Les tourmentés

BELVEAUX_les_tourmentes RL_ete_2022  Logo_premier_roman  coup_de_coeur

Prix Talents Cultura 2022
Sélection Prix des Inrockuptibles 2022, catégorie premiers romans

En deux mots
Max retrouve Skender, un ancien frère d’armes en voie de clochardisation. Sa patronne lui propose un contrat à trois millions, en échange d’une partie de chasse très spéciale, car c’est lui qui sera le gibier. Il relève le défi et commence à s’entraîner pour ce rendez-vous très risqué.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Partie de chasse à l’homme

Pour écrire son premier roman, Lucas Belvaux a transformé un début de scénario en un suspense haletant. Cette chasse à l’homme très particulière est sans conteste l’une des belles surprises de cette rentrée.

Skender est un ancien légionnaire. Hanté par ses démons, il a été rejeté par sa femme erre dans la rue, proche de la clochardisation. Une situation qui l’empêche aussi de s’approcher de ses fils Jordi et Dylan, rongé par la honte.
Mais quand Max, un ancien frère d’armes, le retrouve et vient à son secours, tout change. En montant dans la limousine de son ami chauffeur, Skender se voit proposer par «Madame», la riche veuve qui emploie Max, une partie de chasse très particulière puisque c’est lui qui sera le gibier. Cette chasse à l’homme qui se déroulera dans un vaste domaine situé en Roumanie, lui permettra d’empocher trois millions. Cette somme lui permettrait d’offrir à sa famille confort et sécurité. Il accepte le marché d’autant que le premier million lui est versé à titre d’acompte.
Max est chargé de suivre Skender et de préparer la chasse, de lui assurer jusqu’au voyage en Roumanie une vie confortable, de l’aider dans sa préparation sportive. Avec un nouveau toit, une voiture de luxe et une garde-robe entièrement renouvelée, Skender peut se rapprocher de Manon et expliquer à son ex-femme qu’il pourra désormais lui verser une pension alimentaire.
Mieux encore, il part dans les Corbières pour trouver une propriété à leur offrir. Et il entend aller vite, car il ne sait s’il reviendra vivant de son périple roumain.
Lucas Belvaux a choisi le roman choral pour détailler ce suspense, offrant tour à tour la parole aux différents protagonistes. Madame, Max et Skender sont les seuls à connaître les clauses du contrat et les enjeux. C’est donc avec davantage de gravité qu’ils commentent leurs préparatifs. Manon quant à elle a du mal à croire au revirement de son ex-mari et à ce qui ressemble à une fortune miraculeuse. Mais au fil des jours sa carapace de méfiance et de douloureux souvenirs va se fissurer. Avec l’insouciance de leurs jeunes années, Dylan et Jordi vivent un conte de fées et s’enthousiasment jour après jour de leurs cadeaux, de la chaude présence de leur père à leurs côtés. Sans se douter une seconde que leur bonheur pourrait être bien éphémère.
Avec un sens certain de l’intrigue, Lucas Belvaux fait monter la tension, chapitre après chapitre. Madame ira-t-elle au bout de son projet? Max restera-t-il toujours son loyal serviteur? Skender va-t-il préférer la fuite au respect de sa part de contrat? Et si oui, réussira-t-il à sauver sa peau face à des chasseurs expérimentés et des chiens bien entraînés?
Des questions existentielles qui permettent au romancier de mettre en scène une large palette d’émotions et d’entraîner avec lui le lecteur, avide de connaître le dénouement de ce drame. Sans conteste, Lucas Belvaux entre en littérature par la grande porte!

Les tourmentés
Lucas Belvaux
Alma Éditeur
Premier roman
348 p., 20 €
EAN 9782362796081
Paru le19/08/2022

Où?
Le roman est situé dans un endroit qui n’est pas précisément situé. On y évoque aussi Paris, une maison dans les Corbières et un vaste domaine en Roumanie, non loin de Cluj.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Dix ans que les deux hommes s’étaient perdus de vue et puis, d’un coup, ils se retrouvaient au détour d’une rue, face à face. Le hasard, paraît-il, fait bien les choses. S’il s’agissait de lui, il aurait mieux fait ce jour-là de se mêler de ce qui le regardait, mais il n’y était pour rien. Skender le comprendrait bientôt, ce n’est pas le hasard qui avait mis Max et Madame sur son chemin. Il le comprendrait bientôt.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Le carnet et les instants (Laura Delaye)
L’intime Festival
RTBF (Christine Pinchart)
RTBF (Le Mug – Elodie de Selys)
La langue française (Sophie Appourchaux)
RTS (Podcast Vertigo)
Désir de lire (Evelyne Sagnes)
Livres dans la boucle – le Podcast
Blog main tenant
Blog Les livres de Joëlle
Blog Lily lit


Lucas Belvaux présente son premier roman Les Tourmentés © Production Librairie Mollat

Les premières pages du livre
« 1

La vie. La mort. La même chose.
L’une et l’autre liées. Imbriquées. Solidaires.
Je connais les deux. Je vis. J’ai vécu.

J’ai vu mourir des hommes et, je dois l’avouer, j’en ai tué. Des hommes, oui. De sang-froid. Presque. En toute connaissance de cause en tout cas. J’étais soldat. Au début, j’étais soldat. Plus que ça, même. La quintessence. Légionnaire. Képi blanc. L’élite depuis le 30 avril 1863 à Camerone, Mexique. Admiré par tous ceux qui se battent quelque part dans le monde. Légionnaire. Respect !

Mercenaire, ensuite. Soldat de fortune. Contractant comme on dit aujourd’hui. Blackwater. En Irak, un peu. Pas que. Ailleurs. Avant. Pas que des bons souvenirs. Pas que des mauvais, non plus. La vie, quoi. Et la mort, aussi. Oui. Plus que pour le commun des mortels. Une partie du boulot. Tuer. Se faire tuer. Ou pas. Sans foi. Sans passion. Sans raison, non plus, sinon le salaire. L’argent. La guerre pour nourrir ceux qu’on aime. Un métier comme un autre. On mourait sans gémir. On tuait sans frémir. Comme ça. Ni chaud ni froid. On en parlait le soir en jouant aux cartes, en buvant de la bière. Pas normal, ça. Ça laisse des traces. Pas tout de suite. Après. Longtemps après. Quand ceux qu’on a tués viennent nous parler la nuit. Les spectres. Ceux qui marchent en traînant leurs boyaux, la tête sous le bras, ou qui la cherchent sous nos lits et la réclament. C’est leur vengeance. Ils y ont droit. Normal. Et nos nuits durent plus longtemps que leur agonie.

Alors l’alcool, les cachets, les suées, les cris, les réveils en sursaut, le silence autour, car c’est la paix ici, personne ne meurt sous le tir d’un sniper ou du souffle d’une bombe, personne ne pleure, sauf ta femme parce que tu l’as réveillée en hurlant, que tu l’as frappée dans ton sommeil en repoussant tes fantômes, qu’elle a mal, qu’elle a peur que tu la tues de tes poings sans même t’en rendre compte et elle va dormir avec les garçons, jusqu’au jour où elle te demande d’aller vivre ailleurs et tu retournes chez ta mère parce que tu n’as que là où aller, que les copains t’ont déjà hébergé et que, de toute façon, eux aussi, on les a mis dehors.

Chez ma mère, c’est loin parce que je suis d’ailleurs. À l’est d’ici. D’un pays qui n’existe plus. Autodétruit par ses folies. Chez ma mère, je suis un enfant à qui on reproche tout ce qu’il est, tout ce qu’il a été, tout ce qu’il a fait et tout ce qu’il n’a pas fait pour en arriver là. Chez ma mère, je suis plein de honte et de larmes, de rancœurs et de haine. De moi. Des autres. Du monde. Plein de haine pour elle qui m’a fait ce que je suis. Alors je m’en vais. Sans adieu. Sans remords. Je m’en vais pour ne pas la tuer.

Je reviens là où je ne suis rien, où je n’ai rien. Sans emploi ni maison. Sans raison d’être. Sans vergogne.

Je vis.

Ça veut dire que je bois, que je pisse, que je chie, que je dors, que je mange (parfois), que j’insulte les passants. Je n’ai ni chaud, ni froid, ni faim, ni peur. Je suis un légionnaire. Je me tiens droit.

Je vais regarder mes enfants sortir de l’école, caché, qu’ils ne me voient pas. Pas comme je suis. Moi, je les vois de loin, main dans la main. Le plus grand protégeant le plus jeune. Fier. Brutal à l’occasion. Je le sais, on me l’a reproché déjà.

Puis, je repars d’où je viens, dans mon bois en périphérie de la ville, là où d’autres comme moi viennent dormir et boire. Boire jusqu’à se battre. Boire jusqu’à mourir.

La mort encore. Ma vie.

Parfois, au matin, je décide de repartir à zéro. Je me lave, mes affaires, mon corps, arrête de boire pendant trois jours et m’en vais sonner chez ma femme et mes garçons. Les bons jours, elle me laisse les embrasser, jouer au ballon quelques heures. L’occasion de s’en libérer un moment, d’aller voir une amie ou un film, de faire des courses ou d’autres choses qui ne me regardent pas. Quelques heures d’espoir où je me trouve beau, désirable, capable de la rendre heureuse et de les rendre fiers, eux, contents d’avoir un père à la maison, comme les autres. Mais non, ils ne sont pas tant à avoir leur père à la maison et déjà elle me demande de partir.

Les bons jours, ça se passe comme ça. Les autres, je reste planqué pendant des heures, pas trop loin, pour les apercevoir quelques secondes, ou alors elle me chasse parce que ma vue leur fait mal et que, la dernière fois, ils ont eu le cafard pendant des jours.

Ma vie.

Je pourrais crever là sans que ça change quoi que ce soit. Et que je continue de vivre ne change rien non plus.

Ma vie. Ma mort. La même chose.

Je m’appelle Skender.

2
Je m’appelle Max.

Je conduis une Mercedes noire aux vitres teintées. C’est mon métier. Il n’y en pas de sot.
C’est une limousine, silencieuse, automatique. Un cocon où il fait frais l’été et chaud l’hiver. Un écrin voluptueux. Ce qui se fait de plus proche du tapis volant. J’aime cette voiture. J’aime la conduire, la laver, la lustrer. J’aime voir le soleil s’y réfléchir. J’aime ses formes, son odeur. J’aime qu’elle soit lourde et protectrice, puissante et docile.
Depuis huit jours, je n’en suis pas sorti. Ou alors à peine, pour acheter de quoi manger, ou chasser un chien qui projetait de pisser sur mes jantes.
Pour le moment, je roule au pas, une centaine de mètres derrière celui que je n’ai pas quitté des yeux depuis une semaine, depuis que je l’ai retrouvé six ans après l’avoir perdu de vue.

Maintenant que je sais tout de ses habitudes, de ce qu’il est devenu, de comment il vit et où, je vais pouvoir l’aborder, l’inviter à monter dans la voiture, lui rappeler le passé, la Légion, l’Irak, l’amitié. Je sais qu’il n’a rien oublié. Comme moi. Parce que ces moments-là ne s’oublient pas, qu’on les porte en soi pour toujours, qu’on vive avec ou qu’on en meure.

Moi, j’ai refusé de mourir ou d’être survivant. Je n’ai pas bu jusqu’à oublier qui j’étais avant même d’oublier ce que j’avais fait. Non, je refuse d’oublier qui je suis et d’où je viens.

Chaque matin, je me regarde dans le miroir et je vois un nègre, à la généalogie peuplée d’esclaves qui un jour se sont dressés et libérés de leurs chaînes. C’est leur sang qui coule dans mes veines. Leurs souffrances sont les miennes. Mon histoire est la leur. Je suis leur sanctuaire, leur nécropole. Je les porte en moi, je n’ai pas le droit de vivre comme un chien. Comme lui, là, qui marche cent mètres devant, ou les autres comme lui, qui ne pensent qu’à ce qu’ils vont pouvoir manger ou pas, au froid qui vient qui les trouvera sans rien pour se couvrir, qui parcourront la ville, en horde ou solitaire, à la recherche de quelques miettes de chaleur et d’alcool, puis qui mourront comme meurent les chiens, seuls sur un trottoir, enjambés par les indifférents, des heures durant, avant que quelqu’un comprenne, qu’on les ramasse. Ils mourront anonymes. Sans passé. Sans avenir. Oubliés qu’ils étaient avant même de mourir. Morts sans nom dont personne n’aura à faire le deuil. Cadavres sans postérité. Chair sans sève, dans laquelle plus rien ne coule qui fait la vie. Plus de rouge. Plus de rose chez les blancs. Plus de ces reflets cuivrés qui brillent sur les peaux comme la mienne. Gris et froids pour le reste du temps qu’il leur reste à être, à refroidir, pourrir et disparaître.

Je ne laisserai pas Skender mourir comme ça. Je lui offrirai la mort qu’il mérite.

Il aurait dû mourir à la guerre, il aurait mieux valu. Mieux vaut mourir d’une flamme en plein cœur, au milieu de ses camarades qui n’oublieront jamais. Et mieux vaut la chair crépitant dans les flammes que cette indifférence, ce froid, ce vide, ce rien. Mieux valent la souffrance et les cris, le dernier sursaut de ce qui est encore une vie. Vivre jusqu’à l’ultime instant. Le vivre. Et je ne parle pas de gloire, d’engagement, d’honneur ou de devoir. Rien ne compte à cet instant. Je ne parle que de la dernière goutte de lumière. La dernière étincelle qu’il ne faut pas gâcher.

