Danse avec la foudre

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Sélectionné par les « 68 premières fois »

En deux mots
Figuette se retrouve seul avec sa fille et son chien. Avec ses amis de la cité ouvrière, il essaie de faire face et vit dans l’espoir que Moïra, son épouse, revienne. Mais qui aurait envie de vivre à l’ombre de friches industrielles, dans une région qui ne cesse de décliner.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Les naufragés de Villerupt

Jérémy Bracone a choisi le Haut-Pays lorrain comme décor d’un sombre premier roman qui retrace le difficile combat d’un père se retrouvant seul avec sa fille, pourchassé par les huissiers et espérant le retour de son épouse. Bouleversant!

Commençons par planter le décor de cette belle histoire. Nous sommes en Lorraine, plus précisément à Villerupt, surnommée la Petite Italie, qui «avait poussé de rien au début du siècle dernier, lors de l’eldorado du fer. Dans les années 1980, les hauts fourneaux étaient tombés comme des quilles, laissant la place à d’immenses friches. Sous la ville, le sol chancelle : le gruyère de galeries abandonnées qui relient les cités du bassin menace de s’effondrer. Les traces des mines et des aciéries sont toujours visibles à la surface. Ici des crassiers ; là des cratères ; et partout la terre est rouge de fer.»
C’est là que vit Figuette avec sa fille Zoé et son chien, un Rottweiler baptisé Mouche. Moïra, son épouse, les a quittés. Partie sans crier gare pour Clermont-Ferrand. Leur histoire d’amour avait pourtant été belle. Deux solitudes se fondant dans une fête des sens effrénée. Avec elle, il a cru qu’il pourrait éloigner tous les oiseaux de mauvaise augure, oublier leurs soucis et construire une belle histoire.
Pour sa princesse, il échafaudait de jolis scénarios et réussissait à enflammer leur imagination. Mais les beaux décors qu’il avait savamment bricolés, n’avaient pas suffi à la retenir.
Alors il tentait de panser ses blessures avec ses potes Tatta, Nourdine, Bolchoï, Piccio et les autres. Eux étaient restés fidèles malgré la misère économique qui avait fait d’un fleuron industriel une zone sinistrée. Après Daewoo qui avait installé une usine flambant neuve, empoché les millions d’aides de l’État et bénéficié d’exonérations fiscales avant de disparaître était venu le tour de Rosegrund, une société allemande qui produisait des robots ménagers. Certains des anciens de Daewoo s’y étaient retrouvés aux côtés de nouveaux ouvriers. Ensemble, ils ont cru à un nouveau départ. Mais il a bien vite fallu se rendre à l’évidence. Le temps des usines jetables était arrivé et Rosegrund, tout le monde l’avait compris, allait fermer à son tour. Dès lors, leur but ne pouvait être que de négocier de bonnes indemnités pour ne pas se faire avoir à nouveau, comme avec les coréens partis après avoir mis le feu à l’usine.
Au Spoutnik, le bistrot où ils se retrouvent, après le turf et les jeu de cartes, ils élaborent des plans pour améliorer leur ordinaire, se servent de matériaux et d’outils de Rosegrund pour retaper la maison de Figuette et emportent une partie de la production pour la revendre dans les pays voisins, eux qui sont vraiment européens, coincés entre le Luxembourg qui fait figure d’Eldorado et où les plus chanceux ont trouvé un emploi, la Belgique, l’Allemagne et les Pays-Bas où ils vont refourguer leur butin de guerre pour se constituer un pactole à se partager le jour où il n’auront plus de salaire.
Alors que la situation devient de plus en plus précaire, Figuette prépare ses vacances avec Zoé. Rien n’y manquera, le soleil, la plage, les oiseaux, le ciel constellé d’étoiles. Il est bien décidé à suivre le conseil de son ami
«fais-la rêver. Sors-lui le grand jeu, t’as encore des cartes dans ta manche».
Jérémy Bracone a construit un roman sombre que ni la solidarité des immigrés, ni l’amour d’un père pour sa fille ne pourront éclaircir. Implacable, même si l’humanité sourd au fil du récit, désespéré même si l’on veut croire à un épilogue heureux.
En 2018 Nicolas Mathieu avait ouvert le bal avec Leurs enfants après eux (couronné du Prix Goncourt), l’an passé Laurent Petitmangin avait continué à creuser de même sillon avec le superbe Ce qu’il faut de nuit. Et autour de cette Lorraine en proie à la désindustrialisation, ne laissant guère de perspectives à la jeunesse, Pierre Guerci et Jérémy Bracone leur ont emboité le pas en cette rentrée, situant leurs premiers romans respectifs à Villerupt. Ici-bas, qui raconte les derniers mois de vie d’un médecin, a bien des points communs avec Danse avec la foudre. Notamment ces fulgurances d’humanité qui laissent penser que tout n’est pas perdu.

Danse avec la foudre
Jérémy Bracone
Éditions L’Iconoclaste
Premier roman
288 p., 19 €
EAN 9782378801755
Paru le 7/01/2021

Où?
Le roman est situé en France, principalement en Lorraine, à Villerupt, Longwy, Thil, Audun-le-Tiche. On y évoque aussi Clermont-Ferrand, Luxembourg et Saint-Pierre d’Aurillac.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Au cœur de la Lorraine en faillite industrielle, une communauté ouvrière indomptable et l’histoire d’un amour fou.
Figuette est ouvrier et père célibataire de la petite Zoé depuis que sa femme, Moïra, imprévisible et passionnée, a fugué. L’été arrive et l’usine qui l’emploie menace de fermer, il n’aura pas les moyens d’emmener sa fille en vacances comme il l’avait promis.
Pour séduire Moïra, il avait été capable des plus belles folies. Pour la reconquérir et ne pas décevoir sa fille, il va aller encore plus loin.
Entre drame et comédie, solidarité ouvrière et passion amoureuse, Danse avec la foudre est un premier roman poétique et révolté.

68 premières fois
Blog Les Livres de Joëlle 

Les autres critiques
Babelio 
Lecteurs.com 
France Bleu Lorraine Nord (Valérie Pierson)
La Grande Parade (Serge Bressan)
Blog Culture 31

Les premières pages du livre
« L’église est à vendre.
Figuette conduit sa fille à l’école quand il apprend la nouvelle à la radio. «Mise à prix 280 000 euros, pour la Dame de fer.» Zoé chantonne, il lui demande de se taire. D’accord, dit-elle, et elle reprend sa comptine. Son père monte le son et prend la première sortie. Il doit voir la Dame.
Une ossature en acier et des murs en tôle. Une toiture plate, un clocher sans flèche, le tout peint en gris. Sous d’autres cieux, l’église aurait eu droit à un blanc éclatant. Ici, on a préféré l’assortir au béton des cités.
Pour la construire, les mineurs avaient commencé par extraire ce minerai rouge dans le sous-sol. Puis les sidérurgistes avaient couvé le magma pour le fondre, forgé son squelette, laminé sa peau de tôles. Composée de ces mêmes atomes de fer qui faisaient rougir leurs veines, l’église était la fierté de tous, catholiques ou athées communistes ; parfois les deux, par concession, quand la grand-mère italienne exigeait le baptême du petit dernier.
Du haut de ses quatre-vingts ans, la Dame avait subi les rafales des mitrailleuses allemandes, résisté aux affaissements miniers, et voilà que monsieur le maire raconte à la radio que si ça ne tenait qu’à lui, il la raserait pour faire un terrain de football.
Le journaliste poursuit : « Cinq ans après avoir été achetée par la styliste Léonor Scherrer, fille du célèbre couturier Jean-Louis Scherrer, l’église fait son retour sur le marché. L’héritière voulait investir dans l’univers du deuil. Une ligne de vêtements pour les enterrements, et un studio d’enregistrement de musique funèbre, mais son projet n’a pas abouti. »

