La sarabande des Nanas

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En deux mots
Fille d’une Américaine et de Français fortunés, Marie-Agnès Fal de Saint-Phalle aurait pu connaître une jeunesse dorée, mais elle vivra l’enfer. Dès la fin de l’adolescence, elle se marie et cherche le salut dans l’art. Après des débuts difficiles, elle réussit par s’imposer, notamment après sa rencontre avec Jean Tinguely qu’elle finira par épouser en secondes noces.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

«L’art des fous, la clé des champs»

Dans cette biographie romancée, Catherine Guennec met en scène la belle Niki de Saint Phalle et raconte comment, après un viol, elle a réussi à échapper au suicide et à la folie pour imposer son art et laisser derrière elle une œuvre remarquable.

«J’ai cavalé au bord du vide. J’ai côtoyé les gouffres et j’en suis revenue. Tout était noir, tapissé de nuit, et soudain, peu à peu, la lumière, la couleur…
D’une certaine façon, peindre m’aura permis d’être «folle» de façon acceptable. Et sortez, je vous prie, ce mot «folle» des sphères médicales. Moi, je vous parle de poésie, d’art. « L’art des fous, la clé des champs ».»
Quelle belle idée que cette collection «le roman d’un chef d’œuvre» qui nous permet d’entrer dans l’intimité d’un artiste grâce à la magie du souffle romanesque et à un dispositif narratif particulièrement attrayant. Catherine Guennec a choisi ici le mode choral en donnant la parole à Niki, mais aussi à ses proches et à ceux qui l’ont côtoyée, comme par exemple le psychiatre qui l’a suivie dans son établissement.
Mais n’allons pas trop vite en besogne et commençons par le commencement, quand Niki s’appelait encore Marie-Agnès Fal de Saint-Phalle, fille d’une Américaine qui préférera son pays à sa famille et d’un banquier de très bonne famille qui utilisera indifféremment sa cravache pour ses chevaux et ses enfants.
C’est dans les propriétés de la Nièvre et de l’Oise qu’elle grandit, dans le luxe mais sans amour. Les grands-parents veillent sur elle jusqu’à ce jour où la belle enfant reçoit la visite de son père et commet ce crime qui va la traumatiser profondément.
On comprend son humeur dépressive, ses tentatives de suicide, son internement. Mais on découvre aussi comment l’art, le dessin et la peinture avant la sculpture, parviendront à la sauver. D’abord en canalisant sa colère et sa violence, notamment avec ses œuvres à la carabine, puis avec des assemblages d’objets.
Elle s’émancipe du carcan familial en allant rejoindre sa mère aux États-Unis. À New York et Boston, elle travaille un temps comme mannequin puis rencontre Harry Matthews qu’elle épouse très vite et en avril 1951 naît leur fille Nora. Ils partent pour Cambridge, plein de rêves mais sans un sou. Harry veut devenir chef d’orchestre et voit le potentiel de son épouse: «Tu as le choix, Niki. Devenir un peintre traditionnel, somme toute mineur, ou donner toute ta mesure, ta démesure. Ta chance, c’est de ne savoir ni peindre ni dessiner, parce que tu vas tout inventer!»
Alors, elle a pris confiance, s’est décidée à voler de ses propres ailes. Elle part pour Paris, y découvre Brancusi et l’artiste-séducteur Jean Tinguely.
«Quand, pour la première fois, j’ai aperçu une de ses sculptures, un bric-à-brac grinçant suspendu dans son atelier, j’ai été saisie. Et conquise. Jamais rien vu de pareil ! C’était beau, c’était fou, c’était puissant et ça lui ressemblait.»
La suite est sans doute l’une des plus fascinantes collaborations entre deux artistes, un maelstrom créatif, des machines de l’un aux Nanas de l’autre, des mécaniques folles de l’un aux couleurs joyeuses de l’autre. Près de 3500 œuvres seront alors réalisées, près de deux par semaine!
Catherine Guennec nous entraîne avec bonheur dans La sarabande des Nanas, leurs soubresauts et leurs chocs. Car le couple va se séparer pour mieux se retrouver. Dans ce tourbillon, on n’oubliera rien des influences, celles de Gaudi et du Facteur Cheval, ni la genèse de l’une des œuvres maîtresses de Niki, le fabuleux Jardin des Tarots en Toscane. Après Gwenaelle Aubry qui avait publié l’an passé Monter en enfance et cherchait déjà dans les monstres de l’enfance de l’artiste les raisons de son œuvre foisonnante, voici un petit livre qui ravira tous les amateurs d’art. Car il possède une grande vertu: en le refermant, on n’a qu’une envie, retrouver ces Nanas, courir les musées et les expos. Ce monde joyeux et coloré, féministe et poétique qui répond pourtant à un crime.

Niki de Saint Phalle à Paris, Toulouse et Zurich
Paris
Les nanas vous attendent jusqu’au 21 octobre, à la Galerie Vallois, rue de Seine à Paris,

Toulouse

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Aux Abattoirs à Toulouse, jusqu’au 5 mars 2023 une grand exposition centrée sur les années 1980 et 1990 présentera «la seconde partie» de la vie de l’artiste qui prend pour point de départ l’année 1978 lorsque Niki de Saint Phalle lance le Jardin des Tarots et se finit en 2002 au décès de l’artiste.
Culture 31
France TV Culture
L’exposition est complétée par la parution d’un catalogue :

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Niki de Saint Phalle. Les années 1980 et 1990. L’art en liberté
Collectif
Éditions Gallimard / Les Abattoirs
224 pages 35,00 €
9782072995729
Paru le 06/10/2022

Zurich

Jusqu’au 8 janvier 2023, le Kunsthaus de Zurich permet de mieux appréhender tous les talents de Niki de Saint Phalle. L’exposition révèle l’artiste excentrique et pleine d’humour, mais qui s’est toujours intéressée aux problématiques sociales et politiques de son époque.
RTS

Ajoutons le superbe documentaire en accès libre Production TV5 Monde

Signalons également le tournage prochain d’un film sur Niki de Saint Phalle. L’artiste franco-américaine y sera interprétée par Charlotte Le Bon, sous la direction de Céline Sallette.

La sarabande des nanas selon Niki de Saint Phalle
Catherine Guennec
Ateliers Henry Dougier
Roman biographique
136 p., 12,90 €
EAN 9791031205199
Paru le 24/09/2022

Où?
Le roman est situé en France, dans la Nièvre et dans l’Oise, à Nice et à Lans-en-Vercors, à Paris, impasse Ronsin, puis à Soisy-sur-École, mais aussi aux États-Unis, à New York et Boston puis en Californie et en Espagne, à Deia, dans la commune de Majorque, en Suisse, à Neyruz et Fribourg. On y évoque aussi des séjours à Londres et Marrakech

Quand?
L’action se déroule de 1930 à 2002.

Ce qu’en dit l’éditeur
Mêlant récit romanesque et enquête historique, l’auteur raconte l’histoire d’un tableau célèbre.
Très tôt, elle l’avait décidé. Elle serait une héroïne. «George Sand, Jeanne d’Arc, un Napoléon en jupons…» «L’important était que ce fût difficile, grand, excitant…» Un triple vœu exaucé – par le Ciel, les étoiles ou le Destin (auxquels elle croit) – et au-delà de toute attente.
L’histoire, celle d’une franco-américaine bien née (vieille noblesse française…) d’une extrême beauté, commence comme un conte de fées pour virer très vite au cauchemar, au film d’horreur, qui va pourtant rebondir encore et encore. A travers ses amours et son œuvre, féconde, multiforme, poétique, bavarde… qui nous raconte des histoires, son histoire, qui met en scène le couple mythique qu’elle forme avec le sculpteur Tinguely.
Cette héroïne, rebelle et magnifique, va prendre la carabine «pour faire saigner la peinture», explorer la représentation de la femme: avec ses mariées, ses déesses, ses mères dévorantes et ses fameuses nanas… opulentes, joueuses et colorées.
Sa vie – difficile, grande et excitante – est un roman.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Le Détour

Les premières pages du livre
« Cette histoire, c’est l’histoire d’une petite fille. Une histoire qui ressemble à un conte de fées. Comme ça, et d’entrée de jeu, les fées, gentilles « nanas », semblent s’être généreusement penchées sur son berceau armorié.

Elle s’appelle Catherine Marie-Agnès Fal de Saint Phalle. Un nom «qui frappe d’abord par sa résonance phallique 1», n’est-ce pas ? Mais un nom glorieux qui s’est distingué à travers les siècles. Jacqueline, la maman, Américaine, est très belle, sophistiquée, élégante. Physique d’actrice – elle ressemble à Merle Oberon – et réserve hautaine de grande bourgeoise. Et André, le père ? Petite gueule d’ange, fils de très bonne, très ancienne, très noble famille, et banquier.

Elle est jolie aussi, la young lady, plus que jolie même. Une poupée qui promet et qui fera tourner les têtes si les petits cochons ne la mangent pas. C’est « l’ogre » (Pierre de Saint Phalle) qui le dit.

Les siens l’ont toujours appelé « l’ogre ». À cause du fouet. L’efficace menace de sa rude et glaciale majesté pour dresser les enfants et les chevaux récalcitrants.

Seule la petite « princesse » sait apprivoiser le vieil aristo. « C’est une ensorceleuse. Quand elle sera grande, elle mènera les hommes par le bout du nez », affirme Monsieur le comte, sous le charme de ce petit bout de femme.

La fillette est attachante. Et coquette. Elle aime user les miroirs et trouve qu’elle a de beaux yeux, clairs et bleus comme ceux de papa.

Pas faux. Et pour la beauté et pour la ressemblance.

