Le Chevalier fracassé

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En deux mots
Alexandre-Joseph, fils de bonne famille, quitte Neuchâtel pour Paris où il espère faire fortune sous un nom d’emprunt. Mais en 1789, la capitale est prise dans le tourbillon de la Révolution et le jeune homme doit dès lors lutter pour sa survie.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

L’aventurier, l’inventeur et la Révolution

Dans ce nouveau roman historique Colin Thibert nous propose de suivre les tribulations d’un neuchâtelois monté à Paris à la veille de la Révolution. Son audace va lui permettre de grimper les échelons, mais l’entreprise n’est pas sans risques.

C’est dans les environs de Neuchâtel, alors prussienne, que Colin Thibert choisit de situer les premières scènes de ce savoureux roman. Alexandre-Joseph Martinet-Dubied a le malheur de croiser le père d’une jeune fille, féru des Écritures, qui lui demande réparation après qu’il ait joyeusement «déshonoré» cette dernière. Une balle entre les deux yeux de l’importun suffira à régler ce différend. Le jeune homme a beau pouvoir se targuer d’avoir agi en légitime défense, il choisit de fuir. Avec une cargaison de livres séditieux imprimés par son père, il part pour Paris.
En quelques semaines, l’intrépide fuyard réussira à se faire une petite place dans la capitale sous le pseudonyme d’Alessandro Vesperelli. L’ironie de l’histoire veut que ce soit avec l’aide des autorités, qui n’ont pas tardé à repérer ce fanfaron. Engagé comme espion à la solde du lieutenant général de police, Alessandro est chargé de lui rapporter ce qui se dit dans les salons. Une tâche dont il s’acquitte fort bien. C’est ainsi que chez madame de Vaupertuis, il croise Mesmer, le médecin viennois qui fait fureur avec son traitement par les fluides. Alexandre-Joseph, qui sent le bon coup, va parvenir à le persuader de l’embaucher comme assistant. Mais la fortune qu’il attend de cet emploi tarde à venir. Qu’à cela ne tienne ! Dans le tourbillon d’idées nouvelles qui électrisent Paris à la fin du XVIIIe siècle, il va vite trouver un autre moyen de réussir. Il a en effet fait la connaissance d’un homme féru de sciences, le marquis de Faverolles, qui le fascine par ses trouvailles. À ses côtés, il découvre certaines applications dans le domaine de l’optique et s’imagine déjà riche en développant une invention propre à déplacer les foules, sorte d’ancêtre de la photographie, mêlant art et lumière. Avec son nouveau protecteur et amant, il imagine un bâtiment circulaire qui, éclairé de manière ciblée, donnerait littéralement au visiteur l’impression d’entrer dans le décor. La construction de ce qu’il nomme Panthéome va alors occuper toutes ses journées. Il va trouver artistes et architectes de renom, maître d’œuvre, maçon et charpentier afin d’ériger cet édifice révolutionnaire. Ce dernier qualificatif va toutefois faire capoter le projet. Car les ouvriers délaissent le chantier pour aller détruire un autre édifice. Nous sommes le 14 juillet 1789 et la prise de la Bastille marque le début de la Révolution française.
Notre aventurier ne voit toutefois dans cet assaut qu’un fâcheux contretemps et décide de mettre à profit cette parenthèse pour exercer ses talents d’espion à Londres. Une activité lucrative, car il en profite de ses traversées pour faire de la contrebande. Incidemment, il entend parler du Panorama et se dit que son Panthéome y ressemble furieusement. Soupçonnant le plagiat, il va voir toutes ses illusions et ses rêves de gloire s’envoler lorsqu’il remet les pieds en France.
Comme dans Torrentius, Colin Thibert mêle avec bonheur le romanesque et l’Histoire. Fort bien documenté, il nous entraîne avec gourmandise dans cette époque frénétique où les idées volent aussi vite que les têtes, où l’aristocratie voit s’envoler tous ses pouvoirs et où les rêves de gloire s’envolent en fumée. Le style est allègre, le rythme entraînant, l’humour dispensé avec finesse. Alors même le drame prend des allures de joyeuse épopée !

Le chevalier fracassé
Colin Thibert
Éditions Héloïse d’Ormesson
Roman
208 p., 18 €
EAN 9782350878539
Paru le 16/02/2023

Où?
Le roman est situé principalement en France, à Paris. On y vient de Neuchâtel et on finit par y retourner. Des séjours réguliers à Londres y sont aussi évoqués.

Quand?
L’action se déroule à la fin du XVIIIe siècle.

Ce qu’en dit l’éditeur
À Neuchâtel, le jeune Alexandre-Joseph mène une vie dissolue jusqu’au jour où un meurtre accidentel le force à l’exil. Arrivé à Paris sous une fausse identité, il est contraint d’infiltrer, pour le compte du lieutenant général de police, le cabinet de Mesmer, médecin viennois à la mode, et les salons de madame de Vaupertuis. C’est alors qu’un vieux marquis passionné d’optique s’amourache de lui et l’anoblit. Le désormais chevalier Vesperelli s’apprête à lancer une affaire prometteuse, mais la prise de la Bastille vient bouleverser ses rêves de fortune.
Avec une énergie irrévérencieuse, Le Chevalier fracassé nous embarque dans une folle équipée à travers la fin du XVIIIe siècle. Peuplé d’agents doubles, d’excentriques et de contrebandiers, ce roman tricote habilement la grande histoire et les tribulations d’un séduisant aventurier.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Actualitté (Hocine Bouhadjera)
Histoire & Fiction
Le Suricate magazine

