Le grand vertige

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  RL2020

En deux mots:
Adam Thobias accepte de prendre la tête d’une «Commission internationale sur le changement climatique et pour un nouveau contrat naturel». Après avoir rassemblé une équipe de choc, le réseau Télémaque, il se lance dans le pari fou de sauver la planète. Une mission à hauts risques.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Une équipe de choc pour la planète

Dans le droit fil de ses chroniques pour Libération, Pierre Ducrozet prend le pouls de la planète dans son nouveau roman. Le grand vertige retrace le projet fou du réseau Télémaque, bien décidé à changer le monde.

Face à la montée des revendications et aux craintes de l’opinion sur les questions environnementales, le gouvernement décide d’appuyer la création d’une «Commission internationale sur le changement climatique et pour un nouveau contrat naturel». Sollicité pour en prendre la tête, Adam Thobias, qui lutte depuis des décennies pour davantage d’écologie, accepte de relever le défi, même s’il ne semble pas se faire trop d’illusions sur la concrétisation des idées qu’il soumettra aux politiques. Autour de lui, il va rassembler une équipe d’ingénieurs, de professeurs, de voyageurs, de botanistes, d’architectes, de géologues et écrivains d’où émergent quelques personnages haut-en-couleur qui Pierre Ducrozet va nous présenter successivement.
Nathan Régnier, malgré des ennuis de santé récurrents, accepte de se joindre au groupe parce qu’il «est hanté, dès ces jeunes années passées dans les massifs du Labrador, par un mystère. L’organisation en rhizomes des sols, des plantes, des champignons, de l’air, de l’ensemble du vivant et des morts est proprement sidérante, il y a là un mystère et une clef auxquels il sait déjà qu’il devra consacrer son existence».
Mia Casal rejoint fait aussi partie de l’aventure. Anthropologue «post-punk,
écoféministe néo-sorcière», elle est d’une «beauté presque effrayante, des yeux qui vous rentrent dans le crâne, harmonie sévère et mélange mystérieux de gènes qui lui a été légué par une ascendance complexe, père d’Osaka fils d’une Russe et d’un Japonais, mère Brésilienne fille d’un Allemand et d’une Carioca.»
Arrêtons-nous aussi sur June Demany, sa vie faite de familles recomposées, de petits boulots, de grandes révoltes. Un jour, elle prend un avion pour Buenos-Aires où elle a failli se perdre avant de partir pour Ushuaia. «Elle se découvre une montagne de défis: voyager seule, voyager durable, se perdre, se trouver, se ressaisir, ne pas laisser de traces.» Elle se veut libre et renonce à rejoindre l’équipe.
Jusqu’au jour où elle va croiser la route de Mia. Entre les deux jeunes femmes c’est peu de dire que le courant passe. Après une nuit torride, June va se laisser convaincre de faire partie de l’aventure.
Disons enfin un mot sur Tomas Grøben à qui on a confié la mission d’explorer la planète sans bouger de chez lui. Il passe ses journées devant Google Earth à scruter la planète dans ses moindres détails.
Et puis il y a Arthur Bailly, le photographe. « Il dit qu’il est là pour ça. Il observe tout ce qu’on ne voit pas, toutes les misères et les flux qu’on s’échange pour deux sacs, toutes les têtes qui tombent en arrière, les quartiers des vagues à l’âme et des regards absents, les mains qui se tendent et prennent, il voit ce qui s’y échange, quelques grammes d’infini, la mer noire derrière, tous les petits trafics sans nom et les rêves qu’on garde serrés dans la paume.»
Pierre Ducrozet a construit son roman en détaillant d’abord l’équipe du projet avant de passer aux missions qu’Adam Thobias leur confie, tout en restant vague sur la finalité des tâches confiées aux uns et aux autres. Une série de photos à faire pour Arthur, une plante, l’Echomocobo, dont l’étude est confiée à Nathan, l’étude du trajet d’un nouvel oléoduc qui passe en Birmanie pour Mia, accompagnée de June.
Au fur et à mesure que les choses se précisent, le récit gagne en densité. Au projet écologique un peu vague du début – enfin changer le monde – viennent se greffer les services secrets et les grandes manœuvres géopolitiques. La dimension globale du projet commence à inquiéter, les fouineurs à devenir gênants. En retraçant la grande histoire de l’or noir, on découvre aussi combien cette matière première a charrié de convoitises, de guerres, de coups bas. Le tout débouchant sur «un bordel international, état d’alerte maximum».
De la fable écologique, on bascule dans le roman noir mêlé d’espionnage, le tout agrémenté de machinations politiques pour s’assurer la mainmise sur les matières premières. Un combat de coqs qui «font avancer les choses vers leur inévitable cours, celui de la bêtise et de la destruction».
Et alors qu’Adam dévoile son vrai visage et le réel but de son «Réseau Télémaque», l’équipe découvre qu’elle a été manipulée. L’épilogue de cette géopolitique de l’écologie vous surprendra sans doute. Mais Pierre Ducrozet aura ainsi réussi haut la main son pari: vous faire réfléchir aux enjeux qui vont déterminer l’avenir de la planète et celui des générations futures.

Le grand vertige
Pierre Ducrozet
Éditions Actes Sud
Roman
368 p., 20,50 €
EAN 9782330139261
Paru le 19/08/2020

Où?
Le roman se déroule partout sur la planète.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Pionnier de la pensée écologique, Adam Thobias est sollicité pour prendre la tête d’une “Commission internationale sur le changement climatique et pour un nouveau contrat naturel”. Pas dupe, il tente de transformer ce hochet géopolitique en arme de reconstruction massive. Au cœur du dispositif, il crée le réseau Télémaque, mouvant et hybride, constitué de scientifiques ou d’intuitifs, de spécialistes ou de voyageurs qu’il envoie en missions discrètes, du Pacifique sud à la jungle birmane, de l’Amazonie à Shanghai… Tandis qu’à travers leurs récits se dessine l’encéphalogramme affolé d’une planète fiévreuse, Adam Thobias conçoit un projet alternatif, novateur, dissident.
Pierre Ducrozet interroge de livre en livre la mobilité des corps dans le monde, mais aussi les tempêtes et secousses qui parcourent notre planète. Sa narration est vive, ludique, rythmée. Elle fait cohabiter et résonner le très intime des personnages avec les aspirations les plus vastes, la conscience d’un pire global, d’une urgence partagée. Le grand vertige est une course poursuite verticale sur une terre qui tourne à toute vitesse, une chasse au trésor qui, autant que des solutions pour un avenir possible, met en jeu une très concrète éthique de l’être au monde. Pour tous, et pour tout de suite.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com

Diacritik (Christine Marcandier)


Pierre Ducrozet et Yann Nicol présentent Le grand vertige © Production Actes Sud Diffusion

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Premier mouvement
Adam Thobias a indiqué à Carlos Outamendi le fauteuil rouge à franges. Dans les deux tasses il a versé du thé qu’ils ont bu en silence. On entend des gouttes d’eau qui tombent dans le puits, quelques tuiles qui craquent. L’eurodéputé est arrivé ce matin à Brighton dans la retraite d’Adam Thobias pour essayer de l’en sortir. Un peu plus de thé ? Avec plaisir. On parle de la lumière, bien pâle à cette époque de l’année, et des canards qui aiment poser leurs becs sur le réservoir d’eau. Outamendi, après une première attaque, trop discrète, revient à la charge sur le côté, vous savez, c’est une opportunité historique, il y aura des moyens importants, une grande marge de manœuvre. Adam Thobias, les deux mains reposant sur les accoudoirs en velours, le corps long et las perdu entre les étagères en bois brut de la bibliothèque, regarde l’eurodéputé d’un air étrange dans lequel flotte de la circonspection, mais aussi, peut-être, de l’indifférence. Celui que je préfère, c’est le petit, là-bas, dit Thobias en pointant du doigt la bande de canards. Il ne sait pas, il ne sait rien, il cancane quand même. Il glisse son bec dans le puits pour tenter de boire. Bientôt, il comprendra. Outamendi boit une nouvelle gorgée de cet earl grey haute cuvée. Il a la vessie qui va exploser mais il faut qu’il tienne. Pendant un moment, le maître des lieux a semblé vaciller. Mais il s’est ressaisi et étudie à présent la baie vitrée qui s’ouvre sur un jardin triste et humide ponctué de statues mousseuses et de bégonias presque partis déjà. Une demi-heure plus tard, alors qu’ils évoquent les derniers remous au Parlement européen, Thobias dit oui, au détour d’une phrase, de sa voix grave et lointaine, sans rien ajouter mais Outamendi comprend. Est-ce l’aspect nouveau du projet qui l’a convaincu, ou bien l’enveloppe allouée – il n’en dira rien.
Et c’est un long oiseau ébouriffé, aux cheveux encore abondants malgré ses soixante-cinq ans, qui débarque trois semaines plus tard, la tête légèrement inclinée, les yeux bleus perçants, dans la grande bâtisse à moitié flinguée de la rue du Vallon, dans le centre de Bruxelles. Trois étages, des bruits de pas émis par une cinquantaine de jambes, des Mac tout juste sortis de leurs étuis, des classeurs, des cartes, des documents étalés partout. On est pleins d’idées, de projets, d’ardeur, comme au début d’une histoire d’amour.
Le nouveau bateau, dont Adam Thobias prend les commandes, porte le sigle de CICC, Commission internationale sur le changement climatique et pour un nouveau contrat naturel – CICCNCN, c’était à peu près imprononçable, on a décidé à l’unanimité de raccourcir. Une centaine de gouvernements (à l’exception notable, quoique attendue, des États-Unis de Donald Trump et de la Russie de Vladimir Poutine), d’instances internationales (principalement l’ONU, l’Union européenne et la Banque mondiale) lui ont accordé des crédits : 120 milliards en tout pour aborder le défi bio-écologique depuis un autre versant que les politiques publiques, jusqu’à présent parfaitement inefficaces.
Quelque chose est en train de se passer. Il aura fallu une suite de catastrophes, incendies, épidémies, disparition d’écosystèmes et fonte des glaces pour qu’un spectaculaire revirement s’opère. Chloé Tavernier a bien senti le vent tourner. Militante de longue date, elle s’était jusqu’alors heurtée à un mur d’indifférence et de mépris, ah ouais t’aimes les arbres et les vaches, génial, mais en 2016 quelque chose s’est débloqué et alors tout est allé très vite sous la pression d’une nouvelle vague, vive et déjà exaspérée, portant l’agneau sacrifié par leurs parents. À moins que ce ne soit tout simplement la folle température qui brûla les peaux, cet été-là, et réveilla les cerveaux endormis. Cela déboucha, autre surprise, sur la création de cette organisation entièrement consacrée à la réinvention d’un pacte naturel. Lorsqu’on proposa à Chloé Tavernier de faire partie de l’équipe, elle esquissa dans son salon de la rue des Rigoles à Paris le pas de zouk des grands jours.
— Et qui va prendre la tête de la commission ?
Elle espérait, comme tous, que l’homme ayant mené le combat pendant quarante ans rejoigne l’aven¬ture, mais il s’était semble-t-il éloigné des affaires, fatigué de ne rien voir venir.
— Si je viens, en revanche, avait finalement soufflé Adam Thobias à Carlos Outamendi en lui serrant la main devant le seuil pavoisé de sa maison, ce ne sera pas pour le plaisir de la balade.
Et il n’avait pas menti ; attrapant sa baguette, il donna aussitôt le tempo, suivi par ses vingt-quatre collaborateurs venus du monde entier.
En réalité, Adam Thobias a accepté à une condition. La création d’une entité à part, à l’intérieur de la commission, constituée de “spécialistes chargés de missions”.
— Qui serait comme le bras armé du reste, avait-il expliqué autour de la table de réunion. On envoie des gens enquêter partout dans le monde. Il faut ça si on veut réussir. On peut bien s’enfermer à Bruxelles pour imaginer le futur, si on n’a pas le présent ça ne servira à rien.
Les têtes autour de lui, tout à leur joie d’avoir at¬¬trapé le gros poisson dans leur escarcelle, opinèrent longuement.
— Ils seront environ une cinquantaine, a continué Adam. On les choisit ensemble, il nous faut les meilleurs. Des scientifiques, des géographes, des anthropologues, des voyageurs. Pour qu’ils nous apportent quelque chose, ils doivent être un peu hors normes, si on prend les spécialistes typiques ils vont nous ressortir les mêmes âneries que d’habitude. Ils seront chargés de recenser tout ce qui se tente, de nous dresser un état des lieux mondial mais aussi d’imaginer ce qui pourrait se faire, et ce dans tous les domaines qui nous intéressent, énergie, évolution des territoires, biodiversité, mobilité.
Chloé Tavernier, assise à la droite d’Adam Thobias, essaie depuis plusieurs jours de déceler ce qui se cache derrière cette voix traînante, laquelle passe tour à tour sur elle comme un baume ou du papier de verre. Elle entend de la détermination, de la folie, de l’humour sec, de la sagesse, de l’arrogance peut-être ; elle entend à peu près tout et son contraire.
— Nous communiquerons avec les membres de cette équipe sur un réseau fermé. Le groupe Télémaque, j’ai pensé qu’on pourrait l’appeler comme ça. C’est un peu les mêmes aventures qui les atten¬dent. Qui veut s’en occuper avec moi ?
Plusieurs personnes lèvent la main.
— Vous deux, là, et vous aussi.
Sous la table, Chloé serre le poing de joie.
— Vous en pensez quoi, vous ? demande au même moment, à Paris, le ministre français de l’Environnement à sa directrice de cabinet.
— De la nouvelle commission ? Oh c’est bien, c’est très très bien, dit-elle. Et surtout, ça nous fout un peu la paix.
— Ah bon ? dit le ministre en touillant son café.
— L’opinion publique est à cran, ça commence à devenir compliqué, continue la directrice de cabinet, qui se sent plutôt en forme aujourd’hui. Les gens n’ont que les mots climat et réchauffement à la bouche. Si cette commission pouvait les calmer, ce serait parfait.
— Et pendant ce temps ?
— On laisse venir, dit-elle. Et on fait passer la réforme des retraites.
— C’est brillant, dit le ministre en se brûlant la langue.
Adam Thobias déplace sa carcasse dans l’immense open space ceinturé de moquette bleue et de plaques en métal. Il a trouvé un appartement tout en boiseries XIXe juste à côté, dans la rue Clos-du-Parnasse. Il y a posé ses deux valises, pas grand-chose, des fringues, quelques livres. Sa femme Caroline devrait le rejoindre bientôt.
Non seulement tout le monde ici connaît le parcours et l’œuvre d’Adam Thobias, mais il est, pour plusieurs, à l’origine de leur vocation. Né à Paris en 1952 d’un couple franco-anglais, il étudie la géographie à la Sorbonne avant de devenir professeur à Oxford. Au milieu des années 1970, ses articles sur le réchauffement climatique, terme encore inconnu à l’époque, lui valent l’intérêt de ses pairs et la circonspection des étudiants, étonnés de voir l’honorable professeur se fourvoyer dans l’impure actualité.
On perd sa trace pendant quelques années, il se plonge visiblement dans l’étude – puis on le retrouve au bout du monde, en Alaska, en Sibérie, au Zimbabwe, d’où il envoie régulièrement des romans d’aventures mâtinés de science bon marché que l’on s’arrache en Europe et aux États-Unis. Il devient Adam Thobias le romancier à chapeau, qui ne cesse par ailleurs d’alerter la communauté internationale des changements visibles partout dans la biodiversité.
Il s’installe, au début des années 1990, aux États-Unis, et participe à la grande opération Medea lancée par le vice-président Al Gore. Le projet est à la fois simple et impossible : mettre à disposition de la communauté scientifique quarante-quatre années de photographies du globe terrestre réalisées par les aérospatiales américaine et russe sous le contrôle des services secrets. Pendant ces quatre décennies de guerre froide, des satellites ont photographié sans trêve l’ensemble du territoire, et en particulier les secteurs d’activité adverse, depuis le pôle Nord, où les sous-marins russes ne cessent d’entrer et de sortir, jusqu’aux recoins du Pacifique sud ou du delta du Mozambique. Ces millions de photographies du ciel seraient une ressource phénoménale pour les géologues, les biologistes et les physiciens dans leurs recherches autour du changement climatique. Al Gore et son équipe parviennent à leurs fins: la CIA et le KGB acceptent de collaborer ; la guerre froide est définitivement enterrée. »