Je l’ai privé de cette mort-là. Il m’en a été reconnaissant. L’est-il encore ?

Je suis à sa hauteur, j’ouvre la porte. Il me voit, me reconnaît. Il sourit. Il monte. Il trouve que j’ai une chouette bagnole. Je lui dis tout de suite que ce n’est pas la mienne, qu’elle appartient à ma patronne. Entre camarades, on ne se ment pas. On ne se fait pas passer pour ce qu’on n’est pas. Nous savons, lui et moi, qui nous sommes. On s’est vus au feu. Là où la vérité éclate. La vérité d’un homme.

Ça l’amuse que j’aie une patronne. Que j’obéisse à une femme. Il ne l’aurait pas cru. Ça ne le choque pas, ça le surprend, c’est tout.

Il me demande si je ne crains pas qu’il empuantisse la voiture, mais non, je ne le crains pas. Ça se traite. Il y a des produits pour ça. De toute façon, il ne sent pas, je le savais avant de le faire monter. Je savais qu’il s’était lavé. Je ne lui dis pas. Ce n’est pas le moment. Pas encore.

Je l’emmène déjeuner. Il me remercie. Il sait que je sais. Il a compris. Pas dupe.

Il choisit un couscous. Nostalgie de légionnaire ! On rit. On mange. On parle. Du passé d’abord. Il faut bien renouer. Retisser les fils qui nous lient, retrouver ce qu’on a en commun. Pas tout. Pas tout de suite. D’abord ce qui fait rire, ce qui réchauffe. Ce qui fait le plaisir des retrouvailles. Ça dure. On étire. On ne voudrait parler que de ça. Pas du reste, non. Pas des morts, en tout cas. Et pourtant il faut bien, même si je ne sais pas pourquoi, et lui non plus, il faut en passer par là. Parler de ceux qu’on a aimés et qui ne sont plus. Pas de ceux qu’on a tués, non, pas ceux-là, même si on parle du combat, de l’action, du tir. Mais pas de ces morts-là. Nous savons qu’on n’oubliera jamais leur corps dans la visée, secoué par l’impact, le spasme, la silhouette affaissée, le tas de tissus et de chair mêlée, le sang qui s’écoule en ruisseau. De ça nous ne parlerons pas. Des autres, seulement.

Voilà, c’est fait. On a fait court, finalement. Je n’aurais pas cru.

Le passé purgé, il faut bien parler du présent. Je sais qu’il n’en a pas envie alors je commence. On n’a pas beaucoup changé. Les cheveux plus longs pour lui, plus gris pour les deux. Mais à part ça ?

— Pareils !

J’entends l’ironie dans sa voix. Il n’a pas grand-chose d’autre à offrir. Il sourit encore. Il ne dit rien, ça permet de ne pas mentir.

Je continue. Je me raconte. Il faut bien donner un peu. On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre.

Comment définir ce que je suis. Chauffeur ? Oui, pas que. Bodyguard. Majordome. Cuisinier. Homme à tout faire, aussi, mais pas larbin. Pas ça. Jamais. Pas gigolo, non plus. Madame n’a pas besoin de ça. Pas de besoins de ce côté-là. Du tout. Elle est encore jeune pourtant. Et si quelques rides au coin des yeux rappellent qu’elle n’est plus une jeune fille, sa voix est claire, ses cheveux brillent et sa peau renvoie la lumière aussi blanche qu’elle y est arrivée. Aussi pâle que je suis noir. Mais ça ne compte pas. Pour elle, ça ne compte pas. Enfin, je crois. Non, je sais. Je sens ces choses-là. Madame n’a rien à faire de la couleur des peaux.

Elle est riche et veuve. Je suis à son service vingt-quatre heures sur vingt-quatre, même si je suis libre d’aller et venir, comme je veux, quand je veux. Je ne le fais jamais, c’est auprès d’elle que je suis bien, mais je ne vis pas avec elle. Je vis à ses côtés et ça me suffit. J’aime voir les films qu’elle voit, écouter la musique qu’elle écoute, lire les livres qu’elle lit. Car, je lis des livres, maintenant. Grâce à elle. J’ai appris à ses côtés. Je lui apprends des choses aussi.

C’est une vie calme, sans inquiétude. Je me lève à cinq heures, je profite de la salle de sport, puis je me douche, je fais le ménage silencieux, le repassage, les vitres, du rangement jusqu’à l’heure du petit-déjeuner que nous prenons ensemble tête à tête. Je la coache pendant qu’elle fait son sport, on va courir. Ensuite, chacun reprend ce qu’il a à faire jusqu’au repas que je prépare, léger souvent mais pas toujours. Il lui prend parfois des envies de gras, de bœuf et de porc, de sucres, de crème, de gâteaux. Ces jours-là, je me fais pâtissier, rôtisseur et nous mangeons sans retenue aucune. L’après-midi, elle marche dans la forêt, tous les sens aux aguets à la recherche d’un cerf, d’un chevreuil, d’une martre ou d’un renard. Elle repère leurs traces dans la boue, leurs coulées dans les feuilles, les arbres marqués par leurs passages. Madame adore la nature, les animaux et la chasse. C’est sa passion.

On a repris un café. Je savais qu’il n’avait pas envie que la parenthèse se ferme. Il m’écoutait, souriait, commentait d’un mot. Il tardait à me raconter sa vie. Il ne savait pas que j’en connaissais à peu près tout. Il s’est amusé du hasard qui nous avait fait nous retrouver. Il a bien fallu lui dire que le hasard n’y était pour rien. Que je l’avais cherché. Que ça n’avait pas été bien difficile. Qu’il m’avait suffi de retrouver sa famille et de l’attendre.

Je ne lui ai pas dit que je l’épiais depuis plus d’une semaine. Que je connaissais sa cabane cachée dans les fourrés. Que je l’avais vu se laver à l’eau des fontaines Wallace, faire la queue aux maraudes des Restos du Cœur, à celles des Secours catholique ou populaire, c’est lui qui m’a raconté, sans honte ni regret. Si, un regret, un seul, qui le tuait lentement comme un poison. Il ne pouvait donner à ses enfants ce que tout père leur doit.

Il ne m’a rien demandé, bien sûr.

On avait parlé du passé, raconté nos présents, mais comment envisager le futur avec quelqu’un qui n’en a pas ?

Pourtant, j’étais là pour ça.

Je l’ai emmené chez le coiffeur. Puis dans une boutique acheter des vêtements, des pompes qui ressemblaient à quelque chose. Je devais le rendre présentable, parce que, même s’il était aussi digne que possible, il ressemblait quand même très précisément à ce qu’il était, un clochard. Et il n’était pas question que je présente un clochard à Madame.

Je ne lui ai pas dit en quoi consistait le boulot. Ça devait rester entre eux. Ça ne regardait qu’eux. Une histoire entre adultes libres, consentants et exceptionnels. Je ne suis qu’un intermédiaire et je le resterai.

On est arrivés avant la fin du jour. Madame nous attendait. Son sourire m’a ravi comme il me ravit à chaque fois. Il était franc, direct, ouvert, brillant. Le sourire d’un enfant heureux capable d’oublier sa peine en un instant et de vivre pleinement une joie nouvelle.

Elle l’accueillit. Je les laissai.

3
— Asseyez-vous.

Je ne sais pas où, tant il y a de fauteuils, de canapés, de poufs, de coussins. Tant ils sont larges et profonds. Elle m’en désigne un d’un geste, face aux baies vitrées. Derrière, le terrain descend en pente douce, puis plus forte, vers une vallée. La propriété n’a pas de limites visibles. Il doit y avoir des clôtures plus loin, hors du regard, là où la prairie plonge. Je ne sais pas. J’imagine.

Deux chiens jouent, libres. Je ne m’y frotterais pas, je sais ce que Max a pu leur apprendre. De ce côté-là, « Madame » ne risque rien.

— Voulez-vous boire quelque chose ?

Elle est cordiale, simple, sympathique. Jolie aussi. Objectivement. Bien faite. Musclée. Souple. À mon goût, en tous cas. Quand je goûtais encore ce genre de chose.

— Du thé ? Du café ? Une bière ?

Rester lucide, surtout. Maître de moi. Je sais que je ne suis pas là sans raison. On n’en est qu’aux préliminaires, la coutume, comme dans la brousse.

Un café. C’est bien, c’est sobre. Modeste.

Elle va glisser une capsule dans un percolateur.

Dehors, je vois Max lancer une balle aux chiens. Un berger allemand et un Saint-Hubert. De belles bêtes, fidèles, intelligentes, courageuses, féroces même, à l’occasion, qui vous égorgent n’importe quel bestiau d’un coup de mâchoire. N’importe quel homme aussi, pourvu qu’on leur demande. La truffe qu’ils viennent frotter sur la main de leur maître en quête d’une caresse est celle qu’ils plongeront dans le sang encore chaud de ce qu’ils auront dépecé. Homme ou bête. On ne peut pas leur reprocher. Ce qu’ils font, ils le font sans malice et sans haine. On les a créés pour ça, croisés, sélectionnés depuis des générations pour leurs qualités de mordant, de force, de vitesse, d’odorat, d’obéissance. Pour le goût qu’ils ont à satisfaire un maître.

On ne peut rien reprocher à un chien. On ne peut pas lui en vouloir. On ne peut pas le juger.

On peut l’abattre, c’est tout.

— Du lait, du sucre ?

Rien du tout, merci. Je l’aime noir et âcre. Brûlant. Je ne sais pas très bien ce que je fais là. J’attends sans savoir ce que j’attends. Une proposition de travail sans doute. Pas très légal, probablement. On propose rarement un travail normal à un gars comme moi. Dans ces conditions-là. Je n’ai pas le profil d’un jardinier. Pas les compétences non plus. Max le sait.

— Max m’a dit beaucoup de bien de vous.

Je pourrais en dire autant de lui. Plus même. Je ne dirai jamais assez ce que je lui dois.

On s’est connus à Aubagne au 1er régiment étranger en 96. J’arrivais de Sarajevo où je m’étais battu pendant trois ans. Ici, la vie était douce, même pour un soldat. Max était mon sergent. C’est lui qui m’a appris à parler français. Il a fait de moi un légionnaire, aussi. On a fait l’Afrique ensemble, le Congo, la Côte d’Ivoire, d’autres coins pourris, l’Afghanistan. J’ai quitté l’armée. Je n’aurais pas dû. Je n’étais pas fait pour le bâtiment. Pas fait pour ce genre de vie. Ce n’était la faute de personne.

Civil, on m’a proposé de mettre mes compétences en explosifs à contribution sur un coup sans problème. Il ne faut jamais faire confiance à un type qui pense qu’un coup est sans problème. Un coup sans problème, c’est un coup mal préparé. Des risques sous-évalués.

J’ai pris cinq ans, j’en ai fait trois. Je suis sorti sans argent, sans boulot, avec un casier. C’est Max qui m’a tiré d’affaires. Déjà.

Il avait quitté la Légion l’année d’avant. Il louait ses compétences à des dictateurs ou à ceux qui voulaient les renverser. Le plus souvent, on allait former des gars, on sécurisait des mines d’or ou de diamants dans des pays pas regardants. On se battait parfois contre des guérilleros en guenilles, défoncés, exploités par des seigneurs de guerre planqués à Londres ou à Paris, à Bruxelles. On faisait ce qu’on était payés pour faire quelques semaines, ou quelques mois, puis on rentrait claquer l’argent. Puis on repartait.

Après, ça a été la guerre d’Irak. Une autre paire de manches. Moche. On ne savait jamais contre qui on se battait. Un vieux. Une femme. Un gosse. N’importe qui, n’importe quoi pouvait vous péter à la gueule. Un frigo sur un tas d’ordures. Une carcasse de voiture. Un bout de mur. Même un chien crevé. Ça ne rigolait plus. On tirait sur tout ce qui bougeait, uniquement parce que ça bougeait. Et parfois sur ce qui ne bougeait pas, justement parce que ça ne bougeait pas. C’était l’Irak. C’était la merde. Si Max n’avait pas été là, j’y serais encore, couché sous un mètre de sable à Bassora.

— Vous avez des enfants, je crois.

Max lui en avait dit plus que ce que je pensais.

Est-ce qu’il lui avait dit que je n’avais pas été capable de les élever ? De les nourrir ? De leur apprendre la vie ? Que je n’avais pas su faire ça. Que personne ne me l’avait appris. Que je n’étais pas capable de subvenir à leurs besoins élémentaires. Que c’était à leur mère qu’ils devaient tout.

Lui avait-il dit qu’ils étaient la dernière chose qui me reliait à la vie et que je serais prêt à mourir pour eux ?

— Il paraît, oui, que les parents sont prêts à mourir pour leurs enfants. Je ne sais pas. Je n’en ai pas eu. Et je ne suis pas sûre que ma mère serait prête à mourir pour moi.

Elle sourit en le disant. Cynisme, amertume. Elle n’est plus là. Elle est ailleurs. Quelque part où personne n’est admis. Au cimetière des souffrances anciennes où chaque tombe recèle une plaie mal fermée, suintante, une blessure qui ne guérira jamais et qui fait mal encore. Une douleur d’enfants. Silencieuse. Jamais dite. De celles qui font les mots qui résonnent toute une vie, qui font souffrir si longtemps qu’on en oublie qu’on souffre.

