’à ces dernières années petites et grandes douleurs dans l’accointance des familles en quête de tranquillité. Certains lieux marqués par l’étrangeté du sort semblent lestés de fatalité et, d’un siècle à l’autre, comme pour y souscrire, connaissent d’analogues tragédies. À l’époque pas si éloignée où l’on enfermait bien davantage pour troubles mentaux que pour actes délictueux, le docteur Riwald eut à répondre de maltraitances méthodiques envers les patients sous sa tutelle. Médecin chef et directeur en poste, il prônait en effet une méthode de soins paradoxale alors en vogue, consistant à provoquer un traumatisme
prétendument libératoire qui, dans certaines circonstances, pouvait aboutir à un homicide caractérisé, quoique dans son principe involontaire. Faire frôler la mort à des malades souffrant d’asthénies, de phobies ou de délires en tous genres était censé occasionner un état de choc salutaire, une sorte de catharsis opératoire. Mais au troisième décès lié à ces traitements, les dénonciations anonymes s’accumulant, une enquête finit par être lancée et bien nonchalamment instruite. Prononcée l’année de la grande comète, la fermeture administrative de l’établissement pour infraction grave au code de la santé publique ne fut accompagnée d’aucune mesure confiscatoire. Les patients du docteur Riwald se virent dispersés dans les asiles des environs avec l’accord des familles, tandis que les membres du personnel exempts de poursuites allèrent trouver de l’embauche ailleurs.
Le processus d’érosion de la falaise, tributaire de la nature variable des tufs géologiques, s’étant considérablement accéléré, la société gérante dut en revanche assumer la maintenance du domaine désormais incessible pour cause de risque majeur.
Modèle inaugural, l’architecture héliotropique du bâtiment aux vastes espaces intérieurs, aux fenêtres panoramiques, en ferait un site classé malgré l’avis d’expropriation lancé par le district communal. Ces décrets antinomiques résultant du conflit des compétences eurent pour résultat de bloquer avant longtemps toute ingérence publique ou privée.
Ainsi donc, hormis l’entretien et le gardiennage imputables aux parties contractuelles, rien n’affecta plus le domaine des Descenderies comme en suspens d’avenir. On changeait à l’occasion un carreau de fenêtre ou quelque faîtière brisée par les intempéries.
Recruté aux premiers jours de la mise en service de la clinique psychiatrique un quart de siècle plus tôt, le gardien du domaine resté à demeure après sa clôture accomplissait en automate ses rondes de factionnaire dans la vaste cour d’accès disposée en jardins à la française, entre le portail monumental à vantaux ajourés flanqué de portes piétonnes et la façade de briques blanches de l’immeuble, toute nervurée d’arabesques en stuc et rehaussée de mosaïques, avec ses cinq niveaux d’immenses baies donnant sur la mer. Lui-même logeait au rez-de-chaussée du pavillon de garde à l’angle des hautes grilles, au milieu d’une collection de poupées de mode articulées en faïence peinte héritée d’une sœur défunte.
Côté lande, à l’arrière du bâtiment, le parc enclos d’un muret de pierres sèches à sa création et plus tard surélevé d’une belle hauteur de briques avait été planté de résineux: ifs, pins à l’encens, cyprès, mélèzes, essences jadis censées traiter efficacement la phtisie en appoint à la cure d’air marin et de lumière.
Du haut de l’escalier y menant, on eût dit un îlot forestier aux allures de bois sacré, assez vaste et conçu pour s’y perdre, avec, visible en son centre, un dôme biscornu de gloriette qui étincelait au soleil pardessus l’épaisse canopée d’égale voussure, faîtages entrelacés et taillés en terrasse afin d’inhiber la poussée vers la lumière des arbres les plus vigoureux. Un mur d’enceinte bornait l’étendue boisée à quelques
mètres d’écart, laissant ainsi courir une large allée de terre battue où quelques statues en buste engainées sur piédestal alternaient avec d’étroits bancs de fonte à usage purement ornemental.
Le docteur Riwald, clinicien avéré de la culture de l’hystérie, par ailleurs organiste liturgique bénévole à la paroisse Saint-Jude d’Umwelt et grand amateur de jardins dédaliques, s’était décidé à tirer parti de cette insolite plantation hygiénique qui, au fil des années, avait eu la patiente agilité de se ramifier et de s’épaissir au point d’en devenir impénétrable. Il y avait dans cette forteresse arbustive un défi d’espèce sauvage.
L’idée de le relever ne lui vint pas d’emblée; il s’était souvenu de sa passion des jardins secrets, enfant, quand seul le plaisir de s’égarer motivait ses fugues. Puis il avait longuement réfléchi au possible usage clinique de cette façon de cloître d’ombres ou de mangrove polaire, une fois agencé selon ses vœux. Il s’agissait en priorité de dompter cette jungle avec le concours d’ouvriers sylvicoles, ou plutôt d’en ordonner le secret, de concevoir un parc aux cent allées courbes, rectilignes et sinueuses là où régnait une sorte de chaos directionnel. Maître Willumsen, un arboriste forestier de l’arrière-pays, vieil homme passionné d’astronomie, fut engagé sur la foi du pasteur de Saint-Jude qui le disait capable de créer une cathédrale végétale à partir d’un bois maudit.
C’est ainsi que le docteur Riwald fit élaguer, essoucher, aligner, transplanter des années durant le peuplement anarchique du parc jusqu’à atteindre la forme la plus approchante de son utopie paysagère.
L’œuvre accomplie, il lui vint à l’esprit de déplacer et de restaurer en son point nodal l’armature et les verrières d’un édicule à fonction de serre, structure baroque en forme de kiosque inspirée des radiolaires dessinés par Ernst Haeckel et jusque-là oubliée sous un manteau de lierre poussiéreux, dans un dégagement des jardins de façade. Fort d’un certain pragmatisme conjectural particulier à sa profession, l’aliéniste s’était convaincu d’ouvrir à certaines heures l’accès au parc muré à l’arrière de l’ancien sanatorium. Les quelques pensionnaires sélectionnés eurent ainsi tout loisir d’interroger leur propre égarement au gré du réseau de voies entrelacées. Au fil des années, le docteur Riwald perfectionna et mit plus largement en pratique sa méthode de traitement fondé sur l’état de choc psychologique ou «collapsus émotionnel». La récréation du labyrinthe devint même un dispositif privilégié d’analyse comportementale, voire de thérapie. »

