Irréfutable essai de successologie

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En deux mots
Dans cet essai pétillant de malice, Lydie Salvayre nous donne les recettes pour avoir du succès. Avec des portraits au vitriol de l’influenceuse à l’homme influent, de différentes catégories d’écrivains à l’homme politique, elle illustre son propos. Ce vrai-faux manuel de développement personnel est un bonheur de lecture.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Les mœurs de ce siècle

Tout à la fois pamphlet et pastiche, cet essai de Lydie Salvayre nous propose toutes les recettes pour avoir du succès. Né d’une saine colère, ce petit bijou d’ironie vacharde est admirablement bien ciselé.

Il serait bien dommage de suivre l’ultime conseil de Lydie Salvayre, «jetez au loin ce livre», tant sa lecture est réjouissante. Avec son humour vachard, sa grande érudition et son sens de la formule, son essai vaut vraiment le détour.
S’il ne faut pas hésiter à se plonger dans cet Irréfutable essai de successologie, c’est d’abord parce que nous avons affaire à un ouvrage littéraire, à un style inimitable, à des phrases ciselées.
Ensuite, parce que ce panorama de notre société, qui fait la part belle au superficiel et à la course à la notoriété, est une mise en garde qu’il ne faut pas négliger. Car qui peut affirmer qu’il n’a jamais vu son visage se refléter dans ce miroir aux alouettes? N’a jamais cédé à la facilité en s’abrutissant devant une émission de télé racoleuse ou en se noyant dans les réseaux sociaux avec une belle collection d’émojis à la clé.
En forçant le trait et en nous encourageant à pousser le bouchon encore plus loin, Lydie Salvayre nous suggère qu’il y a sûrement mieux à faire, même si les miettes butinées sur les réseaux sont «bien plus faciles à digérer qu’un pavé de 600 pages».
Construit comme un vrai-faux manuel de développement personnel, le livre nous propose ses recettes en intertitres et en caractères gras, nous offre la conduite à tenir, le tout complété de quelques remarques très loin d’être anodines.
Bien entendu, ce guide est accompagné de portraits bien sentis de ces champions toutes catégories du succès, à commencer par l’influenceuse qui fait son miel des réseaux sociaux. Suivront le capitaine d’industrie en homme influent, toute une série d’écrivains – un milieu que Lydie Salvayre connaît fort bien, des débutants aux tueurs – les critiques et bien entendu, l’homme politique qui n’est pas avare lui non plus de flagornerie et de compromissions.
On pense bien entendu aux moralistes qui depuis Horace en passant par Rabelais et La Bruyère ont su railler avec talent les mœurs de leurs confrères et de la Cour qui se pressait autour des monarques. On y ajoutera Jonathan Swift qui a soufflé à Lydie son titre en proposant en 1699 un Irréfutable essai sur les facultés de l’âme.
Du coup, comme l’a si bien écrit Frédéric Beigbeder dans le Figaro, «le retour de Lydie Salvayre à la satire est une bonne nouvelle: si elle a envie de stigmatiser le milieu littéraire, cela prouve qu’il existe encore. (…) Son Irréfutable essai de successologie est absolument réjouissant de bout en bout. On en prend tous plein la gueule.» Dans la bibliographie de l’écrivaine, il vient se placer dans la lignée de Quelques conseils utiles aux élèves huissiers (1997) et Portrait de l’écrivain en animal domestique (2007), mais aussi pour la vivacité du style à Rêver debout (2021).
Alors non, il ne faut vraiment pas jeter au loin ce livre à la langue si férocement chatoyante, aux citations habilement semées, à la mauvaise foi si brillamment mise en scène. Il faut le lire et le relire. Car alors nous ferons partie d’une caste bien particulière, celle des «lecteurs véritables», infime partie de la population «qui n’a pas le cerveau saturé d’informations incessantes et sans lien les unes avec les autres» mais garde «un contact intime, direct, charnel, avec les œuvres littéraires».

Signalons qu’au printemps prochain, Lydie Salvayre sera en résidence avec Chloé Delaume (prix Médicis 2020 avec Le Cœur synthétique), à la Villa Valmont pour une création commune. Cette «Maison des écritures et des paysages», premier site entièrement dédié à l’écriture et à l’accompagnement des auteurs dans l’agglomération bordelaise, sera inaugurée fin avril.

Irréfutable essai de successologie
Lydie Salvayre
Éditions du Seuil
Roman
176 p., 17,50 €
EAN 9782021516678
Paru le 2/01/2023

Ce qu’en dit l’éditeur
Comment se faire un nom ?
Comment émerger de la masse ?
Comment s’arracher à son insignifiance ?
Comment s’acheter une notoriété ?
Comment intriguer, abuser, écraser, challenger ?
Comment mentir sans le paraître ? Comment obtenir la faveur des puissants et leur passer discrètement de la pommade ? Comment évincer les rivaux, embobiner les foules, enfumer les naïfs, amadouer les rogues, écraser les méchants et rabattre leur morgue ? Comment se servir, mine de rien, de ses meilleurs amis ? Par quels savants stratagèmes, par quelles souplesses d’anguille, par quelles supercheries et quels roucoulements gagner la renommée et devenir objet d’adulation ?

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
En attendant Nadeau (Norbert Czarny)
Madame Figaro (Minh Tran Huy)
Diacritik (Christine Marcandier)
Europe 1 (Philippe Vandel – L’invité culture)
Sud-Ouest (Isabelle Bunisset)
Lire (Alexis Brocas)
Lettres capitales (Dan Burcea)

Nonfiction (Jean Bastien)
Blog Baz’Art
Blog Culture 31


Lydie Salvayre, la littérature doit-elle être un lieu d’engagement ? © Production France Culture

Les premières pages du livre
1
Nos esprits les plus hautement spéculatifs ont découvert l’existence de milliers d’exoplanètes, identifié les traces d’un ankylosaure vieux de 168 millions d’années, établi que la vitesse de la lumière était de 299 792 458 mètres par seconde, mis au point des parapluies biplaces, des perruques pour chien, des protège-moustache, des masques antigloutons, des porte-glace à piles, et mille autres merveilles.
Mais nul encore n’a tenté de se lancer dans l’analyse sérieuse et approfondie des meilleurs moyens pour parvenir au succès !
Pourquoi tant d’intelligence gaspillée par des cerveaux admirables pour élucider des choses de bien moindre importance ?

Pourquoi un tel domaine, dont les lois déterminent le bonheur des hommes (ainsi que leur fortune), n’a-t-il pas été traité avec le sérieux qui convient ?
Pourquoi un aussi scandaleux mutisme ? Pourquoi une telle inconséquence ?
Pourquoi, pourquoi ?
Allons-nous plus longtemps demeurer dans cette coupable ignorance qui a réduit à la misère les individus les plus méritants ?
Non, non et non ! Cela est proprement inadmissible.
Je me propose donc de remédier à cette grave lacune en me lançant, avec l’audace d’un Christophe Colomb, dans l’exploration de ce continent ignoré, afin de répondre à ces hautes questions qui tourmentent le genre humain depuis que le monde est monde :
Comment se faire un nom ?
Comment émerger de la masse ?
Comment s’arracher à son insignifiance ?
Comment s’acheter une notoriété ?
Comment intriguer, abuser, écraser, challenger ? Comment mentir sans le paraître ? Comment obtenir la faveur des puissants et leur passer discrètement de la pommade ? Comment évincer les rivaux, embobiner les foules, enfumer les naïfs, amadouer les rogues, écraser les méchants et rabattre leur morgue ? Comment se servir, mine de rien, de ses meilleurs amis ?
Par quels savants stratagèmes, par quelles souplesses d’anguille, par quelles supercheries et quels roucoulements gagner la renommée et devenir objet d’adulation ?
Car se distinguer du reste des humains, être quelqu’un, quelque chose, apparaître au JT de 20 heures, avoir sa photo dans le journal, rêver de devenir une star, convoiter les honneurs et les applaudissements, bref désirer de briller aux yeux du plus grand nombre constitue la passion la plus archaïque et la plus universelle qui soit en ce bas monde.

Grâce à cet irréfutable essai qui, je le présume en toute modestie, licenciera définitivement l’ancienne politique, réinventera les lois de la morale, et m’assurera une admiration universelle, grâce à cet irréfutable essai, disais-je, je donnerai à cette passion la place qu’elle mérite : la première.
Je défricherai pour vous, mes agneaux, les voies encombrées et semées d’embûches qui mènent à la réussite, et vous prodiguerai les conseils nécessaires pour vous empêcher de tomber dans les nombreuses chausse-trapes qui guettent tous les jeunes aspirants à la gloire, et vous aider à être au top, très important ça, d’être au top.
Mais avant que d’aller plus loin dans mon projet que je n’hésite pas à qualifier de salvateur, il me semble important de vous donner une définition précise du succès tel que je le conçois.

2
Définition du succès
Le succès est le remède universel longuement recherché pour guérir du malheur.
Si je place cette définition en tête du présent chapitre, c’est que trois raisons m’ont conduite à cette formulation que j’estime très vraie et très incontestable.

1. La première, tirée d’un grand nombre d’observations, me permet d’avancer que :
le succès embellit,
le succès anoblit,
le succès bonifie,
le succès enhardit,
le succès purifie,
et vous lave des bassesses, mesquineries et saloperies commises par le passé, car :
Le succès possède d’excellentes facultés détergentes.
Le succès vous confère l’estime, la considération et le respect, et fait de vous l’ornement de votre famille, son joyau, son trésor, son magot.
Le succès, de surcroît, vous confère indéniablement du sex-appeal, ce qui m’amène à affirmer que :
Le succès est aphrodisiaque.
Le succès, en accordant de la valeur et du brillant à tous vos gestes et paroles, en vous apportant la consistance dont vous étiez privé, en vous faisant apparaître sous un jour plus avantageux, vous dote, par là même, d’une haute idée de vous-même, satisfait exquisément votre ego, congédie du même coup vos soucis parasites, et décuple ainsi les facultés de votre esprit.
Le succès a aussi ce pouvoir, injustement ignoré, de vous rendre bon, serviable et même charitable. Parfaitement !
Le succès, en enrageant la concurrence, vous vaut un certain nombre d’ennemis dont l’existence, c’est attesté par nos plus brillants neurologues, constitue un excitant remarquable pour vos facultés mentales, qu’il fouette et revigore tout à votre avantage.
Enfin et surtout, le succès immunise contre la mort.

En résumé, le succès, par un phénomène que je n’hésiterai pas à qualifier de transsubstantiation, fait passer pour intelligent l’individu le plus con, pour séduisant le plus moche, pour aimable le plus odieux, pour honnête le plus malhonnête et pour immortel le plus piètrement mortel.
Autant de prodiges qui me permettent d’inférer que ce ne sont plus désormais ni l’art, ni la politique, ni les anciennes croyances qui déterminent notre présent.
C’est, sans contredit, le succès.
Le succès est la nouvelle religion.

2. La deuxième raison, et non la moindre, est que le succès, infailliblement, enrichit.
D’où il s’ensuit que, dans cette nouvelle religion, c’est aux riches, mes anges, que le ciel est promis.

Nous savions depuis longtemps que l’argent gouvernait le monde, et que :
Seuls les imbéciles créent pour une autre raison que l’argent,
ainsi que l’affirma le très pertinent Samuel Johnson dans son Art de l’insulte et autres effronteries.
Mais il est tout à fait nouveau que, loin de s’opposer à son règne ou de coupablement s’y résoudre, le genre humain, avec une unanimité et une ferveur sans égales, s’y plie désormais avec délice, exaltant ses bienfaits et claironnant ses vertus.
Le monde a beau changer, les désirs des humains demeurent invariables et limités à cinq, écrivait Euryloque. Pour ma part, je place au premier rang ce désir religieux d’être riche et célèbre.

Il suffit, du reste, de visionner quelques clips de rappeurs américains mondialement connus, pour constater que l’époque n’est plus aux pudeurs virginales devant la suprématie de l’argent et les money makers.
Si tu m’parles fric, j’suis toujours en déclic, chante Pussy Dundee.
Et son refrain fameux J’veux prendre d’l’oseille jusqu’à l’infini, ouais ouais, est devenu le cri de ralliement de la plupart d’entre eux.
Quant à l’expression de leur douleur mâtinée de révolte, elle se marie admirablement yeah yeah avec les bagouses en diamant qu’ils exhibent à chaque doigt, et les grosses chaînes en or qui ornent leur poitrine.

Je ne donnerai qu’un exemple : la fortune d’Ultra Love évaluée à ce jour à 1 milliard de dollars. Tu mesures frérot ! de la beuh à la pelle ! une Rolex pour chaqu’ jour ! une Ferrari qui fonce ! et une pute à gros luc qui t’suce sur ordre ! le paradis sur terre !

Cette transformation copernicienne des esprits qui s’est opérée depuis peu, et dont l’humanité n’avait encore donné aucun exemple, ne souffre aujourd’hui nulle contestation.
Et l’on peut affirmer sans ambages que :
Il n’y a d’heureux que les gens à succès.
Avec son corollaire :
Ne laissez pas l’argent aux mains des seuls champions de la finance et autres voleurs qualifiés.
Vous y avez droit tout autant qu’eux.

3. La troisième raison enfin découle du constat mille fois reconduit que nul créateur, serait-il un prodige de sensibilité, d’intelligence et d’invention, ne peut être applaudi s’il ne se plie à un certain nombre de règles que j’exposerai ci-après.

Mais avant de vous les faire connaître, je me dois de vous éclairer sur les personnes que vous serez amené à rencontrer et qu’il vous faudra fuir ou au contraire ménager, amadouer, bichonner, aguicher, racoler, flagorner, entuber, ou séduire, si vous voulez obtenir d’elles leurs bonnes grâces et parvenir jusqu’au sommet.

Voici donc quelques portraits de ces spécimens auxquels une jeune femme ou un jeune homme cherchant célébrité sera forcément confronté.
Portraits tracés, je le confesse, sommairement, et souffrant sans doute d’outrance et de simplisme. Mais qui ont le mérite de vous laisser, mes chers lecteurs qui avez la chance inestimable de me lire, de vous laisser, disais-je, toute licence pour introduire la complexité, la nuance, et les ombres nécessaires en ceux de ces archétypes que vous aurez identifiés.

3
L’influenceuse bookstagrameuse
Lila (YouTube 2 millions d’abonnés, Instagram 2,5 millions d’abonnés, TikTok 1,2 million d’abonnés)
Tout un chacun a pu le constater : il est aisé autant que délicieux de gloser sur la bêtise des autres.
Quant à moi, je m’abstiens, autant qu’il m’est possible, de tomber dans ce travers, animée que je suis d’une profonde et sincère philanthropie.
Je m’en dispense d’autant plus aisément que je ne suis pas sans savoir que le plus sot est souvent celui-là même qui désigne la sottise de l’autre et ne voit pas celle qui resplendit en lui.
Cependant, l’inintelligence de notre bookstagrameuse est si prodigieuse, si étourdissante, et d’un niveau si supérieur ; elle opère sur les autres un tel pouvoir fascinatoire que je ferai, pour elle, exception à la règle.