Celles qui font haïr.

— Ce sont des mots ou vous seriez réellement prêt à mourir pour eux ? Parce que c’est un peu facile, non ? On dit ça parce qu’on sait qu’il faudrait des circonstances exceptionnelles… Qu’il y a très peu de chance que ça arrive.

— Non. On le sait. On le sent.

— Si je vous proposais de mourir pour vos enfants, là, tout de suite, vous accepteriez ?

Max est toujours avec les chiens qui lui font la fête. Heureux comme seuls les chiens peuvent l’être. Les chiens et les enfants. Que ne reste-t-on enfant ? Que ne sommes-nous chiens ?

4
Les chiens ne se lassent jamais de ramener un bâton. De courir après le gibier non plus. Ils aiment ça. Traquer. Chasser.

Comme Madame. Elle a chassé tous les gibiers, du plus petit au plus gros, au plus dangereux, à courre, à l’affût, à l’approche, en battue. Au fusil, à l’arc.

Elle se fout des trophées, il n’y en a pas sur les murs. Elle aime l’action. Chercher sa proie, la traquer, la trouver, la voir surgir, sentir le froid descendre le long du dos pendant que l’arme monte à la joue et que son œil aligne le guidon, le cran de mire et la cible.

Elle en aime les bruits. Celui de la meute, ses aboiements, les pattes qui s’enfoncent dans l’humus, son odeur mouillée. Le cinglement des branches. Les sabots dans la boue. Les galops. Les cris, les appels, l’écho des détonations au loin qui résonnent et rebondissent entre les arbres. Et le silence aussi, celui de l’affût, qui annonce que le jour ne sera plus très long à venir, que la brume va bleuir, puis dorer dans les premiers rayons du soleil. Le premier chant d’oiseau. La première risée à la surface de l’eau. Les premiers bruits subtils que n’entendent que ceux qui n’en font pas. L’attente. Le souffle qu’on retient. Le temps qui s’étire. Les muscles brûlant de froid. Les sens explorant des dimensions inconnues, pénétrant des taillis impénétrables, les futaies, les fourrés.

Puis le premier tir. Les battements d’ailes affolés. La première nuée. Tuée.

Tuer ? Je ne sais pas. C’est difficile d’imaginer qu’on puisse aimer tuer. Ça existe, je le sais, j’ai vu des hommes qui aimaient ça. Et c’est toujours un malaise, même à la guerre. D’ailleurs, ils s’en défendent. Je n’en ai pas croisé qui le revendiquaient, qui pouvaient affronter le regard de ceux qui les avaient vus jouir de ce qu’ils avaient fait. Pourtant ils l’avaient fait. Ils avaient pris plaisir à tuer. Ils en avaient connu l’extase. Elle se voyait dans leurs yeux encore flous. On l’entendait dans leur souffle trop court. Mais pas elle, non. Elle aime chasser, c’est tout. C’est sa façon d’aimer la vie. Je l’ai vue affronter la charge d’un lion sans trembler, encaisser le recul des fusils à gros calibre, endurer le froid, le vent et la pluie jusqu’à ce qu’un ours apparaisse et se dresse. Elle a tiré des sangliers. Servi des cerfs à la dague. Elle les a suspendus à des branches, saignés, vidés de leurs entrailles, dépouillés, débités. Mangés.

Madame a chassé tous les gibiers.

5
— Si je vous proposais de mourir pour vos enfants, là, tout de suite, vous accepteriez ?

— Oui. Mais ça n’arrivera pas.

Il me répond comme si c’était une parole en l’air, une blague, une façon de parler. Il peut. J’ai fait ce qu’il fallait pour. J’y ai mis toute la légèreté dont je suis capable. Dans ma voix, dans mon sourire. Dans la désinvolture du corps. Une façon d’engager la conversation, d’en proposer le thème. Une ouverture, comme à l’opéra ou aux échecs. Aux échecs plutôt.

Je pousse mon avantage. J’avance un pion.

— Pourquoi ça n’arriverait pas ?
— Parce qu’il faut une raison aux choses et je ne vois pas ce qu’on y gagnerait. Ni vous, ni moi.

Il fonce tête baissée. Bravement. Et pourtant il a peur. Il ne sait pas de quoi, mais il a peur. Il a peur justement parce qu’il ne sait ni de quoi ni pourquoi. Il fait tout pour ne pas le montrer, bien sûr. Pour maîtriser son corps. Ses mouvements qui pourraient le trahir. Et il y arrive assez bien. Pourtant je vois. J’entends. Et je sais. Je sais de quoi.

Il a peur de moi.

Il se tient raide, droit. Trop raide et trop droit. Barricadé derrière ses muscles. Terré dedans. Recroquevillé. Pauvre petit bonhomme en train de se rendre compte que tout ça ne le protège pas. Plus. Pas de moi en tout cas.

Il a peur.

Pas de mes quarante-huit kilos, pas de mon corps qu’il pourrait briser d’un seul geste. Ni de cette violence en lui qui rendrait ça possible. Ou de son désir, de la faiblesse que ça implique à ses yeux. Non, c’est ailleurs que ça se passe. Parce qu’il est comme moi, sans désir. Pas pour les mêmes raisons, sans doute, mais comme moi. Je le sais. Je ne vois pas dans ses yeux ce qu’il y a dans ceux des autres, dans leur regard, qu’il soit direct ou en biais. Non, rien de commun avec ceux-là. Il n’a pas peur de ma « féminité ». Il n’est pas de ces hommes qui n’assument ni leurs pulsions, ni leurs besoins, ni les mots qui vont avec. Crus. Brutaux. Qui disent féminité pour dire cul, seins, bouche, sexe. Chaque mot plus ou moins investi selon les goûts de chacun et qu’aucun ne dit, incapables qu’ils sont de les nommer et d’en prononcer les mots.

Tu n’as rien à foutre de ma « féminité », toi. Tu n’as pas peur parce que je suis une femme. Tu as peur parce que je suis riche. Tu as peur de l’argent. De son pouvoir. De ce qu’il peut te faire. Et te faire faire à toi qui n’en as pas.

Ça pourrait s’arrêter là. Ça devrait. Je devrais arrêter là. Maintenant. Tout de suite. Pour ça. Parce qu’il a peur et qu’il ne devrait pas. Que ce n’est pas à la hauteur de ce que Max m’a annoncé. Et pourtant si. Les machines n’ont pas peur, les hommes, oui. Quels qu’ils soient. À un moment ou à un autre. Tôt ou tard. Et moi, c’est un homme que je cherche. Un homme prêt à mourir.

— Moi, je sais ce que vous pourriez y gagner.

Il ne demande pas quoi. Il a compris. Il sait. Alors il ne dit rien. Il réfléchit. Il compte. Il essaye d’évaluer combien vaut sa vie. Combien vaut sa peau. Les chiffres tournent. Il ne sait pas. Rien. Ni combien il vaut, ni combien je peux mettre. Combien je veux mettre.

Je le laisse se perdre dans le labyrinthe où il est entré et j’attends.

6
Je vois Max, là-bas. Le bâton qu’il lance et relance. Les chiens.

Il sait de quoi nous parlons. Il savait tout à l’heure quand on mangeait ensemble. Quand on a ri. Quand j’essayais le costume ou que je sommeillais dans la voiture, bercé par le ronflement doux du moteur. Quand je trouvais belle la campagne que je n’avais pas vue depuis longtemps. Oui, il savait quand je le remerciais pour tout ça. Il savait vers quoi il m’emmenait.

Je vois les nuages. Le soleil, en dessous, qui descend. Le ciel qui jaunit. Les arbres qui bougent dans le vent et je flotte. Tout est liquide autour. Les murs. Le sol. Madame qui dérive lentement. Comme une huile dans l’eau. Je ne vois plus ses yeux. Plus ses traits. Elle disparaît. Elle s’efface. Se dilue.

Moi aussi. Je suis sans contours. Sans peau ni rien entre le monde et moi qui me protège. Rien qui me tient.

Max, que m’as-tu fait ?

Toujours j’ai su ce que j’avais à faire. Toujours je me suis tenu droit. Toujours j’ai su faire face. À tout. Pourtant, en une seconde, je me suis écroulé. Liquéfié. Fondu dans un monde sans bords, sans limites, sans repères, où le chaud et le froid n’existent plus. Un monde sans douleur. Sans corps.

Mort, déjà ?

Tout comme.

Et Madame ne dit rien. Elle attend. Comme Max attend. Les pieds sur terre. Elle attend un mot, un oui ou non. Un chiffre, un prix. Elle n’a rien d’autre à faire qu’attendre en regardant Max qui attend en regardant les chiens qui courent, qui sautent, qui jappent, qui jouent.

Je flotte.

Mourir pour mes enfants ? Où ? Quand ? Comment ?

— Combien ?

7
Nous y sommes.

Il comprend vite.

Ça vaut quoi la vie d’un homme ? D’un homme comme lui. Un homme sans rien. Clochard. Va-nu-pieds. Un homme que personne n’attend et n’attendra plus jamais. Ça vaut combien une vie qui ne vaut plus la peine d’être vécue ? Une vie d’invisible, sans amour, à la lisière du monde. La vie d’une ombre.

Lui, là, à combien il l’estime sa vie ?

— Trois millions.

C’est beaucoup quand on sait d’où il vient.

— Non. C’est pas beaucoup.

Il a raison. Ou pas. La vie n’a d’autre prix que celui qu’on lui donne. Ce n’est pas sa vie qu’il estime, c’est ma fortune.

Ou mon envie. Mon envie de tuer un homme.

Est-ce que je peux mettre trois millions ? Oui, plus même, mais je ne lui dis pas. Pas encore. Ce n’est pas la question. Si je suis prête à lui donner trois millions, sa vie les vaut. Si je considère que non, alors elle vaut moins. Il y a quelques heures, elle ne valait rien du tout. C’est aussi simple que ça.

Non, il n’est pas d’accord. Ce n’est pas comme ça que ça se passe. Il a failli mourir pour beaucoup moins, c’est vrai. Pour rien, même. Il l’avait accepté. Il était prêt. Mais aujourd’hui, ça ne se joue pas qu’entre lui et moi. Si de mon point de vue, ou du sien même, sa vie ne vaut plus grand-chose, pour ses fils, elle est inestimable.

J’entends l’argument. Je l’entends d’autant mieux que c’est moi qui me suis servie d’eux comme appât.

Si on peut considérer que la vie d’un homme comme lui ne vaut rien, ça ne nous dit pas ce que vaut la vie d’un père pour ses enfants.

— Trois millions.

— Et pourquoi pas deux ? Ou quatre ? Ou cinq ? Ou dix ?

Parce que deux garçons, ça fera deux orphelins. Donc, deux millions. Un pour chacun. Le troisième pour leur mère. Pour les élever.

— Trois millions.

Cette discussion ne m’intéresse plus. Elle est obscène. Comme s’il se vendait, que je l’achetais Il n’est pas question de ça. Pas d’argent. Il est question de vie et de mort.

Je n’ai pas envie de marchander. Passons à autre chose. Vite.

— D’accord. Trois millions.

8
Elle me tend la main. Cordiale. Souriante. On tope. Comme si elle m’achetait une voiture d’occasion. Elle appelle Max qui répond au téléphone, là-bas, au bout de cette pelouse qui n’en finit pas. Je le vois se mettre en route escorté par les chiens.

Je voudrais m’allonger, dormir un peu. Je voudrais voir mes fils, les serrer dans mes bras. Je voudrais être un autre. Pouvoir pleurer. Revenir en arrière, pêcher dans la Neretva, jouer au foot sur la place du village, rêver d’être grand, de sauter du haut du pont de Mostar et tomber comme on vole, quelques secondes avant de pénétrer la rivière, de briser sa surface comme une pierre et sentir l’eau me saisir tout entier, muscle après muscle. Rêver de voler. Je voudrais refaire la route, tourner à gauche le jour où j’ai choisi de partir à droite avec les autres pour prendre les armes. Avoir été lâche plutôt que brave, m’être enfui avant d’être un héros, avoir choisi l’exil plutôt qu’y être obligé. Ne pas être ici. Reposer sous la terre de Sarajevo ou le sable d’Irak et n’avoir jamais vendu ma mort. La vivre en homme, pas en esclave.

— Du champagne, ça vous va ? J’ai plus fort si vous voulez.
— Du champagne, c’est très bien.

Oui, j’étais prêt à mourir pour rien. Une patrie. Une famille. Et j’ai failli mourir pour pas grand-chose. Mais jamais sans me battre, sans faire payer le prix du sang. Comme un légionnaire.