En remontant dans l’arbre généalogique familial, on trouve peut-être un certain Gilles de Rais, mais aussi une cousine lointaine, une marquise, la célèbre Montespan – l’éblouissante, la gracieuse, « l’ensorceleuse » maîtresse du Soleil. Port de déesse, flots de cheveux blonds, bouche délicate, nez mignon, grands yeux… clairs et bleus comme ceux d’André et de Marie-Agnès, sans doute. Patrimoine génétique.

La jolie petite fille va connaître la vie de château.

Ombres massives à l’horizon, les voilà apparaître.

D’abord le vieux château de l’ogre, noyé en Nièvre profonde, en pleine campagne. Et puis l’autre – plus prestigieux –, celui de Fillerval, propriété du grand-père Harper, l’avocat. Il est situé dans l’Oise. À Thury-sous-Clermont, un petit village à une heure de Paris. De vieilles pierres entourées de douves, nichées au cœur d’un parc fantastique, flanqué d’un jardin Louis XIV dessiné par Le Nôtre, s’il vous plaît. Il y a aussi un étang privé rempli de carpes, des bâtiments de ferme… Le charme de l’ancien allié au confort moderne. Grand-père Harper a fait aménager un court de tennis, un terrain de golf. Il a aussi sérieusement transformé les pièces de la bâtisse en les dotant d’un confort exceptionnel. Dix-huit domestiques, dont huit jardiniers, armée discrète et active, œuvrent en permanence au château.

La jolie petite fille grandit.

Elle croise bientôt le prince charmant. Il s’appelle Harry, il est beau, jeune, aimable, intelligent. Il l’aime et il l’épouse. Ils seront heureux, ils auront des enfants… Marie-Agnès au pays des merveilles.

Elle commence bien, l’histoire. Toujours d’entrée de jeu et en apparence. Et c’est important, les apparences, chez les Saint Phalle.

Marie-Agnès va aussi croiser en chemin la peinture, la sculpture. Une des rencontres, la rencontre de sa vie. Toutes ses « œuvres » – et elle déteste ce mot de grande personne, ce mot prétentieux – raconteront des histoires. Et à travers elles son histoire.

Sa vie est un roman.

1
Nana

L’histoire, la vraie, je la connais. Dans les grandes lignes. Enfin, je pense. Parce qu’on croit savoir, mais on ne sait jamais tout.

Si vous me demandiez par quel miracle je sais ce que je vais vous raconter, je vous dirais que je le sais, c’est tout. J’étais là, depuis le début. Et je l’ai toujours suivie, même de loin.

J’étais la « gouvernante française », la bonne. Celle qui s’occupait des enfants en l’absence de leur mère. La petite et son grand frère Jean m’appelaient « Nana ». Un nom qui vous rappelle sans doute quelque chose.

Si vous saviez comme j’ai été fière, émue même, quand j’ai vu ces grandes sculptures joyeuses, pimpantes, les fameuses Nanas… qui dansent, qui jouent, qui explosent de couleurs. Jamais je n’aurais imaginé la petite de Saint Phalle capable un jour de toute cette gaieté.

Était-elle triste ou timide, je ne pourrais dire, je sais seulement que cette petite était fermée comme une huître. Repliée sur ses secrets et ses chagrins d’enfant. Un vrai petit sphinx. Peut-être devrais-je dire « sphinge », le pendant féminin, non ?

Elle a toujours aimé les histoires de sphinx et d’Égypte. Les contes, les fables, les belles histoires. Je lui en ai raconté. Sa grand-mère Harper aussi. La petite ne se lassait pas des Malheurs de Sophie.

Si je remonte le temps et mes souvenirs, curieusement, je ne la revois jamais pleurer. Et pourtant… Je crois qu’elle n’y arrivait pas.

« C’est dommage », m’a-t-elle dit un jour, bien des années plus tard. « Parce que les larmes sont merveilleuses. Elles purifient », elles libèrent.

C’était une gosse courageuse et espiègle. Fière aussi. « Ne pas montrer quand ça fait mal » : on aurait pu broder ces sept mots sur ses chapeaux.

Oui, elle aimait déjà les chapeaux.

J’essaie de me souvenir d’une de ses formules. Mes larmes, oui, c’est ça, mes larmes sont de « petites stalactites pétrifiées et tranchantes ». Elle avait quoi, alors ? Douze, treize ans, tout au plus. Elle passait quelques jours d’été au château avec Jean. »

1. Double résonance puisqu’on la surnommera « Niki » (niquer). Dans la mythologie, Niké est une déesse personnifiant la Victoire.

Extraits
« J’ai cavalé au bord du vide. J’ai côtoyé les gouffres et j’en suis revenue. Tout était noir, tapissé de nuit, et soudain, peu à peu, la lumière, la couleur…
D’une certaine façon, peindre m’aura permis d’être «folle» de façon acceptable. Et sortez, je vous prie, ce mot «folle» des sphères médicales. Moi, je vous parle de poésie, d’art. « L’art des fous, la clé des champs. » p. 39

« Harry était fier de moi. Il prétendait que mon courage l’épatait. Appréciait-il mon travail? Il disait qu’il aimait ma spontanéité d’autodidacte. ma vision originale, «personnelle».
«Tu as le choix, Niki. Devenir un peintre traditionnel, somme toute mineur, ou donner toute ta mesure, ta démesure. Ta chance, c’est de ne savoir ni peindre ni dessiner, parce que tu vas tout inventer!»
J’ai pris confiance. » p. 40

« Quand, pour la première fois, j’ai aperçu une de ses sculptures, un bric-à-brac grinçant suspendu dans son atelier, j’ai été saisie. Et conquise. Jamais rien vu de pareil ! C’était beau, c’était fou, c’était puissant et ça lui ressemblait. » p. 53

À propos de l’auteur
GUENNEC_Catherine_©DRCatherine Guennec © Photo DR

Après une carrière en communication, Catherine Guennec, littéraire de formation, se consacre à l’écriture. Elle a notamment publié La modiste de la reine, le roman de Rose Bertin chez Lattès en 2004. Chez First, elle est l’auteur de Espèce de savon à culotte ! … et autres injures d’antan paru en février 2012, et de Mon Petit Trognon potelé, paru en 2013 ainsi que des romans et des dictionnaires érudits et amusants sur la langue française. Elle est notamment l’auteure de L’Argot pour les nuls. On lui doit déjà, dans la collection «Le roman d’un chef d’œuvre», Les heures suspendues selon Hopper, Sous le ciel immense selon O’Keeffe ainsi que La sarabande des nanas selon Niki de Saint-Phalle (Source: lisez.com / Babelio)

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Sang et stupre au Lycée

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En deux mots
Janey vit une liaison incestueuse avec son père au Mexique, avant de le quitter pour New York, où, après une scolarité ravageuse s’installe dans le Lower East Side où elle se drogue, baise, avorte avant d’être enlevée et entraînée vers la prostitution. Mais elle pourra fuir vers Tanger puis l’Égypte et retracer son parcours.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

L’équipée sauvage de Janey Smith

La réédition de Sang et stupre au lycée permet à Laurence Viallet de nous offrir une version corrigée et augmentée d’un livre sans tabous, à la fois roman d’apprentissage, journal intime, recueil de poésie, collage et manifeste.

Comme le dit Virginie Despentes, «ça te saute à la gueule, ça te transforme». La réédition de ce texte au temps de #metooinceste pourrait presque être vu comme une provocation, s’il n’était un témoignage fort, cru et brutal des mœurs des années 1970 où la «libération» passait par le sexe et la drogue, par la fin des tabous et les expériences hors limites.
Cela commence par un dialogue entre un père et sa fille. Ils séjournent à Mérida, au Mexique, et couchent ensemble. Mais Janey Smith, qui vient s’entrer dans l’adolescence, craint que la rencontre de son père avec Sally, une jeune starlette, ne signifie la fin de leur relation particulière. Elle part alors pour New-York, tandis que son géniteur reste au Mexique. Fin du premier acte.
Le second, tout aussi glauque, se passe au lycée où Janey va intégrer une bande baptisée les scorpions. «On faisait exactement ce qu’on voulait et c’était agréable. On se soûlait. On se droguait. On baisait. On se faisait sexuellement le plus de mal possible. Le speed, le surmenage affectif et parfois la douleur émoussaient nos cerveaux. Déglinguaient notre appareil percepteur. Nous savions que ne nous ne pouvions rien changer au merdier dans lequel nous vivions, aussi nous efforcions-nous de nous changer nous-mêmes.» Et comme elle ne connaissait rien à la contraception, elle se retrouve enceinte et avorte pour 190 dollars. Dans son école «réservée aux gentilles filles de bonne famille» la chose devient courante. Alors les scorpions veulent se venger, «combattre la morosité de cette société de merde». Vols, dégradations, insultes, course-poursuite avec la police, accidents et autres dérapages vont alors se multiplier.
Avant l’acte trois, un petit intermède nous est proposé sous forme de conte. L’histoire du monstre et de sa chatte qu’un ours vient déranger. On y croisera aussi un cheval blanc et un éléphant. Des intermèdes qui vont se multiplier, notamment sous forme graphique, car les éditions Laurence Viallet ont choisi de rééditer ce livre en y incluant des fac-similés inédits reproduits en quadrichromie: deux cartes des rêves, dessinées et annotées à la main par Kathy Acker, et de nombreux dessins.
Janey vit désormais dans L’East Village où «les quelques centimètres épargnés par les ordures puent la pisse de chien et de rat. Tous les immeubles sont cramés, à moitié incendiés, ou en ruine.» La population est à l’aune de cet environnement, misérables ou voyous, comme ceux qui débarquent chez Janey et cassent tout avant de la frapper et de la kidnapper pour la conduire chez un mystérieux M. Linker, sorte de proxénète érudit. Ce dernier la séquestre et lui inculque sa philosophie de la vie. Mais elle n’a pas envie de passer toute sa vie en enfer. «Si je savais comment cette société a fini par être aussi pourrie, peut-être aurions-nous un moyen de détruire l’enfer.» écrit-elle. Et c’est précisément l’écriture qui la sauve. L’écriture et la soif d’apprendre. Un jour elle trouve une grammaire persane et se met à apprendre le persan. Des poèmes joliment calligraphiés suivront, suivis de poèmes de révolte, de notes de lecture, de correspondance avec des écrivains comme Erica Jong et Jean Genet, de fragments de son journal intime, de dessins comme cette carte de ses rêves.
Kathy Acker invente le collage littéraire qui va lui ouvrir le monde. Un monde qu’elle va parcourir après avoir trouvé un billet pour Tanger. Un monde qu’elle va embrasser, faisant du beau avec du mal, poussant toujours plus loin les limites.
Concluons cette chronique comme elle a commencé, avec Virginie Despentes: «je ne connais aucun autre auteur qui ait un tel souffle — une telle capacité à bouleverser nos certitudes sur ce qu’on peut attendre d’un roman.»

