Biche

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Finaliste du Prix littéraire les Inrocks

En deux mots
Gérald et son chien Olaf partent pour une nouvelle partie de chasse. Autour de lui, un groupe de chasseurs et Linda qui mène la battue. Après un premier coup de feu, les animaux sont avertis et cherchent un refuge. Alan, le garde-chasse, aimerait que la traque prenne fin alors que l’orage gronde.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

Biche, ô ma biche

Dans ce premier roman, Mona messine imagine une partie de chasse qui va virer à la tragédie. Sous forme de conte écologique, elle explore avec poésie et sensualité les rapports de l’homme à la nature.

La puissance et le pouvoir sont au rendez-vous de cette partie de chasse. Entre les humains et les animaux, le combat est inégal, même s’il n’est pas joué d’avance. La biche et sa petite famille ont appris à se méfier des prédateurs et ont pour avantage de parfaitement connaître les lieux.
Mais c’est aussi ce qui excite Gérald, le roi des chasseurs. Accompagné de son chien Olaf, il aime jouer à ce jeu ancestral, partir sur la piste de la bête et, après l’avoir débusquée, l’abattre et agrandir tout à la fois sa salle des trophées et son prestige. Les autres chasseurs sont pour lui plutôt des gêneurs. Surtout lorsqu’ils leur prend l’envie d’emmener avec eux leur progéniture et leur apprendre les rudiments du métier. C’est aujourd’hui que Basile abattra sa première caille, mais ce tir qui fait la fierté de son père est pour Gérald l’assurance que désormais la faune est aux abois et que sa traque n’en sera que plus difficile.
Mais il peut compter sur Linda. Celle qui mène la battue se verrait bien aussi en proie offerte au maître des chasseurs. Une partie loin d’être gagnée, elle aussi…
Dans ce conte écologique, on croise aussi un jeune garde-chasse qui a conservé du film Bambi un traumatisme qui n’est pas étranger à sa vocation de protéger la faune et la flore. Alan entend faire respecter les règlements aux chasseurs, faute de pouvoir leur interdire de pratiquer leur loisir.
En ce dimanche gris et pluvieux, le scénario imaginé par les prédateurs va connaître quelques ratés. L’orage gronde…
Mona Messine, d’une plume pleine de poésie et de sensualité, a réussi son premier roman qui, en basculant alors dans la tragédie, nous offre une fin surprenante. Elle nous rappelle aussi qu’on ne s’attaque pas impunément à la nature. Elisabeth, la vieille biche et Hakim le petit hérisson peuvent jubiler: de héros de dessin animé, ils viennent de basculer dans la mythologie qui voit les chasseurs tels Orion se transformer en poussière d’étoiles.

Biche
Mona Messine
Éditions Livres Agités
Roman
208 p., 18,90 €
EAN 9782493699008
Paru le 18/08/2022

Où?
Le roman est situé en France, principalement dans une forêt qui n’est précisément située.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Dans la forêt. Une partie de chasse s’organise, menée par Gérald, la gâchette du coin. Devant lui, son chien Olaf piste la trace. Au loin, les traqueurs rabattent le gibier sous les ordres de Linda, un vieil amour qui n’a pas totalement renoncé à lui. Alan le garde-chasse a le cœur en morceaux. Ce soir, il le sait, les biches seront en deuil.
Mais en ce dimanche plus gris que les autres, une tempête approche. La forêt aligne ses bataillons. Les animaux s’organisent. Les cerfs luttent sous l’orage. Et une biche refuse la loi des hommes.
Biche est un conte écologique haletant porté par une plume aussi poétique que tranchante, qui nous plonge au cœur de la forêt, au cœur d’une nature en émoi, et nous rappelle que la terre, en colère, peut gronder sous les pieds des hommes.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Les Inrocks (Léonard Billot)
RTS (Céline O’Clin)
RFI (De vive(s) voix)
La Marseillaise (Jérémy Noé)
Podcast (Parole d’animaux)
Blog Aleslire
Blog Shangols
Blog Sonia boulimique des livres