Extraits
« Le pouvoir des notables étant ce qu’il est, l’arrestation et la mise en garde à vue du docteur Riwald ne furent pas pour rien dans la subite diligence de l’administration territoriale; un mandataire de justice hâta le démantèlement de la structure hospitalière. On dissémina les malades dans les institutions asilaires du district ; quant aux membres du personnel, ils durent subir divers contrôles et interrogatoires avant d’aller postuler ailleurs selon leurs qualifications. La vieille Sigrid fut transférée dans une maison de retraite. Déserté face à l’immédiate proximité de l’océan, le domaine des Descenderies prit vite un aspect irréel qui raviva d’anciennes rumeurs combinant folie et phtisie, dégénérescence et contagiosité, sur fond d’enquête criminelle. » p. 90

« Le commandant Owen était sans pardon, mais il chérissait Peirdre à sa façon, aussi l’avait-il diligemment instruite, servante inapte et scrupuleuse, à l’intendance de la maison grâce à une dotation gérée par un notaire. D’évidence, le veuf avait fui les pluies infinies, battantes comme un cœur au tombeau. Il avait repris du service dans la marine marchande au lendemain des funérailles et n’était plus jamais reparu. La fin d’un amour est une fin du monde. On oublie tout au milieu des mers, la mort et la trahison. On s’oublie soi-même aux cimes de l’océan, seul endroit avec le ciel où l’infini partout s’abîme en lui-même. » p. 126

À propos de l’auteur
HADDAD_hubert_©nemoperierstefanovitchHubert Haddad © Photo Nemo Perier-Stefanovitch

Hubert Haddad nous implique magnifiquement dans son engagement d’intellectuel et d’artiste, avec des titres comme Palestine (Prix Renaudot Poche, Prix des cinq continents de la Francophonie), les deux volumes foisonnants du Nouveau Magasin d’écriture, ou le très remarqué Peintre d’éventail (Prix Louis Guilloux, Grand Prix SGDL de littérature pour l’ensemble de l’œuvre). (Source: Éditions Zulma)

Page Wikipédia de l’auteur 

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Tête de tambour

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En deux mots:
Manuel souffre, coincé entre un père exigeant et une mère qui le couve. Son mal-être est dû à la schizophrène qui le ronge de l’intérieur. On va suivre l’adolescent, puis le jeune homme d’un centre psychiatrique à l’autre, et d’une escapade à l’autre, sans cesse rattrapé par ses démons.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Mister Manuel et Monster Schiz

Avec «Tête de tambour» Sol Elias nous propose un premier roman aussi original que dérangeant, en se mettant dans la peau de Manuel, jeune homme souffrant de schizophrénie.

