Kiosque

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En deux mots:
Jean Rouaud a été tenu durant sept ans un kiosque à journaux rue de Flandre à Paris. C’est cette expérience qu’il raconte ici. Il nous dit tout des spécificités de ce curieux métier, des nombreuses rencontres qu’il a faites et de l’influence que cette activité aura sur son œuvre.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Le monde en quelques mètres carrés

«Le kiosque est la plus belle encyclopédie in vivo» explique Jean Rouaud dans son nouveau roman qui détaille ses sept ans passés rue de Flandre. Une expérience fascinante et… une école de littérature!

P. est un vieil anar syndicaliste qui, après la mort de sa femme, va se noyer dans l’alcool et la dépression. Il tient un kiosque à journaux rue de Flandre, dans le XIXe arrondissement et va proposer à Jean Rouaud de le seconder. L’apprenti écrivain, accepte cette proposition qui lui permet de dégager beaucoup de temps pour sa vocation. Car même si tous ses manuscrits ont été refusés jusque-là, il persévère dans la voie qu’il a choisie.
Nous sommes dans les années quatre-vingt, au moment où la désindustrialisation fait des ravages dans tout le pays et où le chômage devient un fléau qui s’installe durablement dans le paysage économique.
Le kiosque à journaux joue alors un rôle social essentiel d’animation du quartier, de contrepoint à la solitude.
Si Jean Rouaud affirme que ce «théâtre de marionnettes» aura entrainé le naufrage de ses illusions, il va surtout nous démontrer combien ces sept années de sa vie auront été enrichissantes. Car, comme le souligne Bernard Pivot dans sa chronique du JDD, «Kiosque est une magnifique galerie de portraits de marginaux, de vaincus, de rêveurs, de déracinés… L’art et la bonté de Rouaud les rendent presque tous sympathiques.» Dans ce quartier cosmopolite, la revue de presse est en effet faite par ces réfugiés, immigrés, néo-parisiens qui n’oublient pas leurs racines et commentent les soubresauts de «leur» monde, qu’ils viennent d‘Afrique ou des Balkans, du Brésil ou du Proche et Moyen-Orient. Avec cette leçon toujours actuelle: ce n’est pas par gaîté de cœur qu’ils se sont retrouvés un jour à battre le pavé parisien. À leurs côtés, dans ce quartier populaire, les désœuvrés servent à l’occasion de commissionnaire, les habitués débattent des grands travaux engagés par François Mitterrand, comme par exemple cette pyramide qui doit prendre place dans la Cour du Musée du Louvre qui va être agrandi.
Cette soif de modernité va aussi s’abattre sur le kiosque à journaux. Durant dix années, nous explique Jean Rouaud, les concepteurs du nouveau modèle parisien ont travaillé pour livrer un kiosque qui n’avait «ni place, ni chauffage, ni toilettes et il fallait être contorsionniste pour atteindre certaines revues». On se réjouit de voir si le projet qui arrive cette année résoudra ces inconvénients!
N’oublions pas non plus que cette vitrine sur le monde permet aussi aux gérants de se cultiver à moindre frais. Si ce n’est pour trouver la martingale recherchée avec passion par les turfistes ou pour déchiffrer les modèles de couture proposés par Burda, ce sera dans les cahiers littéraires des quotidiens, les revues politiques ou encore les encyclopédies vendues par épisodes.
Puis soudain, cette révélation. Il n’est pas kiosquier par hasard. N’a-t-il pas mis se spas dans ceux des sœurs Calvèze qui, à Campbon, se levaient aux aurores pour aller distribuer la presse locale ? N’est-il pas lui aussi un passeur. De ceux qui parviennent à arracher une vie partie trop tôt de l’oubli? Les Champs d’honneur doivent beaucoup au kiosque de la rue de Flandre qui a construit Jean Rouaud, a aiguisé ses talents d’observateur, a démultiplié son empathie, a affûté sa plume.
Kiosque est aussi une superbe leçon de littérature.

Kiosque
Jean Rouaud
Éditions Grasset
Roman
288 p., 19 €
EAN : 9782246803805
Paru le 3 janvier 2019

Où?
Le roman se déroule en France, à Paris et plus principalement rue de Flandre. On y évoque aussi la Bretagne et Campbon.

Quand?
L’action se situe de 1983 à 1990.

Ce qu’en dit l’éditeur
Sept années durant, de 1983 à 1990, jusqu’à l’avant-veille du prix Goncourt, un apprenti-écrivain du nom de Jean Rouaud, qui s’escrime à écrire son roman  Les Champs d’honneur, aide à tenir rue de Flandre un kiosque de presse.
A partir de ce «balcon sur rue», c’est tout une tranche d’histoire de France qui défile  : quand Paris accueillait les réfugiés pieds noirs, vietnamiens, cambodgiens, libanais, yougoslaves, turcs, africains, argentins; quand vivait encore un Paris populaire et coloré (P., le gérant du dépôt, anarcho-syndicaliste dévasté par un drame personnel; Norbert et Chirac (non, pas le maire de Paris!); M. le peintre maudit; l’atrabilaire lecteur de l’Aurore  ; Mehmet l’oracle hippique autoproclamé; le rescapé de la Shoah, seul lecteur du bulletin d’information en yiddish…)
Superbe galerie d’éclopés, de vaincus, de ratés, de rêveurs, dont le destin inquiète l’«écrivain» engagé dans sa quête littéraire encore obscure à 36 ans, et qui se voit vieillir comme eux.
Au-delà des figures pittoresques et touchantes des habitués, on retrouve ici l’aventure collective des lendemains de l’utopie libertaire post soixante-huitarde, et l’aventure individuelle et intime d’un écrivain qui se fait l’archéologue de sa propre venue aux mots (depuis «la page arrachée de l’enfance», souvenir des petits journaux aux couvertures arrachées dont la famille héritait de la part de la marchande de journaux apitoyée par la perte du pater familias jusqu’à la formation de kiosquier qui apprend à parler «en connaissance de cause».)

