Le Maître des horloges

Fortier LMDH couv montee.indd  RL_2023  coup_de_coeur

En deux mots
En ce jour de novembre 1931, Jules Meyer fête son anniversaire et propose à ses invités d’aller voir l’horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg. Mais à 12h30, la merveille mise au point par Jean-Baptiste Schwilgué en 1842 tombe en panne. L’incident va pousser Jules, correcteur et détective privé, à mener l’enquête.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Un Comput peut en cacher un autre

Jacques Fortier a choisi de nous révéler tous les secrets de l’horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg. Autour de ce brillant mécanisme, son enquêteur-fétiche va tenter d’empêcher un vol audacieux et une tentative d’assassinat du Président de la République!

Ancien journaliste et grand connaisseur de l’Alsace, Jacques Fortier a choisi d’agrémenter sa retraite en nous proposant de découvrir les trésors de sa région natale. Pour ce faire, il a choisi le polar et imaginé Jules Meyer, correcteur dans un quotidien et brillant détective à ses heures perdues. D’heures perdues, il va du reste beaucoup être question ici.
Ce huitième opus débute le 8 novembre 1931, jour de l’anniversaire de Jules. Avant d’offrir à sa famille et à sa belle-famille un excellent repas, il entraîne tout ce beau monde à la cathédrale où à 12h30, l’horloge astronomique sonne les 12 coups de midi avec son défilé d’automates. On apprendra dans ce livre la raison de cette demi-heure de décalage, mais aussi beaucoup de détails sur la construction et l’entretien de cette belle mécanique. Et sur ses pannes. Car en ce soir de fête la merveille, mise au point par Jean-Baptiste Schwilgué en 1842, se bloque.
Après une inspection minutieuse des rouages, on découvrira qu’un compas d’horloger était coincé dans le mécanisme. La police va alors conclure à une négligence de la société Ungerer chargée de la maintenance et classer l’affaire.
Mais le chanoine Kubler est plus enclin à croire les horlogers qui nient toute implication et décide d’engager Jules Meyer pour en avoir le cœur net. Sa mission consistera à faire le guet, avec un employé de la société Ungerer, pour tenter de confondre celui qui s’intéresse de trop près à ce bijou de technicité.
De longues heures de veille vont permettre aux deux hommes de sympathiser et d’en apprendre encore davantage sur cette belle mécanique, avant d’être agressés par une équipe prête à tout. Mandatés pour voler le cœur de la machine, le comput, les voleurs vont pourtant faire chou blanc. Avant de se retourner vers un second comput dont ils ont découvert l’existence et qu’il leur sera plus facile à dérober. Mais Jules Meyer est à leurs trousses et parvient à sauter dans le train qui part pour Paris avec son précieux chargement.
Comme dans ses précédents romans, Jacques Fortier s’est abondamment documenté pour nous offrir derrière le suspense, une description de Strasbourg et de l’Alsace durant ces années qui ont précédé la seconde Guerre mondiale, des trésors de la cathédrale et de l’express Strasbourg-Paris avec ses trois classes, ses cabines-lits ainsi que les wagons restaurant et postaux qui vont jouer un rôle non négligeable dans le dénouement de cette affaire.
Servi par un style allègre, non dénué d’humour, cette enquête atteint parfaitement son but, nous faire revisiter l’Alsace et son patrimoine tout en nous distrayant. Un attend déjà la prochaine !

Le Maître des horloges
Jacques Fortier
Le Verger Éditeur
Polar
204 p., 12 €
EAN 9782845744271
Paru le 7/04/2023

Où?
Le roman est situé principalement à Strasbourg et dans les environs. On y voyage aussi par train jusqu’à Paris en passant par la Champagne.

Quand?
L’action se déroule en 1931.

Ce qu’en dit l’éditeur
Novembre 1931. Qui en veut à la célèbre horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg ? Des vandales, des jaloux, des cambrioleurs ?
Le détective strasbourgeois Jules Meyer est chargé de la surveillance de cette merveille restaurée trois quarts de siècle plus tôt par le génial horloger alsacien Jean-Baptiste Schwilgué.
Ce ne sera pas une planque facile.
Jules devra se battre pour cette horloge géante, ses automates, ses cadrans et surtout son « comput ecclésiastique », cette étonnant ensemble de rouages qui calcule tout seul la date de Pâques, une mécanique exceptionnelle que, premier au monde, Schwilgué avait mise au point dès 1821.
Coups de couteau, coups bas, coups tordus : le détective affrontera de rudes dangers. Il devra courir après le temps perdu dans les ruelles de Strasbourg comme dans le train de nuit pour Paris. Arrivera-t-il à stopper l’engrenage tragique qu’il va découvrir, et qui pourrait affoler les aiguilles de l’Histoire ?

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Maxi Flash (Solann Battin)
Blog de Pierre Ahnne

Les premières pages du livre
« Maître, le dîner est servi. »
La vieille servante avait frappé à la porte ; elle l’avait entrouverte, mais n’osait pas entrer. Elle ne voyait que le dos de l’homme, penché sur son établi, et les grandes ombres que jetaient au mur les bougies d’un chandelier de cuivre.
« Maître, le dîner est servi ! »
Elle avait chuchoté. Elle insista à voix haute. L’ombre remua sur le mur. Le dos se secoua. Une main se leva. Un petit objet métallique tomba. Il roula sur le carrelage en damier rouge et vert jusqu’aux pieds de la femme. C’était une fine roue dentée. Elle ralentit sa course, se coucha avec un petit tintement et continua à pivoter comme une toupie d’enfant. L’homme, sans se retourner, leva les bras au ciel.
« Bon sang ! Quand cessera-t-on de me déranger pour des bêtises ! »
La servante n’osa pas lever les yeux et fixa obstinément la délicate roue dentée. Celle-ci ralentit, oscilla, s’inclina et s’immobilisa enfin sur un carreau rouge.

« Quatorze, rouge, pair et manque ! »
D’un geste assuré le croupier fit virevolter son râteau sur le tapis vert. Ici, il poussa une pile de jetons, là, il en déplaça une autre. Sourires et grimaces. Au premier rang, une jolie femme aux épaules nues sembla s’illuminer. En face un dandy en costume clair parut s’éteindre.
« Faites vos jeux… »
La valse des jetons recommença sur le tapis. Derrière la femme épanouie, un homme raide, aux yeux noirs, aux cheveux sombres bouclés, lissa nerveusement sa cravate sur sa chemise froissée. Il se pencha, hésita…
« Les jeux sont faits… »
D’un geste brusque, l’homme posa une pile de jetons sur le 31.
« Rien ne va plus ! »

CHAPITRE Ier
LA RONDE DES APÔTRES
Strasbourg, dimanche 8 novembre 1931
Jules, en pyjama bleu et blanc, entra d’un pas lent dans la cuisine. Il se gratta la tête, jeta un œil à la vitre. Il faisait encore nuit. Sur la place du Corbeau, les réverbères se reflétaient sur le pavé mouillé. Un tramway passa lentement avec un bruit de ferraille secouée.
Le jeune homme se frotta les yeux. Bon sang, c’est vrai, aujourd’hui, il ne travaillerait pas. Ni au journal de la rue de la Nuée-Bleue, les Straßburger Neueste Nachrichten1, où il était correcteur la nuit, ni dans son agence au sous-sol, « Jules Meyer & Cie », où il était détective le jour. Il ne travaillerait pas, non parce que c’était dimanche – il lui arrivait fréquemment d’y passer des heures au journal ou à l’agence – mais parce que c’était…
— Le 8 novembre…
Il tendit la main. À côté du garde-manger, une éphéméride affichait en rouge la date du samedi 7. Il arracha la feuille, découvrant le « Dimanche 8 novembre, St Godfroy ».
— Saint Godfroy ? Godfroy… Je ne sais même pas qui c’est. Pourtant, depuis le temps…
Jules entendit du bruit dans la chambre. Il sourit. Ce qui était sûr – pour la trente-troisième fois depuis 1898 – c’est que le 8 novembre, c’était surtout l’anniversaire de Jules Meyer.