Au hasard des lectures, il arrive de croiser fortuitement un même thème, alors même que ce dernier n’est que peu traité dans la littérature contemporaine. Après On n’efface pas les souvenirs de Sophie Renouard dans lequel une famille est victime d’une schizophrène, voici une manière bien différente, mais tout aussi intéressante, d’aborder ce grave «trouble dissociatif de l’identité».
Quand s’ouvre ce roman, Manuel est en pleine crise d’adolescence. Il doit affronter son père qui ne comprend pas qu’il passe son temps à ne rien faire, même pas à aider sa mère aux tâches ménagères et qui passe son temps à le houspiller plus ou moins sévèrement, suivant ses humeurs. Mais il affronte aussi sa mère qui a choisi à l’inverse, de couver son petit. Cette Maman, surnommée Bonnie Cyclamen, «parce qu’elle avait le cœur si bon et que ses paupières ressemblaient au cyclamen qu’on avait dans le salon» va tout autant subir les foudres de son fils, bien décidé à leur faire payer le prix pour l’avoir mis au monde: «Je serais la croix à porter sur leurs épaules d’hommes pour toute une vie d’homme. Ils ne m’avaient pas tué quand ils avaient vu mon visage cyanosé de bébé tenu pour mort à la sortie du ventre de la mère, ni petit quand on pensait que j’avais une tumeur au cerveau tant j’avais la tête grosse de migraines, ni adolescent quand j’avais l’impression qu’un autre respirait dans mes hanches, ni plus tard, quand les doctes docteurs avaient décrété en chœur que j’avais « des troubles relevant indubitablement de la psychiatrie ».»
C’est à un long chemin de croix que nous convie Sol Elias. Un parcours d’autant plus impressionnant qu’il nous est raconté par Manuel lui-même, luttant contre ses démons et les laissant l’emporter, se révoltant contre le verdict des médecins – «La schizophrénie vous a coupé en deux, comme la hache du bûcheron le tronc du chêne» – et leur donnant raison lorsqu’il exploite sans vergogne ses parents, leur soutirant leurs économies.
Passant d’un centre psychiatrique à l’autre et d’une sortie à l’autre, de moments d’exaltation vite rattrapés par de nouvelles crises, il va comprendre qu’il ne peut rien contre ce mal qui le ronge: «La schizophrénie avait gagné la partie sur la vie. Elle avait tout raflé: le rêve, la création, l’amour, l’amitié.»
En lieu et place, il aura gagné la violence, la rancœur, la douleur et la souffrance. Entraîné dans cette spirale infernale, le lecteur partage cette impuissance, ce malaise, que ni les virées avec son copain, ni même la rencontre avec Anahé, une mauricienne qui a émigré avec sa mère et son enfant, ne pourront contrecarrer.
Le post-it qu’il colle au-dessus de son bureau: «On se suicide pour échapper à la pression de la vie, pour se soustraire aux exigences minuscules et aux parades familiales de l’existence» montre sa résignation. «Il ne lui reste qu’à devenir encore plus fou qu’il ne l’est déjà, qu’à se mortifier, se scarifier pour dire sa haine de lui-même et à se retourner contre ceux qui l’enchaînent et le regardent impuissants – les médecins, les parents, les autres patients. (…) Alors il devient Monster Schiz. »
Passera-t-il à l’acte, effrayé par celui qu’il est en train de devenir? Je vous laisse le découvrir et réfléchir sur le traitement que l’on réserve à ces malades.

Tête de tambour
Sol Elias
Éditions Rivages
Roman
200 p., 18 €
EAN 9782743646004
Paru le 03/01/2019

Où?
Le roman se déroule en France, principalement dans le Sud, d’Aix-en-Provence à Marseille, à La Ciotat, à Grasse et Apt, mais aussi à Montpellier et en Suisse, à Genève.

Quand?
L’action se situe de 1976 à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
«J’avais jeté le charbon ardent de la discorde dans la plaine de leur affliction, la plaine tapissée d’un maquis dru et sec qui prenait feu comme de la paille. Bientôt ce serait le désastre…»
Dans ce récit bouleversant, l’auteur nous plonge dans les affres de la psychose et explore la complexité des relations filiales et le poids de l’hérédité. Un premier roman coup de poing qui s’empare d’un sujet sensible et peu abordé en littérature, la schizophrénie, pour redonner leur humanité à ceux que l’on en prive.