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Le JDD (Bernard Pivot)
RFI (Vous m’en direz des nouvelles – Jean-François Cadet)
Télérama (Gilles Heuré)

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« J’avais eu de ses nouvelles par internet, alors que je cherchais son nom avec l’idée toujours remise de lui rendre une visite, un portrait qu’avait fait de lui un quotidien, où il parlait de son métier, de la crise et du déclin de la presse dont il avait été le témoin au cours des trente dernières années, de la fermeture des kiosques qui en était la conséquence, de la situation de plus en plus précaire des marchands de journaux, d’un monde en voie de disparition en somme, lequel avait accompagné l’histoire du siècle précédent avec ses vendeurs à la criée, ses mutilés de guerre immobiles derrière leur étal, ses grands reporters intrépides, ses plumes jouant les cassandres, et s’en était allé avec lui. Si on s’était adressé à mon vieux camarade plutôt qu’au marchand du coin dont le journaliste aurait recueilli en habitué les doléances, c’est sans doute parce qu’il était monté en première ligne pour la défense de la profession, ce qui correspond bien à l’image de militant anarcho-syndicaliste qu’il aimait à se donner, même si je ne suis pas certain qu’elle lui correspondît vraiment.
C’était un homme pacifique, méticuleux, honnête. Ce goût du militantisme venait de ses années soixante-huitardes, fidélité nostalgique à sa jeunesse combattante, au drapeau noir brandi dans les manifestations où, du temps que nous travaillions ensemble, il aimait à l’occasion retrouver le dernier carré de ses semblables. En réalité il ne les fréquentait qu’à ces rassemblements, n’étant affilié à aucune cellule, se contentant de brandir haut et fort ses convictions quand il avait un coup dans le nez – ce qui se traduisait par un chant révolutionnaire braillé à l’ouverture du kiosque dans la foulée d’une nuit arrosée devant quelques passants encore ensommeillés – et de feuilleter Le Libertaire et Le Monde libertaire que nous recevions comme des milliers d’autres titres.
Il m’attendait parfois afin d’en commenter un article, l’accompagnant d’un bon mot qui le faisait ricaner avant de tirer une bouffée de sa pipe et de replonger dans ses comptes auxquels il consacrait une grande partie de son temps libre. Penché sur ses bordereaux posés sur la tablette encombrée de piles de magazines, comptant et recomptant les colonnes de chiffres, il tournait le dos ostensiblement aux acheteurs qui au bout d’un certain temps perdaient patience, les uns se manifestant pour attirer son attention, d’autres partant silencieusement se fournir ailleurs. Il ne consentait à pivoter la tête qu’après avoir achevé ses longues additions d’invendus.
Je crois me souvenir qu’il était affilié à un syndicat corporatiste, ce qu’il considérait comme relevant de son devoir de militant, ce qui, à chaque soubresaut de la profession, l’amenait à reprendre le combat comme le vieux Malraux bourré de tics et transpirant l’opium prêt à reformer une flottille volante pour se porter au secours du Bangladesh, manière de se raconter au seuil de la mort qu’il n’avait pas trahi les emballements de sa jeunesse. Son statut de gérant de kiosque l’avait propulsé du côté des commerçants et des petits patrons, plus tout à fait au coude à coude avec les damnés de la terre, ce qui le contrariait un peu, ne collait pas avec les slogans vengeurs de la Fédération anarchiste, mais il se vivait toujours comme exploité par les grands groupes dont les NMPP, l’organisme de distribution des quotidiens et des magazines. Ce qui n’était pas complètement faux, les kiosquiers constituant, en bout de chaîne, une des variables d’ajustement de la presse.
Dans les hautes sphères on était même plutôt d’avis de s’en passer. La menace planait. Tout en haut de la hiérarchie on rêvait à des appareils automatiques permettant aux acheteurs de se servir eux-mêmes, et au distributeur de récupérer le pourcentage habituellement dévolu aux marchands, une pratique courante aux États-Unis où l’on peut voir avec étonnement, dans un pays réputé pour sa violence, les lecteurs s’acquitter scrupuleusement de leur obole avant de soulever le couvercle d’une boîte en plexiglas et de repartir sans se sentir obligés d’emporter une pile de journaux ou de les semer dans le caniveau. L’obsession du profit étant une seconde nature chez certains, l’expérience fut tentée dans le métro parisien, mais dès le lendemain de leur installation tous les appareils automatiques avaient été défoncés. Peut-être comme les tailleurs et les luddites s’en prirent jadis aux premières machines à coudre et aux métiers à tisser qu’ils voyaient comme des rivaux et brisèrent à coups de barre de fer. Avec raison quand on sait comme la partie était inégale entre ces hommes armés d’un fil et d’une aiguille et la puissance industrielle avec son esprit de lucre et ses manières de soudard.
Pour cette fois le milieu n’insista pas, trop coûteux le remplacement à répétition des appareils, mais il conserva son objectif, attendant son heure. Elle vint quand quelqu’un s’avisa que la meilleure façon d’en finir avec les kiosquiers serait d’organiser la distribution gratuite de quotidiens, ce qui revenait à offrir des baguettes de pain à la porte des boulangeries. De quoi indigner logiquement la profession. Le procédé dura quelque temps, avant qu’internet ne mette tout le monde d’accord. Pour les nouvelles, plus personne ne compte sur le journal du matin et ses scoops retardataires. Annoncent-ils que le fort de Douaumont a été repris, on sait déjà qu’entre-temps il est retombé dix fois.
Sans doute P. avait-il grimpé à l’intérieur de l’organisation et était-il devenu par son ancienneté, sa connaissance des luttes syndicales, une sorte de vieux sage vers lequel on se tournait chaque fois que les choses n’allaient pas dans les kiosques, mais j’étais surpris de le découvrir dans une manifestation dénonçant les ouvriers du Livre dont la grève empêchait l’impression des quotidiens, privant les marchands de leur principal revenu. La situation n’était pas nouvelle. Régulièrement, avec leur pouvoir d’étranglement du circuit, les mêmes manifestaient par des arrêts de travail leur mécontentement, que ce fût pour réclamer une augmentation de salaire ou s’opposer à une réorganisation au sein de l’entreprise. Mais du temps que nous travaillions ensemble je ne suis pas certain que P. aurait pris ouvertement position contre eux. De peur de passer pour un réactionnaire, bien sûr, pour un « jaune », un briseur de grève, mais pas seulement, il essayait de comprendre leurs motivations, avançant que par leur action ils servaient la cause. La cause en général, car pour la nôtre, on ne voyait pas trop, ou alors il convenait de se projeter à long terme, et si le long terme correspondait à la situation décrite dans l’article, savoir la disparition programmée de la profession, ce n’était manifestement pas un investissement d’avenir.
Il prenait sur lui de ne rien laisser paraître de la gêne provoquée par ces journées amputées de la vente des quotidiens, prêchant au contraire la bonne parole syndicaliste devant les vieux ronchons qui ne manquaient jamais, dépités, repartant les mains vides, de déverser leur bile contre les syndicats, proposant d’envoyer les CRS pour remettre tout le monde au travail, ou l’armée pour prendre la place des réfractaires sur les rotatives. Les entendre maugréer nous renforçait dans nos convictions, au moins la ligne de partage idéologique était nette, qui nous aidait à encaisser le désastre de la recette du jour, mais ceux-là n’étaient qu’une poignée, la plupart des clients de la rue de Flandre prenaient la chose avec philosophie, concédant que c’était toujours autant d’économisé, qu’ils pourraient enfin lire le journal de la veille, et même de l’avant-veille, et encore au-delà, avouant se contenter le plus souvent de le feuilleter d’un œil distrait, et par son achat de sacrifier davantage à un rituel, comme si cette grève de la presse les mettait en vacances de l’actualité, ou les dédouanait de ne pas s’y intéresser. Les lecteurs du Monde étaient les plus meurtris par cette absence mais s’affichant de gauche, et pour les mêmes raisons que mon vieux camarade, ils refusaient d’émettre un commentaire négatif sur le mouvement qui les privait de leur drogue journalière. Ils repartaient en état de manque, se demandant comment combler ce trou béant d’une heure ou deux dans leur soirée.
Les journaux revenus, tout s’oubliait spontanément, les sourires refleurissaient, un petit ah de satisfaction à la vue du quotidien dans son casier, et aussitôt les conversations retrouvaient leur cours normal selon les intérêts et les lubies de chacun. Les différends politiques devenaient une sorte de jeu dans lequel les uns et les autres reprenaient leur rôle, P. réenfilant sa noire panoplie et en rajoutant dans la provocation devant cette lectrice du Figaro, une dame dans la soixantaine, apprêtée, solidement permanentée, dont pas un cheveu ne volait au vent, qui ne serait jamais sortie en tenue négligée comme certains se l’autorisaient sous prétexte que nous étions le week-end – je la revois dans un élégant tailleur vert tendre – et qu’il rabrouait régulièrement pour ses commentaires qui, de fait, n’avaient rien de progressiste. Elle s’acharnait à défendre ses convictions, repartait à chaque fois horrifiée, mais était la première à s’inquiéter quand P. était absent. Elle confiait alors aimer beaucoup débattre avec lui. Ce qui constituait, ces joutes sans conséquence, une forme d’animation du quartier, et un contrepoint à la solitude pour certains. »