Max nous rejoint. Il attend que Madame lui dise ce que j’ai décidé. Madame, oui, car il me fuit. Il fuit mes yeux qui cherchent son regard, quelque chose à quoi me raccrocher, un peu de la chaleur d’un ami, même s’il m’a vendu. C’est sa main que je voudrais serrer. Sa voix que je voudrais entendre. Max, dis quelque chose. Parle-moi. Mais Max n’a qu’un seul maître. Un seul chef. Il a toujours été comme ça. »

À propos de l’auteur
BELVEAUX_Lucas_©DRLucas Belvaux © Photo DR

Lucas Belvaux est né à l’automne 1961 à Namur, en Belgique. Une enfance à la campagne, puis il s’installe à Paris pour devenir acteur. Après quelque mois de cours de théâtre, il décroche son premier rôle au cinéma avec Yves Boisset (Allons z’enfants). Il tournera ensuite avec Claude Chabrol, Jacques Rivette, Olivier Assayas, Marco Ferreri, Chantal Akerman, notamment.
En 1991, il réalise son premier film, Parfois trop d’amour, mais c’est avec Pour rire! en 1996, qu’il est reconnu comme metteur en scène. Suivront la trilogie : Un couple épatant, Cavale, Après la vie, couronné par le prix Louis-Delluc en 2003. Il a depuis réalisé Rapt, 38 témoins, Pas son genre, Chez nous et, dernièrement, Des hommes, adapté du roman de Laurent Mauvignier. Les Tourmentés est son premier roman.

Page Wikipédia de l’auteur
Page Facebook des fans de Lucas Belvaux
Compte Instagram de l’auteur

Mes livres sur Babelio.com


Focus Littérature

Tags
#lestourmentes #LucasBelvaux #almaediteur #hcdahlem #premierroman #RentréeLittéraire2022 #litteraturebelge #litteraturecontemporaine #RentreeLitteraire22 #rentreelitteraire #rentree2022 #RL2022 #MardiConseil #primoroman #roman #livre #lecture #books #blog #littérature #bloglitteraire #lecture #jaimelire #lecturedumoment #lire #bouquin #bouquiner #livresaddict #lectrice #lecteurs #livresque #lectureaddict #litterature #instalivre #livrestagram #unLivreunePage #writer #reading #bookoftheday #instabook #litterature #bookstagram #book #bookobsessed #bookshelf #booklover #bookaddict #reading #bibliophile #bookstagrammer #bookblogger #readersofinstagram #bookcommunity #reader #bloglitteraire #aupouvoirdesmots

Publicité

L’étudiant

HAUUY_letudiant RL-automne-2021

En deux mots
Au milieu d’une montagne de problèmes, David Lessard se voit confier la mission – très bien rémunérée – d’enseigner musique et peinture à un enfant surdoué. Il ne sait pas encore qu’un piège diabolique est en train de se refermer sur lui.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

Le professeur de musique pris au piège

Dans ce polar habilement construit Vincent Hauuy nous propose de suivre le prof de musique d’un enfant surdoué. Dans un chalet isolé de montagne, il va découvrir de curieux hôtes et se retrouver au cœur d’une infernale machination.

C’est bien simple, les ennuis s’accumulent à une telle cadence que David Lessard va jusqu’à se dire que la mort pourrait être une bonne solution à ses problèmes. Petit-fils d’une lignée de restaurateurs de renom, il s’occupe de sa mère atteinte d’un cancer, n’a plus aucune nouvelle de son frère qui a filé depuis dix ans et dont l’établissement a périclité. Il va vraisemblablement falloir mettre la clé sous la porte. Et ce ne sont pas les maigres revenus de ses compositions musicales qui vont lui permettre de régler ses dettes abyssales. Et le message de l’envoyé des frères Daniele a été on ne peut plus clair: si on lui accorde un dernier délai, après lui avoir coupé un morceau d’oreille au sécateur, c’est pour lui permettre de rassembler très vite 20000 €. Car dans flot de mauvaises nouvelles une lueur d’espoir réussit à poindre. On lui propose d’être le prof de musique et de beaux-arts d’un enfant surdoué vivant dans un magnifique chalet du côté du Brévent.
Il lui faudra deux heures de route pour arriver dans cet endroit idyllique et se rendre compte que la proposition est tout ce qu’il y a de plus sérieux.
Dans cet endroit isolé, il va faire la connaissance de son élève, effectivement très doué mais bien mystérieux, et de son père qui effectue des recherches scientifiques pour le compte d’un riche patron. Il a notamment l’ambition de développer un casque de réalité virtuelle révolutionnaire. Au fil des jours et des leçons, il va découvrir la présence d’autres personnes, un cuisinier qui connaît parfaitement les recettes servies dans le restaurant familial et un patient alité dans une chambre habituellement fermée. Des découvertes qu’il va vouloir creuser avec sa meilleure amie et un enquêteur qui entendent bien trouver la clé de ce mystère. Si leurs recherches s’avèrent fructueuses, elles font aussi augmenter considérablement leurs craintes. La famille Lessard semble en effet être au cœur d’une machination diabolique. Peut-être faut-il remuer le passé pour en découvrir le secret de ce thriller, même si quelques coquilles viennent gâcher le plaisir de la lecture.
L’épilogue imaginé par Vincent Hauuy est un feu d’artifices de révélations. Ce qui en fait, à contrario, la partie la moins vraisemblable du récit. Mais on pardonnera volontiers cet excès de zèle, car jusque-là on est pris dans ce suspense habilement construit.

L’étudiant
Vincent Hauuy
Éditions Harper Collins Noir
Thriller
000 p., 00,00 €
EAN 978xxx
Paru le 6/10/2021

Où?
Le roman est situé en France, principalement dans les Alpes, entre Saint-Gervais, Chamonix et le Brévent.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Dans les hauteurs alpines, le piège se referme…
Le destin en veut à David Lessard. Après la mort de son père et la disparition de son frère aîné, voilà que sa mère est victime d’un cancer. Ce n’est pas avec son salaire de musicien compositeur – malgré son petit succès – que David aurait pu payer les frais médicaux et les dettes du restaurant familial. Mais les voyous auxquels il a emprunté de l’argent veulent maintenant être remboursés…
Alors, quand un riche inconnu lui propose de devenir le professeur particulier de son fils, Maxime, David ne peut qu’accepter. Tant pis si le garçon, un jeune génie de 11 ans dont la technique est parfaite mais dénuée d’émotion, le met très mal à l’aise, et si le père semble avoir d’autres projets pour son nouvel employé. Il savait que le job était trop beau pour être vrai. Mais il est prêt à jouer le jeu, le temps de découvrir leurs secrets.
Dans cette maison d’architecte cachée sur les hauteurs alpines, le piège se referme…

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
goodbook.fr
Émotions Blog littéraireentretien avec l’auteur (Yvan Fauth)
Blog L’Atelier de litote


Bande-annonce du roman © Production Harper Collins France

Les premières pages du livre
« – Alors, comment tu trouves ?
Une main posée sur le rebord du lit, j’observe ma mère manger. Je cherche des signes dans le moindre frémissement de ses traits, dans sa mastication silencieuse, dans ses pauses. Malgré sa tignasse grise désordonnée et sa mine revêche, elle n’a rien perdu de sa prestance. Ni les années ni la maladie n’ont altéré son regard acéré d’ancienne cheffe étoilée. Pour moi non plus, le temps n’a rien changé, je reste ce petit garçon intimidé par l’autorité de sa mère et j’attends son jugement impartial. Au dire de mes proches, je suis moi-même bon cuisinier, mais mes compétences sont loin de satisfaire l’exigence légendaire et le palais délicat de la redoutable Agathe Lessard. Mon écrasé de topinambours au moka et aux noisettes torréfiées a déjà remporté les suffrages enthousiastes de Leïla, ma meilleure amie, mais séduire les papilles de l’intransigeante cheffe est un challenge d’un tout autre niveau.
Ma mère repousse son assiette à peine entamée et se redresse en grimaçant.
— Si tu veux m’euthanasier, pas la peine de faire si compliqué. Les options ne manquent pas. Regarde autour de toi : oreiller, injections…
— Waouh, à ce point ? m’offusqué-je sans pour autant cesser de sourire.
Elle est tellement faible ces derniers temps. La voir ressortir ses piques me réchauffe le cœur.
— Ça va. Je déconne, ça n’est pas fameux, ton truc, mais ça n’est pas avec ça que tu vas m’enterrer. Ton plat n’est pas mauvais. L’intention y est. Les ingrédients et les saveurs aussi. Mais tu es comme ton père, tu as la main lourde sur le sel et les épices. Il faut du goût, mais là, ça vient déséquilibrer l’ensemble. Comme quoi, chacun son…
Ma mère marque une pause et serre les dents pour contenir la douleur.
Je ne m’habitue pas. La voir souffrir ainsi me serre l’estomac.
— … domaine.
Je dépose le plateau-repas sur la table de nuit et sors la boîte d’antalgiques du tiroir.
— Non, pas la peine, j’ai déjà ma dose, mon foie va morfler sinon, intervient-elle avant de s’allonger et de fermer les yeux. Toujours pas de nouvelles de Jérôme ?
Encore cette question. Une rengaine quotidienne. Presque un mantra. Maman espère toujours que son ingrat de fils aîné se manifeste après toutes ces années. Mais pourquoi le ferait-il ? Parce qu’elle est malade ? Comment pourrait-il le savoir ? Jérôme n’a jamais cherché à reprendre contact avec nous depuis le jour où il a claqué la porte du restaurant, il y a dix ans.
— Non, maman, aucune nouvelle.
Et ne compte pas en avoir.
Lorsqu’elle est dans cet état, je pourrais lui annoncer qu’une météorite s’est écrasée dans le jardin sans provoquer chez elle le moindre intérêt. Seul un « oui, j’ai des nouvelles » pourrait la faire réagir.
Oui, maman, bien sûr. Jérôme est revenu. Tiens, d’ailleurs, il ne se drogue plus, ne pique plus l’argent dans les portefeuilles pour s’acheter sa dose, ne vend plus les bijoux de grand-mère.
Le retour de mon frère serait un mauvais signe. L’apparition d’un vampire assoiffé ou d’un charognard affamé décrivant des cercles autour d’un mourant. Pourtant, seul ce genre de scénario parviendrait à réchauffer le cœur de ma mère, à lui insuffler peut-être le supplément d’énergie dont elle a besoin pour terrasser le crabe. N’est-ce pas le chagrin qui a déclenché son foutu cancer ? Le stress du restaurant, les deux étoiles à conserver et la troisième à décrocher. Les dettes qui se creusent, un fils disparu dans la nature et l’autre qui a refusé de passer sa vie dans les cuisines pour mieux s’égarer dans la musique et la peinture. Un bohème, comme son père. Un feignant. C’est comme ça qu’elle me voit. Elle n’a jamais rien laissé paraître, se contentant de se démener comme une diablesse avec sa brigade pour créer sans cesse de nouvelles recettes. Mais je l’ai toujours senti.
— Quel gâchis, ton frère aurait pu aller si loin… Il était doué, plus que ton grand-père, plus que moi.
Oh ! mais il l’a été, loin, maman. Très loin, même. Dans les étoiles, les galaxies et les nébuleuses, sans même se bouger le cul, une seringue dans le bras. Un sourire béat imprimé sur sa tronche de toxico, il a fait le tour de la voie lactée, tu peux me croire. Et qui l’a ramené sur terre d’un coup d’aiguille dans la poitrine ? Toi ? Non. Ton autre fils, celui qui s’occupe de toi, celui qui ne t’a pas abandonnée.
— Et sinon, le privé dont je t’ai parlé ? Tu l’as appelé, j’espère, demande ma mère, une lueur d’espoir dans les yeux.
Non, maman, car nous sommes ruinés et que le restaurant va fermer. Le peu de thune que j’ai passé dans ce gouffre sans fond, alors n’imagine pas que je vais le claquer chez un détective. Jérôme est sûrement déjà mort. Dans un squat, sous un pont…
Comment lui avouer que l’établissement tenu par les Lessard depuis trois générations va devoir fermer ses portes sans un nouvel apport ? Impossible. La vérité anéantirait ma mère. Elle finira par l’apprendre, je ne pourrai pas le cacher indéfiniment, mais peut-être que d’ici là, elle aura repris suffisamment de forces.
— C’est en cours, dis-je, mais cela prend du temps, tu sais. Il est parti depuis si longtemps…
Ma mère pose une main squelettique sur la mienne.
— David ? Je t’aime. Tu le sais, non ?
Oui, mais pas autant que Jérôme, le petit cuisinier prodige.
— Moi aussi, maman.
— Allez, va… ta muse t’attend.
Ma muse. L’inspiration, malheureusement distante ces derniers temps. L’angoisse l’a fait fuir. Elle se nourrit du vague à l’âme, pas de la peur. Peu importe, je n’en ai pas besoin pour composer. Il me reste la technique, froide, implacable, mais toujours juste. Cela suffit amplement pour remplir mon rôle de mercenaire de la musique.
Alors que je tends le bras pour débarrasser l’assiette, maman intervient :
— Non, tu peux la laisser. Je mangerai plus tard. Je n’ai vraiment pas faim. Ça te dérangerait de tirer les rideaux en partant ?
La pièce est pourtant déjà sombre. Les nuages bas et le ciel virant au noir annoncent la prochaine tombée des flocons. Mais je me lève pour m’exécuter.
La fenêtre de la chambre offre une vue imprenable sur l’avant-cour. L’hiver a déjà assailli la pelouse et l’a recouverte d’un fin duvet cotonneux. Des veines de glace parcourent les fissures de la vieille fontaine moussue. La neige masque partiellement la peinture écaillée de la grille.
Je déteste l’hiver, plus encore depuis que je voyage tous les jours entre la chambre du troisième étage et mon antre de troglodyte au sous-sol de cette maison. La maison Lessard, fierté de la famille depuis trois générations. Fille unique, maman en a hérité.
Et en l’absence de Jérôme, si elle meurt, j’hériterai à mon tour du manoir et du restaurant attenant. Enfin, si tout n’est pas vendu d’ici là.
Je chasse cette idée sinistre. Elle va s’en sortir. Agathe Lessard est une battante, tout le monde le sait. Avec un soupir, je tire les rideaux après m’être tourné une dernière fois vers ma mère.
— Si tu as besoin de quoi que ce soit…
Maman ne répond pas, elle a déjà fermé les yeux.