Sang et stupre au lycée
Kathy Acker
Éditions Laurence Viallet
Roman
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Claro
224 p., 22,50 €
EAN 9782918034049
Paru le 21/01/2021

Annexes
Cahier hors-texte de fac-similés inédits reproduits en quadrichromie. Il se compose de deux Cartes de mes rêves, dessinées et annotées à la main par Kathy Acker, et de deux dessins.
Reproduction de la décision de justice allemande qui, en 1986, a frappé le livre pour outrage aux bonnes mœurs. Dans ce réquisitoire candide, les censeurs, réfractaires à l’humour corrosif du roman, se montrent autant déroutés par le
fond que la forme, témoignant d’un obscurantisme universel et atemporel.

Où?
Le roman se situe d’abord au Mexique, à Mérida et au Yucatan puis aux États-Unis, à New York, dans le Connecticut, dans le New Jersey, à Newark. Puis à Tanger et en Égypte, du Caire à Louqsor.

Quand?
L’action se déroule dans les années 1970.

Ce qu’en dit l’éditeur
«Pendant deux mille ans vous avez eu le culot de nous dire à nous les femmes ce que nous étions. Nous utilisons vos mots ; nous mangeons votre nourriture. Qu’importe la façon dont nous gagnons notre argent, c’est un crime. Nous sommes des plagiaires, des menteuses, et des criminelles.» Kathy Acker
Sang et stupre au lycée est un conte philosophique voltairien, un roman d’apprentissage intertextuel qui retrace avec facétie les mésaventures de Janey Smith à la façon d’un journal intime.
Janey vit à Mérida, au Mexique, auprès de Johnny, son père, avec lequel elle vit une liaison incestueuse décrite sur le mode du vaudeville blasé, jusqu’à ce qu’il la quitte. Elle rejoint New York, où elle découvre le punk rock et le Lower East Side, donnant à voir ce Manhattan aujourd’hui mythique. Elle s’adonne à l’écriture de poèmes, subit plusieurs avortements, vend des muffins, attrape une MST, rejoint un gang… Enlevée, puis victime de la traite des Blanches, elle réécrit La Lettre écarlate, traduit Properce de manière très personnelle, apprend la langue et la calligraphie persanes. Libérée, elle rencontre Jean Genet à Tanger, avec qui elle entretient une liaison torride, avant de partir pour Alexandrie.
Sang et stupre au lycée – roman de jeunesse et chef-d’œuvre incontestable de Kathy Acker – opère comme un manifeste qui contient en germe toute son œuvre. C’est le laboratoire où elle met au point les expérimentations stylistiques et les jeux avec le canon littéraire qui lui resteront chers. La narration, oscillant entre la troisième et la première personne lorsqu’il s’agit des extraits du journal de Janey, favorise un impressionnant foisonnement formel (collage, plagiat, contes, saynètes drolatiques, poèmes, cartes des rêves, éructations de petite fille indigne dans des dessins parfois obscènes…), offrant une ode au langage et au pouvoir de la littérature. La difficulté à vivre dans une société brutale, néolibérale, patriarcale donne lieu à des diatribes anticapitalistes et féministes dont l’écho résonne encore aujourd’hui. Les thématiques abordées deviendront fétiches (le désir, le sentiment amoureux vécu comme souffrance, le refus de toute assignation identitaire et genrée, l’émancipation par la puissance de l’imaginaire…).
«Le fil conducteur de ce roman pulvérisé, traversé par un humour noir ravageur, réside dans la fraîcheur survoltée et si attachante de la voix de Janey/Kathy, irrévérencieuse et érudite, onirique et autobiographique, visionnaire et surdouée.
Kathy Acker ne déconstruit pas, elle pulvérise. Je ne connais aucun autre auteur qui ait un tel souffle, une telle capacité à bouleverser nos certitudes sur ce qu’on peut attendre d’un roman.» Virginie Despentes

Ce qu’en disent les écrivains
«Sang et Stupre au lycée est un texte exigeant qu’on ne peut pas lire en somnolant – ça te saute à la gueule, ça te transforme. Kathy Acker écrit sur la baise et le corps et la ville et la défonce et l’invisible – et personne n’avait fait ça avec autant de
radicalité et de style. Kathy Acker ne déconstruit pas, elle pulvérise. Je ne connais aucun autre auteur qui ait un tel souffle – une telle capacité à bouleverser nos certitudes sur ce qu’on peut attendre d’un roman.» Virginie Despentes

«Sang et stupre au lycée, de Kathy Acker, est un chef-d’œuvre de la littérature contemporaine. Comme Le Festin nu et Sur la route, il figure parmi les très rares romans américains qui sont parvenus à élargir la définition et les paramètres de la littérature. Sang et stupre au lycée représente la quintessence de l’audace et de la radicalité pour toute une génération.» Dennis Cooper

«Acker est une Colette postmoderne dont l’œuvre a le pouvoir de refléter l’âme du lecteur.» William Burroughs

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
France Culture (Sur les pas de Kathy Acker – Manou Farine)
Libération (Mathieu Lindon)
Focus LeVif.be (Marcel Ramirez)
Cheek Magazine (Pauline Le Gall)
Blog Un dernier livre avant la fin du monde 
Blog cultures sauvages 

Les premières pages du livre
« Marre des parents
N’ayant jamais su ce qu’était une mère, la sienne étant morte lorsqu’elle avait un an, Janey dépendait de son père en toutes choses et le considérait comme un petit ami, un frère, une sœur, des revenus, une distraction et un père.
Janey Smith avait dix ans et vivait avec son père à Mérida, la principale ville du Yucatan. Janey et M. Smith avaient prévu que Janey fasse un long séjour à New York, en Amérique du Nord. En fait, M. Smith essayait de se débarrasser de Janey pour pouvoir passer tout son temps avec Sally, une starlette de vingt et un ans qui refusait obstinément de baiser avec lui.
Un soir, M. Smith et Sally sortirent, et Janey sut que son père et cette femme allaient baiser. Janey elle aussi était très jolie, mais elle avait une drôle d’expression car un de ses yeux était de travers.
Janey mit le lit de son père en pièces et coinça des planches contre la porte principale. Quand M. Smith rentra chez lui, il lui demanda pourquoi elle se comportait ainsi.
Janey: Tu vas me quitter. (Elle ne sait pas pourquoi elle dit ça.) Le père (abasourdi, mais ne niant pas): Sally et moi on vient à peine de coucher ensemble pour la première fois. Comment veux-tu que je sache ?
Janey (perplexe. Elle ne pensait pas que ce qu’elle vient de dire était vrai. C’était sous le coup de la colère): Alors tu vas me quitter. Oh non. Non. Ce n’est pas possible.
Le père (étonné lui aussi) : Je n’ai jamais pensé que j’allais te quitter. Je baisais, c’est tout.
Janey (ne se calme pas du tout en entendant ces paroles. Son père sait que Janey réagit au quart de tour et devient folle quand elle a peur, aussi provoque-t-il sans doute cette scène): Tu ne peux pas me laisser. Tu ne peux pas. (Complètement hystérique maintenant:) Je vais. (S’aperçoit qu’elle risque de perdre pied et de forcer les événements. Veut quand même entendre sa version. Frissonne de peur en lui demandant ceci.) Es-tu fou amoureux d’elle ?
Le père (réfléchit. Début de la confusion) : Je ne sais pas.
Janey : Je ne suis pas folle. (S’apercevant qu’il est fou amoureux de cette femme.) Je ne voulais pas agir comme ça. (Comprenant petit à petit qu’il est vraiment fou amoureux. Lâche le morceau.) Ça fait un mois que tu passes tout ton temps avec elle. C’est pour ça que tu as arrêté de prendre tes repas avec moi. C’est pour ça que tu ne m’as pas aidée comme tu le faisais avant, quand j’étais malade. Tu es fou amoureux d’elle, n’est-ce pas ? |
Le père (sans tenir compte de ce gâchis) : Nous avons couché ensemble pour la première fois cette nuit.
Janey: Tu m’avais dit que vous étiez juste amis, comme Peter et moi (l’agneau en peluche de Janey) et que vous ne coucheriez pas ensemble. Ce n’est pas comme moi quand je couche avec tous ces queutards des beaux-arts: lorsqu’on couche avec sa meilleure amie, c’est franchement grave.
Le père : Je sais, Janey.
Janey (elle n’a pas gagné ce round; elle lui a jeté la trahison au visage et il ne l’a pas complètement esquivée) : Tu as l’intention d’habiter avec Sally ? (Elle évoque la pire éventualité.)
Le père (toujours sur le même ton, triste, hésitant, mais secrètement heureux parce qu’il veut se tirer) : Je ne sais pas.
Janey (elle est sur le cul. Chaque fois qu’elle dit le pire, ça se produit) : Quand est-ce que tu sauras ? Je dois prendre mes dispositions.
Le père : Nous n’avons couché ensemble qu’une seule fois. Pourquoi ne pas laisser les choses suivre leur cours, Janey, au lieu de me mettre la pression ?
Janey : Tu m’annonces que tu aimes quelqu’un d’autre, tu vas me foutre à la porte, et je ne dois pas te mettre la pression. Tu me prends pour qui, Johnny ? Je t’aime.
Le père : Laisse les choses suivre leur cours. Tu en fais tout un plat
Janey (tout jaillit brutalement) : Je t’aime. Je t’adore. La première fois que je t’ai rencontré, c’est comme si une lumière s’était allumé en moi. Tu es la première joie que j’ai connue. Tu ne comprends pas ça ?
Le père (silencieux).
Janey: Je ne supporte pas l’idée que tu me quittes: c’est comme si une lance me transperçait le cerveau : c’est la pire douleur que j’ai jamais éprouvée. Tu peux sauter qui tu veux, je m’en fous. Tu le sais. Je n’ai jamais été comme ça.
Le père: Je sais.
Janey : J’ai peur que tu me laisses, c’est tout. Je sais que j’ai été chiante avec toi: j’ai vraiment trop déconné; je ne t’ai pas présenté à mes potes.
Le père: J’ai une liaison, Janey, rien de plus. Et j’ai envie que ça dure
Janey (elle la joue rationnelle) : Mais peut-être que tu vas me quitter
Le père (ne dit rien).
Janey : OK. (Se ressaisit en pleine débâcle et serre les dents.) Je vais attendre de voir comment les choses se passent entre Sally et toi et ensuite je saurai si on continue à vivre ensemble. C’est bien comme ça que ça se présente ?
Le père: Je ne sais pas.
Janey: Tu ne sais pas! Et moi, comment je fais pour savoir ?
Cette nuit-là, pour la première fois depuis des mois, Janey et son père couchent ensemble parce sinon Janey n’arriverait pas à dormir. Les mains de son père sont froides, il n’arrive pas à la toucher car de toute évidence il est troublé. Janey baise avec lui, même si ça lui fait super mal à cause de son inflammation pelvienne.
Le poème suivant est du poète péruvien César Vallejo, lequel, né le 18 mars 1892 (Janey est née le 18 avril 1964), a vécu quinze ans à Paris et y est mort à l’âge de quarante-six ans:
Cette nuit-là de septembre, tu fuis
si bon pour moi… à m’en faire souffrir!
Je ne sais rien de plus moi-même
Mais toi, TU n’aurais pas dû être aussi bon.