Portrait

Le regard velouté, fort mamelue après une intervention chirurgicale à Dubaï (destination tendance), avantageusement nantie d’un derrière houleux dont les dimensions sont inversement proportionnelles à celles de son esprit, elle dispose d’un potentiel érotique hors du commun, sans doute accentué par une moue boudeuse qu’elle cultive à souhait.
S’évertuant à plaquer sur son visage la profondeur qui manque à son cerveau, elle laisse glisser, de ses lèvres refaites, de grandes déclarations fertiles en évidences, ou se lance, avec l’apparence de la plus grande affliction, dans des discours vibrants de sentiments compassionnels et de propositions réconfortantes (concernant les pauvres qui ont faim, les Ouïghours qui ont froid, les Somaliens qui ont chaud, les Sahraouis qui ont soif, les
Afghanes qui ont peur, les Ukrainiens qui ont mal… elle en possède un jeu entier) grâce auxquels, pense-t-elle, son marché de la compassion gagnera en surface, et son petit capital : en euros.
Elle va jusqu’à défendre le Bien contre le Mal – ce dont nous ne saurions trop l’en féliciter – tout en faisant la publicité du rouge à lèvres repulpant rouge framboise de la marque Fastel. Le sourire qu’elle esquisse alors et qui projette sur son visage une aura d’heureuse niaiserie, constitue une véritable consolation, une exaltante raison d’espérer pour les adolescentes vivant dans des HLM de Créteil, lesquelles représentent son marché porteur. Celles-ci, en effet, depuis qu’elles la suivent sur TikTok et Instagram, ne regardent plus du même œil le hall d’entrée de leur immeuble jonché d’ordures et empestant l’urine, car elles savent désormais que ce hall peut s’ouvrir sur d’exaltantes perspectives. »

Extraits
« Remarque
D’une manière générale, fuyez comme le diable les revêches, les hargneux, les amers, les aigris, les navrés, les meurtris et tous ces mécontents aux rêves avortés qui n’ont pas réussi à convertir en forces leurs frustrations et leurs rancunes.
Il n’est pas contagion plus nocive que celle de ces rabat-joie.
Ils sont tous, de surcroît, affligés d’une haleine fétide probablement liée aux aigreurs d’estomac où se loge leur âme.
Si vous ne parvenez pas à vous en défaire, désignez-leur un bouc émissaire sur lequel ils pourront reporter toutes leurs frayeurs et amertumes: l’un de vos ennemis personnels, par exemple un certain P., une ordure.
Je reprendrai demain mon catalogue d’écrivains, si mon humeur m’y porte. C’est-à-dire si aucune nouvelle sombre ne vient obscurcir mon ciel et paralyser mon esprit.
Précaution: m’abstenir impérativement de regarder la chaîne NewsNews, bien plus nocive pour ma santé psychique qu’un abus de whisky ou de Zolpidem. p. 63

Il est devenu, aujourd’hui,
tout à fait superflu de lire,

je puis vous l’affirmer sans la moindre nostalgie.
Nos cerveaux saturés d’informations incessantes et sans lien les unes avec les autres, ne disposent, en effet, que d’une part réduite d’attention aux œuvres littéraires. Et le nombre de lecteurs véritables, je veux dire de lecteurs ayant un contact intime, direct, charnel, avec elles, ne représente plus qu’une infime partie de la population.
Tous les autres dont vous êtes, j’ose l’espérer, se satisfont fort raisonnablement des miettes qu’ils butinent sur les réseaux, bien plus faciles à digérer qu’un pavé de 600 pages.
Ce qui ne les empêche pas d’exhiber, comme on le fait d’un trophée, l’ouvrage qu’ils ont commandé sur Amazon sans avoir pris la peine de l’ouvrir.
Cela, mes amis, représente un progrès vertigineux dans l’histoire des hommes. » p. 140

À propos de l’auteur
SALVAYRE_lydie_©joel_sagetLydie Salvayre © Photo Joël Saget

Lydie Salvayre a écrit une douzaine de romans, traduits dans de nombreuses langues, parmi lesquels La Compagnie des spectres (prix Novembre), BW (prix François-Billetdoux), Pas pleurer (prix Goncourt 2014) et Rêver debout (2021). (Source: Éditions du Seuil)

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Attends-moi le monde

PINGAULT-attends_moi_le_monde  RL-automne-2021

En deux mots
Camille gagne un drôle de prix à la loterie de la Fête du lac: une année sans mois de novembre, précisément ce mois qu’elle déteste le plus. Désormais son quotidien va lui réserver bien des surprises. Après l’incrédulité, elle va apprendre à tirer le meilleur de cette expérience.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Camille a gagné à la loterie

Le troisième roman de Gaëlle Pingault nous entraine sur de nouveaux chemins, dans les pas de Camille qui vient de gagner à la loterie le droit de passer une année sans mois de novembre. Le fantastique au service du développement personnel.

On ne peut pas dire que la vie de Camille soit au beau fixe. C’est un peu déboussolée qu’elle choisit de s’installer dans un petit village pour y exercer son métier de graphiste indépendante, avec peut être le secret espoir de trouver là de quoi redonner un nouvel élan à son existence. Le hasard et la chance lui permettent de décrocher le gros lot de la tombola organisée à l’occasion de la Fête du lac. Un prix qui, si on en croit l’horrible flyer conçu pour la circonstance, lui fera oublier le mois de novembre. Ce mois qui l’accable. «Il fait gris, il pleut, les nuits sont sans fin, on n’a envie de rien et aucune énergie. (…) Et en plus, chaque année est pire que celle d’avant. Sachant que j’aurais trente ans l’année prochaine, je te raconte pas comment ils vont être sympas, mes mois de novembre à quatre-vingts balais.»
Il faudra attendre le 31 octobre et la visite surprise de son ami Maxime pour que Camille ne se décide à ouvrir l’enveloppe contenant son Prix et découvre un petit papillon de papier avec cette simple inscription «bon pour une année sans mois de novembre». Ce qui au premier abord ressemble à un canular va bien vite prendre une tournure fantastique. Car le papillon va prendre une teinte bleutée et offrir une sorte de cocon protecteur à Camille qui ne sent plus le froid et trouve une nouvelle énergie avec son bout de papier qui, jour après jour, lui délivre de petits messages sibyllins : «Cool Raoul», «Il n’est pas nécessaire de partir à La Bourboule» ou encore
«Vivent les crêpes à la banane avec du caramel (Et surtout pas de Nutella)».
Parallèlement, la mention d’une date sur tous les objets ou produits semble avoir été effacée. Même la note du restaurant est vierge de cette mention, pourtant obligatoire. Ajoutons à ce tableau la visite inopinée du bel homme qui lui a vendu son billet de tombola et qui lui affirme être un messager l’appelant à être attentive à son inconscient et on aura un bel aperçu de l’incursion du fantastique dans la vie de Camille.
Paradoxalement, c’est en choisissant de s’émanciper d’une réalité pesante pour rejoindre des rives plus oniriques que Gaëlle Pingault trouve le moyen de construire une sorte de manuel du mieux-vivre, de parsemer son récit de conseils qui aident à dépasser telle contrariété, tel problème qui peut conduire à la dépression.
Après II n’y a pas internet au paradis et Les Cœurs imparfaits, sa plume prend un chemin à la fois plus léger et plus grave, à l’image d’une Camille qui se prend petit à petit au jeu qui lui est proposé tout en allant chercher les causes de son mal dans sa vie passée, dans les étapes qu’elle a franchi sans vraiment prendre la peine de les analyser. Désormais, elle se sent prête à affronter la nouvelle vie qui s’offre à elle. Et le lecteur, en la suivant, s’arme lui aussi pour affronter la mauvaise saison, prêt pour une année sans mois de novembre.

Bonus


Le titre du livre est tiré de la chanson J’arrive de Ben Mazué.

Attends-moi le monde
Gaëlle Pingault
Éditions Eyrolles
Roman
210 p., 16 €
EAN 139782416001321
Paru le 02/09/2021

Où?
Le roman est situé en France, principalement dans un petit village qui n’est pas précisément situé.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Vous détestez la grisaille et la nuit qui tombe à 16 h 30? Vivez une année sans mois de novembre ! Lorsqu’elle tombe sur un petit flyer vantant les mérites d’une tombola locale en ces termes, Camille comprend d’emblée qu’elle va jouer, et gagner. Durant ce mois de non-novembre, un étrange temps suspendu l’invite à emprunter quelques chemins inexplorés, tandis qu’alentour, le monde continue son petit manège habituel. En acceptant de perdre ses repères, d’abord un peu hésitante, puis entièrement chamboulée, Camille se laissera porter par l’étrangeté dont jaillira peu à peu la compréhension de sa propre histoire.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Goodbook.fr
Blog motspourmots.fr (Nicole Grundlinger)
Blog Mumu dans le bocage

Les premières pages du livre
« C’EST encore l’été.
Il faut dire cette phrase avec fermeté et détermination. La conviction doit être palpable. Rien de compliqué, dans l’immédiat, puisque l’affirmation est encore vraie. Je m’entraîne pour dans quelques semaines. Je sens venir la déchéance. Par les temps qui courent, je serais capable d’énoncer cette formule chaque matin, ou même toutes les heures, pour repousser le moment où elle deviendra fausse. Comme pour contrer le mauvais sort, conjurer le défilement inéluctable des saisons. Phrase doudou, phrase talisman. Si je la répète encore et encore, si j’y mets toute ma volonté, et pas mal de poudre de perlimpinpin mentale, si je rajoute abracadabra, une danse rituelle et quelques incantations chamaniques, pourrais-je contrer l’arrivée de l’automne ?
L’homme, lui aussi, semble apprécier le soleil qui brille et la température clémente. Il est grand, longiligne, et malgré ses cheveux grisonnants, plutôt jeune. Il pourrait être une incarnation du charme parfait. Sa dégaine mi-décontractée mi-élégante semble innée, comme s’il était né pour les jeans qui font un beau cul et les chemisettes en lin un peu flottantes. Avec des atouts pareils, il parvient sans difficulté à distribuer les petits flyers dont il tient un tas épais : aux femmes, sans vouloir paraître caricaturale, il n’est pas besoin d’expliquer pourquoi, et aux hommes, sans doute parce qu’ils espèrent, en s’approchant de lui, capturer un peu de son magnétisme afin d’en disposer à leur guise à l’avenir. À moins qu’ils n’aspirent, eux aussi, à lui mettre la main au panier.
Ou alors, le charisme du type n’y est pour rien, c’est juste qu’il fait beau, que tout le monde est de bonne humeur en cette fin août à la température encore estivale, et que même une vieille sorcière aurait réussi à écouler son stock de potions frelatées, parce qu’il y a un rien de léger dans l’air du temps. Et qu’il n’était pas nécessaire d’aligner autant de poncifs dans l’analyse de la situation. C’est possible.
C’est jour de marché au village. J’aime le marché, mais pas que ce soit le lieu privilégié des distributeurs de prospectus sans intérêt. Ce gaspillage n’est pas joli-joli, et puis il est souvent intrusif, on vous colle ça sous le nez sans vous demander votre avis, merci bien. En période électorale, cet inconvénient est poussé à son paroxysme. C’est plus calme en ce moment. Mais il se trouve toujours un ou deux importuns pour refourguer de la paperasse en petit format. Je les évite comme la peste. Parfois même, je leur décoche une réplique bien sentie, je les blâme d’encourager de la sorte le gâchis à grande échelle. La remarque est aussi inutile qu’injuste – les gens qui distribuent se débattent juste avec ce qui m’agite, moi aussi, cinq jours, voire six ou sept, par semaine. Ils tentent de gagner leur vie, option « moyens du bord », pas le choix, il y a le loyer à payer et les courses à faire. Il faudrait taper plus haut, peut-être aller jusqu’à réformer la société de consommation et de publicité tout entière. Inutile de dire que la tâche est vaste. Trop pour toi, ma Camille, me dirait ma mère. Alors je me contente, à mon petit niveau, de ne pas prendre les prospectus tendus, en espérant sans trop y croire que cela participe à freiner le phénomène.
Il me faut des tomates, un fromage de chèvre bien affiné, et puis j’aimerais acheter des framboises, mais ça dépendra du prix. Si on me prend pour une bille, si on me réclame trente euros pour un kilo, ce sera sans moi.
L’homme qui distribue les prospectus est juste à l’entrée de la première allée. Je n’ai plus le temps de le contourner sans être vue. Choisir cette option malgré tout relèverait de la plus parfaite impolitesse, et devant un homme doté d’un tel charisme, c’est inconcevable.
Soixante-douze plus quarante-deux, égale cent quatorze. Moins vingt-huit, égale quatre-vingt-six. Fois trois, égale deux cent cinquante-huit. Tiens, ça faisait longtemps, dis donc. Salut, l’ami calcul mental.
Au moment où nos regards se croisent, j’ai l’impression qu’il a des aimants à la place des pupilles. Impossible de m’en détourner.
— Bonjour, mademoiselle. J’ai quelque chose pour vous.
La voix est claire, le pouvoir de persuasion total. Je n’ai pas l’impression d’avoir vraiment le choix. J’attrape le prospectus, avec un sourire que j’essaie de rendre aussi neutre que possible, mais que je crains benêt.
— Peut-être à bientôt, dans mon bateau oh oh oh.
Il prononce la fin de cette phrase sur l’air de cette chanson stupide des années quatre-vingt-dix. C’est plutôt… surprenant. Je m’attends à ce qu’il continue, tu es le plus beau des bateaux oh oh, mais il n’en fait rien. Il recouvre aussi sec son air mystérieux. Et moi, j’ai son foutu flyer en main. Bien joué. Je me sens stupide et affreusement complaisante. Il suffit donc d’être beau gosse et d’en imposer pour que je passe à côté de mes propres principes. Je me serais crue plus idéaliste.
Commencer par les tomates est le plus simple, mon petit maraîcher bio tient son stand un peu plus loin dans cette allée, juste après ce peintre local qui vend ses croûtes – pardon, ses toiles –, du moins qui s’y attelle, avec une constance héroïque. En avançant, je jette un œil distrait sur le prospectus. Une façon de lui rendre un dernier hommage avant de le jeter à la poubelle.
En grand, et en rouge sur fond jaune, il est écrit : Jeu concours – tirage au sort. Le graphisme est criard et, n’ayons pas peur des mots, bas de gamme. Vraiment très bas, au fond du seau, peut-être même que le seau est troué. Je suis bien placée pour en juger, puisque je suis graphiste. Une indépendante qui regarde à deux fois le prix des framboises et doit souvent renoncer à les acheter, et à qui, pourtant, on suggère régulièrement de travailler de manière bénévole pour se faire de la publicité. Bien aimable, mais non, sans façon. C’est aussi pour cette raison que les prospectus et moi, il n’y a pas moyen. La plupart du temps, ils sont une honte pour le métier. Et même si je ne le pratique que depuis peu de temps, et que j’ai bien conscience de ne pas être une pointure – pas encore assez roulé ma bosse dans ce domaine –, je tente au moins de ne pas déshonorer ma deuxième profession. Petite déontologie personnelle.
Le début de la liste des lots me cloue sur place.
Premier prix : Vous détestez la grisaille et la nuit qui tombe à 16 h 30 ? Vivez une année sans mois de novembre !
Voilà qui n’est pas banal, au contraire des autres prix qui, de la cafetière à l’écran plasma, en passant par la séance de massage dans l’institut de beauté du coin, sont pour le coup d’une platitude désolante.
Une année sans mois de novembre ? Mais quelle bonne idée ! Je suis un pur produit de la team printemps, moi. J’aime la nature qui se réveille, le vert qui redevient la couleur dominante, les premiers bourgeons, les jours qui rallongent encore à tâtons. L’odeur des premiers gazons tondus. Relever le nez de mon ordi parce que la journée de travail est finie, et constater que la nuit n’est pas encore tombée. Devoir mettre un manteau le matin, pour finir en tee-shirt l’après-midi, avant de renfiler une petite laine le soir, ne me pose aucun souci. J’adore retrouver les terrasses des cafés, même s’il faut conserver un bon pull pour ne pas y geler sur place lorsque les premiers soleils s’y réverbèrent sur les tables. Je trouve charmant de ne pas savoir sur quel pied danser, météo changeante, renouveau hésitant, mais de sentir qu’on est sur la bonne pente. Que bientôt, l’été arrivera. Je n’ai aucune velléité d’être originale en énonçant tout ça, d’autres que moi détestent l’automne. Cela reste un mystère à mes yeux qu’on puisse louer cette saison pour ses couleurs uniques, ses brouillards oniriques, ses paysages apaisés qui s’étirent avec langueur avant de s’endormir. Je ne comprends pas ce point de vue, mais il faut de tout pour faire un monde, paraît-il. Dont acte. À moi, novembre est insupportable. C’est l’antithèse de ce que j’aime. De ce qui me porte. De ce qui m’anime. Et chaque année, c’est pire. Je voterais pour n’importe quel candidat politique, financerais n’importe quel crowdfunding, qui aurait pour slogan : L’hibernation pour tous ! J’ai dû être marmotte, ou grizzly, dans une vie antérieure. Et puis j’ai dû y commettre un truc affreusement moche, et un grand tribunal m’aura condamnée sans recours à me réincarner en humaine, cette sous-race infoutue de roupiller quand le temps est moche et froid, quand rien d’aussi intéressant qu’une fraise gorgée de sucre ou une tomate juteuse ne pousse dans les jardins. Pire, une espèce qui se réjouit en se répétant – oui, mais il y a la raclette ! – comme si c’était une consolation. Non mais franchement ! Je ne mange que du fromage de chèvre. Et quand bien même j’apprécierais la raclette, je ne vois pas ce qui interdit d’en manger en décembre ou en janvier. Novembre est inexcusable, son existence n’a aucun sens.
Je n’aurais pas dû prendre ce flyer qui, en plus de s’être imposé, me fait l’affront d’être moche. Tant pis pour moi. Je n’aurais pas dû le lire non plus. Je bouillonne intérieurement de cette somme d’approximations insupportables, cent dix-huit divisé par deux égale cinquante-neuf. Mais je devine déjà que contre tous mes principes, je vais tenter ma chance à cette tombola surréaliste. Et de manière purement intuitive, mais incontestable, quitte à accepter encore une sortie de route de mon côté cartésien plutôt bien ancré d’habitude – aujourd’hui, je ne suis plus à ce détail près –, j’ai la certitude que ce prix impossible existe réellement, et que je le gagnerai.
En revanche, je suis dans l’incapacité, pour le moment, de discerner si c’est une bonne, ou une mauvaise nouvelle.
ALLEZ viens, Camille, on fait la ploum, comme quand tu étais petite, tu te souviens ? Il est temps que je te raconte.
Ploum, ploum. Ce se-ra toi qui vi-vo-te-ras.
Mais oui, Camille, tu vivotes. Ne me regarde pas de cette manière, je n’y suis pour rien. Ne tire pas sur le messager. Et cesse de nier cette évidence, de te la dissimuler à toi-même comme une enfant apeurée qui mettrait ses mains devant ses yeux. Tu n’iras pas bien loin en procédant de la sorte. Tu vivotes. C’est un fait.
Comment tu dis, déjà ? Rappelle-moi la formule-couvercle que tu emploies ?
J’ai trouvé un équilibre.
La mignonne phrase bien appliquée, bien propre sur elle, que voilà. Tu l’as copiée cent fois, avec un stylo orange à paillettes, que ce soit suffisamment répété et joli pour t’en convaincre ? C’est amusant, Camille, que tu ne dises pas plutôt : j’ai trouvé MON équilibre. Amusant, et troublant, aussi, tu ne crois pas ? Comme si tu donnais la clé sans t’en rendre compte. Comme si cette stabilité que tu prétends avoir rencontrée ne t’appartenait pas.
Est-ce que tu arpentes une autre vie que la tienne ? Est-ce que tu es en train de passer à côté de toi-même ? Il n’y a que toi qui puisses répondre à ces questions.
Les mots sont taquins, je ne t’apprends rien, d’autant que tu les apprécies. Tu les manies, plutôt bien d’ailleurs, quand tu cherches un slogan. Alors sois honnête. Ne contourne pas leur réalité. Ne les utilise pas pour déformer la vérité. Ne balaie pas l’évidence d’un revers de main, ce serait trop facile. Tu as trouvé UN équilibre, certes, mais tu n’as pas trouvé TON équilibre. Il n’y a rien de grave, tu sais. Ce n’est pas un secret honteux à dissimuler sous un tapis. Tu es jeune, je te souhaite une vie longue, et rien ne me pousse à craindre qu’elle ne le soit pas. Tu as du temps. Je voudrais juste que tu ne t’arrêtes pas à cette étape du chemin, Camille, parce que et toi, et le chemin, valez mieux que cette demi-mesure.
Tu as eu besoin de cette pause pour souffler. De te raccrocher au sentiment qu’enfin, ça allait, après ce départ douloureux de l’hôpital, cette cassure si blessante que tu as dû encaisser. C’était ton droit. Et tu as eu raison de le faire valoir. Ton entourage a même été rassuré que tu te poses un peu. Quand tu as annoncé ta décision de venir t’installer au calme, dans ce petit village, et de travailler en tant que graphiste indépendante, ton projet a fait l’unanimité. Tu tentais une autre aventure qui ressemblait à un renouveau. Et tu es vite allée mieux. Tu as tout de suite trouvé quelques repères. Ce n’était pas très dur, tu étais tellement perdue… Le soulagement a été palpable. Pour toi, pour tes parents aussi. Ça leur devenait douloureux de te voir souffrir. Un genre de contamination par amour interposé. Vous y avez cru ensemble, à ton équilibre, quitte à vous forcer par moments. C’était salvateur de retrouver du calme.
Mais il ne faut pas t’endormir, Camille. Comme en montagne, quand le froid te prend, que tu voudrais céder et t’y abandonner. Comme dans les récits de l’extrême, tu dois lutter, tenir, avancer. Pour survivre.
Ne te contente pas de si peu, même si la situation actuelle a le mérite d’un certain confort. Tu ne dois pas accepter de t’ennuyer. »