68 premières fois
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INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Anaël
Hiver 1972
«Ah! La vida buena! Monsieur veut qu’on lui apporte tout sur un plateau d’argent, il veut continuer à lisser ses moustaches devant la glace pendant que maman fait la popote, lave les belles liquettes et que papa se lève tous les matins, aux aurores, pour faire bouillir la marmite… » Le père, en bras de chemise, éructait en récurant une casserole dans l’évier, le visage rougeaud, pas à cause du petit verre de rosé qu’il avait bu ce midi, comme tous les midis, mais à cause de la colère qui montait. «On en a marre, tu comprends, on en a marre!» Il respirait fort. Le temps était à l’orage, on attendait la détonation.
Je ne répondais pas. J’avais décidé que je ne participerais pas aux divagations paternelles. Je regardais fixement mon assiette encore rouge du fond de ragoût à la tomate qu’avait préparé Bonnie, roulant entre mon pouce et mon index – en guise de contestation – les terminaisons de ma moustache.
Et zi et zi et zi. La paille de fer frottait le fond du fait-tout, le père insistait dans les coins. C’était un maniaque, il voulait que ça soit impeccable, que ça brille. Il repassait plusieurs fois aux mêmes endroits.
Personne ne parlait.
Et zi et zi et zi crissait dans le silence d’après-repas.
On n’entendait plus que ça: le râle du fer sur la fonte et les soupirs du père. Cela faisait déjà dix minutes qu’il avait entrepris de m’«expliquer la vie», et que j’encaissais sans répondre. «Toute façon t’as rien dans le pantalon», cette petite frappe de Djinn, mon soi-disant «pote», devait avoir raison… Bonnie ne disait rien, contenant sous ses ailes de papillon – ses paupières très fines – son énervement. Le crissement du grattoir commençait à me monter à la tête comme un vertige. Je m’étais mis à compter dans ma tête, très vite, de un à trente, à l’endroit et à l’envers, pour conjurer l’angoisse que je sentais venir. Bonnie faisait des allers et retours entre la table et l’évier. Elle avait commencé à débarrasser, posant les assiettes sales sur le plan de travail, à côté du père. Je lui avais fait un geste indiquant que je ne voulais pas qu’elle touche à la mienne, puis j’avais montré la panière du doigt, pour qu’elle me donne un morceau de pain, comme si je m’apprêtais à saucer le fond de ragoût. Elle avait plissé les yeux en me souriant. Une façon d’établir un peu de complicité entre nous au milieu du zi et zi et zi.
«Et voilà, propre comme un sou neuf.» Le père avait posé la casserole sur le rebord de l’égouttoir et la regardait avec fierté. Il reprit aussitôt, de plus belle: «Hein… Monsieur passe ses journées à la maison, enfermé dans sa chambre, à se tourner les pouces ou à se regarder dans la glace. Quand on lui demande d’aider à la vaisselle ou au ménage, il répond que ses mains ne sont pas celles d’un tâcheron! Ah ça, pour avoir de belles mains, tu en as des belles, t’inquiète pas, jusqu’aux ongles, qu’on dirait que tu t’es fait une manucure!» Le père ouvrit le robinet d’un coup sec et se lava les avant-bras. C’est sûr qu’on ne pouvait pas en dire autant des siennes – grosses mains aux doigts courts et larges, calleuses dans les paumes et sur les tranches. Il attrapa le torchon, le passa vigoureusement entre ses phalanges, puis le reposa.
Lentement, il se tourna vers moi: «Eh mon p’tit gars, tu m’écoutes quand je te parle?» Il avait la voix dure. J’en étais à vingt-neuf, vingt-huit, vingt-sept.
J’avais peur d’oublier un chiffre dans la liste. J’avais toujours le regard rivé sur l’assiette, la sauce formait des circonvolutions étranges, j’y voyais comme un visage avec des yeux énormes. Je sentis soudain un souffle sur ma nuque. C’était le père qui se tenait debout derrière moi. Il venait de poser la main sur mon épaule pour me secouer: «Oh? Tu m’écoutes quand je te parle» Pas de réaction. Je continuais à fixer mon plat. Je sentais les larmes se presser au bord de mes cils.
«Écoute, Michel, ça suffit maintenant. Fous-lui la paix!» C’était Bonnie. Maman dite Bonnie, Bonnie Cyclamen, parce qu’elle avait le cœur si bon et que ses paupières ressemblaient au cyclamen qu’on avait dans le salon. Ses yeux avaient la forme de deux pétales et cette même couleur étrange, d’un bleu tirant sur le mauve.
«Il est fatigué, le pauvre. Il a besoin de se reposer, qu’est-ce que ça change si c’est moi ou si c’est lui qui débarrasse la table?
– Ça change qu’avec une attitude de mère poule comme ça, monsieur n’en fout pas une ramée et qu’en plus il se fait servir!
– Pourquoi? Tu crois que tous les autres ils se font pas servir? Et sa sœur, elle se fait pas servir? Pourquoi tu es dur comme la pierre avec lui? Pourquoi tu t’acharnes?»
Le père gonfla ses bajoues et poussa un soupir d’énervement.
«Tu vois, Dolores, je pensais quand on a eu ce fils qu’on en ferait un homme. Plus de vingt ans après, qu’est-ce que je constate? Qu’on en a fait un bon à rien qui se fait entretenir!
– Michel! Tu perds la boule ou quoi? Qu’est-ce que c’est un bon à quelque chose? Hein? Tu peux m’expliquer? Por la sangre de Dios! Chez nous, c’est chez lui. Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse? Qu’on le mette à la porte?
– Que tu arrêtes de le couver comme si c’était encore un gosse!»
Il avait hurlé.
Bonnie servit le café qu’elle venait de préparer, prit une tasse et s’approcha du père. Elle regarda durement sa main posée sur mon épaule et fit un geste de la tête: «Lâche-le.» Le père me tenait fermement l’épaule. Elle répéta: «Lâche-le.» Je continuais à compter, cette fois-ci en sautant les chiffres impairs: douze, quatorze, seize… De plus en plus vite. »