Cette nuit-là seule emprisonnée sans prison
Hermétique et tyrannique, malade et paniquée
Je ne sais rien de plus moi-même
Je ne sais rien moi-même car le chagrin me ronge.

Seule cette nuit de septembre est douce, TOI
Qui fis de moi une putain, sans
Émotion possible dans toute la distance de Dieu:
À ta détestable douceur je me cramponne.

Ce soir-là de septembre, quand semé
Sur des charbons ardents, depuis une voiture,
En flaques: inconnu.

Janey (alors que son père quitte le domicile) : Tu rentres ce soir ? Je ne veux pas t’embêter. (Ne cherchant plus à s’affirmer) Je pose la question, c’est tout.
Le père: Bien sûr que je rentre.
Au moment où son père quitte la maison, Janey se rue sur le téléphone et appelle son meilleur ami, Bill Russle. Bill a couché une fois avec Janey, mais sa bite était trop grosse. Janey savait qu’il lui dirait ce qui arrivait à Johnny, s’il était fou ou pas, et s’il voulait vraiment rompre avec elle. Janey n’avait pas besoin de faire semblant avec
Bill.
Janey: Nous sommes aujourd’hui à l’aube d’une nouvelle ère au cours de laquelle, pour toutes sortes de raisons, les gens devront se coltiner toutes sortes de problèmes compliqués, qui ne nous laisseront plus jamais le luxe de nous exprimer à travers l’art. Est-ce que Johnny est fou amoureux de Sally ?
Bill: Non.
Janey: Non? (Étonnement et espoir absolus.)
Bill: Il y a quelque chose de très profond entre eux, mais il ne te quittera pas pour Sally. »

Extraits
« Je traînais avec une bande de jeunes déjantés et j’avais peur. Nous formions un groupe, LES SCORPIONS.
Papa ne m’aimait plus. Voilà.
J’étais désespérée, je voulais à tout prix retrouver l’amour qu’il m’avait pris.
Mes amis étaient exactement comme moi. Ils étaient désespérés — issus de familles brisées, de la pauvreté — et ils essayaient par tous les moyens possibles d’échapper à leur sort.
Malgré les restrictions scolaires, on faisait exactement ce qu’on voulait et c’était agréable. On se soûlait. On se droguait. On baisait. On se faisait sexuellement le plus de mal possible. Le speed, le surmenage affectif et parfois la douleur émoussaient nos cerveaux. Déglinguaient notre appareil percepteur.
Nous savions que ne nous ne pouvions rien changer au merdier dans lequel nous vivions, aussi nous efforcions-nous de nous changer nous-mêmes.
Je me détestais. Je faisais tout ce que je pouvais pour me faire du mal.
Je ne me rappelle plus avec qui j’ai baisé la première fois que j’ai baisé, mais je ne devais rien connaître à la contraception parce que je suis tombée enceinte. Je me rappelle en revanche très bien l’avortement. Cent quatre-vingt-dix dollars.
Je suis entrée dans une vaste pièce blanche. Il devait y avoir cinquante filles. Quelques adolescentes et deux ou trois femmes d’une quarantaine d’années. Des femmes qui faisaient la queue. Des femmes assises qui piquaient du nez. Quelques-unes étaient accompagnées par leur petit ami. Je me suis dit qu’elles avaient de la chance. La plupart d’entre nous étions venues seules. Les femmes qui faisaient la queue avec moi se sont vu remettre de longs questionnaires: à la fin de chaque formulaire, il y avait un paragraphe stipulant qu’on donnait au médecin le droit de faire ce qu’il voulait et que si on mourait ce n’était pas sa faute. Nous avions déjà remis notre sort entre des mains d’hommes avant ce jour. C’est pour ça que nous étions ici. Nous avons toutes signé ce qu’on nous donnait. Puis ils ont pris notre argent. » p. 37-38

« Le taudis où elle décide de vivre. L’East Village pue. Les ordures recouvrent chaque centimètre de rue. Les quelques centimètres épargnés par les ordures puent la pisse de chien et de rat. Tous les immeubles sont cramés, à moitié incendiés, ou en ruine. Pas un propriétaire de ces taudis ne vit dans ces répugnants immeubles. L’hiver, quand la température avoisine les moins quinze degrés ces bâtiments n’offrent ni eau chaude ni chauffage et l’été, quand il fait dans les quarante degrés, les cafards et les rats tapissent les murs intérieurs et les plafonds.
Il n’y a qu’un seul hôpital à la disposition de tous, un hôpital qui a le courage de se situer à quelques blocs de la limite nord des bas quartiers. L’hôpital abrite des lampes, des seringues, des médicaments qui entraînent des troubles cérébraux, des ustensiles et presque pas de lits. Chaque fois qu’il y a des vacances, par exemple, quand il y a une panne d’électricité ou quand un propriétaire met le feu à l’un de ses immeubles pour toucher l’argent de l’assurance, les pauvres pillent l’hôpital pour se distraire. » p. 68-69

« De nos jours, la plupart des femmes baisent à droite et à gauche parce que baiser, ça ne veut rien dire. Tout ce qui intéresse les gens aujourd’hui c’est le fric. La femme qui vit sa vie en fonction d’idéaux non matérialistes est un monstre antisocial et fou; plus elle agit ouvertement, plus elle se fait détester de tous. Aujourd’hui, le femmes ne se font pas jeter en prison comme des morceaux de Tampax sanglants — seuls les putes et les camés finissent en prison, la prison-justice étant désormais un business comme un autre —, elles crèvent juste de faim et tout le monde les déteste. Le meurtre physique et psychique arrange tout le monde.
La société dans laquelle je vis est complètement pourrie. Je ne sais pas quoi faire. Je ne suis qu’une simple personne et je ne suis pas bonne à grand-chose. Je n’ai pas envie de passer toute ma vie en enfer. Si je savais comment cette société a fini par être aussi pourrie, peut-être aurions-nous un moyen de détruire l’enfer. » p. 80

À propos de l’auteur
ACKER_Kathy_©Robert_MapplethorpeKathy Acker. © Robert Mapplethorpe

Kathy Acker est une figure majeure de la littérature américaine de la fin du XXe siècle. Le succès de Sang et stupre au lycée, son best-seller, fait d’elle une icône, l’héritière de William Burroughs. Dans les années 1990, elle domine l’avant-garde littéraire. Sa pratique de réappropriation de textes canoniques lui vaut le qualificatif de pirate. Féministe, elle est une pionnière queer. À la croisée de plusieurs champs artistiques, proche de musiciens, de poètes ou d’artistes comme Cindy Sherman ou Sherry Levine, Kathy Acker exerce aujourd’hui encore une influence considérable sur le monde des lettres et des arts. Traduite dans le monde entier, elle est enseignée dans un très grand nombre d’universités, dans les pays anglo-saxons comme ailleurs, notamment en France, et son aura ne cesse de croître.
Née en 1947 à New York, Kathy Acker grandit au sein d’une famille aisée. Elle étudie la littérature, devient l’assistante de Herbert Marcuse, fait du strip-tease à Times Square. Elle meurt d’un cancer du sein en 1997, à Tijuana. (Source: Éditions Laurence Viallet)

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Un été à l’Islette

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Sélectionné par les « 68 premières fois »

En deux mots:
À son mari parti à la guerre, Eugénie va confesser les raisons qui l’ont conduite à l’épouser, retraçant le séjour qu’elle a effectué en tant que préceptrice à l’Islette, où elle a croisé Camille Claudel, Auguste Rodin et plus furtivement Claude Debussy.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Auguste Rodin, Camille Claudel et moi

La narratrice du second roman de Géraldine Jeffroy est engagée comme préceptrice durant «Un été à L’Islette». Elle y côtoiera Auguste Rodin et Camille Claudel. Une rencontre que va changer sa vie.