Extrait
« — Ce mois m’accable du début à la fin, voilà, c’est tout, c’est comme ça. Il fait gris, il pleut, les nuits sont sans fin, on n’a envie de rien et aucune énergie. Que veux-tu que je trouve comme charme à une période pareille? Ça manque de lumière, d’animation, de… Bref, ça manque de tout, quoi. Et en plus, chaque année est pire que celle d’avant. Sachant que j’aurais trente ans l’année prochaine, je te raconte pas comment ils vont être sympas, mes mois de novembre à quatre-vingts balais.» p. 40

À propos de l’auteur

Gaelle Pingault
Gaëlle Pingault © Photo DR

Gaëlle Pingault est nouvelliste, romancière, animatrice d’ateliers d’écriture, orthophoniste, bretonne. Tout dépend du sens du vent ! Celui qu’elle préfère, c’est le noroît qui claque. Elle a été lauréate du festival du premier roman de Chambéry et du prix Lions club de littérature grand ouest pour son premier roman II n’y a pas internet au paradis. Elle a publié chez Eyrolles Les Cœurs imparfaits, prix Merlieux des bibliothèques 2020. (Source: Éditions Eyrolles)

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Le Bazar du zèbre à pois

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En deux mots:
Basile, de retour dans sa ville natale, ouvre une boutique originale, Le Bazar du zèbre à pois, dont le but est d’inventer des objets et concepts pour rendre les gens plus heureux. Une initiative qui va plaire au jeune Arthur, à sa mère Giulia, mais qui dérange aussi en «haut-lieu». La guerre est déclarée…

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Un drôle de zèbre dans une drôle de ville

Raphaëlle Giordano réussit à nouveau son coup. Après Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en as qu’une, elle récidive avec ce roman tout aussi entraînant, avec une touche de poésie supplémentaire!

Arthur vit à Mont-Venus, une ville moyenne, avec Giulia sa mère. Quand il a eu quatorze ans, son père a filé avec une autre, «emportant tout, raison et sentiments». L’adolescent s’est alors lancé avec un copain dans le street art tandis que sa mère fait bouillir la marmite en élaborant des produits d’hygiène corporelle.
Mais un jour une curieuse boutique va attirer l’attention de l’adolescent, Le bazar du zèbre à pois. Basile, son concepteur, a choisi de revenir à Mont-Venus où il a grandi pour y proposer ses objets sans véritable utilité, si ce n’est de provoquer un sourire ou de faire réfléchir. Des inventions «à mi-chemin entre l’artistique et le philosophique», comme il l’explique à Audrey, la journaliste de La dépêche du Mont, intriguée par sa boutique. Mais Basile n’aura finalement pas droit à la double-page prévue car Louise Morteuil, la rédactrice en chef, est partie en guerre contre cette boutique trop originale pour être honnête. Elle a déjà assez à faire en essayant de mettre la main sur le graffeur qui s’attaque aux affiches électorales pour ne pas offrir à cet olibrius une publicité à bon compte. La stagiaire n’a qu’à trouver un autre sujet. Encore traumatisée par son enfance au milieu d’artistes sans le sou, la fondatrice de l’association Civilissime veut toutefois en avoir le cœur net et décide d’aller juger sur pièces. Ses craintes vont vite s’avérer fondées, car en entrant dans la boutique, elle tombe nez à nez avec Arthur, qu’elle a surpris en train de dégrader un édifice public avec ses bombes de peinture.
«Pour Louise Morteuil, ce jeune garçon est la résultante typique d’une éducation démissionnaire, et ce Basile l’incarnation même de l’adulte permissif qui, croyant aider la jeunesse, la pousse dans ses travers. En encourageant ces activités décadentes, comme le graffiti, trompeusement ludiques et irrésistibles comme un paquet de bonbons, il renforce une vision faussée de la vie et de ses réalités, à savoir les efforts et le travail indispensables pour mériter et s’en sortir.»
Ce qu’elle ne sait pas, c’est que Basile a déjà semé son virus du changement un peu partout. «Un audaciel n’a jamais dit son dernier mot. Après la Tagbox imaginée pour Arthur, il s’est intéressé à Giulia pour l’inciter à créer de nouvelles fragrances, loin du carcan imposé par son entreprise, à l’image de sa nouvelle invention, les Brain-bornes, qui doivent permettre de développer «les capacités du cerveau droit, souvent sous-développées»: intuition, émotions, créativité, audace et perception. Sa mission: débloquer l’imaginaire de ses clients.
Louise, quant à elle, fourbit ses armes. Elle va user de tous ses pouvoirs pour mettre des bâtons dans les roues du Bazap.
Contrarié, mais loin d’être abattu, Basile continue de créer et de pousser à la création. Il entraine Giulia dans un projet de détonateur sensoriel, un objet capable de diffuser des parfums en lien avec des souvenirs et des émotions particulières. Une idée qui va aussi les rapprocher au grand dam d’Audrey.
Raphaëlle Giordano continue de creuser le filon initié avec Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en as qu’une et de mêler fort agréablement les conseils de développement personnel à une fiction fort agréable à lire. À l’image de ce slogan affiché comme un mantra Follow your dreams (suivez vos rêves), elle a cette capacité à développer chez ses personnages – et par ricochet chez ses lecteurs – l’envie de changer, de bouger, de créer. On la suit avec bonheur !

Le bazar du zèbre à pois
Raphaëlle Giordano
Éditions Plon
Roman
288 p., 18,90 €
EAN 9782259277617
Paru le 14/01/2021

Où?
Le roman est situé en France, dans une petite ville qui n’est pas précisément située.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Auteur star, Raphaëlle Giordano revient chez Plon avec un roman réjouissant. Après le best-seller Cupidon a des ailes en carton, l’auteur du phénomène Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en as qu’une surprend et séduit une nouvelle fois. Au meilleur d’elle-même.
« Je m’appelle Basile. J’ai commencé ma vie en montrant ma lune. Est-ce pour cela que j’ai toujours eu l’impression de venir d’une autre planète ? Je n’ai pourtant pas compris tout de suite de quel bois j’étais fait. Peut-être plus un bois de Geppetto que de meuble Ikea.»
Basile, inventeur, agitateur de neurones au génie décalé, nous embarque dans un univers poético-artistique qui chatouille l’esprit et le sort des chemins étriqués du conformisme. De retour à Mont-Venus, il décide d’ouvrir un commerce du troisième type : une boutique d’objets provocateurs. D’émotions, de sensations, de réflexion. Une boutique « comportementaliste », des créations qui titillent l’imagination, la créativité, et poussent l’esprit à s’éveiller à un mode de pensée plus audacieux ! Le nom de ce lieu pas comme les autres ? Le Bazar du zèbre à pois.
Giulia, talentueux « nez », n’en est pas moins désabusée de cantonner son talent à la conception de produits d’hygiène. Elle rêve de sortir le parfum de ses ornières de simple « sent-bon » et de retrouver un supplément d’âme à son métier.
Arthur, son fils, ado rebelle, fâché avec le système, a, lui, pour seul exutoire, ses créations à ciel ouvert. Il a le street art pour faire entendre sa voix, en se demandant bien quelle pourra être sa voie dans ce monde qui n’a pas l’air de vouloir lui faire une place.
Trois atypiques, trois électrons libres dans l’âme. Quand leurs trajectoires vont se croiser, l’ordre des choses en sera à jamais bousculé. C’est à ça que l’on reconnaît les « rencontres-silex ». Elles font des étincelles… Le champ des possibles s’ouvre et les horizons s’élargissent.
Comme dans un système de co-création, ils vont « s’émulsionner les uns les autres » pour s’inventer un chemin, plus libre, plus ouvert, plus heureux….
Louise Morteuil, elle, est rédactrice en chef du Journal de la Ville et directrice de l’association Civilissime. Elle se fait une haute idée du rôle qu’elle doit jouer pour porter les valeurs auxquelles elle croit : Cadre, Culture, Civisme… Choc des univers. Forte de ses convictions en faveur du bien commun, elle se fait un devoir de mettre des bâtons dans les roues du Bazar du zèbre à pois…
Une galerie de personnages passionnés, sensibles et truculents, des embûches et surprises, des objets aussi magiques que poétiques, de l’adversité et de l’amour, l’art de se détacher des entraves par l’audace, de se libérer de la peur en osant… Le nouveau roman de Raphaëlle Giordano donne l’envie de mettre plus de vie dans sa vie et de s’approprier la philosophie phare et novatrice du zèbre : « l’audacité ».

Les critiques
Babelio 
Lecteurs.com
BFM (Culture & Vous – Candice Mahout)
Blog Little pretty books 

Les premières pages du livre
« Scène d’exposition
Toute vie commence par un premier acte, et surtout par un lever de rideau. Qui sait si ces instants n’impriment pas un pli au reste de son existence ?
All the world’s a stage,
And all the men and women merely players
Shakespeare.
(Le monde entier est une scène de théâtre,
et tous les hommes et femmes y jouent, purement et simplement, les acteurs.)
Voilà pourquoi la manière de faire son entrée a toute son importance.

Un homme. Une femme. Ensemble, ils attendent dans une salle de consultation plongée dans la pénombre pour ménager la pudeur. Obstétrique oblige. Assis côte à côte, ils se jettent des regards furtifs et esquissent des sourires maquillés d’une confiance qu’ils sont loin de ressentir.
Le médecin en blouse blanche entre et invite sa jeune patiente à s’installer, en quelques directives bienveillantes. Elle s’exécute et ravale discrètement son besoin d’empathie, proportionnel à son insondable désir d’être rassurée. Elle s’allonge sur le papier blanc qui, immanquablement, se déchire. Sans raison, elle s’agace de cette feuille censée protéger le lit d’examen qui ne tient pas en place.
Le docteur lui demande de relever son haut au-dessus de la poitrine et regarde sans l’ombre d’un froncement de sourcils l’énorme bosse à découvert. Enfin, bosse. Ballon. Montgolfière. Exoplanète. Elle ne s’y fait toujours pas. Elle écarquille les yeux devant cette chose qui avant était son ventre et qui, maintenant, est devenue étrangère à son corps. Une protubérance qu’on regarderait comme une étrangeté dans un cabinet de curiosités.
Elle regarde la ligne brunâtre qui relie dorénavant son nombril à son pubis. Le premier dessin de son enfant pour elle. Elle aurait préféré que son fils trouve un autre mur que son corps pour taguer son amour. Elle ne lui en veut pas. Elle sent juste poindre de nouveau une crainte familière. Retrouvera-t-elle jamais ce joli petit ventre plat qui, hier encore, savait faire des ravages ? Elle n’a pas envie d’être déjà rangée dans une autre catégorie : sera-t-elle dorénavant mère avant d’être femme ? Elle ferme les yeux pour ne pas y penser. Pas maintenant. Pas encore.
Son homme s’enquiert : Ça va ? Oui, ça va. Le docteur, lui, à son rôle, se penche pour appliquer le gel froid sur son abdomen. Frissons. Tout bon porteur de stéthoscope aurait parlé d’horripilation ou de réflexe pilomoteur. Les autres – vous-et-moi – de chair de poule…
La sonde commence son travail d’exploration. Le silence s’installe. Il y a des moments où les mots n’ont pas leur place. Le regard de la femme aussi sonde et tente de décrypter la moindre parcelle d’information sur les traits lisses et concentrés de l’obstétricien. Soudain, le visage de l’homme se trouble. Là, n’est-ce pas la ride du lion qui se crispe entre ses deux yeux ? Elle retient son souffle et plante ses ongles dans la paume de son mari. L’inquiétude laisse quatre petites marques rouge sang dans sa chair. Il ne bronche pas, lui-même galvanisé par les images surréalistes du petit être qui apparaît sur l’écran.
Les secondes paraissent interminables. Puis le verdict tombe. Première délivrance quelques mois avant l’heure.
Tout va bien. Trois petits mots lâchés nonchalamment, avec un léger sourire flottant de praticien satisfait. Le cœur des heureux parents explose de joie. Mais pas trop bruyamment quand même, pour ne pas troubler l’ambiance chargée d’une médicale déférence.
Vous voulez connaître le sexe ? Oui. Ils veulent. C’est plus rassurant pour préparer la venue de l’enfant. La couleur du papier peint, les layettes premier âge…
La sonde s’agite de nouveau sur l’abdomen. Le médecin cherche. Tente. Tique. Désolé. On ne voit rien. Je ne pourrai pas vous le dire aujourd’hui…
L’œil humide de déception, la mère jette un ultime regard sur l’écran où s’affiche encore le postérieur narquois de son bébé.