Extraits
« Je leur faisais payer le prix pour m’avoir impunément mis au monde. Je serais la croix à porter sur leurs épaules d’hommes pour toute une vie d’homme. Ils ne m’avaient pas tué quand ils avaient vu mon visage cyanosé de bébé tenu pour mort à la sortie du ventre de la mère, ni petit quand on pensait que j’avais une tumeur au cerveau tant j’avais la tête grosse de migraines, ni adolescent quand j’avais l’impression qu’un autre respirait dans mes hanches, ni plus tard, quand les doctes docteurs avaient décrété en chœur que j’avais «des troubles relevant indubitablement de la psychiatrie»… Ils avaient tout fait, payant les meilleurs médecins, m’achetant les meilleures viandes, pour que je vive cette vie d’âme morte, d’halluciné. Le feu du charbon rougi pouvait bien tout dévorer jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien: justice serait rendue. » p. 18

« Le schizophrène n’a pas de projets d’avenir. Il ne peut pas. Pas d’avenir. Il n’a que le présent dégueulasse qui lui colle aux basques, pareil à un coureur qui voudrait faire un cent mètres avec deux boulets au pied – les calmants. Il ne sortira jamais de ses starting-blocks. C’est impossible. Il ne lui reste qu’à devenir encore plus fou qu’il ne l’est déjà, qu’à se mortifier, se scarifier pour dire sa haine de lui-même et à se retourner contre ceux qui l’enchaînent et le regardent impuissants – les médecins, les parents, les autres patients. Alors il devient un oiseau rapace au bec acéré prêt à déchirer toutes les carcasses environnantes, privant de joie et de vie les autres. Alors il devient Monster Schiz. » p. 67

« On se suicide pour échapper à la pression de la vie, pour se soustraire aux exigences minuscules et aux parades familiales de l’existence.
Parce que ça fout sacrément la pression, la vie.
Il avait écrit ça en gros sur un Post-it orange au-dessus du bureau à petits papiers et des packs de soda entassés, collé sur la grande glace dans laquelle il se regardait tous les matins. Il en était à six bouteilles de Coca par jour, quatre paquets de Gauloises, cinq plaques de chocolat… Les années passant, de jeune et fringant, il était devenu ce corps méconnaissable et avachi de quadragénaire grossi par la bouffe anarchique de boulimique schizo addict. Il était devenu un ventre d’obèse surtout. Il se voyait encadré par deux pattes folles et une tête fêlée. Son jogging gris cédait sur les coutures. Il le cachait maintenant avec un peignoir éponge blanc XXL qui avait noirci sur les manches et à certains endroits. Un peignoir de clochard. Il s’appelait à présent dans ses notes Bibendum. » p. 133

À propos de l’auteur
Sol Elias est romancière. Elle a publié son premier roman «Tête de tambour» en 2019. (Source : Éditions Payot et Rivages)

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Bianca

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Bianca
Loulou Robert
Julliard
Roman
306 p., 19 €
ISBN: 9782260029342
Paru en février 2016

Où?
Le roman se déroule principalement en hôpital psychiatrique, dans un endroit qui n’est pas nommé. Les dernières pages sont situées à New York.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Il n’est pas normal de refuser de vivre quand on a 17 ans.
Parce qu’elle devrait manger davantage et n’aurait pas dû s’ouvrir les veines à un si jeune âge, Bianca est admise dans l’unité psychiatrique pour adolescents de sa ville natale. Bianca ne s’élève pas contre cette décision. Elle ne se révolte pas. Même si elle ne voit pas en quoi le fait d’être enfermée et soumise à de multiples interdits peut atténuer la souffrance qui la détruit, Bianca se tait, obéit et regarde. Elle observe le monde chaotique qui l’entoure. Tous, médecins, soignants, patients et familles ont l’air si fragiles, si démunis… Aucun remède ne semble exister, aucune lumière ne paraît capable d’éclairer ce lieu opaque ou Bianca a le sentiment effrayant de s’être enfermée toute seule.
Et pourtant…
La vie est là. Les sensations, les émotions, les visages, les événements, les affrontements, les pulsions, les sentiments vous cernent et vous travaillent au corps. On peut croire qu’on ne sait plus vivre, on vit tout de même.
Et Bianca observe avec une attention scrupuleuse ce flot de vie inexorable qui, sans qu’elle n’y puisse rien, l’envahit, la ranime et la submerge.
Avec une retenue rare et une lucidité tranquille, Loulou Robert retrace le déroulé de cette traversée singulière.