Quatre heures plus tard, le deuxième étage du 6, place du Corbeau était en pleine ébullition. Une joyeuse marmaille s’activait dans l’appartement dans une chaleureuse odeur de viandes et de vin cuits. Samara, l’aînée, du haut de ses dix-huit ans, essuyait les verres de cristal de la grand-mère Hoff avec un torchon à carreaux. Arthur, onze ans, tirait la langue en tentant de plier en accordéon des serviettes empesées. Katell, sept ans, l’air appliqué, traçait avec des crayons de couleur les noms des convives sur des cartons roses.
— Dis, papa : Violette, combien de « t » ? Est-ce que je l’écris en violet ? Ce serait bien, non ? Bon, sur le rose, je ne sais pas trop… Et tu m’aides pour les noms des autres ? Mamama, elle s’appelle bien Sylvie ? Et c’est avec des « i » ? Et ça commence bien par un « s » ?
Jules soupira.
Par la porte entrebâillée, il apercevait dans la cuisine le bas de la robe de Violette. Bleue, parsemée de petites fleurs blanches. Et un pied nu sur le carrelage. C’est elle qui avait lancé les invitations pour les trente-trois ans de son mari (« Ne discute pas : l’âge du Christ, ça se fête comme il faut ! »). Il y aurait donc les Graff, un couple d’amis proches venu de la place d’Austerlitz, les Hoff, ses beaux-parents, qui habitaient à trois minutes quai des Pêcheurs, et les Meyer, ses parents, venus du Schaentzel, l’hôtel-restaurant qu’ils tenaient depuis presque un demi-siècle sur les pentes du château du Haut-Kœnigsbourg. Eux devaient descendre du train vers midi.
— Violette, désolé, je n’ai pas noté. À quelle heure exactement arrivent mes parents ?
La robe pivota. Une tête bouclée apparut dans l’entrebâillement. Charmante, mais un rien excédée.
— Jules, je te l’ai dit vingt fois, mais tu n’écoutes rien : 11 h 17 à la gare. C’est le train de Sélestat. Ils vont être chargés comme des baudets. Tu sais que ta mère apporte toujours trois kougelhopfs, ton père trois bouteilles, et, en plus, des cadeaux pour les enfants. Sans compter un cadeau pour toi, bien entendu. C’est quand même les trente-trois ans de leur grand fiston, non ?
— Il paraît. On a dit quelle heure aux autres ?
Violette s’essuya les mains sur son tablier.
— Midi. Mais…
Une petite grimace.
— Mais c’est trop tôt. Beaucoup trop tôt, on ne sera jamais prêts. On s’est levés trop tard. Le Beckeoffe2 ne sera pas cuit.
— On peut faire durer l’apéritif…
— Ça ne suffira pas. Et je voulais encore emballer ton cadeau, décorer le gâteau, et tout ça. Ils vont tous être dans mes pattes. T’as pas une idée ?
Jules sourit, s’approcha de Violette, lui prit gentiment la taille.
— Mais si, bien sûr ! Les Graff vont arriver en avance, tes parents pile à midi – ton père a mangé une montre à gousset quand il était petit – je ramène les miens en tramway vers midi moins le quart. Bref, on les réunit tous dans le salon, on fait les bisous, mes parents posent leurs kougelhopfs et leur pinard, je leur dis qu’il ne faut pas manger sans faim, qu’on a prévu le repas vers une heure et j’emmène tout le monde voir la cathédrale. Trois quarts d’heure, une heure. Ça irait ?
— Oh, ce serait parfait.
Jules posa un doigt sur son front.
— Et j’ai même une autre idée ! Je ne vais pas leur faire faire le tour de la cathédrale, ils connaissent, mais on va leur montrer la ronde des apôtres à l’Horloge astronomique. C’est pile à midi trente. Tu te souviens ? À Pâques, on en a parlé : ton père et le mien s’étaient chipotés sur les noms des apôtres et leur ordre de passage. Comme ça, ils pourront trancher.
Violette secoua ses cheveux bouclés.
— Visite guidée à l’Horloge astronomique. Excellente idée de promenade apéritive. Je te confie tout le monde. Et vous revenez à une heure.
— L’horloge gastronomique ? C’est là où y’a la Mort ? Je veux y aller aussi.
C’était Katell, un fagot de crayons en main.
Violette se pencha, posa un petit baiser sur le front de la fillette.
— As-tro-no-mique. Ça veut dire qu’elle raconte les mouvements des astres dans le ciel : le soleil, la lune, les planètes, les étoiles. Et il n’y a pas que la Mort sur l’horloge. Il y a des anges, aussi, et Jésus, et le coq, et plein de personnages de tous âges.
Elle se tourna vers Jules.
— Eh bien oui, bonne idée, tu les emmènes aussi. Les trois. Enfin, si les grands veulent bien. D’accord ?
Jules prit Katell par la main.
— Tout à fait d’accord. Et maintenant, Katell, avant que je file à la gare, est-ce qu’on peut regarder tes cartons ? Sylvie, en effet, ça commence par un « s ». Et il y a d’abord un « y », ensuite un « i ».

La place de la gare était animée en cette fin de matinée, quand le tramway y déposa Jules et Arthur. « Moi, je veux aller voir les trains », avait insisté le garçon. « Et voir aussi Papapa et Mamama avant les autres », avait-il vite ajouté. Devant tant de sens diplomatique, les parents avaient cédé. Samara plierait les serviettes et on ne serait pas obligé de le refaire derrière elle.
Jules leva les yeux vers la grande pendule gauche de la façade. Il était 11 h 10.
— Viens, Arthur. On va aller sur le quai ; ils ont sûrement plein de bagages. Faudra les aider.
Arthur était en arrêt devant une longue voiture noire d’où descendait un sexagénaire endimanché. Pendant que le chauffeur poussait une lourde malle aux coins métalliques, l’homme sortit cérémonieusement une grosse montre de son gilet et compara l’heure avec celle de la pendule. Il eut l’air satisfait de l’opération. Jules fut frappé du costume soigné, du manteau coûteux, de la serviette de cuir bordeaux que l’homme récupéra sur la banquette de la limousine. « Un banquier ? Un chef d’entreprise ? Peut-être un député, il regarde autour de lui comme si tout le monde devait le reconnaître. Avec moi, il n’a aucune chance : je ne connais que Dahlet et Mourer. Ah si, je reconnaîtrais aussi Peirotes3 ! Mais celui-là, franchement, ça ne me dit rien ! »
Pendant que l’homme entrait dans la salle des pas perdus avec un air satisfait, Jules tira Arthur par la manche.
— Allez, on y va. Cette automobile est splendide, mais il est 11 h 15. Et tu voulais voir les trains…
Ils prirent leurs tickets de quai et arrivèrent quai 3 au moment même où le train de Sélestat s’y arrêtait dans le cri métallique de ses freins et un panache de vapeur blanche et grise. Quelques minutes plus tard, monsieur et madame Meyer – Laurent et Sylvie – étaient debout sur le quai, chacun porteur d’un grand panier d’osier recouvert d’un torchon à carreaux.
— Arthur, comme tu as grandi. Un vrai petit homme !
Madame Meyer poussa son panier dans les bras de Jules.
— Je sais bien que vous avez tout prévu, mais j’ai apporté quelques kougelhopfs, on ne sait jamais et il ne faudrait pas manquer. Tu as bonne mine, mon fils, pour tes trente-trois ans. Bon anniversaire, surtout !
Jules l’embrassa affectueusement.
— Merci maman. Les enfants adorent tes kougelhopfs.
— Et leurs parents mes bouteilles de riesling ! Bon anniversaire aussi, Jules !
Laurent Meyer flanqua dans les mains de son fils le second panier en lui décochant une bourrade chaleureuse. Un voile d’inquiétude passa sur le visage d’Arthur. Sylvie Meyer le repéra aussitôt.
— Et on n’a pas apporté que ça ! Trente-trois ans, ça se marque comme il faut – et on a pensé à nos trois petits merveilleux oisillons aussi. Mais ça, c’est là, et ça n’en sortira qu’au dessert !
Elle tapa sur la gibecière de cuir que son mari portait sous son manteau. Jules plissa les yeux. Il se sentait bien, sur ce quai de gare, avec son fils et ses deux parents. Dans un éclair, il se revit à onze ans, encadré d’une Sylvie et d’un Laurent nettement plus jeunes, quand la petite famille « montait » à Strasbourg pour faire des courses ou visiter monuments ou musées. À l’époque, les panneaux et les affiches étaient en lettres gothiques dans la gare, la place était plantée d’arbres et les députés prenaient le train pour Berlin.
— Jules, Jules, on va prendre le tramway ?
Sylvie Meyer regarda son fils dans les yeux avec un léger sourire. Jules se sentit tout drôle : elle n’avait pas pu ne pas voir qu’ils étaient embués. Il secoua la tête, leva ses deux paniers et montra d’un coup de menton l’escalier creusé dans le quai.
— Bien sûr ! Violette nous attend. Les autres invités viennent pour midi. Mais on ne mangera pas tout de suite. Comme c’est mon anniversaire, et que je suis né à midi trente – n’est-ce pas, maman ? – je vais vous emmener tous voir sonner l’heure de ma naissance sur la plus belle horloge du monde !

Place du Château, le petit groupe s’immobilisa devant le portail sud de la cathédrale. Jules leva les yeux. Il aimait bien cet angle de vue sur l’édifice. Devant eux s’alignaient les contreforts comme de grosses pattes de crabe, tandis que le massif ouest semblait hausser les épaules pour supporter l’envolée de la flèche.
Finalement, tout le monde avait opté pour la visite de l’Horloge, laissant Violette seule aux fourneaux. Madame Hoff, prévenante, avait bien proposé de rester avec sa fille, mais, devant le regard discret mais alarmé de Violette, Jules avait insisté et elle avait cédé.
Une courte file d’attente s’était formée devant le portail sud : la visite de l’Horloge était payante pour la ronde des apôtres.
— J’y vais, papa ! Tu me donnes juste des sous. Restez ici. Je vous ferai signe quand j’aurai les tickets.
Samara avait pris deux billets de banque dans le portefeuille de Jules et gravi les marches. Arthur et Katell, se tenant par la main, contemplaient pensivement les statues du portail : l’Église, belle femme un peu hautaine, avec une couronne, un calice et une bannière surmontée d’une croix, toisant la Synagogue, autre jeune femme, elle fragile et émouvante, les yeux bandés, tenant une lance brisée et laissant glisser au sol les tables de la Loi. Entre elles, le roi Salomon trônait, imperturbable, visiblement peu désireux de se mêler de la querelle théologique entre ses deux voisines.
Le docteur Hoff, sa femme au bras, tournant le dos à la cathédrale, décrivait aux parents Meyer la façade du lycée Fustel de Coulanges, accolé à l’édifice, et racontait ses souvenirs de lycéen. Marc et Suzie Graff se rapprochèrent de Jules. La jeune femme parla à voix basse.
— Pendant qu’ils ne nous écoutent pas – elle montra du doigt les quatre grands-parents engagés dans leur discussion – dis-moi donc pourquoi cette célèbre horloge n’est pas à l’heure ? On vient à midi trente pour la voir sonner midi…
Jules se pencha.
— Je ne sais pas tout, mais ça je le sais. Elle marque l’heure locale, la vraie, celle de Strasbourg qui ne dépend que de sa longitude. L’heure de nos montres, l’heure légale, c’est en gros celle de Paris, qui s’impose de Brest à Strasbourg. Et entre Strasbourg et Paris, il y a une demi-heure.
Marc Graff pouffa.
— Une demi-heure de tour d’horloge entre Strasbourg et Paris. Ça fait rêver. Parce qu’en train, le plus rapide, celui de 17 h 15, met six heures, et les trains de nuit mettent huit heures, pour le 23 h, et même neuf heures pour le 21 h 10. En plein XXe siècle, je ne comprends pas !
Suzie sourit.
— Marc a été élu dans je ne sais quelle commission médicale nationale à la fin de l’été. Il a donc chaque mois une réunion à Paris et, depuis, il peste tout le temps contre les chemins de fer. Trop lents, dit-il. Il voudrait être arrivé avant d’être parti.
Jules aperçut le bras levé de Samara.
— C’est bon, on a les tickets. Tu sais, Marc, jamais les trains ne feront le tour de la Terre en vingt-quatre heures. Tu n’as qu’à prendre des livres dans le train.
— C’est ce que me dit Suzie… On appelle les autres ?
La petite troupe gravit les marches et, avec une grappe de visiteurs, pénétra dans le transept sud.

— Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, je vais vous demander de vous pousser un peu vers le mur. L’horloge est haute et ça va se passer dans les hauteurs.
Le guide, un petit homme jovial et rond serré dans un costume bleu marine, était tout à son affaire. À sa ceinture se balançait un trousseau de clefs. Il fit ranger ses ouailles contre le mur et entama ses explications.
— L’horloge que vous voyez devant vous – une extraordinaire merveille – est en fait la troisième horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg. La première, celle dite des Trois Rois, a été construite au milieu du XIVe siècle.
— Ça veut dire vers 1350, glissa Samara à Arthur.
— Je sais ! rétorqua le garçon.
— Chut ! pesta Katell.
Le guide fit un grand geste vers le groupe.
— Elle n’était pas là où se trouve l’actuelle horloge, mais en face, là où vous êtes, sur le mur ouest. Si vous regardez bien, vous verrez encore les marques de son accrochage. Elle avait au moins douze mètres de haut.
Les têtes tournèrent presque toutes en même temps.
— On l’a appelée l’horloge des Trois Rois, parce qu’elle présentait déjà des automates, et notamment les trois rois mages des Évangiles. Mais elle est tombée en panne au bout de cent cinquante ans, donc vers l’an 1500.
Le guide pivota sur ses chaussures vernies.
— Il faudra attendre trois quarts de siècle pour qu’on la remplace – la cathédrale est en effet devenue protestante pendant les travaux et ça a beaucoup compliqué les choses – et c’est en 1574 seulement que commence à fonctionner la deuxième horloge, celle du mathématicien Dasypodius. Vous en voyez une bonne partie, puisque vous en avez encore la boîte, ce qu’on appelle le buffet, qui a été réutilisée pour la troisième horloge, celle que vous êtes venus voir.
Jules laissa son esprit vagabonder. Devant lui, ses parents et les Hoff, bien rangés contre le mur, écoutaient sagement. « Ils attendent les apôtres, pour régler leur discussion. » Le couple Graff s’était approché de la grille qui entourait le bas de l’horloge, mais Suzie gardait l’œil fixé sur le Pilier des Anges. « Elle a déjà décroché. » Samara, Arthur et Katell avaient l’air béat.
Le guide parlait maintenant de la nouvelle panne, celle de 1788, quand l’horloge de Dasypodius s’était à son tour immobilisée après deux cent quatorze ans de fonctionnement.
— Vous imaginez bien, mesdames, mesdemoiselles, messieurs, que cette panne irréparable a frappé les esprits, un an avant la Révolution française. Et parmi les personnes bouleversées, il y avait un petit garçon. Il s’appelait Jean-Baptiste, il avait onze ans…
— Comme moi ! s’exclama Arthur.
— Chut ! dit Katell.
— Ce petit garçon s’est dit : « Je vais la réparer, moi ! » Il n’y connaissait rien, mais il s’est formé : il a appris l’horlogerie, les mathématiques, la cosmologie. Et, près de trente ans plus tard, c’est en effet à lui que le maire de Strasbourg a confié la réparation de l’Horloge astronomique.
— Ouah ! fit Arthur.
— Chut ! fit Katell.
Jules avait perdu le fil. Il fit trois pas en arrière et regarda le groupe de visiteurs. En novembre, c’étaient surtout des Alsaciens, souvent de la campagne, venus faire des courses en ville. Mais il y avait aussi quelques touristes étrangers. Il repéra avec amusement trois ecclésiastiques en soutane ; ils n’écoutaient pas le guide, mais inclinaient comiquement la tête pour déchiffrer le Baedeker4 que tenait l’un d’eux. À côté d’eux, une jeune fille dessinait sur un grand carnet de croquis. Près du Pilier des Anges, une jeune femme aux cheveux courts bouclés, habillée d’un manteau de laine, un sac de cuir jaune serré contre elle, avait un air étonnamment grave en examinant l’Horloge. Jules ressentit une curieuse impression de déjà-vu. « Elle me rappelle quelqu’un, mais, non, je ne vois vraiment pas, c’est bizarre… »
— Jean-Baptiste Schwilgué, puisqu’il s’agit de lui – rappelez-vous ce nom – est le génial inventeur de la troisième horloge. Vous voyez son portrait à gauche au premier étage, c’est l’homme qui semble réfléchir. Aidé d’une trentaine d’ouvriers, il installe ses mécanismes ingénieux, ses cadrans et des automates supplémentaires dans ce buffet, qu’il remanie d’ailleurs, pendant quatre ans de chantier. Et c’est finalement à la fin de 1842 que l’horloge peut enfin redémarrer. Elle ne s’est jamais arrêtée depuis !
Le guide montra solennellement les aiguilles sur le cadran central.
— Mais je parle, je parle et le temps passe. Dans quelques secondes va démarrer ce que vous attendez tous : la mise en route des automates pour cette heure de midi à Strasbourg.
Ding ! Les visiteurs tournèrent la tête.
— Regarde, c’est l’ange qui frappe. À gauche de la pendule, là ! dit Arthur.
Dong !
— C’est la mort qui répond, s’exclama Arthur.
— Le squelette, là-haut ! Il cogne avec un os ! s’exclama Samara.
Ding, dong, ding, dong !
— Et l’autre ange retourne son gros verre, dit Katell.
— C’est un sablier, dit Samara.
Le guide pointa le doigt en l’air.
— Et maintenant, la Mort sonne les douze coups de midi pendant que passe devant elle – vous le voyez là-haut ? – un vieil homme. Il fait partie des quatre statuettes qui symbolisent les quatre âges de la vie : un enfant, un jeune homme, un homme mûr, un vieillard. Elles passent chacune à son quart d’heure, puis toutes à l’heure pile.
Dong, dong, dong, dong. La jeune femme contre le Pilier formait les chiffres silencieusement sur ses lèvres.
— Douze ! Et maintenant, un étage plus haut, devant le Christ qui va les bénir…
— Les apôtres ! s’exclama Arthur.
Jules vit les Hoff et les Meyer se rapprocher d’un pas. Les visiteurs suspendaient leur souffle. Le guide monta d’un ton.
— Les apôtres en effet. Les douze compagnons de Jésus. Dans quelques secondes… Les ap…
Rien.
Les petites silhouettes, là-haut devant le Christ, ne bougeaient pas d’un pouce. Le guide s’épongea le front.
— Les apôtres ? Qu’est-ce qui se passe ?
Les visiteurs se regardèrent, éberlués.
— C’est cassé ! dit Katell.
— C’est coincé ! dit Arthur.
— Impossible ! dit le guide.
Jules écarquilla les yeux. Ce que tous constataient, en tout cas, en ce 8 novembre 1931, fête de saint Godfroy, évêque d’Amiens, et anniversaire d’un détective alsacien, c’est que pour la première fois depuis décembre 1842, l’extraordinaire horloge astronomique de Jean-Baptiste Schwilgué venait bêtement de tomber en panne.

L’aube se devinait à peine derrière les carreaux. L’homme poussa la porte de son atelier, s’assit à sa table de travail. Il pesta : la servante avait encore déplacé deux de ses livres. Il les remit en place en grommelant.
Ses dessins d’hier soir étaient là, sur la table. Il les regarda longuement, sans bouger, sans sourciller. Seuls ses yeux balayaient systématiquement les épures.
Tout à coup, il sursauta. Oui, là, c’était là. C’était cela qui avait troublé son sommeil cette nuit, qui l’avait fait se tourner et se retourner si longtemps dans ses draps. Une maladresse. Une peccadille, certes. Ce n’était rien, mais c’était tout. Dans le sablier du temps, aucun grain ne peut rester indéfiniment immobile.
Il eut un bref sourire et plongea sa plume dans l’encrier.

La plage était déserte en cette fin de nuit. Des vaguelettes couraient tour à tour sur le sable, dans des allers-retours sans espoir. Au loin, une faible musique : une fin de fête désenchantée ?
Il retira ses chaussures, les posa sur le sable, entra dans les vagues jusqu’aux chevilles. La fraîcheur de l’eau le surprit agréablement. Il contempla l’horizon, où l’aube jetait de grands à-plats roses et bleus.
Combien avait-il perdu cette nuit ? Il serait toujours temps de compter. L’argent, depuis leur arrivée ici, lui fuyait des mains comme le sable entre les doigts.
Il pensa à la chambre d’hôtel, à la femme qui y dormait. Il ferait bon s’allonger auprès d’elle et se laisser glisser dans la mer du sommeil. Pourquoi ne s’y décidait-il pas ?

CHAPITRE II
BELLES MÉCANIQUES & EMPRUNTS RUSSES
Strasbourg, mardi 10 novembre 1931
— Merci beaucoup, madame Muckensturm.
La logeuse des Meyer était aujourd’hui d’humeur badine. Jules l’avait entendue chantonner toute la matinée derrière le comptoir de son magasin d’articles pour fumeurs. Il fallait le traverser pour rejoindre les deux petites pièces humides qui constituaient l’agence «Jules Meyer & Cie». Il l’avait surprise rêveuse, empilant des paquets de cigarettes comme si elle faisait un château de cartes, quand il était allé chercher un café dans son appartement, deux étages plus haut. Il l’avait même vue esquisser un pas de danse devant le miroir qu’elle proposait à ses clients pour vérifier si la forme d’une pipe ou d’un fume-cigarette convenait à leur visage.

Notes
1 L’ancêtre des Dernières Nouvelles d’Alsace.
2 Une riche potée alsacienne de trois viandes marinées dans du vin blanc (bœuf, porc et mouton) cuites plusieurs heures au four dans une terrine fermée avec des pommes de terre, des carottes, des oignons et des poireaux. Le Beckeoffe tire son nom du four de boulanger dont profitaient les familles pour cuire leur potée.
3 Le radical Camille Dahlet et le communiste Jean-Pierre Mourer, tous deux autonomistes, ont été députés du Bas-Rhin de 1928 à 1940. Le socialiste Jacques Peirotes a été député de 1924 à 1932 et maire de Strasbourg de 1919 à 1929 (voir Opération Shere Kahn, dans la même collection).
4 Les guides Baedeker, créés par le libraire et écrivain allemand Karl Baedeker (1801-1859), reliés de toile rouge et au format poche, ont été au XIXe et au début du XXe siècle les plus connus des guides de voyage européens.