Scène 1
Je m’appelle Basile. J’ai commencé ma vie en montrant ma lune.
Est-ce pour cela que j’ai toujours eu l’impression de venir d’une autre planète ?
Après quarante-deux ans d’existence, je crois savoir mieux, aujourd’hui, de quel bois je suis fait. Certainement plus un bois de Geppetto que de meuble Ikea.
À cinq ans, j’aimais m’entraîner à lire tout seul.
À six ans, après une course-poursuite effrénée dans la cour de récréation avec mes camarades de classe, je m’arrêtai, essoufflé, en portant deux doigts à ma jugulaire pour prendre mon pouls et m’exclamai :
— Oh ! Mon cœur bat trop vite !
La fille dont j’avais la faiblesse d’être amoureux – j’étais également atteint d’une forme de précocité sentimentale – se retourna vers moi en s’esclaffant d’un air moqueur :
— Mais non, espèce d’idiot ! Il n’est pas là, le cœur, il est là ! dit-elle en frappant sa poitrine au bon endroit.
Le fou rire général fit son œuvre de petit poignard, et l’incident me valut une réputation de crétin fini qui me poursuivit tout le reste de l’année scolaire.
Il faut dire, j’étais de ces enfants gauches qui n’attirent guère la clémence de leurs congénères.
Droitier du cerveau et gauche du corps. Si maladroit dans mes relations avec les gamins de mon âge. Je ne savais jamais quoi leur dire, comment leur parler, comment me faire accepter.
Pour encourager ma vie sociale, mes parents me poussaient à accepter un maximum d’invitations aux goûters d’anniversaire et toute occasion de me trouver avec ce que les adultes appelaient « mes semblables ». Imaginaient-ils un instant qu’il ne pouvait pas y avoir plus dissemblables que ces semblables ? Que je n’arrivais pas à me sentir bien parmi ces enfants dont je ne partageais aucun des jeux ni aucune des préoccupations ?
Parfois, je m’obligeais à entrer dans une bataille à l’épée avec la horde des « copains ». Un jour, l’un d’eux manqua de m’éborgner. Cela fit bien rire les autres sans que j’arrive à comprendre pourquoi. Tenant d’une main mon œil blessé, je me souviens d’avoir souri pour donner le change et laissé penser que je m’« amusais ». Jean qui rit et Jean qui pleure. Parfois encore, je me réfugiais dans la cuisine pour tenter d’avoir une conversation avec les parents. Je savourais ces interactions qui me mettaient d’égal à égal avec des cerveaux adultes. Eux me regardaient d’un œil étonné, curieux. Ils se prêtaient au jeu de la discussion quelques instants, puis finissaient par faire tomber la sentence de mon bannissement :
Tu ne veux pas aller jouer, mon grand ?
Dieu, que cette phrase a pu m’énerver. Dire à un enfant mon grand, c’est lui rappeler combien il est petit ! Un cauchemar.
Par la force des choses, j’ai appris à me suradapter en répondant par la réaction qui semblait la plus socialement acceptable. Expressions sur commande. Afin de mieux saisir les humeurs de mes camarades et d’anticiper les risques inhérents à la fréquentation de cette cruelle tranche d’âge, j’actionnais en permanence mes capteurs d’hypersensible. Ce qui créa chez moi un état de vigilance presque constant. Exténuant.

Je ne saurais dire tout ce que j’ai tenté pour grandir plus vite. Je crois que je suis l’enfant qui a mangé le plus de soupe au monde. Qui s’est tenu le plus droit sur sa chaise. Pendant que mes frères et sœurs jouaient comme chiens et chats à des jeux de leur âge, je me planquais dans un coin pour lire le dictionnaire et tout apprendre du parler adulte.
Parallèlement à ce programme d’accélérateur de croissance, je tentais aussi de satisfaire ma curiosité insatiable pour tout ce qui touchait à l’électronique et à la mécanique.
Il m’arrivait de partir en excursion dans une décharge voisine pour piquer des appareils divers et variés et, revenu chez moi, je les démontais pour voir comment ils étaient faits. Je lisais la consternation dans les yeux de mes frères et sœurs. Ma mère, elle, me grondait. Tu veux attraper le tétanos ? Je t’interdis de retourner là-bas ! Et si tu te coupes ? Et si tu tombes ? Et si tu te fais mordre par un rat ? Et si tu te fais compacter comme une carrosserie de voiture ?
L’imagination des mères est incroyablement prolifique. Mais je l’aimais plus que tout malgré ces quelques effets de zèle surprotecteur. Elle seule entrevoyait quelque chose de prometteur dans mes gribouillis bizarres de rêveur. Très tôt, je couvris mes carnets de croquis d’inventions improbables, de réflexions métaphysiques, de poésies…
Quand je lisais dans la cour de récré des livres de grands maîtres de la science-fiction, comme Les Robots d’Isaac Asimov ou Dune de Frank Herbert, je surprenais des propos moqueurs de certains camarades de classe dénués-de-classe, dont le jeu était de trouver les bons mots qui font mal. Les malveillants veillaient toujours à parler suffisamment haut et fort pour être entendus de leur victime. Laisse-le, il est bizarre.
Je percevais le mépris. Mais aussi une forme de peur qui suscitait mon étonnement. En quoi pouvais-je bien les effrayer, moi qui n’aurais pas fait de mal à une mouche ?
Je cherchai la définition de « bizarre » dans le dictionnaire. D’un caractère difficile à comprendre, fantasque. Je n’étais donc pas, aux yeux des autres, tout à fait « normal ». Je me suis beaucoup interrogé. Qu’est-ce que ça pouvait bien être, la normalité ? Sûrement un truc qui rassure. Si seulement je comprenais mieux en quoi ça consiste, avais-je souvent songé.
Il m’était même venu à l’idée, en dernière année d’école élémentaire, de me créer un observatoire de la normalité. Je pris la chose très sérieusement, tenant un carnet où je notais les stratagèmes envisageables : partager quelques bonbons avec les copains à la sortie des cours. Moins lever la main, et ne surtout pas donner trop de bonnes réponses à l’oral. Oser une petite insolence avec la maîtresse. Aimer le foot et les jeans à trous. Avoir une amoureuse (mot Avoir raturé. Remplacé par S’inventer). Recracher bruyamment ses épinards à la cantine en ayant l’air de trouver ça le plus dégueu possible. Acheter du faux sang pour Halloween. Graver ses initiales aux ciseaux sur sa table sans se faire attraper…
Malgré mes nobles tentatives, je restais celui avec qui il n’était « pas cool » de traîner.
Les choses ne se sont pas arrangées quand je suis entré au collège. D’objet de curiosité, je suis passé à bouc émissaire. Et là, j’ai compris qu’il me fallait réagir.
Je devais trouver un moyen de me faire accepter. Ne serait-ce que pour faire cesser les micro-harcèlements qui devenaient franchement pénibles, et parfois les castagnes des petites brutes du bahut, qui me valaient des collections de bleus au corps comme à l’amour-propre. L’amour-propre, qui guérit moins vite que le corps…
J’avais la chance d’avoir un père bricoleur. Il avait une passion pour les vieilles motos. Il en achetait, les retapait entièrement et les revendait ensuite. J’avais donc à portée de main tout un attirail d’outils qui me fascinaient. J’aimais passer un maximum de mon temps libre dans ce lieu paisible et inspirant. Seul. Tranquille dans mon univers, en tête à tête avec mes rêveries. Enfin chez moi. C’est là que j’ai créé mes premières bestioles articulées. Des araignées mécaniques. J’installai un accéléromètre couplé à un capteur de présence. Ainsi, dès qu’une main s’approchait à une certaine vitesse pour attraper l’araignée, elle détalait. Je peaufinai mon prototype en rajoutant une led rouge qui s’allumait pendant l’action. C’était du meilleur effet !
J’appelai mes spécimens des SpiderTrick. Elles connurent un franc succès dans la cour de récré. Grâce au bouche-à-oreille, j’eus même des commandes passées sous le manteau par des petits caïds des lycées du quartier, avides de bonnes affaires. Ils m’achetaient les SpiderTrick une bouchée de pain pour les revendre trois fois plus cher. Je me trouvai enrôlé malgré moi dans le trafic. Le proviseur finit par avoir vent de ce marché noir d’ados pas blanc-bleu. Cela fit toute une histoire. Convocation des élèves. Des parents. Passage de savon mémorable. Finalement, exclusion temporaire.
Je réalisai un gros effort de composition pour ne pas exploser de joie à l’annonce de ce renvoi qui sonnait le glas de mon impopularité, j’en étais persuadé. C’est en effet auréolé d’une certaine gloire que je fis mon retour au collège quinze jours plus tard, désormais en « rebelle » respecté.
Autant dire qu’avec cette mésaventure j’étais, à douze ans à peine, définitivement piqué par le virus de l’invention.

Scène 2
Arthur, un genou à terre, absorbé par sa tâche, prête à peine attention aux paroles de son camarade.
— Allez, viens, dit l’autre. On se taille !
— Ça va, tranquille, mon frère ! Continue à surveiller pendant que je termine…
Médine se dandine en faisant le pied de grue. Arthur voit bien que son pote le maudit intérieurement. Il n’a peut-être pas tort de s’inquiéter. S’ils sont pris, ils sont morts. Leur ardoise à conneries n’étant déjà plus très blanche, ils ne peuvent se permettre d’en rajouter une couche. Mais Arthur a cette manie d’être confiant et d’avoir un sang-froid à toute épreuve.
— Dépêche-toi ! s’agace encore Médine, de plus en plus nerveux.
Arthur est agenouillé et agite sa bombe pour continuer son tag. Ça fait deux semaines qu’il travaille sur le projet. Il a repéré la bonne bouche d’égout à grille. Il a passé beaucoup de temps à préparer son pochoir. Planqué dans sa chambre, alors que sa mère le croyait endormi, il se relevait pour travailler le dessin, minutieusement, avant d’en venir aux découpes sur la plaque de polypropylène à l’aide d’un X-ACTO, cette lame fine particulièrement acérée qui lui permet d’évider certaines parties du pochoir avec une grande précision.
— Attends ! Faut que je fasse les finitions.
Arthur voit bien que son pote est à bout. Il a l’air furieux.
Malgré tout, il est trop tard pour reculer : il faut finir. Tant pis pour les humeurs de son comparse. Arthur troque sa bombe noir mat pour un bleu lighting. Il retire la fat cap, embout trop large, et opte pour une skinny cap, plus adaptée aux détails. Et ressent un vrai bonheur à illuminer son graffiti d’effets de halo. Le moment si excitant de la révélation est arrivé. D’un geste rapide, il enlève le pochoir.
— Alors ? lâche-t-il avec une certaine fierté.
Médine est ébahi. Sous ses yeux, la bouche d’égout s’est transformée en squelette, avec la grille pour cage thoracique surmontée d’un message qu’Arthur est fier d’avoir trouvé : « Dégoût et des couleurs ». Il est content d’avoir pu exprimer à travers cette création un peu de sa révolte contre le système qui l’opprime à force de vouloir le faire entrer dans un moule trop petit pour lui ! Estampillé cancre, marqué au fer rouge de l’échec scolaire, il a parfois l’impression d’être déjà bon à jeter aux égouts… Si seulement il trouvait sa place !
En rangeant le matériel, un pan de son manteau traîne malencontreusement sur le tag pas encore sec.
— P… ça a bavé ! s’énerve Arthur.
Médine le tire par la manche, franchement inquiet, à présent. Un adulte se pointe. Pire. Un agent. Arthur attrape son matériel au vol, et les deux amis détalent à toutes jambes, entendant dans leur dos les interjections braillardes de leur poursuiveur. Arthur jette un regard à son ami qui semble avoir du mal à suivre le rythme et maudit un instant les quelques kilos en trop qui le ralentissent.
— Je sais où aller, suis-moi !
S’ils ne courent pas plus vite, ils vont se faire attraper ! Ils arrivent devant le grand hôtel de la ville.

Arthur entraîne Médine dans l’arrière-cour, l’entrée des fournisseurs. Là, attendent des chariots remplis de draps blancs prêts à être envoyés au pressing. Il saute dedans, suivi par Médine, et tous deux s’ensevelissent sous le linge.
L’agent municipal arrive peu après, à bout de souffle.
— Vous n’avez pas vu deux ados passer par là ?
La femme de chambre hausse les épaules. L’agent soupire et rebrousse chemin.
C’est ce qui s’appelle se mettre dans de sales draps, se marre Arthur, content de sa prouesse du jour.
Soudain, il sent le chariot bouger.
— Hey !
La femme de chambre pousse un cri de frayeur quand elle voit deux énergumènes hirsutes sortir de là. Elle les chasse sans ménagement. Ils attendent d’avoir dépassé le coin de la rue pour se bidonner.
Ils se dirigent vers la boulangerie. Toutes ces émotions, ça creuse. Ils en ressortent chacun avec un pain au chocolat et un Coca, et déambulent dans le quartier en savourant ce plein de sucre au bon goût d’après-exploit.
Le téléphone d’Arthur sonne.
— Attends, c’est ma daronne. (Changement de ton.) Allô, maman ? T’inquiète, j’rentre, là. Mais non, je traîne pas, je suis avec Médine, on mange juste un truc. Mais oui, je vais les faire, mes devoirs ! Je gère, je te dis ! Je peux pas te parler plus, je suis dans la rue, là. J’arrive…
Quand il raccroche, Arthur a le visage fermé. Médine se marre. Arthur le fusille du regard. Ils se séparent à l’habituel croisement après avoir échangé un check.

Arthur fourre les mains dans ses poches et rabat la capuche de son sweat-shirt. Il trace le long de la rue marchande. Il ne veut pas contrarier davantage sa mère. L’ambiance est suffisamment tendue à la maison. Il remarque néanmoins un nouveau magasin qui fait l’angle. Depuis des semaines, l’emplacement était caché par les travaux. Il se demande qui a bien pu s’installer. Un opticien ? Une boutique de téléphonie ? Un coiffeur ? songe-t-il, désabusé d’avance. Rien de tout cela. Quand il approche, la devanture l’intrigue au plus haut point. Il lit en grosses lettres calligraphiées, blanches sur fond noir :
Le Bazar du zèbre à pois.

Scène 3
Basile, ta présentation laisse encore à désirer… me dis-je avec mon perfectionnisme habituel. J’apporte les dernières finitions à la boutique depuis des heures. Il faut dire, j’ai le temps. Difficile d’attirer le chaland en nombre dès le premier jour. Rien d’anormal. Pour l’heure, les gens repèrent. Ils passent, s’arrêtent quelques secondes devant la vitrine, s’interrogent.
Revenir à Mont-Venus, six mois auparavant, avait été pour moi un authentique retour aux sources. Mont-Venus… Le nom me fait sourire aujourd’hui encore. Je revois ma mère, quand elle dictait notre adresse, préciser avec un sérieux désarmant : « Venus, sans accent, s’il vous plaît, du verbe “venir”. » Oui, l’enfant du pays est de retour. Un aller simple. Je reviens ici dépouillé de mon passé, en homme assassiné qui marche encore debout. Un homme qui avait tout dans les mains et qui a trouvé le moyen de perdre son essentiel. Et c’est bien ce que je suis venu chercher ici : un essentiel. Repartir de zéro et, dans un élan fondateur, me réinventer dans un projet qui a du sens. Renaître de mes cendres. Fini la course folle et égotique après l’argent et la renommée. Je n’aspire plus qu’à une forme de calme, de paix et de joies simples. Je n’ouvre pas une boutique. Je m’offre un nouvel art de vivre. Plus épuré. Plus authentique. Les objets que j’invente titillent l’imagination, la créativité, et poussent l’esprit à s’éveiller à un mode de pensée plus audacieux. Ils ne sont d’aucune utilité pratique… C’est ce qui m’amuse. Sur la porte, j’ai peint en jolies lettres cursives la mention : Boutique d’objets provocateurs.
J’en ai conscience, lancer une telle affaire à Mont-Venus est une grosse prise de risque. Dieu sait pourtant que je l’aime, cette jolie commune de France, avec ses cinquante mille habitants, fiers de garder un pied dans un glorieux passé de coutumes… Mais, il faut bien le reconnaître, la ville n’est pas vraiment réputée pour être une plateforme de l’avant-garde. Et le bazar pourrait bien détonner sur la grande rue marchande où se concentrent les commerces traditionnels.