Figuette se gare, coupe la radio, laisse tourner le moteur. Attends-moi dans la voiture, dit-il à Zoé. Mais papa, on va être en retard à l’école ! Il s’approche de la Dame, la salue, puis gratte avec son ongle la peinture qui pèle. Un lambeau se décolle et révèle de la rouille. Sous les vitraux, des coulures rouges. On dirait qu’elle pleure du sang, répétait toujours Moïra. Figuette a envie de partager la nouvelle avec sa femme. Mais elle ne le prend plus au téléphone depuis des mois.
Il fait le tour de l’église, ne trouve aucune lucarne ni soupirail pour y entrer. Il se rabat sur un conteneur de poubelles, le traîne devant la porte principale. Il monte dessus, puis grimpe tant bien que mal sur le portique. Fébrile, il se penche sur le vitrail de la rosace. Et tandis qu’il contemple la grande nef déserte, l’allée centrale s’anime au gré de ses souvenirs, s’illumine de cent bougies et des yeux brillants des amis. Il revoit Moïra s’avancer vers l’autel, rayonnante dans sa robe blanche, et tout le film de cette journée héroïque.

Ce matin il a plu. Le soleil se décide à percer et les arbres s’égouttent. Dans l’air, une odeur d’herbe coupée et de bitume tiède. Mouche marche devant. De temps à autre, le rottweiler se retourne pour s’assurer de la présence de ses maîtres. Parfois, c’est lui qu’il faut attendre. Quand il trouve un chewing-gum incrusté dans le trottoir et qu’il s’acharne à l’en décoller.
Sur le chemin de la promenade, les Blocs noirs. Trois tours HLM, habillées de panneaux imitant des ardoises ; une ceinture de places de parking et de garages ; un square qui sent la pisse.
– C’est ici que t’habitais avec maman?
– Toi aussi. Tu t’en souviens pas, on a déménagé dans la nouvelle maison y a deux ans.
– C’était quelle fenêtre?
– Juste là, le studio 54. Au cinquième étage. Suis mon doigt et compte : un, deux, trois, quatre…
– Celui avec les fleurs rouges?
– Oui, le petit balcon avec les géraniums.
La porte vitrée est grande ouverte. Un rideau de mousseline flotte, aspiré par le vent: le voile de leurs folles soirées. Sa femme aimait s’y enrouler, lorsqu’elle dansait seins nus dans sa salopette. Comme la fée Clochette, elle était tellement petite qu’elle n’avait de place que pour un sentiment à la fois. Quand ils faisaient la fête, elle n’était que joie. Je suis une acrobate du Cirque du Soleil, avait dit Moïra, un soir. Il lui avait demandé de ne pas tirer sur le rideau, alors, avec son sourire canaille, elle s’y était pendue de tout son poids et la tringle avait cassé. Dans un même éclat de rire, ils étaient partis en cavalcade dans le studio, elle refusant de lâcher le rideau, traîne de mariée après laquelle Figuette n’a jamais cessé de courir.

Le cimetière est en fleurs. Zoé court d’une tombe à l’autre. Mouche lui colle aux basques.
– Tu parlais à qui? demande-t-elle.
– À la mère Carpini. Elle est venue porter des fleurs à son mari.
– C’était une madame?
– Ben oui, ça se voit pas?
– Je sais pas, dit-elle en levant les bras au ciel, les vieux, ils se ressemblent tous.
Zoé dépose un bouquet de fleurs de pissenlit sur la tombe de son arrière-grand-père.
– Tu crois que pépé Tatta s’amuse bien dans sa cabane?
Lorsque les anciens atteignent un certain âge, lui a raconté Figuette, ils se retirent dans une cabane, au cimetière. Après avoir trimé toute leur vie, ils n’ont plus qu’à jouer aux cartes et faire de longues siestes.
Le père Tattaglia a cassé sa pipe à l’automne. Comme il était le cinquième garçon de sa famille, on l’avait prénommé Quinto (le cinquième). À l’époque, on ne s’embarrassait pas avec les prénoms. Mais personne ne l’avait jamais appelé comme ça. Même pour sa femme, il était Tatta. Quand il ne se bagarrait pas avec les patrons, il trinquait, blaguait, jouait aux boules.
Tatta avait fait son entrée dans la légende locale en 1972, en compagnie de son copain Mario Poppini, dit Pop. Ce jour-là, ils faisaient leur tournée hebdomadaire pour vendre L’Humanité Dimanche. Brigitte Bardot, la mobylette Peugeot BB3 de Tatta, bégayait sous le poids des deux hommes. Il était bientôt midi et ils avaient écoulé presque tous leurs exemplaires. Un journal acheté, un Picon bière offert. Ils remontaient la rue Henri-Barbusse quand tout à coup ils étaient tombés sur une compagnie de CRS.
– DIO CANE ! Pop, les fascistes, ils remettent ça !
Brigitte Bardot avait chargé tout droit dans l’avant-garde républicaine. Les boucliers des CRS avaient valdingué comme dans une BD d’Astérix. Tatta envoyait des coups de casque en faisant des moulinets et Pop distribuait de grosses baffes communisantes.
– C’est nous ! Arrêtez les gars, c’est nous ! avait crié un des CRS en se protégeant le visage.
– Carlo? Mais qu’est-ce que tu fous avec les fascistes?!
– C’est pour de faux ! C’est pour le film !
L’équipe de cinéma n’en revenait pas. Le tournage avait été interrompu, le temps de laisser retomber l’hilarité générale. Pour tourner l’adaptation de Beau masque, une histoire d’usine et de lutte syndicale, la production était venue dans le nord de la Lorraine chercher un terreau ouvrier. Les volontaires pour la figuration avaient été nombreux. Tous étaient partants pour jouer les grévistes, mais aucun ne voulait porter le costume des CRS ; même pour de faux, ça leur faisait mal au cul.
À la mort de Tatta, la plus grande crainte de sa femme, c’était qu’il n’y ait pas assez de monde à l’enterrement. Elle n’est pas croyante la Nonna, mais elle avait voulu une cérémonie à l’église. Les gens sé déplacent pas zouste per lo founérarioum, il faut oune spectacle. Moïra n’avait pas assisté aux obsèques. Pas encore une fugue, juste une escapade, le temps que tout se tasse. Sa grand-mère ne lui en avait pas voulu, elle était trop sensible sa bambina. À son retour, elle lui avait préparé des gnocchi et la vie avait repris son cours.
– Papa, c’est quoi le grand truc en bas?
– Le supermarché?
– Non, le truc plein de trous.
– Le mur? C’est celui de l’ancienne usine, Aubrives.
– Le boulot de pépé Tatta?
– Non, Tatta, il bossait dans l’autre usine, Micheville.
– Il fabriquait quoi?
– Des grandes barres et d’autres trucs en fer, c’était un laminoir.
– Pour quoi faire?
– Je sais pas moi, ça servait à fabriquer plein de machins. Comme des rails pour les trains. Ou des ponts.
Des sapins bordent le cimetière. Entre leurs branches, en contrebas de la colline, on aperçoit l’ancien mur de soutènement de l’usine, long de plus d’un kilomètre et haut de vingt mètres, percé d’alvéoles en pierre de taille. Ces grottes voûtées lui donnent des airs de HLM troglodyte. Pour les jeunes, une ruine antique. Pour les anciens, c’était hier.
Villerupt, surnommée la Petite Italie, avait poussé de rien au début du siècle dernier, lors de l’eldorado du fer. Dans les années 1980, les hauts fourneaux étaient tombés comme des quilles, laissant la place à d’immenses friches. Sous la ville, le sol chancelle : le gruyère de galeries abandonnées qui relient les cités du bassin menace de s’effondrer. Les traces des mines et des aciéries sont toujours visibles à la surface. Ici des crassiers ; là des cratères ; et partout la terre est rouge de fer. Rouge, comme l’héritage communiste : les rues portent les noms de Lénine, Karl Marx ou encore de Iouri Gagarine. Au temps des mastodontes cracheurs de feu, même le ciel était rouge. La nuit, on pouvait le voir flamboyer par-delà les trois frontières. Un coucher de soleil qui n’en finissait pas d’embraser l’horizon. Les usines ne dormaient jamais, un boucan de tous les diables. Grondements, fracas, grincements de rails ; le silence était un délire de ferraille.
Jusqu’à la dernière fermeture, les aciéries battaient au cœur de la ville. Les ouvriers allaient travailler à pied, leur musette sous le bras. Quand la sonnerie les libérait, ils se dispersaient par grappes. La Petite Italie recensait une centaine de bistrots ; c’était leur récréation. Aujourd’hui, tout le monde travaille ailleurs et les bistrots se comptent sur les doigts d’une main. Les locaux parcourent des dizaines de kilomètres en voiture, passent les frontières belge ou luxembourgeoise et, le soir, rentrent directement chez eux.