À propos de l’auteur
FORTIER_Jacques_2_DRJacques Fortier © Photo DR

Jacques Fortier a été journaliste au Nouvel Alsacien, à France Bleu Alsace, aux Dernières Nouvelles d’Alsace et correspondant du Monde à Strasbourg. Il est membre de la société d’études holmésiennes Les évadés de Dartmoor, et collabore à sa revue le Carnet d’écrou. (Source: Le Verger Éditeur)

Page Wikipédia de l’auteur
Page Facebook de l’auteur
Compte Instagram de l’auteur

Mes livres sur Babelio.com


Focus Littérature

Tags
#lemaitredeshorloges #JacquesFortier #levergerediteur #hcdahlem #roman #RentréeLittéraire2023 #litteraturefrancaise #litteraturecontemporaine #Alsace #polar #thriller #litteraturepoliciere #rentree2023 #RL2023 #livre #lecture #books #blog #littérature #bloglitteraire #lecture #jaimelire #lecturedumoment #lire #bouquin #bouquiner #livresaddict #lectrice #lecteurs #livresque #lectureaddict #litterature #instalivre #livrestagram #unLivreunePage #writer #reading #bookoftheday #instabook #litterature #bookstagram #book #bookobsessed #bookshelf #booklover #bookaddict #reading #bibliophile #bookstagrammer #bookblogger #readersofinstagram #bookcommunity #reader #bloglitteraire #aupouvoirdesmots #enlibrairie

Publicité

La vie extraordinaire de mon auto

FLEISCHER_la_vie_extraordinaire-de_mon_auto  RL_hiver_2021

En deux mots
Après avoir acheté un modèle rare de voiture, un étudiant va vivre avec son nouveau véhicule quelques expériences bizarres et faire la rencontre de personnages tout aussi déjantés. Ou comment au volant d’une Viktorie Type A de 1939, on voit la vie d’un autre œil.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

Comment sa voiture a changé sa vie

Alain Fleischer nous propose un conte pétaradant. Au volant d’un modèle rare de voiture, une Viktorie Type A de 1939, un étudiant va voir sa vie bouleversée et rencontrer quelques personnages hauts en couleur.

« VIKTORIE Type A, 1939. Modèle rare. Mécanique parfaite. Peinture et intérieur d’origine. Première main. Historique connu. État concours. Contrôle technique OK. Aucun frais à prévoir. Part toutes distances. Prix à débattre…» Comme souvent en matière de voiture, tout commence par une petite annonce. Dans ce roman, c’est un étudiant qui la découvre dans la revue automobile qu’il consulte assidument, et décide de l’acheter. Car il imagine que ce modèle produit à quelques centaines d’exemplaires seulement en Moravie à l’orée de la Seconde guerre mondiale est un bon placement, surtout au prix proposé.
En fait, il vient d’acquérir bien plus qu’une voiture de collection. Comme le lui explique son ex-propriétaire, son auto a déjà connu une histoire peu ordinaire et il ne doute pas que l’aventure se poursuive. Il ne va pas tarder à voir sa prédiction se confirmer.
Après avoir remarqué une rayure sur le flanc de la voiture garée en bas de chez lui, il va devoir constater qu’apparemment cette dernière a disparu mystérieusement. Puis il va trouver un PV pour stationnement illicite sur son pare-brise, et se rendre compte que le véhicule avait bougé d’un bon mètre, bien qu’il ne s’en soit pas servi. Mais c’est quelques semaines plus tard, à la faveur d’une première sortie sur les bords de Marne, que le mystère va s’épaissir. Justine, au volant de sa fiat 500, va emboutir la Viktorie avant de finir dans le lit de notre narrateur, pour un pont du premier mai torride. Là encore, il ne faut voir qu’une coïncidence que l’accrochage se déroule à quelques mètres de Charenton où le Marquis de Sade fut emprisonné après avoir publié Justine ou les Malheurs de la vertu. En reprenant le volant, il doit admettre qu’une nouvelle autoréparation a eu lieu. Il recontacte alors Samuel Stubbs, le premier propriétaire du véhicule, pour tenter de comprendre. Le nonagénaire, horloger et vendeur de sex-toys à Montmartre va alors lui raconter ses trois vies et celles de sa voiture, affectueusement baptisée Vikie. Son premier fait de gloire est d’avoir servi à la libération de Paris par les FFI, sans une égratignure.
Son nouveau propriétaire est-il particulièrement maladroit ou bien joue-t-il de malchance? Toujours est-il qu’en quelques jours déjà trois accidents se produisent. Dans la pente montmartroise où il s’était garé, une nouvelle voiture l’accroche. Cette fois ce sont quatre sœurs noires, aussi belles que joyeuses, qui sortent constater les dégâts et proposent de confier Vikie à leur oncle, «sorcier de la mécanique», tout en proposant de l’emmener faire la fête avec elles. Au réveil, dans son lit, il lui semble «que les lois de la réalité avaient changé, comme faussées par une sorte de magnétisme inconnu qu’aurait dégagé ma Viktorie Type A de 1939, depuis qu’elle était entrée dans ma vie, ou que j’étais entré dans la sienne.»
Et effectivement, la multiplication des coïncidences aurait dû lui mettre la puce à l’oreille. Comme sa boulangère-pâtissière, chargée de surveiller la voiture, il va croiser de fort nombreuses personnes s’appelant Pessoa, y compris le détective qu’il engage pour tenter d’éclaircir les mystères autour de son auto. Mais ce dernier tient davantage du psy que du fin limier. Alors notre étudiant décide de partir pour Bratislava où fut construite son auto.
Si vous aimez les histoires qui mêlent le fantastique à un brin d’érotisme, avec un solide fond historique et un style joyeux, alors n’hésitez pas à suivre Alain Fleischer. Car l’épilogue vous réservera encore de belles surprises, du cité du transhumanisme et du Corps augmenté!

La vie extraordinaire de mon auto
Alain Fleischer
Éditions Verdier
Roman
256 p., 16,50 €
EAN 9782378560904256
Paru le 7/01/2021

Où?
Le roman est situé en France, principalement à Paris et en région parisienne, notamment à Saint-Maur, Nogent, Charenton, Joinville-le-Pont, Gennevilliers. On y évoque aussi la Moravie et Bratislava.

Quand?
L’action se déroule de nos jours, avec des retours en arrière jusqu’en 1939.

Ce qu’en dit l’éditeur
Comme certains romans d’humeur libertine, ne s’interdisant ni l’érotisme, ni les fantaisies de l’imagination, ni l’humour, celui-ci prend parfois des allures spéculatives. Dans cette vie extraordinaire d’une auto, conte philosophique et de science-fiction, c’est surtout de l’humain qu’il s’agit, face à certaines interrogations de notre époque.

Les critiques
Babelio 
Lecteurs.com 
L’Humanité Dimanche (Vincent Roy) 
L’Opinion (Bernard Quiriny) 
Le Matricule des Anges (Jérôme Delclos) 

Alain Fleischer est l’invité de «Au pied de la lettre», l’émission littéraire de L’Humanité © Production Journal l’Humanité