Bien sûr que ma formule de concept store commencera par dérouter. Mais j’ai confiance. Et j’adore l’idée de contribuer à démontrer que l’esprit d’invention n’est pas l’apanage des grandes métropoles.
Qu’importe si, au départ, les gens d’ici sont interloqués. L’objectif est de les surprendre, de les amener à céder à leur curiosité en franchissant le seuil pour découvrir mon univers.
Dehors, j’ai recyclé une vieille enseigne en fer forgé, afin d’y placer mon logo de zèbre à pois, visible de loin. Un logo rond avec, à l’intérieur, une évocation très stylisée de zèbre avec des points en guise de rayures. J’avais cherché une image pouvant exprimer graphiquement l’idée d’atypisme. Le zèbre m’est apparu comme l’un des animaux les plus graphiques avec ses incroyables rayures. Mais, les rayures, c’était encore trop attendu. Alors qu’un zèbre à pois, tel un mouton à cinq pattes, me semblait plus singulier. De même, tout le décor de la boutique a été pensé dans un esprit contemporain, que je conçois comme le choc d’un joyeux mélange des genres. D’où un parti pris très design à l’extérieur, et décalé-vintage à l’intérieur, façon loft-atelier d’artiste. Oser le contraste me paraissait indispensable ! D’abord, la façade en bois noir, modernité d’une esthétique sobre et élégante que j’affectionne : lignes épurées, lettres de l’enseigne peintes en élégantes minuscules blanches aux pleins et déliés indémodables – la police Elzévir est à la typographie ce que la petite robe noire est à la mode. La grande vitrine met en scène, au premier plan, les créations phares, et permet d’apercevoir, au second plan, l’intérieur : différents espaces, comme des écrins pour présenter chaque ligne d’objets en série limitée, afin d’en souligner la poésie, le mystère ou la provocation. Là, un pan de mur en brique, là, un mur blanc et un autre noir, et en haut de la mezzanine, mon bureau-atelier auquel on accède par un escalier d’acier en colimaçon. Tout l’avant de la boutique est baigné de lumière grâce à sa verrière et à son incroyable hauteur sous plafond.
Le visiteur circule entre les étals comme dans une exposition, et s’arrête, au gré de ses envies, devant les inventions qui l’interpellent. Pour autant, pas de vraie parenté avec une galerie d’art. Le Bazar du zèbre à pois se veut un lieu qui « donne à vivre » autant qu’à voir. On y vient, on s’y étonne, on s’y amuse, on s’y assoit, on y grignote, on y sirote, on y papote…
Tel un temple de la curiosité qui n’imposerait pas le chuchotement.
Je suis même allé jusqu’à improviser un mini-coin salon de thé, cosy et accueillant avec son mobilier rétro, et annoncé par une pancarte en métal peint qui détourne le « Home sweet home » en « Shop sweet shop ».

Tandis que le soir tombe en ce début d’automne, je m’approche de la vitrine pour contempler le logo en fer forgé de mon zèbre qui se balance légèrement au gré du vent. Fierté.
Soudain, le carillon de l’entrée retentit. Un grand garçon entre. Quel âge peut-il avoir ? Quinze, seize ans ?
— Bonsoir ! Bienvenue !
Son regard arrête ma cordialité dans son élan. Je m’efface pour lui laisser de l’espace et tout le loisir de fureter à sa guise. Tout en faisant ensuite mine de ranger afin de l’observer du coin de l’œil.
Je note le manteau maculé de peinture noire. Des taches qu’il a aussi sur les doigts. Avec sa capuche rouge remontée sur la tête, il se donne des airs frondeurs comme pour clamer une rébellion sans doute moins bien assumée qu’il n’y paraît. Je détaille furtivement son visage rond aux traits harmonieux en dépit d’une légère déviation de la cloison nasale, ses yeux noirs brillants avec un je-ne-sais-quoi de fuyant, ses cheveux d’un brun foncé à la coupe soignée qui tranche avec le négligé de sa tenue. La mode dicte ses effets de style comme des figures imposées aux jeunes garçons de sa génération : le plus souvent, un dégradé, avec les cheveux très courts sur les côtés et plus longs sur le dessus, sans oublier une raie de séparation marquée par un trait tracé à la tondeuse.
Je souris à ce conformisme capillaire, qui me rappelle mes propres paradoxes : comment appartenir au groupe tout en trouvant sa singularité ?
L’ado s’avance vers le premier étal où trônent les bestioles de mon enfance. Les SpiderTrick nouvelle génération. Il ne comprend pas comment ça marche. Ça l’énerve. Je laisse faire. Si je lui montre, son plaisir de la découverte sera gâché. Il fait l’effort de lire le petit carton de présentation qui livre les secrets de mon insecte à pattes mécaniques. Il comprend le système du détecteur de présence et de l’accélérateur de vitesse qui déclenche le mouvement à l’approche de la main qui veut se saisir de l’insecte. Il sourit discrètement et recommence deux, trois fois.
J’ai l’impression d’avoir passé le premier tour face à un jury exigeant.
Redevenu méfiant, il poursuit son exploration du côté des objets de prêt-à-penser. Le voilà devant mes « boîtes de conserve pour ouvrir l’esprit ».
La première porte le message : « Les rêves ne poussent pas dans les boîtes à sardines ».
À l’intérieur, quatre petites sardines alignées, en bois peint. Chacune porte une inscription avec deux antonymes, censés faire réfléchir à la conception de la vie qu’on veut avoir. « Généreux ou étriqué ? » ; « Constructif ou critique ? » ; « Audacieux ou frileux ? » ; « Volontaire ou passif ? »
L’ado se gratte la nuque. Je jurerais que ça cogite, là-dedans.
Je me réjouis intérieurement. Il s’empare d’une autre boîte, et je vois ses lèvres en lire l’intitulé : « Conserve politisée ». Il l’ouvre et sursaute tandis qu’un message jaillit façon diable dans la boîte « Non aux idées conservatrices ! » Il se tourne vers moi et lâche, goguenard :
— Elles servent à rien, ces boîtes !
Je m’amuse de sa réaction :
— D’un point de vue pratique, non, en effet. Après, est-ce que tu estimes que ce n’est rien, un objet qui te fait réfléchir, ou même un objet qui te fait juste sourire ?
Ses yeux se plissent comme pour me scanner. Sur le point de surenchérir, il ravale sa réplique et fait mine de porter son attention sur la boîte de conserve de Heinz Baked Beans vintage revisitée avec le slogan d’Obama « Yes, we can! ».
Son visage s’éclaire sitôt qu’il pige.
— Bien trouvé, pour celle-là !
Je lui souris.
— Tu veux que je t’explique mieux le concept de la boutique ? tenté-je.
— Non. Merci. Je regarde simplement.
Il passe rapidement devant la lampe-palindrome – le mot RÊVER qu’on peut lire dans les deux sens avec l’inscription sur le socle « rêver donne du sens », et s’arrête devant l’horloge sabliers.
— Et ça ?
— C’est l’horloge fil-du-temps. Tu vois, il y a douze sabliers agencés sur deux rangées. Dans chacun d’eux, le sable s’écoule en une heure. Tu peux ainsi avoir en un clin d’œil une idée de l’heure qu’il est… Mais c’est surtout un bel objet qui permet de garder à l’esprit la valeur du temps qui passe.
— Pas mal…
L’horloge lui plaît.
— Ça vaut combien ?
— Quatre-vingt-neuf euros
— Ah ouais, quand même…
Il la repose.
Puis son regard se porte sur un cadre noir accroché au mur.
À l’intérieur… Rien. Il fronce les sourcils, se tourne vers moi, interrogateur.
— Euh, là, je ne comprends pas ! Il n’y a rien à voir ?
— Précisément, souris-je. Là, ce qu’il y a à voir, c’est le « rien ». Prends ça comme de l’art conceptuel. L’objet t’invite à réfléchir à l’utilité du rien. Le cadre est vide. Métaphoriquement, c’est une manière de dire au spectateur qu’il est bon de laisser place au vide dans son existence, sans chercher à la sur-remplir. Le temps du rêve, le temps de l’être… Le temps du rien ! Par exemple, s’asseoir juste pour se sentir vivant. Présent au présent. Imagine une partition de musique sans aucune pause, sans aucun silence. Ce serait une insupportable cacophonie ! Pourtant, combien de gens aujourd’hui saturent leur vie d’activités, d’agitation, de faire-à-tout-prix ? Tout va trop vite, on court après le temps, on voudrait « prendre le temps », comme on prendrait un crédit à la consommation : sans s’en donner vraiment les moyens. Or le temps s’écoute comme un silence. Il ne prend forme que si on s’autorise à le regarder être. Sinon, il vous glisse entre les doigts.
Et j’ajoute, malicieux :
— Ce n’est peut-être rien, mais ça change… tout !
Je vois qu’il tilte. Ça me fait plaisir. Il va pour parler, mais son téléphone sonne. Il le cherche fébrilement dans ses poches en lâchant quelques jurons. Visiblement, il est attendu. Il ne finira pas son tour de la boutique. Dommage, il était sur le point de découvrir mes plus belles pièces. Une autre fois, peut-être. Je le regarde partir, touché qu’un grand ado ait été sensible à l’esprit du bazar. Quant à la SpiderTrick qu’il a glissée dans sa poche, je feindrai de n’avoir rien vu.

Scène 4
Giulia vit un matin de semaine comme les autres, où l’ordinaire dicte les gestes et fixe la cadence. Elle s’apprête à quitter la maison et attrape le trousseau de clés sur la console en wengé de l’entrée. Avant de sortir, elle ne peut s’empêcher de jeter un coup d’œil à son reflet dans le miroir. Elle note l’apparition de deux ridules au coin de ses yeux. Et se demande si elle peut encore plaire. Elle inspecte ses pommettes hautes, sa peau diaphane, sa bouche aux volumes doux, et les longues franges de ses cils noircis de mascara, qui soulignent joliment le bleu des yeux. À la naissance de son cou, un grain de beauté, semblable à une mouche en taffetas noir, trahit son tempérament passionné derrière son côté discret. Oui, elle a encore ses atouts.
— J’y vais ! crie-t-elle à son fils.
Elle l’entend marmonner depuis sa chambre. Elle sait bien qu’il n’est pas prêt. Il va encore être en retard au lycée, songe-t-elle, irritée.
D’aussi loin qu’elle se souvienne, son fils n’a jamais été dans les clous pour respecter les règles, les consignes, le cadre. Elle songe à toutes ces années de patience pour l’aider à s’adapter au système scolaire et réussir l’impossible : faire rentrer un carré dans un rond. L’incompatibilité avec le système se voyait moins dans les petites classes. À l’époque, son garçon savait surfer comme personne sur ses facilités pour s’en sortir avec le moindre effort. Malheureusement, en grandissant, la supercherie ne passait plus. De déconfiture en déconfiture, il avait fallu se rendre à l’évidence : Arthur n’était pas scolaire. Alors le parcours éducatif s’était peu à peu transformé en chemin de croix. Et, entre elle et lui, les relations s’étaient tendues à l’extrême, jusqu’à devenir « balkaniques ». Prêtes à exploser à tout instant… Giulia reconnaissait que le départ du père d’Arthur et leur séparation n’avaient rien arrangé. Son ex-mari avait-il fui les responsabilités qu’implique l’éducation d’un enfant atypique quand il grandit comme une herbe folle ?

Perdue dans ses pensées grises, Giulia pousse un cri quand elle manque de se faire écraser par un automobiliste qui l’incendie copieusement. Elle s’excuse platement. Elle ne peut s’empêcher de mettre son manque de vigilance sur le compte du stress et de l’indicible sentiment de morosité qui monte en elle depuis le matin.
À peine un pied hors du lit, elle s’est levée fatiguée. Une sensation qui ne la quitte plus désormais. Vers la machine à café bénie, elle a successivement buté sur les sneakers en vrac d’Arthur – enlevées, cela va de soi, sans que les lacets en soient défaits –, sur le sac à dos d’Arthur – pas ouvert depuis la veille au soir –, sur les chaussettes en vrac d’Arthur – elle découvrirait probablement les esseulées dans quelque endroit incongru de la maison un jour prochain, lors du grand ménage de printemps –, enfin sur Arthur lui-même et son mètre quatre-vingts. Un grognement rauque en guise de bonjour et un rapide bisou donné à l’arrache sans interrompre le rap en roue libre dans ses oreilles. À ce degré d’écoute intensive, ce ne sont plus des écouteurs, mais des greffes auditives…
Giulia attrape le bus in extremis. Le long du trajet, elle a soudain envie d’écrire une lettre virtuelle à son fils, de faire parler son cœur, trop souvent tiraillé entre amour et agacement. Le propre de l’adolescence ? Les mots défilent dans sa tête en même temps que le paysage.

Arthur… Je t’aime, moi non plus. C’est l’air que nous jouons, toi et moi, ces derniers temps.
Bien sûr que je t’aime. Alors pourquoi ai-je si souvent envie de t’étrangler ? Peut-être est-ce pour cela que j’ai tant ri en regardant la série Les Simpson, avec la manie du père, Homer, d’étrangler son fils Bart.
Ce pétage de plombs, comme il est tentant, parfois ! Mères sous tension. Femmes au bord de la crise de nerfs. Mon fils, j’ai l’honneur de te dire que tu mets de l’Almodóvar dans ma vie.
Avec toi, l’ordinaire domestique ressemble au mythe de Sisyphe. Un éternel recommencement de suppliques pour t’éduquer aux gestes élémentaires du bien-vivre ensemble. Un ensemble de petites exigences légitimes qui restent trop souvent lettre morte.
Ces choses si simples demandent-elles donc un master en domesticité ?
Peux-tu concevoir que la lunette des toilettes n’est pas plus jolie levée, que plier tes affaires, ce n’est pas les mettre en boule, que le linge propre n’aime pas atterrir au sale, ni le linge sale être rangé avec le propre, qu’il y a mieux pour dormir qu’enfiler ton plus beau polo bien repassé, que mettre la table, ce n’est pas seulement y jeter deux couverts, que quoi que tu en penses, les éponges ne sont pas des rats morts et les miettes à nettoyer pas davantage des insectes répugnants, que la poubelle est ton amie, et que tes biscuits préférés ne repousseront pas des emballages jonchant le sol de ta chambre…
Je sais qu’au fond de toi tu rechignes à exécuter ces tâches par peur de perdre tes privilèges. Sans doute penses-tu que, si tu me montres que tu peux, plus jamais je ne le ferai pour toi. Sans doute pressens-tu aussi que tu vis là tes dernières minutes d’enfance et retiens-tu quelques instants de plus l’insouciance de cet âge d’or où d’autres « prennent en charge ».

Une dame monte dans le bus avec une poussette. Encore tant d’années pour élever sa progéniture ! songe Giulia, compatissante. Elle se rappelle une publicité pour France 5 : « Éduquons ! C’est une insulte ? » Éduquer, ce n’est pas un gros mot, mais une grande responsabilité. Ni facile ni amusant. Elle ne s’était pas imaginé devenir un jour un moulin à messages contraignants. Tous ces Fais pas ci, fais pas ça qui rentrent par une oreille et ressortent par l’autre.

Mon fils, la semaine passée, j’étais à deux doigts de prendre rendez-vous chez l’ORL pour faire vérifier ton audition. Tu as une écoute-gruyère et il y a des trous partout dans nos dialogues de sourds. Pourtant, je ne veux pas jeter l’éponge. Je sais que l’acné de nos réactions épidermiques s’estompera avec le temps… et avec l’âge.