Extrait
« Mia a trente-trois ans, des cheveux blond vif décolorés, coiffés en crête, un visage d’une beauté presque effrayante, des yeux qui vous rentrent dans le crâne, harmonie sévère et mélange mystérieux de gènes (on lui aura tout dit, toi t’es une Jap, on voit bien ton sang arabe, c’est la Latine qui bout en toi, y a que les Scandinaves pour être aussi dures), qui lui a été légué par une ascendance complexe, père d’Osaka fils d’une Russe et d’un Japonais, mère Brésilienne fille d’un Allemand et d’une Carioca. Elle déplace son corps effilé comme elle ferait autre chose. Elle a des taches brunes aux pommettes et elle danse comme personne la techno et la mazurka.
Les gens dans la rue se retournent au passage de cet étonnant visage androgyne, sorte de masque aux yeux tirés et aux larges joues.
Elle fume ce soir un montecristo sur un toit du quartier de Gràcia, à Barcelone. Ses potes Alex et Carlota l’ont invitée pour un festin qui s’achève en volutes dans le ciel. Elle attrape son verre de rouge, sa main tangue. » p. 38

À propos de l’auteur
DUCROZET_Pierre_©Cris_Palomar
Pierre Ducrozet © Photo Cris Palomar

Né en 1982, Pierre Ducrozet est l’auteur de trois romans parus chez Grasset, Requiem pour Lola rouge (2010, prix de la Vocation 2011), La vie qu’on voulait (2013) et le très remarqué Eroica (2015, finaliste du prix de Flore), fiction biographique autour du peintre Jean-Michel Basquiat. Chez Actes Sud, il a publié L’Invention des corps (Prix de Flore 2017) et Le Grand Vertige. Il tient une chronique dans Libération intitulée Résidence sur la terre. (Source: Éditions Actes Sud / Libération)

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Le cercle des hommes

MANOUKIAN_le_cercle_des_hommes
  RL2020  coup_de_coeur

 

En deux mots:
Aux commandes de son avion, un chef d’entreprise est victime d’un accident qui le précipite en pleine jungle amazonienne. Choqué et amnésique, il est pris en charge par la tribu des Yacou qui vit en autarcie, loin de toute civilisation. Au fil des semaines, il va devoir s’adapter à cette nouvelle vie.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Un chef d’entreprise dans la jungle

Avec son nouveau roman Pascal Manoukian nous offre bien plus qu’une fable écologiste. En suivant les pas d’un chef d’entreprise dont l’avion s’écrase au cœur de la forêt amazonienne, il touche à l’essentiel, à la raison de notre présence sur cette terre.

Que ce soit au cinéma, à la télévision ou en littérature, la recette a déjà été souvent utilisée avec succès: la rencontre de deux mondes qui à priori n’ont rien de commun. Si la variante que nous propose ici Pascal Manoukian est également très réussie, c’est que derrière le roman d’aventure se cache une profonde réflexion sur l’écologie au sens large, allant puiser jusqu’aux questions fondamentales, sur le sens même de notre vie sur terre.
Dans la forêt amazonienne vivent encore quelques poignées d’êtres humains totalement isolés de la civilisation. Appelons-les les Yacou. Ils sont à la fois extrêmement forts pour avoir survécu à des conditions extrêmes et très fragiles, car leur territoire est à la merci des «exploiteurs» qui rongent jour après jour la forêt amazonienne pour ses ressources naturelles, son bois, son or ou qui défrichent pour implanter des cultures extensives et rentables à court terme, faisant fi de la biodiversité et des équilibres naturels. Tout l’inverse des Yacou qui, au fil des ans, ont appris à composer avec la nature et à la respecter. Le secret de la longévité de la tribu tient du reste dans ce respect de tous les instants pour leur environnement naturel: «ils veillaient perpétuellement sur son inventaire, remettaient chaque feuille déplacée à sa place, dispersaient la cendre des feux et les restes des repas.» Une discrétion aussi rendue possible par les règles de la communauté qui n’autorisent que des groupes de huit personnes au maximum, hommes, femmes et enfants compris. Ils ont eu l’intelligence de s’adapter au milieu plutôt que de vouloir le détruire. S’ils ne se donnent jamais de rendez-vous, ils se retrouvent toujours. Un cri suffit à se signaler. Leur langage est sommaire, mais primordial. Si pour eux l’argent et tout son vocabulaire n’existe pas, ils ont en revanche une quarantaine de mots pour définir la couleur verte, dans toutes ses teintes.
Au-dessus de leurs têtes, Gabriel est aux commandes de son petit avion. À la tête d’une grande entreprise de prospection minière, il vient de célébrer ses fiançailles avec Marie et est en passe de conclure de juteuses affaires. Seulement voilà, un vol d’oiseaux va brusquement le plonger dans le monde des Yacou. Les volatiles se prennent dans les réacteurs, causant la perte de l’appareil. Gabriel échappe à la mort, mais ni aux blessures physiques, ni aux blessures psychiques. Choqué, il ne se souvient de rien lorsqu’il se réveille. Le Yacou qui le découvre est intrigué par cet être qui lui ressemble un peu, mais dont les différences physiques sont telles qu’il se méfie et le jette dans un enclos avec les cochons.
C’est au milieu des animaux qu’il va devoir survivre, se nourrir, guérir. Au bout de quelques jours de souffrance, il va pouvoir se mettre debout indiquant qu’il n’est pas comme les animaux qu’il côtoie et intriguant les Yacou qui décident de lui laisser sa chance. «Il ne faisait plus partie du monde des porcs, mais il ne faisait pas non plus complètement partie de celui des hommes».
Alors que la mémoire et les forces lui reviennent, il lui faut constamment s’adapter et, avec chaque jour qui passe, apprendre et se perfectionner, contraint à franchir les rites de passage mis au point par sa tribu, gardant désormais dans un coin de sa tête l’idée de pouvoir un jour fuir et retrouver les siens.
Pascal Manoukian, le baroudeur, a dû se régaler en imaginant les épreuves auxquelles Gabriel est confronté, en intégrant aussi dans son récit la situation du pays qui a élu Bolsonaro avec ce chiffre terrifiant – qui est malheureusement tout à fait juste – depuis son arrivée au pouvoir, de juillet 2018 à juillet 2019, la déforestation de la forêt amazonienne a atteint 278%! L’occasion aussi d’un clin d’œil à son précédent roman, Le Paradoxe d’Anderson.
Sans dévoiler l’épilogue de ce formidable roman, disons que les Yacou vont aussi se rendre compte du danger qui les menace. En filigrane, le lecteur comprendra qu’en fait, lui aussi fait partie de ces Yacou, de ce cercle des hommes. Un roman vertigineux et salutaire !

Le cercle des hommes
Pascal Manoukian
Éditions du Seuil
Roman
336 p., 19,50 €
EAN 9782021442403
Paru le 2/01/2020

Où?
Le roman se déroule au Brésil, au cœur de la forêt amazonienne

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
L’Amazonie.
Perdue sous la canopée, une tribu d’Indiens isolés, fragilisés, menacés par les outrages faits à la forêt. Au-dessus de leurs têtes, un homme d’affaires seul et pressé, aux commandes de son avion, survole l’immense cercle formé par la boucle du fleuve délimitant leur territoire.
Une rencontre impossible, entre deux mondes que tout sépare. Et pourtant, le destin va l’organiser.
À la découverte de la « Chose », tombée du ciel, un débat agite la tribu des Yacou: homme ou animal ? C’est en essayant de leur prouver qu’il est humain que l’industriel finira par le devenir.
Le Cercle des Hommes n’est pas seulement un puissant roman d’aventures, d’une richesse foisonnante, c’est aussi un livre grave sur le monde d’aujourd’hui et notre rapport à la nature.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
RTBF (Sous couverture – Thierry Bellefroid)
Blog motspourmots.fr (Nicole Grundlinger)
Blog Mémo Émoi (Geneviève Munier)
Blog Mes échappées livresques 

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« La forêt s’égouttait encore des larmes de la nuit. Parfois, racontait la légende des Yacou, le Soleil pleurait de se savoir enfermé dans le noir. Peïne ne lui en voulait pas, bientôt il réchaufferait la tribu. L’Indien, au corps sec, strié de centaines de petites cicatrices, droites et régulières, protégea le feu d’une tresse de brindilles et rapprocha les braises. Autour de lui, nus, allongés sur des nattes de feuilles, les corps des siens, serrés les uns contre les autres, pareils aux lames d’un radeau, flottaient encore dans le sommeil. Il les compta. Sept. Son clan entier, sa famille. Leurs poitrines se gonflaient juste assez pour éloigner les charognards. Leurs tignasses sentaient la viande et le manioc sauvage. Il se leva et fit le tour du bivouac, deux abris de palme, sommaires, juste un toit de branches posées sur des bâtons, un feu et au-dessus un petit fumoir. Leurs peaux brûlées de soleil et peintes d’ocre se confondaient avec les racines géantes dressées comme des orgues, les touffes emmêlées de leurs cheveux gris de cendre avec l’épaisse pourriture végétale. Rien ne les trahissait. À côté de leurs couches, les traces d’un gros puma en témoignaient. L’animal s’était reposé à quelques mètres avec son petit, pendant la nuit, sans les voir. Peïne fouilla les déjections : la femelle jeûnait depuis deux jours, sa progéniture boitait et souffrait sans doute de parasites. L’Indien se promit de leur laisser les restes de la pêche avant de lever le camp. Une autre fois peut-être les fauves lui abandonneraient une carcasse pour nourrir les enfants.
Surplombant le campement, des arbres entrelacés de lianes se bousculaient en mikado, prêts à perfuser les premières lueurs du jour. Toujours selon la légende, le sommeil était un filet tendu par les esprits où les Indiens se laissaient attraper pour apaiser leur corps des efforts et des blessures de la journée. Un doux piège, dont il fallait s’arracher avant la fin du noir au risque d’y demeurer prisonnier comme dans une nasse.
À Peïne revenait le devoir de réveiller son clan. Au fond d’un tronc en décomposition il attrapa deux gros vers de palme de la taille d’un pouce, le corps annelé, jaune de gras. Il les excita en les remuant au-dessus des braises, s’agenouilla devant Mue le vieil aveugle et les lui glissa sous les aisselles. Le rire apaisait les tensions chez les Yacou, or la journée promettait d’être lourde. L’aïeul, encore prisonnier du filet, sourit d’abord discrètement du coin des lèvres, puis les vers s’obstinant à creuser sous ses bras pour trouver une sortie il se mit à pouffer, déclenchant une réaction en chaîne, les uns se jetant sur les autres pour leur arracher des gloussements sans fin. Peïne en profita pour se rapprocher de sa femme et lui faire oublier sa mauvaise humeur de la veille. Une bande de singes laineux, réveillés par les cris, imita aussitôt les Indiens, effrayant une nuée d’oiseaux, et bientôt la forêt ne fut plus qu’un immense éclat de rire.
Mue mit fin à la cérémonie des chatouilles et commença la journée. L’aveugle s’éloigna du camp en tâtonnant. Ses yeux ne voyaient plus. Ses doigts si. De longues lianes torturées, des loupes, capables même de distinguer les couleurs. Il lui en manquait trois à la main droite, mais rien n’échappait aux rescapés.
Le vieil Indien saisit une feuille au limbe arrondi et caressa chacune des nervures en suivant leurs hésitations.
Il savait déjà le serpent sur la branche, juste derrière son épaule mais assez loin pour qu’il ne s’en inquiétât pas. Sur le feu humide, les deux vers de palme ne faisaient plus rire personne. Ils grillaient sur le dos, panse tournée vers un gros nuage qu’éventrait déjà un mince éclat de soleil.
Face à l’aveugle, silencieuses, deux femmes nues, les seins griffés par les ronces et les enfants, attendaient son verdict, arc aux pieds, la peau perlée de rosée, le regard souligné du trait rouge et gras de la pulpe d’urucu, une baie sauvage à l’allure de petits oursins dont les Indiens se servaient aussi pour se protéger des insectes et colorer les plats.
Mue mit la feuille dans sa bouche et la mâcha longuement.
Une bande droite et nette rasait sa chevelure grise en son milieu, laissant apparaître une longue cicatrice mal refermée, gonflée d’affreuses boursouflures. À la verticale de son crâne fendu, d’immenses orchidées égrenaient leur pollen dans un rideau de brume, montant de la pourriture du sol pour se déchirer aux premières branches des arbres et disparaître trente mètres plus haut, en fins lambeaux blancs, transperçant la voûte épaisse et échappant par miracle à la forêt, telles des volutes de fumée sans feu.
Depuis qu’on lui avait amputé trois doigts de la main pour le faire parler, le vieil Indien économisait les mots.
– Luisant, se contenta-t-il d’annoncer.
Tout le monde approuva d’un hochement de tête, sauf le Héron, un adolescent aux allures d’échassier, en perpétuel recherche d’équilibre, toujours penché vers l’avant, les deux jambes fendues en un « V » semblable à celui dessiné par la rencontre des eaux caillouteuses de l’Otavella et du Cahuinari, deux rivières entre lesquelles, depuis mille ans, les Yacou cueillaient et chassaient.
L’aveugle régurgita une bouillie verte grumeleuse, s’agenouilla, y mélangea un peu de cendre et, pendant que le Héron expertisait à son tour la feuille arquée d’un palmier-poubelle, enduisit de sa mixture les seins vides d’une jeune mère pour y faire monter le lait. Elle le remercia en prenant sa main entre ses doigts, et le contact devenu trop rare d’une peau douce contre la sienne ravit l’ancien.
Son opinion faite, le grand échalas se redressa sur ses compas.
– Brillant perlé, corrigea-t-il respectueusement.
Peïne, le gardien provisoire de la tribu, coiffé d’un casque de cheveux noirs à l’arrondi parfait cerclant un front curieux, orienta les feuilles d’une fougère géante vers une rafale de lumière qui trouait la tête d’un grand bananier.
Contrairement au vieil aveugle, il pouvait compter des yeux chaque battement d’ailes d’un colibri et le stopper net d’une fléchette en plein cou et en plein vol.
– Moiré, trancha le petit homme trapu, le biceps droit ceint d’une mue de serpent, seul signe distinctif de son rang.
Chez les Yacou, il existait cinquante-sept mots décrivant très précisément chaque nuance de vert, mais aucun pour dire le profit, la science ou le bonheur. Pour une raison simple : le profit n’existait pas, la science tenait déjà tout entière dans la nature et le bonheur, à part une période sombre, dont le vieux Mue gardait, en plus du secret, trois moignons et une méchante cicatrice sur le crâne, se révélait être pour les Indiens et depuis toujours un état permanent, une source intarissable.
Les sept statuèrent finalement sur un vert humide et scintillant, puis firent cercle autour du foyer et régurgitèrent ensemble ce que leurs estomacs n’avaient pas digéré de la veille, grelottant les uns contre les autres, trempés par les gouttes lourdes d’une averse pianotant sans partition précise de feuille en feuille jusqu’au feu toussotant. L’air sentait l’ananas vert et la cendre mouillée. Tout ce que comptait le clan tenait là : Peïne le sage, Mue l’aveugle au crâne fendu, le Héron, fragile et curieux, la Tatouée, la femme de Peïne, au corps entièrement incrusté d’arabesques bleues, le Rebelle, un jeune mâle de vingt ans, le regard noir, toujours sur ses gardes, méfiant comme un jaguar, Solitude, la veuve aux seins vides, Sans Nom, son jeune fils, et Pas d’Âge, le mort, recroquevillé en position fœtale au beau milieu d’une feuille de nénuphar géant, jaune tendre, aux bords parfaitement arrondis, relevés et dentelés comme un moule à tarte.
Les sept devaient choisir maintenant. À l’unanimité ils décidèrent de confier pour un jour encore le destin de la tribu à Peïne et s’entaillèrent symboliquement le bras de la pointe d’un bambou pour marquer d’une cicatrice leur décision commune.
Ainsi commençait chaque jour nouveau entre l’Otavella et le Cahuinari. À peine sortis du filet des esprits, les Yacou rendaient à la terre ce dont ils n’avaient pas besoin, choisissaient le meilleur d’entre eux pour les guider tout au long de la journée et définissaient la couleur du vert afin de décider à quoi ils allaient l’occuper. Peïne regarda le colibri s’envoler et se félicita : humide et scintillant était la couleur idéale pour un enterrement. Ils avaient bien fait de rire avant. »