Les premières pages du livre
« 1
UN ÉPAIS COUSSIN DE BRUME stagne au fond du vallon. Les mélèzes suintent, le sol est détrempé, le jour peine à se lever. Au premier étage de la ferme d’Abram Bourquin, un volet s’ouvre en grinçant. Apparaissent une jambe, une seconde, puis le corps entier d’un jeune homme qui porte des souliers à boucle, des bas, une culotte et une veste de bonne coupe. Un gilet brodé, or et magenta, apporte une note vive dans un tableau presque uniformément gris. Son visage est encadré par une abondante chevelure brune, sa peau mate, ses cils aussi longs que ceux d’une fille. Il s’assoit sur l’appui de la fenêtre, prêt à se laisser choir, une toise et demie plus bas, dans l’épaisse couche de fumier qui tapisse le sol. Deux bras viennent alors ceindre son torse. Deux bras aussi blancs que dodus, ceux de Rosalie, la fille unique d’Abram Bourquin. Ployant le cou, qu’il a long et gracieux, le garçon roule à la belle une ultime et savante galoche avant de sauter, d’un bond leste, dans la cour. Rosalie incline le buste – découvrant généreusement sa gorge dans le mouvement –, et, du bout des doigts, lui envoie une pluie de baisers.
– Reviens-moi vite, mon chéri !
Le chéri emporte avec lui cette vision exquise. Il se hâte. Le sentier qu’il suit est incertain, ses élégants souliers glissent dans la boue, prennent l’eau. « À l’orée du bois, lui a précisé Rosalie, tu tomberas sur le chemin, tu prends à main gauche, tu seras à Neuchâtel en une heure. » La pauvre fille ne pouvait se douter que son père, armé de sa fourche et d’une sainte colère, se tiendrait en embuscade, attendant le séducteur de pied ferme.
Abram Bourquin est un homme aussi austère, aussi rugueux que cette terre truffée de cailloux à laquelle il arrache, jour après jour, sa subsistance. Il pratique une religion sans nuances et sans fioritures. La Bible lui tient lieu de viatique pour son voyage terrestre. Il abhorre le péché et craint Dieu dont il se réjouit, néanmoins, d’intégrer le royaume. Il y est attendu à bras ouverts, mais n’anticipons pas.
Dans l’immédiat, Abram Bourquin lance un échantillon profus d’anathèmes et de malédictions, agitant sa fourche comme Poséidon son trident. Le spectacle serait comique si le bonhomme n’était pas résolu à clouer le godelureau au tronc du premier résineux venu, et à punir sa pécheresse de fille comme il convient : « On fera sortir la jeune femme à l’entrée de la maison de son père ; elle sera lapidée par les gens de la ville, et elle mourra, parce qu’elle a commis une infamie en se prostituant dans la maison de son père. Tu ôteras ainsi le mal du milieu de toi. » (Deutéronome, 22:21) À moins qu’il ne décide de la livrer aux flammes : « Environ trois mois après, on vint dire à Juda : Tamar, ta belle-fille, s’est prostituée, et même la voilà enceinte à la suite de sa prostitution. Et Juda dit : Faites-la sortir, et qu’elle soit brûlée. » (Genèse, 38:24)
– Monsieur ! Monsieur ! plaide le jeune homme, sautillant de gauche et de droite pour esquiver les dents de l’instrument avec lequel l’autre s’efforce de l’embrocher. De grâce !
Mais rien ni personne ne saurait fléchir la détermination de Bourquin qui entend faire honneur à son prénom. L’amant de sa fille est, par chance, souple et vif. Et comme il connaît le Livre aussi bien que son adversaire, il lance :
– Souvenez-vous que « la colère de l’homme n’accomplit pas la justice de Dieu ! » (Jacques, 1:19-20)
– Comment oses-tu ?! répète Bourquin, outré de voir le débauché lui rendre, en quelque sorte, la monnaie de sa pièce.
– « L’homme qui aura couché avec elle donnera au père de la jeune fille cinquante sicles d’argent ; et, parce qu’il l’a déshonorée, il la prendra pour femme, et il ne pourra pas la renvoyer, tant qu’il vivra » (Deutéronome, 22:29), poursuit le suborneur. Je l’épouserai ! Je vous le promets !
Ce mensonge patent déchaîne la fureur d’Abram Bourquin qui réplique en poussant une sorte de mugissement :
– « Écarte de ta bouche la fausseté, Éloigne de tes lèvres les détours. » (Proverbes, 4:24)
– Entre personnes de bonne volonté, l’on peut toujours s’entendre, insiste le jeune homme. Mon père possède quelque bien, il vous dédommagera.
– « Que le riche ne se glorifie pas de sa richesse ! » (Jérémie, 9:23), réplique Abram. Les dents de l’instrument griffent la veste, y causant une longue déchirure. Bourquin ajoute pour faire bon poids :
– « Tu ne recevras point de présent ; car les présents aveuglent ceux qui ont les yeux ouverts et corrompent les paroles des justes. » (Exode, 23:8)
Lancée d’un bras qu’anime un juste courroux, la fourche se plante alors en vibrant dans un épicéa, libérant une averse de gouttelettes. Tandis qu’Abram s’efforce de récupérer son arme fichée dans l’écorce, le jeune homme se résout à exhiber la sienne : un pistolet moins gros qu’une tabatière, un joujou, dans lequel il introduit, d’une main tremblante, la poudre et une balle de plomb qu’il tasse fébrilement avec l’écouvillon. Abram, dans l’intervalle, est parvenu à récupérer l’instrument dont il menace à nouveau le suborneur.
– « Ils répondirent : il mérite la mort ! » (Matthieu, 26:66), hurle-t-il.
Il découvre alors, braqué sur lui, le pistolet. Le jeune homme a relevé le chien, saupoudré le bassinet d’une pincée de poudre noire.
– Reculez ou je tire ! menace-t-il.
Face à cette arme miniature, à ce freluquet habillé comme une gravure de mode qui doit peser moitié moins que lui et qui prétend l’intimider, l’ombre d’un sourire éclaire le visage sévère et barbu du paysan-prophète. Si ce n’était péché, il rirait. Au lieu de quoi, il brandit sa fourche. Le jeune homme appuie sur la détente. Une détonation sèche, le coup part ; considérant l’humidité ambiante, on pourrait presque parler de miracle. La balle frappe Bourquin entre les deux yeux. Il fronce les sourcils, comme s’il cherchait dans sa mémoire un verset de circonstance, n’en trouve pas, vacille et s’effondre.
– Monsieur ? Oh ! Monsieur Bourquin ? Monsieur ?
Alexandre-Joseph Martinet-Dubied a gagné ce pistolet à l’issue d’une partie de piquet, il ne s’en était encore jamais servi ; qui plus est, il n’a jamais tué qui que ce soit, il manque donc singulièrement de pratique. Circonspect, il se penche sur le gros homme inerte. Se peut-il que la vie soit vraiment en train de s’échapper par ce trou minuscule qui saigne à peine ? Il y aurait là, sans doute, matière à philosopher, mais la situation ne s’y prête guère. Alexandre-Joseph s’éloigne à grandes enjambées du lieu de son crime, l’esprit en tumulte. Quoique pauvre, Bourquin est honorablement connu ; sa mort brutale va en choquer plus d’un, une enquête sera diligentée. Qui sait si le jeune homme n’a pas été aperçu se glissant, au crépuscule, dans la ferme des Bourquin. Qui sait si Rosalie, sous le coup de la peur ou du chagrin, ne le trahira pas ? Je suis dans de très sales draps ! frissonne Alexandre-Joseph, conscient que sa réputation de noceur va lui nuire et que ni l’argent, ni la notoriété de son père ne le sauveront de la prison, voire du gibet. Trébuchant et glissant dans le sentier bourbeux, il tente d’élaborer un plan de conduite.