Giulia descend à l’arrêt habituel. Elle ne prête pas attention au charme des ruelles qu’elle traverse d’un pas pressé, à ces immeubles bas aux façades colorées dans des camaïeux d’ocre, aux jolis balcons ouvragés en fer forgé, à l’arcade du jardin botanique qu’elle dépasse sans un regard pour sa célèbre fontaine de Vénus à la tresse. Elle n’a d’yeux que pour sa montre. Ne surtout pas être en retard à la visioconférence très importante avec la direction de Paris qui veut soumettre un nouveau brief « de la plus haute importance », lui a-t-on rapporté. Chaque fois que le siège appelle, il souffle un vent de panique dans leur petite équipe de sous-traitants. Elle connaît cette façon de mettre la pression, de prendre au sérieux et presque au tragique l’arrivée de toute nouvelle demande client.
Pourtant, il n’y a vraiment pas de quoi, songe Giulia, à fleur de peau. Elle ne veut même pas y penser maintenant. À ce creux au fond d’elle-même, sur lequel elle essaye de ne pas s’attarder. Parce qu’il faut que ça tourne. Qu’elle ne peut s’offrir le luxe d’imaginer que les choses pourraient être autrement. Regarder en face son vide de sens, elle n’en a pas les moyens. Elle vient travailler là tous les jours parce qu’elle le doit. C’est tout. De loin, sa situation peut même paraître enviable, voire gratifiante… Mais alors pourquoi Giulia se sent-elle désabusée de la sorte quand elle pense à sa carrière ? Ce n’est pas si mal… tente-t-elle de se persuader. Des pensées cache-poussière. »

Extraits
« Pour Louise Morteuil, ce jeune garçon est la résultante typique d’une éducation démissionnaire, et ce Basile l’incarnation même de l’adulte permissif qui, croyant aider la jeunesse, la pousse dans ses travers. En encourageant ces activités décadentes, comme le graffiti, trompeusement ludiques et irrésistibles comme un paquet de bonbons, il renforce une vision faussée de la vie et de ses réalités, à savoir les efforts et le travail indispensables pour mériter et s’en sortir.
Elle s’éloigne, l’esprit débordant d’arguments qui valident son point de vue. Une chose est sûre: dorénavant, ces deux-là sont dans son collimateur. » p. 124

« Avec les Brain-bornes, j’ai envie d’amener les gens à s’intéresser de plus près aux incroyables capacités du cerveau droit, souvent sous-développées. Parce que les sociétés donnent encore généralement leur préférence aux approches très «cerveau gauche». Forcément ! Elles ont quelque chose de plus rassurant: pragmatisme, rationalisme, mesures quantifiables, effets mesurables, fil linéaire d’un mode de pensée qui ne part pas dans tous les sens… » p. 152-153

À propos de l’auteur
GIORDANO-raphaelle_©DRRaphaëlle Giordano © Photo DR

Écrivain, spécialiste en créativité et développement personnel, Raphaëlle Giordano est l’auteure de Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en as qu’une, premier roman phénomène, vendu à plus de 2 millions d’exemplaires en France et traduit dans plus de trente pays, suivi par Le jour où les lions mangeront de la salade verte et Cupidon a des ailes en carton. (Source: Éditions Plon)

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Le bonheur est au fond du couloir à gauche

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En deux mots:
La belle histoire d’amour entre Michel et Bérénice prend fin brutalement après trois semaines. Et l’opération reconquête s’avère bien délicate. Pas davantage les psys que les marabouts ne peuvent l’aider. Alors peut-être que le suicide… À moins que la solution ne se trouve dans les livres de développement personnel.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

La vie ne vaut d’être vécue que du bon côté

J.M. Erre nous revient avec un roman chargé d’humour qui raconte la tentative de reconquête d’un homme éconduit. Michel parviendra-t-il à faire revenir Bérénice? Sa liste de recettes mérite le détour!

On dira que Michel n’a pas eu de chance. Mais il est vrai qu’il n’a pas demandé à naître. Pendant 25 ans, jusqu’à ce moment où Bérénice décide de le quitter, il aura été «un enfant triste, un adolescent cafardeux avant de devenir un adulte neurasthénique». Il faut dire que la marche de l’Histoire ne l’a pas gâté. Il est né le jour du déclenchement du génocide rwandais et a été baptisé la veille du massacre de Srebrenica. Et ce n’est pas son déménagement rue de la Gaîté qui a arrangé les choses. Il a la mélancolie solidement ancrée en lui. Sa fréquentation assidue des psys ne va pas non plus lui être d’un très grand secours. Pour ces professionnels, il est un «obsessionnel compulsif bipolaire gravement dépressif, franchement hypocondriaque, volontiers paranoïaque et fortement inhibé à cause d’un rapport pathologique à la mère.»
La solution serait donc le suicide. Mais après consultation des statistiques en la matière et le visionnage d’un discours d’Emmanuel Macron, il doit bien se rendre à l’évidence: le suicide, c’est dangereux! L’objectif de reconquérir le cœur de Bérénice semble davantage à sa portée, d’autant que Google n’est pas avare en solutions, de la méthode du psy canadien à celle du marabout burkinabé. Sauf que ces dernières brillent par leur inefficacité. Heureusement, il reste les blogs, eux aussi très suivis et pas avares en bons conseils. Pourquoi ne pas suivre celui de Martine de Gaillac et «irradier de bonheur pour rendre les autres heureux»? Mais là encore, c’est plus vite dit que fait.
Restent les livres. Ceux que Bérénice lui a laissé, ces ouvrages consacrés au bonheur et aux moyens de l’atteindre, de le conserver, voire de l’accroître. Oui, Le bonheur est au fond du couloir à gauche!
J.M. Erre, avec son humour pince-sans-rire, fait une fois de plus la démonstration que la vie ne vaut d’être vécue que si on la prend du bon côté (encore faut-il savoir où est le bon côté). En s’amusant avec les recettes toutes faites et les manuels de développement personnel qui ne développent fort souvent que le tiroir-caisse de leurs auteurs, il fait œuvre salutaire. Et nous en fait voir de toutes les couleurs: sous couvert de fantaisie bien noire, il nous offre un moment de vie en rose. De quoi effacer quelques bleus à l’âme…

Le bonheur est au fond du couloir à gauche
J.M. Erre
Éditions Buchet-Chastel
Roman
192 p., 15 €
EAN 9782283033807
Paru le 7/01/2021

Où?
Le roman est situé en France, principalement à Paris.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Enfant morose, adolescent cafardeux et adulte neurasthénique, Michel H. aura toujours montré une fidélité remarquable à la mélancolie. Mais le jour où sa compagne le quitte, Michel décide de se révolter contre son destin chagrin. Il se donne douze heures pour atteindre le bien-être intérieur et récupérer sa bien-aimée dans la foulée. Pour cela, il va avoir recours aux pires extrémités: la lecture des traités de développement personnel qui fleurissent en librairie pour nous vendre les recettes du bonheur…
Quête échevelée de la félicité dans un 32m² cerné par des voisins intrusifs, portrait attendri des délices de la société contemporaine, plongée en apnée dans les abysses de la littérature feel-good, Le bonheur est au fond du couloir à gauche est un roman qui vous aidera à supporter le poids de l’existence plus efficacement qu’un anti-dépresseur.

Les critiques
Babelio 
Lecteurs.com
France Télévisions Rédaction Culture (Carine Azzopardi)
L’Espadon https://www.lespadon.info/2021/01/le-bonheur-est-au-fond-du-couloir.html
L’Essor 42 (Jacques Plaine)
Blog Sans connivence
Blog Cathulu


Présentation du nouveau de J.M. Erre, Le bonheur est au fond du couloir à gauche © Production France Info

Les premières pages du livre
« Au début de mon histoire, il y a une NDE.
NDE est l’acronyme de Near Death Experience. En français: une expérience de mort imminente. De nombreuses personnes rapportent le même épisode troublant. Elles parlent d’un long tunnel sombre avec une lumière blanche au bout. Elles mentionnent des voix célestes qui les appellent, des créatures angéliques qui les invitent à les rejoindre. Elles évoquent un passage vers un autre territoire, un autre monde, une autre vie.
Moi aussi, j’ai connu tout ça. Le tunnel obscur, la lumière blanche, les voix de l’au-delà, l’attraction irrésistible vers l’inconnu… À vrai dire, j’ai longtemps hésité avant de passer de l’autre côté. Ce n’est pas que je regrettais ma vie d’avant – avais-je seulement vécu ? –, mais je me méfiais. Un mauvais pressentiment. Je sentais que quelque chose clochait. Je flairais le piège. Je soupçonnais que c’était un aller sans retour et que j’allais le regretter.
Finalement, je n’ai pas eu à faire de choix, car on m’a poussé vers la lumière. Impossible de résister. J’ai longé le tunnel, j’ai franchi le seuil, j’ai fait le grand plongeon dans l’éblouissante clarté.
Et je suis né.
C’était il y a vingt-cinq ans. Je ne m’en suis jamais remis.

Notre naissance est une expérience de mort imminente. Reste juste à connaître la durée de l’imminence.
J’ouvre les yeux et je vois Bérénice. Quoi de plus beau que le doux visage de l’Amour penché sur soi au réveil après une bonne nuit de treize heures sous Stilnox ? Elle est divine dans sa doudoune rouge, avec son bonnet sur la tête et son gros carton dans les bras. Elle me dit : « Michel, je te laisse mes bouquins. »
Bérénice m’offre un cadeau dès le réveil. J’ai une femme merveilleuse. Prévenante, cultivée, niveau 7 au sudoku, je ne la mérite pas. Si je pouvais, je lui mettrais cinq étoiles sur TripAdvisor. Elle ajoute : « C’est grâce à eux que j’ai trouvé la force de te quitter. Ils pourront t’être utiles, espèce de taré. »
Bérénice laisse tomber le carton de livres, m’écrase trois métatarsiens, empoigne sa valise et sort de la chambre. Je ne suis pas sûr qu’elle ait dit « taré ». C’était peut-être « connard » ou « salaud ». Qu’importe, c’est l’intention qui compte : Bérénice me fait un cadeau.
La porte claque. Quand l’Amour s’en va, on ne réfléchit pas, on agit. Pas une seconde d’hésitation : je prends un Lexomil.
La porte s’ouvre. L’Amour revient, c’est magique. Bérénice avait besoin d’une petite pause pour faire le point, ça arrive dans tous les couples. Nous allons nous réconcilier sous la couette dans un déchaînement sulfureux de nos sens et une extase de nos fluides qui…
« Par contre, je récupère mon Camus ! »
Bérénice s’accroupit dans un mouvement d’un érotisme échevelé, pousse un ahanement d’invitation au plaisir, puis se relève en brandissant L’Étranger, notre livre de chevet.
La porte claque. Bérénice disparaît. La table de chevet penche dangereusement sur la droite. Sans littérature pour caler l’existence, tout menace de s’écrouler. Je pleure.
Mes troubles de l’humeur sont apparus assez tôt, environ une demi-heure après ma naissance, lors de la première tétée. Il paraît que je refusais obstinément de prendre le sein, sans doute par volonté de boycotter l’hypocrite pot de bienvenue offert après mon expulsion sauvage.
Suite à neuf mois paradisiaques dans un bain d’Éden amniotique thermostat 2, j’ai été brutalement mis à la porte sans préavis. Expulsé dans le froid, nu et sans défense : on ne ferait même pas subir ça à des punks à chien squatteurs d’immeubles.
Ah, elle est belle, la patrie des droits de l’homme.
J’hésite à me lever, car Pascal a écrit : « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. » Je l’ai appris à Bérénice qui m’a répondu que je n’avais qu’à m’installer en couple avec Pascal. J’ai bien conscience que la probabilité d’un arrière-plan ironique dans la répartie de ma bien-aimée n’est pas nulle, mais qui suis-je pour contredire un philosophe inscrit au programme de l’Éducation nationale ?
Je me souviens soudain que les accidents domestiques sont la troisième cause de décès en France. D’après les statistiques officielles, vingt mille personnes meurent chaque année chez elles, bien plus que les victimes d’accidents de la route ou d’homicides. Pascal n’avait pas accès aux chiffres de l’Insee. En réalité, il n’existe pas d’endroit plus dangereux que notre logement. Donc, je me lève.
On sonne. Bérénice est de retour. Regret d’une vie à deux pleine de moments complices devant Netflix ? Hantise de devoir trouver un nouvel appartement quand le prix du mètre carré parisien pulvérise l’indécence ? Perspective angoissante d’une vie en solo dans le désert sentimental des métropoles occidentales ? Prise de conscience que l’horloge biologique tourne inexorablement et qu’une rupture avant conception de progéniture est une folie ? Oubli d’un parapluie ?
J’ouvre. C’est mon voisin, M. Patusse. Il me demande de ne pas claquer les portes, surtout un dimanche matin quand chacun profite d’un repos bien mérité après une dure semaine de travail. Il ajoute : « Pour ceux qui travaillent, bien sûr », avec une grimace symptomatique de l’abcès dentaire.
Je saisis le pudique sous-entendu et remercie M. Patusse de son inquiétude toute paternelle vis-à-vis de ma situation professionnelle. Je lui confirme que je n’exerce pour l’heure nulle activité salariée destinée à m’épanouir socialement trente-cinq heures par semaine, à rentabiliser l’investissement locatif loi Pinel de mon propriétaire et à cotiser cent soixante-douze trimestres avant de mourir à taux plein, mais je tiens à rassurer mon voisin : cet état n’est que provisoire.
M. Patusse souhaite que je précise ma définition du provisoire avec un rictus confirmant la gravité de sa gingivite. Je réponds que selon Albert Einstein, le temps est une notion relative. J’ajoute qu’en se plaçant au niveau le plus fondamental de la réalité physique, on pourrait même poser l’hypothèse que le temps n’existe pas.
Un tremblement compulsif de la paupière gauche de M. Patusse laisse craindre l’imminence d’un AVC. Je rassure mon voisin : ma sortie du cercle vicieux de l’assistanat est proche. C’est promis, il sera le premier informé de ma réinsertion dans un secteur d’activité florissant qui me permettra d’assumer enfin mes devoirs citoyens, à savoir aider mon pays à maintenir les déficits publics en dessous de la barre des 3 % et rembourser mes années de RSA par une surconsommation à fort taux de TVA.
En attendant l’avènement de cette heureuse perspective, M. Patusse m’invite au silence afin de respecter le bien-être des résidents de l’immeuble comme cela est prescrit dans l’article 1 du règlement de copropriété. Il m’en a d’ailleurs apporté un exemplaire qu’il a imprimé spécialement pour moi sur un papier de qualité supérieure. C’est la journée des cadeaux.
Je tranquillise mon voisin : les portes ne claqueront plus, car ma femme m’a quitté. M. Patusse n’est pas homme à se payer de mots. Puis-je lui garantir que Bérénice ne reviendra pas ? Je suis désolé, mais je ne peux pas le lui certifier à 100 %. Cependant, si l’on se fie à la description que fait Michel Houellebecq dans ses œuvres de l’impossibilité ontologique d’une relation de couple satisfaisante et pérenne, on peut estimer les chances d’un retour de Bérénice entre le peu probable et le carrément foutu.

J’ouvre les yeux et je vois Bérénice. Quoi de plus beau que le doux visage de l’Amour penché sur soi au réveil après une bonne nuit de treize heures sous Stilnox ? Elle est divine dans sa doudoune rouge, avec son bonnet sur la tête et son gros carton dans les bras. Elle me dit : « Michel, je te laisse mes bouquins. »
Bérénice m’offre un cadeau dès le réveil. J’ai une femme merveilleuse. Prévenante, cultivée, niveau 7 au sudoku, je ne la mérite pas. Si je pouvais, je lui mettrais cinq étoiles sur TripAdvisor. Elle ajoute : « C’est grâce à eux que j’ai trouvé la force de te quitter. Ils pourront t’être utiles, espèce de taré. »
Bérénice laisse tomber le carton de livres, m’écrase trois métatarsiens, empoigne sa valise et sort de la chambre. Je ne suis pas sûr qu’elle ait dit « taré ». C’était peut-être « connard » ou « salaud ». Qu’importe, c’est l’intention qui compte : Bérénice me fait un cadeau.
La porte claque. Quand l’Amour s’en va, on ne réfléchit pas, on agit. Pas une seconde d’hésitation : je prends un Lexomil.
La porte s’ouvre. L’Amour revient, c’est magique. Bérénice avait besoin d’une petite pause pour faire le point, ça arrive dans tous les couples. Nous allons nous réconcilier sous la couette dans un déchaînement sulfureux de nos sens et une extase de nos fluides qui…
« Par contre, je récupère mon Camus ! »
Bérénice s’accroupit dans un mouvement d’un érotisme échevelé, pousse un ahanement d’invitation au plaisir, puis se relève en brandissant L’Étranger, notre livre de chevet.
La porte claque. Bérénice disparaît. La table de chevet penche dangereusement sur la droite. Sans littérature pour caler l’existence, tout menace de s’écrouler. Je pleure.