Ce que j’en pense
***
Laissons de côté la presse People qui a choisi les belles photos du mannequin pour annoncer la sortie de ce premier roman ainsi que l’aspect « fille de», sinon pour souligner que le journaliste Denis Robert peut être fier de sa fille. Si les podiums et le réseau médiatique ont pu servir à propulser ce roman sur levant de la scène, c’est une bonne chose. Car ce récit mérite vraiment le détour.
Après Branques, le hasard aura voulu qu’à nouveau un séjour en hôpital psychiatrique soit à nouveau le sujet principal du livre. Cette fois, la narratrice a 17 ans et se retrouve, sur recommandation de ses parents, dans une unité de soins qui va tenter de soigner un profond traumatisme qui a notamment conduit à une anorexie sévère. À ses côtés, deux autres jeunes filles, Clara qui brûle sa vie dans les paradis artificiels et Juliette, une enfant consumée par l’inceste. Parmi les autres pensionnaires, il y a aussi deux garçons, Simon puis Raphaël et un homme âgé, Jeff. Ce dernier explique : «Quand ma fille est partie, ma femme et ma raison m’ont quitté». On ne pourra qu’admirer sa lucidité et son courage quand on saura qu’un cancer est en train de la ronger.
Après le choc des premiers jours, l’observation détaillée d’un personnel soignant fort souvent atteint de névroses diverses et la visite de ses parents dont on dira simplement qu’ils ne sont pas pour rien dans l’état de leur fille, Bianca va nous offrir elle-même le meilleur des résumés: « Alors voilà. C’est l’histoire d’une jeune de dix-sept ans qui à force d’éponger des merdes se retrouve en hôpital psychiatrique. Elle y rencontre un garçon, il devient son meilleur ami puis, sans qu’elle s’en rende compte, elle tombe profondément amoureuse de lui. Il devient le seul. Elle a besoin de lui pour vivre, respirer, mais un jour, il part. Elle n’a plus d’air et ne veut plus continuer. Puis un nouveau garçon entre en scène, il lui fait reprendre goût à la vie, elle décide de ranger l’ancien dans un coin. Et vit sa relation avec le nouveau. Elle finit par tomber amoureuse. Et alors là, coup de tonnerre. L’ancien revient et elle se retrouve dans une pièce au milieu des deux. »
Eponger des merdes, comme elle dit, c’est entre autres voir ses parents se déchirer, sa mère mélanger alcool et antidépresseurs, son petit frère Lenny être ballotté dans une histoire familiale qu’il ne comprend plus, assister au suicide de son prof de sport, retrouvé pendu au bout d’une corde puis une fille de douze ans, qui flottait sans vie dans la piscine.
Avec Simon, puis avec Raphaël, elle va réussir à se construire, aidée également par Jeff et ses encouragements précieux: «il faut vivre fillette. A fond. Ne te gâche pas la vie avec ces conneries de dépression et d’hôpital. (…) Moi je te conseille de tout essayer, de tout aimer et d’être aimée. Trouve ce que tu aimes faire. Et fais-le, fillette ! Sans jamais regarder derrière.»
Si le personnel hospitalier n’apparaît qu’en filigrane, c’est que son rôle n’est guère reluisant. En proie à ses propres problèmes et pulsions, il est davantage là pour surveiller et punir, comme aurait dit Michel Foucault que pour soigner et guérir. Un aspect dérangeant, qui n’a guère été relevé, mais qui n’empêchera pas Bianca de s’en sortir… en nous proposant de réfléchir à la société dans laquelle baignent les adolescents d’aujourd’hui et sur le manière dont ils peuvent se construire.
« En entendant le mot « psychiatrie », j’ai pensé qu’ils m’envoyaient chez les fous. Aujourd’hui je me rends compte que ce n’est pas nous qui sommes fous, c’est le monde qui est fou. Et si on est abîmés c’est parce qu’on s’en est aperçus.
Personne n’est normal, la normalité, ça n’existe pas. C’est juste un mensonge de plus. »