Mona Messine présente son livre Biche © Production Les livres agités

Les premières pages du livre
« CHAPITRE PREMIER
Le chant des arbres balayait tous les bruits alentour, inutiles. La biche racla du museau le sol pour remuer la terre et dénicher des glands. Sous un tapis de feuilles, elle en trouva quatre, ratatinés sur eux-mêmes, amassant en même temps des brins d’herbe séchée et des aiguilles de pin qui, sans qu’elle s’en aperçoive, resteraient collés sous son menton. Derrière elle, les feuillages prenaient la lumière d’un commencement de soleil, des liserés d’or sur leur pourtour.
La biche repartit vers la harde. C’était l’aurore, plus aucune de ses compagnes ne dormait. Sous ses pas filaient les mulots à l’approche du jour. Lorsqu’elle arriva dans la clairière, les faons qui s’éloignaient pour explorer les abords du terrain revinrent sur leurs traces. Ils aimaient à la suivre car elle devinait toujours le meilleur sentier, celui qui les empêcherait de trébucher. Elle leur montra du museau la bonne route, et la ribambelle d’animaux la suivit.
Elle était plus petite que les autres, mais aussi plus agile. Son intuition surprenait. Du fond de son ventre, elle connaissait la forêt, même les endroits où elle n’était jamais allée. Elle vivait avec son élément. La biche et la forêt : deux pieds de ronces imbriqués l’un dans l’autre, qu’on ne voudrait pas démêler. C’était par instinct qu’elle débusquait sa nourriture, en harmonie avec les saisons. Elle apprenait aux petits la gastronomie des baies, à trier les fruits tombés au sol, tandis qu’autour croissaient ou mouraient les arbustes.
Les faons trottinaient autour d’elle. Le dernier-né du groupe, qui avait vu le jour en retard sans que personne sût pourquoi, se jeta sur elle et tenta de la téter. Elle ne possédait rien pour le nourrir et le repoussa d’un mouvement rapide et sec. La biche était une jeune femelle à la robe cendrée, venue au monde au printemps de l’année d’avant, cible récente de ses premières chaleurs. Un mâle subtil lui aurait vu une démarche altière, mais elle ne pouvait le savoir ; elle bougeait avec la grâce des enfants qui ont confiance et vivent sans réfléchir, sans avoir peur.
Lorsqu’elle avança dans la forêt, aucun lézard ne frémit au son de ses pas, mélodieux et rythmés. S’ils se montraient hésitants, ce n’était que par délicatesse à l’endroit des feuilles mortes. Il y en avait une couche importante ; nous étions aux premières lueurs de l’automne. Elles formaient un manteau qui protégeait le sol comme dans toutes les forêts, édredon dégradé d’orange et nuances de marron, se putréfiant lentement dans la boue et le noir au fur et à mesure de la saison qui se hâtait.
La forêt aux essences européennes produisait principalement des chênes, des châtaigniers et, à sa lisière, de rares épicéas. Fin septembre, des branches se dénudaient et les couleurs se fondaient entre elles. Seul l’œil affûté de la biche en percevait les chatoiements. Elle croqua dans l’akène, balaya d’un revers de pied ceux parasités de vers. Elle mâcha, profita de l’instant pour étirer ses membres les uns après les autres et avala son repas. Elle mordilla l’une de ses camarades par affection et par jeu, se fit cajoler en retour. Le soleil se levait et avec lui une lumière crue, voilée à sa naissance par un dernier semblant de brume qui n’allait pas plus haut que quelques pouces au-dessus de l’horizon. Les rayons transperçaient le tronc des arbres les plus larges, indiquaient la violence de la couleur du ciel ce matin. Un foulard doré se tendit sur la forêt. Le groupe s’apprêtait à s’y enfoncer. Les faons s’étaient rassemblés autour de la biche : elle guiderait la file.
* * *
À l’opposé du massif, le chasseur ferma sa thermos de café à peine entamée, promise à son retour. Il la rangea à l’arrière du coffre de sa voiture sur laquelle s’appuyaient d’autres chasseurs, vêtus de vestes et treillis. Aucun n’avait de raison de penser que ce jour-ci serait différent. Ils cherchaient du gibier, et avec un peu de chance tueraient une belle pièce dont ils pourraient s’enorgueillir. C’était leur loisir, leur identité. Il n’y avait pas de sujet de morale ou de sensibilité. Il n’en était pas question ici.
Ils houspillèrent leur ami : Gérald devait se dépêcher pour qu’ils profitent du lever du jour, de la brume qui déjà s’estompait, de la rosée scintillante qui bientôt s’évaporerait. Gérald jongla avec l’impatience des hommes et des chiens et sa lenteur légendaire. Il n’était pas vif, mais il était précis. Les années précédentes, il était rentré parfois bredouille, manquant de belles occasions. Il n’était pas aisé de chasser à ses côtés ; on se mettait souvent en colère contre lui. Mais lorsqu’il armait son fusil, il ne ratait rien. Il marchait dans la forêt comme en son empire. Les autres chasseurs se levèrent et ajoutèrent à leur équipement les derniers soins. C’étaient une gourde à remplir, un lacet à renouer, un harnais à réajuster. Leurs mains astucieuses réalisaient des gestes ordonnés.
Gérald referma le coffre d’un bruit qu’il souhaita le plus faible possible. Son beagle, habitué au silence, grogna. Une mésange charbonnière s’envola vers l’ouest. Le chien, vif et hargneux, prenait parfois le dessus sur les ordres de son maître. Rien n’était plus dangereux que ces moments pour le groupe, quand l’un d’entre eux, fût-ce un chien, désobéissait.
Le chasseur, muni de son arme et de ses munitions, rejoignit en quelques pas le sentier pour entrer dans la forêt. Les arbres, trois fois hauts comme lui pourtant déjà grand, ombrageaient tout son corps. La température de l’air dans le sous-bois assouplit ses membres. À sa démarche, quelqu’un s’esclaffa : « Moins leste ! Tu vas faire fuir les plus belles biches. » La moquerie revenait souvent. Il n’y prêta pas attention, à peine eut-il une respiration plus longue. Il effrayait certaines proies, mais les plus grandioses des animaux capturés étaient toujours pour lui. C’était l’une de ses fiertés, les têtes empaillées accrochées aux murs de sa salle à manger l’attestaient. Les plus belles prises lui appartenaient, invariablement.
L’année s’avérait chanceuse, mais il n’avait pas encore emporté un gibier vraiment spectaculaire. Il voulait être le premier. C’était pour aujourd’hui, il le sentait. Toutes les conditions étaient réunies. Sur ses talons, le chien Olaf suivait de près. Ensemble, ils attendraient le signal des traqueurs, en place pour rabattre les animaux. À l’abri des arbres, à l’abri des regards. Ils n’avaient qu’une heure ou deux pour se mettre en position pour tirer. Quand le vent n’était pas levé, comme ce matin, le chasseur pouvait percevoir que la battue serait fructueuse. C’était un calcul, plutôt qu’une intuition. Il flairait l’odeur de l’humidité, imaginait les faons le museau sur les mousses. Ceux-ci ne seraient pas à l’affût avant de croiser sa route. Il avait plus de chances si les proies ne se doutaient de rien, c’était juste une histoire de choc. Il craignait le craquement des feuilles mortes sous son poids. Avancer sans bruit serait le premier exploit à accomplir. La condition de réussite. Il comptait sur l’étrange communion des arbres de la forêt pour couvrir sa présence.
Il marchait et mâchait dans le vide de ses grosses molaires usées, langue pâteuse, visage gonflé. Il semblait engoncé dans ses couches de vêtements mais chacune était nécessaire et parfaitement étudiée. Les quatre pattes tendues de son compagnon, sèches, dépouillées, complétaient ce tableau. Le chien et son maître représentaient l’un et l’autre un versant de la chasse. Ils avançaient en regardant droit devant eux, concentrés. Ici, il n’y avait pas encore d’animaux sauvages mais ils démontraient à chaque seconde qu’ils étaient le meilleur équipage. Alors que tout son corps se gargarisait à l’approche des animaux, seul enjeu du jour, Gérald n’avait aucun doute sur sa place parmi les chasseurs. À lui la chair et la gloire, tandis que les autres s’amusaient encore à écraser des champignons avec des bâtons pour en voir sortir la fumée. Ces nigauds manquaient grandement de sérieux, jusqu’à ce que l’un d’eux identifiât sous leurs pas des traces de sabots.
Le chasseur portait un fusil qu’il affectionnait particulièrement. Il l’avait choisi ce matin parmi la collection qu’il gardait dans sa remise, pour qu’il soit adapté aux conditions météorologiques qui s’annonçaient capricieuses. Au fond, c’était celui qu’il préférait, mais il s’interdisait d’emporter la même arme à chaque fois, préférant s’entraîner avec d’autres modèles pour affiner sa pratique, pour la beauté du sport. Les cartouches étaient suspendues à son gilet de chasse. Elles se déployaient contre lui de son torse à sa hanche. Il aimait ça.
Gérald était fils de chasseur, petit-fils de chasseur et, il pouvait parier dessus, père de chasseur, à la façon dont deux de ses fils le dévisageaient, remplis d’admiration, lorsqu’il rentrait en tenant par les oreilles un bon gros lièvre mort. Le troisième détournait souvent les yeux des viandes qu’il rapportait, refusant parfois de les déguster avec le reste de la famille malgré la délicate sauce au vin réalisée par la voisine de palier et les heures de cuisson. Garçon sensible. Les chasseurs préféraient le métal des cartouches à la douceur d’une fourrure, le froid de trente-six grammes de plomb qui les rendaient vivants. Tous leurs sens étaient en éveil. Un dimanche de chasse, c’était enfin leur mise à l’épreuve.
Personne n’avait jamais manqué de munitions, mais Gérald en avait emporté ce matin plus que de mesure. C’était une sécurité, une libération de son esprit pendant l’exercice. Il ne se sentait jamais mieux que surchargé. Il pouvait alors parer à tous les possibles, toutes les éventualités. « Robinson », le surnommaient les autres pour signifier qu’il se débrouillait partout. Le chasseur ne comprenait pas. Robinson Crusoé était frugal et ne possédait rien. Lui, au contraire, pouvait subvenir à tout grâce à son matériel de pointe : porte-gibier, appeaux, couteau à dépecer. Chacun de ces éléments choisis avec soin le remplissait de fierté. Il s’était préparé minutieusement. Un travail de long terme. La technique et les objets au service de son œuvre.
Ce matin lui sembla pareil aux autres : fraîcheur, éveil de la forêt, mise en jambes. Ses pas s’imprimaient pour l’instant sur le chemin de poussière. À l’orée de la forêt, il restait quelques sentiers sans terre mouillée, régulièrement ratissés par les gardes forestiers, sauvegardés des pourritures qui allaient survenir dans l’hiver, protégeant les chevilles des promeneurs même si l’on espérait qu’il n’en viendrait pas tant. Autrefois, Gérald portait des chaussures davantage adaptées à la randonnée. Un jour, il avait dû attendre trois heures sous la pluie qu’un chevreuil qu’il aurait pu tirer, occulté de son champ de vision par le tronc d’un arbre, ne se décide à avancer ou reculer pour qu’il puisse l’atteindre. L’animal avait cessé de trembler en quelques secondes et s’était révélé incroyablement immobile. Seule sa fourrure avait ondulé. Le chasseur était rentré chez lui les pieds amollis et fripés. Il avait conservé un rhume plusieurs jours après l’épisode. Dépecer la carcasse du chevreuil, qu’il avait évidemment fini par abattre, n’avait pas suffi à le consoler et il pesta de longues soirées sur ses poumons imbibés. Il avait senti encore longtemps après le froid dans ses orteils. Il n’avait pas aimé qu’on le prenne au dépourvu et en avait parlé durant des semaines, porté par une étrange dépression. Comme si le chevreuil et la pluie l’avaient défié tout entier. Alors, il avait adopté les bottes et changé plusieurs fois de paires, au rythme de rencontres malencontreuses avec des sardines de campeur ou d’usure insurmontable. L’été, Gérald craignait leur rupture, avec les cuirs et les caoutchoucs malmenés par la sécheresse après des temps plus humides. Lorsque la chasse n’était pas encore ouverte, il effectuait des rondes de repérage pour voir si quelque chose avait modifié l’organisation de la forêt ou le comportement des animaux. Il avait besoin de savoir à quoi s’attendre quand la saison débuterait. De maîtriser l’espace, le connaître par cœur, s’y mouvoir sans penser. Prendre ses marques. Imprégner aussi son existence dans la forêt.
Les bottes laissèrent cette empreinte qu’il se plairait à reconnaître en rentrant ce soir. Il marcha sur le rebord d’un fossé, le chien sur ses talons, et s’arrêta soudain sur une crête, pensif et troublé. Il avait oublié d’aller pisser. Il délaça sa ceinture d’une seule main, en un geste furtif. C’était maintenant qu’il fallait s’y coller ; plus tard, les animaux le sentiraient. Le liquide se parsema en rigoles de part et d’autre du trou, sur la surface d’impact. Une fougère se rétracta, importunée par la présence humaine. Le chasseur surplombait de quelques centimètres le reste de son équipage. Il rit, débordé par le sentiment de puissance de se soulager debout. D’habitude, à cette heure, régnait une odeur d’humus. Les effluves d’urine acidifièrent l’air et lui tordirent la bouche. Il se rhabilla prestement, racla ses chaussures dans la terre comme sur un paillasson et poursuivit sa route. Personne ne commenta.
Le groupe de chasseurs s’arrêta devant le poste forestier. Leurs visages illuminés de plaisir s’alignaient, rosés, étirés, devant la parcelle. Tous saluèrent le garde débarqué là par hasard, la personne « en charge ». Ils n’avaient pas d’affect pour ce jeune type dégingandé qui, selon eux, ne connaissait pas vraiment leur forêt. Le gamin, en âge d’être leur fils, leur souhaita la bienvenue puis énuméra les quotas de chasse. Naïveté ou tolérance, il ne faisait que rappeler les règles mais n’allait jamais plus loin dans l’inspection des besaces. Ni avant ni après. Les chiens, incapables de rester immobiles, paradaient autour de leurs maîtres, pressés d’entrer en scène. Le garde les dénombra, inquiet pour ses propres mollets. Ils glapissaient, le poil brillant, les yeux attentifs. Leurs maîtres voyaient en eux les symboles de leur identité de chasseur.
Le groupe indiqua au garde forestier qu’ils allaient pénétrer la forêt, comme si cela n’était pas évident. Ce n’était pas une démarche obligatoire mais ils y tenaient, à cette façon de montrer patte blanche. Le jeune homme, flanqué de deux oreilles décollées et d’un regard gentil, apprécia l’attention et les remercia d’un mouvement timide de la tête après avoir proféré quelques lieux communs sur le climat de la journée, les températures et le risque de pluie, précisions dont ils n’avaient pas besoin, forts de smartphones et de leurs méthodes. Ils partagèrent leur hâte de retourner sur le terrain, tout en discipline.
Le garde établit avec le dernier chasseur de la troupe les bracelets de chasse qui donnaient à chacun le permis de tuer tant et tel gibier. C’était une discussion de politesse, comme on commente une marée au port ou le goût du café au bureau. Le garde joua avec les lanières de sa bandoulière de cuir pendant toute la conversation. Il n’était pas friand de mondanités. Il avait revêtu des couleurs camouflage tandis que jeans et baskets avaient été observés sur ses prédécesseurs. Comme un jeune stagiaire portant la cravate en talisman, terrifié de paraître négligé, il voulait à tout prix se fondre dans un élément qui n’était pas encore sien. Il s’appelait Alan.
Le dernier chasseur, après avoir flatté son chien, lui demanda de faire moins de bruit lors de sa prochaine ronde. La semaine passée, sa conduite avait fait fuir un jeune cerf sur le point d’être abattu au bord de la forêt, ralentissant la chasse. L’homme s’avoua soucieux du plaisir de chacun des chasseurs et désigna du doigt les membres du groupe un par un pour les lui présenter. L’impatience de déambuler sur le grand terrain de jeu les animait tous. Ils écoutèrent leur porte-parole, chargés de l’espoir de ceux qui partent découvrir un trésor, puis reprirent leur conversation sur la beauté d’une espèce par rapport à une autre. Pendant un instant, Alan se dit qu’on trouvait de mauvaises excuses quand on ratait sa cible. Mais il acquiesça et serra la main du chasseur plaintif.
Après cette rencontre, les épaules des hommes se déployèrent. Le jeune homme les vit pénétrer la forêt, libres de s’être imposés face à lui, les deux pieds plantés dans le sol, les mains dans les poches. Les chasseurs se rangèrent instantanément par deux ou trois, chacun reconnaissant son partenaire préféré. Les pas se firent plus cadencés. Quelle joie pour eux de s’y trouver enfin ! Devant les premiers arbres, les chiens agitèrent leurs queues en pendule.
Alan se dirigea vers son pick-up garé à quelques mètres, dans lequel il s’installa en prenant garde à ne pas se cogner la tête, ce qui lui arrivait souvent. Ce matin, il commencerait sa patrouille dans le sens inverse de son rituel. Simplement pour changer, par plaisir, ce qui l’empêchait, déclarait-il, de tomber dans la routine. Le véhicule projeta quelques cailloux sur les rebords des fossés au démarrage, mais le groupe de chasseurs s’était déjà éloigné et ne fut pas gêné. La voiture secoua des branchages, des buissons, et Alan se sentit coupable de les abîmer. Il lança sa main vers la radio, la suspendit un temps en l’air. Puis il la laissa retomber sur le levier de vitesse. Sa mission à venir était trop sérieuse pour se distraire avec de la musique. Il réécouta seulement les prévisions d’une météo qui s’annonçait pitoyable. Il roula si lentement qu’il aurait pu toucher du bout des doigts chaque branche depuis la fenêtre du véhicule. Les arbres se débattaient. Il était désolé, mais il ne pouvait pas faire autrement que d’avancer.
L’air n’était chargé de rien. C’était un jour d’équinoxe. Dans le ciel, Mercure, haute parmi les constellations, sans qu’on ne pût la voir puisqu’il faisait maintenant à demi-jour, préparait avec délectation d’importants changements.