Mes troubles de l’humeur sont apparus assez tôt, environ une demi-heure après ma naissance, lors de la première tétée. Il paraît que je refusais obstinément de prendre le sein, sans doute par volonté de boycotter l’hypocrite pot de bienvenue offert après mon expulsion sauvage.
Suite à neuf mois paradisiaques dans un bain d’Éden amniotique thermostat 2, j’ai été brutalement mis à la porte sans préavis. Expulsé dans le froid, nu et sans défense : on ne ferait même pas subir ça à des punks à chien squatteurs d’immeubles.
Ah, elle est belle, la patrie des droits de l’homme.

J’hésite à me lever, car Pascal a écrit : « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. » Je l’ai appris à Bérénice qui m’a répondu que je n’avais qu’à m’installer en couple avec Pascal. J’ai bien conscience que la probabilité d’un arrière-plan ironique dans la répartie de ma bien-aimée n’est pas nulle, mais qui suis-je pour contredire un philosophe inscrit au programme de l’Éducation nationale ?
Je me souviens soudain que les accidents domestiques sont la troisième cause de décès en France. D’après les statistiques officielles, vingt mille personnes meurent chaque année chez elles, bien plus que les victimes d’accidents de la route ou d’homicides. Pascal n’avait pas accès aux chiffres de l’Insee. En réalité, il n’existe pas d’endroit plus dangereux que notre logement. Donc, je me lève.
On sonne. Bérénice est de retour. Regret d’une vie à deux pleine de moments complices devant Netflix ? Hantise de devoir trouver un nouvel appartement quand le prix du mètre carré parisien pulvérise l’indécence ? Perspective angoissante d’une vie en solo dans le désert sentimental des métropoles occidentales ? Prise de conscience que l’horloge biologique tourne inexorablement et qu’une rupture avant conception de progéniture est une folie ? Oubli d’un parapluie ?
J’ouvre. C’est mon voisin, M. Patusse. Il me demande de ne pas claquer les portes, surtout un dimanche matin quand chacun profite d’un repos bien mérité après une dure semaine de travail. Il ajoute : « Pour ceux qui travaillent, bien sûr », avec une grimace symptomatique de l’abcès dentaire.
Je saisis le pudique sous-entendu et remercie M. Patusse de son inquiétude toute paternelle vis-à-vis de ma situation professionnelle. Je lui confirme que je n’exerce pour l’heure nulle activité salariée destinée à m’épanouir socialement trente-cinq heures par semaine, à rentabiliser l’investissement locatif loi Pinel de mon propriétaire et à cotiser cent soixante-douze trimestres avant de mourir à taux plein, mais je tiens à rassurer mon voisin : cet état n’est que provisoire.
M. Patusse souhaite que je précise ma définition du provisoire avec un rictus confirmant la gravité de sa gingivite. Je réponds que selon Albert Einstein, le temps est une notion relative. J’ajoute qu’en se plaçant au niveau le plus fondamental de la réalité physique, on pourrait même poser l’hypothèse que le temps n’existe pas.
Un tremblement compulsif de la paupière gauche de M. Patusse laisse craindre l’imminence d’un AVC. Je rassure mon voisin : ma sortie du cercle vicieux de l’assistanat est proche. C’est promis, il sera le premier informé de ma réinsertion dans un secteur d’activité florissant qui me permettra d’assumer enfin mes devoirs citoyens, à savoir aider mon pays à maintenir les déficits publics en dessous de la barre des 3 % et rembourser mes années de RSA par une surconsommation à fort taux de TVA.
En attendant l’avènement de cette heureuse perspective, M. Patusse m’invite au silence afin de respecter le bien-être des résidents de l’immeuble comme cela est prescrit dans l’article 1 du règlement de copropriété. Il m’en a d’ailleurs apporté un exemplaire qu’il a imprimé spécialement pour moi sur un papier de qualité supérieure. C’est la journée des cadeaux.
Je tranquillise mon voisin : les portes ne claqueront plus, car ma femme m’a quitté. M. Patusse n’est pas homme à se payer de mots. Puis-je lui garantir que Bérénice ne reviendra pas ? Je suis désolé, mais je ne peux pas le lui certifier à 100 %. Cependant, si l’on se fie à la description que fait Michel Houellebecq dans ses œuvres de l’impossibilité ontologique d’une relation de couple satisfaisante et pérenne, on peut estimer les chances d’un retour de Bérénice entre le peu probable et le carrément foutu.

J’ai mis cinq étoiles sur Amazon à tous les romans de Michel Houellebecq. Ce que j’aime, chez lui, c’est qu’il montre qu’il y a quelque chose au-delà du constat désespéré d’un monde sans amour et sans bonté, quelque chose au-delà de la tristesse infinie de l’homme seul face à sa misère, quelque chose au-delà de la déception inhérente à toute activité humaine : la possibilité de transformer cette noirceur en éclairs de drôlerie et d’intelligence par la magie de l’écriture.
J’aime Michel Houellebecq, car il me donne de l’espoir.
Moi aussi, un jour, quand j’aurais atteint le stade ultime de la dépression, je deviendrai un grand écrivain humoristique. Comme Michel.
À l’évocation de notre plus grand romancier (plus ou moins) vivant, je lis dans les yeux de M. Patusse qu’il frôle sa deuxième attaque cérébrale de la matinée. Dans un souci de rapprochement amical propice au bon voisinage, je lui demande si son mariage avec Mme Patusse résulte d’une passion amoureuse doublée d’une communion d’âmes, ou bien de la volonté pragmatique de combler une solitude existentielle trop douloureuse à porter au quotidien, ou encore d’un simple souci de conformisme social fiscalement avantageux.
M. Patusse laisse pendre une lippe rosâtre semée de quelques miettes de biscotte, puis tourne les talons afin d’aller échanger avec son épouse au sujet des motivations ayant conduit à leur union.
Je reste sur mon paillasson, car j’ai entendu du bruit dans la cage d’escalier.
Bérénice ?
Béré, c’est toi ?
Chaton ?
Je vais attendre un moment sur le palier. Mon amour étant très joueuse, peut-on raisonnablement écarter l’hypothèse qu’elle me fasse une blague ?
Mon portable sonne alors que j’attends Bérénice la blagueuse devant ma porte. Je décroche. C’est elle ! Ma bien-aimée me demande si je suis bien moi-même. Je ris de bon cœur et je la félicite pour son humour. Bérénice me répond qu’elle s’appelle Sarah. Mon amour est impayable. Belle, intelligente et facétieuse. Je ne la mérite pas.
Bérénice insiste. Elle s’appelle Sarah et travaille pour l’institut de sondage Ipsos. Je lui réponds que je l’aime et que je suis sûr qu’elle avait de bonnes raisons de me dissimuler son vrai nom et sa véritable activité professionnelle. Je comprends qu’elle soit partie parce qu’elle ne supportait plus de vivre dans le mensonge. Je suis heureux qu’elle m’ouvre enfin son cœur, je ne lui en veux pas du tout. Je l’attends pour le petit déjeuner. Croissant ou apfelstrudel ?
Au ton professionnel que garde Bérénice, je prends conscience qu’elle travaille dans un centre d’appels et doit être écoutée à cet instant par un superviseur soumis à l’idéologie néolibérale, adepte de la pression psychologique. Je ne veux pas nuire à ma bien-aimée, je décide de jouer le jeu. Bérénice veut que je participe à la grande enquête de l’institut Ipsos, je ne demande qu’à lui rendre service. Il s’agit d’un sondage sur le bonheur. Ça tombe bien, c’est ma spécialité.
Mes parents m’ont dit que je n’avais pas pleuré à la naissance, ce qui les avait beaucoup surpris. En revanche, j’ai pleuré tous les autres jours de mon existence, ce qui peut aussi étonner. J’ai été un enfant triste et un adolescent cafardeux avant de devenir un adulte neurasthénique. À l’heure de la civilisation zapping qui change d’avis, de conjoint ou de Smartphone comme de chaussettes, ma fidélité à la mélancolie est assez rare pour être signalée.
Je suis né le jour du déclenchement du génocide rwandais. J’ai été baptisé la veille du massacre de Srebrenica. Mon premier mot, prononcé alors qu’on annonçait la mort de François Mitterrand à la télévision, a été « Prozac ». J’ai eu mon premier chagrin d’amour le 11 septembre 2001. J’ai fait ma scolarité à l’école primaire Anne-Frank, au collège Guy-Môquet et au lycée Jean-Moulin.
Pour compenser, j’ai emménagé il y a quelques années rue de la Gaîté. Pour l’instant, ça ne marche pas trop.
L’institut Ipsos fait une grande enquête sur le bonheur des Français. C’est une excellente initiative : j’en informe Bérénice et j’en profite pour lui dire qu’elle est une formidable opératrice téléphonique afin qu’elle soit bien notée par son superviseur.
Première question : vous considérez-vous comme heureux ? Oui, non ? Je rappelle à Bérénice qu’elle peut me tutoyer. Elle reste professionnelle. Vous considérez-vous comme heureux ? Oui, non ? Je réponds : « Ça dépend. » Bérénice me dit qu’il n’y a pas de case « ça dépend ». Vous considérez-vous comme heureux ? Oui, non ? Je réponds : « Oui et non. » Bérénice me dit que c’est oui ou non. Je réponds : « Oui quand tu es près de moi, non quand tu es loin de moi, et entre les deux quand on est au téléphone. » J’ajoute qu’elle est la meilleure opératrice téléphonique que j’aie jamais rencontrée de ma vie et qu’elle mérite une promotion salariale et des avantages sociaux conséquents eu égard à ses remarquables compétences qui serviront sans nul doute un jour prochain à l’instruction des novices de l’école des opérateurs de centre d’appels.
Bérénice bredouille un « euh » d’émotion devant une déclaration d’amour aussi sincère et spontanée, puis elle se tait pendant plusieurs secondes. Que j’aime nos silences complices !
Bérénice se racle la gorge puis, soumise à la pression psychologique de son superviseur inféodé au grand capital, elle dissimule son émoi derrière une diction mécanique afin de m’adresser ses sincères remerciements au nom de l’institut Ipsos. Je l’embrasse tendrement et je lui rappelle qu’elle a des droits en tant que salariée obligée de travailler un dimanche, qu’elle reste un être humain qu’aucun superviseur au monde ne pourra empêcher d’exprimer ses sentiments, que la monstrueuse mécanique du travail ne saurait broyer la singularité émotionnelle qui fait de chacun de nous un… Bérénice ?
Béré ??
Chaton ???
Mon amour a dû raccrocher pour ne pas perdre pied dans la course féroce à la productivité, impitoyable machine à frustration qui engendre une déshumanisation du management. D’odieux individus rendent ma bien-aimée malheureuse en l’obligeant à faire des sondages sur le bonheur. La perversité à son comble. »

Extraits
« J’aime la publicité parce qu’elle a de formidables vertus pédagogiques. Grâce à elle, on apprend que l’alcool se consomme avec modération, qu’il faut ingérer cinq fruits et légumes par jour, ou encore qu’il est nécessaire de manger et bouger (ce qu’on ne nous dit jamais à l’école où, au contraire, on nous répète sans arrêt de ne pas bouger). Il est grand temps de remercier les annonceurs pour leur rôle primordial en termes de santé publique. En 1968, quand la télévision française diffuse ses premiers spots publicitaires, l’espérance de vie est de 75 ans pour les femmes et de 67,6 ans pour les hommes. En 2018, elle est de 85,3 ans pour les femmes et de 79,2 ans pour les hommes. Merci qui?
L’autre merveilleuse fonction de la publicité, c’est de vous faire toucher du doigt le bonheur. Exactement comme les discours des campagnes électorales. Un bonheur simple et accessible à tout le monde. Vous achetez un camembert et hop, vous avez plein de chouettes amis qui rigolent dans un pré en le partageant avec vous. » p. 37

« Pour reconquérir Bérénice, je dois d’abord comprendre pourquoi elle m’a quitté. Procédons avec méthode, car on sait depuis quatre cents ans, grâce à René Descartes, que rien de grand ne peut se faire sans méthode. Opérons donc étape par étape:
1) Je prends une bière pour m’aider à réfléchir.
2) Je prends une deuxième bière.
3) Je prends un Martini parce que je n’aime pas la monotonie.
4) Je prends une troisième bière parce que je n’aime pas le Martini.
5) Je ne comprends toujours pas pourquoi Bérénice m’a quitté.
6) Il faut que je trouve une autre méthode.
7) Y a-t-il une méthode pour trouver une bonne méthode ?
8) René ?
Je mets en œuvre la procédure d’urgence en situation de crise : je regarde une vidéo du président-prophète. Quand il me parle de sa voix douce et pédagogique en articulant lentement chaque syllabe, ça m’apaise. Bérénice l’aime beaucoup parce qu’il est jeune, moderne et disruptif.
Je liste mes atouts. Moi aussi, je suis jeune (j’ai seize ans de moins que le président. En fait, il est vieux!). Moi aussi, je suis moderne (j’ai un iPhone et des crédits Cetelem). Problème: suis-je assez disruptif? Problème n°2: que signifie « disruptif »?
Je demande la définition à Chierie, mon assistant personnel Apple. DISRUPTIF – VE, adj. Terme littéraire rare. Qui tend à une rupture. Voilà où le bât blesse. Je ne
tends absolument pas à une rupture. Je ne suis pas du tout disruptif. » p. 58-59

« J’ai la solution en main. Ce livre est un best-seller international écrit par une home organizer japonaise, c’est certifié sur la couverture. Il a été vu à la télé, il a été lu et approuvé par une présentatrice météo botoxée, il a reçu les éloges de Télé Poche, c’est une valeur sûre. Titre: Le rangement, c’est maintenant.
L’idée consiste à se débarrasser des objets qui encombrent nos vies, car chercher le bonheur dans les biens matériels est absurde. La satisfaction procurée par un achat qui vient combler un désir est vite effacée par le phénomène de l’«adaptation hédonique»: nous nous habituons à vitesse grand V à toute amélioration de notre situation et nous revenons à notre point de départ, insatisfaits, tendus vers un nouveau désir et une nouvelle frustration. » p. 149

À propos de l’auteur
ERRE_JM_©France_InfoJ.M. Erre © Photo France Info

J.M. Erre est né à Perpignan en 1971. Il vit à Montpellier et enseigne le français et le cinéma dans un lycée de Sète. Il écrit des romans publiés par Buchet/Chastel depuis 2006, écrit aussi des romans jeunesse édités chez Rageot. Il tient également une chronique hebdomadaire pour Groland. (Source: Éditions Buchet-Chastel)

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Hâte-toi de vivre!

ROLLIER_Hate_toi-de_vivre
Logo_premier_roman

En deux mots:
Après un accident, Léo se retrouve sur un lit d’hôpital. Pour l’aider à se reconstruire, elle va pouvoir compter sur sa grand-mère Lina, dont le fantôme l’accompagne désormais et entend lui prodiguer ses conseils avisés.

Ma note:
★★★ (bien aimé)
Ma chronique:

Madame et son fantôme

Lauréate du Mazarine Book Day, Laure Rollier nous offre un roman aussi joyeux qu’entraînant sur les pas d’une trentenaire obligée de revoir ses priorités après un accident de voiture.