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Les premières pages du livre
« Je m’appelle Bianca. C’est ma mère qui a choisi ce prénom. C’est son côté « Américaine » même si l’Amérique, elle connaît pas. Il y a un mois jour pour jour, assise dans mon salon en compagnie de Teddy, le chat de la maison, je regardais la télévision. Teddy dormait, les lignes de ses lèvres supérieure et inférieure me souriaient. Il avait l’air bien. Je me suis dit que si je fermais les yeux et laissais tout aller, je sourirais peut-être comme lui. Les lignes bleues qui sillonnent mes poignets ont été inondées de rouge, du rouge sur le sol, sur mes vêtements. Au moins, ce n’était plus tout noir. Au moins il y avait de la couleur.
Aux Primevères, l’unité psychiatrique pour adolescents de l’hôpital de ma ville, ils pensent que ce n’est pas normal de vouloir mourir à seize ans. Alors ils nous font faire de l’équitation, de la pâtisserie, du théâtre. Comme si monter sur un poney pouvait résoudre quoi que ce soit.
Le premier jour est le pire, parce qu’on se rend compte que rien ne va plus, parce qu’on a peur, parce qu’on ne sait plus, parce qu’on est seul. Les infirmiers posent toutes sortes de questions : « À quel lycée tu vas ? « , « Qu’est-ce que tu aimes faire de tes journées ? « , « Comment tu te sens ? « . Des questions à la con auxquelles on ne peut pas répondre.
On peut mentir en souriant ou oser dire la vérité. Dire que rien ne va, que le lycée on le hait et qu’à force d’aller mal on a oublié ce que l’on aimait faire. Rares sont ceux qui osent dire la vérité.
Simon, lui, a osé. Simon, lui, il ose tout.
Simon voulait dormir. Lexomil, Stilnox, Anafranil, Laroxyl, Atarax, LSD, Doliprane, Moclamine. Il a pris toutes sortes de comprimés. Blancs, ronds, carrés, ovales, poussières. Une gorgée de Coca, une de whisky et il se fait couler un bain. Il fume, le bain est prêt, il s’y allonge et commence à planer. L’eau lui caresse les narines. Elle détend ses muscles, les cachets se chargent du reste. Il ferme les yeux, son dos glisse. L’eau continue de couler. La fumée se glisse sous la porte. Sa mère l’a trouvé et deux jours plus tard il est arrivé aux Primevères. Il ne parle pas beaucoup. Moi non plus. Le silence rapproche quand on le comprend.
Simon a les cheveux bruns, une cicatrice sur la joue et voue un culte au ketchup. Tartine de ketchup, pâtes au ketchup, brocoli au ketchup. Ça doit venir de son enfance. Peut-être qu’il a vu sa mère faire l’amour avec son demi-frère dans la cuisine et que sur la table il y avait du ketchup ? Peut-être que c’est sa couleur, celle du sang, de la colère, du rouge à lèvres. Le rouge. À vrai dire, je n’en sais rien. L’autre jour, il m’a raconté que sa mère était une pute, qu’il préférerait crever plutôt que de devoir la revoir un jour. Il avait une trace de ketchup au coin de la bouche. Ça confirmait ce que je pense : les mères, ça fait chier. Et puis il m’a demandé si on pouvait baiser. Je trouvais ça un peu glauque mais après tout pourquoi pas. On l’a fait dans la salle de bains. C’était pas terrible et depuis j’ai un bleu au-dessus des fesses à cause du robinet. Maintenant on ne baise plus, on parle. J’aime beaucoup. Simon me fait rire. Et c’est rare de rire ici. Sauf quand on voit arriver Édith le matin.
Édith est une infirmière. La gentille. Elle porte toujours de drôles de choses, tee-shirt Minnie, mascara mauve et chaussures de montagne. La regarder, c’est comme faire un tour à Disneyland. Ça fait voyager, ça fait oublier. Ses trois enfants sont passés une fois avec leur papa lui dire bonjour. Édith a râlé, elle ne voulait pas qu’ils viennent ici. Je crois qu’elle ne voulait pas qu’ils nous voient. On fait peur. Le plus jeune a demandé pourquoi j’étais comme ça, pourquoi je ne mangeais pas. Il doit avoir l’âge de mon petit frère, Lenny, cinq ans. À cet âge-là, on ne comprend pas toujours. On voit, on sent, on enregistre et un jour tout revient. Il me fixait. C’est vrai que je fais le poids d’une gamine de dix ans. Je lui ai souri et sa mère est venue le chercher. Elle était gênée, moi aussi. Les larmes montaient, je suis allée m’enfermer dans ma chambre.
Murs jaunes et sol en lino, ma chambre sent l’hôpital. L’odeur s’infiltre par les pores de ma peau. Je pue. J’ai envie de sauter par la fenêtre, mais je ne peux pas puisque aux fenêtres il y a des barreaux. Ils disent que c’est par précaution. Moi je ne dis rien, si ce n’est que ce n’est pas normal qu’il fasse quarante degrés dans ma chambre et que l’on ne puisse même pas ouvrir les fenêtres. Je la partage avec deux autres filles.
Clara est arrivée le même jour que moi et je n’ai toujours pas entendu le son de sa voix. Je crois qu’on a le même âge, elle est un peu plus petite que moi, blonde avec deux grands yeux bleus. L’autre nuit, je m’apprêtais à rejoindre Simon dans le couloir. On aime bien observer l’infirmier de nuit qui se branle en regardant des films pornos dans le bureau. Moi je trouve ça dégueu mais plutôt marrant, par contre Simon, je crois qu’il aime vraiment ça. Peut-être que ça l’excite, je préfère ne pas y penser. Je me suis approchée du lit de Clara, elle gémissait dans son sommeil. Sa main sur sa culotte. J’ai lu l’effroi sur son visage. Je suis retournée dans mon lit, je n’avais plus envie de rire.
L’autre fille de ma chambre s’appelle Juliette, très jeune, elle ne parle pas non plus. Une enfant consumée. Elle lève la tête. Je me vois dans ses yeux, traversée.
Elle est arrivée hier. Welcome to paradise, Juliette. »