Extraits
« Ces déferlantes de vies dont chacune avait de quoi nourrir un ou plusieurs romans, qui toutes étaient des leçons et permettaient de placer sa petite histoire sur la grande scène du monde en relativisant son chagrin à aune de drames infiniment lus grands, j’avais trouvé un moyen d’en conserver la trace. Non pas en couvrant des cahiers de ces récits reconstitués mais en les synthétisant dans de courts poèmes, et poème n’est pas le nom approprié, sinon qu’ils en empruntaient l’esprit aux haïkus dont l’acuité à rendre le réel était pour moi un exercice à la fois d’humilité et d‘attention. Une attention pleine de prévenance pour les êtres et les choses les plus humbles.
Jusqu’alors je m’étais exclusivement préoccupé de mettre au point une langue poétique, persuadé et en ça, bien de mon temps que l’objet littéraire ne devait à rien d’autre qu’à lui-même. Il s’agissait de forger des phrases comme d’autres, dans des galeries ou au milieu de la lace Pablo-Picasso d’une ville nouvelle, entortillaient du fil de fer ou exposaient des plaques de tôle rouillées. Un travail d’alchimiste obstiné enfermé dans son laboratoire au milieu de ses creusets et de ses cornues bouillonnantes, persuadé qu’il finira par trouver la formule philosophale pour e cette ferraille obtenir de la vaisselle d’or. Cet acharnement était moins un choix délibéré que la conséquence de mon incapacité à être au monde, que je mettais à profit en me penchant sur mes phrases comme notre oncle Émile sur le cœur mécanique de ses montres. «Je cherche l’or du temps», lit-on sur la tombe de Breton au cimetière des Batignolles. »

« C’est la guerre qui l’avait chassé d’Europe. Il était venu au début des années trente à Paris parce qu’à New York il lui était impossible de s’affirmer comme écrivain, se sentant comme un poisson hors de l’eau, étranger en son propre pays. Parce que le regard des autres le voyait comme un raté. Parce qu’il se moquait bien de ce que la société attendait de lui, qu’il grimpe les échelons de la Western Union Telegraph où il était directeur du personnel. Parce que lui, ce qu’il voulait c’était écrire.
Dans une lettre à Frédéric Jacques Temple qui fut son biographe, Henry Miller se confie: «Je n’ai jamais eu aucune aptitude à gagner ma vie. Je n’avais non plus aucune ambition. Mon seul but était de devenir écrivain.» Et plus loin: «Je n’ai jamais eu personne sur qui m’appuyer, qui me conseille ou me dirige.» Ayant lu à peu près tout ce qu’on pouvait trouver en français de sa main, jusqu’à sa correspondance avec Durrell, je m’appuyais sur lui.
C’est l’avantage des livres, qu’ils effacent le temps, les différences de langue et de pays. À Miller j’enviais cette liberté profonde qui le voyait discourir sur les espaces infinis et trois pages plus loin clouer des bardeaux sur un toit. Sans cette liberté-là, écrire ne valait pas la peine. Il n’avait pas eu à choisir entre le cancer du lyrisme et la vie quotidienne. Avec un immense goût de la vie, il avait tout pris du ciel et de la terre, sans se livrer à un tri dédaigneux de ce qui était poétiquement valeureux ou pas. »

À propos de l’auteur
Auteur d’une œuvre considérable, Jean Rouaud nous livre ici le cinquième opus de sa série « La vie poétique », après Comment gagner sa vie honnêtement (Gallimard, 2011), Une façon de chanter (Gallimard, 2012), Un peu la guerre (Grasset, 2014), Etre un écrivain (Grasset, 2015). (Source : Éditions Grasset)

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Première dame

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En deux mots:
Paul annonce à son épouse qu’il sera candidat pour les primaires. Marie et leurs quatre enfants le soutiennent, sans imaginer la violence du combat qui s’engage. Malgré les attaques, il va réussir à remporter les primaires. Mais il est déstabilisé…

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

La longue route vers l’Elysée

Caroline Lunoir a choisi de se mettre dans la peau de la femme d’un candidat à la présidence de la République. Son journal intime va nous faire vivre une campagne implacable.