Nous sommes en 1916. Une institutrice se retrouve seule. Son mari est parti à la guerre et ses élèves sont rentrés chez eux. Elle prend alors la plume pour raconter son histoire, pour expliquer à son mari pourquoi elle a choisi de l’épouser. Sous la plume de Géraldine Jeffroy, d’un clacissisme parfait pour ce roman qui nous entraine sur les terres de Balzac, on va très vite comprendre qu’il suffira d’«Un été à l’Islette» pour changer une vie.
Fille d’un couple de parisiens petits-bourgeois – ils tiennent une chapellerie dans le IXe arrondissement –, Eugénie est destinée à devenir institutrice. Afin de la préparer à son futur métier, elle est envoyée en juin 1892 comme préceptrice dans une belle propriété du Val de Loire pour s’occuper de Marguerite, une enfant de six ans.
Réticente à faire ce voyage, elle va toutefois vite tomber sous le charme du lieu et de ses habitants, apprivoiser le personnel, les châtelains et son élève, mais surtout faire la connaissance d’une artiste qui vient s’installer pour l’été.
JEFFROY_chateau_lisletteCe n’est que progressivement que le lecteur découvre que la «barbe sur socle» qui accompagne cette artiste jusqu’à la propriété avant de filer à Paris est Auguste Rodin et qu’Eugénie va séjourner à l’Islette en compagnie de Camille Claudel.
Pour la sculptrice qui se donne corps et âme à son art, il ne s’agit pas de villégiature. La sculpture sur laquelle elle travaille, représentant des jeunes danseuses, accapare tout son temps. Il lui faut toutefois composer avec une santé fragile et essaie de trouver de l’aide auprès d’Eugénie. Cette dernière accepte de l’aider en échange de cours de dessin pour son élève qui va aussi servir de modèle.
Géraldine Jeffroy, en choisissant de nous faire part de la correspondance qu’elle entretient avec Claude Debussy vient tout à la fois donner davantage de relief à son récit et souligner combien le processus créatif est pour les deux artistes, une recherche éperdue vers une certaine perfection.
Quand Auguste Rodin s’invite à son tour, Eugénie croit avoir perdu le lien privilégié qu’elle a pu construire avec Camile. Mais Rodin a aussi besoin d’elle et l’engage comme secrétaire durant son séjour. Une nouvelle aventure commence, plus brève mais plus orageuse, alors que des œuvres majeures se créent, La Valse et La Petite Châtelaine pour Camille Claudel, le Balzac de Rodin et L’Après-midi d’un faune pour Debussy.
Soulignons ici le talent de la romancière qui réussit parfaitement à imbriquer la fiction à la réalité historique, à rendre tout à fait plausible cette rencontre et les parcours respectifs de ces artistes qui marqueront à tout jamais la future institutrice.
Ce court – et beau – roman peut se lire comme un chemin vers l’émancipation d’une jeune femme, comme un manuel de création artistique, comme un nouvel épisode des relations tumultueuses entre Camille Claudel et Auguste Rodin. Mais il est avant tout la confirmation du joli talent de Géraldine Jeffroy !

JEFFROY_camille-rodin-100ans« Vous ne pouvez vous figurer comme il fait bon à l’Islette… et c’est si joli là ! …
Si vous êtes gentil à tenir votre promesse, nous connaîtrons le paradis. » Camille Claudel à Rodin © Documents photographiques: Château de l’Islette

Un été à l’Islette
Géraldine Jeffroy
Éditions Arléa
Roman
144 p., 17 €
EAN 9782363082015
Paru le 12/09/2019

Où?
Le roman se déroule en France, principalement à L’Islette (à 2 kilomètres à l’ouest d’Azay-le-Rideau) et dans les environs, à Cheillé et Tours, ainsi qu’à Paris.

Quand?
L’action se situe de la fin du XIXe siècle à 1916.

Ce qu’en dit l’éditeur
Château de l’Islette, juillet 1892. Camille Claudel y installe son atelier estival. Comme Rodin tarde à la rejoindre, elle confie son désarroi à Claude Debussy et travaille sans relâche. À mesure que La Valse prend forme, traduisant la tension extrême au sein du couple, la petite châtelaine et sa préceptrice, Eugénie, entrent dans la danse.
Géraldine Jeffroy tisse avec subtilité vérité artistique et imagination romanesque. Des destinées se croisent et des passions s’exacerbent. Cet été-là verra naître des chefs-d’œuvre: La Valse et La Petite Châtelaine de Camille Claudel, le Balzac de Rodin et L’Après-midi d’un faune de Claude Debussy.

68 premières fois
Blog Mémo Émoi

Les autres critiques
Babelio
Lecteurs.com 

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Millou, ce que tu me racontes du front m’afflige… L’interminable attente dans le froid et la boue, l’ennui mêlé de peur… Et à présent le bruit incessant des bombardements, la terre gelée qui tremble, la terre qui vous avale…
Mon dieu, dans quel marasme sordide vous a-t-on jetés? Dire qu’ici les enfants jouent à être soldats, ignorant l’angoisse dans les yeux de leur mère, certains que c’est dans les batailles que naissent les héros. Ce n’est pourtant pas cela que je leur enseigne, non, je ne suis pas une bonne patriote. Mais donne-leur raison mon adoré et reviens-moi, si ce n’est en héros, du moins en vie. Bats-toi, puisqu’il le faut; tue pour ne pas être tué et seulement pour cela, je me moque de la victoire et de la France à présent. Peu m’importe l’issue de cette guerre, je veux que tu sois à nouveau ici, à mes côtés, pour que je puisse répondre à tes questions, car tu en auras. Longtemps je t’ai raconté une fable. Pour ton honneur et pour le mien. Puisque les hommes s’obstinent à tracer malgré elles le destin des femmes, j’ai très tôt décidé d’emprunter un autre chemin avant d’inventer librement ma vie.
Mes élèves ont quitté la classe il y a une heure, j’ai fermé l’école et je me suis installée à mon pupitre. J’y passerai certainement la nuit à t’écrire. Tu me liras avant ce Proust que tu me réclames et que tu recevras avec ma prochaine lettre. C’est ainsi, la guerre change les priorités et je n’ai que trop repoussé le moment. Lis donc sans attendre et si tu le peux ne t’interromps pas. Il est temps que tu saches quelle est vraiment mon histoire et pourquoi j’ai lié mon existence à la tienne.
Tout commença par l’irritation de ma mère à mon égard. Je suis née à Paris dans une famille d’artisans-commerçants. Ma mère confectionnait des chapeaux, mon père les vendait dans une petite boutique-atelier du 9e arrondissement qui faisait toute leur fierté. L’enseigne «chapelier-modiste Farnoux» attirait une clientèle exigeante et fidèle. Petits-bourgeois méritants, catholiques juste ce qu’il faut et même républicains débutants, mes parents n’eurent pas d’autre enfant que moi, tout occupés qu’ils étaient à la prospérité de leur affaire. Je fus une fillette facile, discrète
et très vite autonome. Devenue adolescente je restai une jeune fille sans histoires, curieuse de tout ou presque; à la grande déception de mes parents je montrais peu de dispositions pour la couture; j’étais une piètre vendeuse et je poussais l’affront jusqu’à ne pas avoir de «tête à chapeau». C’est ainsi qu’ils avaient souhaité que je fasse de études et que j’apprenne un peu le piano car tête à chapeau ou non, il faudrait, le temps venu me trouver un mari à la hauteur de ma «condition». On espéra que la nature opérerait sa par de travail, on attendit longtemps que les traits de mon visage s’affinent, que mon corps s’allonge… mais à l’âge où les morphologies n’évoluent plus guère, ma mère comprit que les prétendants ne se bousculeraient pas. Pragmatique, elle décida alors que je deviendrais institutrice afin d’assurer mon indépendance économique. Sur ce plan-là au moins je pensais pouvoir la satisfaire. Je trouvais dans mes lectures tout l’épanouissement nécessaire à mon bien-être et je ne pensais pas qu’un homme puisse me donner plus de satisfactions que celles que me procuraient les livres et la musique à laquelle j’avais pris, très tôt, énormément de goût.
Pour asseoir mes dispositions pour l’enseignement, ma mère trouva à me placer comme préceptrice tout un été au service d’une châtelaine tourangelle. »

Extraits
« Ainsi j’assistai à quelques séances de poses pendant lesquelles je devais noter les réflexions du maître. Les études de tête plongèrent Rodin dans de longs silences de perplexité. Il tournait, concentré, autour de son modèle et de son bloc de terre, allant de l’un à l’autre, collant ses yeux de myope sur le nez d’Estager, passant d’un profil à l’autre, il tournait tel un toréador, les yeux injectés de sang, modelant de ses grosses mains la boule informe et brune sur sa selle: la naissance du poignet pour tasser, la paume pour aplatir, le pouce pour modeler… petit à petit il tirait un sens de ces bosses et de ces creux, petit à petit de la terre et de l’eau naissait une expression. »

« C’est à ce moment-là que je pris réellement conscience de ma solitude. J’avais eu à l’IsIette l’illusion d’avoir une famille, ou du moins une place non négligeable. »

À propos de l’auteur
Géraldine Jeffroy est née à Chinon, en Touraine. Elle est professeur de lettres en région parisienne. Elle est également l’auteur de Soutine et l’Écolier bleu, Fondencre, 2019. (Source: Éditions Arléa)

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Une maison parmi les arbres

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En deux mots:
Après le décès accidentel de Mort Lear, auteur réputé de livres pour enfants, vient l’heure de régler sa succession. Il a fait de Tommy, qui a été son assistante puis sa confidente, sa légataire. Elle aura en particulier pour mission de superviser la réalisation d’un film en préparation. Tâche ô combien délicate car elle sait combien le scénario diffère de la vérité.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

La vie rêvée de Mort Lear

En imaginant comment s’organise la succession d’un auteur pour la jeunesse adulé, Julia Glass nous entraîne dans une réflexion sur la vie et l’œuvre d’un homme et sur les petits arrangements avec la réalité.