Extraits
« Au milieu d’un capharnaüm de cartes aériennes, de cigarettes et de dossiers trônait un petit cylindre en titane brossé, rouge mat, une enceinte d’à peine cinq centimètres de hauteur, un cadeau de Marie pour ses cinquante ans, un concentré de technologie, indestructible, étanche, avec un son de chaîne hi-fi, une batterie infatigable, et tout Mozart à l’intérieur.
Il se souvenait du dîner de la veille, du clair-obscur de la suite du Copacabana Palace à la façade en pierre blanche tombant sur la plage comme une falaise de craie, des baisers au goût de caviar, de la fine dentelle des bulles de champagne, de cet incroyable chef japonais venu spécialement de São Paulo leur servir son bœuf wagyu surmonté d’un médaillon de foie gras et parsemé de lamelles de truffe blanche, du meringué de bananes ondulant de cinquante bougies soufflées à la fraîcheur d’une petite brise à l’abri des flamboyants de la terrasse. Elle devait l’attendre, maintenant.
Il sourit en pensant à sa promesse de revenir trois jours plus tard lui faire un enfant. Il ne s’y était tenu avec aucune autre, préférant chaque fois ses affaires à ses histoires d’amour. Une femme par étape de sa carrière, toutes indispensables mais chacune sacrifiée, comme les étages d’une fusée, pour monter toujours plus haut. »

« Quatre générations plus tard, Diego, l’un des arrière-arrière-petits-fils du drapier de Séville, embarquait pour les Amériques, avec cinq cents volontaires, dans l’espoir de venger son ancêtre et d’aller au nom de la France piétiner les plates-bandes espagnoles. Malheureusement, la troupe débarqua au nord du Brésil, côté portugais. Après deux ans à défricher la côte, Diego déserta et s’enfonça dans la forêt avec une bande d’aventuriers venus de São Paolo. La légende dit qu’ils arrivèrent sur les rives d’un lac, quelque part entre le Brésil et la Guyane, dans lequel chaque année un roi indien se baignait nu et ressortait le corps couvert d’or. Nombreux furent ceux qui cherchèrent l’endroit sans jamais le trouver, mais dans le jardin de sa petite échoppe bordelaise, étudiant, bien avant de connaître Marie, il aimait à imaginer son ancêtre remontant les fleuves et les rivières, inventoriant des plantes inconnues aux parfums mille fois plus délicats que les épices de la Judería, racines contre les fièvres hémorragiques, teintures ocre et bleues, gomme pleurant des arbres, toujours accueilli et fêté par des peuples sans nom, heureux d’échanger leurs trésors contre les siens. »

« La veille, le Brésil avait fait un immense bond en arrière en s’offrant un président nostalgique de l’ordre et de la dictature militaire. L’Amazonie et toute l’industrie du pays étaient à vendre. Premiers arrivés, premiers servis, « les meilleures affaires se font à l’ouverture », disait son père, tant pis pour les travailleurs sans terre, l’écosystème, les espèces menacées et les Indiens. Les conquistadors étaient de retour. »

À propos de l’auteur
Photographe, journaliste, réalisateur, Pascal Manoukian a couvert un grand nombre de conflits. Ancien directeur de l’agence CAPA, il se consacre désormais à l’écriture. Il a publié notamment  Le Diable au creux de la main (2013), Les Échoués (2015) et Ce que tient ta main droite t’appartient (2017) et Le Paradoxe d’Anderson. (Source: Éditions du Seuil)

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Doggerland

FILHOL_doggerland

En deux mots:
Il y a quelques milliers d’années, le Doggerland a disparu de la surface du globe, englouti par la mer du Nord. C’est son histoire qui nous est contée ici avec tous les aspects scientifiques et économiques, de sa création à son possible avenir. Avis de tempête!

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Avis de tempête en mer du Nord

Après l’industrie nucléaire, Élisabeth Filhol s’intéresse aux hydrocarbures. Elle nous entraîne en mer du Nord, sur les pas de Marc et Margaret, où des milliers d’années ont façonné un univers aujourd’hui exploité et menacé.

C’est une histoire qui court sur des milliers d’années, celles qui ont formé et déformé la terre. Celles qui ont créé le Doggerland et celles qui l’ont fait disparaître. Doggerland, le titre choisi par Élisabeth Filhol pour ce roman, est le nom donné à l’étendue émergée qui se situait jusqu’aux environs de 6200 av. J.-C. dans la moitié sud de l’actuelle mer du Nord et qui reliait la Grande-Bretagne au reste de l’Europe. Au fil des pages, nous allons tout savoir de sa genèse, des mouvements tectoniques qui l’ont bousculé, des couches de sédiments qui se sont amassés, des vagues qui l’ont submergé et des hommes qui l’étudient.
C’est une autre histoire qui commence alors. L’histoire de Margaret et de Marc. Ils se croisent en 1987 sur les bancs de l’université de St Andrews. Elle est écossaise, il est français. Tous deux se passionnent pour la recherche scientifique, même si leurs parcours vont finalement leur faire embrasser des carrières très différentes et les éloigner l’un de l’autre. Elle n’en a pas fini avec la recherche pure, avec tous les secrets que les quantités d’informations rassemblées permettent de mettre à jour. Elle mène une vie rangée avec son mari et son fils. Lui met son savoir au service des sociétés pétrolières, passant d’une plate-forme de forage à l’autre. Il est célibataire, ambitieux et ne tient pas en place.
Près de vingt ans après leur liaison, ils s’apprêtent à se retrouver à l’occasion d’un congrès. Mais la tempête Xaver, qui balaie le continent, menace de contrarier ces retrouvailles.
On l’aura compris, Élisabeth Filhol va s’ingénier à mettre les deux récits en parallèle. Ou plutôt de faire de l’un une métaphore de l’autre. Les sédiments et les sentiments, la tempête et le tempérament. Le rythme du récit s’adapte aussi, avec de longues phrases qui, comme le mouvement des vagues, déroulent leurs rouleaux avant d’atteindre la rive. Il suffit de se laisser emporter… à condition de s’intéresser à la géologie, à l’environnement, à l’industrie pétrolière.
Les caprices du cœur vont-ils se mettre au diapason des caprices de la météo? L’eau et le feu ne se marient pas, à moins de provoquer une réaction en chaîne très déstabilisante. À force d’être exploitée, la nature ne va-t-elle pas se venger? Autant de questions en filigrane d’un roman qui fouille autant cette terre enfouie que le trouble amoureux.

FILHOL_carte_doggerlandCarte du Doggerland réalisée par William E. McNulty et Jerome N. Cookson © National Geographic Magazine

Doggerland
Elisabeth Filhol
Éditions P.O.L
Roman
352 p., 19,50 €
EAN: 9782818046258
Paru le 3 janvier 2019

Où?
Le roman se déroule principalement dans les pays limitrophes de la mer du Nord. On y évoque aussi le Doggerland

Quand?
L’action se situe de nos jours. Le chapitre final nous emporte il y a quelques milliers d’années.

Ce qu’en dit l’auteur
Faut-il donner la clef d’un roman? En général la réponse est non, car une des forces du roman, contrairement à d’autres formes de récit, est précisément de laisser le champ libre à une variété d’interprétations. En tant que lectrice, j’aime entrer et circuler dans un texte de fiction sans que le chemin soit entièrement balisé. En tant qu’auteure, la question s’est posée à une étape cruciale de l’écriture de Doggerland, quand après avoir erré, j’ai pu enfin mettre un mot sur le fonctionnement (ou plutôt le dysfonctionnement) de chacun des deux personnages principaux. Quelque chose alors s’est cristallisé, en trouvant leur cohérence, j’ai trouvé la direction que je voulais donner au livre, et les différents thèmes sont arrivés, en lien direct avec eux, Marc et Margaret, en lien avec leurs faits et gestes, l’activité qu’ils exercent, mais pas seulement. Margaret a une manière d’être au monde qui lui est propre. A priori la voie toute tracée qui s’offrait à elle, enfant, était de ne jamais pouvoir s’y intégrer. Quand à la fin de ses études, le Doggerland passe à sa portée, elle s’en saisit; et ce pont terrestre jeté à la préhistoire entre l’Angleterre et le Danemark, elle va en faire son objet de recherche, un lieu de partage, qui la relie aux autres. Plus jeune, la relation qu’elle a construite avec l’un de ses frères, Ted, a eu la même fonction. On le repère souvent, au sein des fratries, dans un cas comme celui-là, d’un enfant différent, qu’un binôme se constitue sur lequel il s’appuie. Devenue jeune adulte, Margaret rencontre Marc. Qu’est-ce qui les unit, qu’est-ce qui les sépare, provisoirement, durablement, pris dans le filet d’un modèle néolibéral exigeant, qui ne laisse pas beaucoup de place aux profils atypiques, c’est le questionnement qui m’a guidée, le fil rouge, ce qui a été moteur et premier dans l’écriture. A partir de là, une à une, des portes se sont ouvertes. Le premier jet de Doggerland rend compte de ce cheminement. Un premier jet écrit au jour le jour, sans retour en arrière d’un jour sur l’autre, et qui n’a pas du tout la structure, l’organisation du livre fini. Quand il est question dans la version finale de géologie, de préhistoire, d’écologie, d’économie, différentes interprétations sont possibles, à commencer, bien sûr, par la plus littérale. Mais dans cette construction, cette vision du monde que véhicule le livre, les deux personnages principaux ne sont pas un prétexte, une concession faite aux canons du roman, ils ne sont ni secondaires ni au service d’un autre projet. Ils sont les piliers du texte, qui en leur absence, se serait développé autrement.

Ce qu’en dit l’éditeur
Ce roman sur la fracture des êtres, des cœurs et des continents, est né d’un haut-fond situé au milieu de la mer du Nord, le Dogger Bank. Il y a encore 8000 ans, avant d’être englouti, c’était une terre émergée, habitée, une île presque aussi grande que la Sicile. Les archéologues lui ont donné un nom : le Doggerland.
Ce territoire mystérieux, Margaret, géologue, l’a choisi à la fin des années quatre-vingt comme objet d’études, quand elle aurait pu suivre la voie des exploitations pétrolifères. Comme Marc Berthelot qui a brutalement quitté le département de géologie de St Andrews, et Margaret, pour une vie d’aventure comme ingénieur pétrolier sur les plateformes offshore. Calant son rythme de vie sur celui du baril de Brent, le pétrole extrait de la mer du Nord, dont les cours enchaînent les envolées et les effondrements.
Vingt ans après leur rencontre, Marc et Margaret sont invités à un congrès à Esbjerg, au Danemark. Ils pourraient décider de faire le choix de se revoir. Mais la veille au soir, le 5 décembre 2013, la Grande-Bretagne est placée en alerte rouge. La tempête Xaver, requalifiée en ouragan, déboule sur l’Europe du Nord. On suit avec fascination sa montée en puissance. En même temps qu’elle réveille les fantômes du Doggerland, elle ranime les souvenirs d’il y a vingt ans, ravive les choix des uns et des autres, et met en question les conditions extrêmes de développement des plates-formes pétrolifères, des parcs éoliens, de l’exploitation toujours plus intense des ressources naturelles…
On dit que l’histoire ne se répète pas. Mais les géologues le savent, sur des temps très longs, des forces agissent à distance, capables de rouvrir de vieilles failles, ou de les refermer.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
BibliObs (Élisabeth Philippe)
Libération (Frédérique Roussel)
La Croix (Sabine Audrerie)
Télérama (Fabienne Pascaud)
Le JDD (Laëtitia Favro)
Diacritik (Christine Marcandier)
Charybde27: le blog 
Avis du Jury Prix des lecteurs L’Express / BFMTV 


Élisabeth Filhol présente Doggerland © Production Jean-Paul Hirsch

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Il y a huit mille ans, une grande île s’étendait au milieu de la mer du Nord, le Doggerland. Margaret en a fait son objet d’étude. Marc aurait pu la suivre sur cette voie, mais c’est le pétrole qu’il a choisi. Il a quitté le département de géologie de St Andrews, pour une vie d’aventure sur les plateformes offshore. Vingt ans plus tard, une occasion se présente. Ils pourraient la saisir, faire le choix de se revoir. On dit que l’histoire ne se répète pas. Mais les géologues le savent, sur des temps très longs, des forces agissent à distance, capables de réveiller d’anciens volcans, de rouvrir de vieilles failles, ou de les refermer.