L’infirmière à domicile m’a laissé un message. Elle ne viendra pas aujourd’hui pour des « raisons personnelles ». Je me demande si le caractère exécrable de ma mère n’est pas venu à bout de la patience de cette brave jeune femme. J’ai trois heures à tuer avant la prochaine médication de ma mère. Cela me laisse le temps de commencer une nouvelle commande, même si j’aurais de loin préféré composer un morceau pour mon prochain album. Je règle la minuterie de mon téléphone et pousse la porte de mon antre. À peine suis-je entré au sous-sol que l’odeur d’herbe froide et de bière tiède me submerge. Des cannettes et cadavres de bouteilles s’entassent sur la table basse. Une bouteille de vodka aux trois-quarts vide est posée sur la caisse claire de ma batterie. Le reliquat de ma soirée d’hier – chips, Pringles et autres snacks – s’étale sur la moquette trouée et tachée. Un dépotoir que je n’ai pas pris le temps de ranger hier, et dont je ne compte pas plus m’occuper aujourd’hui. J’accuse déjà un jour de retard pour cette commande, une musique censée accompagner une vidéo d’entreprise. Le genre de bouse bien trop éloigné de ce qui me passionne, de ce qui me fait vibrer. Le cahier des charges est bourré d’exigences et laisse très peu de place à la créativité, je suis obligé de coller aux références données en annexe. Un travail d’imitation dégueulasse, qui ne couvrira même pas le dixième de nos dettes abyssales.
Je vais composer comme un foutu automate et aligner les notes en choisissant des intervalles connus, un thème axé autour d’un I-V-VI-IV en do majeur. Je saupoudrerai le tout de quelques variations et emprunts d’accords sur le pont pour donner du peps. Quelques instruments virtuels suffiront pour simuler l’orchestration classique, des nappes de synthé viendront ajouter ambiance et modernité. La guitare, la basse et la batterie seront jouées en live. J’ai même un plan pour y parvenir, et c’est bien ce qui m’emmerde. Cela fait trop longtemps que je n’ai plus suivi mon instinct de compositeur.
J’allume un pétard à peine entamé, laissé plus tôt dans un cendrier, et je m’empare de ma gratte. Mission : trouver un thème accrocheur en espérant ne pas trop dévier et me perdre en route.
— Reste concentré, dis-je à haute voix, le joint coincé à la commissure des lèvres.
Le contrat prévoit des pénalités de paiement par journée de retard. Pas le moment de rêvasser. À ce rythme, je vais devoir payer mes propres compositions…
I-V-VI-IV. Do, sol, la mineur, fa. Classique, efficace.
Bien sûr, dix minutes plus tard, je suis déjà parti bien loin de mon intention initiale, perché dans des hauteurs où mon esprit vagabonde entre les notes et les vapeurs d’herbe.
Mon téléphone me ramène sur terre. Ce n’est pas la minuterie qui sonne, mais un numéro inconnu.
Je repose ma guitare et fixe l’écran qui n’en finit pas de vibrer – comme la vieille dans la chanson de Jacques Brel – sur la table basse. Mon inspiration s’est envolée, et, sans pouvoir arrêter les picotements au bout de mes doigts ni les battements de mon cœur, je réprime un frisson.
Même si je ne connais pas ce numéro, je sais qui je vais trouver au bout du fil. J’ai tout fait pour les oublier, mais eux ne m’oublieront pas.
Mon estomac noué se tord une fois de trop. Je me précipite vers la corbeille remplie de papier qui jouxte ma station de travail et y vide mes boyaux.
Avec un râle, je me redresse en titubant. Une myriade d’étoiles danse devant mes yeux.
La sonnerie cesse enfin, remplacée par un staccato de tintements. Une salve de trois messages :
Demain, sans faute.
Tu sais ce qui t’attend, enculé.
Sois chez toi demain à 10 heures. On arrive.
J’éteins mon téléphone. Comme si ça pouvait faire disparaître les menaces !
Ne pas y penser. Surtout ne pas y penser. Termine ton morceau. Demain est un autre jour.
J’écrase le joint et reprends ma guitare. Mais je sais déjà que la concentration va être encore plus difficile.
Non, pas difficile.
Impossible.
2
Je ne parviens pas à arrêter les tremblements de ma main droite ni les contractions qui agitent mon pouce. Je me touche la poitrine et la carotide toutes les minutes. Ni les pétards, ni les tisanes, ni les séances de méditation n’ont réussi à chasser la peur qui me vrille le ventre.
Je n’ai pas pu fermer l’œil de la nuit. Si je tiens debout, c’est grâce à une cafetière ingurgitée en trois grosses tasses successives. De mon système nerveux, perfusé à la caféine, irradient des palpitations et des fourmillements. Malgré l’overdose d’excitants, le monde semble tourner au ralenti et mes paupières sont lestées de parpaings de béton. À 8 heures du matin, le sommeil, main fantomatique qui voudrait m’extraire de mon corps, me rattrape enfin.
Mais il n’est plus question d’aller se coucher. Je n’ai pas ce luxe, hélas.
Une bande de tarés va se pointer chez moi et exiger que je rembourse une somme d’argent que je ne possède pas. Des malabars vont me questionner, me menacer, me passer à tabac, et peut-être même me tuer. Pour laisser un message : on ne déconne pas avec les frères Daniele.
Ça ne serait peut-être pas si mal après tout. Mourir – à condition de ne pas trop souffrir – serait la solution la plus simple à mes problèmes. Une fuite. Définitive. La fin de tous mes soucis : plus de restaurant à sauver, plus de commandes bidon à honorer pour des gens qui n’y connaissent rien, plus de mère percluse de douleurs ni d’emprunts à rembourser à des types dangereux. Avec un peu de chance, une fois mort, je visiterai un autre endroit où je me réincarnerai. Pourquoi pas sur une nouvelle planète ? Dans le pire des cas, ce sera le néant, la non-existence. Je réprime un frisson. L’idée du néant me perturbe depuis toujours et je ne laisse jamais mes pensées s’y attarder plus de quelques secondes. C’est pour moi aussi inconfortable que de fixer le soleil.
Je vide le fond de la cafetière – malgré l’odeur de brûlé –, consulte l’horloge – qui indique 8 h 15 – et me beurre un morceau de pain rassis. J’aurais pu me préparer un dernier repas plus élaboré, mais je n’ai pas l’énergie de cuisiner.
La sonnerie de la porte d’entrée, horrible ding-dong à l’ancienne, retentit pile au moment où je m’apprête à enfourner ma tartine. La surprise me fait renverser ma tasse. Je la rattrape in extremis – merci les nerfs boostés au café – avant qu’elle ne percute le carrelage.
Ils sont déjà là. En avance.
La raison est évidente : par pur sadisme. Ces fumiers veulent me tourmenter. Je ne suis pas prêt. C’est trop tôt. Mon regard s’attarde sur les couteaux de cuisine alignés sur leur support magnétique Je pourrais me défendre, résister. Pourquoi me laisser cogner sans réagir ?
Parce que si tu répliques, abruti, ils vont te tuer. Alors que si tu te laisses faire, tu pourrais t’en tirer vivant. Voilà pourquoi. Et ne viens pas me parler de la mort, de voyage, de réincarnation. Ne te détourne pas de ta peur en invoquant des fadaises fantaisistes. Assume-la, ta foutue peur. Tu en es capable, tu l’as déjà fait.
Nouvelle sonnerie. Nouveau frisson.
Ma mère va descendre si elle continue d’entendre ce bruit. Connaissant son caractère explosif, elle serait capable de se battre. Elle est si faible. De tels monstres la tueraient d’une seule claque. Mais ne serait-ce pas mieux ainsi ? Une claque, et tout sera fini.
Bon sang, David, ressaisis-toi. À quoi tu penses ?!
À rien. Je ne pense à rien. Le manque de sommeil conjugué au cannabis contrôle mon esprit et injecte ces scenarii catastrophes dans ma boîte crânienne. Je lâche un « Et merde ! », et je trottine vers le vestibule.
J’ouvre la porte, et la tension accumulée se relâche d’un coup. Je reste planté comme un con, la bouche entrouverte.
Je m’étais attendu à des malfrats tatoués à la mine patibulaire, pas à un vieux affublé comme un majordome anglais. L’homme qui se tient devant moi est aussi grand qu’effilé. Il m’évoque un squelette sorti d’un charnier. Seuls dénotent ses cheveux gris parfaitement tirés en arrière et luisant de laque.
Non, pas un majordome. Un croque-mort.
— Vous êtes bien David Lessard ? demande-t-il d’une voix plus aiguë que son physique ne le laisse supposer.
Je reste interdit quelques secondes – ce type me rappelle un acteur, mais lequel ? – avant de répondre par l’affirmative.
— J’ai un colis pour vous, continue-t-il.
Il me tend une enveloppe bulle, que je saisis machinalement. Une étiquette « David Lessard » est collée dessus. Aucune adresse.
— Vous êtes sûr que…
Mais l’homme m’a déjà tourné le dos et se dirige vers une berline noire qui ressemble à une Bentley.
Malgré le froid mordant, je stagne quelques secondes encore dans l’embrasure. Abasourdi.

Quelle journée de dingue ! Et qui ne fait que commencer.
Quoi de mieux, après une nuit blanche, que l’apparition d’un coursier-squelette sorti de nulle part, venu me refourguer un mystérieux colis précisément le jour où je vais me manger la raclée de ma vie, voire peut-être y rester ?
Je m’affale sur un tabouret de la cuisine, pose la lettre sur l’îlot devant moi et éventre l’enveloppe à l’aide du couteau à beurre. J’en extirpe une clé USB noire et un message manuscrit sur une feuille d’imprimante.
L’écriture cursive est soignée, rédigée à la plume.

« Monsieur Lessard, vous trouverez sans doute cette présentation bien singulière, mais je vis dans un endroit assez reculé et j’ai une confiance assez limitée dans notre système postal, surtout en cette période hivernale.
Je suis le père d’un enfant tout à fait spécial. Comprenez par là qu’il est en avance sur son âge. Vous pourriez le qualifier de surdoué, mais vous seriez sans doute en deçà de la vérité. Le système scolaire est inadapté, trop lent. Mon fils a obtenu son baccalauréat l’année dernière, à dix ans. Son niveau est déjà celui d’un universitaire. Ses connaissances sont larges et couvrent tous les domaines, de la science dure aux sciences humaines en passant par la philosophie et la littérature.
Une discipline lui échappe cependant et cause chez mon garçon une énorme frustration. Maxime veut comprendre l’art, particulièrement la musique et la peinture. Pour ma part, je le trouve très doué, mais mes encouragements n’y changent rien. Maxime accorde peu d’importance au jugement de son béotien de père et requiert l’avis et les conseils éclairés d’un expert.
Ce qui m’amène à vous.
J’ai consulté votre site Internet et visionné vos vidéos. J’ai également écouté vos compositions et pu apprécier vos toiles, qui sont à mon humble avis totalement sous-évaluées. Comme je l’écrivais plus haut, mon avis importe peu, mais Maxime a porté une attention particulière à vos créations et semble penser que vous pourriez l’aider.
Nous sommes tombés d’accord et souhaiterions ardemment que vous commenciez à travailler chez nous, à domicile. Bien sûr, nous comprendrions tout à fait que ces cours puissent interférer avec vos activités professionnelles, aussi seront-ils rémunérés en conséquence : cinq cents euros de l’heure à raison de trois heures par jour. Les horaires sont négociables, mais quatre cours par semaine nous semblent être le minimum.
Je dois vous prévenir que plusieurs professeurs ont déjà tenté de lui apprendre, mais jusqu’ici sans résultats. Si vous êtes intéressé, je vous prie de suivre les indications fournies sur la clé USB.
Au plaisir d’avoir rapidement de vos nouvelles.
Cordialement,
P. Baranger. »

J’émets un ricanement sec, tourne et retourne la lettre. Où est l’arnaque ? Impossible de prendre cette demande au sérieux. Pourquoi ce P. Baranger ne m’a-t-il pas contacté par mail ? Ou par téléphone ? Mes coordonnées sont accessibles sur mon site, mon Instagram, partout. Cette histoire de fiabilité de La Poste ne tient pas debout une seconde.
La mise en scène est grotesque, voire louche.
Ou alors ce gars est un riche excentrique technophobe. Issu d’une famille amish, peut-être ? Ce qui pourrait expliquer l’aspect du coursier – ha ! je me souviens enfin : il ressemble à l’acteur qui jouait le prêtre dans Poltergeist 2, Henry Kane.
Mais la clé USB, alors ?
Pas vraiment le type de technologie qu’emploieraient des amish, si ? Et le vieux ne serait pas venu en Bentley, mais avec une charrette tirée par des chevaux.
Il s’agit plus probablement d’une arnaque. La clé doit abriter un ransomware. Dès que je vais l’insérer dans mon PC, toutes les données seront cryptées et mon ordinateur sera verrouillé. Je devrai débourser une somme en bitcoins pour les récupérer. Dans le contexte actuel, cette escalade dans la malchance me surprendrait à peine.
Réfléchis deux minutes, David. Tu te prends pour une star ou un ministre ? T’es un musicien raté et un youtubeur qui vient juste de passer le cap des cinquante mille abonnés. Les quelques cours que tu dispenses ne font pas de toi un professeur émérite. Tu penses que des arnaqueurs iraient jusqu’à payer un coursier en Bentley pour la livraison d’une clé USB sans avoir la moindre garantie que tu l’utilises ?
Je suis bien obligé d’admettre que l’opération serait loin d’être rentable. Combien de lettres et de locations de voitures de luxe avant qu’un gogo ne morde à l’hameçon ?
Un gogo fauché de surcroît.
Je me frotte les yeux et réprime un bâillement.
8 h 30, soit une heure et demie avant que les malabars envoyés par les frères Daniele ne me brisent tous les os du corps.
Cinq cents euros de l’heure. Ce n’est quand même pas rien. Mille cinq cents euros la journée !
Et bordel, qu’est-ce que j’ai à perdre ? Mes données – principalement des compositions pour la plupart inachevées – sont le moindre de mes soucis.
Je pourrais appeler Leïla, elle saurait me conseiller, c’est la seule de mes amis capable de pirater un ordinateur. Mais, à cette heure-ci, elle doit sans doute dormir.
C’est surtout une des rares personnes avec qui tu es resté en contact. La plupart de tes « amis » t’ont abandonné à présent.
C’est vrai. Moins de fêtes, moins de rigolade, moins de sorties. Les rats ont quitté le navire. Les problèmes font fuir, à croire qu’ils sont aussi contagieux qu’un virus.
Je saisis la clé USB, vide ma tasse et prends la direction du sous-sol.