CHAPITRE II
Le garde forestier essaya de ne pas faire crisser les roues de son véhicule lorsqu’il opéra un demi-tour à la fin de sa ronde. La demande de silence du chasseur le contrariait. Habituellement, le passage du pick-up alertait les animaux qui partaient se cacher plus profond dans la forêt, comme un signal. Faire moins de bruit à l’aube signifiait gâcher une chance de survie pour le gibier. Alan savait que le chasseur lui avait précisément reproché le vacarme de sa voiture. Bien sûr, il ne voulait pas d’ennuis. Entre la vie des animaux et la demande du groupe, il avait officiellement choisi la loi. Après tout, ces chasseurs avaient obtenu le droit d’exercer leur loisir. Mais Alan restait sûr que sa maigre alerte pouvait changer le cours des choses pour quelques biches et faons.
Il lorgna de sa vitre les vastes étendues de campagne le long de la route qu’il connaissait par cœur. Des insectes vivaient là, en dessous des blés. Alan pensa aux drones que finançait l’Allemagne afin de réveiller les faons qui dormaient dans les champs et de les empêcher de se faire broyer par les moissonneuses-batteuses. Ici, lui seul pouvait veiller sur eux ; il soupira, entravé par le devoir humain.
Par précaution, il réalisa sa manœuvre en passant sur une semi-pente recouverte d’herbe séchée par le soleil, altérant l’adhérence des pneus, absorbant le son. Au moment de redresser son volant, il sentit le départ d’un dérapage incontrôlé. Un instant, son cœur bondit et il s’imagina retourné sur le sol. Il réussit sa reprise, évita l’embardée. Soulagé, il abaissa sa vitre de trois centimètres d’une seule pression sur la commande d’ouverture pour faire passer l’air frais. La brise pénétra l’habitacle et anéantit sa peur. Il l’oublierait jusqu’au lendemain.
Il rejoignit le sentier qui le conduisit à la route encerclant la forêt pour terminer sa boucle. Au croisement, il vit au loin un froissement parmi les branchages. Une ombre fugace, suivie d’autres ombres souples et rapides à s’enfuir, danseuses de ballet sur lit de terre bourbon, détala devant la voiture. Des biches, devina le garde, tout un troupeau et leurs faons. Il les avait aperçues presque tous les jours de l’été, mais elles se faisaient plus discrètes depuis la fin du mois d’août, date d’ouverture de la chasse. Elles devinaient la menace. Les cerfs, éloignés du groupe sauf pendant la période des chaleurs, portaient à présent leurs bois. Alan aimait les croiser, fantômes de bronze entre les arbres, mais cela ne durait jamais que quelques secondes. Certains de ses collègues se levaient dans la nuit pour les observer de près, jumelles, couches et surcouches de vêtements en renfort, mais pas lui. Ce qui le fascinait dans la forêt, c’était son mystère, tranquille et intouchable. Il avait conclu il y a longtemps qu’on ne pourrait jamais entièrement la connaître et cette idée lui plaisait car elle lui permettait d’être surpris tous les jours. Il ne ramassait pas les bois de cerf trouvés entre les troncs au printemps. Il imaginait des écosystèmes s’implanter à l’intérieur, des œuvres sculptées émerger du sol, un heureux collectionneur en randonnée s’en émerveiller. Il laissait vivre la nature et renonçait à son pouvoir d’homme.
Il gara la voiture et sortit, roula une cigarette de tabac biologique et la fuma. L’air qu’il expira se mélangea aux derniers filets de brume. Il huma l’odeur d’herbe humide puis écrasa le mégot dans la terre. Il identifia sur le bord du fossé des empreintes de cerf bien enfoncées. Les marques de doigts étaient visibles. Cela signifiait que l’animal était parti d’un bond, apeuré peut-être par une présence humaine. La sienne ? Il en doutait, se sentait trop sur le qui-vive pour ne pas avoir vu de cerf autour de lui, même les jours précédents.
Il ramassa son mégot et le déposa joyeusement dans le cendrier vide-poche. Il s’approcha des bords d’une futaie irrégulière et constata des entailles sur le tronc des arbres, à hauteur d’animal. Les cerfs avaient frotté leurs cors des mois auparavant pour perdre leurs velours. Il caressa le bois abîmé. Les écorces blessées n’étaient pas cicatrisées. Un éclat cuivré scintilla dans leur tranchée. Alan trouva précieuse la fluidité entre l’animal et la nature et se dit comme chaque jour que chaque chose avait sa place, les écureuils dans les arbres et les fleurs dans les clairières. La bruyère qui composait la première ligne de la forêt, inclinée vers l’extérieur pour accueillir les promeneurs, ne le contredit pas.
Alan, comme tous les matins passés dans cette forêt et dans toutes celles qu’il avait arpentées, ne pensait qu’aux biches. Il guettait leur passage et celui des faons entre les arbres. Il était obnubilé par elles depuis qu’il avait vu, petit, le dessin animé Bambi. Il en avait collectionné des figurines dès lors. Il se sentait auprès d’elles l’illustre représentant de toute une génération d’enfants en deuil. Il trouvait fascinantes les espèces dont l’apparence physique des femelles diffère de celle des mâles, souvent plus discrète, moins tapageuse : le canard mandarin au ridicule bonnet de couleur, le paon et son besoin de briller, le dimorphisme du lucane cerf-volant qui l’empêche d’avancer en souplesse.
Pour Alan, les femelles étaient plus intelligentes. Très tôt, il avait su qu’il exercerait un métier au plus près de la nature. Il venait pourtant d’une petite ville de notables où l’on adorait les routes bien goudronnées, les pelouses taillées au cordeau. Son père, policier, avait accepté sa vocation parce qu’il ferait partie de la noble famille des gardiens de la loi. Alan l’avait toujours trouvé brutal, son père, à l’image de la police, brutale.
Alan était un romantique, un lecteur de poésie sur coin d’oreiller, un écorché, passion Robin des Bois, de ceux qui œuvrent dans l’ombre. Il besognait pour libérer des pièges d’innocents bébés renards, pour l’amour des écureuils ; il sauvait comme il le pouvait, en cachette, les faibles et les opprimés. Les biches, surtout. Il soulevait un par un, chaque jour après chaque saison venteuse ou chaque attaque de sanglier, les barbelés ou les piquets qui s’affaissaient sur le sol pour qu’elles ne trébuchent pas.
Il nota l’emplacement où étaient passés les derniers animaux, prêt à rédiger son rapport à destination de l’administration de l’intercommunalité. Vie forestière, spécimens à surveiller, aménagements physiques à prévoir pour garantir la préservation des lieux, il était ici au cœur de son engagement : cisailler la forêt de ses sombres menaces, éviter à ses animaux préférés de se blesser. Vaillant, il faisait face à tous les agriculteurs pour sauver ses trésors à quatre pattes. Mais contre les chasseurs, il ne pouvait pas agir. C’était là son grand désespoir. Et revenait sans cesse au fond de ses cauchemars, dès que retentissait le bruit d’une balle tirée tout au long de l’automne, sa peur profonde d’enfant, la plus pure des tristesses incarnée par la disparition précoce de la mère de Bambi.
Alan ramassa un caillou sur le sol pour sa collection ; il n’en avait jamais vu de cette couleur. La pierre était d’un gris presque noir, légèrement irisé, comme par l’intervention de magie. Alan aimait les cailloux, les chenilles et les papillons. Son grand plaisir, en vacances, c’était d’arpenter le Colorado provençal, arc-en-ciel naturel, et, bonheur absolu, d’observer les nuits de neige. Il en devinait l’arrivée proche en scrutant le ciel déjà brillant. Mais la lumière était traîtresse, il le savait : ce soir, loin du fantasme poétique, du conte de fées, il pleuvrait avec force.
Lorsqu’il se réveillait chaque jour dans son appartement de fonction aux grandes vitres donnant sur les arbres, il était seul, absolument seul dans l’immensité, le bouillonnement de la forêt. Il observait de sa cachette les biches avancer vers lui, curieuses. Puis, dehors, dans la neige ou dans le sable, il traçait souvent la lettre « A », l’initiale de son prénom et de celui de sa mère, en veillant à ne rien abîmer du manteau protecteur des animaux en pleine hibernation. C’était le rythme de la nature qui l’animait, sa beauté. Il avait trouvé une autre manière que celle des chasseurs pour illustrer cette affection. Au lieu d’en épingler les symboles sur les murs, d’empailler des têtes, de collectionner des fourrures, il tentait de sauvegarder le souvenir de l’instant. La joie pouvait venir d’une queue leu leu de marcassins au printemps, du son du brame qui retentissait souvent, ou des restes de nids tombés des branches, qu’il replaçait comme il le pouvait. Contempler la singularité de chaque flocon de neige constituait sa rengaine. Alan, vaine brindille au milieu des grands arbres, sauveur de faisans fous, garde forestier ivre de son métier, rempart des biches contre le monde humain.
Il glissa le caillou dans sa poche et leva les yeux sur le bois qui s’étendait. Depuis la forêt en éveil, il entendit le début d’une ritournelle. Les ramures des arbres se balançaient au gré des courants d’air, les premières feuilles jaunies tombaient. Alan savait que sous ses pieds, des millions de vies s’activaient pour bâtir la forêt. Le sol était perclus de fourmilières et de souterrains, refuge des vers de terre qui ratissaient sous les plantations. À chaque pas, le garde se savait épié par ses amis de la faune et de la flore, milliards d’êtres vivants, Mikados, architectes, passagers, charpente de la forêt. »

À propos de l’auteur

Mona Messine©Stéphane Vernière- MS photographie
Mona Messine ©Stéphane Vernière- MS photographie

Écrivaine engagée, Mona Messine revendique l’égalité en littérature comme dans la vie. Mêlant récit de l’intime et combat féministe, elle publie ses textes en revue. Sensible à la démocratisation de l’écriture et de la lecture, elle a participé¬ aux ateliers d’écriture de l’école Les Mots, qui l’a révélée, et dont elle est aujourd’hui ambassadrice. Depuis, elle accompagne à son tour un public diversifié sur des projets d’écriture, en même temps qu’elle est apporteuse d’affaire pour des éditeurs. Elle imagine en pleine pandémie la revue littéraire Débuts, marrainée par Chloé Delaume, conçue pour promouvoir des auteurs inédits. Biche est son premier roman.

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Jusqu’au prodige

Mise en page 1  RL_2023

En deux mots
Après avoir été recueillie puis séquestrée par un chasseur, Thérèse décide de fuir à travers la montagne pour rejoindre son frère qui a pris le maquis. Son voyage initiatique va lui réserver quelques surprises.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

La petite fille entre en résistance

Dans son troisième roman, Fanny Wallendorf raconte la fuite d’une jeune enfant dans le massif du Vercors en 1944, à la recherche de son frère. Une quête initiatique dans une nature imposante.