Les premières pages du livre
« « VIKTORIE Type A, 1939. Modèle rare. Mécanique parfaite. Peinture et intérieur d’origine. Première main. Historique connu. État concours. Contrôle technique OK. Aucun frais à prévoir. Part toutes distances. Prix à débattre… », tels avaient été les termes – à peu près, si je me souviens bien, car c’était il y a quelque temps – de la petite annonce parue dans les pages de vente de voitures d’occasion de l’hebdomadaire La Vie de l’auto que j’allais chercher chaque jeudi au kiosque à journaux. Je ne me doutais pas alors que, par la suite, et continuant d’aller chercher chaque jeudi l’hebdomadaire La Vie de l’auto au kiosque à journaux, par habitude comme on achète chaque jour le journal pour y lire les dernières nouvelles du monde, je penserais si souvent au titre à première vue anodin de ce canard pour passionnés d’automobiles, qui rêvent à l’acquisition d’une de ces voitures anciennes dont on peut dire en effet qu’elles ont eu une vie. C’était quelque vingt ans après la voiture à pédales en tôle rouge, le bolide de marque Euréka Super Junior, avec lequel, dans mon enfance, j’avais fait Paris-Nice (bien avant que soit complétée l’autoroute A7), à fond la caisse en simples allers-retours dans le couloir de l’appartement familial, long d’une trentaine de mètres avec, pour les demi-tours, la salle de bains à un bout, la cuisine à l’autre. À l’époque, je savais conduire avant de savoir lire, et je ne pouvais connaître le beau texte de Paul Morand Route de Paris à la Méditerranée, de 1931. Une vingtaine d’années plus tard, j’étais à la recherche de ma première automobile pour grandes personnes, sans être devenu pour autant un adulte raisonnable. À vingt-quatre ans, je terminais mes études en architecture à l’École des beaux-arts, je venais de gagner mon premier salaire en faisant des traductions techniques – aéronautique : conception d’un hydravion quadriréacteur ; travaux publics : chantier de construction d’un barrage hydroélectrique dans la vallée du Nil en Égypte ; brevets d’invention : fourchette tournante pour spaghettis, détecteur d’escargots pour cueillette après la pluie d’automne… – mieux rémunérées que les travaux sur les textes administratifs, politiques ou littéraires. Je m’étais jeté sur les annonces de voitures d’occasion, à la rubrique « petits prix » : modèles communs, déjà anciens et démodés, avec un gros kilométrage au compteur, et des pneus usés à soixante-dix pour cent. La voiture que j’avais repérée, proposée dans les termes que j’ai dits, avait été fabriquée quarante ans avant ma naissance par un petit constructeur d’Europe centrale, réquisitionné par l’occupant nazi pendant les années quarante pour produire des véhicules militaires, et qui n’avait pas survécu à la guerre. Si le modèle était qualifié de « rare », ce n’était pas du fait de son caractère exceptionnel ni de son histoire : il ne s’agissait pas d’une de ces automobiles prestigieuses, berlines fabriquées à la main pour mariages de princesses britanniques, ou décapotables de sport pour une fin tragique au cinéma, recherchées par les amateurs, et dont la cote ne cesse de grimper jusqu’à concurrencer celle d’œuvres d’art célèbres. La rareté venait du fait que la marque Viktorie n’avait pas existé longtemps, et que le modèle Type A n’ayant eu aucun succès, sa production avait été abandonnée après que seulement quelques centaines d’exemplaires furent sortis de l’usine, quelque part dans la banlieue d’Ostrava, en Bohême. L’histoire éphémère de cette marque oubliée était plutôt dissuasive pour tout acheteur sensé, mais elle n’avait pas dissuadé un être aussi peu sensé que moi dans ses passions d’enfance. C’était donc un modèle ordinaire, une « entrée de gamme », comme disent les vendeurs d’aujourd’hui, avec leur diplomatie à gros sabots, pour éviter le « bas de gamme » désobligeant à l’égard d’un client potentiel, le type de véhicules qui ne prend jamais de valeur et qui, le plus souvent, finit à la casse, y rejoignant la multitude rouillée et cabossée de ses semblables, sans que nul verse une larme. Dans un autre domaine, je suis aussi du genre à préférer un bâtard sans collier, qui ne ressemble à rien – œil au beurre noir et pelage aux couleurs de camouflage –, offert sans garantie par la SPA, à un chien de race sorti tout toiletté d’un élégant chenil, avec son pedigree aristocratique et ses certificats de vaccination.
L’annonce avait été passée par un garage de la grande banlieue parisienne – départements malfamés : 93 ou 94 ? –, pour le compte de celui qui avait mis la voiture en dépôt, le premier propriétaire et le seul, désormais trop âgé pour conduire, à qui le permis avait été retiré après qu’il eut pris cinq jours de suite le même sens interdit dont il refusait l’établissement dans sa rue à Montmartre, et qui avait dû faire emporter le véhicule par une dépanneuse, comme j’allais l’apprendre par la suite. Malgré son âge, cette Viktorie était donc une « première main », comme on dit, ce que les acquéreurs de voitures d’occasion apprécient avec la petite satisfaction de devenir le premier après celui de la première fois, une sorte de numéro 1 bis. Certains hommes, avec une vulgarité propre à notre époque et à notre société, éprouvent ce même sentiment dans le domaine des relations amoureuses – faute d’avoir été le premier, être le premier après celui de la première fois –, mais je récuse avec dégoût tout rapprochement entre le rapport d’un homme à une femme et son rapport à une automobile. L’amour des femmes ne se compare à aucun autre sentiment pour tout homme qui ne peut concevoir la vie sans elles, telle est mon intime conviction. Dans la rédaction de l’annonce, l’indication « Historique connu », qui faisait suite à « Première main », était d’ailleurs incongrue car, en général, ce qu’on entend par l’historique d’une voiture est la suite de ses propriétaires successifs, les mains entre lesquelles elle est passée, avec leurs identités anonymes ou parfois célèbres – la vulgarité masculine, propre à notre époque et à notre société, atteint son comble avec le genre de rouleur de mécaniques qui se complaît à évoquer l’historique de sa nouvelle conquête –, ainsi que le compte rendu des éventuels accidents, réparations, restaurations ou transformations qu’elle a pu subir (la voiture). Fallait-il comprendre qu’en ayant appartenu à un seul propriétaire, l’auto avait eu un destin limpide et sage ou, au contraire, une vie agitée, pleine de péripéties, mais tout cela ayant été fidèlement consigné dans un journal de bord, sorte de certificat de bonne conduite ? La mention « État concours » semblait indiquer que la voiture était susceptible de concourir. Mais à quoi ? Les concours d’élégance automobile, sortes de défilés de mode, exposent surtout l’élégance du conducteur, de sa passagère et du chien, avec une robe assortie à celle de madame, ou l’élégance de la conductrice, de son passager et du chien, avec un collier assorti aux chaussures de monsieur, tout un mode de vie dont certains font parade : très peu pour moi. Il n’y avait dans ma vie ni élégance, ni « madame », ni chien. « Contrôle technique OK » : je n’ai entendu cette expression que dans la bouche de mes camarades d’école, avec une connotation nettement grivoise, généralement associée à une allusion aux heures de vol : la vulgarité de certains hommes propre à notre époque et à notre société est déjà présente chez des jeunes gens dignes de leurs papas… « Part toutes distances » : cette indication semblait un encouragement à changer de crémerie, comme on dit, à s’élancer dans un road-movie pour aller chercher une nouvelle vie à l’autre bout du monde. Pourquoi pas, avais-je dû me dire, mais alors j’aurais plutôt pensé au fin fond de l’Amazonie et un aller simple sur une compagnie aérienne low cost eût été plus efficace. « Prix à débattre » : sur ce point, le débat serait bref et c’était simple, il fallait que le vendeur acceptât la somme dont je disposais, sans un centime de plus. Dans les termes de l’annonce, rien ne correspondait en fait à mes besoins réels, mais tout réveillait en moi un obscur désir. Mieux encore : maintenant, c’était cette auto que je voulais, celle-là et nulle autre, avec toutes les promesses de la petite annonce dont je ne savais que faire. Tels sont le mystère et la fantaisie déraisonnable d’une passion que l’on se découvre.
La voiture avait été reléguée par le garagiste au fond d’un terrain vague, livrée aux intempéries, là où elle servait de planque à des dealers du coin, à l’arrière du hall d’exposition et du hangar couvert où étaient présentés dans des conditions plus flatteuses, des véhicules plus récents, d’un meilleur rapport à la vente. D’ailleurs, alors que nous nous faufilions parmi les modèles rutilants, en évitant ne serait-ce que de les effleurer, le garagiste, récalcitrant à s’occuper de cette affaire, avait tenté de m’intéresser à une voiture « plus sérieuse », disait-il avec son accent portugais, dont le prix forcément plus élevé deviendrait abordable par obtention d’un crédit, sans compter, ajoutait-il avec son accent portugais, qu’une automobile bon marché à l’achat peut s’avérer coûteuse à l’usage.

Je ne voulais rien entendre à tous ces beaux arguments, même si l’accent portugais les rendait sympathiques. Mon idée était faite, mon désir s’était fixé. J’étais comme un gamin qui a repéré un jouet accessible avec l’argent de sa tirelire, qui ne veut que celui-là, et sur-le-champ. Quand nous sommes arrivés devant la voiture annoncée, je l’ai reconnue aussitôt, elle était déjà mienne en quelque sorte. Sa peinture bleu pâle – ce bleu layette qu’on attribue aux bambins de sexe mâle, pour les préparer au bleu marine, tandis que le rose est donné aux fillettes pour les préparer à rougir, et alors qu’il reste une couleur à trouver pour les autres : bouton d’or ? lilas ? –, l’absence de toute égratignure et du moindre point de rouille m’ont comblé au premier coup d’œil. La voiture ressemblait vaguement à une Ford Tudor Sedan des années quarante ou à une Peugeot 203 de l’immédiat après-guerre. À chaque époque correspond une esthétique automobile, qui illustre une idée de la beauté, une conception de l’aérodynamisme et des performances, comme je le savais pour avoir collectionné les Dinky Toys. La Viktorie paraissait aussi neuve que toutes les occasions datant à peine de quelques mois, parmi lesquelles nous étions passés. Seul le style désuet de sa carrosserie pouvait indiquer son âge. Le garagiste grincheux, avec son accent portugais jusque dans son ronchonnement, agacé que le seul client du jour se soit présenté pour cette voiture-là, était visiblement pressé de se débarrasser d’une affaire aussi peu juteuse. Il observait mes réactions à la dérobée, n’osant croire qu’il tenait le pigeon à qui refiler la vieille guimbarde dont il regrettait sans doute d’avoir accepté le dépôt. Elle semblait même un sujet de gêne et de honte à ses yeux, parmi le parc de voitures encore sous garantie qui faisait sa fierté d’honorable négociant portugais, avec pignon sur route départementale. Alors que je n’ai ni le goût ni le moindre talent pour le marchandage, il ne me fut pas difficile de négocier un prix coïncidant au centime près à la somme dont je disposais. Ce fut là le signe décisif que cette auto m’était prédestinée, que j’en étais l’acquéreur « sur mesure », la « seconde main » qu’elle attendait depuis toujours. Ou du moins depuis que, restée jeune, elle avait été abandonnée par un vieillard. Je n’ai même pas demandé à faire un essai, impatient que la voiture fût dégagée de l’endroit ingrat où elle croupissait, à l’écart des autres et comme en quarantaine, ce qui réveillait mon affection spontanée pour les mal-aimés de toute espèce. Sans chercher à vérifier que l’indication « Part toutes distances » de l’annonce était honnête, et sans projet immédiat de me lancer sur les traces de la Croisière jaune, je me considérerai déjà heureux, me disais-je, si la voiture me ramène chez moi, depuis cette banlieue située au diable, et sans que j’aie à prendre en sens inverse le RER puis l’autobus de mon trajet pour venir la trouver. Le garagiste, déçu que j’aie dédaigné ses propositions avec son accent portugais, m’a lancé avec sa gentille ironie portugaise : « En tout cas, cher monsieur, je peux vous garantir qu’elle ira au moins jusque chez vous ! », et ces mots suivis par un ricanement dissuasif pour tout acheteur lucide, me transportèrent même jusque sur les rives du rio Douro : cet homme s’appelait Fernando Pessoa, et j’imaginais qu’il avait eu d’autres vies avant d’être vendeur de voitures d’occasion en banlieue parisienne. Simple coïncidence, me suis-je dit. En tout cas, il semblait avoir lu dans mes pensées, et j’avais été assez confiant sur son honnêteté pour m’amuser de cette garantie dérisoire dont l’humour eût alerté un autre que moi. Si, des années après, j’en suis à raconter l’histoire de cette automobile, c’est qu’en effet le jour de l’achat elle me ramena à bon port et que j’avais eu raison de faire confiance à Pessoa. Dans le cas contraire, l’histoire se serait arrêtée là, sur une cuisante déconvenue. Cela m’aurait servi de leçon et je n’en aurais pas fait de littérature. Mais il a fallu bien d’autres événements après ce premier exploit qui était la moindre des choses, comme on dit, pour que la suite de l’histoire méritât d’être racontée. Quoi qu’il en soit, depuis cette première fois, je n’ai cessé d’éprouver une sensation voluptueuse en prenant place sur la banquette au tissu immaculé, introduisant en douceur la clé de contact dans le tableau de bord, sollicitant le démarreur pour entendre aussitôt, dès la pression du doigt, le ronronnement feutré et câlin du moteur, puis en posant les mains sur le volant avec la douceur d’une caresse, avant de relâcher le frein et d’aller en tâtonnant chercher le levier de vitesses de cette demoiselle d’un autre temps, là où je savais le trouver, comme parfois on tâtonne sur un corps inconnu, sous les vêtements ou dans le noir, connaissant par intuition ou par expérience la place de ce que l’on veut atteindre. Une sorte d’intimité et de connivence naturelles s’étaient installées entre elle et moi dès la première fois.
L’apparition de cette automobile dans ma vie suscita l’étonnement de mon entourage, parfois la désapprobation et l’inquiétude des proches qui, trop souvent, se mêlent de ce qui ne les regarde pas, surtout lorsqu’ils font de la morale. De l’avis général, plutôt que de dépenser mon premier salaire pour satisfaire un caprice d’enfant, il eût été plus sage d’attendre d’avoir mis de côté un peu plus d’argent afin d’acheter un véhicule plus récent, moins excentrique, mieux assorti au jeune homme moderne qu’on voyait en moi, évitant en outre le risque des mauvaises surprises, des ennuis mécaniques et du coût prohibitif des réparations, sans compter la désespérante recherche de pièces de rechange désormais introuvables. « On ne fait pas ses premiers tours de roue de conducteur avec un tacot de dessin animé digne de Donald », me disaient certaines bonnes âmes qui critiquaient mon affection pour les personnages de Walt Disney (not politically correct, reprochaient-ils avec leur bien-pensance made in USA). D’autres considéraient au contraire qu’une vieille voiture sans valeur était un bon choix, car elle n’aurait rien à craindre des bobos provoqués par la maladresse d’un pilote débutant. Les plus distinguées de mes connaissances qui, par esprit conservateur, avaient automatiquement applaudi à mon choix d’une voiture d’époque, comme on dit – l’époque important peu, pourvu qu’elle ne fût pas la nôtre –, affirmaient qu’un vieux cheval est la monture qui convient à un apprenti cavalier, en me rappelant le vieil adage : « À jeune cheval, vieux cavalier. À jeune cavalier, vieux cheval. » J’entendais ces diverses opinions sans leur accorder trop d’importance – à vrai dire aucune –, n’ayant obéi qu’à mon impatience de réaliser le rêve de posséder une automobile au plus vite, et sans désir qu’elle fût le dernier modèle à la mode, de la couleur choisie par tous, dans un conformisme moutonnier unanimement plébiscité comme le vrai chic.
Dès que la voiture avait été sortie de la boue du terrain vague pour rejoindre une chaussée carrossable, le garagiste, trop content de s’en débarrasser, et ne prenant pas le risque que je change d’avis, n’avait même pas voulu revenir à son bureau pour remplir les papiers de la transaction. Nous avions accompli ces formalités à la hâte, au comptoir du bistrot devant lequel l’auto avait été garée. Le patron était lui aussi un Portugais, et il s’appelait lui aussi Pessoa. « Abelardo Pessoa ! » s’était-il présenté en me tendant la main avant de nous servir deux verres de porto. Simple coïncidence, m’étais-je dit. Sur le trottoir, Pessoa Fernando m’avait poussé à prendre le volant et à m’éloigner au plus vite en m’encourageant par ces mots, prononcés avec son charmant accent portugais : « L’ancien propriétaire est un maniaque… il était allé la chercher à l’usine, Dieu sait où… Pendant quarante ans, il n’a rien fait d’autre que la bichonner… On peut dire qu’elle est neuve comme une jeune vierge… » Et le propos avait été ponctué par un bel éclat de rire portugais. Une telle attitude et de telles paroles auraient semblé suspectes à un autre que moi, car n’y a-t-il pas tant de vendeurs d’objets d’occasion qui prétendent (même avec un accent autre que portugais : tunisien, italien ou belge par exemple): « C’est comme neuf : ça n’a jamais servi », avant qu’apparaisse sous un maquillage sommaire l’évidence d’un usage prolongé et de l’usure consécutive. J’étais bien trop aveuglé par mon plaisir, pour me sentir coupable de naïveté ou de légèreté. Et mon contentement s’était encore accru quand j’avais rejoint l’autoroute pour regagner Paris : parmi le flot des voitures appartenant à des gens sérieux, dont la personnalité se révèle et s’exprime par leur comportement au volant, j’ai eu réellement l’impression que l’auto était neuve, et qu’avec moi elle roulait à nouveau pour la première fois. Mon trajet jusqu’au stationnement près de l’immeuble où je logeais s’est passé comme dans un rêve. »