Il y a les récits qui racontent l’ascension d’un homme vers le pouvoir, ces «romans» confiés à Yasmina Reza par Nicolas Sarkozy (L’aube le soir ou la nuit), à Laurent Binet par François Hollande (Rien ne se passe comme prévu) et à Philippe Besson par Emmanuel Macron (Un personnage de roman). Plus que des romans, ce sont davantage des hagiographies. Il y a ensuite la variante satirique, chasse gardée de Patrick Rambaud qui vient de publier Emmanuel le magnifique, premier tome consacré à la première année d’Emmanuel Macron à l’Elysée.
Mais, aussi réussis qu’ils puissent l’être, ces livres ne donnent qu’un point de vue extérieur – d’observateur – sur la vie de l’homme politique qui décide de s’attaquer à la fonction suprême. Grâce à Caroline Lunoir, on a enfin vision «de l’intérieur» de ce parcours, de cette épreuve. Car, n’en doutons pas, une campagne présidentielle est une épreuve terrible.
Quand Paul annonce à son épouse Marie et à ses enfants Violaine, Clothilde, Solenn et Victor qu’il va se présenter aux primaires de son parti, c’est tout naturellement la fierté et l’excitation qui l’emportent. Mais au fil des pages, les émotions vont bien vite se transformer, à la faveur des coups reçus et que Marie va nous détailler dans un cahier de campagne: «Je tiens mon journal avec des pudeurs de midinette. Je ne crois pas que Paul connaisse l’existence de ce cahier. Je ne sais pas ce qu’il en penserait. Y verrait il une coquetterie ou une menace?»
La romancière a subtilement brouillé les cartes. En mêlant habilement des épisodes qui ont parsemé les dernières campagnes présidentielles, elle donne de la crédibilité à son propos, mais en donnant des noms de fantaisie aux acteurs, elle évite le petit jeu de masques. Car il ne s’agit pas de trouver derrière Stéphanie L. (candidate d’extrême-droite) ou derrière Nathalie M. (à gauche) des personnalités connues, mais plutôt des archétypes.
Les jours passent et les médias s’en donnent à cœur joie, commençant à chercher des poux dans la biographie du candidat. Un article évoquant des comptes bancaires à l’étranger va mettre le feu aux poudres et conduite jusqu’à une perquisition traumatisante, notamment pour les enfants également inquiétés.
Marie souffre et écrit dans son journal: «le pays entier me considère comme une tricheuse, qui a dissimulé sa fortune dans un paradis fiscal et qui a volé le trésor public». Le coup est rude, mais ne la secouera pas autant que la révélation d’une liaison entre son mari et Marion, son éditrice. Si leur union vacille, elle va tenir. Car Marie se prend au jeu et voit la dynamique enclenchée.
«Paul a triomphé au second tour de la primaire, emportant avec lui les militants et des millions de voix. C’est écrit. Il sera le candidat à la présidentielle de notre parti. Ma main tremble un peu. Il paraît que cette élection présidentielle, après cinq ans de gouvernement par l’opposition, la déroute de Régis B. et les luttes fratricides qui déchirent désormais son parti laissé sans candidat officiel, est imperdable. Ce soir, ma joie, notre joie, connaît aussi le poids de la responsabilité qui nous échoit. Cher pays, mon Paul, je répondrai présente, autant que je le pourrai.»
Après les primaires, un autre match s’annonce, encore plus galvanisant, mais encore plus violent. Et le mot d’ordre est alors «Tenir».
Je vous laisse découvrir le dénouement de ce roman qui vous fera pénétrer dans l’intimité d’un couple, vous initiera aux jeux de pouvoir et ne vous laissera rien caché des tourments de l’âme de la Première dame.

Première dame
Caroline Lunoir
Éditions Actes Sud
Roman
192 p., 18 €
EAN : 9782330117832
Paru le 3 janvier 2019

Où?
Le roman se déroule en France, principalement à Paris, mais aussi en province,
à C. ainsi qu’en Bretagne. On y évoque aussi des voyages à Portofino et en Grèce.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Un beau dimanche d’avril, c’est dans l’euphorie et la fierté qu’est accueillie l’annonce de Paul : il sera candidat aux primaires de son parti en vue de l’élection présidentielle. Épouse dévouée, mère exemplaire, Marie inaugure pour l’occasion un journal, avide de tenir la chronique des deux années à venir qui s’annoncent pleines de suspense, de promesses et d’accomplissements. Leurs quatre enfants, jeunes adultes, se réjouissent du sens que ce projet paternel donne à une vie d’engagement et le soutiennent avec chaleur. Personne ne semble mesurer les conséquences d’une telle mise en lumière, ni ne pressent le souffle des scandales qui s’apprêtent à ébranler la cellule conjugale et le cocon familial…
Que faut-il d’abnégation, de cynisme, d’amour ou d’ambition pour accompagner un homme jusqu’aux portes du palais? Analyse intime d’une femme qui ne vivait que pour ses proches et qui se découvre un pouvoir ambigu, critique sociale d’un milieu privilégié coupé de la réalité, satire dénonçant les compromissions de la classe politique avec les experts en communication, ce roman enlevé mêle l’ironie d’une fausse résignation à un féminisme ambivalent.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Blog motspourmots.fr (Nicole Grundlinger)
Quatre sans quatre

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Lundi 24 avril
Paul m’a annoncé hier qu’il serait candidat à la primaire du parti pour l’élection présidentielle.
Je le savais déjà. Des nuits passées à le sentir se retourner, compter ses soutiens, préparer des phrases, se rappeler les propos des uns, les piques des autres. Des nuits de sueur, d’excitation et d’insomnie. Des nuits à caler son angoisse dans l’étau de mes bras. Des heures à l’emmailloter de ma tendresse pour qu’il s’apaise.
Je savais qu’il ne pourrait pas renoncer. Chaque fois qu’il s’est frotté à une ambition, il a relevé le défi, de peur de refuser un combat, de ne pas être celui qu’il veut. Et il était revenu surexcité de son déjeuner avec Marc T., jeudi dernier.
Il a posé ses mains sur mes épaules. Alors j’ai su. Je suis restée silencieuse pour le laisser goûter ce moment comme il l’avait imaginé.
— Trésor, je… j’ai décidé d’y aller. Je me présente à la primaire…
Son souffle, ses mains sur mon cou, la chaleur de son exaltation.
— Si, bien sûr, tu me soutiens.
J’ai posé mes mains sur les siennes et il m’a serrée dans ses bras. Sans un mot. Nous étions heureux, soudés, confiants, prêts à monter ensemble au front. Notre étreinte de lutteurs.
Plus tard, alors qu’il répondait à ses messages, j’ai posé ma tête sur son oreiller, ajusté ses lunettes qui tombent toujours sur son nez et je lui ai demandé :
— Quand est-ce que tu vas le dire aux enfants ?
Il a souri.
— Je pensais ce week-end, à C., quand ils viendront pour le pont du 1er Mai.
Son téléphone a encore vibré. J’ai éteint ma lampe de chevet et essayé d’imaginer la tête que vous feriez.