Julia Grass aime sonder les âmes et nous offrir des romans denses, allant chercher dans les petits détails la vérité de ses personnages. C’est ce qui rend leur abord difficile, mais nous offre aussi une intense quête vers LA vérité des êtres. Mort Lear, un célèbre auteur de livres pour enfants, s’apprête à accueillir chez lui le non moins célèbre acteur britannique Nicholas Greene qui est pressenti pour jouer son rôle dans un biopic en cours de montage lorsqu’il meurt d’un stupide accident en voulant dégager une branche tombée sur le toit de sa Maison parmi les arbres.
C’est Tomasina Daulair, dite Tommy, qui recevra l’acteur. Alors jeune fille, elle avait rencontré Morty dans un parc près de Greenwich Village. L’artiste lui avait demandé l’autorisation de réaliser un portrait de son petit frère Dani qui jouait là. Le résultat de son travail se retrouvera bientôt en couverture de l’un de ses livres les plus vendus et fera dire à Tommy : « Mon frère est devenu un dessin, puis un livre et maintenant une poupée ».
Après des études de lettres, elle sera engagée par Morty et passera du statut d’assistante à celui de confidente, avant de devenir la légataire de son domaine et de son œuvre.
Commence alors une plongée dans les souvenirs, mais aussi dans les recoins plus obscurs de la vie de cet homme complexe. Le scénario du film qui sera consacré à sa vie et à son œuvre se base sur un entretien publié dans le New Yorker et dont l’élément-choc est l’aveu d’un viol dont il aurait été victime alors qu’il n’était qu’un enfant. Un traumatisme autour duquel le scénario va pouvoir se développer et dresser des parallèles avec quelques ouvrages qui tous sont centrés sur la solitude d’un petit garçon.
Mais Julia Glass n’entend pas s’arrêter à une vérité et n’aura de cesse, en confrontant les avis des uns et des autres, de découvrir bien des aspérités dans une biographie trop lisse pour être honnête. Aux souvenirs de Tommy viennent s’ajouter des témoignages et des documents retrouvés dans l’atelier de l’écrivain. À l’opinion de Nicholas Greene qui entend se mettre dans la peau du personnage en prenant sa place dans sa demeure vient s’ajouter l’intervention de Merry, conservatrice d’un musée qui réservera toute une aile à l’œuvre de l’auteur de littérature jeunesse : Merry connaissait morte depuis près d’une décennie, depuis ce jour où elle était venue lui rendre visite pour qu’il lui cède un dessin pour une exposition. Pour le lecteur, ces trois points de vue qui se complètent et se contredisent parfois, ont l’avantage de faire réfléchir sur l’ego de l’écrivain et sur la façon dont son œuvre se nourrit de ses expériences, quitte à transformer la réalité au bénéfice de la fiction. Quel rôle a par exemple joué l’homosexualité de Mort et au-delà la maladie mortelle contractée par son amant ? Comment la lecture d’un livre pour enfants peut déformer la perception que l’on peut avoir de son créateur ?
Autant de questions qui nourrissent ce roman et donnent au lecteur une place d’observateur privilégié mais aussi la responsabilité de trier le vrai de faux, de se construire son opinion. La réussite de Julia Glass réside sans aucun doute dans ce jeu de rôle diabolique.

Une maison parmi les arbres
Julia Glass
Éditions Gallmeister
Roman
traduit de l’anglais (États-Unis) par Josette Chicheportiche
460 p., 24,90 €
EAN : 9782351781821
Paru le 23 août 2018

Où?
Le roman se déroule aux États-Unis, à Tucson en Arizona, à New-York et dans le Vermont et principalement à Orne dans le Connecticut.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Le jour où l’auteur vénéré de livres pour enfants Morty Lear meurt accidentellement dans sa maison du Connecticut, il lègue à Tomasina Daulair sa propriété et la gestion de son patrimoine artistique. Au fil des années, Tommy était devenue à la fois son assistante, sa confidente et le témoin de sa routine quotidienne, mais aussi des conséquences émotionnelles de son étrange jeunesse et de sa relation passionnelle avec un amant emporté par le sida. Lorsqu’un célèbre acteur engagé pour incarner Morty à l’écran se présente pour une visite prévue peu de temps avant la mort de l’écrivain, Tommy et lui sont amenés à fouiller le passé de Morty. Tommy s’interroge alors : connaissait-elle vraiment cet homme dont elle a partagé la vie durant plus de quarante ans?
Ce roman compose une fresque délicate sur les blessures de l’enfance qui ne se referment jamais tout à fait. Seule les atténue la plume tendre et subtile de Julia Glass, lauréate du prestigieux National Book Award.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Monde de psychologie

Les premières pages du livre
« Mercredi
L’acteur arrive aujourd’hui.
Réveillée trop tôt, trop nerveuse pour prendre le petit déjeuner (rien que le café la rend encore plus nerveuse), inquiète à propos de sa tenue (puis agacée d’y attacher autant d’importance), Tommy arpente la maison qui est à présent la sienne, scandaleusement et entièrement la sienne – pas juste sa chambre et tout ce que la pièce contient mais la totalité de ce qu’elle voit depuis ses deux fenêtres : un parc de presque trois hectares avec des pelouses et des arbres fruitiers en plein renouveau, des murs en pierre et des tas de bois, une cabane de jardin et un garage et une piscine en état d’hivernage. Le ciel au-dessus : est-ce qu’il lui appartient aussi ? Posséder le ciel serait facile. Le ciel serait un cadeau. Le ciel ne pèse rien. Le ciel est inconditionnel.
Elle déambule et tourne dans des pièces qu’elle connaît par cœur : salon, salle à manger, cuisine, petit salon, vestibule, office, véranda. Ces derniers temps, elle est incapable d’entrer dans une pièce sans en dresser mentalement l’inventaire: Quoi garder? Quoi jeter? (Pire, bien pire, dans quelle proportion vendre?)
Elle va à l’atelier et en revient, fait la navette entre ce monde et celui-là – dans celui-là, il doit sûrement être en vie – si souvent que sa jupe est à présent mouillée à force de frôler les boutons des pivoines, aussi serrés que des poings, qui bordent le chemin.
Va-t-elle encore devoir se changer?
Les oiseaux chantent à merveille, le soleil au-delà est une promesse, le jour par-dessus eux tous. Cinq heures à meubler, et Tommy ne sait pas comment.
Elle a encore du mal à croire que Morty ait accepté. Pourtant il a accepté. Il a parlé plus que volontiers à l’acteur – d’une voix onctueuse, aux oreilles gênées de Tommy –, quelques jours à peine avant sa chute. Ponctuant ses remarques enthousiastes d’un rire nasillard forcé, il lui a dit qu’il avait hâte de l’accueillir chez lui et dans son atelier, de “tout, enfin presque tout !” lui montrer.
À l’inverse de beaucoup de femmes du monde civilisé, Tommy ne meurt pas d’envie de rencontrer Nicholas Greene ou de passer du temps avec lui ou même de l’apercevoir. Se trouver seule en sa présence – s’il respecte ses conditions, et il devra les respecter (Eh oui, Morty, vous n’êtes pas le seul à poser des conditions !) – est même encore plus troublant, mais il y a une chose dont elle est sûre, c’est qu’elle ne permettra pas à une meute de gens du cinéma de fureter ici ou là. La visite du directeur artistique le mois dernier a été suffisamment pénible comme ça. “Juste un petit tour pour m’imprégner de l’état d’esprit”, avait-il déclaré. Il était arrivé avec un photographe et deux assistants qui s’étaient débrouillés pour piétiner une rangée de crocus pointant dans la pelouse. Morty s’était comporté comme une marionnette, les suivant au lieu de les conduire, n’assignant aucune limite à leur invasion.
Elle a vu le visage de Nicholas Greene sur les présentoirs des caisses chez CVS (bien qu’un an auparavant, les Américains n’aient pas la moindre idée de qui il était), et elle a sincèrement partagé la joie de Morty lorsqu’ils ont regardé la cérémonie des Academy Awards et vu l’acteur soulever son trophée, remercier ses partenaires, son metteur en scène, son agent et (les larmes aux yeux) sa “courageuse et inoubliable maman”. Déjà à l’époque, il y a à peine trois mois, Tommy était persuadée que ce projet de “biopic” consacré à Morty, comme d’innombrables autres projets de films, tomberait à l’eau. (Combien de livres de Morty avaient fait l’objet d’un contrat d’option sans jamais approcher l’écran ?) Elle est en droit de se demander si l’Oscar de Nicholas Greene a relancé le projet, pour lequel l’acteur avait déjà été “annexé” –comme s’il était un garage attenant à une maison ou un document joint à un e-mail.
L’accent britannique a quelque chose de honteusement séduisant pour les Américains, qu’il s’agisse du cockney ou du Oxbridge de bon aloi. Même Tommy n’y échappe pas. Si l’on nous donnait le choix, qui ne préférerait pas écouter pendant des heures Alec Guinness ou Hugh Grant plutôt que Johnny Depp ou même un bon vieux Warren Beatty ? Mais pourquoi diable, avec tous ces escadrons d’acteurs affamés, doués, beaux (Morty était beau quand il était jeune), quelqu’un de sensé choisirait-il un Anglais pour jouer le rôle d’un type qui a grandi dans l’Arizona puis dans un quartier ouvrier de Brooklyn ? Peut-être est-ce la raison pour laquelle Morty était si emballé. Peut-être n’a-t-il pas pu résister, flatté de voir l’histoire de sa vie racontée par le biais d’un jeune homme sexy, à l’allure juvénile et au parler aristo, nourri, presque littéralement, de Shakespeare et de Dickens. Morty avait une passion pour Dickens. (Elle montrera certainement à l’acteur la vitrine contenant la collection de livres de Morty ; pas de danger, de ce côté-là.)
Dès que Morty avait appris que ce serait Nicholas Greene, il avait demandé à Tommy de faire quelques recherches. Alors qu’il se penchait sur l’ordinateur, par-dessus son épaule, et contemplait les photos googlées de l’acteur interprétant Ariel au Globe, sire Gauvain dans une vieille série télé portée aux nues et devenue culte, et, bien sûr, le fils condamné dans le film qui venait de lui rapporter tout un tas de prix, son visage s’était débarrassé des années pour exprimer sa joie à l’état pur. C’était un visage qu’il aurait pu dessiner pour un enfant de cinq ans, un visage bon à être dupliqué des milliers de fois, vu par des enfants qui parlaient et chantaient et partageaient leurs secrets dans deux ou trois dizaines de langues.
Peut-être est-ce parce que Tommy a vécu avec Morty pendant vingt-cinq ans et le connaissait probablement mieux que quiconque (même mieux que Soren) qu’elle ne comprend pas pourquoi on l’a choisi comme sujet d’un long métrage ; pas un documentaire, ce qui aurait été logique – il en existait déjà deux, un pour les enfants, un pour les adultes –, mais le genre de film qu’on regarde dans le but d’être emporté par le cataclysme ou l’intrigue ou la menace ou le rire ou le pouvoir victorieux de l’amour. Peut-être est-elle trop proche de la vie quotidienne de Morty – “la monotonie de la créativité tranquille, de l’imagination entretenue par la routine et l’isolement”, disait-il d’un air songeur dans la série de PBS – pour y voir une source de divertissement. En même temps, elle est sûre que Morty ne souhaitait pas que certains détails de sa vie soient livrés en pâture aux titillations ou aux larmes d’étrangers. Pourvu qu’ils ne fouillent pas dans la période heureusement tenue secrète de sa frénésie de clubbing, par exemple, la dépression qui avait conduit à Soren. Peut-être est-ce à cause de cela qu’elle ne peut s’arrêter de courir partout, comme sous l’effet d’un médicament provoquant des épisodes maniaques, scrutant avec nervosité des étagères remplies de souvenirs et de babioles, des murs couverts de cadres contenant photos et dessins humoristiques et lettres, cherchant tout ce qui pourrait révéler inutilement des choses intimes à un étranger curieux passant par là. »