2
L’IMPRIMERIE MARTINET-DUBIED est installée dans les anciens locaux d’un vigneron, faubourg de l’hôpital. Les presses ont remplacé les foudres, l’odeur de l’encre a supplanté, progressivement, celle des moûts. Les volumes imprimés sont reliés sur place et mis en caisses avant d’être acheminés en France par des chemins détournés, car Louis Martinet-Dubied publie, pour l’essentiel, une littérature subversive, de ces brûlots politiques qui, tôt ou tard, finiront par mettre le feu aux poudres dans la France voisine. La ville de Neuchâtel est sous l’autorité du roi de Prusse qui ferme benoîtement les yeux parce que cette activité lui rapporte des taxes ; et puis, dans la mesure où ça contrarie le roi de France, il serait dommage de s’en priver. Frédéric II se contente d’interdire que l’on appose le nom de la ville au frontispice de ces ouvrages séditieux, il a une réputation à tenir.
Louis Martinet-Dubied n’est pas seulement imprimeur. Il exploite des vignobles, il a créé une fabrique d’indiennes, il a investi des fonds dans diverses affaires bancaires et siège au Petit Conseil, c’est dire l’importance du personnage. Depuis la mort de son épouse, sa vie est exclusivement consacrée au travail, il ne débande jamais, il aura tout le temps de se reposer une fois au paradis. En gestionnaire avisé, Louis a d’ailleurs planifié l’avenir : Pierre-Louis et Claude-Henri, les aînés, dirigeront les entreprises, on cherchera de solides partis pour Jeanne et Agathe, quant à Alexandre-Joseph, le petit dernier, il le verrait bien dans la finance, à Paris, ou à Londres. Mais jusqu’à présent, le garçon a déçu les attentes de son père : au contraire de ses frères, blonds et sanguins comme lui, il a hérité de la beauté brune et délicate de feue sa mère, de son tempérament imprévisible. Là où les deux aînés tracent droit leur sillon, comme les bœufs dont ils ont la patience et la lourdeur, Alexandre-Joseph papillonne. Imperméable à la crainte du Jugement qu’on lui a pourtant inculquée depuis sa plus tendre enfance, il n’en fait qu’à sa tête et il apparaît que cette tête est aussi légère que ses mœurs. Le gamin ne pense qu’à s’amuser, à courir les jupons, dans un pays où plane encore l’ombre des réformateurs. « Il est impossible qu’il n’arrive pas des scandales ; mais malheur à celui par qui ils arrivent ! » (Luc 17:1) Un jour ou l’autre, a prédit Louis, ça lui attirera des ennuis. Ce jour est arrivé.
Alexandre-Joseph comptait regagner ses appartements en toute discrétion pour remettre un peu d’ordre dans sa tenue autant que dans ses idées. C’est raté. À peine a-t-il gravi quelques marches de l’escalier que son père se dresse devant lui :
– D’où viens-tu ? Qu’est-il arrivé à tes vêtements ?
Le jeune homme rougit, c’est sa faiblesse. Ce qui ne l’empêche pas de mentir :
– J’herborisais, papa. (La maison Martinet-Dubied vient de rééditer les Rêveries du promeneur solitaire). J’ai déchiré ma veste aux épines.
– Je préfère ne pas penser au genre de fleurs que tu es allé cueillir. File te changer et mets-toi au travail !
– Oui, papa.
En attendant qu’une maison de banque neuchâteloise ou genevoise offre un poste à Alexandre-Joseph, premier degré d’une ascension dans le monde des affaires, Louis a exigé que son rejeton tienne les livres de l’imprimerie et gère les expéditions, deux activités qui barbent souverainement le jeune homme. Aujourd’hui, elles vont lui sauver la mise. Il dispose des clefs du coffre, il y ratisse tout l’argent qui s’y trouve et, moins d’une heure plus tard, il saute à bord d’une carriole chargée d’une cinquantaine de volumes fraîchement imprimés de la seconde édition de l’Essai sur le despotisme d’un certain Honoré-Gabriel Riqueti de Mirabeau. Expert en contrebande, grand connaisseur des chemins de traverse et des itinéraires discrets, le vieux Morel conduit l’attelage. Il n’a posé aucune question en voyant Alexandre-Joseph s’installer à côté de lui sur la rude banquette, il n’ouvre la bouche que pour invectiver ses mules ou cracher de longs traits de jus de chique. On atteindra Belfort dans trois jours. Le fugitif s’en accommode. Il laisse vagabonder sa pensée, au rythme lent de ce voyage en zigzag.
Alexandre-Joseph ne se considère ni comme un assassin ni comme un maladroit, mais comme un malchanceux. Qui aurait pu prévoir que ce minuscule pistolet remplirait si bien son office, qu’une seule balle, de la taille d’un petit pois, suffirait pour abattre ce paysan massif dopé aux Saintes Écritures ? L’autre voulait sa peau, lui n’a fait que défendre la sienne. Et aussi, qu’est-ce qu’ils ont, tous, avec la vertu de leurs filles ? Est-ce un bien si précieux qu’il faille risquer sa vie pour le préserver alors que, tôt ou tard, on les marie ? Au moins Rosalie aura-t-elle connu un garçon raffiné avant d’être livrée en pâture à quelque bourrin local qui l’engrossera tous les ans. « Et vous, soyez féconds et multipliez, répandez-vous sur la terre et multipliez sur elle. » (Genèse, 9:7) Autant d’arguments dont un bon avocat ferait son miel. Mais les crimes de sang sont si rares, à Neuchâtel, que les magistrats pourraient être tentés d’infliger au jeune assassin un châtiment exemplaire. Gagner Paris reste la meilleure option. Alexandre-Joseph y pensait depuis longtemps, mais il se présentait toujours une partie de cartes ou une partie de jambes en l’air pour retarder sa décision. On ne s’arrache pas aux délices de Capoue sans un sérieux coup de pied au cul. D’autres (pour des raisons moins tragiques) ont tenté l’aventure avant lui : Jean-Jacques Rousseau est le plus fameux. Un certain Jean-Paul Marat, de Boudry, ne va pas tarder à connaître son quart d’heure de célébrité. Dans les milieux d’affaires, les Delessert sont devenus incontournables, Jean-Frédéric Perregaux a commencé à bâtir sa fortune. Ce serait bien le diable si un jeune homme intelligent et ambitieux comme lui ne trouvait pas, dans cette ville perpétuellement en ébullition, l’occasion de se faire un nom, se dit Alexandre-Joseph. Pour d’évidentes raisons de sécurité, il vaut mieux oublier Martinet-Dubied et brouiller les pistes. Le jeune homme opte pour un patronyme italien. Désormais, il s’appellera Alessandro Vesperelli, originaire de Crémone, à l’instar de ce violon que lui avait offert sa mère et dont il n’est jamais parvenu à tirer la moindre note. Alessandro Vesperelli, ça sonne bien, non ?