J’emprunte à Hélène Harbonnier, journaliste à la Voix du Nord, la formule qui résume le mieux ce joli roman : «un pavé de bonnes ondes, qui se déguste comme une sucrerie». La journaliste qui s’est penchée sur la vogue des romans «feel good», trouverait en effet sans aucune peine le point commun entre Hâte-toi de vivre et Il est grand temps de rallumer les étoiles de Virginie Grimaldi, À la lumière du petit matin d’Agnès Martin-Lugand ou encore Dans le murmure des feuilles qui dansent d’Agnès Ledig: tous ces livres (re)donnent le moral aux lecteurs en propageant une philosophie optimiste, un peu comme un manuel de développement personnel enrobé dans une bonne histoire.
Dans le cas de Laure Rollier, on pourrait même dire que la présence du livre dans les rayons des librairies est en elle-même déjà une première preuve que le volontarisme et l’envie de réussir peuvent déplacer des montagnes.
Elle est en effet la première lauréate du Mazarine Book Day. Cette initiative originale, sorte de speed-dating pour nouveaux auteurs, permet à chacun de venir présenter son livre en un maximum de dix minutes à un jury composé de l’éditeur, d’un libraire et d’un blogueur et d’avoir un retour argumenté.
La troisième édition vient du reste d’avoir lieu avec quelque 140 participants et en présence de Laure Rollier.
Mais venons-en au livre et à Léo, la narratrice, qui est professeur de philosophie dans un lycée du Sud-Ouest. L’existence qu’elle mène est celle de beaucoup de femmes, essayant de gérer au mieux un agenda chargé. Dès les premières pages, on comprend que ce n’est pas chose facile, car elle est déjà en retard. Mauvais conseiller, le stress va la mener à la catastrophe. Elle ne voit pas le bus qui arrive et termine… sur un lit d’hôpital.
Le choc du réveil s’accompagne d’une évidence et d’une surprise. Il va lui falloir retisser le fil de sa vie et revoir ses priorités, mais elle pourra bénéficier des conseils d’un fantôme, celui de sa grand-mère qui partage désormais son quotidien et qui entend la remettre sur de bons rails. Une jolie trouvaille, très romanesque, que cette voix de l’au-delà, mais si elle est tout sauf diplomate. Mais après tout, c’est en mettant les pieds dans le plat et en regardant la réalité telle qu’elle est – et non telle que Léo aimerait qu’elle soit – que l’on peut reconstruire une vie. Entre les amis qu’il va falloir trier, les amours qui méritent une réévaluation et la famille qui recèle un secret qui fausse son jugement, la jeune fille va pouvoir dresser un bilan critique et, au fil des pages, tracer les contours d’une vie choisie et non subie, avec ce qu’il faut de rebondissements.
Le récit est alerte, le style enlevé. Autour de Léo, les personnages de Lina, la grand-mère, de Louise la colocataire, de l’ami Juju et de sa fille Tess sont parfaitement campés et apportent leur pierre à l’édifice. C’est plein d’humour et cela se déguste effectivement comme un bonbon acidulé. Et après tout, il n’y a pas de mal à se faire du bien !

Hâte-toi de vivre
Laure Rollier
Éditions Mazarine
Roman
220 p., 17 €
EAN : 9782863744789
Paru le 21 février 2018

 

Ce qu’en dit l’éditeur
« 7 h 52. Collision. Accident de voiture.
À son réveil à l’hôpital, Léo, jeune professeure de philosophie âgée de trente ans, se retrouve nez à nez avec Mamie Lina, qui n’est autre que sa grand-mère décédée. Personnage haut en couleurs à l’humour cinglant qui donne son avis sur tout – sans qu’on le lui ait demandé –, celle-ci s’immisce dans la vie quotidienne hésitante de Léo et de ses amis Louise et Juju, à un moment décisif de leur vie. Par ses interventions intempestives, cette grand-mère pas comme les autres chamboule tout sur son passage. Mais en confrontant Léo à ses peurs et à ces secrets qui hantent toute famille, elle fait à sa petite-fille le plus beau cadeau: le courage de saisir la vie à pleine main – et de donner une chance au bonheur. »

Les critiques
Babelio
Blog Carobookine
La VIDA Magazine
Le Petit bleu d’Agen
Le blog d’eirenamg
Romanthé – un blog littéraire décalé
Blog Malénia dans ses livres
Blog Des livres et des coquelicots

Les premières pages du livre:
La musique d’Hotel California se lance sur mon téléphone…
6 h 35. C’est trop tôt. Cinq minutes encore. Pas plus.
7 h 10. Merde ! C’est trop tard, là ! Qu’est-ce qu’il a encore, cet iPhone ? J’avais mis le rappel pourtant, j’en suis sûre. C’est quand même incroyable qu’on vous vende des appareils qui coûtent deux bras et qu’ils ne soient pas fichus de fonctionner correctement. Parce que, maintenant, je le déverrouille et j’entends bien le cliquetis – il n’était donc pas en silencieux. Si j’ai le temps, je m’arrêterai chez Juju pour qu’il regarde ce qui a merdé.
7 h 20. Faites-nous penser à faire un procès à Apple. À ma mauvaise foi et à moi.
— Léo, je te dépose ?
— Non, non, je me lève juste, Louloune ! Je suis super à la bourre, je prends ma voiture ! rétorqué-je à ma colocataire en étouffant un bâillement.
— OK à plus, me répond Louise depuis le salon, juste avant de sortir en claquant bruyamment la porte d’entrée.
Je n’aime pas ça. Être en retard, je veux dire. Mais il est hors de question que j’attaque la journée sans mon intraveineuse de caféine… Putain, il est déjà 7 h 35. J’hallucine. J’ai cours à 8 heures. Autant se rendre tout de suite à l’évidence : comme je ne voyage pas avec Air Force One, je n’y serai jamais. Quel jour on est ? Jeudi… Je commence par les Littéraires. En plus.
J’aurais peut-être mieux fait de supplier ma colocataire de m’attendre, quitte à enfiler mes chaussures dans la voiture. Tandis que les minutes défilent, je me bats avec le tube de dentifrice, puis c’est au tour de mes cheveux de rester coincés dans la brosse. Plus on essaie de faire les choses rapidement, plus la vie nous balance des bâtons dans les roues, non ?
Dans le miroir de l’entrée, je jette un rapide coup d’œil sur l’étendue des dégâts et de mes cernes. Le mascara a fait ce qu’il a pu, mais il n’est pas chirurgien. Je vais devoir me résoudre à sortir comme cela, l’horloge tourne et je ne peux pas me permettre de remettre les pieds dans la salle de bain. Même si je l’entends m’appeler depuis l’étage.
Mes clés ? Qu’ai-je encore fait de mes clés ? En temps normal, je suis déjà en train de râler contre les parents qui se garent sur le parking des professeurs. Bouge-toi un peu, Léo ! Sur le mur de notre salon, l’horloge géante mi-suédoise, mi-taiwanaise se fout de ma gueule avec ses longs bras qui font la course entre eux.
Où est mon portable ? Il faut que j’appelle Louise, elle doit être arrivée au lycée! Elle !
— Louloune, tu peux t’arrêter à la «Vie scolaire» prévenir que je serai en retard? dis-je d’une traite dans le maudit téléphone tout en enfilant mes Converse.
— Genre, combien de retard? me questionne ma colocataire. Mais bouge, con!
— Quoi ?
— Non, je parle à Luc Alphand devant, le mec, il slalome avec les feux! Je l’entends râler comme j’en ai l’habitude.
— Dix minutes, quinze max. Qu’ils ne se barrent pas, les gosses, j’arrive, OK?
— OK, fait-elle tandis que le klaxon me transperce un tympan.
— Et arrête de répondre en conduisant!
— Alors arrête de m’appeler. Elle me raccroche au nez. »

Extrait
« 7 h 52. Cela devrait passer, le temps de me garer, 8 h 10, au pire, je suis devant la salle. À la radio, Manu raconte qu’il a entendu parler d’un mec qui n’a jamais pissé debout de sa vie. Jamais. Il trouve ça hallucinant, moi aussi. Le monde est peuplé de gens étranges. Mais qu’est-ce que…
7 h 53. BAM.
Je sens mon estomac monter irrémédiablement dans ma gorge. J’ai la nausée. Et cette odeur âcre qui me brûle les yeux. J’entends la ceinture enfoncer ma clavicule dans un craquement. Je suis sonnée par l’uppercut que l’airbag fait subir à mon nez. Il fait froid, j’ai froid. Manu ne parle plus. Mes oreilles sifflent tellement que je pourrais hurler. Toujours cette odeur âcre. Je ne comprends plus rien, je ne sais plus où je suis, j’ai mal. Je porte ma main à mon nez, elle est inondée de sang. Je découvre à ce moment le bus face à moi que je n’avais pas vu avant. Je distingue, malgré mes paupières de plus en plus lourdes, des gens courir vers moi. J’ai froid. J’ai sommeil. Je m’endors. »

À propos de l’auteur
Laure Rollier est auteure, blogueuse, caricaturiste et vit dans le Sud Ouest de la France avec ses trois enfants. Après avoir publié un recueil de poésie en 2015, Laure se consacre entièrement à ses activités artistiques et littéraires. En 2016, elle décide de publier son premier roman Ce que tu ne sais pas sur son blog dans le but de récolter des fonds pour la recherche contre le cancer, sa priorité. Parallèlement, Laure travaille sur des caricatures, principalement sur le thème de la petite enfance, la maternité et la grossesse pour des magazines et blogs français. Lauréate du Mazarine Book Day, son «vrai» premier roman Hâte-toi de vivre paraît en 2018 chez Mazarine. (Source : ensemble maintenant)

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Une fille, au bois dormant

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En deux mots
Bérénice a l’impression que sa vie passe à côté d’elle. Alors qu’elle vient d’accoucher, on lui retire des dossiers au sein de son agence de com. Comment fera-t-elle entendre sa voix ?

Ma note
★ ★ ★ ★ (j’ai adoré)

Une fille au bois dormant
Anne-Sophie Monglon
Éditions du Mercure de France
Roman
192 p., 17 €
EAN : 978-2-7152-4529-7
Paru en août 2017

Où?
Le roman se déroule principalement à Paris.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Ton sommeil c’est d’abord ça, la tentation d’être ailleurs, l’obsession par moments, à d’autres la dispersion, l’engagement comme un mot abstrait, le voyage dans le passé, le futur, le vague, le refuge dans la forêt.
Lorsque Bérénice Barbaret Duchamp, 33 ans, cadre dans une grande entreprise de communication, rentre de congé maternité, elle sent qu’on la regarde différemment. En son absence, des changements notables ont eu lieu. Progressivement elle est mise à l’écart.
Bérénice, qui n’a jamais cherché à être en première ligne ou dans la lumière, aurait tendance à accepter la situation, comme anesthésiée. Mais son mari et son amie Clara la secouent : elle doit se battre ! À la faveur d’un stage de développement personnel – « placer sa voix pour trouver sa voie » –, elle se lie d’amitié avec Guillaume, le formateur musicien. Chez le jeune homme, elle décèle un possible alter ego. Cette rencontre, conjuguée avec les sollicitations toujours plus urgentes de son nourrisson, lui donnera peut-être la volonté de se réveiller.
Avec ce premier roman, Anne-Sophie Monglon peint la trajectoire d’une femme moderne confrontée à la violence du monde du travail, qui tente de se réapproprier sa propre vie et de lui donner un sens.

Ce que j’en pense
« Il y a ce conte qu’on connaît tous. Une jeune fille, à la suite d’une malédiction, tombe en sommeil. Son évanouissement n’ôte cependant pas les couleurs vives de son teint, ses joues sont incarnates et ses lèvres comme du corail. Cette jeune fille, c’est BBD, la Belle au bois dormant, et BBD c’est aussi toi, Bérénice Barbaret Duchamp, trente-trois ans, cadre moyenne, mariée, un nourrisson, flottant depuis près de vingt ans dans un sommeil singulier. » Pour son premier roman, Anne-Sophie Monglon revisite le conte de la Belle au bois dormant, mais dans une version XXIe siècle. C’est au moment où elle aurait pu – dû ? – croquer la vie à pleines dents que Bérénice est victime de la malédiction. Le bac en poche, elle préfère s’effacer pour que Luc, son amoureux, ne lui reproche pas de le détourner de ses objectifs scolaires. Au fil des années et malgré des études brillantes, un emploi dans une grande agence de com et un mari architecte, elle va rester en retrait, reproduisant un schéma bien ancré : « Toutes ces femmes, on leur a appris à mettre en sommeil leurs aspirations. Et elles ont été consentantes, ont préféré rester au chaud plutôt que lutter. C’était le prix à payer, ont-elles cru, pour être acceptées dans un monde d’hommes. »
Et ce n’est sans doute pas sa récente grossesse qui va la réveiller. Après la naissance de Pierre, elle voit aussi ses attributions se réduire comme peau de chagrin. Ajoutez un mari peu présent pour tenter de contrer son Baby blues et vous aurez les ingrédients d’un drame ordinaire dans lequel Bérénice s’enfonce.
Pour la secouer Anne-Sophie Monglon choisit la seconde personne du singulier. Ce «tu» de l’injonction. Car en effet, «il serait temps que tu fasses entendre la voix qui dit je, qui ne se planque pas» Pour ce faire, un coach vocal vient à son secours.
Guillaume est un prof de chant, mais aussi un auteur qui entend produire un nouvel album. Avec lui, Bérénice va enfin trouver un moyen d’avancer. Mais parviendra-t-elle à se réveiller ? C’est tout l’enjeu de ce roman qui, mieux que bien des études sociologiques, nous explique la violence d’un système qui entend placer l’homme devant la femme, consciemment ou inconsciemment, au sein de la famille et surtout au sein de l’entreprise. Un roman très original dans la forme et puissant sur le fond. Bref, une jolie réussite !

68 premières fois
Blog L’Insatiable (Charlotte Milandri)
Blog motspourmots.fr (Nicole Grundlinger)
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Autres critiques
Babelio 
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Blog Un monde littéraire 

Les premières pages du livre
« Donc ça commence comme ça. Tu attends Clara, elle tarde, la pièce où tu te trouves est vide et tu te laisses traverser par l’air – tiède, un peu lourd, pesanteur de particules fines, de gaz d’échappement – et par les bruits – ronflement du boulevard Ornano à gauche, son métronomique d’une balle contre un mur dans la cour de droite, de temps en temps un oiseau lance un cri.
Tout est calme autour de toi et en toi. Il y a eu quelques semaines un peu délicates à ton retour de congé maternité, mais maintenant tout est calme. Évidemment, ton job a été allégé, avec l’arrivée de votre nouveau P-DG et la crise, il fallait bien s’attendre à quelques changements.
Précisément, ce qui s’est passé, c’est qu’on t’a enlevé les prezzes, les Présentations en interne des Cahiers documentaires que tu rédiges. Hugues, ton boss, t’a expliqué, la nouvelle direction veut des gens à l’aise à l’oral et c’est bien naturel, non? Ça ne t’a pas dérangée, ça t’a même soulagée, de ne plus faire les Présentations. Elles sont toujours source de stress pour toi, tu connais toutes les faiblesses de tes Cahiers – chaque fois tu te dis que si tu avais eu plus de temps, tu aurais rendu quelque chose de plus consistant, quant au discours oral, on te demande là aussi d’aller vite et, du coup, à force de chercher le mot juste, tu bégaies, reste bloquée, c’est ce qui t’es arrivée pour la présentation du dernier hiver, un blanc, le trou noir, l’envie d’y disparaître, tu n’aimes pas l’oral. »

Extrait
« Dans le boulot, aujourd’hui, qu’on le veuille ou non, le soi est une marque – elle déclame pour bien marquer qu’elle n’y croit qu’à moitié, Personal branding.
Tu ne sais pas quoi dire. Souvent aussi face à Clara, un temps d’arrêt. Elle développe ce qu’elle estime être une manière intelligente de comprendre le concept du soi comme marque. Tu as du mal à l’écouter. Tu entends une autre histoire sous ses mots. Celle d’une fille, toi, qui n’a pas su passer d’une époque où la pudeur pouvait être une qualité à une où elle est devenue ringarde. Cette histoire, elle sonne juste, Clara est bonne à l’oral, mais tu n’es pas sûre qu’elle tiendrait à l’écrit.
Ton amie s’est maintenant tue et, dans la place que te laisse son silence, tu remplaces son histoire par la tienne, celle que tu aimes te raconter.
Tu es une fille qui n’a pas un ego surdimensionné, qui préfère être plutôt que paraître. Tu monteras sur la scène du travail quand tu te sentiras prête. C’est ce que tu dis à Clara. Quand? Elle a mis de l’agressivité dans sa voix. Elle continue à te chercher, c’est sa conception de l’amitié. Pourquoi pas?
Quand j’aurai mieux en main mes cahiers, sans doute. Tu les visualises à ce moment-là, le brouillon qu’ils représentent, oui, tu monteras sur la scène quand tes études seront plus abouties, c’est ce que tu te formules, que tu ne dis pas à Clara mais à quoi elle semble répondre, La vie est ici et maintenant. » (p. 17)

À propos de l’auteur
Anne-Sophie Monglon est originaire de Nice et vit à Paris où elle a crée en 2009 son agence de conseils littéraires. Doctorante en littérature comparée de l’université Paris-Sorbonne, elle a enseigné à l’université de Reims, à l’école HEC et à l’école Centrale. Elle a été lectrice salariée pendant près de 10 ans pour la collection Blanche des éditions Gallimard. (Source : livreshebdo.fr)

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