Commençons par le commencement, en l’occurrence par le titre un peu énigmatique de ce court roman. La narratrice nous l’explique dès les premières pages, en soulignant que pour les chasseurs, le pistage « est une tradition dans le massif depuis des siècles, née avec la légende du Prodige, un grand renard noir qui habiterait dans la montagne et que seuls quelques individus apercevraient à chaque génération. (…) Il m’a simplement expliqué que le Prodige désignait initialement l’apparition de l’animal, qui avait fini par être baptisé ainsi. »
Le chasseur dont il est question ici est un homme brut de décoffrage qui a recueilli Thérèse, la narratrice, dans sa ferme au début de l’Occupation et qui la considère comme sa prisonnière. Mais comme la jeune fille l’assiste dans sa traque de toutes sortes d’animaux, il va lui délivrer ses secrets et son savoir-faire. Un « trésor » dont elle entend faire bon usage. Car elle a une promesse à honorer, retrouver son frère Jean qui a pris le maquis.
Après quatre années, elle se sent prête et s’enfuit dans la montagne. «La guerre se termine et je sais que tu seras au rendez-vous; rien ne peut troubler cette certitude. Valchevrière, que je ne connais pas, a été ma véritable maison depuis 1940. Mon corps était à la ferme Ségur mais ma tête et mon cœur logeaient là-bas. J’ai dessiné chaque jour mentalement la carte de la montagne. Et j’y suis maintenant, j’y suis. Je suis dans le rêve de ma fuite. Et je la sens cette terre de ma libération, je la sens, je la prends dans mon poing elle est humide, je hume son odeur, je suis vivante.»
Sera-t-elle rattrapée par le chasseur, par les Allemands ou réussira-t-elle à retrouver son frère? C’est tout l’enjeu de la dernière partie du livre.
Fanny Wallendorf joue avec les codes du conte pour suivre ce parcours initiatique, à commencer par la rencontre entre l’homme et l’animal alors pourvu de pouvoirs surnaturels et qui devient alors une sorte de guide en ces temps troublés.
Si Thérèse doit avant tout maîtriser sa peur, ce n’est pas à l’encontre de la nature, mais bien des hommes. Alors, à l’image des milliers d’hommes cachés dans ces massifs, elle entre à son tour en résistance.
On retrouve dans ce troisième roman le «nature writing» des Grands Chevaux (2021), mais aussi cette volonté farouche qui animait le sportif de L’Appel, qui nous avait permis de découvrir Fanny Wallendorf en 2019. On y retrouve aussi cette écriture claire et directe qui n’hésite pas à aller vers le merveilleux et la poésie.

Jusqu’au Prodige
Fanny Wallendorf
Éditions Finitude
Roman
104 p., 14,50 €
EAN 9782363391766
Paru le 6/01/2023

Où?
Le roman est situé principalement en France, dans le Vercors, du côté de Valchevrière. On y évoque aussi Arras.

Quand?
L’action se déroule de principalement de 1940 à 1944.

Ce qu’en dit l’éditeur
Thérèse est retenue prisonnière par le Chasseur. Elle est chargée de nourrir les animaux qu’il garde captifs avec un plaisir pervers. Un matin, la jeune fille trouve enfin le courage de s’enfuir, de quitter cette sinistre ferme où les hasards de l’Exode l’ont conduite. Elle court, court à perdre haleine à travers la forêt, et la nature se fait complice, apaise sa terreur et la protège de la noirceur des hommes. Sauvage et ardente, elle fuit à travers la montagne, portée pendant trois jours et trois nuits par le désir insensé de retrouver son frère, de tenir la promesse qu’elle lui a faite. Trois jours et trois nuits pour retrouver son passé et son avenir, dans un paysage où bêtes et hommes se cachent pour survivre ou pour tuer.
La poésie de l’écriture de Fanny Wallendorf, toute en émotion, illumine ce roman aux allures de conte.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
En Attendant Nadeau (Marie Étienne)
RTS (Céline O’Clin)
Toute la culture (Julien Coquet)
Charlie Hebdo (Yannick Haenel)
Blog K-Libre

Les premières pages du livre
« À la lisière du bois, après la pancarte indiquant Les Roches Bleues, prendre le deuxième sentier à droite, s’enfoncer dans la Forêt Feuillue jusqu’au cours d’eau, l’enjamber et continuer plein Ouest sans dévier, ne jamais dévier jusqu’au Bois Contigu – Forêt Feuillue, Bois Contigu, Plateau de Lossol, le village de Valchevrière est caché en contrebas sur le flanc nord du massif, répète Thérèse, répète, oui, je cours, je cours, je ne sais pas si le Chasseur me poursuit s’il va me rattraper en combien d’heures il peut me retrouver, c’est un grand pisteur le plus grand de la région il sent la moindre odeur de gibier, il voit à travers les arbres, il se déplace avec la rapidité d’un fauve, il dit toujours qu’aucune proie n’est tout à fait invisible, cours, peut-être te suit-il depuis les premières minutes de ta fuite dans la montagne, il sait interpréter n’importe quelle empreinte, il les enregistre les décrypte instantanément, mais en m’apprenant à pister les animaux sauvages il m’a appris à lui échapper, je suis devenue moi aussi un trophée vivant, Forêt Feuillue jusqu’au cours d’eau, Bois Contigu, Plateau de Lossol, il ne faut pas que mes chaussures me lâchent, si mes chaussures me lâchent c’est la mort, le plateau est à trois jours d’ici si tout se passe bien, puis Valchevrière à une journée supplémentaire de marche, fichues fougères qui s’enroulent à mes jambes, cours ne te retourne pas, les premières heures sont déterminantes, cours, de quel côté est le soleil je n’avais pas prévu que les frondaisons seraient si sombres en plein mois de juillet, je suis sûre qu’il va me retrouver, que me fera-t-il, et si je rencontre des soldats allemands, que dois-je faire si je rencontre des soldats allemands, on dit qu’ils sont partout dans la montagne, dans le Bois Contigu les conifères laisseront mieux filtrer la lumière, dépêche-toi, cette forêt est celle qu’il connaît le mieux, il s’y repère les yeux fermés, de jour, de nuit, cours Thérèse, si tout va bien j’atteindrai le Bois Contigu en deux jours, il m’y a emmenée quelques fois pister les sangliers, il faudra une journée pour le traverser si je ne m’égare pas si je suis le soleil pourvu que le soleil soit visible, pourvu que mes chaussures ne me lâchent pas, cours ne te retourne pas. A-t-il remarqué que je m’étais enfuie de la ferme, forêt de feuillus, bois de conifères en direction du nord-ouest, au troisième lacet gagner les alpages, traverser le plateau de Lossol à découvert jusqu’au Crêt, ne surtout pas prendre par le Col de Bure, tu entends Thérèse, oui Jean, j’entends, il y a un point d’eau là-bas, ensuite prends le chemin qui suit le bord de la falaise, et longe la crête à distance jusqu’à Valchevrière. Le vide est conséquent à cet endroit, éloigne-toi du bord, Forêt Feuillue, Bois Contigu, plateau de Lossol, Valchevrière. Il y aura plusieurs chalets d’alpage sur ta route, ne te trompe pas. C’est une montagne à vaches, elle ne présente aucune difficulté d’ascension. Tu te souviendras, Thérèse : à la fin de la guerre, dès que tu peux, rejoins-moi à Valchevrière. Oui, pour l’heure cours et tant pis pour l’épuisement, attention à ne pas revenir sur tes pas par mégarde, attention aux bêtes qui pourraient surgir des fourrés, aux soldats qui errent dans la montagne, que dois-je faire si je tombe sur un Allemand, il n’est plus temps d’y penser prends plein nord jusqu’au ruisseau. Les animaux sauvages je les connais, j’ai appris des années durant à les connaître, accélère, cent fois j’ai reconstitué l’itinéraire de ma fuite je l’ai affiné à chaque sortie de pistage des animaux avec le Chasseur, il m’a appris ses techniques de repérage dans la montagne et j’ai répété répété jour et nuit l’itinéraire pour le moment où je pourrai te rejoindre, cours Thérèse, mon Dieu la peur qui glace mon corps qui le rend tout raide le ralentit, atteindrai-je vivante l’autre versant, te rejoindrai-je enfin après tout ce temps, je cours, Jean, je cours

je cours au milieu des carrioles des voitures à bras, je cours je frôle de gros chevaux de trait, je joue des coudes parmi tous ces gens exténués blêmes ces enfants hurlant ces cages bourrées de lapins et de poules, je peux sentir ta main dans la mienne alors que tu ne me touches pas que tu presses le pas derrière moi dans la cohue, tu te souviens des trois petits Dorval accrochés au manteau de leur mère, cette grappe de visages inquiets chahutés dans la bousculade, je n’arrive pas à les oublier, et les filles du docteur attachées par les poignets pour ne pas se perdre, tu te rappelles le regard triste qu’on a échangé toi et moi en les voyant – le dernier regard, Jean, car à ce moment-là tu as vu le fils Solat se faire arrêter à cause du vélo qu’il avait volé devant l’usine pour quitter la ville avant l’arrivée des Allemands. Tu as fait demi-tour pour aller lui porter secours, j’ai crié non et la panique était telle autour de moi qu’en une seconde tu avais disparu. Les charrettes étaient pleines jusqu’à la gueule, de couvertures de meubles, des vieilles basculées dans des landaus pleuraient en silence, des enfants serraient convulsivement des chiens dans leurs bras, on n’y voyait rien, je n’ai pas bougé, me protégeant comme je pouvais dans ce chaos en attendant que tu reviennes, puis je me suis décidée à fendre la foule à contre-courant, dans la direction où tu avais disparu. Les gens par flots s’entassaient contre les murs des maisons, certains hurlaient pour retrouver les leurs ou pour protéger leurs affaires, partout ça appelait, et moi aussi je me suis mise à t’appeler, puis il y a eu un mouvement de panique parce qu’on a cru entendre un grondement dans le ciel, et j’ai été emportée malgré moi. Je me suis dit qu’on se retrouverait à la gare de la ville voisine, et j’ai rejoint un cortège de villageois mêlés à un groupe de fantassins. Personne ne s’adressait la parole, et si par hasard on croisait le regard de quelqu’un, son visage s’imprégnait d’une agressivité sinistre. Au bout d’une heure de marche, nous avons suivi la route d’un paysan qui menait son troupeau de vaches ; comme il nous ralentissait, la tension est devenue palpable et j’ai eu peur que ça tourne mal. La présence des soldats n’apaisait absolument rien.
Dans la gare bondée, aucune trace de toi. Les larmes me brûlaient les yeux, tout le monde se battait pour monter dans les wagons, et moi j’avais envie de crier. Une religieuse est venue me parler, je lui ai dit que j’avais perdu mon frère dans la panique, et lorsqu’elle m’a demandé où était ma mère, je crois qu’elle a deviné à mon regard qu’elle était morte depuis longtemps. Elle m’a aidée à me frayer un chemin au milieu des dizaines de landaus qui encombraient le hall et j’ai attendu toute la nuit assise sur mon paquetage de pouvoir prendre un train. Je suis montée dans un wagon à bestiaux tôt le matin et je me suis rendue seule à la ferme de la Mère Ségur, comme c’était prévu, pour y rester le temps que la guerre finisse, même si je détestais l’idée qu’on se sépare. De ton côté tu as dû rejoindre Valchevrière, chez les bergers qui t’embauchaient chaque été. Le massif du Vercors est une forteresse, disais-tu. Quand je suis arrivée à la ferme, seul le Chasseur vivait là : la Mère Ségur était morte au début de la guerre, apparemment au moment où Papa a été appelé sous les drapeaux.