Extrait
« Il me semblait soudain que les lois de la réalité avaient changé, comme faussées par une sorte de magnétisme inconnu qu’aurait dégagé ma Viktorie Type A de 1939, depuis qu’elle était entrée dans ma vie, ou que j’étais entré dans la sienne. J’ai aussitôt appelé le sorcier de la mécanique qui m’a confirmé qu’en tant qu’assureur de ses quatre nièces, il assumait la responsabilité des dommages dont elles étaient coupables, et que ma voiture serait réparée le lendemain. » p. 72

À propos de l’auteur
FLEISCHER_alain_©jean-luc_BertiniAlain Fleischer © Photo Jean-Luc Bertini

Alain Fleischer est né en 1944 à Paris, il est cinéaste, écrivain, plasticien et photographe. Il dirige actuellement le Studio national des arts contemporains du Fresnoy. (Source: Éditions Verdier)

Commandez le livre en ligne sur Amazon (il suffit de cliquer sur la couverture)

Mes livres sur Babelio.com


Focus Littérature

Tags 
#lavieextraordinairedemonauto #AlainFleischer #editionsverdier #hcdahlem #roman #RentréeLittéraire2021 #litteraturefrancaise #litteraturecontemporaine #VendrediLecture #rentréedhiver #RentréeLittéraireJanvier2021 #rentreelitteraire #rentree2021 #RL2021 #livre #lecture #books #blog #littérature #bloglitteraire #livre #roman #lecture #jaimelire #lecturedumoment #lire #bouquin #bouquiner #livresaddict #lectrice #lecteurs #lecteurscom #bouquiner #livresque #auteur #jaimelire #lectureaddict #litterature #instalivre #livrestagram #unLivreunePage #writer #reading #bookoftheday #instabook #Bookstagram #Book #Bookobsessed #bookshelf #Booklover #Bookaddict

Encre sympathique

MODIANO_encre_sympathique

  RL_automne-2019

 

En deux mots:
Ayant travaillé quelques temps pour le compte d’une agence de détectives, le narrateur se souvient d’un dossier qu’il n’avait pu mener à bien et repart à la recherche de Noëlle Lefebvre. L’occasion de revisiter Paris et les méandres de sa mémoire.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Modianesque en diable

Dans ce court roman, le Nobel de littérature continue à jouer sa partition avec maestria. Il nous entraîne sur les pas de la mystérieuse Noëlle Lefebvre, rassemblant petit à petit les pièces d’un puzzle fascinant.

Bien entendu, c’est toujours le même roman et bien entendu, il est à chaque fois différent. Les inconditionnels de Modiano y retrouveront sa plume délicate et ses promenades dans Paris, sa volonté de retrouver ses souvenirs et celle d’en faire œuvre littéraire. Quant à ceux qui n’ont pas encore goûté au plaisir de lire l’un des romans du dernier Prix Nobel de littérature français, ils pourront sans crainte découvrir son univers avec ce court roman, qui doit être son trentième.
Tout commence cette fois avec un document retrouvé, une carte de poste restante au nom de Noëlle Lefebvre.
Le narrateur se souvient qu’il a travaillé quelques mois pour le compte de l’agence de détectives La Hutte et qu’on lui avait confié la tâche de retrouver la trace de cette jeune fille mystérieusement disparue. Une première pièce d’un dossier qu’il va rouvrir et tenter de reconstruire.
Outre cette carte de poste restante, quelques lieux fréquentés par la jeune femme, quelques personnes de son entourage vont apparaître. Un certain Roger Behaviour, le 13 de la rue Vaugelas ou le 85 rue de la Convention, la maroquinerie Lancel proche de l’Opéra où Noëlle a travaillé, le Dancing de la Marine, le Cours d’art dramatique Paupelix, Gérard Mourade «Il faudrait encore des détails qui sembleraient à première vue sans aucun rapport les uns avec les autres, jusqu’au moment où de nombreuses pièces du puzzle seraient rassemblées. Et il ne resterait plus qu’à les mettre en ordre pour que l’ensemble apparaisse à peu près au grand jour.»
Comme dans Souvenirs dormants ou encore Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, la magie opère, à tel point que cette enquête – qui est d’abord une quête de la vérité, de la permanence des souvenirs, de la façon de les présenter – va devenir secondaire par rapport au travail de l’écrivain. «À mesure que je tente de mettre à jour ma recherche, j’éprouve une impression très étrange. Il me semble que tout était déjà écrit à l’encre sympathique [… ] Et, en définitive, cela me permettra peut-être de mieux me comprendre moi-même.
Voilà pourquoi Noëlle Lefebvre l’obsède à ce point, voilà pourquoi le lecteur ne tarde pas à le suivre dans cette recherche. Car il pressent qu’il s’agit ici de trouver les clés de l’existence, le moteur qui nous fait avancer, les réponses aux seules questions qui valent. Et sans dévoiler l’épilogue de ce roman, on trouvera au hasard d’une réflexion – «J’ai peur qu’une fois que vous avez toutes les réponses votre vie se referme sur vous comme un piège, dans le bruit que font les clés des cellules de prison» – le secret de l’œuvre modianesque. Et c’est la raison pour laquelle on
se réjouit déjà du prochain livre. Qui, on le sait sera le même. Et sera bien différent.

Encre sympathique
Patrick Modiano
Éditions Gallimard
Roman
144 p., 16 €
EAN 9782072753800
Paru le 03/10/2019

Où?
Le roman se déroule en France, à Paris- On y ajoutera des souvenirs d’Annecy, du Veyrier-du-Lac ou encore d’un château en Sologne, de Vierzon, sans oublier Rome.

Quand?
L’action se situe des années soixante à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
«Et parmi toutes ces pages blanches et vides, je ne pouvais détacher les yeux de la phrase qui chaque fois me surprenait quand je feuilletais l’agenda : « Si j’avais su… » On aurait dit une voix qui rompait le silence, quelqu’un qui aurait voulu vous faire une confidence, mais y avait renoncé ou n’en avait pas eu le temps.»