Les cheveux de Zoé lui tombent devant les yeux. Figuette sort de sa rêverie pour la recoiffer. Il s’applique, s’emmêle les pattes, renonce. On est presque arrivés au Spoutnik, on demandera à Wanda.
Des moulures au plafond encrassées de nicotine, du papier peint couleur café glacé et des affiches jaunies sur la police des cabarets et la répression de l’ivresse publique. Des tables en formica dépareillées, un baby-foot. Dans l’arrière-salle, un jeu de quilles. Le Spoutnik, ultime refuge où prendre des cafés politiques et trouver du réconfort après une journée amère. Derrière le comptoir en zinc, Alain encaisse le tiercé de Mario Poppini – quatre-vingt-onze ans, le doyen. Quand elle aperçoit Zoé, Wanda tombe son torchon. La gamine se cache le visage pour ne pas être embrassée. Wanda la bise une fois sur la joue et deux fois sur le nez, puis l’aide à grimper sur un tabouret.
– Mais qui t’a coiffée comme ça?
Il y a deux types de femmes, prétend le père Poppini : celles qui se maquillent, et celles qui n’en ont pas besoin. Wanda, elle, se maquille. Son fond de teint lui fait du crépi sur la figure et son mascara déborde sur ses paupières comme la gouache des dessins de Zoé. Tout le monde l’adore. Parce qu’elle sent bon, dit l’ancien. En plus elle est généreuse sur les cacahuètes, et elle vous écoute pour de vrai. La plupart des gens n’écoutent pas quand on leur parle. Ils ne font qu’attendre poliment, parfois même avec impatience. Mais pas Wanda. Peu importe que vous lui parliez du cancer de votre femme ou du slip qui vous gratte, elle écoute.
Figuette fréquente le Spoutnik depuis sa petite enfance. Sa mère l’y envoyait acheter des cigarettes, avec la monnaie il se prenait un Mister Freeze. Il suçait le glaçon au cola en déambulant entre les tables, regardait les hommes jouer aux cartes ou à la morra, un jeu rital où il fallait hurler des chiffres à s’en péter les veines du cou. Wanda s’était prise d’affection pour le fils du Fighetti. Comment cet ivrogne de mineur avait pu faire un gamin si chou? Elle adorait les enfants ; les siens étaient déjà grands. Sa mère finissait par téléphoner au bistrot. Oui oui, vous inquiétez pas madame Fighetti, il est toujours là. Mais non, il dérange pas. Je vous le renvoie quand il aura fini son diabolo. Elle le gâtait, lui offrait des sachets de pipasols, des pièces de un franc pour le baby-foot. Alain lui en avait appris les rudiments : tirs croisés, passages le long de la bande et bien positionner ses demis. À douze ans, Figuette maîtrisait la belote de comptoir, la coinche, le rami et le tarot. Si jamais les anciens le réclamaient pour faire le quatrième, il était fier. Sa discrétion passait pour de la timidité. Toujours dans la lune, Alain l’appelait le Poète et c’était resté.
Ce dimanche de mars, les fidèles arrivent les uns après les autres pour l’apéro. Nourdine gare sa moto sur le trottoir. Bolchoï lui tape dans le dos. Comment que c’est Nounou? Il serre les pognes, fait une bise sur le crâne de Zoé et une autre sur celui, dégarni, du père Poppini. Surpris, le vieux lui jette un sort en italien, en faisant les cornes avec son index et son auriculaire.
– Cornuto !
– Alain, dit Bolchoï, remets un galopin au Pop, ça le détendra.
Alain passe ses journées le nez dans France Turf. Il enchaîne les pronostics avec la trogne d’un trader.
– Combien t’as gagné cette semaine? lui demande Nourdine.
– Oh… pas grand-chose.
– Allez, te fais pas prier, relance Figuette. Combien?
– Avant ou après la douane?
La douane, c’est Wanda. Plus Alain gagne, plus il joue gros. Alors elle prélève une partie de ses gains pour les étrennes de leurs petits-enfants. Pour tromper la douane, il encaisse ses tickets gagnants dans un autre PMU, à dix kilomètres de là.
Alain ne voulait pas reprendre le bistrot familial. Il avait l’ambition d’en découdre, s’engager politiquement. Difficile d’être pris au sérieux quand on n’a jamais mis les pieds dans une usine. Qu’est-ce que t’y connais, toi, au travail? À seize ans, il s’était fait embaucher, le temps d’un job d’été. On l’avait envoyé récurer les cheminées du laminoir pendu au bout d’une corde. C’était effrayant, mais moins que l’acier en fusion. Un chaudron d’une lave aveuglante, de la sorcellerie. Un ouvrier était tombé dedans, du haut d’une coursive. Il était mort avant d’avoir compris qu’il avait trébuché. Instantanément dissous. Tout juste le crépitement d’un moucheron au contact d’une bougie. Comme il ne restait rien de lui, ses camarades avaient pris un morceau du rail provenant de l’acier en fusion et l’avaient offert à la veuve. Quand Alain avait vu le bout de ferraille dans le cercueil, il avait su qu’il n’aurait jamais le cran d’y retourner. Il avait repris le bistrot et l’avait rebaptisé Spoutnik, à cause d’une gnôle de sa fabrication qui vous envoyait dans la stratosphère. Ça ne l’avait pas empêché de s’impliquer au Parti. Et depuis quarante-huit ans, pas une soirée où il n’évoque le vacarme infernal des machines et la fournaise des entrailles de l’usine.
Piccio se penche sur Zoé.
– Tu veux une clope?
– Non, répond-elle le plus sérieusement du monde.
– Une bière alors?
Julien Picciolini. Un copain d’enfance de Figuette et Nourdine. Il est trop grand pour ses pantalons, Piccio. Et quand il boit, il transpire comme de la charcuterie au soleil. Wanda, réclame-t-il en montrant la bouteille vide, t’envoies sa petite sœur? Piccio aime boire sa bière au goulot. Une fois vide, il en décolle l’étiquette, la roule dans la paume de ses mains et la glisse dans la bouteille.
– Et ces vacances, demande-t-il à Figuette. Vous partirez où?
– Du côté de Sète. J’ai trouvé un camping avec une piscine et des cabanes dans les arbres. On a déjà fait le programme, pas vrai Zoé? Baignade, châteaux de sable et pêche à la ligne.
– T’as posé tes congés?
– J’ai demandé les deux dernières de juillet.
– Pourquoi poser des congés? dit Bolchoï. D’ici l’été on sera tous au chômage.
– Rien à battre, cette année j’emmène la petite en vacances. Elle a jamais vu la mer.
– T’en sais rien, Bolchoï, dit Alain, les Allemands ont assuré au syndicat qu’ils avaient une solution pour maintenir l’activité.
– Rosegrund ne touche plus les aides publiques, répond Bolchoï, alors ils vont se magner de délocaliser. Comme pour Daewoo. Tu t’en souviens pas, Piccio, tu jouais encore avec ton caca. Les Coréens avaient palpé des sub énormes : 46 millions, cinq ans d’exonérations de taxes. Ils avaient fait un bénef rapide et s’étaient barrés à l’étranger. Trois usines liquidées, 1 200 licenciements. Le temps est aux usines jetables, moi je vous le dis. Et nous aussi, on est jetables.
– Deux lignes de production ont déjà été sucrées, poursuit Figuette. Les machines sont plus entretenues. Le bâtiment part en sucette. Certaines portes, pour les fermer on doit les coincer avec des balais.
– De mon temps, ça se serait pas passé comme ça, dit le père Poppini. Faut vous battre, les jeunes, faut pas laisser faire ces fascistes.
– Qu’est-ce qu’on peut faire de plus que vous? Vous vous êtes bagarrés comme des Apaches. Ça les a pas empêchés de fermer les mines et les aciéries.
– Alors battez-vous pour un bon plan social. Faites-les cracher, les Boches ! Qu’ils vous indemnisent!
– On s’est pas battus, chez Daewoo? Grève sur grève, on a même dû séquestrer le patron juste pour que monsieur nous fasse l’honneur de payer nos salaires. On a accepté de reprendre le taf, et trois jours plus tard le feu cramait toute l’usine.
– Et qui a été condamné pour l’incendie? Un pauvre syndicaliste, dit Alain. Les flics et le tribunal n’en ont rien eu à secouer que tout accusait les Coréens. Le patron était recherché pour fraude par Interpol, et pendant ce temps la France lui refilait la Légion d’honneur.
– Faut pas tomber dans la parano, intervient Nourdine.
– La parano, s’emporte Bolchoï?! T’y étais, toi, quand ça a cramé? Quand on a cherché à éteindre les flammes et qu’on a découvert que les extincteurs étaient vides, les alarmes débranchées et que la lance à incendie n’était même pas raccordée à l’arrivée d’eau ! Les gardiens avaient été renvoyés chez eux la veille et, le matin même, le matin même ! toute la comptabilité avait été déménagée en douce.
– T’imagines combien leur aurait coûté un plan social? dit Alain. C’était plus simple d’y foutre le feu. Pourtant c’est quand même Kamel qui a été condamné, trois ans ferme qu’il a pris. Avec quelles preuves? Rien du tout qu’ils avaient, au tribunal.
– Tous de mèche, dit Bolchoï. On peut rien attendre de la justice ni des politiques. Vous vous rappelez la présidente du tribunal? Certains témoins ne causaient pas assez bien au goût de madame. « Pour travailler sur des chaînes de montage, qu’elle avait osé balancer, c’est sûr qu’on recrute pas parmi l’élite de la société… » Une justice de classe, y a pas d’autre nom, moi je vous le dis.
– Alors, vous allez faire quoi? demande le père Poppini. Accepter de vous faire virer sans un sou?
– Non, Pop, te tracasse pas, dit Bolchoï en regardant Figuette droit dans les yeux. On sait ce qu’on a à faire. »»