Mardi 25 avril
J’ai compté : il nous reste un an, onze mois et vingt-six jours avant le premier tour de l’élection présidentielle, soit sept cent vingt-six jours de campagne.
Le compte à rebours est lancé : J – 726 ! Paul sera encore un peu moins à nous et un peu plus aux autres. Mais il a l’air si sûr, si heureux.
J’aimerais tenir le journal du fil tendu de notre vie jusqu’à cette cible. Je me suis dit qu’un jour, quelqu’un, le biographe de Paul ou les enfants, voudrait savoir comment j’ai vécu tout ça. J’ai également pensé que plus tard, peut-être, à l’heure du repos et de notre vieillesse, je voudrais me contempler dans le miroir de ces années, retrouver la femme que j’étais, me piquer à l’émotion de ces moments.
J’ai trouvé ce cahier dans la bibliothèque. Un de ces articles de papeterie avec une belle couverture de cuir que l’on caresse avec plaisir lorsqu’il vous est offert à l’occasion d’une inauguration, que l’on destine à de multiples projets mais qui finalement, souvent, reste vierge. À moi de jouer!

J – 720
(Lundi 1er mai)
Victor, notre petit dernier, m’a apporté un bouquet de muguet. Je l’ai placé au centre de la table pendant que les filles mettaient le couvert. J’observais Paul, au milieu des enfants, bavard, rose de plaisir, comme une jeune femme qui se prépare à annoncer sa première grossesse. Il se gavait de pistaches. J’avais sorti notre service de mariage, celui avec notre chiffre doré. Clothilde, notre aînée, a tout de suite plaisanté en disant que quelqu’un avait quelque chose à annoncer. Puis elle est allée coucher
Capucine pour la sieste.
Paul a servi le vin qu’il a commenté avec Christophe, le mari de Clothilde. Solenn, notre numéro 3, avait l’air fatiguée, sans doute à cause d’une autre de ses soirées d’école de commerce.
Tous ces souvenirs auront le parfum du muguet. Quand j’ai apporté le poulet, Paul s’est levé et a passé son bras autour de ma taille.
— Les enfants…
Il a marqué une pause. Je pense que mes joues étaient enflammées.
— Nous avons décidé… que je serai candidat à la primaire.
Violaine, notre cadette, s’est renversée sur sa chaise et s’est retournée vers son petit frère, avec son air de triomphe. »

Extrait
« Que dire de moi, à côté de Paul ? Je l’ai rencontré en faculté de droit. C’est tellement classique. Il mendiait mes commentaires d’arrêt pour s’en inspirer et admirait, selon ses mots, ma puissance de raisonnement. J’adorais son sens de la répartie et son éloquence. Sa gouaille parfois tapageuse, parfois désordonnée, toujours séduisante. J’ai finalement choisi le journalisme. Je couvrais l’Europe de l’Est, cette région qui me fascine. J’ai appris le russe. Il est entré en politique. Ses succès m’ont happée.
J’ai voulu des enfants. Il a aimé que j’en veuille. Nos enfants ont singulièrement marqué son image publique. Quand il était encore préfet, à chaque nouveau poste il était d’abord annoncé comme « Paul V., père de quatre enfants ». Comme si avoir quatre enfants vous étiquetait avec plus de garantie qu’une couleur politique. »

« Je tiens mon journal avec des pudeurs de midinette. Je ne crois pas que Paul connaisse l’existence de ce cahier. Je ne sais pas ce qu’il en penserait. Y verrait il une coquetterie ou une menace? »

« Le journal, lui, prétend ne pas juger de l’adultère mais s’interroger au sujet des moyens utilisés pour le cacher, avec les deniers du parti. Je regarde le montant annoncé et tous ces chiffres. Je n’ai qu’une seule question: cette somme est-elle le prix à payer pour renoncer à Marion ou pour me garder? »

À propos de l’auteur
Avocate pénaliste, Caroline Lunoir vit et travaille à Paris. Elle est l’auteur de deux autres romans, parus chez Actes Sud : La Faute de goût (2011 ; n°1194) et Au temps pour nous (2015, prix littéraire des Sables-d’Olonne – prix Simenon). (Source : Éditions Actes Sud)

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La guérilla des animaux

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En deux mots:
Isaac en a assez de militer pour la sauvegarde des animaux. Puisque rien n’est fait pour enrayer l’extinction des espèces, il va tuer les tueurs. Le meurtre de braconniers est le début d’une spirale infernale qui provoque une onde de choc. Mais le combat est loin d’être gagné.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:
Les animaux sont des hommes comme les autres

Camille Brunel nous offre un premier roman militant, centré autour d’un défenseur acharné des animaux, qui choisit l’action violente pour secouer les consciences. Choc et… malaise.