Je suis déçu. La clé ne contient qu’un fichier texte, un PDF, une proposition de planning et un lien vers un site Internet. Je m’attendais à quelque chose de plus exotique, de plus mystérieux, à l’image de cette livraison ubuesque.
Les instructions présentes sur « alire.txt » sont lapidaires : je suis invité à consulter le PDF, puis à me rendre sur le site web pour répondre à un test qui permettra de vérifier, d’après l’auteur de la lettre, si j’ai bien les prérequis pour obtenir le job – en imaginant qu’il soit réel.
La vie et son putain de sens de l’humour ! Pourquoi ce type ne m’a-t-il pas contacté avant que je sois plongé dans la merde jusqu’au menton ? Avec ce salaire, j’aurais pu sauver le restaurant.
Ouais, c’est ça. Et pourquoi pas payer en plus un traitement expérimental aux États-Unis à ta mère ?
D’un coup de paume, je désarticule ma mâchoire engourdie. J’allume un joint, inspire une grande bouffée et ouvre le PDF.
La première page expose en plan large – photo prise avec un drone – une immense maison d’architecte en bois à trois étages, nichée au cœur d’une petite forêt de sapins. Je reconnais vaguement les massifs environnants, mais l’endroit ne me dit rien. C’est peut-être près de la brèche du Brévent. Il me faudrait plus de photographies et prises sous des angles différents pour en être certain.
En tant qu’habitué des randonnées en montagne, je suis sûr d’une chose en revanche : ce genre de lieu est uniquement accessible par cabine. Les Baranger doivent vivre en pleine zone blanche. Complètement en retrait.
Quelques pages plus loin, une brève présentation m’apprend que la maison a été construite sur la base d’une ancienne et modeste station de ski familiale, délocalisée depuis. Et, comme je l’avais déjà deviné, on y accède par téléphérique ou par hélicoptère si le climat le permet. Par contre, ils ne donnent pas d’adresse ni de coordonnées GPS, pas même un mail ou un numéro de téléphone pour les contacter. Je fais comment pour m’y rendre si je suis pris ?
Les modalités de mes hypothétiques prestations sont ensuite abordées : je peux, si je le souhaite, regrouper mes heures sur quelques jours, auquel cas je serai nourri et logé sur place P. Baranger mentionne l’existence d’une connexion Internet par satellite et précise que son fonctionnement est erratique, surtout en cas de tempête. Je peux amener mon matériel, mais il précise que cela n’est pas nécessaire car ils disposent d’une large collection d’instruments et de peintures.
Enfin, le document stipule qu’il est impossible d’inviter des amis et qu’il est interdit d’apporter et de consommer de la drogue ainsi que des armes.
Pas de drogue ? Comment tu vas faire, hein ?
Je pourrais planquer un sachet d’herbe sous une pierre avant d’entrer dans la maison…
Le dernier chapitre du PDF n’est qu’une série de clichés décrivant l’intérieur du chalet. Il y a aussi un plan des pièces qui me seraient accessibles – parties communes, salons, cuisine, salles de bains – et des espaces privatifs, principalement au rez-de-chaussée. La consultation de ce plan me donne le tournis tellement la bâtisse est immense.
J’ai souvent rêvé d’avoir mon studio de musique dans une gigantesque villa bordant l’océan. Combien peut coûter une telle baraque ? Dix millions ? Non, sûrement plus. »

À propos de l’auteur
HAUUY_vincent_©VM_Ariane_GalateauVincent Hauuy © Photo Ariane Galateau

Vincent Hauuy est né à Nancy le 23 avril 1975. Concepteur de jeux vidéo, romancier et scénariste, il est titulaire d’un master en information et communication de l’Université de Metz en 2000. Après Le tricycle rouge, son premier roman, couronné du Prix VSD-RTL du meilleur thriller français 2017, il a publié Le brasier (2018), puis Dans la toile (2019) et L’étudiant (2021). (Source: Babelio)

Site internet de l’auteur
Page Wikipédia de l’auteur
Page Facebook de l’auteur
Compte Twitter de l’auteur
Compte instagram de l’auteur
Compte Linkedin de l’auteur

Commandez le livre en ligne sur Amazon (il suffit de cliquer sur la couverture)

Mes livres sur Babelio.com


Focus Littérature

Tags
#letudiant #VincentHauuy #HarperCollinsNoir #hcdahlem #polar #thriller #litteraturepoliciere #RentréeLittéraire2021 #litteraturefrancaise #lundiLecture #LundiBlogs #litteraturecontemporaine #RentréeLittéraireaout2021 #rentreelitteraire #rentree2021 #RL2021 #livre #lecture #books #blog #littérature #bloglitteraire #lecture #jaimelire #lecturedumoment #lire #bouquin #bouquiner #livresaddict #lectrice #lecteurs #livresque #auteur #lectureaddict #litterature #instalivre #livrestagram #unLivreunePage #writer #reading #bookoftheday #instabook #Bookstagram #Book #Bookobsessed #bookshelf #Booklover #Bookaddict

Fin de siècle

G03549_Gendron_FinDeSiecle.indd
  RL2020

En deux mots:
Un assassinat cruel dans une villa de luxe sur le riviera française, l’arrivée d’un monstre marin sur une plage du Portugal, un touriste de l’espace parti pour effectuer le plus grand saut en parachute au monde: le cocktail de ce roman est joyeusement foutraque.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

L’oisiveté est la mère de tous les vices

Polar déjanté, dystopie cruelle et regard incisif sur une société d’ultrariches oisifs et prêts à tout: «Fin de siècle» est un délire férocement angoissant!

Cela commence comme dans un thriller bien noir, avec un crime particulièrement cruel. Nous sommes dans une villa de luxe de la riviera française, à Roquebrune-Cap-Martin, au milieu de la nuit. Un homme s’y introduit et à l’aide d’un long couteau attaque la femme qui avait quitté sa chambre pour s’assurer qu’il n’y avait pas de rôdeur chez elle. Son œuvre achevée, il est tranquillement rentré chez lui en Italie voisine.
Et alors que le lecteur s’imagine suivre l’enquête sur ce crime sordide, on change totalement de registre.
Sur une plage du Portugal vient de s’échouer une espèce rare et pour tout dire que l’on croyait disparue depuis longtemps, un mégalodon. Ce requin géant est de dimension hors-norme et attire plusieurs centaines de curieux. C’est au moment où les autorités décident de faire exploser le cadavre à la dynamite pour libérer la plage que l’attaque se produit. Une dizaine d’autres prédateurs terrifiants surgissent de l’océan et font un carnage parmi les badauds. On apprendra plus tard que les gigantesques herses construites pour bloquer ces monstres hors de Méditerranée ont cédé.
Sébastien Gendron passe allègrement du roman noir à la science-fiction, d’une histoire à l’autre. Au Congo, on s’apprête à envoyer une fusée à quelque 88000 km de la terre pour réaliser le plus grand saut en parachute de l’histoire de l’humanité, tandis que des trafiquants s’apprêtent à voler des œuvres d’art d’une valeur inestimable pour les « transformer » suivant les désirs du commanditaire qui s’ennuie dans sa propriété et s’interroge sur la visite de la police, enquêtant sur le meurtre sanglant de sa voisine.
Vous suivez toujours?
Alors que la chasse aux monstres marins s’organise pour rendre la Méditerranée à la navigation aux pêcheurs et aux touristes, Claude Carven, le touriste de l’espace s’apprête à faire son grand saut. Quant aux enquêteurs, ils sont confrontés à des phénomènes étranges, à des accidents mystérieux.
Ah, j’allais oublier de vous parler de ces happy few qui se sont réunis sur des fauteuils flottants au large de la Crète pour assister à une projection sur grand écran du film de Steven Spielberg Les dents de la mer. Je vous laisse deviner leur sort…
Oubliez toute logique, ne cherchez pas la clé de l’énigme. Si vous vous laissez entrainer dans ce roman délirant, vous passerez un bon moment. Si votre esprit cartésien n’adhère pas à cette construction, laissez tomber! Sébastien Gendron jette à la fois une ironie mordante et un humour féroce dans la bataille, même si l’avenir qu’il nous promet a tout du cauchemar, de la… série noire!

Fin de siècle
Sébastien Gendron
Gallimard Série noire
Thriller
240 p., 19 €
EAN 9782072867682
Paru le 12/03/2020

Où?
Le roman se déroule en France, à Roquebrune-Cap-Martin et tout au long de la Côte méditerranéenne, à Praia de Brito en Algarve, à Ilebo en RDC, à Alassio en Italie, à Motril en Espagne, au large de l’île de Dia en Crète, à Mar del Plata en Argentine et au-dessus de nos têtes.

Quand?
L’action se situe dans quelques années, entre 2022 et 2024.

Ce qu’en dit l’éditeur
2024, Bassin méditerranéen : depuis une dizaine d’années, les ultra-riches se sont concentrés là, le seul endroit où ne sévissent pas les mégalodons, ces requins géants revenus, de façon inexplicable, du fond des âges et des océans. À Gibraltar et à Port Saïd, on a construit deux herses immenses. Depuis, le bassin est clos, sans danger. Alors que le reste du monde tente de survivre, ici, c’est luxe, calme et volupté pour une grosse poignée de privilégiés. Mais voilà! l’entreprise publique qui gérait les herses vient d’être vendue à un fonds de pension canadien. L’entretien laisse à désirer, la grille de Gibraltar vient de céder, le carnage se profile…

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
France Inter (Le polar sonne toujours deux fois – Michel Abescat)
Blog Nyctalopes
Blog Encore du noir