3
MONSIEUR LENOIR, lieutenant général de police de Paris, a deux hantises : les ouvrages séditieux et les étrangers. Bien qu’il puisse se targuer d’être l’ami intime de Brissot et de Beaumarchais, monsieur Lenoir mène une lutte sans merci contre les premiers et surveille étroitement les seconds. Ainsi s’intéresse-t-il de près à un certain Franz Anton Mesmer arrivé récemment dans la capitale. Auteur d’une thèse, largement inspirée de Paracelse, intitulée « De l’influence des planètes sur le corps humain », ce médecin viennois a mis au point un procédé extraordinaire, à base d’aimants, susceptible de guérir à peu près tous les maux.
Mesmer, raconte-t-on, a même été à deux doigts de rendre la vue à Maria Theresia von Paradis, une jeune fille frappée de cécité. Elle commençait à distinguer des formes quand son père a brutalement mis fin au traitement, craignant que les visites quotidiennes du jeune médecin ne fissent jaser ; il voulait surtout ne pas perdre le bénéfice de la pension d’invalidité allouée à sa fille infirme. Mesmer s’était insurgé, il avait protesté, supplié : arrêter si près du but, c’était vraiment trop bête. Il avait fait valoir que même Jésus, si l’on en croit les Évangiles, avait dû s’y reprendre à deux fois pour rendre la vue à l’aveugle de Bethsaïde. Le père de la jeune fille était resté inflexible. Il convient de préciser que Maria Theresia était pianiste ; une artiste aveugle attire plus de public qu’une virtuose valide, n’importe quel impresario vous le dira. Monsieur von Paradis l’avait fort bien compris.
Échaudé par sa mésaventure avec Maria Theresia, Mesmer a donc décidé de tenter sa chance à Paris. « Car Jésus lui-même rendait témoignage qu’un prophète n’est pas honoré dans son propre pays. » (Jean, 4:44) Il y a établi depuis longtemps des contacts parmi les esprits éclairés, francs-maçons pour la plupart, qui tiennent ses théories pour prometteuses. Un certain docteur Deslon l’aide à s’installer. Il lui adresse ses premiers patients, majoritairement des patientes, de la meilleure société, car question honoraires, on a placé la barre assez haut. Mais en médecine comme ailleurs, la nouveauté a un prix. Sitôt ouvert, le cabinet de l’hôtel Bourret, place Vendôme, ne désemplit plus. Les élégantes s’y pressent autant qu’à l’opéra si bien que le médecin viennois, débordé, doit bientôt envisager de s’attacher les services d’un chaouch.
– En France, nous appelons cela un suisse, dit Deslon.
– Va pour le suisse.
Ce domestique sera chargé de recevoir les visiteuses, de les installer en fonction de leur rang dans la salle d’attente, de tenir prêts les sels ou les compresses vinaigrées, car nombre de ces dames sont prises de vapeurs ou tombent en pâmoison après deux ou trois heures de traitement. Certaines ont besoin d’être ventilées, ranimées, réconfortées, d’autres, à l’inverse, sont si agitées qu’il faut les contenir, les brider, les apaiser. Peu vomissent. L’homme disposera néanmoins d’un seau rempli de sciure ainsi que d’une réserve de mouchoirs pour éponger la sueur et les larmes qui coulent en abondance. Un tel poste réclame du doigté, de l’intuition, de la discrétion. Il conviendra en outre de n’être ni bancal, ni grêlé, et de bien porter la livrée.
Monsieur Lenoir, qui a eu vent de l’appel à candidature, considère que c’est une occasion inespérée de glisser un mouchard dans la place. Il tient sous sa coupe une poignée de jeunes gens de la manchette surpris à des actes contre nature dans le quartier Saint-Honoré, mais aucun de ses candidats ne trouve grâce aux yeux de Deslon qui s’est chargé du recrutement, éliminant sans pitié les jolis-cœurs, les sournois, les factieux et ceux qui ont les dents gâtées. Monsieur Lenoir songe alors à ce jeune Suisse récemment débarqué à Paris sous un nom d’emprunt : le rapport de ses agents précise qu’il est élégant, correctement éduqué, d’une tournure agréable. Le lieutenant général envoie deux argousins le quérir à son domicile. Alessandro se croit rattrapé par son crime, il se voit déjà pendu, la sueur baigne son front, ses jambes le trahissent. Contre toute attente, l’accueil est aimable :
– Racontez-moi un peu ce qui vous attire à Paris, monsieur Vesperelli… Nos grands monuments ? Nos petites femmes ?
Réponse inintelligible de l’intéressé. Monsieur Lenoir hausse brutalement le ton :
– Allons ! Cessons cette comédie ! Vous n’êtes pas plus italien que je ne suis turc ! Qui êtes-vous, d’où venez-vous ?
Alessandro devient rouge, très rouge, décline sa véritable identité, assure être venu chercher fortune à Paris comme beaucoup de ses compatriotes. Pas un mot sur l’affaire Bourquin, à quoi bon charger la barque ? Si le lieutenant général de police est au courant, il le mentionnera bien assez tôt. De son côté, monsieur Lenoir n’en espérait pas tant, il se frotte les mains : ce joli jeune homme est donc le fils de l’imprimeur qui inonde Paris de pamphlets et de libelles de la pire espèce ? Que rêver de mieux ? S’il refuse de collaborer, on a de quoi l’embastiller jusqu’à la fin du siècle. Le lieutenant général lui met donc le marché en main et conclut après un bref topo sur les activités parisiennes de Mesmer :
– Débrouillez-vous pour être embauché et rapportez-moi, scrupuleusement, tout ce que vous verrez et entendrez là-bas.
Depuis qu’il est à Paris, Alessandro a noué des contacts utiles dans les milieux du commerce et de la finance et ses chances d’être embauché bientôt par une grande maison paraissent favorables. Monsieur Lenoir vient de ruiner ses espoirs. Alessandro se voyait en jeune loup des affaires, le voilà devenu mouche, espion, indicateur ordinaire. Et domestique dans un cabinet médical puisque Deslon, au terme de son casting, a retenu sa candidature.