Disons d’emblée, ce roman ne va pas tarder à vous mettre mal à l’aise, que vous soyez un ardent défenseur de la cause animale ou non. Nous projetant dans un avenir proche, il s’ouvre sur une scène choc: venant d’assister au massacre d’un tigre par des braconniers dans le dans le parc de Ranthambore en Inde, Isaac Obermann prend son fusil et perfore « le thorax de la chasseuse en un premier coup de feu qui excita les chauves-souris. Le temps que le second chasseur comprenne ce qui venait de se passer, il était touché aussi; que le troisième comprenne ce qui venait de se passer et saisisse son fusil, son corps s’effondrait sur celui du tigre… »
Assassiner ainsi de sang-froid des assassins d’animaux, ce n’est que justice pour ce militant qui fait le constat que toutes les actions politiques menées jusque-là ont été vaines, que les espèces animales sauvages continuent de s’éteindre, que les abattoirs continuent à tourner à plein régime. Et qu’il convient dès lors de tuer les tueurs partout où ils sévissent.
La croisade meurtrière qu’il entame va le mener sur tous les continents. Avec les Sea Shepherd il va s’attaquer à un baleinier japonais sur une île d’Alaska et parviendra à s’enfuir après avoir tué tout l’équipage. Et même s’il ne fait pas des émules partout sur la planète, son discours commence à être entendu. On l’invite à Paris pour une première conférence. Il trouve des soutiens financiers – on murmure même que Hollywood serait derrière les millions qui se déversent – et poursuit sa guerre en Afrique, en Asie, en Europe. Il se radicalise de plus en plus, entraînant avec lui des idéalistes illuminés – Polly, sa compagne du moment, ne va pas hésiter à se sacrifier elle-même – et creuse le fossé avec les «raisonnables», parmi lesquels son père qui ne veut pas croire que son fils soit devenu un assassin. Leur ultime rendez-vous sera l’occasion de dire clairement les choses: « On a trop longtemps considéré que les crimes contre l’humanité ne visaient que les humains, alors que les massacres de loups, de bovins, de baleines, constituent des crimes contre l’humanité aussi – ce sont des portraits d’homo sapiens en trou béant, sans regard, l’âme crénelée tout juste bonne à égorger ce qu’elle rencontre. Je l’attaquerai sans relâche. On ne m’aimera pas. Tu ne m’aimeras plus. Je ne vais pas me tuer, mais ma vie est finie. Voilà, c’est ce que je suis venu te dire. »
À Brasilia, à l’occasion d’une nouvelle conférence, il va réussir à faire bouger les lignes. Puis tout va s’emballer jusqu’à devenir totalement incontrôlable. Le roman devient alors une dystopie qui, aux alentours de 2045, va déboucher sur une terrible catastrophe.
Camille Brunel a le mérite, au moment où chacun prend conscience que les promesses des sommets pour la planète restent des vœux pieux, de réveiller les consciences et de poser les questions qui dérangent. Mais son combat n’est-il pas perdu? Le pessimisme du capitaine du bateau qui le conduit en Alaska ne serait-il pas un douloureux réalisme: « Ne répète à personne ce que je vais te dire, mais écoute-le bien: la vie sauvage n’est pas en train de s’éteindre, elle est éteinte. Il y a deux cents ans, la biomasse de la Terre était majoritairement constituée de vie sauvage. Bisons plein le Midwest, phoques sur le littoral français, oiseaux dans les villages de Bali… Cette vie sauvage constitue désormais l’exception. On ne se bat plus pour la restaurer – pour ça il faudrait des siècles, et des forces telles qu’elles ne sauraient dépendre de notre piètre désir de bipèdes – mais pour en retarder l’extinction. À l’échelle de la vie sur Terre, c’est comme si l’espèce humaine était déjà seule, et les forêts toutes mortes. Dans une cinquantaine d’années, maximum, ce sera officiel. » Voilà en tout cas un roman qui résonne comme un signal d’alarme strident.

La guérilla des animaux
Camille Brunel
Alma éditeur
Roman
280 p., 18 €
EAN : 9782362792854
Paru le 16 août 2018

Où?
Le roman se déroule dans plusieurs endroits du globe, d’abord en Inde, à Udaipur, dans le parc de Ranthambore puis à Ucluelet, au large de l’Alaska, en Afrique, mais aussi à Paris et Brasilia, sans oublier La Réunion, le Vietnam, le Kirghizistan, la Tanzanie, Bornéo, le Swaziland ou encore l’Amazonie.

Quand?
L’action se situe dans un avenir proche et jusque vers 2045.

Ce qu’en dit l’éditeur
Comment un jeune Français baudelairien devient-il fanatique de la cause animale? C’est le sujet du premier roman de Camille Brunel qui démarre dans la jungle indienne lorsqu’Isaac tire à vue sur des braconniers, assassins d’une tigresse prête à accoucher.
La colère d’Isaac est froide, ses idées argumentées. Un profil idéal aux yeux d’une association internationale qui le transforme en icône mondiale sponsorisée par Hollywood. Bientôt accompagné de Yumiko, son alter-ego féminin, Isaac court faire justice aux quatre coins du globe.

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L’éditrice Catherine Argand présente La guérilla des animaux de Camille Brunel © Production Librairie Mollat