Extrait
« Maintenant, faut que tu te battes, tu m’entends ? Si tu le fais pas pour Moïra, fais-le pour Zoé. C’est à cause de toi qu’elle a plus sa mère. Elle demande de l’énergie cette gosse, mais avoue que tu la biches. Vous vous marrez bien tous les deux. Alors fais-la rêver. Sors-lui le grand jeu, t’as encore des cartes dans ta manche. Tu vas y passer la nuit s’il le faut, mais demain matin, elle va voir ce qu’elle va voir. À Partir de maintenant, tu lâches plus rien. Tu m’entends, tu lâches rien. »

À propos de l’auteur
BRACONE_Jeremy_©DRJérémy Bracone © Photo DR

Jérémy Bracone a quarante ans. Il a vécu en Lorraine jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans. Artiste plasticien, il sculpte, dessine et réalise des installations. Danse avec la foudre est son premier roman. (Source: Éditions L’Iconoclaste)

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Leurs enfants après eux

MATHIEU_Leurs_enfants_apres_eux

coup_de_coeur

En deux mots:
De 1992 à 1998 une bande de jeunes tout juste sortis de l’adolescence vont tenter de prendre leur place dans la société. Anthony, Clem, Steph, Hacine et les autres ne veulent pas finir comme leurs parents, ne veulent pas crever dans leur vallée lorraine que l’industrie a désertée.

Ma note:
★★★★★ (coup de cœur, livre indispensable)

Prix Blù Jean-Marc Roberts – 2018
La Feuille d’or de la ville de Nancy, prix des Médias France Bleu-France 3-L’Est Républicain 2018

Ma chronique:

Lorraine, cœur d’acier… rouillé

Après Aux animaux la guerre, Nicolas Mathieu revient avec un magnifique roman qui, à travers les portraits d’une bande de jeunes dans une Lorraine désindustrialisée, raconte la France des années 90. Fort, juste, dramatiquement vrai.