Mesmer vêt son suisse de soie amarante. Veste, culotte et justaucorps agrémentés de galons d’argent, bas fins, souliers à boucle. Le taux de pâmoisons de ces dames va grimper en flèche.
– Mon ami, s’exclame-t-il en gratifiant Alessandro d’une tape sur l’épaule, vous êtes, de ce cabinet, le plus bel ornement !
Trait d’humour ou barbarisme ? Alessandro, dès lors, fait contre mauvaise fortune bon cœur. Il s’acquitte de sa tâche à la perfection, respectueux sans être obséquieux, aimable, enjoué sans excès, souple comme un roseau. Il vous délace un corset comme personne mais jamais sa main ne s’égare sous les étoffes, jamais ses lèvres ne se posent sur les gorges palpitantes ; c’est là une retenue qui lui coûte, mais que son employeur apprécie (et qu’une partie de sa pratique, secrètement, déplore). Sur le parquet à bâtons rompus, le jeune suisse paraît danser, maître d’un ballet dont il impose la cadence. Les hommes lui reconnaissent de la prestance et, derrière leurs éventails, les femmes rêvent d’indécences.

4
RÉSOLU À S’ATTIRER une fois pour toutes les bonnes grâces du lieutenant général en lui remettant des rapports aussi documentés que possible, Alessandro s’enquiert auprès du fidèle Deslon de la cause d’effets aussi spectaculaires sur les malades.
– As-tu jamais entendu parler du fluide universel ? lui demande le médecin.
– Jamais.
Deslon, qui se passionne, depuis l’origine, pour les travaux de Mesmer, explique au jeune Suisse que les hommes, les animaux, la terre, et les corps célestes baignent tous, indistinctement, dans un même fluide, invisible et subtil.
– Comme les cornichons dans leur bocal, en somme ?
– L’image est triviale, mais pour autant que l’on assimile l’univers à un immense bocal, tu n’as pas entièrement tort. Mesmer a démontré, vois-tu, que la maladie résultait d’une répartition inégale de ce fluide dans le corps humain.
– Comme une barque gîte si elle vient à prendre l’eau ? interroge Alessandro qui a souvent canoté sur le lac de Neuchâtel et qui a besoin de se faire, de ces savantes notions, une représentation imagée.
– C’est un peu cela. Guérir, c’est restaurer un équilibre qui était rompu.
– Voilà donc pourquoi certaines femmes sont à ce point chavirées ?
Deslon s’esclaffe, et rapporte le bon mot à Mesmer. Il entreprend ensuite de décrire le cœur même du dispositif mesmérien, une machine qui s’inspire de la bouteille de Leyde, un appareil capable d’emmagasiner et de transmettre le fameux fluide. La réaction des malades au traitement est proportionnelle à leur déséquilibre.
– Grâce à son procédé, le docteur Mesmer parvient à extraire du corps de ses patients, pratiquement sans douleur, les humeurs malignes qui sont cause de la maladie, poursuit Deslon. Toutefois, les femmes étant, comme chacun sait, plus sensibles des nerfs, il arrive qu’elles répondent exagérément au traitement, d’où les effets dont tu es parfois témoin.
Ainsi Alessandro portera longtemps au visage la trace des griffures infligées par l’une de ces Ménades. Si l’on en croit Deslon, son harmonie est à présent restaurée.
– Le docteur Mesmer, poursuit encore l’intarissable médecin, s’est rendu compte que tous les hommes, femmes comprises, sont en capacité de transmettre ce fluide, mais que seul le magnétiseur peut le canaliser, en augmenter ou en diminuer l’intensité à l’aide de certains gestes bien précis, qu’il appelle des « passes ». Je te précise que nous parlons ici de magnétisme animal, par opposition au magnétisme minéral, qui est la propriété de la pierre d’aimant.
Alessandro remercie Deslon pour ses éclaircissements et, le soir même, couche sur le papier, à l’intention de son officier traitant, ces informations essentielles.