Les premières pages du livre
« Prologue
Un pèlerin buvait dans ses mains l’eau du fleuve pollué d’ablutions, de sacrifices carbonisés, de dépouilles grignotées – la nuit enfonçait dans le sol la lumière rose et moite des temples d’Udaipur. Isaac entendit rire. Une chasseuse se tenait à côté de lui, chemise kaki, minishort et sac à dos. Il aurait fallu parler mais quelque chose retint le langage dans sa bouche, comme une nécessité d’agir qui ne supportait pas de se voir diluée dans la communication. Il aurait fallu, en fait, rendre justice en animal. Mordre. Se jeter à la gorge de l’Américaine, lui ôter la pomme d’Adam. Ne pas parler. Griffer. Éjecter un œil du crâne, d’un coup de patte bien placé au niveau de la tempe. L’Américaine soupira bruyamment, lassée de ces badauds qui lui lançaient des regards sombres. Puis elle disparut, emportant avec elle sa dégénérescence réjouie, pensa Isaac, sa répugnante et mortifère masculinité.
La première nuit qu’il campa dans la jungle, Isaac eut un peu peur. Pas de se faire mordre, puisqu’il ne doutait pas une seconde du discernement des prédateurs qui sauraient reconnaître l’un des leurs ; ni de se faire piquer, quoiqu’il fît un peu moins confiance aux impétueuses petites araignées noires. Un peu plus du rire des hyènes qui perçait l’obscurité, et un peu plus encore du python qui remontait le banian où il avait suspendu son hamac et sa moustiquaire. Non, sa crainte principale tenait au risque de voir ses pieds moisir sous l’effet de l’humidité.
Ses orteils commencèrent à le démanger un soir, après trois jours à marcher au hasard des chemins creusés entre les vivants piliers des arbres par les pattes d’éléphants – qu’il n’avait toujours pas croisés. Les chevreuils évitaient les caracals, qui évitaient les panthères prudemment venues s’abreuver aux lacs où rôdaient des crocodiles; des ours noirs les observaient de loin. Au-dessus d’eux, des paons repliaient leurs aigrettes reflétant la Lune à travers les feuillages. Il entendit les hyènes, des macaques leur répondirent, peut-être étaient-ce des langurs, supposés disparus depuis quelques années. Quelques craquements montèrent de la pénombre où le crépuscule s’apprêtait à noyer la forêt. Isaac se retourna sur le ventre, éteignit sa lumière et attendit. Des cris de singes lui parvinrent encore, comme l’écho des villes où il ne remettrait plus les pieds. Puis plus rien.
Un front bombé apparut soudain entre deux arbres, puis toute une famille grise se détacha des ténèbres. Les pas lourds semblèrent accélérer ; accélérèrent ; le craquement des branches écrasées s’amplifia – quelques secondes plus tard, une dizaine de pachydermes aux aguets entouraient l’arbre d’Isaac. Il y eut un rugissement, une explosion d’oiseaux paniqués: un tigre avait surgi de nulle part et, depuis quelques millièmes de seconde, s’accrochait à un éléphanteau vacillant, les crocs cherchant ses veines. Isaac détacha son lit, escalada quelques branches en catastrophe; il s’en fallut de peu qu’il ne s’écrasât au milieu du troupeau trépignant quand une mère paniquée percuta le tronc en se retournant pour venir en aide au petit. Le tigre se laissa retomber au sol, planta ses griffes dans la boue et cracha en direction du titan qui le chargeait. Isaac reconnut une femelle enceinte : pour tenter sa chance avec des proies aussi grosses, elle devait avoir très faim. Dans un dernier feulement, elle battit en retraite. Les énormes palmes qui jaillissaient du sol furent agitées sur plusieurs mètres, s’immobilisèrent, puis les adultes cernèrent l’enfant, dont la nuque était à présent marquée d’un large flot de sang noir.
Dix minutes passèrent. Les éléphants ne bougeaient plus, frémissants de rage. Les démangeaisons d’Isaac revinrent, plus coriaces. Au sol, l’éléphanteau se retrouva à découvert.
La tigresse perça les branchages.
On n’entendit pas le coup de feu.
Fauchée en plein vol, la prédatrice s’écrasa sur sa proie, corps flasque lancé là par quelque géant désinvolte. Le petit miraculé ne chercha pas à comprendre : ses parents détalèrent, il leur emboita le pas. Quatre humains firent irruption en courant. L’un d’eux tira à l’aveugle dans la débandade, toucha l’éléphanteau qui s’effondra : Isaac reconnut la Diane yankee. À quelques mètres d’elle, ça parlait hindi. Le plus jeune des chasseurs – douze ans ? treize ? – égorgea la tigresse, encouragé par les adultes – ce ne fut pas facile, la trachée résistait. Un malaise monta du sol lorsque l’apprenti bourreau comprit qu’il venait de saigner une mère.
Isaac tendit le bras, tâtonna en quête de son fusil. Dans le cercle jaunâtre projeté par leurs torches, les braconniers avaient entrepris de ligoter les pattes de l’animal puis de le hisser sur une sorte de traîneau. Isaac éprouva l’envie de tirer, mais sa vue le trahit sous l’effet de l’adrénaline ; de son éducation aussi peut-être, de son souvenir de la justice humaine.
Le voyant ainsi, le front collé sur la crosse, invisible au-dessus du plus beau cadavre du monde et de ses fossoyeurs, on pouvait songer qu’Isaac hésitait.
Cela dura quatre minutes, puis il perfora le thorax de la chasseuse en un premier coup de feu qui excita les chauves-souris.
Le temps que le second chasseur comprenne ce qui venait de se passer, il était touché aussi; que le troisième comprenne ce qui venait de se passer et saisisse son fusil, son corps s’effondrait sur celui du tigre; que le plus jeune saisisse son fusil et repère Isaac, ce dernier le tenait en joue et lui ordonnait, en anglais, de s’immobiliser. »

Extrait
« « C’est bizarre que tu aimes autant les animaux, lâcha-t-elle pour briser le silence ensoleillé.
— Je ne vois pas pourquoi, répondit Isaac en souriant, c’est la plus belle chose au monde.
— Plus belle que moi? »
Marina était en soutien-gorge, les cheveux attachés en queue de cheval.
« Non, bien sûr. Mais tu es un animal.
— Tu faisais beaucoup moins de compromis quand tu étais bourré. »
Elle trempa sa madeleine dans le lait. La laissa s’imbiber. La porta à sa bouche. Suça le lait sans croquer la madeleine, qu’elle replongea dans son verre.
« Moi, je déteste les animaux! Déjà, ils ne parlent pas, donc ils servent à que dalle. Honnêtement, si on pouvait tous les buter…  »
Le morceau de madeleine imbibé se décrocha, coula.
« Merde.
— Pardon ?
— C’est un truc de control freak hein, j’en ai conscience. C’est aussi que quand j’étais petite j’ai vu une copine se faire croquer deux phalanges par un poney. Alors depuis les chats, les chiens, les poissons… Et tous les trucs sauvages… Brrr. »
Isaac ne répondit rien. Se leva. Enfila une chemise, remplit son sac, ouvrit la porte.
« T’es pas con à ce point-là quand même?! », lâcha Marina, debout dans l’appartement, belle comme un lever de soleil sur Udaipur, un matin de chasse au braconnier. »

À propos de l’auteur
Né en 1986, titulaire d’un CAPES de Lettres Modernes, Camille Brunel a publié en 2011 un essai Vie imaginaire de Lautréamont (Gallimard). (Source : Alma éditeur)

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Au pays du p’tit

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Au pays du p’tit
Nicolas Fargues
P.O.L
Roman
240 p., 16 €
ISBN: 9782818037270
Paru en septembre 2015

Où?
Le roman se déroule principalement à Paris et en Russie, à Moscou et Saint-Pétersbourg, puis à Iowa City, avec un épisode se déroulant à l’école internationale de Medan