Balzac, Hugo, ou encore… Karine Tuil. Il y a dans le second roman de Nicolas Mathieu la faconde de l’auteur de La Comédie humaine, la dimension sociale et politique de l’auteur des Misérables et l’art de dépeindre une époque de la romancière de L’Insouciance. Autant dire que je place Leurs enfants après eux dans le carré la plus précieux de ma bibliothèque, celui des livres «indispensables» dont j’imagine qu’ils pourraient devenir des classiques.
Le roman s’ouvre au bord d’une plage, durant l’été 1992. Anthony s’y prélasse avec quelques copains, essayant de tuer le temps. Au sortir de l’adolescence, son horizon n’est guère enthousiasmant. Dans une Lorraine qui a beau comporter de nombreuses localités se terminant par «ange», c’est plutôt le diable qui semble avoir pris le contrôle du territoire. Après la fin du charbon, c’est la fin de la sidérurgie. La désindustrialisation a déjà fait des ravages. Le chômage a frappé les enfants du baby-boom et s’est étendu comme un cancer aux stigmates visibles dans tout le paysage. Comment s’imaginer un avenir au milieu de friches industrielles, d’usines désaffectées, de commerces ayant définitivement tiré leur rideau de fer? « Le paradis était perdu pour de bon, la révolution n’aurait pas lieu; il ne restait plus qu’à faire du bruit. » Le bruit des motos pétaradantes ou celui de groupes tels que Nirvana ou Queen vont du reste accompagner le lecteur tout au long du roman. L’YZ que son père garde au fond de son garage va servir à Anthony à rejoindre la fête donnée dans une villa à quelques kilomètres de chez lui. Avec son cousin, il va essayer de trouver dans l’alcool, la drogue et le sexe de quoi agrémenter son spleen. Sauf qu’au petit matin, le bilan est loin d’être grandiose. Outre une altercation avec Hacine qui tentait de s’incruster dans cette fête, et une bonne gueule de bois, il constate que la moto a été volée.
Il retourne chez lui la peur au ventre, car il n’a pas demandé l’autorisation à son père et sait combien ce dernier tenait à cette moto, même s’il ne s’en servait plus guère. Hélène, sa mère, redoute tout autant la réaction de son mari et décide de se rendre chez le père de Hacine pour récupérer l’YZ, sans succès. Car cette dernière est en train de brûler au milieu de curieux ébahis.
Si l’on peut parler ici d’acte fondateur, c’est parce que cet événement cristallise toutes les rancœurs, toutes les peurs, tous les drames à venir.
Hacine se fait proprement défoncer par son père, l’immigré forcément accusé de tous les maux. Patrick s’en prend à sa femme Hélène et à Anthony, provoquant l’éclatement de la famille. La vengeance va entraîner la déchéance…
Nicolas Mathieu a découpé son roman en quatre périodes, quatre étés de 1992 à 1998 qui nous permettent, outre le passage de l’adolescence à l’âge adulte d’Anthony, de Hacine, de Clem, de Steph et des autres, de suivre l’actualité politique et l’actualité sportive. De la montée du front national à la Coupe du monde de football, l’auteur montre comment ces événements accompagnent le quotidien et marquent les esprits jusqu’à bousculer quelques existences. Car les drames et les réussites servent aussi de révélateur. À l’aune de cette époque floue et instable, entre la chute du mur de Berlin et celle des Twin Towers, la seule issue raisonnable semble devoir être la fuite.
Disons encore quelques mots du style de Nicolas Mathieu. Il a parfaitement su retrouver le ton, les expressions et le ressenti de ses personnages – il est de la même génération – avec cette dose de violence et de fatalisme qui leur colle à la peau et qui vont faire voler en éclats leurs rêves. Retrouvant l’ambiance de son roman noir, Aux animaux la guerre, Nicolas Mathieu nous livre un constat aussi lucide que douloureux. Et qui résonne d’autant plus fort en moi, car je fais partie de ces Lorrains qui ont choisi de s’exiler sous des cieux plus cléments.

Leurs enfants après eux
Nicolas Mathieu
Éditions Actes Sud
Roman
432 p., 21,80 €
EAN : 9782330108717
Paru le 23 août 2018

Où?
Le roman se déroule en France, principalement dans le Grand-Est, dans des villes de Lorraine que l’auteur recompose, entre Metz et le Luxembourg. On y évoque aussi des voyages en voiture jusqu’à Tétouan au Maroc avec des étapes à Orléans, Poitiers, Tours, Gibraltar, Ceuta où via Villeurbanne, Marseille, Tanger.

Quand?
L’action se situe de 1992 à 1998, avec quelques retours en arrière.

Ce qu’en dit l’éditeur
Août 1992. Une vallée perdue quelque part dans l’Est, des hauts-fourneaux qui ne brûlent plus, un lac, un après-midi de canicule. Anthony a quatorze ans, et avec son cousin, pour tuer l’ennui, il décide de voler un canoë et d’aller voir ce qui se passe de l’autre côté, sur la fameuse plage des culs-nus. Au bout, ce sera pour Anthony le premier amour, le premier été, celui qui décide de toute la suite. Ce sera le drame de la vie qui commence.
Avec ce livre, Nicolas Mathieu écrit le roman d’une vallée, d’une époque, de l’adolescence, le récit politique d’une jeunesse qui doit trouver sa voie dans un monde qui meurt. Quatre étés, quatre moments, de Smells Like Teen Spirit à la Coupe du monde 98, pour raconter des vies à toute vitesse dans cette France de l’entre-deux, des villes moyennes et des zones pavillonnaires, de la cambrousse et des ZAC bétonnées. La France du Picon et de Johnny Hallyday, des fêtes foraines et d’Intervilles, des hommes usés au travail et des amoureuses fanées à vingt ans. Un pays loin des comptoirs de la mondialisation, pris entre la nostalgie et le déclin, la décence et la rage.

« AU DÉPART, ON POURRAIT TENTER CETTE HYPOTHÈSE : un roman, ça s’écrit toujours à la croisée des blessures. Ici, j’en verrais trois, disons les miennes.
D’abord, l’adolescence. J’ai été cet enfant qui finit, qui rêve de sortir avec la plus belle fille du bahut, et veut sa part du gâteau. Et puis la plus belle fille ne veut rien savoir, le monde reste insaisissable, le temps passe et c’est encore le pire. Il y aura des étés, des flirts, les poils qui poussent, la voix qui mue. Ce sera le plus beau de la vie, et le plus cruel aussi. Dans une histoire, j’essaierai de mettre des mots là-dessus, la cicatrice à partir de quoi tout commence.
L’autre plaie, ce serait celle du social et des distances. Quand j’étais petit, on m’a raconté un mensonge, que le monde s’offrait à moi tel quel, équitable, transparent, quand on veut on peut. Mais un jour, peut-être grâce aux livres, le voile s’est déchiré et j’ai commencé à comprendre. Cette leçon des écarts, des legs et des signes distinctifs, cette vérité des places et des hiérarchies, ce sera mon carburant.
Enfin, il y a ce départ. Je suis né dans un monde que j’ai voulu fuir à tout prix. Le monde des fêtes foraines et du Picon, de Johnny Hallyday et des pavillons, le monde des gagne-petit, des hommes crevés au turbin et des amoureuses fanées à vingt-cinq ans. Ce monde, je n’en serai plus jamais vraiment, j’ai réussi mon coup. Et pourtant, je ne peux parler que de lui. Alors j’ai écrit ce roman, parce que je suis cet orphelin volontaire. » N. M.