A propos de l’auteur
À 22 ans, Loulou Robert a déjà démarré une brillante carrière de mannequin en France et aux États-Unis. Elle a déjà publié une chronique de mode dans Elle. Bianca est son premier roman. (Source : Editions Julliard)

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Focus Littérature

Branques

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Branques
Alexandra Fritz
Grasset
Roman
160 p., 17 €
ISBN: 9782246861652
Paru en mars 2016

Où?
Le roman se déroule principalement en hôpital psychiatrique, dans un lieu qui n’est pas nommé.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Voici la chronique de deux filles et deux garçons internés dans un hôpital psychiatrique. Jeanne, qui y tient son journal, tente de comprendre son basculement dans « l’anormal » et de disséquer à vif les raisons de son amputation de liberté. Rageuse, pugnace, elle a pour compagnons de « branquerie », comme elle dit, Tête d’Ail, Isis et Frisco. L’un obsédé sexuel, l’autre pédante philosophe, tous transpercés par le désir amoureux autant que par la solitude, par des idéaux de justice comme par des pulsions suicidaires. A très exactement parler, ils en bavent. Avalant des gouttes et digérant des cachets, ils refusent d’être assimilés à une faune hallucinée souvent obèse et déprimante, où les médecins ne sont pas les moins dérangés de tous. Comment ne pas crever de tristesse et de rage ? Dans un quotidien absurde, le sarcasme cautérise les plaies. Que va-t-il arriver à ces quatre personnages dérisoires comme l’humain, attachants comme la faute ? Un premier roman pareil à un rire dans la nuit.

Ce que j’en pense
**
Sans l’opération 68 premières fois, j’avoue que je n’aurais pas ouvert ce livre, sans doute un peu effrayé par le sujet, la chronique d’un hôpital psychiatrique vu du côté des internés. Ma dernière « visite» de ce genre d’établissement remonte au best-seller de Ken Kesey, Vol au-dessus d’un nid de coucou et à l’essai de Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique. Un auteur qu’Alexandra Fritz a du reste choisi de mettre en exergue de ce premier roman, en une sorte de manifeste qui se propose de nous livrer un texte «à la fois bataille et arme, stratégie et choc, lutte et trophée ou blessure, conjectures et vestiges, rencontre irrégulière et scène répétable.»
Objectif atteint ! Les quatre pensionnaires que l’on suit dans ce roman et qui répondent au doux nom Jeanne, Tête d’ail, So-called Isis (SCI) et Frisco vont nous émouvoir et nous révolter, remettre en cause nos certitudes et nous pousser à la réflexion sur la frontière qui peut être très ténue entre la raison et la folie.
Alexandra Fritz remet très vite les coucous à l’heure, si je puis dire : «Une fois cataloguée dingue de service, je n’ai plus aucune chance de vivre à la même hauteur que les autres, certainement aussi fous ou plus dangereux, mais pas attrapés par les blouses blanches».
Des quatre destins qui nous sont détaillés ici, celui de Jeanne occupe pratiquement la moitié du livre. Dans son journal, le quotidien entre les quatre murs de l’hôpital est décrit avec une précision. À la fois observatrice de cet univers carcéral aliénant et actrice d’un scénario qui a fait de sa vie un drame permanent.
Frisco, Tête d’ail et SCI ne sont pas mieux lotis, apportant «la preuve vivante qu’on peut avoir tout donné, plus rien à espérer et quand même tout à craindre et continuer à se faire chier la vie à parler pendant des heures, à essayer de siffler juste et à boire de l’eau dans un parc à la con qu’on peut arpenter que de là et là et de tant à tant et vous allez vous en sortir, vous n’êtes pas anormale».
Dans une langue syncopée, travaillée pour rendre au mieux ce qui se joue dans les têtes des protagonistes, Alexandra Fritz déroutera sans doute plus d’un lecteur. Il ravira en revanche les amateurs de hard rock et de poésie, quelque part entre Janis Joplin et Arthur Rimbaud, cerveaux illuminés avant de sombrer.
C’est qu’un matin d’avril, un beau cavalier pâle,
Un pauvre fou, s’assit muet à tes genoux !
Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle !
Tu te fondais à lui comme une neige au feu :
Tes grandes visions étranglaient ta parole
– Et l’Infini terrible effara ton œil bleu !

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Extrait
« Comme tant de rescapés de camps l’ont rapporté, il est indispensable pour survivre à l’enfermement de savoir où l’on en est dans le temps. Un humain livré à lui-même dans l’isolement ou la consignation, dont on a ôté la part de société qu’est la marque officielle du temps illustrera son intelligence dans la création d’un système de repères de fortune, sa survie psychologique en dépend, son humanité tout entière. »

A propos de l’auteur
Alexandra Fritz, 37 ans, est animatrice culturelle et bibliothécaire. (Source : Éditions Grasset)

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