J’ai un point de côté, je ralentis, d’où vient cette odeur de viande carbonisée en pleine forêt ? Aucun coin ne me semble sûr pour m’arrêter mais j’ai trop mal quand je respire et je suis fatiguée. J’ai apporté quelques rutabagas et des pommes de terre qui pèsent un peu lourd dans mon sac, je m’arrête ici, je dépose mon paquetage entre deux alisiers et j’écoute la rumeur confuse de la montagne. Ma respiration se calme, les sons s’harmonisent et redeviennent audibles. Il est bon de faire une pause. Je sors un morceau de pain rassis que j’ai volé dans le grenier avant de partir ; je n’ai pas faim et ne comprends pas l’émotion qui me survolte, je ne sais pas si c’est de la terreur ou de l’excitation, je sursaute sans cesse, je me retourne, j’ai peur de voir surgir le Chasseur. Sa brutalité est sordide, sa cruauté froide. Quand je suis endormie, il aime entrer dans ma chambre pour me faire peur. Il sort ensuite par la fenêtre pour aller se promener dans la nuit, ou pour grimper au peuplier qui jouxte la grange. Il ne fraie avec personne et a une passion secrète, une passion qui le rend fou : il collectionne les animaux rares, qu’il capture vivants et retient prisonniers au grenier. C’est pour ça qu’il a fini par me séquestrer à la ferme, parce que ses trophées ont cessé de dépérir dès l’instant où je me suis occupée d’eux.
La mort d’un trophée lui est insupportable, il doit le remplacer au plus vite. Sa perte la plus cruelle a été celle d’un grand-duc auquel il tenait beaucoup, et dont j’ignore comment il a pu l’attraper. C’est après sa mort qu’il a capturé le Fauve, grâce à de longues semaines de pistage. Je n’ai jamais vu une créature pareille et il m’a longtemps été impossible de le regarder en face. Ce chat forestier aux yeux jaunes, anormalement grand et massif, arbore une encolure épaisse comme une crinière. Ses oreilles de lynx et son front noir achèvent de le rendre effrayant. Je ne me suis jamais habituée à son apparence. Pour être sûr qu’il ne se sauve pas, le Chasseur a confectionné un licol avec une chaîne à bœuf qu’il a fixée dans le mur, et le Fauve n’est jamais détaché à l’intérieur de sa cage. Le soir, après le repas, il se déchausse et monte au grenier sur la pointe des pieds, et il s’adresse au chat avec une voix suraiguë, avant de se répandre en simagrées révérencieuses. Son amour dérangé pour cet animal a enfanté un délire duquel, très vite, il n’a plus été possible de m’échapper. Sa crainte maladive que l’animal meure lui a fait élaborer un dispositif dont je suis devenue l’élément central : le Fauve nécessitait, selon lui, une surveillance permanente ; il m’a donc très vite interdit de sortir de l’enceinte de la ferme. À sa terreur de voir mourir le chat s’est ajoutée celle de voir disparaître sa gardienne. La seule fois où je suis allée au village, je me suis rendue compte qu’il me pistait. Il apparaissait soudain à un coin de rue, et une minute plus tard à un endroit très éloigné du premier, de façon inexplicable. L’impression était si tétanisante que j’ai renoncé de moi-même à sortir. Il m’avait à l’œil même quand je discutais avec le rempailleur qui venait nous acheter des peaux de lièvre, rôdant autour de nous, le visage déformé par une étrange rancœur. À partir du moment où il n’a plus pu se passer de moi, il s’est répandu en humiliations de toutes sortes et a multiplié les privations. Je ne parlais qu’aux animaux, à quelques voisines. Durant toutes ces années j’ai ravalé ma haine, occupée à préparer ma fuite. Un an après mon arrivée, je l’ai convaincu de m’emmener pister les animaux avec lui afin qu’il m’enseigne sa technique et son savoir, pour que je l’aide à capturer des spécimens rares. À deux, nous chasserions aussi plus de gibier pour nourrir les trophées et pouvoir manger nous-mêmes : il fallait qu’il me maintienne suffisamment en bonne santé pour que je puisse veiller sur les animaux du grenier. On vendait des peaux au marché noir, et à l’automne on ramassait des glands pour remplacer le café. C’est comme ça que j’ai appris toutes les particularités de ce versant de la montagne, des abords de la ferme jusqu’au Bois Contigu. Comme ça que j’ai élaboré l’itinéraire précis qui me ramènerait à mon frère.
Son art du pistage est proprement stupéfiant. C’est une tradition dans le massif depuis des siècles, née avec la légende du Prodige, un grand renard noir qui habiterait dans la montagne et que seuls quelques individus apercevraient à chaque génération. Plus personne n’y croit vraiment, mais le silence du Chasseur la seule fois où je l’ai interrogé à ce propos m’a laissé entendre qu’il s’agissait d’une affaire sérieuse pour lui. Il m’a simplement expliqué que le Prodige désignait initialement l’apparition de l’animal, qui avait fini par être baptisé ainsi. Durant des décennies de pratique, le Chasseur a élaboré une technique secrète pour débusquer certaines espèces. Il sait repérer la salive d’un sanglier sur un tronc, sentir les odeurs stagnantes dans les fougères qui signalent la présence d’un lynx boréal. Au début, je pensais qu’il en rajoutait. Puis j’ai constaté qu’il ne se trompait jamais. C’était effrayant, cette perception des proies et des prédateurs autour de nous alors que je ne discernais absolument rien. Il disait qu’aucun être ne vit sans laisser de traces. Que c’est dans la lumière que sont dissimulés les secrets, que la montagne avoue tout à qui sait déchiffrer ses rébus, fouiller dans ses plis. N’est-ce pas ce que tu voulais dire, Jean, quand tu me répétais ces mots que je comprenais mal : Mystérieuse est la lumière…? En me montrant les fines empreintes d’un oiseau, il reconstituait sa journée devant moi, et quand il parvenait à débusquer un trophée, comme une chauve-souris sérotine, il me répétait : ne doute jamais de l’invisible. Éduque ton attention. Je mémorisais certaines de ses phrases pour les ajouter au butin des nôtres, compulsées depuis l’enfance et échangées lors de nos tête-à-tête. À Valchevrière, je te les offrirai. C’est tout ce que je pourrai te rapporter de la guerre.

J’observe le revers velu des feuilles d’alisier, j’en caresse le velours. Toutes ces belles vérités que le Chasseur m’a transmises étaient exploitées au service de sa manie barbare : il traquait la beauté à sang chaud pour la soumettre. Toi et moi c’était différent, nous étions fascinés par le mystère à l’œuvre dans la nature, mais il nous suffisait de savoir que nous en faisions partie. C’est cette confirmation que nous cherchions sans cesse en pénétrant dans les grottes, en fuguant dans la combe en pleine nuit. Comme tout était fête, quand nous étions ensemble, Jean ! Comme il est bon de retrouver notre complicité en fermant simplement les yeux !
Je n’ai reçu qu’une lettre de toi, en avril 43, dans laquelle tu me disais te trouver dans un camp de réfractaires installé à Valchevrière, où tu passais tes journées à faire des rondes et à effectuer des corvées en attendant de recevoir une instruction militaire. J’ai appris par cœur le trajet de la ferme Ségur jusqu’à la bergerie où je dois me rendre et demander à voir Sarciron – le nouveau nom que tu t’es choisi. Tu as enfreint le règlement en m’envoyant ce courrier, et le détruire comme tu l’exigeais a été un crève-cœur. Je l’ai fait après avoir récité tes instructions toute une nuit. Je ne sais pas si le Chasseur en a pris connaissance, mais le lendemain matin il est venu me trouver au poulailler et, plein de hargne rentrée, il a sifflé que tu étais un sale petit maquisard, que votre camp était un repaire de jeunes fuyards qui refusaient de partir en Allemagne, que vous n’étiez que des mioches et que vous vous feriez coincer. Quelques jours plus tard nous avons croisé des collégiens qui se promenaient au Crêt, avec de gros sacs à dos ; il m’a dit qu’ils apportaient des ravitaillements aux Résistants. J’ai été saisie d’émotion en imaginant que peut-être ils descendraient de l’autre côté du plateau, que peut-être ils te verraient. Mais ils se trouvaient à deux jours de marche au moins du hameau. J’ai repris sans un mot le pistage ; cet après-midi-là nous cherchions des œufs de tétras-lyre, un bel oiseau noir qui pond à même le sol. Je n’aurai pas besoin de t’expliquer tout ce que j’ai appris durant la guerre quand nous nous retrouverons, puisque nous irons vivre ensemble à la Ville, comme tu me l’as toujours promis, et ça ne nous servira plus à rien alors.

Quand je suis arrivée à la ferme, il y avait au grenier une minuscule chouette grise, très belle, enfermée dans une cage emplie de branches et de feuilles séchées. Écrasée sur elle-même, les yeux perpétuellement mi-clos, elle ne devait pas peser plus de cinquante grammes. Il avait mis des semaines à la capturer en utilisant des happeaux et l’avait dénichée au printemps, juste avant la ponte, dans un arbre creux en lisière du Bois Contigu. Lorsqu’elle est morte, il l’a remplacée par un oiseau étonnant, un petit spécimen cendré à ailes rouges qui se déplace à la verticale sur les falaises et qui, quand il est affolé, bat des ailes comme un papillon. L’échelette est un passereau mythique pour les ornithologues, difficile à apercevoir, et le Chasseur m’a dit qu’un homme était venu d’Angleterre, un jour, pour tenter d’en débusquer dans la Forêt Feuillue. Dès l’arrivée de l’échelette, j’ai pris l’habitude de monter au grenier quand je sentais le courage m’abandonner. Je la nourrissais de larves, d’araignées et d’insectes, et je crois pouvoir dire que nous nous sommes attachées l’une à l’autre. Sa vivacité m’arrachait des sourires, j’aimais sa façon gaie d’être à l’affût malgré sa condition, et la douceur du duvet à l’arrière de son cou. La regarder avivait une sorte d’espoir confus en moi. Très vite, elle ne m’a plus crainte, et je savais à ses pépiements si elle était d’humeur joyeuse ou inquiète. Nous dialoguions dans notre propre langage, et d’un même réflexe nous interrompions dès que le Chasseur montait l’escalier. »

Extrait
« C’était il y a quatre ans. La guerre se termine et je sais que tu seras au rendez-vous; rien ne peut troubler cette certitude. Valchevrière, que je ne connais pas, a été ma véritable maison depuis 1940. Mon corps était à la ferme Ségur mais ma tête et mon cœur logeaient là-bas. J’ai dessiné chaque jour mentalement la carte de la montagne. Et j’y suis maintenant, j’y suis. Je suis dans le rêve de ma fuite. Et je la sens cette terre de ma libération, je la sens, je la prends dans mon poing elle est humide, je hume son odeur, je suis vivante. » p. 27

À propos de l’auteur
WALLENDORF_fanny_DRFanny Wallendorf © Photo DR

Fanny Wallendorf est romancière et traductrice. On lui doit la traduction de textes de Raymond Carver, des lettres de Neal Cassady (2 volumes, Finitude, 2014-2015) ainsi que de deux romans de Phillip Quinn Morris, Mister Alabama (Finitude, 2016) et La Cité de la soif (Finitude, 2019). (Source: Éditions Finitude)

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Dernier concert à Pripyat

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En deux mots
Les enfants d’un couple d’employés de la centrale nucléaire de Tchernobyl fuient la zone contaminée après l’explosion. Mais après quelques mois ils reviennent, attirés comme un aimant par ce terrain irradié. Les «stalkers» vont défier les autorités, organiser des concerts et faire du street art pour qu’on n’oublie pas.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Les rebelles de Tchernobyl

Après un voyage dans la zone d’exclusion de la centrale de Tchernobyl en 2013, Bernadette Richard a choisi le roman pour raconter les suites d’un fait divers aux conséquences planétaires. En suivant trois «stalkers», elle nous invite en enfer.