Les critiques
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Nicolas Mathieu parle de son roman Leurs enfants après eux © Production Actes Sud

Les premières pages du livre
« Debout sur la berge, Anthony regardait droit devant lui.
À l’aplomb du soleil, les eaux du lac avaient des lourdeurs de pétrole. Par instants, ce velours se froissait au passage d’une carpe ou d’un brochet. Le garçon renifla. L’air était chargé de cette même odeur de vase, de terre plombée de chaleur. Dans son dos déjà large, juillet avait semé des taches de rousseur. Il ne portait rien à part un vieux short de foot et une paire de fausses Ray-Ban. Il faisait une chaleur à crever, mais ça n’expliquait pas tout.
Anthony venait d’avoir quatorze ans. Au goûter, il s’enfilait toute une baguette avec des Vache qui Rit. La nuit, il lui arrivait parfois d’écrire des chansons, ses écouteurs sur les oreilles. Ses parents étaient des cons. À la rentrée, ce serait la troisième.
Le cousin, lui, ne s’en faisait pas. Étendu sur sa serviette, la belle achetée au marché de Calvi, l’année où ils étaient partis en colo, il somnolait à demi. Même allongé, il faisait grand. Tout le monde lui donnait facile vingt-deux ou vingt-trois ans. Le cousin jouait d’ailleurs de cette présomption pour aller dans des endroits où il n’aurait pas dû se trouver. Des bars, des boîtes, des filles.
Anthony tira une clope du paquet glissé dans son short et demanda son avis au cousin, si des fois lui aussi ne trouvait pas qu’on s’emmerdait comme pas permis.
Le cousin ne broncha pas. Sous sa peau, on pouvait suivre le dessin précis des muscles. Par instants, une mouche venait se poser au pli que faisait son aisselle. Sa peau frémissait alors comme celle d’un cheval incommodé par un taon. Anthony aurait bien voulu être comme ça, fin, le buste compartimenté. Chaque soir, il faisait des pompes et des abdos dans sa piaule. Mais ce n’était pas son genre. Il demeurait carré, massif, un steak. Une fois, au bahut, un pion l’avait emmerdé pour une histoire de ballon de foot crevé. Anthony lui avait donné rendez-vous à la sortie. Le pion n’était jamais venu. En plus, les Ray-Ban du cousin étaient des vraies.
Anthony alluma une clope et soupira. Le cousin avait bien ce qu’il voulait. Anthony le tannait depuis des jours pour aller faire un tour du côté de la plage des culs-nus, qu’on avait d’ailleurs baptisée ainsi par excès d’optimisme, parce qu’on n’y voyait guère que des filles topless, et encore. Quoi qu’il en soit, Anthony était complètement obnubilé.
– Allez, on y va.
– Non, grogna le cousin.
– Allez. S’te plaît.
– Pas maintenant. T’as qu’à te baigner.
¬– T’as raison…
Anthony se mit à fixer la flotte de son drôle de regard penché. Une sorte de paresse tenait sa paupière droite mi-close, faussant son visage, lui donnant un air continuellement maussade. Un de ces trucs qui n’allaient pas. Comme cette chaleur où il se trouvait pris, et ce corps étriqué, mal fichu, cette pointure 43 et tous ces boutons qui lui poussaient sur la figure. Se baigner… Il en avait de bonnes, le cousin. Anthony cracha entre ses dents.
Un an plus tôt, le fils Colin s’était noyé. Un 14 juillet, c’était facile de se rappeler. Cette nuit-là, les gens du coin étaient venus en nombre sur les bords du lac et dans les bois pour assister au feu d’artifice. On avait fait des feux de camp, des barbecues. Comme toujours, une bagarre avait éclaté un peu après minuit. Les permissionnaires de la caserne s’en étaient pris aux Arabes de la ZUP, et puis les grosses têtes de Hennicourt s’en étaient mêlées. Finalement, des habitués du camping, plutôt des jeunes, mais aussi quelques pères de famille, des Belges avec une panse et des coups de soleil, s’y étaient mis à leur tour. Le lendemain. on avait retrouvé des papiers gras, du sang sur des bouts de bois, des bouteilles cassées et même un Optimist du club nautique c0incé dans un arbre; c’était pas banal. En revanche, on n’avait pas retrouvé le fils Colin.
Pourtant, ce dernier avait bien passé la soirée au bord du lac. On en était sûr parce qu’il était venu avec ses potes, qui avaient tous témoigné par la suite. Des mômes sans rien de particulier, qui s’appelaient Arnaud, Alexandre ou Sébastien, tout juste bacheliers et même pas le permis. Ils étaient venus là pour assister à la baston traditionnelle, sans intention d’en découdre personnellement. Sauf qu’à un moment, ils avaient été pris dans la mêlée. La suite baignait dans le flou. Plusieurs témoins avaient bien aperçu un garçon qui semblait blessé. On parlait d’un t-shirt plein de sang, et aussi d’une plaie à la gorge, comme une bouche ouverte sur des profondeurs liquides et noires. Dans la confusion, personne n’avait pris sur soi de lui porter secours. Au matin, le lit du fils Colin était vide.
Les jours suivants, le préfet avait organisé une battue dans les bois environnants. tandis que des plongeurs draguaient le lac. Pendant des heures, les badauds avaient observé les allées et venues du Zodiac orange. Les plongeurs basculaient en arrière dans un plouf lointain et puis il fallait attendre, dans un silence de mort.
On disait que la mère Colin était à l’hôpital, sous tranquillisants. On disait aussi qu’elle s’était pendue. Ou qu’on l’avait vue errer dans la rue en chemise de nuit. Le père Colin travaillait à la police municipale. Comme il était chasseur et que tout le monde pensait naturellement que les Arabes avaient fait le coup, on espérait plus ou moins un règlement de compte. Le père, c’était ce type trapu qui restait dans le bateau des pompiers, son crâne dégarni sous un soleil de plomb. Depuis la rive, les gens l’observaient, son immobilité, ce calme insupportable et son crâne qui mûrissait lentement. Pour tout le monde, cette patience avait quelque chose de révoltant. On aurait voulu qu’il fasse quelque chose, qu’il bouge au moins, mette une casquette.
Ce qui avait beaucoup perturbé la population par la suite, ç’avait été ce portrait publié dans le journal. Sur la photo, le fils Colin avait une bonne tête sans grâce, pâle, qui allait bien à une victime, pour tout dire. Ses cheveux frisaient sur les côtés, les yeux étaient marron et il portait un t-shirt rouge. L’article disait qu’il avait décroché son bac avec une mention très bien. Quand on connaissait sa famille, c’était tout de même une prouesse.
Comme quoi, avait fait le père d’Anthony.
Finalement, le corps était resté introuvable et le père Colin avait repris le chemin du boulot sans faire de vagues. Sa femme ne s’était pas pendue ni rien. Elle s’était contenté de prendre des cachets.
En tout cas, Anthony n’avait aucune envie d’aller nager là-dedans. Son mégot émit un petit sifflement en touchant la surface du lac. Il leva les yeux vers le ciel et, ébloui, fronça les sourcils. Ses paupières, l’espace d’un instant, s’équilibrèrent. Le soleil pointait haut, il devait être 15 heures. La clope lui avait laissé un goût désagréable sur la langue. Décidément, le temps ne passait pas. En même temps, la rentrée arrivait à toute vitesse.
– Putain…
– Le cousin se redressa.
– Tu saoules.
– On s’emmerde, sérieux. Tous les jours à rien foutre.
– Bon allez…
Le cousin passa sa serviette sur ses épaules, enfourcha son VTT, il partait.
– Allez, magne-toi. On y va.
– Où ça?
– Magne-toi je te dis.
Anthony fourra sa serviette dans son vieux sac à dos Chevignon, récupéra sa montre dans une basket et se rhabilla en vitesse. Il venait à peine de redresser son BMX que le cousin disparaissait sur le chemin qui faisait le tour du lac.
– Attends-moi, putain!
Depuis l’enfance, Anthony lui collait aux basques. Quand elles étaient plus jeunes, leurs mères aussi avaient été cul et chemise. Les filles Mougel, comme on disait. Longtemps, elles avaient écumé les bals du canton avant de se caser parce que le grand amour. Hélène, la mère d’Anthony, avait choisi un fils Casati. Irène était plus mal tombée encore. Quoi qu’il en soit, les filles Mougel, leurs mecs, les cousins, la belle-famille, c’était le même monde. Il suffisait pour s’en rendre compte de voir le fonctionnement, dans les mariages, aux enterrements, à Noël. »