Margaret
Ils l’ont vue naître, émerger du néant en mer d’Islande. Ils ont assisté subjugués à son éclosion, nichée au creux de son lit dépressionnaire, engendrée par un air humide subtropical égaré aux frontières de l’océan Arctique. Et maintenant elle explose, une bombe. Comme dans un film en avance rapide, il n’y avait rien, et elle est là. Plus proche de Xavère que de Xavier dans sa prononciation, avant d’être une catastrophe, Xaver est un bel objet. Justifiant, à l’initiative des météorologues européens, cette distinction d’un nom de baptême. Suffisamment soudaine, imprévisible et spectaculaire pour ça.
Ils l’ont vue surgir au sud-est du Groenland, s’extraire de sa gangue en un temps record, au nez et à la barbe des modèles numériques de prévision dépassés par la rapidité et l’ampleur du phénomène. Ils l’ont vue se lover, s’enrouler dans un mouvement ascendant de convection et accroître son diamètre en accéléré dopée par une chute vertigineuse des pressions à cet endroit ; il n’y avait rien et brutalement elle est là, d’entrée pleinement elle-même et hors norme, à peine au monde et déjà active, en possession de tous ses moyens, la voilà qui s’anime au-dessus de l’Atlantique Nord et crève l’écran, qui s’observe de but en blanc dans une forme aboutie telle Athéna sortie casquée et bottée du crâne de son père ; elle grossit, croît et se développe à une vitesse exponentielle, entame sa course d’ouest en est, s’élargit au fil des heures, en lignes isobares toujours plus nombreuses et serrées, et eux assis derrière leurs écrans traitent, analysent, évaluant à sa juste mesure l’accumulation extraordinaire de paramètres favorables qu’il a fallu, et se préparent au pire.
À ce stade aucun avis officiel n’a été diffusé. Mais déjà les fonctionnaires des agences de météorologie, ceux du Met Office, du Deutscher Wetterdienst, de Météo-France ou du Meteorologisk Institutt, sont sur le pied de guerre. Car ce que les modèles des supercalculateurs alimentés en temps réel prédisent à présent qu’on n’a plus besoin d’eux pour l’anticiper, que l’ampleur de la situation s’évalue de visu, est sans équivalent pour beaucoup de prévisionnistes, on n’avait pas observé un tel phénomène depuis vingt ou trente ans. Les yeux rivés sur les images satellites, ils n’en reviennent pas de ce qui est en cours, de ce qui se déroule à l’écart des projections à trois jours, pour les plus jeunes d’entre eux, du jamais vu. Elle grandit et se déploie telle une puissance mythologique, mi-concrète mi-abstraite, par capteurs, balises, transmissions satellites et simulateurs interposés, ni tout à fait réelle dans ce temps intercalaire où elle souffle sur les eaux de l’Atlantique sans aucun témoin, ni tout à fait théorique. Ils l’admirent pour ce qu’elle est, exceptionnelle dans ses paramètres, par leur conjonction comme un alignement de planètes dont on n’est spectateur qu’une à deux fois dans sa vie, émerveillés par sa rapidité d’évolution et son potentiel de croissance, tandis que les données défilent, réactualisées en permanence, et ce n’est qu’un début. Ils anticipent la deuxième phase, à l’approche du jet-stream, un courant de haute altitude lancé à 320 km/h autour de la Terre en vitesse de croisière ; parmi tous les scénarios qui font consensus dans une gamme étroite de variantes d’un service à l’autre, c’est la version haute qui sortira au tirage dans moins d’une heure, la plus impressionnante par un transfert maximum d’énergie au passage du courant-jet au-dessus de Xaver, renforçant la convection, décuplant sa vitesse de rotation, transformant instantanément la dépression en bombe météorologique ; partout dans les agences à travers l’Europe du Nord et de l’Ouest, ingénieurs et techniciens sont mobilisés, en collaboration étroite entre eux, en contact direct avec les autorités et les centres de gestion de crise, car ce qui se prépare est énorme, ils le savent, donnera à la tempête sa vraie dimension et sa catégorie, à partir de quoi, seront lancés conjointement et dans toutes les langues, les bulletins d’alerte.
Au siège du Met Office à Exeter, Ted Hamilton circule dans les allées du vaste open space, commente, s’interrompt, reprend sa marche, observe les visages derrière leur poste de travail plus exaltés qu’inquiets, juge la réaction préférable. Lui-même vient de rejoindre ses équipes et s’apprête à y passer la nuit. Il tient cette mise sous tension pour nécessaire, quand elle n’est pas nervosité stérile, voire débordement par le stress dans le pire des cas, mais bien un état de veille et d’acuité, d’éveil durablement productif, aux dimensions du phénomène. Ses agents sont formés, calibrés pour ça. Comme le sont les officiers, les chirurgiens ou les pilotes de ligne, entraînés à gérer l’exceptionnel qui n’est pas à proprement parler leur cœur de métier, mais une barre d’exigence sur la question des compétences requises, c’est ainsi que Ted Hamilton voit les choses, en Écossais aguerri, exilé ici, dans le comté du Devon, depuis qu’un ultime coup de pouce à sa carrière l’a éloigné du centre de prévisions d’Aberdeen qu’il dirigeait depuis sept ans ; il considère que la routine des trois bulletins quotidiens qui rythment la journée de travail en temps ordinaire ne doit pas masquer l’essentiel, la mission qui est la leur, faire face aux situations d’urgence, savoir mobiliser ces fonctions que la routine endort et gérer l’imprévu. Ce soir-là, l’imprévu a le visage de Xaver, qui même aux yeux de Ted Hamilton est une redondance dans l’extraordinaire, la dérive vers le hors norme d’une situation qui l’est déjà, une anomalie climatique partie pour les occuper à temps plein pendant au moins cinq jours, de son arrivée sur la côte ouest du pays cette nuit, jusqu’à son comblement au-dessus de l’Europe centrale, dimanche ou lundi.
La ville d’Exeter a été choisie pour abriter le siège du Met Office en 2003. Quand on ouvre une carte du sud de l’Angleterre, on la repère au fond d’un estuaire, environ soixante kilomètres au nord-est de Plymouth. L’estuaire est celui de l’Exe qui se jette dans la baie de Lyme à Exmouth, une petite station balnéaire où Ted Hamilton loue une maison. On peut imaginer ce que représente pour lui une migration professionnelle d’Aberdeen à Exeter, qui est à peu près l’équivalent d’une mutation Lille Marseille. Conscient que son ancrage, toutes ses racines et ses attaches sont en Écosse, il n’a pas jugé bon qu’on le suive. »

À propos de l’auteur
Née le 1er mai 1965 à Mende en Lozère. Études de gestion à l’université Paris-Dauphine. Expérience professionnelle en milieu industriel : audit, gestion de trésorerie, analyse financière et conseil auprès des comités d’entreprise. Vit aujourd’hui à Angers. Après La Centrale (2010) et Bois II (2014), Doggerland est son troisième roman. (Source : Éditions P.O.L)

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L’explosion de la tortue

CHEVILLARD_lexplosion_de_la_tortue

En deux mots:
À son retour de vacances, la narrateur découvre sa tortue décalcifiée et agonisante. Un faits divers qui va l’entrainer dans des réflexions sur la vie et la mort, la nature et la littérature, à la fois désopilantes et documentées, ironiques et profondes.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Tout le reste est littérature

Éric chevillard nous revient au meilleur de sa forme. Avec «L’explosion de la tortue», il nous livre une fable caustique sur la nature et sur la mort, qui est avant tout une réhabilitation de la littérature.

Dans ma grande sagesse, j’ai pu résister à toute les demandes – souvent insistantes – de me fils à acquérir des animaux domestiques. J’ai eu moi-même un chien qui a fini sous un 4×4 et m’a laissé traumatisé pour longtemps. Comme le narrateur de ce roman caustique, j’ai toutefois cédé pour quelques poissons exotiques qui ont finalement pris la même direction que Némo, via les toilettes après une mort aussi soudaine que silencieuse, et pour une tortue qui partage notre quotidien depuis près d’une dizaine d’années et qui, de son pas de sénateur, semble devoir affronter la vie avec confiance. Il faut dire qu’avant chaque départ en vacances, c’est le branle-bas de combat pour la confier à un proche. Nous nous autorisons de temps en temps à la laisser seule durant un week-end prolongé. Les miettes de culpabilité étant vite ramassées lorsque nous constatons, à notre retour, qu’elle a parfaitement supporté sa solitude.
Mais j’imagine bien qu’après un mois d’absence, comme c’est le cas dans ce roman, la tortue n’ait pas pu résister, surtout quand il s’agit du modèle «tortue de Floride» qui a besoin d’eau. La voici donc décalcifiée, crevant dans les mains de son maître. L’explosion de la tortue va permettre à Éric Chevillard, après Juste ciel (2015) et Ronce-Rose (2017), de nous offrir quelques réflexions sur cet incident chargé de bien plus de symbolique qu’une analyse sommaire ne peut le laisser croire.
Car, pour le narrateur, ce décès prématuré est à mettre en parallèle avec son travail de biographe et de critique. Mais quel rapport avec Phoebe – tel était le nom de la tortue – me direz-vous? Prenez Henry David Thoreau. Que fit-il le 17 novembre 1850? L’homme des bois nous le raconte: «Cet après-midi, j’ai trouvé dans un champ de seigle hivernal un œuf de tortue, blanc et elliptique comme un caillou, ce pour quoi je l’avais pris, puis je l’ai brisé. La petite tortue était parfaitement formée, jusqu’à la colonne vertébrale que l’on voyait distinctement. (…) Si la littérature ne s’empare pas de ces histoires de tortues précocement anéanties, tuées par un brave homme qui n’avait pourtant pas l’intention de leur donner la mort, alors on voit mal de quoi elle pourrait se soucier et quelle est sa légitimité.»
Prenez aussi Louis-Constantin Novat, l’écrivain contemporain de Thoreau, dont notre narrateur a découvert l’œuvre et entend la faire mieux connaître. Au fil de son exploration, il va trouver de nombreux faits troublants. Mais «mieux vaut fermer les yeux sur ces coïncidences si l’on refuse d’admettre qu’un Dieu moqueur est à la manœuvre et que nous sommes des marionnettes accrochées au ciel par des fils tendus qui frisottent juste un peu au niveau du pubis.»
On l’aura compris, Éric Chevillard s’amuse une fois de plus – et nous avec lui – à dérouler le fil de ses obsessions. L’explosion de la tortue, c’est aussi l’explosion de la littérature dans ce qu’elle a de plus inventif. Derrière Phoebe se cache la création, le pouvoir des mots laissés sur la papier, l’idée de postérité, de «poids» des œuvres. Jusqu’à cette superbe invention, «l’Agence», dont je vous laisse découvrir la mission ô combien importante pour les écrivains en quête de reconnaissance.

L’explosion de la tortue
Éric Chevillard
Éditions de Minuit
Roman
256 p., 18,50 €
EAN: 9782707345073
Paru le 3 janvier 2019

Où?
Le roman se déroule en France, principalement à Paris.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Les tortues de Floride élevées en aquarium ne sont pas tout à fait des cailloux. Elles ont donc besoin d’eau et de nourriture pour vivre. C’est ce que découvre le narrateur de cette histoire, de retour chez lui après un mois d’absence. Il croyait la sienne plus endurante, mais la carapace décalcifiée de la petite Phoebe se fend sous son pouce. Par ailleurs, alors qu’il s’employait à réhabiliter en la signant de son nom l’œuvre de Louis-Constantin Novat, écrivain ignoré du XIXe siècle, cette généreuse initiative se trouve soudain menacée. Or la forêt des mystères n’abrite pas que des crimes: les deux mésaventures pourraient bien être liées.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
BibliObs (Jérôme Garcin)
La Croix (Patrick Kéchichian)
En attendant Nadeau (Maurice Mourier)
Les Échos (Philippe Chevilley)
Télérama (Michel Abescat)
Le Littéraire (Jean-Paul Gavard-Perret)
Libération (Philippe Lançon)
Blog Lire au lit 

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Crac
Car mon pouce avait crevé la carapace fine et sèche comme une feuille morte. Et il y avait eu en effet un petit bruit de promenade en forêt. J’avais touché dessous, oh j’avais touché dessous le corps mou, l’inconcevable corps de tortue, et j’avais eu un frisson, quelque chose vibrait dans cette chair, le cœur pulsait, ou une veine.
Le pouls de la tortue palpitait encore, une de ses paupières s’était soulevée, la droite, je crois, et il y avait eu le trait de son regard sur moi, cette mourante m’accusait d’avoir failli, d’avoir traité avec négligence la bête stupide, le reptile préhistorique, comme si peu importait finalement comment il allait traverser la canicule estivale.
N’avait-il pas connu deux ou trois glaciations ? Il apprécierait un petit coup de chaud, n’est-ce pas?
Phoebe mourut dans ma main amie aussi sûrement que si celle-ci l’avait plutôt lancée avec force contre le mur. Voici comment le mammifère supérieur survivait au dinosaure et ce que cela augurait pour le monde.
Nous n’avions pas su lui trouver une pension au moment de partir en vacances. Nous n’avions pas beaucoup cherché. Il aurait bien sûr fallu la confier à un ami, à une voisine. Mais c’était l’été. Personne pour demeurer bêtement chez soi.
(Hormis les tortues.)
C’est à cela qu’on reconnaît que l’on n’a pas de vrais amis.
Quant à la famille, je n’en goûte la compagnie qu’à la cinquième génération, lorsque exodes et migrations ont dispersé la smala aux quatre coins du monde. Je ne me voyais pas sonner chez une tante avec mon aquarium sur la hanche.
Puis les vieilles chouettes ont le bec crochu. Rien ne répugne à leur appétit de rapace.
Crac
Il y avait eu un petit bruit de promenade en forêt. Un bruit léger de fuite. Un bruit bref. Une courte promenade.
Portée aux extrémités, la main de l’homme lui est d’un grand secours pour arracher la betterave de son terrier et pour gifler son fils. Quand je saisis Phoebe, le plus délicatement possible donc, mon pouce creva sa carapace décalcifiée. La tortue vivait toujours. Un battement léger, irrégulier, soulevait la peau d’écailles de son cou.
Elle avait vaillamment attendu notre retour pour nous prendre à témoin de notre criminelle négligence et me claquer entre les doigts.
Me craquer entre les doigts plutôt, oui, plutôt crac que clac.
Il m’était arrivé d’arroser le ficus du concierge en son absence. Il n’aurait pu refuser en retour d’arroser notre tortue. Le piège de la reconnaissance était armé. Œil pour œil, dent pour dent. Un prêté pour un rendu. Telle est la loi des hommes et le principe de la vie en société.
Je n’avais pas osé lui demander ce service. Aloïse non plus. Forcinal nous faisait un peu peur – jamais je n’aurais accepté d’arroser son ficus s’il ne m’avait fait un peu peur. Son maillot de corps était constamment maculé de sauce tomate. Nous disions par plaisanterie que ce pouvait être du sang.
Quand une disparition inquiétante se produisait aux alentours, notre rire se figeait.
Tandis que les taches sur le maillot de corps du concierge s’étaient élargies, nous semblait-il. Quoi qu’il en fût, Forcinal pouvait être brutal avec les lycéennes, abuser d’elles puis les découper en morceaux, ces morceaux les manger, ça ne faisait pas de lui un tueur de tortues. Nos échappatoires suintaient la mauvaise foi.
Quand bien même Forcinal eût-il été cet assassin d’enfants activement recherché, il n’était pas question en l’occurrence de lui confier un fils ou une fille mais une tortue de Floride que sa perversion très ciblée, pour ne pas dire clivante et discriminatoire, ne menaçait nullement.
Nous partions en vacances, et que faire de Phoebe? Nous partions sur les routes, nous voulions voyager léger. Phoebe nous aurait ralentis. Nous ne sommes déjà pas des lièvres. Phoebe et ses courtes pattes torves. Phoebe et son rocher. Phoebe et ses deux litres d’eau.
Je suis bien conscient qu’il est tout à fait indigne de jeter le doute sur Forcinal, de nuire à sa réputation que rien n’entache hormis un peu de sauce tomate ou de ketchup – motifs plutôt bienvenus en vérité pour égayer le coton jaunâtre de son maillot de corps –, d’impliquer ainsi l’inoffensif et placide concierge dans ces meurtres atroces sans l’ombre d’une preuve ni le moindre indice pour étayer de tels soupçons.
(Ce blond cheveu entre ses dents? Peut tout à fait provenir de la crinière d’un lion qu’il aura câliné.)
Pathétiques tentatives de détourner sur lui le jugement des hommes moralement outrés, de les distraire de notre propre crime, avéré celui-ci, au prix d’un mensonge calomnieux qui nous rend plus vils encore, définitivement impardonnables.
Que faire de Phoebe? Curieusement, ne nous était pas venue l’idée pourtant très humaine – nous y songeons bien pour nos vieilles mamans – de l’abandonner. Ce n’était pas la dernière fois que nous manquerions d’humanité dans cette affaire. »

Extraits
« Phoebe ne se souciait aucunement de nous, voilà la vérité. Jamais ingratitude ne fut si bien sertie dans de l’écaille. Elle ne venait à notre rencontre que lorsque nous saupoudrions de daphnies la surface de son plan d’eau. D’un bord à l’autre et son rocher même, je tiens à le préciser. Elle jouissait pourtant d’une vue remarquable sur notre intérieur (aussi) depuis le buffet du salon où trônait son aquarium, exactement à l’endroit où nous aurions pu mettre un Bouddha rutilant. Mais elle se fichait bien de nos allées et venues. Jamais je n’ai vu sa petite tête collée à la vitre quand nous nous unissions sur le tapis. Le spectacle pourtant ne manquait pas d’intérêt. Forcinal, en tout cas, le trouvait à son goût, … »