Le point de départ de ce roman est un fait divers qui a fortement secoué le monde. Dans la nuit du 25 au 26 avril 1986, le réacteur n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl explose. Une gigantesque flamme embrase le ciel et près de cinquante tonnes de combustible s’évaporent. Le nuage de Tchernobyl va s’attaquer aux abords immédiats puis se répandre sur l’Europe. À Pripyat, où a été érigée une ville moderne pour le personnel de la centrale, c’est la sidération. Mais très vite Babouchka, la grand-mère qui vit avec la famille d’un ingénieur, comprend qu’il faut fuir. Elle embarque ses petits-enfants Zhenia, Orest et Katya et part pour Kiev où vit leur tante Anya. Très vite, on leur annonce la mort de leur père et l’hospitalisation de leur mère, fortement irradiée. Elle ne survivra pas à ses graves blessures.
Passé le choc du deuil, les enfants trouvent en Artem un grand-frère. Il a lui aussi fui Pripyat après avoir vainement tenté de sauver sa mère et a trouvé une famille d’accueil à Kiev. Près de deux ans après la catastrophe, il va proposer aux deux frères de l’accompagner dans la zone interdite où certains habitants ont déjà bravé l’interdiction, comme Boris et Olena, la sœur de Bab.
L’expédition a lieu le 5 novembre 1988 et sera suivie de nombreuses autres, même si le taux d’irradiation reste très élevé. Car, comme le soulignent les protagonistes, «l’attrait de l’illicite et la curiosité qui nous habitaient étaient plus puissants que la peur. La zone d’exclusion devint notre terrain de chasse à l’image, aux émotions, aux découvertes, et bientôt notre théâtre de la cruauté, notre immense salle de concert, notre galerie d’art à ciel ouvert». Au fil des ans, ils vont effectivement, sous l’œil de plus en plus blasé et bienveillant des autorités chargées de contrôler la zone, s’approprier les lieux, donnant des concerts et transformant certaines façades à coups de bombes de peinture. Le Street Art comme un symbole de rébellion.
Et si la mort va s’inviter aux performances, nos explorateurs vont aussi faire d’étonnantes découvertes comme ce «pied d’éléphant», le corium autour du réacteur ou, plus trivial, un bordel en pleine zone rouge, œuvre d’un employé décidé à se venger des autorités. Plus étonnant encore, il avait «beaucoup de clients, parmi lesquels les soldats, les pires escrocs d’Ukraine et de Biélorussie, des adolescents de Kiev en rupture de ban, des drogués du sexe, de l’alcool, de la dope.»
Pour une zone interdite, on va constater en suivant les stalkers au fil des ans, que de plus en plus de monde va investir les lieux. Des touristes aux trafiquants, des scientifiques et des chasseurs vont en quelque sorte pousser les stalkers à se faire plus discrets. Leur dernier coup d’éclat sera un ultime concert, en 2007.
Bernadette Richard ne fait pas œuvre militante, ce qui rend son roman encore plus fort. Elle s’est beaucoup documentée, s’est rendue sur place et souligne combien les chiffres sont sujet à caution, combien la corruption fait des ravages en Ukraine, combien les trafics en tout genre prospèrent, en particulier avec des tonnes de métal irradié. Mais tout comme Alexandra Koszelyk avec son émouvant À crier dans les ruines, elle allume cette flamme de la vigilance et pousse ses lecteurs à la réflexion. Un livre fort, un livre juste.

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Signalons également la parution de L’Horizon et après: un livre de poche illustré par Catherine Aeschlimann et qui rassemble des nouvelles inédites et des récits publiés dans divers livres collectifs, journaux et magazines. «Souvent acides, visionnaires, glauques ou même érotiques», elles donnent une bonne idée de l’univers de cette femme de combats !

Dernier concert à Pripyat
Bernadette Richard
Éditions L’Âge d’Homme
Roman
150 p., 23 €
EAN 9782825148174
Paru le 3/11/2020

Où?
Le roman est situé en Ukraine, principalement à Pripyat et à Kiev, mais aussi à Tcherkassy, Dytiatky et Kopatchi.

Quand?
L’action se déroule de 1986 à 2007.

Ce qu’en dit l’éditeur
Centrale Lénine à Tchernobyl. Dernier concert à Pripyat suit l’histoire de trois garçons survivants de la catastrophe et d’une famille rescapée. Pestiférés de la ville où vivaient les employés de la centrale, Zhenia, Orest et Artem décident d’explorer la Zone interdite, où quelques récalcitrants sont retournés vivre. Au cours des années, ils assistent à la déliquescence de la région, pillée jusque dans ses entrailles irradiées. La Zone se transforme en rives du Styx, où s’épanouissent les réprouvés du système soviétique. Nos antihéros décident de rendre à Pripyat ses lettres de noblesse à travers des événements culturels pour le moins audacieux. Au fil de ce roman picaresque et bouleversant d’humanité se dévoilent les dessous d’une réalité longtemps ignorée.

Les critiques
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Les premières pages du livre
« JE M’APPELLE ZHENIA DRATCH.
Je suis l’un des stalkers de la zone d’exclusion de Tchernobyl.
Je ne sais pas si j’aime Pripyat. J’y suis né le 20 septembre 1974, je ne me posais pas ce genre de question à l’époque. J’étais un enfant choyé. Je vivais dans une cité résolument moderne, créée de toutes pièces par des architectes à la pointe du progrès. Elle était présentée comme un modèle du savoir-faire soviétique. Rivalisant avec les grandes villes du pays, elle offrait de vastes parcs, des places de jeux pour les enfants, des garderies où nous apprenions à chanter, à lire, à compter. L’hôpital valait les centres hospitaliers de Moscou et de Leningrad. C’est ce que racontaient fièrement mes parents. J’ai toujours vu des arbres autour de moi et des fleurs sur les places. Et aussi sur le balcon, que Bab soignait en leur parlant avec dévotion. Elle avait le secret du langage floral. Avec elle, notre loggia était ainsi transformée chaque été en un luxuriant jardin. À la disparition de son père, ma mère avait proposé à Bab de vivre avec nous. Le logement était assez vaste pour une famille ainsi réunie. Nous habitions au sixième étage d’un long bloc de béton, fierté des habitations communistes.
Au même étage, mon copain Orest jouait déjà du piano à l’âge de quatre ans. « Un génie », disait sa mère. Moi, je n’étais pas doué, enfin, jusqu’à ce que Babouchka m’offre un saxophone japonais. J’ai commencé à souffler là-dedans, pinçant l’anche comme si je lui avais consacré toute ma vie. J’étais tellement content d’entendre le son velouté du sax. Grand-mère applaudissait, tandis que monsieur Lisenko, au septième, avait interdit que je joue quand il rentrait du travail. Mère s’était fâchée et père était parvenu à un compromis avec ce voisin acariâtre — papa prétendait qu’il avait changé à la suite d’un préjudice. Ce physicien nucléaire de haut rang avait été relégué à l’ingénierie des sous-sols, sans explication. Le droit de pénétrer dans la salle de commande lui avait même été retiré. Il était aigri, papa le plaignait. L’accord portait sur les heures de sérénade — de cacophonie, proclamait monsieur Lysenko en gesticulant. Je ne sortais pas le saxophone après 19 h et jamais avant 8 h du matin. Au retour de l’école, j’avais tout loisir de souffler à en faire éclater les vitres. Mais il en eût fallu bien davantage pour briser les fenêtres des immeubles. C’est du moins ce que je croyais, ce que nous croyions tous, nous les cinquante mille habitants de la cité de l’atome, le concept même de l’avenir.
Orest et moi étions de médiocres footballeurs, ce qui désespérait nos pères. Nous préférions la musique et la course de fond. Ensemble, nous courions tous les jours le long de la Pripyat, la rivière au bord de laquelle les quartiers avaient été érigés. Nos petites jambes étaient parfois maladroites, mais on s’accrochait. Nous courons toujours sur les rives du cours d’eau qui draine une masse élevée de radioisotopes dangereux, malgré l’interdiction des autorités. Les nouveaux touristes de la misère, eux, sont subjugués par les « marathoniens de l’enfer». Le clou de leur voyage à Tchernobyl et Pripyat est de nous voir en plein effort, baskets aux pieds, foulant la terre maudite. Notre réputation de stalkers a fait le tour du monde. Léger tressaillement morbide: et si l’un de nous deux soudainement s’effondrait, terrassé par les radiations? Ils nous photographient de loin, comme des bêtes enragées. Parfois, taquins, nous les rejoignons et leur arrachons téléphones portables et appareils photo, refusant d’être la misérable petite onde de choc qu’ils ramèneraient fièrement chez eux. Et quand ils ont la chance d’assister à l’un de nos concerts, ils nous écoutent religieusement.
Nous voilà promus au grade envié de suprême curiosité du désastre.
Pripyat, nuit du 25 au 26 avril 1986
Une déflagration m’a brusquement réveillé. À peine ai-je ouvert les yeux que je suis resté fasciné comme un animal pris dans les phares d’une voiture, j’avais vu ça une nuit avec papa. Quand il les avait éteints, et grâce aux lueurs de la lune, j’avais aperçu le lièvre s’enfuir et rejoindre la forêt. La chambre était comme embrasée par les reflets d’un feu gigantesque allumé au loin. Les flammes projetaient contre les murs et jusque sur la couette de mon lit et celui de ma sœur des formes inquiétantes, des ombres brouillées, qui s’enchevêtraient comme des êtres diaboliques s’adonnant à une danse lascive. J’étais envoûté, mais soudain j’ai crié, réveillant Katya. Babouchka, notre grand-mère, est entrée, nous a calmés et intimé de nous habiller rapidement, Nous n’avons pas discuté, sa voix était impérative, elle ne parlait jamais de cette manière. Elle a préparé une valise, a emballé de la nourriture dans un sac, où elle a ajouté une bouteille d’eau et nous a dit d’emmener quelques jouets. Elle était comme détachée d’elle-même, méthodique, concentrée, le visage fermé. Ma sœur pleurait, ne comprenant pas pourquoi nous devions nous habiller en pleine nuit. Babouchka n’a fourni aucune explication. Elle m’a encore rappelé de ne pas oublier mon saxophone. Au passage, elle a tapé du poing à la porte d’Orest qui est venu ouvrir. Il dormait à moitié et suçait son pouce. Comme son père travaillait aussi de nuit, elle l’a aidé à s’habiller et l’a pris par La main. Mon ami affichait une moue contrariée mais n’a pas pipé mot. N’ayant lui-même plus de grand-mère, il aimait beaucoup Bab. Nous sommes descendus dans la rue, plusieurs voisins se hélaient par les fenêtres, cherchaient à savoir œ qui s’était passé, nul n’était effrayé. Personne ne pouvait imaginer la gravité de la situation. Pour moi, c’était simplement un grand incendie: — C’est la forêt qui brûle?
— Non, Zhenia, un réacteur a explosé, un seul j’espère. — Bab, suppliai-je, tu sais que demain je veux participer au marathon scolaire autour de la Centrale? Elle m’observa d’un œil à la fois furibond et empreint de tendresse :
— Zeniouchka, mon amour, fit-elle, une main distraite dans mes cheveux, un marathon, manquerait plus que ça.
— Et papa? Et maman?
— Ils sont au travail, nous partons à Kiev.
— Sans eux?
— Sans eux. »

Extraits
Il partit dans une diatribe pseudo-scientifique censée nous éclairer. J’en retins que le taux d’irradiation était très élevé et que nous avions intérêt à nous carapater vite fait, Ce que nous fîmes. Mais l’attrait de l’illicite et la curiosité qui nous habitaient étaient plus puissants que la peur. La zone d’exclusion devint notre terrain de chasse à l’image, aux émotions, aux découvertes, et bientôt notre théâtre de la cruauté, notre immense salle de concert, notre galerie d’art à ciel ouvert. Bab comprenait mais s’inquiétait pour notre santé. p. 49