Extraits
« Dans chaque ville que portait ce monde désindustrialisé et univoque, dans chaque bled déchu, des mômes sans rêves écoutaient maintenant ce groupe de Seattle qui s’appelait Nirvana. Ils se laissaient pousser les cheveux et ils tâchaient de transformer leur vague à l’âme en colère, leur déprime en décibels. Le paradis était perdu pour de bon, la révolution n’aurait pas lieu; il ne restait plus qu’à faire du bruit. Anthony suivait le rythme avec sa tête. Ils étaient trente comme lui. Il y eut un frisson vers la fin et puis ce fut tout. Chacun pouvait rentrer chez soi. »

« Quand elle avait dix-sept ans, c’était déjà la même histoire. Avec sa frangine, elles aimaient bien danser. Elles se tapaient des mecs, séchaient les cours. Elles s’achetaient des soutifs pointus. Elles écoutaient Âge tendre à la radio. Dans le quartier déjà, on disait les salopes, parce qu’elles refusaient la règle du compte-gouttes, celle qui fixe les étapes, la bonne mesure. Hélène avait le plus beau cul d’Heillange. C’est un pouvoir qui vous échoit par hasard et ne se refuse pas. Les garçons ont alors des yeux de veau, ils deviennent sots, prodigues, vous pouvez les choisir, les échelonner, aller de l’un à l’autre. Vous régnez sur leurs désirs imbéciles et dans cette France de la DS et de Sylvie Vartan, où les filles étaient cantonnées aux fiches cuisine et aux rôles de midinette, c’était presque déjà la révolution.
Le plus beau cul d’Heillange. »

À propos de l’auteur
Nicolas Mathieu est né à Épinal en 1978. Après des études d’histoire et de cinéma, il s’installe à Paris où il exerce toutes sortes d’activités instructives et presque toujours mal payées. En 2014, il publie chez Actes Sud Aux animaux la guerre, adapté pour la télévision par Alain Tasma. Aujourd’hui, il vit à Nancy et partage son temps entre l’écriture et le salariat. (Source : Éditions Actes Sud)

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La Maison des Turner

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Voici trois bonnes raisons de lire ce livre:
1. Parce que l’on retrouve avec ce roman les belles sagas populaires, avec le portrait d’une famille de treize enfants tout au long du dernier demi-siècle qui vient de s’écouler jusqu’à la dernière grave crise économique de la fin des années 2000.

2. Parce que, comme l’écrit «MadameOurse», « c’est un récit de fratrie, d’amour, d’amitié, de condition sociale, d’héritage. Les relations dans cette grande fratrie sont complètement différentes de ce qui peut exister dans une famille traditionnelle avec moins d’enfants car il y a énormément d’interactions à gérer et c’est ça qui fait la touche spéciale du roman. »

3. Parce que nous sommes loin de l’eau de rose. Tout au contraire l’auteur aborde tous les sujets – difficiles – sans tabou : l’alcoolisme, la drogue, la dépendance au jeu, sans oublier pour une famille afro-américaine les tensions entre la communauté et la police, les problèmes économiques ainsi que le rapport à la religion.

La maison des Turner
Angela Flournoy
Éditions Les Escales
Roman
traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne-Laure Tissut
352 p., 21,90 €
EAN : 9782365692014
Paru en août 2017

Ce qu’en dit l’éditeur
Cela fait plus de cinquante ans que la famille Turner habite Yarrow Street, rue paisible d’un quartier pauvre de Detroit. La maison a vu la naissance des treize enfants et d’une foule de petits-enfants, mais aussi la déchéance de la ville et la mort du père.
Quand Viola, la matriarche, tombe malade, les enfants Turner reviennent pour décider du sort de la maison qui n’a désormais plus aucune valeur, la crise des subprimes étant passée par là.
Garder la maison pour ne pas oublier le passé ou la vendre et aller de l’avant ? Face à ce choix, tous les Turner, de Cha-Cha, le grand frère et désormais chef de famille, à Lelah, la petite dernière, se réunissent. Et s’il fallait chercher dans les secrets et la mythologie familiale pour trouver la clef de l’avenir des Turner et de leur maison ?

Les critiques
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Les premières pages du livre

Extrait
« La lumière du jour qui inondait le salon l’arrêta sur le palier du rez-de-chaussée. Lelah savait que presque tout le mobilier de la maison avait été partagé, à l’exception du vieux lit et de la commode, dont personne n’avait voulu. Elle n’avait jamais songé que les murs eux aussi seraient dépouillés. Des dizaines de silhouettes marron – ovales et rectangulaires – indiquaient sur le papier peint jaune l’emplacement de photos encadrées. Il n’y avait pas si longtemps, chaque descendant de Francis et de Viola Turner vous souriait depuis les murs du salon. Quatre générations, presque une centaine de visages. Certains coiffés afro, d’autres Jehri curl, quelques chauves, davantage de dégarnis. Toques de fac, blouses d’infirmières, ventres replets et robes de mariée. »

À propos de l’auteur
Diplômée de Iowa Writers’ Workshop et de l’Université de Californie du Sud, Angela Flournoy a enseigné à l’Université de l’Iowa, à la The New School et à l’Université Columbia. La maison des Turner (The Turner House, 2015), son premier roman, a obtenu le First Novelist Award. (Source : Éditions Les Escales)

Site internet de l’auteur (en anglais)
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L’été en poche (58)

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Black-Out

En 2 mots
Le réseau électrique européen interconnecté est victime d’une attaque de grande ampleur. L’Europe, puis l’Amérique vont devoir survivre et se défendre.