Alors certes, qui se donnera la peine de tenir un journal s’il ne lui arrive jamais rien qui vaille d’être relaté?
« Divers recoupements me permettent de situer approximativement le cours fluet de cette existence entre les années 1839 (sa source tapie sous une pierre plate et moussue pour ne pas dire tombale) et 1882 (son embouchure sur la mer de l’oubli) –avec une marge d’erreur de cinq années de part et d’autre.
Que fit-il par exemple le 17 novembre 1850 ?
Je l’ignore.
Tandis que Henry David Thoreau ne nous cache rien de l’emploi de son temps ce jour-là: Cet après-midi, j’ai trouvé dans un champ de seigle hivernal un œuf de tortue, blanc et elliptique comme un caillou, ce pour quoi je l’avais pris, puis je l’ai brisé. La petite tortue était parfaitement formée, jusqu’à la colonne vertébrale que l’on voyait distinctement.
L’existence de Louis-Constantin Novat fut certainement dépourvue d’événements aussi importants que celui que rapporte là H. D. Thoreau. Les écrits de ce grand ami de la nature ne sont pas avares d’aventures, mais aucune n’est aussi croustillante – même s’il n’y mit pas la dent – que cette anecdote.
Si certaines choses méritent d’être écrites, alors cet épisode incontestablement est du nombre. J’avoue n’avoir rien lu d’aussi passionnant depuis longtemps, en
ce qui me concerne.
Si la littérature ne s’empare pas de ces histoires de tortues précocement anéanties, tuées par un brave homme qui n’avait pourtant pas l’intention de leur donner la mort, alors on voit mal de quoi elle pourrait se soucier et quelle est sa légitimité.
Thoreau empoigne le sujet avec une certaine rudesse.
On reconnaît là l’homme des bois. Une approche plus précautionneuse et tout en circonvolutions aurait sans doute été préférable. Mais enfin, il ne l’élude pas lâchement comme tant d’autres. Il s’en saisit avec la détermination qui convient.
Crac

« La tortue comme le chat fait le gros dos. Ce n’est pourtant pas un poil soyeux qui soudain se hérisse, chargé d’électricité, mais une écaille dure et revêche qui se bombe et forme même un dôme définitif.
Elle ne va pas ramollir et se dégonfler sous la caresse, la tortue.
Ronronner dans notre giron, non.
Vous allez plutôt vous casser les ongles en gratouillant sa dossière.
Cette carapace est un bouclier solidement sanglé sur son corps ingénu, vulnérable, qui demeurera voluptueusement ignorant de tout.
Celle de Phoebe cependant céda sous mon pouce.
Tout à coup, elle rompit sa garde.
Était-ce une preuve de confiance, d’abandon? Était-ce une preuve d’amour ?
Voici ma tortue molle enfin comme un chaton peloté.
Pelotonné.
Cette tendresse inattendue qu’elle me manifestait !
J’en aurais pleuré.
Je me retins.
Car Phoebe, je le savais, ne s’était pas attendrie ainsi à cause de la douce caresse de mon pouce ni de mon odeur familière, rassurante, ni de mes soins aimants.
La cause en était le défaut de calcium. Nul affect. Pas de sentiment. Juste cette carence en calcium qui blanchit pourtant les ongles de l’homme sans lui ôter ses rêves d’amour.
Et ce serait moi la brute?
Alors que la longévité de la tortue de Floride peut atteindre cinquante années, Phoebe explosa entre mes doigts après quelques mois d’existence au simple motif qu’elle manquait de calcium !
À se demander quelle est la part du caprice là-dedans.
Toujours est-il que je retournai aux Mélèzes rendre visite à mon grand-père, je ne suis pas un ingrat, afin d’approcher Marguerite Montségur – j’avais lu son nom sur la liste des pensionnaires – et d’essayer d’en savoir plus sur ce Louis-Constantin Novat dont elle possédait un livre si remarquable. »

À propos de l’auteur
Éric Chevillard est né à la Roche-sur-Yon (Vendée) en 1964. Il est l’auteur de plus de vingt romans. (Source: Éditions de Minuit)

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la mer monte

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Sélectionné pour le « Prix Orange du livre 2019 »

En deux mots:
En 2042 le monde aura bien changé, d’une part en raison des progrès technologiques, mais aussi en raison des dérèglements climatiques. Lisa nous en raconte le quotidien tandis que sa mère se rattache à ses souvenirs du début des années 2000. Un chassé-croisé fort intéressant.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

2042, odyssée de la planète

Aude Le Corff a trouvé une manière habile de traiter de la question environnementale. Dans «La mer monte», elle confronte le quotidien de Lisa en 2042 aux souvenirs de sa mère Laure.

Nous sommes à Paris, Boulevard des Batignolles. Sortant du métro station Rome, Lisa se hâte de rentrer chez elle pour n’avoir pas à affronter la forte chaleur qui écrase la ville malgré les mesures prises, à savoir «blanchir les toits, les trottoirs, les façades, ventiler, ombrager les différents espaces». Lorsque s’ouvre la porte de son appartement, qui l’a reconnue, elle aura pu apprécier le quai végétalisé, entendre les drones omniprésents, écouter les conseils de créatures virtuelles, admirer les fougères arborescentes, se faire héler par une vendeuse de sandales connectées.
En cette année 2042, son interlocuteur virtuel lui aura résumé les données enregistrées sur sa santé: «Vous avez ri quatre fois, ce qui est bon pour votre santé, et à part trois élévations dues au stress, votre rythme cardiaque est resté stable. Votre tension est normale. Vous n’avez marché que vingt-deux minutes, contre quarante préconisées par le ministère de la Santé, nous vous conseillons demain de sortir à la station Courcelles, et de finir votre trajet à pied afin de ne pas devenir obèse.»
On imagine tout à la fois le bénéfice de ces informations et l’agacement que peut provoquer cette surveillance permanente. Lisa n’a du reste pas envie d’en savoir plus. Pas plus qu’elle n’a envie de rappeler sa mère qui a déjà essayé de la joindre à trois reprises. Elle se fait livrer son repas du soir, et après un passage sous le jet brumisateur, enfile sa tunique d’intérieur avant de s’affaler sur le canapé pour regarder un épisode de sa série préférée en réalité virtuelle avec Topor, son compagnon qu’elle n’appelle plus «robot» depuis bien longtemps.
On imagine le plaisir qu’à pu avoir Aude Le Corff à imaginer notre quotidien dans un peu plus de deux décennies, ne se contentant pas des trouvailles techniques, mais aussi de dresser cette évolution de la société vers davantage d’individualisme, la plupart des appartements étant désormais conçus pour des personnes seules. Le second sujet qui préoccupe la population, ce sont les effets du dérèglement climatique et l’afflux de réfugiés, venant notamment des côtes françaises: «La maison de mon enfance, sur la pointe nord de l’île de Ré, a subi de nombreux dégâts. Le salon a pris l’eau plusieurs fois, elle n’est plus habitable. Un héritage englouti, et tant de souvenirs près du phare des Baleines à présent inaccessible. La plupart des insulaires ont déménagé, la plage sur laquelle je jouais petite n’existe plus, avalée par la mer qui est montée bien plus vite que ne l’avaient prédit les scientifiques. Les digues renforcées n’ont pas résisté longtemps.»
C’est dans cette maison, aujourd’hui rayée de la carte, que sa mère a appris qu’elle ne reverrait pas son fiancé, parti quelques jours plus tôt rendre visite à sa famille en Toscane. Sans davantage d’explications, il déménage en Australie, laissant Laure dévastée.
Un mystère que Lisa va essayer de percer en découvrant les agendas de sa mère, en creusant dans les étapes de sa vie depuis sa naissance durant la canicule de 2003, en passant par les différentes catastrophes naturelles qui ont conduit de «l’ère de la pollution sans conscience à l’ère écologique dure».
Un mystère qui va tenir le lecteur en haleine, qui va illustrer les relations difficiles entre mère et fille, et qui va donner au roman une dimension psychologique supplémentaire. D’autant que l’épilogue est aussi habilement construit que le livre lui-même.
Comme l’ont relevé certains membres du jury du Prix Orange du Livre 2019, il n’est somme toute pas si fréquent que les écrivains s’emparent de problématiques actuelles comme le réchauffement climatique. Aude Le Corff relève le pari haut la main.

La mer monte
Aude Le Corff
Éditions Stock
Roman
248 p., 19,50 €
EAN 9782234087187
Paru le 03/03/2019

Où?
Le roman se déroule en France, principalement à Paris.

Quand?
L’action se situe en 2042, avec des retours en arrière jusqu’en 2003.

Ce qu’en dit l’éditeur
Lisa vit seule à Paris dans un appartement connecté. Dehors, le chant des cigales est aussi accablant que la chaleur, les drones filent entre les immeubles et surveillent les habitants, des créatures virtuelles parlent aux piétons. Nous sommes en 2042. Des catastrophes naturelles ont frappé le monde, forçant les dirigeants à entamer une transition écologique radicale. La jeune femme participe à cette nouvelle société mais aspire à plus de liberté. Quant à Laure, sa mère, elle cherche des remèdes à son anxiété. Depuis l’enfance, Lisa s’interroge. Quel évènement a bouleversé sa mère dans les années 90? Pourquoi un tel silence autour? Le journal de Laure et l’enquête de Lisa en dévoileront peu à peu les clés.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Blog Le boudoir de Nath 
Blog Les livres de K79
Blog Charlie et ses drôles de livres
Blog motspourmots.fr (Nicole Grundlinger)

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Lisa
Le chant des cigales sature l’atmosphère. Du lever au coucher du soleil, leur vacarme résonne jusque dans les couloirs du métro parisien. Station Rome, quelques personnes se dirigent comme moi vers la sortie, fendant la brume rafraîchissante qui plane sur le quai végétalisé. Je marche d’un pas pressé entre les fougères arborescentes sans prêter attention à la femme virtuelle qui vante les mérites de sa paire de sandales connectées. À droite de mon champ visuel, un message clignotant que je supprime aussitôt m’incite à rappeler ma mère. Elle a tenté de me joindre trois fois pendant mon travail. Je sens poindre l’irritation familière.
Dans l’escalator, chacun se prépare à l’éblouissement qui va suivre, c’est comme un flash dont l’effet semble décuplé par le tumulte des insectes. Je cherche mes lunettes de soleil tandis que l’homme devant moi déplie un large chapeau sur la tête de son fils. Un air compact et oppressant pénètre dans le souterrain.
Nous ne sommes qu’en avril, mais il fait particulièrement chaud cette année. Malgré les efforts controversés de la Mairie pour atténuer les effets du climat perturbé, blanchir les toits, les trottoirs, les façades, ventiler, ombrager les différents espaces, notre inconfort dans les rues demeure.
Boulevard des Batignolles, la porte de mon immeuble s’entrouvre à mon approche. Je suis à peine entrée dans l’ascenseur qu’il me propulse au cinquième étage. Une voix masculine s’élève :
– Bonsoir, Lisa, j’espère que votre journée a été agréable. Vous avez ri quatre fois, ce qui est bon pour votre santé, et à part trois élévations dues au stress, votre rythme cardiaque est resté stable. Votre tension est normale. Vous n’avez marché que vingt-deux minutes, contre quarante préconisées par le ministère de la Santé, nous vous conseillons demain de sortir à la station Courcelles, et de finir votre trajet à pied afin de ne pas devenir obèse.
– Obèse?
– Oui, vous pesez sept kilos de trop par rapport à votre poids de forme, contre six la semaine dernière.
– Toujours aussi délicat…
– Respirez profondément lorsque vous sentez la nervosité monter, ceci afin d’épargner à votre cœur un emballement excessif et inutile.
J’ignore son doucereux « au revoir, Lisa » et pousse la porte de mon appartement qui elle aussi m’a identifiée.
L’entrée obscure s’éclaire sur mon passage. L’aspirateur a silencieusement œuvré une partie de la journée entre les pièces, les quelques miettes sur le tapis du salon ont disparu. Je me sers un verre d’eau tandis que la voix, féminine cette fois, me propose sur un ton enjoué de passer une commande pour le dîner. Je soupire puis j’accepte. Mon frigo est vide, et il fait trop chaud pour cuisiner. Je n’ai qu’une envie, me détendre sous le jet brumisateur, enfiler ma tunique d’intérieur et m’affaler sur le canapé.
La voix m’informe que la septième saison de ma série favorite, Crazy Women in the Nineties, est disponible. Mon exclamation joyeuse retentit dans l’appartement et ma douche est remise à plus tard. Je m’installe confortablement et m’apprête à lancer un épisode en réalité virtuelle, lorsqu’une sensation de malaise m’envahit. Ma mère. J’hésite mais la culpabilité me gâcherait la soirée. Je demande sans entrain à écouter ses messages.
Topor vient se pelotonner sur mes genoux et, en ronronnant, diffuse une fraîcheur agréable le long de mes cuisses et contre mon ventre.
Les trois messages disent à peu près la même chose, avec une impatience grandissante.
Lisa, tu ne m’as pas appelée cette semaine, j’ai peur que tu te renfermes sur toi, tu vois des amis? Tu parles plus à ta grand-mère qu’à moi, ça m’exaspère.
Je ne peux m’empêcher de singer son ton inquiet et ses mimiques angoissées. L’entendre fait vibrer au creux de ma poitrine un mélange ancien de terreur irraisonnée, d’affection et de frustration. Mon regard glisse sur l’ameublement minimaliste, une table basse, des étagères garnies de livres et de photos encadrées de Paris au XXe siècle. Peu de fantaisie, pas de jouets. Je prends conscience de ma solitude avec un léger pincement au cœur, mais je me ressaisis. C’est moi qui désire vivre ainsi. »

Extrait
« La maison de mon enfance, sur la pointe nord de l’île de Ré, a subi de nombreux dégâts. Le salon a pris l’eau plusieurs fois, elle n’est plus habitable. Un héritage englouti, et tant de souvenirs près du phare des Baleines à présent inaccessible. La plupart des insulaires ont déménagé, la plage sur laquelle je jouais petite n’existe plus, avalée par la mer qui est montée bien plus vite que ne l’avaient prédit les scientifiques. Les digues renforcées n’ont pas résisté longtemps.
L’île a perdu la moitié de sa surface, les marais salants à l’ouest ont été absorbés par la mer, dessinant des îlots reliés par des routes submersibles ou des cordons dunaires truffés de pieux en béton. Cet archipel est devenu un sanctuaire pour les oiseaux migrateurs ; des grues cendrées, des ibis, des cigognes ou des balbuzards pêcheurs occupent les jardins abandonnés, dans lesquels flottent parfois une vieille planche à voile, une poupée, un ballon négligés par les bandes de pillards qui ont écumé l’île à chaque tempête. »

À propos de l’auteur
Aude Le Corff a travaillé en entreprise puis dans l’accompagnement humain avant de se consacrer à l’écriture. Ses chroniques de blog ont été primées par la rédaction du magazine Elle en 2009. Elle a publié chez Stock Les arbres voyagent la nuit et L’Importun. (Source : Éditions Stock)

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Habiter le monde

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Sélectionné pour le « Prix Orange du livre 2019 »

En deux mots:
Tom meurt d’un accident de montagne, laissant derrière lui Emily et son enfant. Après une période difficile qui a failli l’emporter, elle reprend petit à petit pied et tente de se construire un avenir. Lors d’un voyage en Australie, elle fera une rencontre décisive.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

L’escalade vers le bonheur

Après avoir retracé son expérience d’alpiniste dans «À la verticale de soi», Stéphanie Bodet se lance avec le même bonheur dans le roman. Et nous donne envie d’«Habiter le monde».