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Preghero
Villa Stellar, Roquebrune-Cap-Martin, France
43°45’7.20 »N / 7°29’8.57 »E
Élév. 35 m.
Alors qu’elle baisse la tête pour considérer le pot de Ben & Jerry’s Blondie Brownie qui lui échappe des mains, Perdita Baron a le temps d’apercevoir ce bout de lame crantée qui lui surgit du plexus. Une seconde plus tôt, un violent coup de poing entre les omoplates lui a fait lâcher sa crème glacée. Deux secondes plus tard, alors que la lame crantée disparaît et qu’un peu de sang commence à couler vers son nombril, elle a le temps de penser que celui qui se tient derrière a fait le nécessaire pour la conduire jusqu’à la cuisine. Force est de constater qu’elle a parfaitement suivi la manœuvre.
À l’horloge lumineuse du four, il est 0:53 am. Il ne reste plus à la jeune femme que dix minutes à vivre.
À 0:50 am, Perdita Baron lisait paisiblement dans son lit, au premier étage de la villa Stellar. Le roman lui plaisait parce qu’il narrait à la première personne l’histoire d’une fille comme elle. Une fille qui s’était faite toute seule en bouffant son pain noir avec hargne et détermination. À seulement 22 ans, cette fille avait mis le monde à ses pieds. Comment ? Tout simplement en racontant son expérience dans un livre de 248 pages. Quatre cent cinquante mille e-books téléchargés sur Amazon, et puis juste après, les éditions Doubleday lui avait offert 4 millions de dollars d’avance pour l’achat des droits. Ce roman s’est déjà écoulé à quelque 12 millions d’exemplaires aux États-Unis et vient de se vendre à prix d’or à la foire de Francfort pour être traduit dans une vingtaine de langues. Une success story comme Perdita les aime.
Perdita lisait donc quand elle a entendu, en bas, la porte d’entrée s’ouvrir et se fermer. Elle a immédiatement songé à Scott parce qu’elle ne voyait pas très bien qui d’autre que lui pouvait rentrer à cette heure dans sa propre maison. Mais après coup, elle s’est souvenue que Scott se trouvait à Istanbul. Voilà pourquoi elle est sortie du lit, a chaussé ses mules et est descendue voir de quoi il retournait, non sans s’être équipée au préalable du Sig Sauer que Scott lui a offert le mois dernier après la perte du Colt qu’il lui avait offert le mois précédent. La présence au creux de sa main de cette arme au métal teinté de rose la rassure. À tel point qu’elle ne prend même pas la peine d’allumer la lumière pour descendre l’escalier. En arrivant au salon, elle actionne néanmoins l’interrupteur avec une légère appréhension. La pièce est déserte, la porte d’entrée fermée, la clenche mise, la chaîne de sécurité en place. Perdita se dirige vers la cuisine, allume la rampe de LED au-dessus du plan de travail et, ne constatant rien d’anormal là non plus, elle s’apprête à éteindre. C’est à cet instant qu’un violent claquement la fait sursauter.
Elle braque aussitôt l’arme droit devant elle et avance à pas de loup jusqu’à la porte-fenêtre qui donne sur la terrasse. Elle en est certaine, ça vient de dehors. Combien de fois a-t-elle exigé de Scott qu’il lui achète un chien. N’importe quel chien, mais un méchant, de ceux qu’on attache dans le jardin, au bout d’une chaîne de dix mètres et qui aboient après les ombres. Alors qu’elle arrive à la porte-fenêtre, une forme jaillit et frappe à toute volée le chambranle en aluminium. Perdita recule sous le choc et il s’en faut de peu qu’elle ne fasse feu. La sécurité de l’arme étant mise, elle ne peut presser la queue de détente. Fort heureusement du reste, puisqu’il ne s’agit que d’un volet qui bat au vent. Décidément, cette villa part en capilotade.
Pour calmer son cœur battant, Perdita pose le Sig Sauer sur la console de la cuisine et va fouiller le réfrigérateur. Ne trouvant rien d’appétissant dans les rayonnages, elle ouvre le congélateur. Le bonheur est là, tout auréolé de son petit brouillard givré. Elle opte pour un pot de Blondie Brownie et referme. De l’homme de haute taille, vêtu de noir et cagoulé qui se tient à cet instant à quelques mètres d’elle, Perdita ne voit rien puisqu’elle s’enfuit dans la direction opposée, à la recherche d’une cuillère.
Il s’appelle Marcello Celentano, il est né trente-trois ans plus tôt à Pise, il vit toujours chez sa mère dans une cité en banlieue lointaine d’Alassio, à 85 kilomètres de là, sur la côte ligure. Il a pris goût à la torture dès son plus jeune âge, puis, quand il en a eu la force, il a commencé à tuer. Dans sa main droite, il tient un couteau de chasse United Cutlery UC311, 30 centimètres de lame en acier inoxydable AUS-6 double denture, manche en ABS renforcé, 39,90 euros, livré avec son étui ceinture en nylon.
Perdita Baron ouvre le tiroir des couverts. Le mécanisme est de si bonne qualité qu’il n’émet qu’un petit chuintement. Petit chuintement que Marcello Celentano met à profit pour la rejoindre sans attirer son attention. D’un coup sec allant du haut vers le bas, il frappe la jeune femme entre les omoplates. La lame ripe un peu sur les vertèbres, mais avec ses 490 grammes, l’arme possède un excellent taux de pénétration. Marcello a, de plus, déporté tout son poids dans ce geste si bien qu’il transperce la cage thoracique de part en part sans trop d’efforts. Perdita ouvre la bouche pour laisser échapper un souffle alors que le pot de Ben & Jerry choit sur ses mules. Lorsque la lame ressort elle a la sensation que ses jambes ne la portent plus et elle s’effondre sur le sol en béton ciré en happant l’air comme un nouveau-né. De là où elle se trouve, Perdita Baron a une vision de l’espace penchée à 25°. Elle aperçoit son assassin qui s’écarte de quelques mètres et retire tranquillement le sac qu’il porte sur ses épaules. Elle voit son propre sang dégouttant de la lame du couteau, posé à côté de son Sig Sauer sur le plan de travail, ainsi que ce minuscule filet de chair, peut-être un tendon, pris dans les dents du crantage. Elle a envie de vomir. Elle ferme les yeux. Elle les rouvre quand elle entend la musique. Devant elle, l’homme vient d’installer un de ces petits baffles portatifs tant prisés par les adolescents. En sortent les mesures d’une chanson qu’elle connaît très bien. Mais le titre lui échappe.
Lorsque le type revient à la charge, la soulève et la force à se tenir à genoux, c’est bizarrement la pochette du disque qu’elle revoit d’abord. Un 33 tours qui appartenait à son père. Quand la lame du couteau lui perfore l’intestin, la photo du chanteur assis sur le dossier d’un banc, figé dans un mouvement un peu swing, claquant des doigts, la bouche tordue comme s’il chantait, avec en arrière-plan le turquoise d’une piscine, resurgit d’un coup. Le tueur vient de remonter la lame d’un coup sec à travers les organes. La nuisette de Perdita se déchire, découvrant des seins magnifiques. Elle sent un goût de métal dans la gorge. Le titre du morceau apparaît alors devant ses yeux comme l’un de ces écrans au néon de Times Square : « Pregherò ». Oui, c’est ça. C’est « Pregherò ». L’adaptation italienne du standard de Ben E. King « Stand by me » chanté par… par…
Au rythme de la basse, le tueur retire le couteau dont la lame a gagné à présent les amygdales de sa victime. C’est le moment critique où l’hémorragie va envahir les poumons, il doit faire vite s’il veut qu’elle vive jusqu’à la toute fin. La jeune femme perd de plus en plus de tonus musculaire. Elle se tasse sur ses fesses. Il la maintient par les cheveux, le temps de la contourner. Il s’accroupit derrière elle, passe ses mains de part et d’autre de sa poitrine et plonge ses doigts dans la plaie longiligne qui va du pubis jusqu’à la mâchoire inférieure. Là, il s’accroche au sternum, plante son genou entre les omoplates et tire d’un coup sec vers l’arrière. Le tablier intercostal s’ouvre comme un cageot de bois qu’on éventre.
Adriano Celentano. C’est ça !
La cage thoracique se fend en deux. Perdita baisse lentement la tête et constate que c’est la première fois qu’elle voit son cœur. Il est là, à quelques centimètres de ses yeux, en train de battre. Ça lui revient. Son père l’a giflée quand il a découvert qu’elle avait écouté ce disque sans sa permission. Elle avait été envoyée dans sa chambre. Ça n’est pas son père qui vient de s’agenouiller en face d’elle, mais elle sait que cet homme aussi est là pour la punir. De la pire des façons. Il avait une cagoule mais il vient de l’enlever. Comme le font les méchants dans les films quand ils veulent signifier à leur otage que c’est fini pour lui.
Il est moche. Il sue. Il est un peu gras. À bien des égards, il lui fait penser à Scott. Scott qui se laisse aller depuis combien de temps maintenant ? Quelque part c’est rassurant : gras comme il est devenu, ça serait surprenant qu’il ait une maîtresse. Cela dit, ça n’est même pas sûr, vu tout le fric qu’il possède.
Le type lui parle.
Elle entend juste Adriano Celentano hurler dans le petit baffle :
Io t’amo, t’amo, t’amo
O-o-oh !
Questo è il primo segno
Che dà
La tua fede nel Signor
Nel Signor
La fede è il più bel dono
Che il Signore ci dà
Per vedere lui
E allor…

La main de l’homme est gantée. Elle est certaine que ça n’est pas du cuir. Peut-être du latex, comme un gant de nettoyage, mais noir et lustré. Il écarte les doigts et les passe devant ses yeux. Il lui parle. Il lui dit qu’il va lui briser le cœur. Ça elle l’entend parfaitement bien parce que ça lui rappelle ce qu’elle éprouvait quand elle écoutait ce disque, gamine. Elle ne comprenait rien à l’italien, mais ça semblait tellement douloureux ce que chantait cette voix qu’elle en pleurait, persuadée qu’une femme avait brisé le cœur de ce chanteur. Ça résonnait tellement bien avec le chagrin qu’elle-même vivait depuis que Jean-Pierre Leroy l’avait quittée parce qu’elle avait refusé qu’il lui touche les seins.
Perdita Baron ressent quelque chose. Au tout début, c’est incompréhensible parce que depuis quelques instants, à part son cerveau qui fonctionne comme un serveur Internet, elle s’est totalement oubliée, n’est plus qu’une sorte de pensée qui s’agite à l’intérieur d’une boîte. Et puis ça lui revient, un souvenir d’il y a longtemps. Moins longtemps que « Pregherò » mais longtemps quand même. La douleur. Oui, voilà, c’est ça. Un truc lui fait horriblement mal et son esprit met un temps impossible à le traduire. Elle rouvre les yeux, elle a envie de crier, mais c’est déjà trop tard. Marcello Celentano vient de lui écraser le cœur. La dernière vision qu’elle emporte dans la mort, c’est celle de ces deux mains noires entre les doigts desquelles glisse une viande sanguinolente. Et la voix de cet homme assis sur un banc, au bord d’une piscine, qui s’éloigne :
O-o-oh !
Questo è il primo segno
Che dà
La tua fede nel Signor
Nel signor,… »

Extraits
« Et dans le sillage de ces grands oiseaux sont arrivés les premiers mégalodons.
Résultat : on ne peut plus sortir en mer depuis que ces saloperies hantent les océans. Leurs mâchoires sont si puissantes qu’ils peuvent broyer la double coque du plus imposant des tankers.
Fini la pêche.
Fini les régates.
Fini le commerce maritime.
Les grands pétroleurs font beaucoup moins les malins. Une fois les premières marées noires passées, les mers sont rapidement devenues plus propres, la poiscaille a proliféré. Pour le plus grand plaisir des climatosceptiques, on n’a jamais atteint les niveaux alarmants de montées des eaux que prédisaient les climato-anxieux. Tout ça au détriment des usages industriels et commerciaux des eaux du globe.
Voilà où l’on en est en ce mois de juin 2022. La planète n’a jamais été aussi bleue. Depuis l’espace, on dirait que Poséidon y a récemment jeté un bloc de Canard WC.
Sur la praia de Brito, la charge est prête mais les pompiers ont un sérieux problème. Ils ont réussi à ouvrir la gueule de la femelle mégalodon à l’aide du cric de la jeep. C’est effrayant. »

« Centre aérospatial de l’Union africaine
Ilebo – province du Kasaï – RDC
4°19’01.18 »S / 20°34’11.09 »E
Élév. 384 m.
— Tu te rends compte du chemin accompli quand même ?
— …
— Tu le vois bien. Non ? Regarde l’écran.
— …
— Vas-y, lève les yeux et regarde.
— …
— Claude, je te parle ! Regarde et vois ce que nous avons construit tous les deux.
— …
Aristide Meka peut bien insister encore et encore, c’est non! Claude Carven ne veut pas lever la tête, pas plus que regarder l’écran de contrôle. Et puis quoi encore ! Ça fait deux semaines qu’il voit ce pas de tir apparaître dans des rêves qui finissent tous en cauchemar. Aristide qui appuie sur le bouton d’allumage des moteurs, les trois réacteurs Rolls-Royce du lanceur qui crachent des flammes, le décompte qui résonne dans tous les haut-parleurs de la base et « Final Countdown » d’Europe qui démarre au moment où la fusée quitte le sol. Et c’est là que tout vire. Trop lourd, le lanceur retombe. Le choc fissure les tuyères, le kérosène en ébullition s’échappe de partout et s’enflamme aussitôt. Une boule de feu perfore les trois étages de l’engin jusqu’à ce tout petit habitacle au sommet qui ressemble à un gland : un habitacle bourré d’électronique, au centre duquel Claude Carven est harnaché, prêt à griller comme une chipolata dans sa gaine de boyaux. Alors non, Claude Carven ne veut pas lever les yeux vers cette fusée qui, dans quelques heures à peine, l’arrachera à l’attraction terrestre si tout va bien, le propulsera à 88 kilomètres de la Terre si tout va bien. Et si tout va bien encore, il ouvrira le sas et sautera. Et deviendra ainsi le premier homme à chuter depuis la mésosphère, explosant ainsi tous les records établis jusqu’ici. D’ailleurs, le programme se nomme Mésosphère 1, c’est écrit en lettres rouge sang sur toute la longueur de la carlingue du lanceur dressé là-bas comme un monstrueux pénis entre les tours de son pas de tir. »

À propos de l’auteur
Né en 1970 à Talence, Sébastien Gendron a passé sa jeunesse dans le Bordelais. Après une licence d’études cinématographiques, il se retrouve tour à tour livreur de pizzas, manœuvre, télévendeur de listes de mariage avant de devenir assistant réalisateur puis réalisateur. En 2008, il publie Le Tri sélectif des ordures, premier opus des aventures de Dick Lapelouse (Pocket 2014), suivi d’une dizaine de romans noirs. Il est aussi réalisateur, scénaristes et chroniqueur. Il puise tour à tour son inspiration chez les Monty Python, le cinéma américain des années 1970, les livres de Jean Echenoz, Jean-Patrick Manchette, Jean-Bernard Pouy, Tim Dorsey, Jim Thompson et Philippe Djian. Soit un univers unique aux accents volontiers loufoques. Il a publié Road Tripes (2013) puis La revalorisation des déchets (2015) aux éditions Albin Michel. Il écrit également pour la jeunesse. (Source: Albin Michel)