Ma note
etoileetoileetoileetoile (j’ai adoré)

Si vous voulez en savoir plus…
Ma chronique complète publiée lors de la parution du roman en grand format

Les premières lignes

L’avis de… Blaise Gauquelin (Libération)
« Sans rebuter les non-initiés, dans une langue sobre et claire, il a le mérite d’avoir été écrit avant la catastrophe de Fukushima et l’attaque des réseaux nucléaires iraniens par le virus américano-israélien Stuxnet. Depuis, il n’a de cesse d’être rattrapé par la réalité. C’est ce qui le rend à la fois intéressant et effrayant. »

Vidéo


Marc Elsberg présente son thriller «Black-Out» © Production Éditions Piranha

Black-Out

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Black-Out
Marc Elsberg
Piranha
Thriller
Traduit de l’allemand (Autriche) par Pierre Malherbet
480 p., 22,90 €
ISBN: 9782371190146
Paru en mai 2015

Où?
Le roman se déroule principalement en Europe : Italie, France, Allemagne ainsi qu’aux Etats-Unis.

Quand?
L’action se situe dans un futur que nous n’espérons pas voir arriver, sur une période de vingt-trois jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Et si le monde que nous connaissons, dépendant de l’électricité et des nouvelles technologies, était sur le point de disparaître ?
Thriller brillamment mené, Black-out plonge le lecteur dans une réalité qui pourrait demain être la nôtre.
Par une froide soirée d’hiver, les lumières de Milan s’éteignent. Puis c’est au tour de la Suède, de l’Allemagne, de la France… : partout en Europe, le réseau électrique est en train de lâcher. Manzano, ex-hacker italien, croit savoir qui est responsable et cherche désespérément à en informer les autorités. Un flic français d’Europol, Bollard, se décide enfin à l’écouter, mais piégé par des e-mails compromettants, Manzano devient le suspect n° 1. Face à un adversaire aussi rusé qu’invisible, alors que l’Europe s’enfonce dans l’obscurité et que plusieurs centrales nucléaires menacent la vie de millions d’êtres humains, commence pour Manzano une véritable course contre la montre.

Ce que j’en pense
****

Un excellent thriller, de ceux qui poussent les lecteurs à la réflexion et qui les obligent à remettre en cause leur confort douillet. Marc Elsberg a imaginé un scénario aussi cauchemardesque que réaliste – malheureusement – en racontant une panne du réseau électrique à l’échelle européenne, puis américaine. Dans une postface qui fait également froid dans le dos, il explique même que « Nombreux étaient les scénarios possibles. Personne ne peut réellement prévoir ce qui se passerait dans de telles circonstances. Dans la mesure où je ne souhaite donner aucune indication qui serait utile à la préparation d’un attentat terroriste, j’ai laissé de côté ou transformé de menus détails techniques. Afin de favoriser la lisibilité de l’intrigue, j’ai fait quelques entorses à la réalité ; ainsi j’ai déplacé les postes de contrôle des réseaux aux sièges des entreprises gestionnaires, j’ai maintenu en état de marche, plus longtemps que ça ne serait le cas, les connexions téléphoniques et Internet, etc. »
L’histoire débute à Milan, par ce qui ressemble à priori à un banal accident de la route. Mais Piero Manzano, qui n’a pu éviter la collision, comprend très vite que la cause de l’accident est beaucoup plus grave que les tôles froissées : les feux de circulation ont brusquement cessé de fonctionner parce qu’ils n’étaient plus alimentés en électricité. Une panne qui ne va pas tarder à affecter bien plus que la ville et même la région. De part leur interconnexion, les différents réseaux vont les uns après les autres passer dans le rouge. Comme pour un jeu de dominos, quand le premier tombe, il est presque inéluctable qu’il entrainera tous les autres à sa suite. Informaticien et ex-hacker, Piero comprend très vite que la situation dérape et qu’il s’agit d’une catastrophe à l’ampleur inédite.
Shannon, une journaliste de CNN, ne tarde pas elle aussi à comprendre qu’il ne s’agit pas d’une simple panne de réseau, mais que le système lui même vient de montrer ses failles. Ensemble, ils vont essayer d’alerter les autorités sur la gravité de la situation et tenter de comprendre qui se cache derrière cette attaque d’une ampleur inédite.
Au début on se moque d’eux puis on imagine qu’ils font partie du complot avant de finalement reconnaître combien ils ont eu raison de tirer la sonnette d’alarme.
Car les mauvaises nouvelles se succèdent, à commencer par l’incident majeur qui frappe une centrale nucléaire française à Saint-Laurent-Nouan.
C’est à ce moment que l’on se rend compte que les problèmes liés à l’arrêt de l’alimentation électrique touchent très vite tous les secteurs de l’économie : l’approvisionnement, les télécommunications, les transports, la santé et la logistique. Après une phase d’entraide, les populations commencent à s’affoler puis à se révolter. La situation devient de plus en plus chaotique…
Le scénario imaginé par l’auteur est dramatique à souhait, afin que l’on se rende très vite compte des dangers que peuvent receler nos technologies et notre hyper-connectivité.
La traque du réseau terroriste est haletante à souhait, les épisodes d’espoir et ceux beaucoup plus dramatiques s’enchaînent si bien qu’on ne lâche plus ce suspense.
Au moment de refermer le livre on comprend pourquoi l’auteur a été beaucoup sollicité pour parler des périls qui nous menacent et on ne souhaite qu’une chose : que sa mise en garde reste du domaine de la fiction.

Autres critiques
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Extrait
« La Suède, la Norvège et la Finlande au nord, l’Italie et la Suisse au sud sont tombées, expliquait l’opérateur derrière lequel se tenait Jochen Pewalski. Y compris des parties des États voisins comme le Danemark, la France, l’Autriche, également la Slovénie, la Croatie et la Serbie. E.ON signale quelques pannes, Vattenfall et EnBW sont totalement dans l’orange. Les Français, les Polonais, les Tchèques et les Hongrois aussi. Puis quelques taches sur les îles Britanniques. »
Jochen Pewalski, directeur de la conduite réseaux pour Amprion, travaillait depuis plus de trente ans au sein du complexe situé non loin de Cologne, sorti de terre en 1928 pour servir de dispatching à l’ancienne compagnie d’électricité de la Rhénanie Westphalie (RWE), connu depuis longtemps sous le nom de « disjoncteur principal de Brauweiler ». L’écran gigantesque, de seize mètres sur quatre, zébré de lignes rouges, oranges et vertes, ainsi que ceux, innombrables, des postes de travail, lui rappelaient jour après jour la responsabilité qui lui incombait, ainsi qu’à ses équipes.
À Brauweiler, on surveille, aiguille et conduit l’intégralité du réseau de transport d’électricité de la société Amprion, l’un des quatre réseaux allemands les plus étendus, l’un des plus grands réseaux européens pour le 380 et le 220 kilovolts.
On y coordonne en outre l’interconnexion entre les quatre grands gestionnaires de réseaux de toute l’Allemagne, ainsi qu’avec toute la partie nord-européenne du réseau d’électricité, et on en surveille l’équilibre entre production et consommation d’électricité. Il s’agit de la Belgique, de la Bulgarie, de l’Allemagne, des Pays-Bas, de l’Autriche, de la Pologne, de la Roumanie, de la Slovaquie, de la République tchèque et de la Hongrie. (p. 15)

A propos de l’auteur
Marc Elsberg est né en 1967 à Vienne. Depuis la publication en 2012 de Black-out, véritable phénomène éditorial en Allemagne, il est régulièrement invité par tous les médias nationaux allemands pour son expertise scientifique et technique sur les menaces que font peser sur notre société les progrès de l’hyper-connectivité. (Source : Editions Piranha)

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