Emily a connu Tom Eliadec alors qu’elle était en terminale au lycée de Nemours. Et plus ce garçon taiseux qui ne s’intéressait pas aux filles la fuyait et plus il la fascinait. Car la passion quasi exclusive de Tom, c’est l’escalade. Aussi se décide-t-elle à l’accompagner sur les rochers de Fontainebleau où il s’entraine. Mais à peine le premier baiser est-il échangé qu’il lui annonce qu’il va partir pour Chamonix et devenir guide. Là-bas, il va très vite devenir «ET», l’alpiniste le plus rapide du monde. Et être rejoint par Emily. «L’épouse du héros», comme Paris-Match l’avait nommée, va suivre son ascension, le voir prendre toujours plus de risques et… chuter mortellement.
Un drame qu’elle va avoir de la peine à surmonter. «À chaque pas, elle butait sur l’absence. Le soleil la révoltait. Il n’avait pas cessé de briller depuis sa mort. Il fallait fuir.»
Après avoir choisi le Sud et les contreforts de la Sainte-Baume, elle va choisir de trouver un peu de réconfort auprès de sa famille. Guillaume, son frère parfumeur, l’accueille chez lui. Avec lui, elle va pouvoir se raccrocher à ses souvenirs d’enfance, se rapprocher de son père dont l’essentiel du temps est consacré à accompagner son épouse, dont la «maladie invisible» l’éloigne tous les jours davantage de lui. Mais cette mère qui n’a plus sa tête et ce père si dévoué font du bien à Emily.
Si elle retrouve l’envie d’avancer, c’est aussi parce qu’elle porte un enfant et qu’elle a envie d’avancer avec lui dans la vie.
Elle va s’installer à Paris pour y étudier et y travailler. Les concierges de son immeuble, Georges Dubois et son épouse Fatou, vont devenir des amis proches et lui proposer de garder Lucie pour lui offrir du temps pour elle.
Une autre rencontre va lui permettre de trouver du travail. Elle croise Juliette, qui faisait partie de l’équipe de Paris-Match, et qui lui propose de prendre une place laissée vacante dans la rédaction du blog de déco du magazine Your home. Très vite, elle va s’imposer avec ses articles rose bonbon.
Entourée de ses amis, elle reprend goût à la vie, constate que Lucie grandit avec les mêmes envies de grimper que son père qu’elle n’a pas connu. C’est alors qu’on va lui confier un reportage en Australie où elle devra notamment réaliser un entretien avec Mark, un architecte d’intérieur.
Dans ce roman des rencontres et des liens qui se nouent entre des personnes qui jusqu’alors ne se connaissaient pas, Stéphanie Bodet va choisir les antipodes, le dernier rivage, pour rassembler Mark et Emily. Une rencontre d’autant plus féconde que les circonstances vont leur permettent d’échanger longuement, de se trouver de nombreux points communs. Aussi c’est avec un pincement au cœur qu’Emily regagne la France.
Commence alors un échange épistolaire dans lequel chacun va de plus en plus se dévoiler. Je vous laisser découvrir les derniers rebondissements et l’épilogue de cette quête qui, j’en suis persuadé, vous emportera à votre tour.
La plume allègre, la construction très classique mais ponctuée de scènes fortes en émotions alternant avec quelques épisodes cocasses, des personnages attachants et une philosophie de vie lumineuse donnent en effet envie d’«habiter le monde».

Habiter le monde
Stéphanie Bodet
Éditions Gallimard / L’Arpenteur
Roman
288 p., 21 €
EAN 9782072821226
Paru le 17/01/2019

Où?
Le roman se déroule en France, à Nemours puis dans les Alpes, du côté de Chamonix et d’Éourres, sur la Côte d’Azur, à Gémenos sur les contreforts de la Sainte-Baume, à Paris et en région parisienne, à Larchant, à Tours, à Cruas-Meyse, ainsi qu’en Australie, de Sydney à la Tasmanie.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
«Un soir, alors qu’elle escaladait sans assurance une paroi des calanques plus raide et plus haute que les autres, elle avait soudain réalisé l’absurdité de la chose. Le rocher était friable. Elle se mettait bêtement en danger. Si une prise cassait, elle rebondirait le long de la paroi et disparaîtrait dans la mer. Elle réalisa que, depuis son départ, elle avait inconsciemment cherché à imiter Tom, à rejouer sa vie, en empruntant une voie qui n’était pas la sienne.
Cette prise de conscience l’amena à ralentir, à s’extraire d’un rythme devenu frénétique et aveugle, pour faire face au vide et à l’absence.»
À la mort de Tom, Emily repart en quête de l’essentiel pour ne pas perdre pied. Son enfant, sa famille, des amis qui l’aiment et la soutiennent lui permettent de retrouver goût à la vie et de développer une nouvelle manière d’appréhender le monde. Sa rencontre avec Mark, un célèbre architecte d’intérieur qui s’interroge sur le sens de son travail, et, comme elle, porte en lui une fêlure, fera ressortir le meilleur de chacun d’eux.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Libération (Fabrice Drouzy)
Le Temps (Estelle Lucien – Portrait de l’auteur réalisé en 2017)
Blog motspourmots.fr (Nicole Grundlinger)

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Elle attendait cet appel depuis si longtemps…
Comme si son esprit avait anticipé chacune des paroles du gendarme du PGHM, lui délivrant un message qu’elle connaissait depuis toujours. Elle s’apprêtait à donner la réplique d’une tragédie qu’elle avait répétée durant des nuits. Impression d’entrer en scène, lorsqu’elle avait répondu au pauvre homme chargé de lui apprendre la terrible nouvelle :
— J’attendais ce coup de téléphone depuis des années.
Avant de raccrocher. Effondrée.
Et lucide.
Car elle savait. Elle avait toujours su. Et pourtant… Souffle coupé, cœur emmuré, elle s’était assise par terre, hébétée. Les mains vides, ouvertes sur ses genoux. Rien ne lui restait plus.
Rien, songea-t-elle.
Son mental anesthésié repassait le message en boucle. Tom avait disparu. Tom était tombé. Son funambule qui se riait du vertige, et courait sur les arêtes comme un chamois, avait fait un faux pas…
Une cordée l’avait vu dévaler la face de 800 mètres avant de disparaître au fond de la rimaye. Les secouristes l’avaient localisé mais ils n’avaient pas eu de « chance », comme l’avait expliqué le capitaine. À l’instant où l’un d’eux avait aperçu son corps au fond de la crevasse, en équilibre sur la petite vire qui avait arrêté sa chute, le pont de neige s’était brusquement effondré, et Tom avait plongé dans les entrailles du glacier, profondeurs insondables.
Son corps allait dériver dans la glace vive, porté par d’obscurs courants, pendant des décennies, et peut-être refaire un jour surface, des kilomètres plus bas…
La montagne le lui avait pris. C’était écrit. Elle lui avait tout enlevé, même sa mort. C’est à elle seule qu’il appartenait, qu’il avait toujours appartenu.
*
Ce matin-là, lorsque la sonnerie du téléphone retentit une nouvelle fois dans le mazot, elle sentit qu’elle devait fuir. Échapper aux interviews des journalistes friands de couvrir la disparition du « héros », « l’extraterrestre des Alpes », « l’alpiniste invincible».
L’idée de jouer les veuves glorieuses lui fichait la nausée. C’était une question de survie. Hormis le vieux Jean, elle n’avait personne ici pour la protéger. Elle réalisa soudain à quel point elle avait été seule. À quel point elle était seule.
Sa vie avec Thomas l’avait éloignée du monde, de sa famille et de ses amis d’autrefois. Ils avaient dérivé l’un et l’autre sur des îlots séparés par un océan de malentendus, croyant vivre pourtant sur une même terre.
Ce matin, son minuscule îlot de paix et de sécurité achevait de sombrer. Il fallait partir, prendre la route. Et vite !
Avec des gestes d’automate, elle jeta pêle-mêle quelques vêtements et son matériel de montagne dans son sac à dos. Prit son réchaud, son duvet et le matelas gonflable qu’elle utilisait pour camper.
Elle se demandait, sans bien comprendre, d’où lui venait cette force, cet élan en dépit de la douleur.
Après la cérémonie, elle était restée prostrée trois jours durant sur le tapis, sans bouger, sans presque manger. Lorsque l’épuisement la saisissait, elle s’endormait, priant pour que le sommeil l’ensevelisse, lui épargne l’horreur du réveil. Ouvrir les yeux, c’était faire face à l’absence.
Un ami, amputé des orteils à cause de gelures, avait tenté, un jour, de lui expliquer l’élancement lancinant du membre fantôme. Cette partie du corps qui a cessé d’exister sur le plan physique et qui continue pourtant à vivre d’une vie invisible, à faire souffrir malgré l’absence. C’était ce qu’elle ressentait à chaque heure du jour, une douleur d’âme fantôme.
Réfugiée la nuit dans le vieux pull de Tom, elle revoyait son regard étrange, couleur de glace, traversé de rares éclats de tendresse, qui n’en avaient été que plus précieux à ses yeux. Elle pleurait son amour de jeunesse, regrettant ce qu’il était devenu. Mais pouvait-il en être autrement ?
Elle revit leurs escapades en fourgon, leurs nuits de bivouac sous les étoiles en chaussettes trouées, cette époque bénie où leur jeunesse insouciante savait vivre de peu. Riches de tout ce qu’ils ne possédaient pas : les agendas, les sponsors et les réseaux sociaux… Cette époque où la seule joie d’être les guidait.
Pourtant, ce matin-là, en se rappelant l’homme ardent et passionné, elle sécha soudain ses larmes.
Il l’avait aimée mais la montagne l’avait bientôt remplacée. C’était son véritable amour. Elle ne pouvait pas lutter. Elle avait toujours su qu’il en serait ainsi. »

Extraits
« Elle s’était prise au jeu de l’escalade. Elle ressentait à son tour ces sensations exaltantes qu’il évoquait. Oser pousser sur des appuis de pied infimes, avoir la foi, y croire en tentant des mouvements risqués, apprendre à échouer, ne pas se résigner, et recommencer. Inlassablement. Cette discipline lui offrait une vitalité et une confiance nouvelles. Elle sentait que ce qu’elle apprenait sur les pierres de Fontainebleau lui servirait toute sa vie. L’avenir s’éclairait ! »

« Sous les mains et les lèvres de Tom, Emily avait découvert les contours de son corps. Un corps très différent de ce corps d’adolescente qui l’avait habillée, au sortir de l’enfance, d’un sentiment de disgrâce. Elle n’avait eu que peu d’amitié pour lui jusqu’alors. Ses cuisses n’étaient pas aussi fuselées qu’elle l’aurait souhaité. Ses hanches et sa poitrine arrondies ne correspondaient pas à l’idéal qu’elle se faisait d’un corps de femme. Elle admirait les silhouettes androgynes. Lorsqu’elle lui avait avoué ses complexes enfantins, Tom avait ri de bon cœur. »

À propos de l’auteur
Stéphanie Bodet est née en 1976. Vainqueur de la Coupe du Monde d’Escalade de bloc en 1999, elle partage sa passion des voyages verticaux avec son compagnon Arnaud Petit.
Du Pakistan aux États-Unis, en passant par le Venezuela, le Maroc ou la Patagonie, elle parcourt la planète à la recherche des parois les plus vertigineuses.
Un an après l’ascension de la mythique paroi du Salto Angel, 979 m de dévers, Stéphanie est devenue, en 2007, la troisième femme à gravir intégralement en libre et en tête, El Capitan, au Yosemite. Auteur de Salto Angel et À la verticale de soi, un récit autobiographique (Éditions Paulsen), elle publie Habiter le monde, son premier roman, en 2019. (Source: Babelio, Wikipédia, site internet de Stéphanie Bodet)

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État de nature

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En deux mots:
Dans une France coupée en deux, la préfète de la Douvre intérieure a réussi à faire bouger les lignes, au grand dam du baron local qui demande son éviction. Mais dans le petit jeu des ambitions personnelles, des calculs politiciens et des pesanteurs administratives, elle n’a pas dit son dernier mot.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Chronique d’une France immobile

Homme du sérail, Jean-Baptiste de Froment s’est visiblement beaucoup amusé en imaginant la France quasi ingouvernable, coupée en deux par une administration omnipotente et des gouvernés en révolte. Prémonitoire?

Voilà un livre qui tombe à pic, au moment où la France est secouée par l’une de ces convulsions qui vient périodiquement prouver que le corps social est malade. Qu’entre les élites pensantes et le bas-peuple le fossé s’est élargi à un point tel qu’il devient même difficile d’établir un dialogue.
L’uchronie, c’est-à-dire la «réécriture de l’Histoire à partir de la modification d’un événement du passé», imaginée par Jean-Baptiste de Froment met en scène un pays arc-bouté sur son conservatisme. Il est dirigé par Simone Radjovic, une Présidente de la République française qui entame son troisième septennat. Une longévité qui s’explique par une volonté farouche de ne surtout rien faire, car elle a vite compris que les réformes étaient d’abord un facteur de déstabilisation.
Aussi pratique-t-elle avec un art consommé la tactique des petites touches cosmétiques ainsi que des arrangements tactiques dans de son appareil administratif.
C’est ainsi qu’elle accède à la demande du «gouverneur» Claude, de muter Barbara Vauvert, préfète de la Douvre intérieure, parce qu’elle avait trop bien réussi dans sa mission de redynamiser une région oubliée de la République. D’une part parce qu’elle fait de l’ombre au Président Farejeaux, le baron local et d’autre part parce que ce succès pourrait lui donner des idées, d’autant qu’elle a réussi à prendre langue avec le groupe des opposants le plus virulent. Mené par Arthur Cann, un philosophe-agronome, il entend jeter les bases d’une société nouvelle, œuvrer pour «la réconciliation de la Pensée et de la Terre». Ensemble, ils lancent le projet Gaïapolis, la première cité agricole numérique parfaitement autosuffisante. Sébastien, son remplaçant, aura la charge d’enterrer le projet et de faire miroiter aux administrés tous les avantages d’une fusion de deux départements avec la création de la «Richardouvre».
Bien entendu, les choses ne se passent pas aussi bien que prévu. Claude sent que son heure est venue, Barbara ronge son frein, Arthur s’imagine mener la fronde contre la technocratie surpuissante, soutenue par Mélusine, la «moins raisonnable de toutes ses étudiantes» qui s’est installée chez lui dans l’attente du grand soir.
Sans oublier les Douvriens qui se sentent floués. Bref, il y a dans ce cocktail d’ambitions, d’aspirations, de rivalités, tous les ingrédients d’une tragi-comédie aussi féroce que divertissante.
Il faut dire que l’auteur connaît parfaitement le sujet. Jean-Baptiste de Froment est conseiller d’État, ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy à l’Elysée et conseiller LR de Paris. On notera aussi dans son CV une agrégation de philosophie, et un certain Emmanuel Macron parmi ses anciens camarades de khâgne. Sa plume, d’un classicisme teinté d’ironie vient au service d’une intrigue habilement construite et qu’il faut lire non comme un roman à clé – à l’image de «Première dame» de Caroline Lunoir – mais comme l’analyse lucide et un peu angoissante du poids de l’administration et des technocrates sur les politiques qui auraient des velléités de changement.

État de nature
Jean-Baptiste de Froment
Aux forges de Vulcain
Roman
272 p., 18 €
EAN : 978xxx
Paru le 4 janvier 2019

Où?
Le roman se déroule en France, principalement en «Douvre intérieure» et à Paris.

Quand?
L’action se situe dans un présent qui n’a pas précisément défini.