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com 
Kroniques.com
La Croix
Les Échos (Arnaud Le Gal)
En Attendant Nadeau (Robert Czarny)
Diacritik (Denis Seel)
L’Orient-Le Jour (Denis Gombert)
Blog WODKA 
Blog Miscellanées 
Le réseau Modiano (Revue de presse complète)

INCIPIT (Les premières pages du livre)

« Il y a des blancs dans cette vie, des blancs que l’on devine si l’on ouvre le «dossier»: une simple fiche dans une chemise à la couleur bleu ciel qui a pâli avec le temps. Presque blanc, lui aussi, cet ancien bleu ciel.
Et le mot «dossier» est écrit au milieu de la chemise.
À l’encre noire.
C’est le seul vestige qui me reste de l’agence de Hutte, la seule trace de mon passage dans ces trois pièces d’un ancien appartement dont les fenêtres donnaient sur une cour. Je n’avais guère plus de vingt ans. Le bureau de Hutte occupait la pièce du fond, avec l’armoire aux archives. Pourquoi ce « dossier » plutôt qu’un autre? À cause des blancs, sans doute. Et puis il ne se trouvait pas dans l’armoire aux archives, mais il demeurait là, abandonné sur le bureau de Hutte. Une
«affaire», comme il disait, qui n’avait pas encore été résolue – le serait-elle
jamais? –, la première dont il m’avait parlé le soir où il m’avait engagé « à l’essai »,
selon son expression. Et quelques mois plus tard, un autre soir à la même heure, quand j’avais renoncé à ce travail et quitté définitivement l’agence, j’avais glissé dans ma serviette, à l’insu de Hutte et après lui avoir fait mes adieux, la fiche dans sa chemise bleu ciel qui traînait sur son bureau. En souvenir.
Oui, la première mission que m’avait confiée Hutte était en rapport avec cette fiche. Je devais demander à la concierge d’un immeuble du 15e arrondissement si elle n’avait pas de nouvelles d’une certaine Noëlle Lefebvre, une personne qui posait à Hutte un double problème: non seulement elle avait disparu d’un jour à l’autre,
mais on n’était même pas sûr de sa véritable identité.
Après la loge de la concierge, Hutte m’avait chargé de passer dans un bureau des PTT muni d’une carte qu’il m’avait donnée. Sur celle-ci figurait le nom de Noëlle Lefebvre, son adresse et sa photo, et elle servait à retirer du courrier au guichet de la poste restante. La dénommée Noëlle Lefebvre l’avait oubliée à son domicile. Et puis, je devais me rendre dans un café pour savoir si on y avait vu Noëlle Lefebvre ces temps derniers, m’asseoir à une table et y demeurer jusqu’à la fin de l’après-midi au cas où Noëlle Lefebvre ferait son apparition. Tout cela dans le même quartier et la même journée. La concierge de l’immeuble a mis longtemps à me répondre. J’avais frappé de plus en plus fort à la vitre de la loge. La porte s’est entrouverte sur un visage ensommeillé. J’ai d’abord eu l’impression que le nom «Noëlle Lefebvre» n’évoquait rien pour elle. «Vous l’avez vue récemment?»
Elle a fini par me dire d’une voix sèche: « … Non, monsieur… je ne l’ai pas revue depuis plus d’un mois.»
Je n’ai pas osé lui poser d’autres questions. Je n’en aurais pas eu le temps, car elle avait aussitôt refermé la porte.
Au bureau de la poste restante, l’homme a examiné la carte que je lui tendais.
«Mais vous n’êtes pas Noëlle Lefebvre, monsieur.
— Elle est absente de Paris, lui ai-je dit. Elle m’a chargé de prendre son courrier.»
Alors, il s’est levé et a marché jusqu’à une rangée de casiers. Il a examiné le peu de lettres qu’ils contenaient. Il est revenu vers moi et m’a fait un signe négatif de la tête.
«Rien au nom de Noëlle Lefebvre.»
Il ne me restait plus qu’à me rendre au café que m’avait indiqué Hutte.
Un début d’après-midi.
Personne dans la petite salle, sauf un homme, derrière le zinc, qui lisait un journal.
Il ne m’a pas vu entrer et il poursuivait sa lecture. Je ne savais plus en quels termes formuler ma question. Lui tendre tout simplement la carte de la poste restante au nom de Noëlle Lefebvre? J’étais gêné de ce rôle que Hutte me faisait jouer et qui s’accordait mal avec ma timidité. Il a levé la tête vers moi.
«Vous n’avez pas vu Noëlle Lefebvre ces jours derniers?»
Il me semblait que je parlais trop vite, si vite que j’avalais les mots.
«Noëlle? Non.»
Il m’avait répondu de manière si brève que j’étais tenté de lui poser d’autres questions concernant cette personne. Mais je craignais d’éveiller sa méfiance. Je me suis assis à l’une des tables de la petite terrasse qui débordait sur le trottoir. Il est venu prendre la commande. C’était le moment de lui parler pour en savoir plus long. Des phrases anodines se bousculaient dans ma tête, qui auraient pu entraîner de sa part des réponses précises.
«Je vais quand même l’attendre… on ne sait jamais avec Noëlle… Vous croyez qu’elle habite encore le quartier?… Figurez-vous qu’elle m’a donné rendez-vous
ici… Vous la connaissez depuis longtemps?»
Mais quand il m’a servi ma grenadine, je n’ai rien dit.
J’ai sorti de ma poche la carte que m’avait confiée Hutte. Aujourd’hui, un siècle plus tard, je me suis arrêté d’écrire un instant à la page 14 du bloc Clairefontaine pour regarder encore cette carte qui fait partie du «dossier». « Certificat d’émission d’une autorisation de réception sans surtaxe des correspondances poste restante. Autorisation nº1. Nom : Lefebvre. Prénom: Noëlle, demeurant à Paris 15e. Rue et No: Convention, 88. Photographie du titulaire. Est autorisée à recevoir, sans surtaxe, les correspondances qui lui sont adressées poste restante.»
La photo est beaucoup plus grande qu’un simple photomaton. Et trop foncée. On ne saurait pas dire la couleur des yeux. Ni des cheveux: bruns? Châtain clair? À la terrasse du café, cet après-midi-là, je fixais avec le plus d’attention possible ce visage dont on distinguait à peine les traits, et je n’étais pas sûr de pouvoir reconnaître Noëlle Lefebvre.»

Extraits
« Il y a des blancs dans une vie, mais parfois ce qu’on appelle un refrain. Pendant des périodes plus ou moins longues, vous ne l’entendez pas et l’on croirait que vous avez oublié ce refrain. Et puis, un jour, il revient à l’improviste quand vous êtes seul et que rien autour de vous ne peut vous distraire. Il revient, comme les paroles d’une chanson enfantine qui exerce encore son magnétisme. Je compte les années et je tente d’être le plus exact possible: à force de recoupements, je dirais que dix ans avaient passé depuis mon bref apprentissage dans l’agence de Hutte et les quelques après-midi où je m’étais rendu à la poste restante sur les traces de cette Noëlle Lefebvre. Et cela, sans résultat. Sauf le mince dossier à la chemise bleu ciel que j’avais conservé et qui n’a même pas l’épaisseur des dossiers de police et de gendarmerie classés sans suite.
Je me trouvais dans la petite boutique d’un coiffeur de la rue des Mathurins. J’attendais mon tour devant une table basse où étaient disposés plusieurs piles de magazines et un annuaire de cinéma. Sur la reliure marron de celui-ci était inscrite l’année de sa parution: 1970. »

« Il faudrait encore des détails qui sembleraient à première vue sans aucun rapport les uns avec les autres, jusqu’au moment où de nombreuses pièces du puzzle seraient rassemblées. Et il ne resterait plus qu’à les mettre en ordre pour que l’ensemble apparaisse à peu près au grand jour. »

« À mesure que je tente de mettre à jour ma recherche, j’éprouve une impression très étrange. Il me semble que tout était déjà écrit à l’encre sympathique. »

À propos de l’auteur
Patrick Modiano, né en 1945, est l’un des plus talentueux écrivains de sa génération. Explorateur du passé, il sait ressusciter avec une précision extrême l’atmosphère et les détails de lieux et d’époques révolues, comme le Paris de l’occupation, dans son premier roman, «La Place de l’étoile», paru en 1968. Avec «Catherine Certitude», il nous fait pénétrer dans l’univers tendre d’une petite fille au nom étrange, dont l’enfance se déroule dans le quartier de la gare du Nord, à Paris, au cours des années 1960. Il est le quinzième écrivain français à recevoir la prestigieuse récompense, le Prix Nobel de littérature, le 9 octobre 2014. Il s’est en outre vu décerner, entre autres distinctions, le Grand prix de la Fondation Prince Pierre de Monaco (1984), le Grand prix de Littérature Paul-Morand de l’Académie française (2000) et le Prix mondial de la Fondation Simone et Cino del Duca (2010). (Source: Éditions Gallimard)

Site Wikipédia de l’auteur

Commandez le livre en ligne sur Amazon (il suffit de cliquer sur la couverture)

Mes livres sur Babelio.com


Focus Littérature

Tags:
#encresympathique #PatrickModiano #editionsgallimard #hcdahlem #roman #unLivreunePage. #livre #lecture #books #littérature #lire #livresaddict #lectrices #lecteurs #lecteurscom #bouquiner #livresque #rentreelitteraire #rentree2019 #RL2019 #auteur #book #writer #reading #RentréeLittéraire2019 #LitteratureFrancaise #MardiConseil

Triangle à quatre

JUNG_triangle_a_quatre

FB_POL_main_livre

Sélectionné pour le « Prix Orange du livre 2019 »

En deux mots:
Élise et Ludovic sont amoureux fous, mais leur couple se brise lorsque Ludovic fait un AVC et meurt. Éric va alors pouvoir bénéficier d’une transplantation cardiaque et poursuivre sa vie de père de famille aux côtés de Bénédicte et de ses enfants Gustave et Amandine. Jusqu’au jour ou Élise rencontre Éric…

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Ce cœur qui bat pour toi n’est pas le mien

Dans ce nouveau roman, Matthieu Jung va faire se rencontrer Élise, qui vient de perdre son mari victime d’un AVC et Éric, qui a bénéficié d’une transplantation cardiaque. Une attirance quasi animale s’empare d’eux.