Extrait
« CB: Pourquoi maintenant?
ML: J’écris pour les enfants, et si mon histoire est réussie, je suis à moitié un enfant. Ou un enfant tout entier, Dieu seul le sait ! Les gens prétendent que les auteurs de livres pour enfants sont des gosses qui ne savent toujours pas ce qu’ils veulent faire plus tard. Mais cela signifie que j’agis plus par instinct que vous, alors que vous avez peut-être la moitié de mon âge. Quelque chose, je l’appelle mon petit diable interne, me dit qu’il est temps de révéler cette histoire. Il se trouve que vous en êtes le receveur, tout ça parce que vous, ou vos chefs, avez décidé que c’était le moment de publier un article flatteur sur Mort Lear. Pas sûr que vous teniez l’article flatteur, hein?
CB: Eh bien, non. À mon avis, il ne l’est certainement pas.
ML: Quoi qu’il en soit, tout est une question de timing. En amour. À la guerre. Quand on raconte son histoire. »

À propos de l’auteur
Julia Glass une romancière américaine née le 23 mars 1956 à Boston dans l’État du Massachusetts. Diplômée en 1978 de l’université de Yale, elle est aujourd’hui journaliste indépendante et éditrice. En 2002, elle obtient avec son premier roman Three Junes (Jours de juin) le National Book Award et sera publiée dans plus de quinze pays. Suivront six autres livres : Refaire le monde (The Whole World Over, 2006), Louisa et Clem (I See you Everywhere, 2008, John Gardner Award), Les Joies éphémères de Percy Darling (The Widower’s Tale, 2009), qui ont tous été des best-sellers du New York Times. Dans La Nuit des Lucioles (And the Dark Sacred Night, 2014), qui a figuré dans les listes des best-sellers aux États-Unis, elle revisite des personnages de Three Junes. En 2017, son dernier livre, A House among the Trees est publié aux États-Unis. Elle a également eu trois Chicago Tribune’s Nelson Algren Awards pour ses nouvelles, et le Tobias Wolff Award et la médaille de la Pirate’s Alley Faulkner Society pour la nouvelle Collies, première partie de Three Junes.
Elle vit à Marblehead dans l’État du Massachussetts avec son compagnon, le photographe Dennis Cowley, et leurs deux enfants. (Source : Éditions Gallmeister)

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Minuit, Montmartre

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Voici trois bonnes raisons de lire ce livre:
1. Parce que tous ceux qui se sont promenés sur la butte Montmartre se sont pris à rêver de cette époque aujourd’hui révolue, à la fin de la Belle Epoque, où les artistes se croisaient et s’encourageaient, où tous les arts s’épanouissaient grâce à une belle émulation, où l’on pouvait croiser Picasso, Steinlen, Apollinaire ou Toulouse-Lautrec au détour d’une rue ou dans l’un des cabarets.

2. Parce que, pour son troisième roman, Julien Delmaire a eu la bonne idée – un peu comme Camile Laurens avec sa danseuse de 14 ans – de mettre au cœur de son récit une «fille modèle». Répondant au doux nom de Masseïda, elle débarque dans l’atelier de Steinlen et sera son dernier amour.

3. Parce que cet hommage à la Butte nous permet de découvrir un artiste dont la plupart d’entre nous ont certes oublié le nom, mais pas les œuvres. Théophile-Alexandre Steinlein est en effet le créateur – entre autres – de l’affiche du Chat noir et sera l’un des animateurs de ce quartier parisien à nul autre pareil que le Musée de Montmartre a mis à l’honnneur l’an passé.

Minuit, Montmartre
Julien Delmaire
Éditions Grasset
Roman
224 p., 18 €
EAN: 9782246813156
Paru en août 2017

Ce qu’en dit l’éditeur
Montmartre, 1909. Masseïda, une jeune femme noire, erre dans les ruelles de la Butte. Désespérée, elle frappe à la porte de l’atelier d’un peintre. Un vieil homme, Théophile Alexandre Steinlen, l’accueille. Elle devient son modèle, sa confidente et son dernier amour. Mais la Belle Époque s’achève. La guerre assombrit l’horizon et le passé de la jeune femme, soudain, resurgit…
Minuit, Montmartre s’inspire d’un épisode méconnu de la vie de Steinlen, le dessinateur de la célèbre affiche du Chat Noir. On y rencontre Apollinaire, Picasso, Félix Fénéon, Aristide Bruant ou encore la Goulue… Mais aussi les anarchistes, les filles de nuit et les marginaux que la syphilis et l’absinthe tuent aussi sûrement que la guerre.
Ce roman poétique, d’une intense sensualité, rend hommage au temps de la bohème et déploie le charme mystérieux d’un conte.

Les critiques
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Les premières pages du livre
La Butte, en ce temps-là, paraissait une montagne. La poésie et la tuberculose y régnaient à parts égales. Surgie des cabarets, des ateliers de peintres et des bosquets en fleurs, une nuée de jeunes gens cueillait les fruits du siècle naissant. À chaque carrefour s’aiguisaient des fantaisies, se forgeaient des merveilles. Tout semblait possible depuis qu’une bonne fée avait tendu sa chevelure haute-tension aux pylônes des boulevards.
Loin des volts et des mirages, les ruelles de Montmartre buvaient la flamme paisible au bec des candélabres. L’ombre conservait son mystère, sa patine et sa saveur. Certaines venelles, à certaines heures, s’abandonnaient sans pudeur à la nuit. La lune, la belle luisarde, lanternait les pentes herbeuses, les caniveaux où flottaient les étoiles. Une horde de matous manœuvrait dans l’obscurité, frôlait les rails des tramways, les sépultures, les flaques d’eau.
Parmi cette multitude ébouriffée, un chat. Son maître, Théophile Alexandre Steinlen, un vieux dessinateur de la rue Caulaincourt, l’avait baptisé du nom de Vaillant. Ce sobriquet, hommage à un dynamiteur anarchiste, l’animal le portait avec panache. Sa jeunesse exultait dans un corps massif, au pelage épargné par la gale. Les femelles du quartier, sur l’ardoise des toits, miaulaient son nom avec des trémolos suraigus. Cela n’émouvait guère Vaillant, qui ne manifestait aucun intérêt pour les choses de l’amour. C’était un félin combatif le plus souvent, contemplatif, quand le soleil funambule dégringolait derrière le Sacré-Cœur, soulevant dans sa chute tous les pigments de la Terre.
Il connaissait le quartier comme les replis de sa pelisse ; sa carcasse se mouvait avec la souplesse d’un batelier. Les rempailleuses de la place du Calvaire l’appelaient « Le Chartreux », tant il est vrai qu’il partageait nombre de traits avec ce chat de luxe – sa robe grise, sa taille, le jaune vif de ses prunelles. Il conservait cependant dans la courbe des oreilles, le triangle du museau, un je-ne-sais-quoi de parfaitement roturier. S’il existait un griffu intraitable dans les rues de Montmartre, c’était bien lui, Vaillant, dont la toison se confondait avec la poussière des jours.