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Le héros et narrateur de ce roman a 44 ans et il enseigne la sociologie à l’université. Il vient de publier un essai violemment anti-français (La France… Ses Pfff, ses Chhht, ses Rhôlâlââ… Ses On va pas s’emmerder, ses Y’en a qui dorment, ses Ça va comme un lundi et ses Avec ceci… Les lunettes de ses Jacques François et les barbichettes de ses Cyril Lignac… L’odeur de pieds de ses piscines municipales et de pisse des toilettes de ses cafés… Ses cadenas d’amour, ses belles paroles et ses beaux salauds). Cela lui vaut d’être invité à l’étranger pour exposer ses thèses et lui donne l’occasion de mener à peu près tranquillement une carrière de Don Juan sur le presque retour. Car il est arrivé à cet âge, à ce moment, où certains, comme lui, se foutent de tout. Sauf, peut-être, des femmes et des voyages. Encore que… s’agissant des femmes, est-ce les aimer que de jouer avec leurs sentiments à des fi ns exclusivement prédatrices ? Quant aux voyages, si c’est par haine de son propre pays qu’il s’y livre…

Ce que j’en pense
**

Il y a au moins deux lectures possibles de ce nouvel opus de Nicolas Fargues. La première, très premier degré, en fera le récit très sombre d’un intellectuel déçu de sa carrière, de sa vie et de son pays et qui ne cesse de ruminer cette crise existentielle. La seconde, beaucoup plus jouissive, se lit entre les lignes. Dans les réflexions du sociologue sur ce qu’il aurait pu ou dû faire, sur l’autre regard qu’il pourrait porter sur le presque demi-siècle qui vient de s’écouler, car «rien ne sert d’essayer de devancer le temps, qui a son rythme propre. Il finit toujours par nous rattraper.»
Des digressions proposées par le narrateur, Romain Ruyssen, sociologue et maître de conférences à l’université qui vient de publier Au pays du p’tit, un essai philosophico-politique qui dépeint une France en dépression et taille en pièces ce pays d’assistés, d’incultes, d’indisciplinés, de laxistes. Un ouvrage qui va jusqu’à être qualifié de «pamphlet poujadiste», mais qui va permettre à son auteur de gagner une certaine notoriété et d’être invité à débattre en Russie et aux Etats-Unis.
Le ministère des affaires étrangères l’envoie à Moscou pour un colloque à la Maison centrale des écrivains. A 44 ans, il va pouvoir développer ses plus belles diatribes et expliquer que pour un Français « être agacé par les autres et se considérer soi-même supérieur au reste de l’humanité est davantage qu’un folklore national : c’est un mode de vie, une fierté, une conviction, un code génétique, bref, une culture. » On pourra multiplier les qualificatifs pour dépeindre cet aigri de 44 ans – cynique, calculateur, ironique, mordant, désagréable, capricieux, insatisfait, infréquentable, blasé, glaçant ¬–¬ et pourtant on va finir par s’y attacher, à l’image de cette slovaque de 25 ans à la poitrine volumineuse qu’il a repéré dans l’auditoire.
Janka Kučová n’est toutefois pas une proie facile. Aussi faudra-t-il que notre homme déploie tout son entregent et sorte son portefeuille pour réussir à mettre l’étudiante dans son lit. Mais même dans la séduction, chassez le naturel et il revient au galop : « J’avais pris un plaisir sadique à lui signifier par cette seule réponse que rien de ce que j’entreprendrais avec elle ne serait pour moi une première fois. Si elle avait été plus douce, moins dominatrice et moins cruelle, pensai-je, je lui aurais menti, par charité. Je me serais privé de faire le malin pour ne pas lui gâcher la certitude que c’est peut-être avec elle que j’allais étrenner ceci : faire l’amour dans un hammam, comme au cinéma. Pour l’assurer que, malgré son jeune âge et toutes les vies que je traînais derrière moi, elle avait la possibilité de me faire encore découvrir quelque chose. » Son périple aux Etats-Unis sera du même tonneau.
L’ analyse froide – d’autres diront lucide – du sociologue n’est pourtant que le miroir de son mal-être. Il finit par tout filtrer à l’aune de son vécu. Encore un effort et ce collègue de David Lodge qui aurait égaré ses antidépresseurs nous livrerait un traité d’optimisme à l’issue de sa promenade sur le campus de l’université d’Iowa : « On se met à respecter les règles et à respecter les autres, on apprend à devenir responsable, à patienter, à remplacer la mauvaise humeur et les frustrations par du dynamisme, et l’on finit par se rendre compte que cela donne du sens à la vie, cela rend la vie plus intense et plus stimulante…» Jubilatoire !

Autres critiques
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Blog Le Littéraire
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Extrait
« Après l’intervention de l’économiste, c’est vers moi que le modérateur se tourna : « Alors vous, Romain Ruyssen, dit-il en consultant consciencieusement ses notes, vous êtes français et sociologue. Votre dernier essai a pour titre Au pays du p’tit. Il est paru en France le mois dernier et, avec neuf autres ouvrages sélectionnés en prévision de ce salon, il a bénéficié d’une opération spéciale et sort aujourd’hui, quasi simultanément, dans sa traduction russe. » Dans mon casque, l’interprète, qui avait elle aussi préparé ses notes pour la séance, avait prononcé p’tit avec une application désopilante. « Je cite l’une des phrases de votre introduction, poursuivit le modérateur en plongeant le nez dans la version traduite de mon livre : “Avec les Trente Glorieuses, le surmoi révolutionnaire des Français a progressivement cédé la place au Moi-Je pépère fonctionnaire.” Est-ce que cela signifie, Monsieur
Ruyssen, qu’aujourd’hui vous considérez usurpée la réputation de nation insoumise de votre pays ? »
« Je me demande surtout, répondis-je sur un ton folâtre, comment mon interprète vient de vous traduire des mots tels que “Trente Glorieuses” et “pépère” : la langue russe possède-t-elle vraiment un équivalent de ces notions très françaises ? »
Je marquai une pause, attendant en vain la réaction de quelqu’un dans la salle. Au-delà de votre question, repris-je, c’est de l’esprit français contemporain tel que je le perçois que j’ai envie de vous parler. Et je peux le faire sans forcément me référer à mon livre, rien qu’à partir de quelques éléments que j’ai observés ici, dans cette salle, au cours de l’heure qui vient de s’écouler. » (p. 18-19)

A propos de l’auteur
Nicolas Fargues est né en 1972. Enfance au Cameroun, au Liban puis en Corse. Études de lettres à la Sorbonne. Mémoire de DEA portant sur la vie et l’œuvre de l’écrivain égyptien Georges Henein. Deux ans de coopération en Indonésie, retour à Paris, petits boulots, publication en 2000 du Tour du propriétaire. De 2002 à 2006, dirige l’Alliance Française de Diégo-Suarez, à Madagascar. Il vit actuellement à Yaoundé. (Source : Editions P.O.L)

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