Victime d’un succès croissant, Mesmer se met en quête de locaux plus spacieux. Il les trouve en l’hôtel Bullion, à l’angle des rues Coq-Héron et Orléans-Saint-Honoré. Il y fait installer la première des quatre machines qu’un ébéniste et un serrurier ont fabriquées d’après ses plans. Imaginez un large baquet octogonal, constitué de panneaux de noyer vernis, doublé de feuilles d’étain. Au centre, dissimulée aux regards, une grosse bouteille de Leyde reposant sur une couche de verre pilé et de limaille de fer, entourée d’autres flacons plus petits, remplis jusqu’au goulot d’eau magnétisée ; des bouquets d’hysope et de lavande – deux plantes connues pour accroître les effets bénéfiques de l’électricité – complètent le dispositif. Ce baquet est hérissé de tiges métalliques recourbées ; il en sort aussi des cordes, dont une extrémité baigne dans ce liquide chargé d’ions. On peut appliquer les premières sur les organes ou les membres douloureux ; les secondes servent à relier entre eux les patients, de sorte que le fluide universel les irrigue tous de manière égale.
Grave et concentré, le médecin va de l’un à l’autre pour pratiquer ses « passes ». Elles ne sont pas sans rappeler les gracieux mouvements du toréador. Mesmer effleure les cous, les épaules, les ventres et les gorges. Sous l’effet de ces caresses virtuelles, certains patients gémissent, d’autres frissonnent, tressautent, d’autres encore claquent des dents, convulsent ou éclatent d’un rire démoniaque : le baquet thérapeutique devient alors chaudron de sorcière.
Alessandro suggère quelques améliorations.
– L’on gagnerait à obscurcir un peu la pièce, avance-t-il. Les prêtres savent depuis longtemps qu’un demi-jour est propice au recueillement, qu’il exalte le mystère. De plus, certains débordements s’accommoderaient mieux d’un peu d’obscurité…
– Bien raisonné, mon ami ! le félicite Mesmer.
Il fait exécuter, dans un beau velours d’Utrecht couleur parme, d’épaisses tentures dont on voilera les fenêtres. Alessandro invite ensuite le patron à troquer son modeste habit vert-de-gris contre un costume de soie lilas ; il prétend même le coiffer d’un chapeau pointu. Mesmer se rebiffe :
– Je suis médecin, pas saltimbanque !
– Croyez-moi, monsieur, un tel accessoire fera forte impression, l’assure Alessandro. »

À propos de l’auteur

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Colin Thibert © Photo Philippe Matsas

Né en 1951 à Neuchâtel, Colin Thibert est écrivain et scénariste pour la télévision. Il a longtemps pratiqué le dessin et la gravure. En 2002, il a reçu le prix SNCF du Polar pour Royal Cambouis (Série Noire, Gallimard) puis s’est lancé dans le roman. Après Un caillou sur le toit (2015), il a publié aux éditions Héloïse d’Ormesson, Torrentius (2019), couronné par le prix Roland de Jouvenel, décerné par l’Académie française, Mon frère, ce zéro (2021), La Supériorité du Kangourou (2022) et Le chevalier fracassé (2023). (Source: Éditions Héloïse d’Ormesson)

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Les vies de Jacob

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En deux mots
Une collection de photos trouvées dans une brocante constituent le point de départ d’une chasse à l’homme. Qui peut bien être ce Jacob B’Chiri que l’on retrouve en France, en Italie, en Tunisie, en Israël ? De l’agent secret à l’artiste affabulateur, le kaléidoscope est fascinant.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

369 autoportraits

Dans son nouveau roman Christophe Boltanski part sur les traces d’un curieux homme-caméléon qui a laissé derrière lui des centaines de photos prises dans des cabines photomaton. Mais qui était vraiment Jacob B’Chiri?