Ce qu’en dit l’éditeur
C’est l’histoire d’un homme qui veut devenir président. Mais à l’autre bout du pays, une femme a eu exactement la même idée.
Leader charismatique contre technocrate distant. Peuple contre élite. Quand retomberont les cendres, qui sera à la tête du pays? Claude le patricien de l’ancien monde, ou Barbara, la passionaria qui incarne le saut dans l’inconnu pour un pays qui ne se reconnaît plus? Dans cette uchronie originale, qui passe par une France imaginaire pour peindre avec plus de justesse ce qu’est notre pays, Jean-Baptiste de Froment dissèque une nation qui, quand vient le crépuscule, ne sait plus à quel saint ou sainte, Claude ou Barbara, se vouer. S’efforçant, à la manière d’un Saramago, de cerner une réalité fuyante, dessinant, comme Gracq, l’attente d’un événement décisif
dans un lieu-frontière (la Douvre), méditant sur le pouvoir suprême comme Yourcenar dans ses Mémoires d’Hadrien, le jeune romancier retrouve les accents graves et le sens de la tragédie d’Un lion en hiver. Fable qui capture le génie d’un peuple, subversion ironique du roman national, État de nature est un premier roman qui dessine de manière éclatante l’état et la légende de la France.

Les critiques
Babelio 
Lecteurs.com
France Culture (Le temps des écrivains – Podcast)
Blog L’avis textuel de Marie M.
Blog de Lisa Giraud Taylor

Incipit (Les premières pages du livre)
«De toutes les provinces dont la réunion forme le royaume de France, celles qui composent le département de la Douvre intérieure sont peut-être les seules dont il n’y ait point d’histoire particulière. Quelques personnes, un peu trop prévenues contre leur pays, d’autres pour lesquelles il n’y a de digne d’attention que ce qui est loin d’elles, cherchent à justifier cet oubli, en prétendant que la Douvre n’a été le théâtre d’aucun événement digne de mémoire, n’a produit aucun personnage marquant et ne montre aucun lien auquel s’attachent des souvenirs historiques. Ce préjugé, dont l’honneur départemental est offensé, a pris naissance, comme la plupart des autres préjugés, dans cet esprit de paresse et d’indifférence, pour lequel il est plus commode et plus expéditif de nier que d’examiner et de rechercher.»
Histoire de la Douvre et du pays de Trêve,
par M. Joulietton, conseiller de préfecture du département de la Douvre intérieure, membre de plusieurs sociétés savantes, 1814.

Claude aimait se réveiller. Il aimait les retrouvailles de ses forces reconstituées par la nuit avec le monde. Le moment où il reprenait conscience de tout ce qu’il pouvait, et de toutes les occasions que la journée à venir lui donnerait d’en faire, à nouveau, la démonstration.
À l’instant de la sonnerie, il n’était encore personne. Rien qu’une respiration régulière dépourvue d’intelligence. Un imposant conglomérat de chair, repu de lui-même, recouvert d’un tricot de corps et empaqueté dans une grosse couette.
Mais petit à petit, un à un, ses capteurs cérébraux se remettaient en marche, comme se rallument, dans les vaisseaux spatiaux intergalactiques qui se préparent au démarrage, les signaux lumineux sur le vaste tableau de bord.
À mesure qu’ils se réactivaient, la perception de son importance, de la position éminente qu’il occupait dans le pays, se précisait. Une lumière de plus en plus vive éclairait la réalité, de moins en moins contestable, de ses prérogatives et compétences.
C’était délicieux. Il se laissait lentement envahir par la douce rumeur du monde. «Pouvoir de nomination et de révocation», «subventions exceptionnelles», «projets de loi». «Arbitrages interministériels», «coupes et rallonges budgétaires». «Habilitation à procéder par ordonnance», «décrets simples», «ratification», «Départements et territoires d’outremer», «État de catastrophe naturelle», «Monopole de la violence légitime». Les formules du pouvoir sortaient pêle-mêle du tohu-bohu de la nuit, d’abord comme un écho lointain, puis s’ordonnant, s’égrenant dans une récitation intérieure de plus en plus structurée. Et puis, finissant par émerger à travers les concepts, se faisaient jour les visages, obscurs ou illustres, de ses obligés. Tout cela flottait devant lui, dans les limbes de son demi-sommeil. Tout cela prenait forme et solidité. Tout cela était à lui.
À lui. Enfin, presque à lui objecta soudain une petite voix intérieure, en provenance d’une partie plus réveillée de lui-même. Malgré l’heure matinale, elle paraissait décidée à ne pas s’en laisser conter. « Certes », fut obligé de concéder sèchement Claude qui, sous la perfidie de l’attaque, avait ouvert les yeux. « Le sommet est très proche, nuança-t-il, sans quitter la position horizontale. Mais pour être parfaitement exact, il n’est pas encore atteint. Il y a encore, tout là-haut, cette vieille femme qui m’emmerde… »
Raison de plus pour se lever. La seule véritable raison, sans doute: Pour passer sous la douche, chaude, drue, comme une pluie tropicale sur son torse bombé.
Pour boutonner sa chemise bleu horizon et enfiler un costume, aujourd’hui gris sombre, au toucher légèrement duveteux ; la cravate club était fine, anglaise.
Pour prendre son petit-déjeuner, toujours la même chose, du thé et deux tranches de poisson cru.
Pour se brosser les dents.
Pour laisser reposer sa langue, qui picotait un peu, à cause du dentifrice à la menthe ultra-fraîche. Puis pour se brosser les dents une seconde fois.
Pour descendre les escaliers.
Pour monter dans sa voiture, qui fila, sans un bruit dans le matin ensommeillé, direction la Commanderie d’État.
Élégant arc de cercle tracé par les pneus sur le gravier de la cour d’honneur, ouverture de la porte latérale droite par l’huissier, sortie du véhicule.
Il vient d’arriver, monsieur le commandeur.
Qui ça déjà, «il»? se demanda Claude agacé que l’huissier prît toujours cet air de mystère entendu, comme s’il devait savoir, comme si les détails de l’agenda du jour faisaient partie de la culture générale. Ah oui, c’est vrai. Lui, dit-il, avec une moue de dégoût… Il va falloir être aimable. Tout ce qu’il_ voudra, quoi qu’il m’en coûte. Dans la dernière ligne droite, il faut redoubler de générosité, proféra-t-il. Les imbéciles croient que le pouvoir se gagne à force de voler, d’arracher aux autres ce qui leur est dû. C’est au contraire en leur abandonnant le plus possible, surtout lorsqu’ils ne le méritent pas, et en se privant soi-même pour cela, y compris du nécessaire, presque jusqu’à crever de faim, que l’on gravit les échelons. Tout au long du chemin, dans cette forêt obscure, il faut semer petits et gros cadeaux, tel un Petit Poucet qui préparerait son retour triomphal, sous les vivats de tous ceux qui, au bord de la route, ont bénéficié de ses largesses.

Le long des hauts murs de son bureau étaient disposés quatre écrans géants, qui diffusaient chacun, en continu et en plan fixe, l’image d’un cerisier du Japon. Chaque cerisier était différent et provenait d’un parc différent, lui-même situé sur une île différente, parmi les quatre principales de l’archipel. Du nord au sud : Hokkaido, Honshu, Shikoku et Kyushu.
Afin de neutraliser les effets du décalage horaire (il fallait que la lumière de là-bas correspondît à l’heure qu’il était, ici, à Paris), la retransmission des images s’effectuait avec sept heures de retard.
L’installation, inspirée du système des webcams mises en place par les sites de météorologie, qui permettait aux internautes de visualiser le temps qu’il faisait autour d’un point géographique donné (au sommet du Mont blanc, sur la plage de Biscarosse ou même sur le parking d’un supermarché), était souvent attribuée au vidéaste anglo-normand Victor Glambow. Mais ni ce dernier, qui entretenait volontiers le mystère sur la paternité de ses propres
œuvres, ni Claude l’impénétrable n’avaient jamais confirmé cette hypothèse, sans pour autant la réfuter.

Extrait
« En effet. La situation s’y prête. Le reste du pays, ce qu’on appelle «la France», est à l’image de l’antique momie qui prétend encore la présider: elle n’en a tout simplement plus pour très longtemps. L’insondable médiocrité de ses actuels dirigeants en est la cause immédiate et conjoncturelle. Mais il y a une explication plus profonde. La « civilisation », c’est-à-dire cette prétention de l’homme (et en particulier de l’homme français, soulignons-le au passage) à sortir de’ la nature pour se gouverner lui-même, touche à sa fin. »

À propos de l’auteur
Jean-Baptiste de Froment est né en 1977. État de nature est son premier roman. (Source : Éditions Aux forges de Vulcain)

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Les sables de l’Amargosa

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Voici cinq bonnes raisons de lire ce livre:
1. Parce que Claire Vaye Watkins a été sacrée en 2012 par la National Book Foundation comme l’un des écrivains les plus importants de sa génération et que la revue britannique Granta l’a classée au printemps dernier comme l’un des 20 meilleurs jeunes écrivains américains.

2. Parce qu’elle est la lauréate du Prix Prix littéraire Lucien Barrière

2. Parce que, comme l’écrit Eric Neuhoff dans le Figaro: « Ce roman déborde de lumière et d’invention. On est entre Mad Max et La Route, mélange maîtrisé de science-fiction et de fable philosophique. Des mines de talc ont été transformées en prisons souterraines. Les danses de la pluie semblent bien inutiles. L’apocalypse est là. Cela n’empêche pas les humains de demeurer tels qu’ils étaient, trouillards, mesquins, jaloux. Le paradis n’est pas pour demain. En attendant, Claire Vaye Watkins a l’avenir devant elle. »

4. Parce qu’à travers ce conte philosophique, ce sont tous les problèmes de la Califormie qui émergent, à commencer par ceux qui touchent à l’environnement. La rareté des ressources naturelles et le dérèglement climatique poussent les gens à fuir ce qui devient peu à peu en enfer. Du coup, on voit réapparaître quelques illuminés, dans la lignée de Charles Manson.

5. Pour cette citation qui donne bien le ton du livre: « Leur tête ne savait rien mais leur corps sentait cette incandescence magnétique, la sentait agir comme agit la lune qui réveille le fer dans le sang. Tout ce qu’ils savaient, c’est que leur souffle n’était pas coupé, mais parfaitement synchronisé. »

Les sables de l’Amargosa
Claire Vaye Watkins
Éditions Albin Michel
Roman
traduit de l’anglais (États-Unis) par Sarah Gurcel
416 p., 23,50 €
EAN : 9782226328588
Paru en août 2017

Ce qu’en dit l’éditeur
Une terrible sécheresse a fait de la Californie un paysage d’apocalypse. Fuyant Central Valley devenue stérile, les habitants ont déserté les lieux. Seuls quelques résistants marginaux sont restés, prisonniers de frontières désormais fermées, menacés par l’avancée d’une immense dune de sable mouvante qui broie tout sur son passage.
Parmi eux, Luz, ancien mannequin, et Ray, déserteur « d’une guerre de toujours », ont trouvé refuge dans la maison abandonnée d’une starlette de Los Angeles. Jusqu’à cette étincelle: le regard gris-bleu d’une fillette qui réveille en eux le désir d’un avenir meilleur. Emmenant l’enfant, ils prennent la direction de l’Est où, selon une rumeur persistante, un sourcier visionnaire aurait fondé avec ses disciples une intrigante colonie…
Salué par la presse américaine, Les Sables de l’Amargosa surprend autant par son réalisme, d’une brûlante actualité, que par sa dimension prémonitoire. Portée par une langue d’une beauté brutale, ponctuée de scènes mémorables, cette fable réinvente le roman de l’errance dans la lignée de John Steinbeck et Cormac McCarthy.
« Un roman exaltant, dérangeant, hypnotique et audacieux, qui impose Claire Vaye Watkins comme une voix majeure de la littérature américaine. » Louise Erdrich

Les critiques
Babelio 
Le Figaro (Eric Neuhoff)
Salon littéraire (Ariane Bois)
Blog Encore du Noir! 
Blog Le capharnaüm éclairé 
Fragments de lecture… Les chroniques littéraires de Virginie Neufville


Présentation des Sables de l’Amargosa de Claire Vaye Watkins pour la rentrée littéraire © Production éditions Albin Michel.

Les premières pages du livre
À ce stade, même selon une indulgente auto-estimation, Luz était totalement défoncée. Elle en prit la mesure tandis que le soleil d’entre les soleils plongeait dans le Pacifique et qu’elle se retrouvait pieds nus au centre d’un cercle de percussionnistes, à secouer une boîte de Reebok remplie de décorations de Noël cassées en guise de tambourin, tout en agitant ce qu’elle avait de seins. Luz ne savait pas danser, elle n’avait jamais su. Mais ce rythme-ci était d’une simplicité éléphantine, comme le glouglou des valves du corps — une musique égalitaire. Elle frappait lourdement des pieds le limon sec du canal. L’espace d’un instant, elle s’inquiéta pour Ray, puis laissa tomber. Il devait être parfaitement au courant de son état, comme d’habitude. Sans doute l’observait-il depuis la périphérie du cercle, sirotant la décoction maison à base d’eau salée dont elle s’était enfilé de grandes rasades toute la journée.

Extrait
« Vous partiez en car. Il y avait des camps en Louisiane, en Pennsylvanie, dans le New Jersey. Impossible de savoir où on vous envoyait. De toute façon ça ne changeait rien. C’était temporaire, disaient les autorités. Ce que vous aviez de mieux à faire pour la cause commune. Pas dupe, elle était quand même inscrite, sa valise pleine de romans et de vêtements de marque, la boîte à chapeau lourde de ses économies. Sauf qu’elle détestait les foules, détestait tous les êtres humains à l’exception de celui qui se trouvait à côté d’elle.
Brusquement, farouchement, elle ne voulait plus monter dans un car le lendemain. À la place elle voulait tomber amoureuse. S’effrayant elle-même, elle dit : « Je devais. »
Alors Ray la ramena chez lui, dans la résidence abandonnée de Santa Monica depuis laquelle ses amis organisaient leur petite résistance. Ils firent l’amour dans la buanderie, sur le sac de couchage de Ray. Après quoi il dit : « Il faut que tu me promettes qu’on ne parlera pas de la guerre.
— Et toi qu’on ne parlera pas de l’eau.
— Promis juré. »

À propos de l’auteur
Née en 1984 à Bishop (Californie), Claire Vaye Watkins enseigne aujourd’hui à l’université du Michigan. Distinguée par plusieurs prix littéraires anglo-saxons tels que le Story Prize, le Dylan Thomas Prize et le Young Lions Fiction Award de la New York Public Library, elle a été sacrée en 2012 par la National Book Foundation comme l’un des écrivains les plus importants de sa génération. En 2014, elle a été l’un des lauréats de la Fondation Guggenheim. Enfin, la revue britannique Granta l’a classée au printemps dernier comme l’un des 20 meilleurs jeunes écrivains américains. Cette trentenaire californienne devient ainsi la plus jeune lauréate du Prix Lucien Barrière. (Source : livreshebdo.fr)

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les huit montagnes

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Voici cinq bonnes raisons de lire ce livre:
1. Parce que Paolo Cognetti est le Le 71e lauréat du Prix Strega, l’équivalent du Goncourt en Italie, pour ce roman. Il a été traduit ou est en cours de traduction dans 31 pays.

2. Parce que, avant de passer au roman, l’auteur avait publié son «carnet de montagne» sous le titre Le Garçon sauvage (éditions Zoé). Il y racontait un été dans le val d’Aoste. «Là, il parcourt les sommets, suspendu entre l’enfance et l’âge adulte, renouant avec la liberté et l’inspiration. Il plonge au cœur de la vie sauvage qui peuple encore la montagne, découvre l’isolement des sommets, avant d’entamer sa désalpe, réconcilié avec l’existence. » Ce texte est une sorte d’esquisse de son roman.

3. Parce que la langue de Paolo Cognetti est travaillée, les phrases sont d’une rare poésie et l’écriture n’oublie aucun de nos sens. On sent, on touche, on respire, on entend et on voit les personnages évoluer dans leur milieu.