Le bouche à oreille lui fournissait beaucoup de clients, parmi lesquels les soldats, les pires escrocs d’Ukraine et de Biélorussie, des adolescents de Kiev en rupture de ban, des drogués du sexe, de l’alcool, de la dope. Dans une région abandonnée qui n’avait plus ni lois ni maîtres, il faisait régner son ordre à lui. Les mauvais payeurs étaient une première fois, en guise d’avertissement, jetés à la rue. S’ils revenaient sans fric ou maltraitaient les filles, le boss sortait son flingue et tirait à vue. Le malheureux qui avait crevé à nos pieds en avait fait la définitive expérience. Il avait rudoyé Darya la barrique et l’avait payé de sa misérable existence, le sexe encore dégoulinant et la blessure ruisselant à deux pas du bordel. P. 111

À propos de l’auteur
RICHARD_Bernadette_DRBernadette Richard © Photo DR

Écrivaine, journaliste et astrologue, Bernadette Richard est née en 1951 à La Chaux-de-Fonds un 1er mai, 5 professions dont 37 ans de presse à ce jour, 1 mariage, 1 enfant, 1 divorce, 1 petite-fille, 58 déménagements dans 7 pays sur 3 continents, 28 romans et nouvelles, 3 livres pour enfants, 3 pièces de théâtre, 253 textes littéraires ou essais sur les arts plastiques parus dans des médias et anthologies, 28 discours pour des vernissages d’expositions. N’utilise que l’un de ses 12 stylo-plumes pour écrire. Travaille sur 1 PC (hélas). S’est trouvée à 5 reprises sur des lieux de prises de pouvoir politique ou attentats meurtriers, dont le 11 septembre. Vit ici ou là avec des 4 pattes envahissantes. (Source: torticolis-et-freres.ch)

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La certitude des pierres

BONNETTO_la-certitude-des_pierres

  RL2020

En deux mots:
Après un séjour en Afrique, Guillaume retrouve ses parents et son village où il décide de devenir berger. Mais ses moutons gênent les chasseurs qui entendent ne pas céder un pouce de leur terrain de jeu. Le conflit va petit à petit s’envenimer jusqu’à une lutte sans merci.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Les moutons de la discorde

Dans un roman rural construit comme une tragédie grecque, Jérôme Bonnetto nous entraîne dans un conflit entre un berger et des chasseurs. Et à une réflexion sur la place de l’autre au sein d’une communauté repliée sur elle-même.

Comme le fils prodigue, Guillaume Levasseur a choisi de partir pour découvrir le vaste monde, en travaillant notamment pour des ONG en Afrique. Le voici die retour à Ségurian, un petit village de montagne où il retrouve ses parents, Jacques et Catherine. «À aucun moment ils n’eurent l’idée de lui faire le moindre reproche. Guillaume était devenu un homme. Le verbe, surtout, avait changé. Il s’exprimait mieux, ses phrases coulaient dans une syntaxe ample que des mots précis et nuancés irisaient. Il était devenu un homme fin et fort tout à la fois.»
C’est là, dans ce village de 400 âmes qui «n’était pas un pays mais un jardin», qu’il entend s’installer en communion avec la nature et reprendre le métier de berger qui avait disparu au fil des ans.
Une initiative que les autochtones vont d’abord regarder avec indifférence avant de constater que ces moutons gênent leur loisir favori, la chasse. Désormais, ils sont entravés dans leurs battues, gênés par le troupeau. Guillaume sait qu’il a le droit avec lui et refuse de dégager. Mais que peut le droit face aux traditions solidement ancrées et à une histoire qui s’est cristallisée au fil des ans autour de la famille Anfosso? Leur entreprise de construction règne depuis des générations sur le village. Il suffit d’une visite au cimetière pour comprendre la manière dont la communauté fonctionne: «En dehors des Anfosso, on y trouvait quelques noms connus. Pastorelli, Casiraghi, Barral, Leonetti. Des familles bien de chez nous. Deux ou trois d’entre elles avaient fait les grandes guerres. On leur avait donné un emplacement à l’ombre sous des pierres lourdes et admirables. D’autres avaient défendu l’Algérie française. Allée principale, plein soleil. Chacun était à sa place et de la place, il y en avait pour tout le monde. Au fond dormait le caveau de la famille Levasseur. La pierre était lisse et fraîche, elle n’avait pas eu le temps de se polir, de faire des racines. On jurerait qu’elle sonne creux. Seulement une génération sous la terre. Une pièce rapportée, des estrangers, des messieurs de la ville comme on dit.»
Au fil des jours, le conflit s0envenime, les positions se figent. La Saint-Barthélemy, le jour de la fête du village célébrée 24 août, marquant le point d’orgue d’une guerre qui ne va pas restée larvée. Un mouton est retrouvé égorgé et il ne fait guère de doute sur l’origine de l’attaque. Mais Guillaume préfère minimiser l’affaire et se concentrer sur l’accroissement de son troupeau. «On continuait de se regarder de travers, des regards tendus comme une corde de pendu, mais – et c’était bien l’essentiel – on partageait la montagne, même si on le faisait un peu comme on séparerait le bon grain de l’ivraie. La vie poursuivait son cours.»
Construisant son roman comme une tragédie grecque, avec unité de lieu et même un chœur de femmes qui «s’ouvrait sur une étrange mélodie, tremblante, incertaine, comme le vol d’une chauve-souris en plein jour», Jérôme Bonnetto réussit à faire monter la tension page après page jusqu’à cet épilogue que l’on redoute. Ce roman est à la fois un traité de l’intolérance, une leçon sur les racines de la xénophobie et un conte cruel sur l’entêtement qui peut conduire au pire, mais c’est avant tout un bonheur de lecture.

La certitude des pierres
Jérôme Bonnetto
Éditions Inculte
Roman
192 p., 16,90 €
EAN 9782360840274
Paru le 8/01/2020

Où?
Le roman se déroule en France, dans un village de montagne baptisé Ségurian.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Ségurian, un village de montagne, quatre cents âmes, des chasseurs, des traditions. Guillaume Levasseur, un jeune homme idéaliste et déterminé, a décidé d’installer une bergerie dans ce coin reculé et paradisiaque. Un lieu où la nature domine et fait la loi. Accueilli comme une bête curieuse par les habitants du village, Guillaume travaille avec acharnement ; sa bergerie prend forme, une vie s’amorce.
Mais son troupeau pâture sur le territoire qui depuis toujours est dévolu à la chasse aux sangliers. Très vite, les désaccords vont devenir des tensions, les tensions des vexations, les vexations vont se transformer en violence.
La certitude des pierres est un texte tendu, minéral, qui sonde les âmes recroquevillées dans l’isolement, la monotonie des jours, l’hostilité de la montagne et de l’existence qu’elle engendre, la mesquinerie ordinaire et la peur de l’inconnu, de l’étranger.
D’une écriture puissante, ample, poétique, Jérôme Bonnetto nous donne à voir l’étroitesse d’esprit des hommes, l’énigme insondable de leurs rêves, et l’immensité de leur folie.

Les critiques
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INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Prologue
Le vent de Ségurian remonte le chemin Saint-Bernard et va se perdre tout en haut de la montagne, au-delà des forêts. C’est un vent tiède et amer comme sorti de la bouche d’une vieille, un souffle chargé de poussières de cyprès et d’olives séchées qui emporte avec lui les derniers rêves des habitants et les images interdites – les seins de la voisine guettés dans l’entrebâille -ment d’une porte, les rires des hommes à tête de chien, la dame blanche qui hante les bois. Dans sa course, il écarte ses bras et fait bruisser les feuillages des arbustes, les herbes folles, comme une rumeur. Partout sur les chemins, il efface les traces de pas.
Le village est plongé dans la torpeur, il est un corps suspendu, pour quelques instants encore, le temps de planter le décor.
On dort. Personne ne sait à qui appartient la nuit. Tout est gris-mauve et les chats ont des yeux de loup. La montagne le sait : bientôt, le disque solaire se reflétera dans la mer et la loi des hommes reprendra ses droits. Tout pourra recommencer.
On allume ici une lampe, là une cafetière, on fait glisser une savate, claquer l’élastique d’un slip. On avance à petits pas.
On a transpiré toute la nuit dans la mollesse des matelas, on s’est tourné et retourné en quête d’un peu de frais, pour quelques secondes à peine, puis on a retrouvé la chaleur froissée des draps. On en veut à l’autre d’être gras, de dégager toute cette moiteur, si bien qu’on a fini par le pousser un peu du talon, comme ça, en douce, pour gagner quelques centimètres.
La nuit peut être infernale par ici. On a cru que cette fois, on ne parviendrait pas à s’endormir, mais on a fini par y arriver, on a passé l’heure des braves, comme toujours, en bout de course, plus fatigué encore d’avoir lutté, les reins inondés de sueur tiède et la bouche sèche. Plus tard, on dira qu’il a fait chaud, juste pour lancer la conversation, mais on admet qu’on ne serait pas mieux dans le froid du Nord. On ne serait mieux nulle part ailleurs au fond. Inutile de chercher.
On est une race, un bois. La mesure se prend dans le ventre, on ne trouverait pas vraiment les mots pour bien l’expliquer. Ça se sent, voilà tout. C’est qu’on vient d’un pays à l’intérieur d’un autre pays comme la langue chante son accent local, son vocabulaire, une autre langue au fond de la langue, d’autres hommes parmi les hommes. C’est la terre qui décide ici, c’est elle qui trace les mêmes lignes sur les fronts, les mêmes cors aux pieds, les mêmes gestes. On est un bois, un bloc, une race.
On se comprend. On fait à notre idée. On a nos règles, les seules qui vaillent. Les autres peuvent passer, on les salue, de loin, comme ça. Du plus loin possible.
Les premiers rayons caressent la montagne. Chaque jour serait une naissance s’il n’y avait les hommes. Deux coups de chevrotine déchirent l’aube. Voilà, ça va commencer. Pas besoin de faire un dessin.