C’est au hasard d’une brocante que Christophe Boltanski tombe sur un curieux album photo rassemblant des centaines de cliché réalisés dans des cabines photomaton par un illustre inconnu. Il n’en fallait pas davantage pour enflammer l’imagination du romancier parti à la recherche du moindre indice pour retracer une vie. Très vite, il fait son miel de tous les indices, détails aperçus sur les photos ou annotations. «Je ne partais pas de zéro. C’était même tout le contraire. Je me débattais avec l’infini. L’homme que je cherchais procédait par accumulation. Il élevait des montagnes. Loin de léguer à la postérité une feuille immaculée, il laissait un fouillis inextricable. Pas le moindre espace vacant. Sur chacune de ses planches, il amoncelait, comme s’il déversait le trop-plein de lui-même. Il multipliait les indices ou peut-être les pièges, des trompe-l’œil destinés à induire en erreur les générations futures. Comment savoir? Il submergeait ses improbables lecteurs de détails a premier abord sans importance qui, mis bout à bout, semblaient former un gigantesque puzzle.»
C’est ce puzzle que le romancier va chercher à rassembler, pièce par pièce. Voilà d’abord un nom, Jacob B’Chiri. Puis les adresses laissées par ce «juif errant» : Casa Gizzi, via R. Cadorna 29, Roma (Italie); Kaufmann Lutz Inn, Margarethenstr. 22, 4051 Basel (Suisse) ou encore 24, Saint-Nizier, Quincié-en-Beaujolais. Pour faire bonne mesure on ajoutera Djerba et Paris et Marseille et surtout Israël.
«Cet inconnu mettait son nom partout comme s’il anticipait son anonymat futur. Il l’inscrivait sur chaque vignette jusqu’à plus soif, sans omettre l’apostrophe entre la première et la deuxième lettre de son patronyme.» En revanche, son prénom change beaucoup, comme s’il cherchait sa vraie personnalité. De Jacob, on passe à Zakine, Yaaqov ou encore Jacques. Est-ce une tentative pour se fondre dans la masse? Voilà qui pourrait accréditer l’hypothèse de l’agent secret, membre du Mossad. Un service militaire en Israël, la Guerre des six jours et un emploi au sein de la compagnie d’aviation israélienne forment des indices solides. Mais d’un autre côté les 369 autoportraits et des études aux Beaux-Arts brouillent ces cartes. Ne s’agit-il pas plutôt de se construire une image d’artiste? «Avant lui, il y a eu André Breton et ses amis surréalistes, le maître du pop art Andy Warhol et sa Factory, ou Richard Avedon qui, dès la fin des années 1950, convie les stars de son époque dans le photomaton de son studio new-yorkais. Durant cette même année 1972, l’artiste italien Franco Vaccari installe à son tour une cabine à la Biennale de Venise et invite les visiteurs à laisser sur les murs une preuve en celluloïd de leur passage. Ils sont quarante mille à se prêter à l’expérience. Notre héros en fait-il partie? Après, il y aura Cindy Sherman, Michel Folco et son double, le personnage de Nino dans Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain. Et bien d’autres encore.»
On le voit, le grand écart est vertigineux, mais Christophe Boltanski prend bien soin de ne pas trancher, de laisser le lecteur se faire sa propre opinion dans ce mille-feuille où on pourra encore choisir entre professeur d’hébreu, fourreur, électronicien, agent de sécurité et employé pour accompagner les défunts au Consistoire de Paris.
Ce jeu de piste est fascinant, montrant à la fois combien il est difficile de cerner une personnalité aussi fantasque et révèle que, comme tout le monde, on vit plusieurs vies au cours d’une existence.
Voilà qui nous ramène aussi aux précédents livres du romancier, à la mémoire familiale de La cache et aux jeux de faux-semblants dans Le Guetteur. Un joli kaléidoscope aux fascinantes facettes.

Les vies de Jacob
Christophe Boltanski
Éditions Stock
Roman
232 p., 19,50 €
EAN 9782234087439
Paru le 25/08/2021

Où?
Le roman est situé principalement dans quatre pays, la Tunisie, la France, Israël et la Suisse. Le récit se déroule notamment à Djerba, Rome, Bâle, Genève, Marseille, Saint-Nizier, Quincié-en-Beaujolais, Beer-Sheva, Jérusalem, Tel Aviv.

Quand?
L’action se déroule de la seconde partie du XXe siècle à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
369. C’est le nombre de Photomatons que Jacob B’rebi a pris de lui-même entre 1973 et 1974. À quoi pouvaient bien servir ces selfies d’avant l’heure qui montrent tantôt un visage troublé, tantôt un rire forcé, qui paraissent si familiers et lointains en même temps? Sont-ils l’expression d’une coquetterie, d’un humour solitaire ou la clé d’un mystère
Lorsque Christophe Boltanski ouvre cet album ramassé aux puces, il est aussitôt aspiré par ces figures sorties d’un conte de Lewis Carroll. L’homme s’est réinventé en de multiples personnages, l’un barbu, l’autre glabre, l’un en uniforme, l’autre en chemisette décontractée. Acteur, steward, espion? Les détails pourraient devenir des indices – ou des trompe-l’œil. Au dos des clichés, des adresses nourrissent encore l’énigme, de Rome à Bâle, de Marseille à Barbès ; quant aux prénoms ou diminutifs, ils ressemblent à des alias.
Christophe Boltanski veut comprendre qui fut cet homme. Son besoin de savoir le conduit dans des échoppes à l’abandon, des terrains vagues, des docks déserts, des lieux ultra-sécurisés, puis dans les cimetières de Djerba, et enfin en Israël, aux confins du désert du Néguev ou au pied du mont Hermon. Patiemment, l’auteur reconstitue les vies vécues et rêvées de Jacob, où se mêlent paradis perdu, exil, désirs de vengeance, guerres et ambitions artistiques. Peu à peu, la quête s’approche du mythe, celui d’un homme qui recherche une terre pour oublier les arrachements de l’enfance, mêle instinct de fuite et de liberté, dans l’espoir de se réconcilier avec la mort et avec la vie.
Après La Cache qui a reçu le prix Femina et Le Guetteur, Christophe Boltanski élargit son exploration littéraire à un anonyme, si représentatif d’une France prise par les violences de l’Histoire, où l’existence individuelle oscille entre goût du secret et quête de sens. Une épopée contemporaine, où l’émotion saisit le lecteur page à page.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Goodbook.fr
Page des Libraires (Michel Edo Librairie Lucioles à Vienne)

Les premières pages du livre
« Tu marches vers le rideau et regardes forcément en dessous afin de t’assurer qu’il n’y a personne. Le tissu plissé, lourd et épais doit te rappeler les draperies d’un théâtre. Son lever et sa chute ne marquent-ils pas ton entrée en scène ? Tu l’écartes du bout des doigts et disparais derrière, comme par magie. Au passage, ta tête effleure sa surface rêche, pleine de poussière, moirée de gris noirâtre. Tu le refermes d’un geste brusque, de la même manière que tu claques une porte. Tu préfères te produire à huis clos et tu étais certainement pressé de sortir de la cohue. En tirant sur la tringle, tu traces un pointillé, une frontière tremblante entre toi et les autres. C’est ta façon de faire un pas de côté, de te singulariser. Et aussi de trouver ta case.