4. Parce que, comme l’écrit Philippe Claudel, « c’est un livre essentiel, où souffle le grand vent des cimes, où les morsures du soleil et de la neige se conjuguent pour piqueter la peau et faire trembler le cœur, où roulent les torrents, ceux nés des glaciers et ceux, plus dangereux et plus capricieux encore, de la vie. C’est un livre d’une grande humanité, où le désenchantement et le doute sans cesse se confrontent à l’émerveillement et à l’espoir. C’est un livre de vie, puissant, universel, et toujours modeste -ce qui n’est pas la moindre de ses qualités. »

5. Pour cette citation : « Un lieu que l’on a aimé enfant peut paraître complètement différemment à des yeux d’adultes et se révéler une déception, à moins qu’il ne nous rappelle celui que l’on n’est plus, et nous colle une profonde tristesse. »

Les huit montagnes
Paolo Cognetti
Éditions Stock
Roman
Traduit de l’italien par Anita Rochedy
304 p., 21,50 €
EAN : 9782234083196
Paru en août 2017

Ce qu’en dit l’éditeur
« Quel que soit notre destin, il habite les montagnes au-dessus de nos têtes. »
Pietro est un garçon de la ville, Bruno un enfant des montagnes. Ils ont 11 ans et tout les sépare. Dès leur rencontre à Grana, au cœur du val d’Aoste, Bruno initie Pietro aux secrets de la montagne. Ensemble, ils parcourent alpages, forêts et glaciers, puisant dans cette nature sauvage les prémices de leur amitié.
Vingt ans plus tard, c’est dans ces mêmes montagnes et auprès de ce même ami que Pietro tentera de se réconcilier avec son passé – et son avenir.
Dans une langue pure et poétique, Paolo Cognetti mêle l’intime à l’universel et signe un grand roman d’apprentissage et de filiation.

Les critiques
Babelio
L’Express (Philippe Claudel)
Librairie les cinq continents 
Blog mots pour mots (Nicole Grundlinger)
Blog Lire par Elora 
Blog A sauts et à gambades
Blog Cannibales lecteurs 


Paolo Cognetti présente Les huit montagnes © Production Hachette livres

Les premières pages du livre
« Mon père avait une façon bien à lui d’aller en montagne. Peu versée dans la méditation, tout en acharnement et en bravade. Il montait sans économiser ses forces, toujours dans une course contre quelqu’un ou quelque chose, et quand le sentier tirait en longueur, il coupait par la ligne la plus verticale. Avec lui, il était interdit de s’arrêter, interdit de se plaindre de la faim, de la fatigue ou du froid, mais on pouvait chanter une belle chanson, surtout sous l’orage ou en plein brouillard. Et dévaler les névés en lançant des cris d’Indiens.
Ma mère, qui l’avait connu enfant, disait que même alors, il n’attendait personne, trop occupé qu’il était à rattraper tous ceux qu’il voyait plus haut : c’est qu’il en fallait de bonnes jambes pour se montrer désirable à ses yeux, et dans un éclat de rire elle laissait entendre qu’elle l’avait conquis ainsi. Avec le temps, elle finit par bouder leurs ascensions, préférant s’asseoir dans les prés, tremper les pieds dans l’eau, ou deviner le nom des herbes et des fleurs. Et même sur les sommets, elle aimait surtout observer les cimes plus lointaines, repenser à celles de sa jeunesse et se remémorer quand elle y était allée et avec qui, pendant que mon père se laissait gagner par quelque chose comme du dépit et ne demandait qu’à rentrer.
C’étaient, je crois, des réactions opposées à une même nostalgie. Mes parents avaient émigré en ville vers l’âge de trente ans, quittant la campagne vénitienne où ma mère était née et où mon père, orphelin de guerre, avait grandi. Leurs premières montagnes, leur premier amour, ça avait été les Dolomites. Il leur arrivait parfois de les nommer dans leurs conversations, quand j’étais encore trop petit pour suivre ce qu’ils disaient, mais certains mots retentissaient à mes oreilles par leurs sonorités plus fortes, plus lourdes de sens. Le Catinaccio, le Sassolungo, les Tofane, la Marmolada. Mon père n’avait qu’à prononcer l’un de ces noms, et les yeux de ma mère brillaient. »

Extrait
« Un peu plus haut, une bâtisse solitaire se dressait au bord de l’eau, comme la maison d’un gardien. Elle tombait en ruine au milieu des orties, des mûriers, des nids de guêpes qui séchaient au soleil. Il y en avait beaucoup, au village, des ruines comme celles-là. Bruno posa les mains sur les murs de pierre, à l’endroit où ils se rejoignaient en formant un coin tout en fissures, s’y hissa, et ni une ni deux se retrouva à la fenêtre du premier étage.
« Allez, viens ! » dit-il, en se penchant vers moi. Mais il ne pensa pas à m’attendre pour autant, peut-être parce qu’il se disait que la montée n’avait rien de compliqué, ou parce qu’il n’imaginait pas que je puisse avoir besoin d’aide, ou alors c’était simplement sa façon de faire : compliqué ou pas, on se débrouille tout seul. Je l’imitai du mieux que je pouvais. Je sentis la pierre rugueuse, tiède, sèche sous mes doigts. Je m’écorchai les bras au rebord de la petite fenêtre, regardai à l’intérieur et vis Bruno disparaître par une trappe du grenier, sur une échelle qui descendait au rez-de-chaussée. Je crois que j’étais déjà prêt à le suivre n’importe où. »

À propos de l’auteur
Paolo Cognetti, né à Milan en 1978, est l’auteur de plusieurs recueils de nouvelles, d’un guide littéraire de New York, et d’un carnet de montagne. Les Huit Montagnes, son premier roman, en cours de traduction dans 31 pays, a reçu le prix Strega. (Source : Éditions Stock)

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Sur les routes, après la catastrophe

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Ostwald
Thomas Flahaut
Éditions de l’Olivier
Roman
176 p., 17 €
EAN : 9782823611656
Paru en août 2017

En deux mots:
À la violence économique qui frappe le Territoire de Belfort vient s’ajouter la catastrophe écologique: un grave incident est enregistré à la centrale nucléaire de Fessenheim. L’heure de l’exode a sonné, notamment pour Noël et Félix qui partent à la recherche de leur père qui vit dans la banlieue de Strasbourg.

Ma note:
★★ (bon livre. Je ne regrette pas cette lecture)

Où?
Le roman se déroule en France, notamment à Belfort et en Alsace, à Strasbourg et dans sa banlieue, à Ostwald, ainsi qu’à Fessenheim.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ma chronique

Sur les routes, après la catastrophe

Le premier roman de Thomas Flahaut s’ouvre sur une image forte, de celles qui marquent un jeune homme. Nous sommes en automne 2016, à Belfort. Des milliers de personnes sont rassemblées au pied du lion de Bartholdi, sous les frondaisons de la citadelle qui domine la ville.

Une gigantesque banderole recouvre la pelouse en-deça du fauve qui ne rugit plus depuis longtemps et proclame son «soutien aux Alsthommes». Car l’annonce de la fermeture prochaine de l’usine Alstom, emblématique du Territoire, sonne comme le tocsin. Elle annonce la mort. Car tout le monde a malheureusement déjà fait l’expérience de ce type d’événement, du déclin industriel qui entraîne le déclin des sous-traitants, des commerçants et des services publics. La journée «ville morte» pourrait bien être une anticipation du destin redouté par la population.
Noël et son frère Félix savent qu’ils devront partir pour se construire un avenir. Mais ils n’imaginaient pas l’éclatement brutal de la famille. Leur père part s’installer à Ostwald, dans la banlieue de Strasbourg. Leur mère ne veut pas croire à l’inéluctable déclin.
C’est dans ce contexte déjà très anxiogène que, quelques temps plus tard, la nouvelle d’un incident grave survenu à la centrale nucléaire de Fessenheim, où les plus anciens réacteurs sont encore en service. D’abord incrédule, la population va très vite ressentir le besoin de prendre le large, même si les autorités ne veulent pas l’affoler.
« Des cercles colorés se déploient comme des ondes autour de la centrale, à travers les forêts noires recouvrant les ballons vosgiens, les champs et les zones urbaines, plus claires. Un journaliste décode la signification des couleurs. Rouge: déjà évacué. Orange: à Paris, on y réfléchit. Jaune, couleur qui recouvre le territoire de Belfort: il n’y a théoriquement rien à craindre. La prise régulière de pastilles d’iode est tout de même nécessaire. La télévision et le monde bégaient. Et nous, nous les écoutons, nous les regardons bégayer. Tout le pays doit être comme nous. Les yeux vides, la bouche ouverte et les idées engourdies, figé dans l’atmosphère de peur diffuse d’avant les grandes paniques. Fixant silencieusement les lumières de la télévision qui colorent le brouillard des événements. Regardant, anxieux, si l’endroit où l’on vit est plongé dans le rouge, l’orange ou le jaune et soupirant, soulagé, si on se trouve assez loin du rouge. Après le jaune, c’est le vert des forêts. S’il y a un danger là, il est invisible, et c’est au moins une consolation.
Maman avait reçu des pastilles d’iode, trois plaquettes, une par personne sans doute. Toutes sont périmées. »
Noël et Félix décident de rejoindre leur père à Ostwald. Plus facile à dire qu’à faire. Ils sont d’abord retenus dans un camp improvisé où les nerfs sont à vif, où la loi du plus fort semble primer, où les exactions se multiplient. Par chance, ils parviennent à s’échapper. Commence alors une errance dans la zone contaminée, dans une Alsace vidée de ses habitants ou presque. Des signes de vie apparaissent du côté du Haut-Koenigsbourg, mais ils sont plus inquiétants que rassurants. Ce n’est qu’à Strasbourg, sur les bords du Parlement européen, qu’un semblant de communauté s’est installée. Après la jungle de Calais, voici celle de la capitale européenne:
« Près du feu, deux jeunes garçons dorment, enlacés. À côté d’eux, un troisième réduit en poudre des pilules blanches dans un bol, à l’aide d’un canif. C’est un bivouac. Et le Parlement est devenu une jungle. Les beats technos retentissent, lointains, comme les cris nocturnes de bêtes tropicales.
– C’est drôle, hein?
Marie s’assoit près du garçon qui verse la poudre à l’intérieur d’une des flasques posées à ses pieds, dans un gros carton. Elles contiennent un liquide jaune, parsemé d’éclats toxiques.
– C’est quoi?
– Un Pripiat.
– Quoi?
– C’est la ville près de Tchernobyl.
– Je sais ça; Félix.
– C’est un cocktail. De la vodka, des pastilles d’iode et du valium, c’est moi qui l’ai inventé.
– Et la couleur?
– C’est un secret.
– T’en veux? »
Quand les situations deviennent extrêmes, les règles ne s’appliquent plus de la même manière. C’est le cas lorsque la violence économique frappe un bassin de population, c’est aussi le cas lorsque l’équilibre naturel est fortement perturbé. Thomas Flahaut nous met en garde. Et même s’il prend de grandes libertés avec le réalisme de son errance, il a le mérite de nous rappeler à la vigilance.

Ce qu’en dit l’éditeur
« La secousse que j’ai ressentie la nuit dernière était un tremblement de terre. Les animations commentées par le présentateur du journal le montrent. Un point rose palpite sous la terre. De ce point partent des ondes roses qui font vaciller un cube gris posé à la surface, désigné par une flèche, et légendé.
Centrale nucléaire de Fessenheim. »
Évacués avec le reste de la population, Noël et son frère, Félix, se retrouvent dans un camp improvisé en pleine forêt, la forêt où ils se promenaient, enfants, avec leur père. C’était avant la fermeture de l’usine où celui-ci travaillait, avant le divorce des parents, et l’éclatement de la famille.
Cette catastrophe marque, pour eux, le début d’une errance dans un paysage dévasté. Ils traversent l’Alsace déserte dans laquelle subsistent de rares présences, des clochards égarés, une horde de singes échappés d’un zoo, un homme qui délire…
Ostwald est le récit de leur voyage, mais aussi du délitement des liens sociaux, et peut-être d’une certaine culture ouvrière. C’est la fin d’un modèle qui n’ayant plus de raison d’être ne peut être transmis : confrontés aux fantômes du passé, les deux frères doivent s’inventer un avenir. Peut-être est-ce la morale de ce roman en forme de fable.

Les critiques
Babelio 
livreshebdo.fr (Léopoldine Leblanc)
Télérama (Aurélien Ferenczi)
L’Humanité (Sophie Joubert)
L’Alsace (Olivier Brégeard)
RTS (émission «Versus-lire»)
Blog Danactu-résistance

Les premières lignes…
« Comment ça meurt une ville ?
Quand nous sortons de chez nous, maman enfile un casque marqué du logo bleu de son entreprise, Alstom. Ce casque, elle ne l’a sans doute jamais porté. Elle ne le portera plus jamais, elle l’espère. Papa, lui, a revêtu le blouson de cuir du dimanche, râpé par les années, couvert de sillons gris et de craquelures, plus beau que ses costumes de semaine, bleus, unis et lisses. L’élastique du blouson enserre sa taille et simule dans le pli du cuir une bedaine qu’il n’a pas. Sur les photos de l’époque, je le vois amaigri. Je m’en souviens, comme je me souviens de ce journal roulé qui sort de sa poche. De son titre, de sa une, le souvenir imprécis des mots mais celui, bien clair, du vertige qu’ils avaient provoqué en moi.
Une usine ferme. La ville qu’elle faisait vivre agonise. La ville meurt.
Et l’idée de la voir s’effondrer, cette ville, avec toutes ses pierres, ses voitures et ses habitants, l’idée du vide qui viendrait après sa mort, du néant replié sur toutes ses rues et ses existences, alors, me hante.
Belfort. Un mois de novembre. J’ai onze ans. Papa a garé sa Golf devant le parking de l’Arsenal. La bise fait tourbillonner les feuilles mortes entre les premiers manifestants qui attendent. Bientôt, le goudron défoncé est noir de monde. La foule gonfle de minute en minute. Les policiers sont repoussés contre les remparts. Au-dessus de nous le lion de grès, gigantesque, regarde à l’horizon les collines boisées en lisière des Vosges se fondre dans le ciel noir. Sous ses pattes, une banderole est tendue. Lettres larges et rouges, éclatantes. »

Extrait
« Tous les yeux sont dirigés vers l’écran plat accroché au mur, entouré des logos de marques de bière tricotés en tubes néons aux couleurs acides. La secousse que j’ai ressentie la nuit dernière était un tremblement de terre. Les animations commentées par le présentateur du journal le montrent. Un point rose palpite sous la terre. De ce point partent des ondes roses qui font vaciller un cube gris posé à la surface, désigné par une flèche, et légendé.
Centrale nucléaire de Fessenheim.
Puis ce sont des cortèges de bus et de camions militaires, des pompiers au visage couvert d’un masque à gaz, des dizaines d’hommes vêtus de combinaisons jaunes. Sous leurs silhouettes identiques, à la démarche comique, défile en boucle le même message. Lettres blanches sur un bandeau rouge.
Grave incident la nuit dernière à la centrale de Fessenheim.
Le barman pointe la télécommande en direction de la télévision et change de chaîne. C’est un geste de bravoure. Les chevaux enchaînent de nouveau, et comme tous les jours depuis la création du monde, les tours d’hippodrome.
Eh ben voilà. »

À propos de l’auteur
Né en 1991 à Montbéliard (Doubs), Thomas Flahaut fait partie de la jeune génération qui compose la rentrée littéraire. Après avoir étudié le théâtre à Strasbourg, il rejoint la Suisse pour suivre un cursus en écriture littéraire. Diplômé de la Haute école des arts de Bienne, il vit et travaille à Lausanne, où il a cofondé le collectif littéraire franco-suisse Hétérotrophes. Ostwald est son premier roman. (Source : livreshebdo.fr / Editions de l’Olivier)

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