Élise et Ludovic filent le parfait amour. Entre eux, tout est allé très vite. Ils se sont jetés furieusement l’un contre l’autre, éprouvant une envie folle de frotter leurs épidermes, de faire l’amour. Ce n’est qu’après leurs ébats qu’ils ont fait connaissance. «Ils avaient tout fait à l’envers, comme dans un film dont les scènes auraient été montées dans le mauvais sens. Au premier repas avaient succédé des sorties au spectacle et des confidences échangées sur les berges de la Seine. Un matin, Élise avait reçu des fleurs chez elle. Ils se découvraient chaque jour de nouveaux points communs.»
Ce matin-là, ils seraient bien restés enlacés dans leur lit, mais Ludovic a promis de rejoindre son ami Fabrice pour sa partie de tennis hebdomadaire. Après quelques échanges, il s’effondre sur le court.
«Les urgentistes arrivèrent vite, mais, quand ils prodiguèrent les premiers soins à Ludovic, vingt minutes s’étaient écoulées depuis la survenue de son malaise. L’accident vasculaire cérébral avait causé au cerveau des lésions irréversibles.
À l’hôpital, les médecins ne purent que constater la mort.» Un drame qui va laisser Élise exsangue.
Du côté de l’hôpital Georges Pompidou une course contre la montre s’engage. Un cœur est désormais disponible pour une greffe. Éric, agent d’assurances de 39 ans, est l’heureux élu. Le message espéré le soulage et l’angoisse en même temps. Mais sa transplantation cardiaque se passe bien et après quelques semaines, il peut même recommencer à faire du vélo. Bénédicte, son épouse, et ses enfants Gustave et Amandine voient avec plaisir ses progrès.
Dans son nouveau roman, Matthieu Jung imagine que Éric croise Élise et que, la belle jeune femme éprouve une curieuse attirance pour cet homme au physique plutôt ordinaire. Bis repetita, ils se jettent littéralement l’un sur l’autre avant d’imaginer faire plus ample connaissance. Un SMS laconique va toutefois faire douter Éric des intentions d’Élise: « Monsieur, si vous voulez, on peut se retrouver demain vers 16 h 30 aux Sièges d’Alésia. Élise Pellet. »
En fait, il l’ignore, mais «en une seconde, sa vie vient de changer». Quand ils se rencontrent, Éric oublie Bénédicte et les enfants, tandis qu’Élise retrouve… Ludovic.
Matthieu Jung se base sur la controversée théorie de la mémoire cellulaire pour expliquer ce besoin irrépressible des amants à se retrouver et à frotter leurs épidermes. Apprenant qu’Éric a été transplanté, Élise est sûre que c’est le cœur de Ludovic qui bat dans sa poitrine. Même si le médecin entend la dissuader, elle affirme n’avoir pas besoin d’études scientifiques pour savoir ce qu’elle ressent.
De son côté Bénédicte, qui voit que son mari rajeunit à mesure qu’elle se renfrogne, va engager un détective privé, Guénolé Dumas, pour savoir ce qui se trame.
Qui aura le dernier mot entre Bénédicte et Élise? Qu’en est-il de la théorie de la mémoire cellulaire? Autant de questions qui pimentent la dernière partie de ce roman habilement construit.

Triangle à quatre
Matthieu Jung
Éditions Anne Carrière
Roman
238 p., 18 €
EAN 9782843379314
Paru le 03/01/2019

Où?
Le roman se déroule en France, principalement à Paris et environs, du côté de Malakoff, Clamart, Viroflay, Meudon et Versailles. On y évoque aussi Nantes et Luynes ainsi que Cabourg, mais aussi la Sicile.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Éric, 39 ans, agent d’assurances, a survécu à une transplantation cardiaque. Le jour de cette greffe, Ludovic, le fiancé d’Élise, est mort. On a prélevé son cœur. Élise a sombré dans une grave dépression.
Quelques années plus tard, lorsqu’elle rencontre Éric, elle renaît à la joie.
À cause de cette romance, l’épouse d’Éric, Bénédicte, voit son mari s’éloigner d’elle et décide de se battre.
Mais Élise n’a jamais vraiment fait le deuil de Ludovic. Peu à peu, elle se convainc que c’est son cœur qui bat dans la poitrine d’Éric.
Si elle a raison, l’amour appartient-il au destin? Si elle a tort, se résume-t-il à une farce?
Un seul cœur a changé, et trois vies vont être propulsées dans une ronde terriblement drôle et un brin cruelle où tout le monde s’aime pour les plus mauvaises raisons. On rit beaucoup et, comme dans tous les romans de Matthieu Jung, on admire la capacité de l’auteur à croquer nos vies jusqu’aux pépins pour en extraire l’essence littéraire.

Les critiques
Babelio 
Lecteurs.com 
L’Express (Jérôme Dupuis)


Matthieu Jung présente Triangle à quatre © Production Librairie Mollat

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« – Comme ton cœur bat fort…, dit-elle, l’oreille collée à sa poitrine.
Au creux du berceau des côtes, l’infatigable pompe vendait son bruit assourdi de grosse caisse, sur deux temps, auquel succédait un silence d’une demi-seconde, jusqu’au cognement suivant.
– Ah bon? Pourtant mon toubib trouve que j’ai un pouls lent.
– Je n’ai pas dit vite, j’ai dit fort.
Elle serra le poing.
– On sent que c’est un cœur solide, qui tient le coup. Après quelques secondes, elle ajouta:
– Quand même, quel prodige qu’une vie humaine! L’ensemble des phénomènes qui se produisent simultanément dans un corps pour entretenir son existence… Cette machinerie fragile et perfectionnée…
– C’est vrai. Quand on y réfléchit, la vie humaine est un miracle permanent.
Elle se redressa sur un coude, se mit à caresser le ventre de son homme, lissant la toison implantée en triangle, du pubis au nombril.
– Tu es vraiment sûr que tu as envie d’aller au tennis?
– J’ai promis à Fabrice.
– Appelle-le. dis-lui que tu t’es chopé une gastro. Il y en a plein, en ce moment.
– Je ne sais pas mentir, il va sentir que je pipeaute.
– Envoie-lui un texto.
Il descendit à sa hauteur, embrasse ses aisselles épilées, douces comme des lèvres. Elle avait transpiré. Les effluves sudoraux de la femelle ranimèrent les ardeurs du mâle. Pendant quelques secondes, il fut tenté de céder, mais l’image d’un Fabrice furieux, claquant des services contre un demi-court vide pour se réchauffer et pestant contre les retards répétés de son partenaire, l’en dissuada.
– Non.
Elle bascula sur le dos, avec une moue boudeuse.
– Au moins, tu pourrais jouer le matin, comme ça nos dimanches après-midi ne seraient pas systématiquement amputés.
– Systématiquement amputés… Je rêve! Il est cinq heures et demie. On en a quand même bien profité, de l’après-midi. De toute façon, quand je jouais le matin, tu me demandais de jouer plutôt le soir.
Elle le serra dans ses bras et lui mordit la lèvre inférieure.
– Monsieur, vous avez raison! Votre future épouse est d’une mauvaise foi épouvantable. Mais elle a une bonne excuse: c’est parce qu’elle va se languir de vous.
Il regarda le réveil.
– Voilà, je suis à la bourre… C’est malin.
Il se déplaça vers le bord du matelas, se tourna sur le flanc gauche, plia les genoux, remonta les jambes en mettant ses cuisses à l’équerre, puis, s’appuyant à la fois sur son coude gauche et sur sa main droite, il se redressa latéralement pour se retrouver en position assise.
– Alors, je l’ai bien fait?
– Très bien! Si tout le monde sortait de son lit de cette manière, les gens souffriraient moins du dos.
– Et ton cabinet serait vide.
– Pas nécessairement. Je vois défiler toutes sortes de patients.
Il se dirigea vers l’armoire et en sortit sa tenue de sport. Pendant qu’il déambulait nu dans la chambre, il vit dans leur psyché qu’elle s’adossait au mur pour mieux lui reluquer les fesses. Elle les admirait, aimait à lui répéter qu’elles étaient musclées, adorablement bombées en leur milieu. La sangle abdominale n’était pas mal non plus, grâce à la série de cinquante «relevés de buste au sol» qu’il s ’infligeait avant chaque petit déjeuner.
Il laça ses tennis et passa dans la cuisine. Pour se donner du tonus avant l’effort, il mangea une banane. Trois défaites d’affilée suffisaient. Durant la semaine, il avait mûri une stratégie pour neutraliser le coup droit de Fabrice, grâce auquel ce salopard avait marqué au moins vingt points directs, le dimanche précédent. Ludovic allait distiller des balles hautes, longues et molles sur le point fort de son adversaire, pour le déporter vers sa droite et s’ouvrir ainsi la partie gauche du terrain. Ensuite, à la première occasion, il attaquerait Fabrice sur son revers. Seulement la tactique était risquée car, dès qu’il enverrait une balle trop courte ou pas assez liftée, en face, la riposte de Fab fuserait: missile sol-sol, soit croisé, soit le long de la ligne. Presque aucun déchet, la semaine passée. Insupportable. On ne devrait pas jouer tout le temps contre le même gars. À force, chacun connaît les failles de l’ autre, le scénario devient répétitif, donc on s’amuse moins sur le court et on peine à se concentrer. Cette envie de varier les partenaires turlupinait Ludovic maintenant que Fabrice le battait quatre fois sur cinq. »

Extraits
« Ils avaient tout fait à l’envers, comme dans un film dont les scènes auraient été montées dans le mauvais sens. Au premier repas avaient succédé des sorties au spectacle et des confidences échangées sur les berges de la Seine. Un matin, Élise avait reçu des fleurs chez elle. Ils se découvraient chaque jour de nouveaux points communs. Comme ils savaient déjà qu’ils se plaisaient, le souci de séduire ne bridait plus leur naturel, de sorte qu’ils se charmaient davantage encore. »

« Les urgentistes arrivèrent vite, mais, quand ils prodiguèrent les premiers soins à Ludovic, vingt minutes s’étaient écoulées depuis la survenue de son malaise. L’accident vasculaire cérébral avait causé au cerveau des lésions irréversibles.
À l’hôpital, les médecins ne purent que constater la mort. Élise tint le choc, au début, grâce au soutien indéfectible d’une famille aimante et d’amis fidèles. »

« Mais moi, professeur, je n’ai pas besoin d’études scientifiques pour savoir ce que je ressens. J’ai découvert le témoignage d’une receveuse qui, quand elle s’est réveillée, a su immédiatement qu’elle vivait désormais avec le cœur d’un homme. Elle a fait part de cette impression à son cardiologue, elle lui a demandé s’il lui avait greffé le cœur d’un homme, et il a refusé de répondre. Le mois suivant, elle a reposé la question: «Est-ce que vous m’avez greffé le cœur d’un homme? » Et il a refusé de répondre. Et, le mois suivant, quand elle a reposé encore la même question, le médecin l’a regardée avec un sourire en coin et il lui a dit: «Oui, c’est le cœur d’un homme.»
Lefebvre, qui ignorait cette anecdote se dit que son collègue aurait été mieux inspiré en la bouclant. »

À propos de l’auteur
Matthieu Jung est né à Nancy et vit à Paris. Il est l’auteur de Principe de précaution (Stock, 2009) et de Vous êtes nés à la bonne époque (Stock, 2011). (Source : Éditions Anne Carrière)

Site Wikipédia de l’auteur 

Commandez le livre en ligne sur Amazon (il suffit de cliquer sur la couverture)

Mes livres sur Babelio.com


Focus Littérature

Tags:
#matthieujung #triangleaquatre #editionsannecarriere #hcdahlem #roman #unLivreunePage. #livre #lecture #books #littérature #lire #livresaddict #lectrices #lecteurs #lecteurscom #bouquiner #livresque #rentreelitteraire #rentree2019 #RL2019 #RentreeLitteraire2019 #LitteratureFrancaise #PrixOrangeduLivre
#lundiLecture