LA PREMIÈRE SAINT-BARTHÉLEMY
Il nous faut un homme, inconnu, avec un grand sac, un homme qui arrive par la route : le noir d’un point, d’une silhouette tout d’abord, longue, lointaine, puis un corps déjà, qui soulève un peu de poussière comme un petit nuage bas, puis un être, plus précis dans un savant contre-jour qui dessine le va-et-vient des cheveux au balancier de la marche, enfin un homme.
Il est grand, robuste. Il semble venir de loin. Il avance dans un frottement de jean, de cuir et de coton, arrangement naturel pour la mélodie légère des boucles métalliques du sac sur lesquelles rebondit une sorte de grigri africain. C’est la seule musique audible, juste suffisante pour égayer la marche.
On reste un peu avec lui, comme un ange invisible. On n’est pas si mal sur son épaule. On voit haut et bien. On écoute sa longue respiration que la barbe filtre. On s’en voudrait de fouiller dans ses poches ou d’ouvrir son sac. On saura bien assez tôt ce qu’il trimballe. Pour l’instant, il coupe la lumière prometteuse du matin.
Dans un virage s’esquisse à peine un petit chemin de terre. La pente est un peu plus rude par là, à l’écart de la route, et le soleil plus incisif, mais le chemin plus direct. Il n’est guère emprunté dorénavant et, malgré de longues années d’abandon, il résiste aux hautes herbes, comme si la terre, tellement foulée et refoulée, avait perdu toute vertu de fertilisation.
C’est ce chemin qu’il choisit, sans la moindre hésitation. Le village n’est plus qu’à un petit kilomètre, mais un kilomètre de rude montée en ligne presque droite. On aperçoit un ou deux lacets en contrebas des premières maisons, puis, tout là-haut, le clocher.
Le rythme de sa marche ne faiblit pas malgré la raideur de la pente. Par endroits, il pourrait presque toucher le sol simplement en tendant les bras. Son souffle s’accélère, raisonnablement. On ne perçoit pas de fatigue particulière. Parfois, les pierres roulent derrière lui, en entraînant d’autres au passage. Parfois, il prend appui sur une tige plus haute et plus solide que les autres, la serrant d’une main puissante. Parfois, les racines cèdent, alors il jette la tige dans les broussailles avant de s’agripper à une autre.
Il avance, mais c’est ici que l’on s’arrête. Le village est tout près. De dos, sa progression paraît encore plus rapide. Les herbes et le chemin au premier plan, il s’enfonce dans le cadre. On le devine désormais enroulant le dernier lacet. Puis sa tête disparaît.
C’était un 24 août. Guillaume Levasseur allait entrer dans le village.
C’était jour de fête. Comme tous les 24 août, on fêtait la Saint-Barthélemy et ce n’est pas rien.
Le 14 juillet, on faisait la fine bouche, on buvait un coup, on se couchait un peu plus tard, mais au fond on se préservait. Il y avait bien les enfants pour ouvrir de grands yeux devant le feu d’artifice, mais les anciens savaient que même les plus hautes fusées de la ville ne parviendraient jamais jusqu’au village. La révolution, on n’y était pas, on ne savait plus trop ce que ça signifiait. Il avait fallu trancher des têtes, on avait changé de salauds.
Le 24 août, c’était quand même autre chose. C’était la fête du Saint-Patron. Le reste du monde s’en contrefoutait et on adorait ça. Notre saint à nous. Bénédiction et protection. Ad vitam æternam, pour nous seuls.
Le 24 août, tout le village était sur la place jusqu’au petit jour. C’était chaque année la même musique, on n’aurait raté ça pour rien au monde. On y pensait longtemps à l’avance, dès les premières vapeurs de l’été, on se sentait bien quand la fête approchait, on se lançait des clins d’œil, on rejouait la partition des plus beaux millésimes, on élaborait sa propre mythologie, on fondait une nation.
C’est le 24 août qu’on était devenu homme, frère, amant, et fier surtout.
Même les jeunes de leur plus frêle maturité avaient mis deux trois sous de côté pour l’occasion. On tapait dans le cochon en porcelaine, on faisait les yeux doux à la grand-mère, on grattait ici et là, on prenait sur le permis de conduire s’il le fallait pour être à la hauteur et marquer l’histoire de son empreinte.
Le 24 août s’ouvraient les tiroirs, les penderies, parfois on tombait sur une vieille photo et on perdait un peu de temps dans la contemplation attendrie d’un autre soi déjà défunt. La Saint-Barthélemy était le mètre étalon de nos vies, l’arbre sur lequel on regardait passer les saisons. On oubliait toujours un peu trop combien on avait changé, mais on s’aimait bien au fond pour ce qu’on avait été dans ce qu’on était devenu. Puis on refermait la parenthèse et on finissait par se concentrer sur l’essentiel : trouver sa plus belle chemise, s’assurer qu’on rentrait toujours dans le pantalon. On sortait le sent-bon du fond de l’armoire, celui aux vertus magiques, on inondait le cou et les cheveux, on soulignait la raie sur le côté, on s’ajustait devant le miroir et on était prêt. »

Extraits
« Charles partageait avec Joseph l’entreprise de construction et il se pliait le plus souvent à ses décisions. C’était à son ombre qu’il avait poussé et, à Ségurian, l’ombre était un bien précieux. Parfois, Joseph emmenait son petit Emmanuel. Anfosso III. Mais Emmanuel n’aimait pas trop ça, aller au cimetière. L’idée de finir un jour sous la terre l’angoissait un peu, d’autant plus qu’on ne lui avait rien expliqué, on ne lui avait pas dit comment les choses émergent, passent et disparaissent. Il voyait la mort comme une punition. Et puis ce grand-père, il ne l’avait jamais connu. Qu’est-ce que ça pouvait bien lui faire d’avoir les mêmes yeux? Ces yeux en amande, c’était comme une signature, une légende sous une photo. Anfosso. Le cimetière de Ségurian offrait son traité de sociologie à qui savait le lire. En dehors des Anfosso, on y trouvait quelques noms connus. Pastorelli, Casiraghi, Barral, Leonetti. Des familles bien de chez nous. Deux ou trois d’entre elles avaient fait les grandes guerres. On leur avait donné un emplacement à l’ombre sous des pierres lourdes et admirables. D’autres avaient défendu l’Algérie française. Allée principale, plein soleil. Chacun était à sa place et de la place, il y en avait pour tout le monde. »

« Au fond dormait le caveau de la famille Levasseur. La pierre était lisse et fraîche, elle n’avait pas eu le temps de se polir, de faire des racines. On jurerait qu’elle sonne creux. Seulement une génération sous la terre. Une pièce rapportée, des estrangers, des messieurs de la ville comme on dit. Va falloir qu’ils fassent leurs preuves, les Levasseur. Va falloir me remplir ce caveau avant d’élever la voix, avant de faire les fiers, avant de touiller la soupe au pistou. C’est comme ça, c’est l’ordre des choses. Guillaume était arrivé au pays par la voie Levasseur, un chemin un peu biscornu. Après avoir travaillé toute leur vie en ville, Jacques et Catherine Levasseur avaient décidé de partir, de goûter un peu à la tranquillité des villages perchés, loin des fourmilières déshumanisées parce que la vraie vie, finalement, c’était là, dans un espace retiré, en dialogue avec la nature, avec d’authentiques échanges et du temps pour profiter de ces authentiques échanges. De l’humain avant tout. Ils avaient voulu transmettre ça à leur enfant, ce sens-là de l’existence. Il y avait un monde qu’on ne comprenait plus vraiment tout en bas, un monde qui s’atrophiait et qui n’allait pas tarder à se déchirer. Il valait mieux dé poser les armes. On voulait terminer en beauté, dans la quiétude. Ils avaient emménagé dans la maison du grand- oncle Levasseur, un original dont on savait peu de choses. Il avait fait le tour du monde et fini sa course. »

« Les retrouvailles avaient dépassé toutes les espérances de Jacques et Catherine. Ils s’embrassaient, ils riaient, ils se racontaient des histoires. Guillaume avait travaillé en Afrique pour une ONG . Il avait passé des mois à installer des mini stations d’épuration dans de petites villes, dans des villages reculés. Il avait été très occupé. La mission terminée, il s’était permis de voyager quelques semaines à travers le continent, puis il était rentré. On n’en saurait pas beaucoup plus pour l’instant. À aucun moment ils n’eurent l’idée de lui faire le moindre reproche. Guillaume était devenu un homme. Le verbe, surtout, avait changé. Il s’exprimait mieux, ses phrases coulaient dans une syntaxe ample que des mots précis et nuancés irisaient. Il était devenu un homme fin et fort tout à la fois. »

« La troisième Saint-Barthélemy
Des mois étaient passés, on ne savait trop comment. On faisait aller. L’hiver replie les âmes sur elles-mêmes, rétracte les envies comme les coins d’une vieille lettre jetée aux flammes. Le berger avait fini par oublier les chasseurs, petit à petit, il avait cessé d’attendre une explication concernant la mort du mouton. L’assurance avait refusé de rembourser sous prétexte qu’il fallait le collier du chien pour preuve du préjudice. Finalement, Guillaume s’était recentré sur son travail et il avait fait fructifier, c’était le moins que l’on puisse dire. Les premières rentrées d’argent avaient dépassé ses espérances. Son cheptel s’était très vite fait une place sur le marché. C’est qu’il faisait de la qualité, le berger, tout le monde le disait dans le métier. Il commençait déjà à se faire un nom. Il voulait réinvestir sans attendre. Il prospectait déjà en vue d’acquérir de nouvelles bêtes jusqu’à doubler dès l’été son troupeau. Il n’avait aucun besoin : un peu d’essence dans la moto, quelques pochettes de tabac à rouler et, pour la nourriture, il vivait encore, sans se l’être explicitement formulé, dans le giron de Catherine, sa mère, qui n’arrivait jamais les mains vides et laissait chaque jour des plats cuisinés ou abandonnait ici et là des boîtes, des fruits et des sacs gorgés de victuailles. Guillaume faisait semblant de s’en offusquer, il soufflait, refusait, s’énervait même. » p. 77

« Les chasseurs, eux, étaient restés sur leur coup d’éclat. Ils menaient un mouton à zéro, ce n’était déjà pas si mal. Parfois, au café, une allusion échappait, des oreilles se tendaient, Charles et Lucien souriaient, Joseph faisait les gros yeux, et puis on passait à autre chose. Il y avait du boulot au chantier. On continuait de se regarder de travers, des regards tendus comme une corde de pendu, mais – et c’était bien l’essentiel – on partageait la montagne, même si on le faisait un peu comme on séparerait le bon grain de l’ivraie. La vie poursuivait son cours. » P. 78

« Au village, Jeanne avait très vite senti qu’on lui réservait un traitement spécial. Elle faisait la queue comme tout le monde à l’épicerie ou à la poste et elle notait à chaque fois comme un voile, un masque qui tombait sur le visage des employés quand venait son tour. Le geste amical laissait place à un ton poli, presque à l’excès parfois, toujours gêné. Jeanne sentait bien ces choses-là, elle avait développé dans son métier un instinct particulier, une perspicacité, elle savait lire les disputes des parents dans les yeux des enfants. » P. 88

« Le chœur des femmes se répandait discrètement dans l’air comme on souffle sur la fleur de pissenlit des dictionnaires Larousse. Rome s’est faite avec le chœur des femmes et le corps des hommes. On a détruit Babylone par corps d’hommes soumis au chœur des femmes. C’était il y a longtemps et tout cela finirait bien par changer. Mais pas à Ségurian. Le berger, ses moutons et ses problèmes. Le chœur des femmes s’ouvrait sur une étrange mélodie, tremblante, in certaine, comme le vol d’une chauve-souris en plein jour. Puis le chant fuguait un peu plus bas. Pianissimo . On hésitait un peu, même les femmes de chasseurs va cillaient, surtout celles qui avaient une tendresse pour la tranquillité et les bêtes blessées, mais il faudrait bien s’accorder. Il y en avait une ou deux qui parlaient plus fort que les autres au bout de la rue, les solistes entraînaient le chœur. » P. 102

« Quand l’épaule de Joseph se déroba sous la rondelle de bois, saint Barthélemy bascula en avant et se brisa aux pieds du chasseur. La tête se sépara du corps et roula sur deux mètres en accrochant la poussière. Après l’éblouissement, Joseph se releva et la ramassa. Il crut voir alors se dessiner sur le saint plâtre un petit sourire en coin, un sourire de berger. » P. 117

À propos de l’auteur
Jérôme Bonnetto est né à Nice en 1977 il vit désormais à Prague où il enseigne le français. La certitude des pierres est son troisième roman. (Source : Éditions Inculte)

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