Page Wikipédia de l’auteur

Commandez le livre en ligne sur Amazon (il suffit de cliquer sur la couverture)

Mes livres sur Babelio.com


Focus Littérature

Tags:
#findesiecle #SebastienGendron #editionsgallimard #serienoire #hcdahlem #polar #thriller #litteraturepoliciere #roman #livre #lecture #books #blog #littérature #bloglitteraire #livre #roman #lecture #jaimelire #lecturedumoment #lire #bouquin #bouquiner #livresaddict #lectrice #lecteurs #lecteurscom #bouquiner #livresque #auteur #jaimelire #lectureaddict #litterature #instalivre #livrestagram #unLivreunePage #RentréeLittéraire2020 #rentreelitteraire #rentree2020 #RL2020 #litteraturefrancaise #litteraturecontemporaine #writer #reading #bookoftheday #instabook #Bookstagram #Book #Bookobsessed #bookshelf #Booklover #Bookaddict

L’Éveil de l’Ange

DELAMBRE_Leveil_de_lange-18ans

L’Éveil de l’Ange
Éva Delambre
Tabou Editions
Roman érotique (public averti)
368 p., 16 €
ISBN: 9782363260338
Paru en novembre 2015

Où?
Le roman se déroule en France, à Paris et dans une belle propriété située dans un petit village au cœur de la Drôme.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Solange aime écrire, mais elle doute de son talent. Beaucoup trop selon son amie Axelle qui lui déniche un travail un peu spécial : rédiger les mémoires d’un dénommé Tristan Bussy ; et pour ce faire, résider dans sa propriété. Solange finit par se laisser convaincre. Elle était justement à la recherche d’un emploi. Sauf que celui-ci va s’avérer particulier. En effet, Tristan Bussy n’est pas un vieux monsieur et ses récits de vie sont d’un érotisme torride. De plus, il attend d’elle une implication très personnelle dans l’exercice d’écriture qu’il lui confie : il faudra qu’elle aussi se dévoile!
Peu à peu, Solange succombe au charme du séduisant quadragénaire, au point de s’engager lentement dans une relation charnelle aux accents de domination et de soumission. Mais elle est traversée de doutes : Tristan la désire-t-il réellement ou n’est-elle que son jouet ? Qu’attend-il réellement d’elle ?

Ce que j’en pense
***
La littérature érotique est un vaste domaine qui permet toutes sortes de variantes et de fantaisies. En quelques semaines, il nous aura été permis de découvrir deux pratiques totalement opposées, celle d’une femme libre de ses choix et de ses fantasmes, qui n’hésite pas à jeter ses amants comme un mouchoir usagé, quitte à mener une vie Décousue et celle d’une femme soumise, objet consentant des fantasmes de son Maître.
Éva Delambre nous propose en effet une sorte d’initiation au BDSM (abréviation de « Bondage, Discipline, Sado-Masochisme ») à travers le récit de Solange. Cette dernière vient de perdre son emploi de libraire lorsque son amie Axelle lui propose de répondre à un concours de nouvelles qu’elle va finir par remporter. Axelle, en jouant les entremetteuses a toutefois omis de mentionner que le prix consistait en un contrat de rédaction de récits érotiques.
Aussi Solange n’imagine guère ce qui l’attend lorsqu’elle débarque dans la belle propriété drômoise de Tristan Bussy. Mais après tout, elle entend bien profiter de ce voyage pour faire le point : « Quoi de mieux que de retrouver complètement déracinée, loin de tout repère familier et dans un contexte quelque peu déstabilisant, pour savoir ce qui était le mieux pour soi et ses véritables aspirations. »
Sans oublier que Tristan est séduisant et que la rédaction de ces récits est bien payée… Le piège peut se refermer sur Solange.
Car comme le maître dominateur Hieros le rappelle dans un article de Philosophie Magazine : « Le dominateur est un narrateur qui prend le pouvoir avec les mots. »
Alors Tristan parle, raconte et se faisant envoûte Solange qu’il a pris soin de débaptiser pour l’appeler Ange.
Après le premier récit, celle d’une femme rencontrée sur internet et dont on ne saura rien de plus que sa soumission dans une chambre d’hôtel, viendront les histoires de Carène, Camille, Jade, Alice et les autres.
Seule, quasiment obligée de se mettre dans la peau de celles dont elle doit retranscrire les faits et gestes, Solange sent bien qu’elle perd le contrôle de ses actes.
« J’étais pitoyable et le pire était que j’en avais conscience. Je pensais à toutes ces femmes qu’il m’avait racontées, toutes ces soumises si belles et si parfaites qui assumaient avec délice leur condition, qui ressentaient leur appartenance comme un privilège, un honneur. Je les imaginais si fières et si promptes à effectuer n’importe quel geste humiliant et rabaissant avec une élégance et une classe déconcertantes, tant pour elles, cela avait un sens profond, tant c’était là un symbole puissant. »
Après ce que l’on pourrait assimiler à un nettoyage de cerveau, l’ange est prêt à succomber à son tour. Elle veut ressentir à son tour la douleur mêlée au plaisir. Mais le contrat qui la lie à son Maître tient ici davantage de la mise en scène que de la vraie soumission. Il est aussi question de plaisir réciproque durant leurs échanges.
Si l’Ange s’éveille, c’est aussi en prenant conscience que cet épisode ne peut s’inscrire dans la durée : « J’avais aussi envie de partager d’autres choses, d’autres moments. Envie de discuter tard dans la nuit d’un film que nous aurions vu ensemble, envie de lire après lui les mêmes livres pour échanger nos idées, envie de chiner aux puces, envie de soirées, d’expos, de restaurants, envie de voyages à deux, de projets pourquoi pas. »
Là où la soumission aurait pu déboucher sur une expérience sectaire, voire – pour oser une image plus violente – sur un engagement de type djihadiste, on se rapproche des 50 nuances de Grey. L’expérience BDSM devient alors plus un jeu qui utilise les codes du genre sans sombrer dans les extrêmes. L’Ange parviendra-t-il à prendre son envol ? C’est ce que nous découvrirons dans le second tome à paraître.

Autres critiques
Babelio
Blog Kamana Dream Traveler
Blog Plume bleue
Blog Mes impressions de lecture
Onirik
Blog Le Monde enchanté de mes lectures
Carla-blog (site d’une soumise)

Extrait
« Il pouvait tout sur elle, il avait tous les droits. Il était son Seigneur et Maître, et jamais elle ne devait l’oublier. Elle était haletante, à la fois honteuse et terriblement excitée par la façon dont il la traitait. Il lui rappela sa condition, ce qu’elle était. Elle ne pouvait rien faire qu’acquiescer, la joue collée au sol.
Il finit par venir derrière elle et après avoir joué un peu avec ses doigts, il se protégea et la pénétra brutalement en la prenant par les hanches. Elle était pleinement passive. Les poignets et les chevilles douloureux à cause des cordes, la joue et l’oreille irritées par le frottement contre la moquette, et pourtant, elle coulait d’un désir hors norme. Ce désir qui naît dans la contrainte, l’humiliation et la douleur, dans l’abnégation et l’abandon de soi. Un désir trouble, que peu peuvent comprendre et encore moins ressentir. Un désir au-delà des conventions et des normes, qui se niche au creux du ventre et qui se nourrit de cette sensation de soumission et d’appartenance. Un désir qui gronde tant et tant en son antre qu’elle gémit de plaisir sans retenue. » (p. 60-61)

À propos de l’auteur
Éva Delambre est une jeune femme bien dans sa tête et bien dans son corps. De nature passionnée et curieuse, elle assume ses envies et ses penchants. Elle a fait ses premiers pas dans le BDSM il y a quelques années. C’est sa découverte de ce monde et son imagination fertile, associées à sa passion pour l’écriture, qui ont donné naissance à l’auteure qu’elle est maintenant. (Source : Tabou Editions)
Page Twitter de l’auteur

Commandez le livre en ligne
Amazon

Mes livres sur Babelio.com

Ground zero

CHAUMEIL_Ground_zero

 

 

 

 

 

 

Ground zero
Jean-Paul Chaumeil
Rouergue Noir
Thriller
220 p., 19 €
ISBN: 9782812607448
Paru en janvier 2015

Où?
L’action se situe principalement à New York, avec des épisodes situés en Italie entre Milan et Naples, au Mexique du côté de Ciudad Juarez ainsi qu’à Samarkand.

Quand?
Si le roman se déroule principalement le 11 septembre 2001 et les jours suivants, il fait aussi référence à des faits situés en 1979 et 1980.

Ce qu’en dit l’éditeur
Il s’appelle Walter ou William. Peu importe. Ceux qui l’ont formé à Naples, dans les années 1980, des types farouchement anticommunistes du Gladio, l’appellent W. Et aujourd’hui, le rock dur et ample d’un groupe de Minneapolis dans les oreilles, il se rend au World Trade Center pour y exécuter un contrat. Aujourd’hui, 11 septembre 2001. Une cible unique. Une mallette à récupérer. La routine pour un professionnel comme lui. Mais d’une, il a une drôle de baby-sitter à ses trousses. Et de deux, voilà que la tour se met à trembler comme si un géant l’avait secouée. Commence pour W une cavale dans une ville jetée tout entière dans le grand incendie. Du sang plein les oreilles et des tueurs en planque où qu’il aille. Des tueurs qu’il a déjà croisés. Dans d’autres vies. Celles où il s’appelait William ou Walter. Peu importe.
Dans ce premier roman, Jean-Paul Chaumeil nous emporte dans un monde parallèle, celui des factions qui s’affrontent dans les coulisses de l’économie ultralibérale, un monde qui a inventé sa propre réalité, hors de la loi commune, et qui mène une guerre sans fin.

Ce que j’en pense
***

Après Du sang sur la glace de Jo Nesbo, voici un nouveau thriller mettant en scène un tueur à gages. Cette fois, nous avons affaire à un esprit vif, sans états d’âme, sûr de son fait et de son combat. Car dans les années 80, quand il a été recruté, il s’agissait d’éliminer des ennemis du système en marquant les esprits : « On serait en quelque sorte les exécutants d’une espèce de renaissance démocratique en marche dans l’Italie moderne, mais qu’il fallait par moments secouer le peuple pour qu’il comprenne mieux et plus vite quel était son intérêt. » Depuis l’époque du Gladio, celui que l’on appellera Walter aura eu le temps de s’aguerrir et de se rendre compte que son éthique n’était peut-être pas aussi irréprochable qu’il l’avait imaginé. Mais peu importe. « C’était pas tant le côté services rendus à l’État que la possibilité qui m’était offerte de passer de l’autre côté. Là où il n’y a que les règles qu’on se forge soi-même en négociant au plus près avec ceux qui détiennent le pouvoir.»
Ce matin du 11 septembre 2001, il s’agissait de descendre un type au 37e étage du World Trade Center, de s’emparer d’une mallette et de disparaître dans la nature. Du banal, en quelque sorte. Sauf que le grain de sable qui vient cette fois enrayer la machine est de taille considérable. Au moment d’ajuster sa cible, les murs tremblent. Un avion vient de heurter la tour n°1.
Avec brio Jean-Paul Chaumeil décrit alors les minutes qui suivent, lorsqu’il faut essayer de comprendre ce qui se passe et que la réalité n’est tout simplement pas concevable. La raison laisse alors place à l’instinct de survie. Walter accomplit sa mission non sans avoir enregistré quelques bizarreries et essaie de gagner la sortie, sa mallette sous le bras. Le thriller prend alors une toute autre dimension : le tueur est à son tour une cible et le contenu de la mallette s’avère explosif puisqu’il s’agit de rapports faisant état de risques potentiels d’attentats, notamment au WTC ainsi que de transactions financières suspectes, en particulier les 9 et 10 septembre.
Pour reprendre l’un des morceaux de la bande-son qui accompagne Walter tout au long du récit, c’est l’heure de la course poursuite et du Struggle for life.
On ne dévoilera bien entendu pas la fin de cette course-poursuite. Mais en conclusion, on laissera la parole au narrateur, le tueur-philosophe : « La vie, c’est drôle, ça se déroule rarement comme t’as prévu et, en même temps, t’es bien content que ça se soit passé autrement que tu l’avais envisagé. »

Autres critiques
Babelio
La Cause littéraire
Blog Quatre sans quatre (avec la playlist du livre)
Blog Action-Suspense
Blog Collectif Polar Bibliothèque
Blog Lecturama (Interview de l’auteur)

Extrait
« Dans notre job la règle est simple : quelqu’un passe commande, il paye, on exécute. États d’âme s’abstenir ou passer son chemin. ainsi, il avait un contrat sur moi, commandité par ceux qui m’avaient recruté et formé. Comme moi, me dis-je, j’en avais eu un Samarkand sur un ex-crâne rasé lui aussi recruté et entraîné par Dan est sa bande.
J’ouvris à nouveau le téléphone mais plus rien n’était accessible et le réseau était saturé ; je le mis sous mon pied, me levai et l’écrasai consciencieusement. Je n’avais qu’une chose à faire, continuer à vivre avec les atouts à ma disposition : j’avais un gros avantage, j’étais vivant et ils ne le savaient pas encore, moi si, ça me donnait quelques longueurs d’avance, après on verrait. » p. 54

A propos de l’auteur
Jean-Paul Chaumeil vit à Bordeaux. Ground Zero est son premier roman. (Source : Editions du Rouergue)

Commandez le livre en ligne
Amazon