Extrait
« Passant outre à la fatigue et la soif, elle se dirigea vers cette contrée inconnue. Le vent qui jusqu’alors s’était tu souffla dans la hampe des hauts peupliers, reprenant les premières syllabes de son nom : « Massa, Massa », dans une litanie de feuillages et de sève.
Sous les feux mauvais de la rampe, la lumière frelatée des réverbères, le vent sifflait son nom, Massa, Massa, comme une exhorte à ne pas lâcher prise.
Je suis Masseïda, la petite Massa du bord du fleuve. Aujourd’hui, je suis grande, et le vent me protège…
Elle entreprit l’ascension d’une colline. Son souffle puisait dans ses ultimes gisements, elle s’accrochait aux grappins de la nuit. Les volets claquaient au lointain, comme le chahut des rames sur l’écume.
Elle gravit la pente pour parvenir sur une esplanade cernée de lampadaires souffreteux. Trois directions possibles. Elle hésita, persuadée que de son choix dépendrait son devenir. Elle allait s’engager dans la ruelle la plus éclairée, lorsqu’un chat vint à sa rencontre. La bête aurait pu miauler son prénom, à l’instar du vent, que cela ne l’eût pas surprise. L’animal semblait un élément de la grande machinerie du hasard. Il accepta sa caresse, la paume de Masseïda effleura sa toison comme un manteau de luxe. »

À propos de l’auteur
Né en 1977, Julien Delmaire est romancier et poète. Plusieurs de ses textes ont été traduits, en anglais, en espagnol, en allemand, en italien et japonais. Depuis près de quinze ans, il multiplie les performances poétiques sur scène, un peu partout dans le monde. L’écrivain encadre de nombreux ateliers d’écriture dans les établissements scolaires, les hôpitaux psychiatriques, en milieu carcéral, ainsi que dans les bibliothèques et les médiathèques. Julien Delmaire anime le blog littéraire Nous, Laminaires. Son premier roman, Georgia, publié aux éditions Grasset, a remporté le Prix Littéraire de la Porte Dorée. Son second roman, Frère des Astres, lauréat du Prix Spiritualité d’Aujourd’hui est paru aux éditions Grasset en mars 2016. Son troisième roman Minuit, Montmartre est paru en août 2017. (Source: juliendelmaire.com)

Site Internet de l’auteur 

Wikipédia de l’auteur 

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L’été en poche (52)

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Une forêt d’arbres creux

En 2 mots
Une famille des déportés arrive à Terezin. Le père, employé au bureau d’architecture va résister par le dessin. La culture comme porte de sortie de ce court roman. Poignant.

Ma note
etoileetoileetoileetoile (j’ai adoré)

Si vous voulez en savoir plus…
Ma chronique complète publiée lors de la parution du roman en grand format

Les premières lignes (epub)

L’avis de… Delphine Peras (Lire)
« Antoine Choplin restitue avec une immense sobriété les conditions de vie éprouvantes, la faim, la maladie, la promiscuité, les humiliations. Son talent d’écriture n’est pas en reste pour faire sentir la pointe du crayon gras sur la feuille et l’art comme ultime échappatoire. »

Vidéo
Olivier Barrot présente «Une forêt d’arbres creux» dans son émission Un livre, un jour. » © Production France Télévisions

Une forêt d’arbres creux

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Une forêt d’arbres creux
Antoine Choplin
La fosse aux ours
Roman
116 p., 16,00 €
ISBN: 9782357070653
Paru en mai 2015

Où?
Le roman se déroule à Terezin, ex Theresinestadt, aujourd’hui en République Tchèque.

Quand?
Le récit commence en décembre 1941 et se poursuit sur les mois suivants.

Ce qu’en dit l’éditeur
TEREZIN, RÉPUBLIQUE TCHÈQUE, décembre 1941.
Bedrich arrive dans la ville-ghetto avec femme et enfant. Il intègre le bureau des dessins.
Il faut essayer de trouver chaque matin un peu de satisfaction en attrapant un crayon, jouir de la lumière sur sa table à dessin, pour enfin s’échapper du dortoir étouffant, oublier la faim, la fatigue et l’angoisse.
Chaque jour se succèdent commandes obligatoires, plans, aménagements de bâtiments. Chaque nuit, le groupe se retrouve, crayon en main, mais en cachette cette fois. Il s’agit de représenter la réalité de Terezin sans consigne d’aucune sorte.
Et alors surgissent sur les feuilles visages hallucinés, caricatures. Tout est capté et mémorisé la nuit puis dissimulé précieusement derrière cette latte de bois du bureau des dessins.

Ce que j’en pense
****
Les hasards de mes lectures (mais y-a-t-il vraiment un hasard) m’ont fait découvrir Antoine Choplin après avoir terminé La zone d’intérêt de Martin Amis. Les deux livres ont été pour moi un même choc, même s’ils sont stylistiquement parlant à des années-lumière.
Ici, pas de provocation, pas d’ironie. Antoine Choplin choisit une écriture très classique, une phrase poétique pour rendre compte de l’horreur des camps. Ce choix rend du reste encore plus fort le contraste entre la dureté des conditions de vie et l’horreur de ce camp de transit où périrent quelque 33000 personnes et la beauté formelle du récit.
Nous suivons Bedrich, Johanna et Tomi à leur arrivée en décembre 1941. La mère et l’enfant sont placés dans le quartier des femmes, le père dans un braquement insalubre avec ses compagnons d’infortune. Son savoir-faire l’amène à intégrer le bureau des dessinateurs où il est notamment chargé des plans du crématorium. « Bedrich s’emploie à l’harmonie des façades, à l’équilibre visuel de la construction dont la funeste vocation, par de longues intermittences, disparaît de son esprit. »
Assez vite, avec ses collègues, il entend profiter de son statut un peu privilégié et entreprend de résister à sa manière. Sa mission et celle de quelques autres du bureau des dessins, consiste à élaborer pour les visiteurs « un album, florilège brillant, témoin du bien-vivre et des harmonies de Terezin ». On assiste notamment à des travaux surréalistes d’embellissement du camp avant la venue d’une délégation de la Croix-Rouge.
Mais Bedrich veut que le monde sache la vérité « sensible et nue ». Avec ses amis, ils font ce qu’ils savent le mieux faire et dessinent, racontent ce que subissent les déportés et racontent leur quotidien par l’image.
«Il lève les yeux vers Ungar, comprend ce à quoi s’emploie sa main alerte, les files d’attente devant les dépôts de nourriture ; de l’autre côté Bloch en termine avec l’esquisse de plusieurs figures humaines hallucinées, rassemblées en d’étranges postures…» Bien entendu, il leur faut cacher soigneusement leurs œuvres afin d’éviter les représailles, mais surtout pour que leur acte de résistance soit utile. Car très vite on comprend que face à la barbarie, la culture est un vrai rempart. C’est du reste le message qu’il entend transmettre à ses congénères et à son épouse : « Il lui disait combien les livres et les choses du savoir, c’était important. Le calcul, la poésie. Même ici, à Terezin, ça comptait. Surtout ici, il a ajouté, ici et maintenant, à Terezin. »
Un combat poignant, à l’issue incertaine, mais qui offre aussi par sa dimension artistique une porte de sortie : « Enfin, peut-être qu’un surplus de finesse ferait sourdre cette chose minuscule et que trahirait à leurs visages un je-ne-sais-quoi d’étincelant et de dérisoire : un peu d’espoir, voilà, ravivé par les propos d’Ungar mais maintenant endossé par chacun d’eux. Après tout – c’est ce à quoi pense Bedrich -, on pourrait bien finir par échapper aux convois vers l’Est, et il faudrait bien qu’un de ces jours tous ces murs s’effondrent. »
Un court roman qui est aussi un grand livre !

Autres critiques
Babelio
L’Express
Un livre, un jour (Olivier Barrot)
Blog Le Grenier à livres
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Blog D’une berge à l’autre
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Extrait
« Décembre de l’année 1941. Bedrich arrive à Terezin, avec sa femme Johanna et son fils Tomi qui n’a pas encore un an. La musette qu’il s’est pendue autour du cou bat contre le haut de ses cuisses et son poids lui brûle la nuque. Au bout du bras replié jusqu’à l’épaule, il tient un sac de grande taille qui roule d’un flanc à l’autre au rythme de ses pas. De son autre main, il tire un ballot en toile robuste qui traîne au sol. Tomi est dans les bras de sa mère, protégé par une couverture qu’elle maintient rabattue tout autour de lui.
Ils marchent face au vent hivernal. À l’unisson, tous les corps s’inclinent à son encontre, formant un amas gris et homogène, à la flèche univoque et que souligne d’autant le lest des bagages. Quelques arbres isolés, de ceux que l’on peut remarquer tandis que l’on s’approche des remparts et que les bois s’estompent, dessinent des obliques prononcées elles aussi, tendues à la rencontre des hommes. » (p. 12-13)

A propos de l’auteur
Antoine Choplin est l’auteur de Radeau, du Héron de Guernica et de La Nuit tombée (prix France Télévisions 2012). (Source : Editions La fosse aux ours)

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