Tu quittes ton métro blafard et tout ce qui rime avec, des mots en o synonymes de routine et d’ennui. Une simple tenture flottant à mi-hauteur suffit à t’isoler du monde. Te voici reclus au milieu de la foule. Tes semblables n’ont plus de visage. Ils sont réduits à des pas, à un va-et-vient de chaussures sur le bitume. Tu aimes sans doute cette sensation d’entre-deux, d’être à la fois dedans et dehors, de te dissimuler derrière un voile, tout en étant exposé à la vue de tous.

Adossée à un mur carrelé, la cabine photomaton trône à l’angle d’un couloir, entre le guichet et les escaliers mécaniques. Surmontée d’une enseigne lumineuse, on ne voit qu’elle et personne ne la remarque. Son emplacement importe peu. Elle pourrait être n’importe où. Dans une salle des pas perdus, une agence postale, un grand magasin. Ta cachette affectionne l’ombre, les courants d’air, les allées couvertes, les lieux à la fois peuplés et anonymes, là où les gens se croisent sans se regarder. À force, elle fait partie du mobilier urbain, au même titre que les kiosques à journaux ou les colonnes Morris. Tu es heureux de retrouver partout où tu vas la même forme parallélépipédique, le même sol en acier strié, le même siège rotatif en fonte, le même décor aseptisé de bloc opératoire.

Tu vides tes poches et vérifies que tu as de la monnaie. Tu prélèves quatre pièces d’un franc, car nous sommes au début des années 1970. Dans cette période de bouleversements, tu dois aimer les choses carrées. Les machines bien huilées. Les opérations strictement minutées.

La lumière crue des projecteurs fait cligner tes paupières. Tu n’es déjà plus le même. Ton écrin en métal te procure un semblant d’assise. Pareil à un bouddha posé sur son socle, indifférent au tumulte sourd des passants et aux bruits d’essieux venus des profondeurs, tu ne prêtes pas davantage attention aux tremblements sous tes pieds qui accompagnent le passage des rames. Là où tu es, rien ni personne ne peut t’atteindre. Immobile, presque hiératique, tu essaies de te concentrer, comme un sportif avant une rencontre importante. Tu as rendez-vous avec toi-même.

Malgré l’étroitesse, la saleté, les relents de sueur, les graffiti obscènes, tu te sens chez toi dans ce cube ouvert à tout le monde. Tu éprouves chaque fois que tu y retournes une forme d’ivresse. Tu respires comme un seigneur en train de croître. C’est ta machine à te dupliquer. Tu arrives seul et tu repars en quatre exemplaires. Tu te soustrais pour mieux t’additionner.

Le tabouret est-il trop bas ? Tu le relèves, avec le plat de la main, tout en scrutant un point invisible, quelque part à l’horizon. Tu entreprends maintenant de retirer ton manteau, un exercice délicat quand on n’a même pas la place de tendre les bras. À l’issue d’une suite d’acrobaties plutôt disgracieuses, tu peux enfin t’asseoir et redonner un semblant d’ordre à ta personne. Tu inspectes ta silhouette dans le carré de verre fixé en face de toi et découvres une rangée de dents immaculées. Un clavier d’un ivoire étincelant, sans dièse ni bémol. Zygomatiques étirés au maximum, maxillaires serrés, bouche ouverte jusqu’aux oreilles. Tous tes muscles contribuent à façonner ce sourire de marbre, impassible, d’une rigidité quasi sépulcrale.

Sous l’effet de la contraction de tes commissures, les deux buissons suspendus au-dessus de tes orbites n’en forment plus qu’un. Tu parais tendu, surtout, plus sérieux que d’habitude. Tu poses de trois quarts, la tête légèrement penchée. Ton apparence est soignée. Tu portes une chemise claire à col anglais, parfaitement repassée, qui tranche avec ta peau mate, une veste de coupe classique, d’une couleur grise ou brune, et une cravate club assortie. Impossible d’être plus précis. La photo qui témoigne de ton passage est en noir et blanc.

Tu as discipliné ta grosse tignasse. Rien ne fourche ni ne tournicote. Tes cheveux sont plus touffus au sommet du crâne ; plaqués en arrière, taillés sur les tempes, ils te donnent un air de premier de la classe. Tu dois sortir de chez le coiffeur. Ta peau est glabre, du moins rasée du matin ou de la veille au soir. Une aréole, comme la trace d’une estafilade, obombre ta lèvre inférieure. La torsion de tes traits révèle une mâchoire légèrement prognathe. Avec ta grande bouche, tes pommettes saillantes, ton front haut, ton menton pointu, ton visage expressif, un peu clownesque, tu présentes une vague ressemblance avec l’acteur Roberto Benigni. Tu as vingt-quatre ou vingt-cinq ans.

Tu as ôté tes grandes lunettes ovales à la monture épaisse. Conformément à l’usage, tu gardes le visage dégagé, la peau nue, le regard ouvert. Tu t’exposes sans défense, le plus dépouillé possible, comme si la vérité de ton être en dépendait, alors que c’est tout le contraire qui se produit. L’apprêt nous humanise, le dénuement nous nivèle.

Tu entames probablement la première étape d’une longue procédure menant à la délivrance d’un document quelconque. Cela expliquerait ton attitude un peu guindée. Ta boîte à peine plus grande qu’un cercueil remplit une mission de service public. Elle aide à cartographier les gens, à les mettre en fiche, à les plastifier, les tamponner et les enfermer dans une enveloppe. C’est un peu comme si tu entrais dans l’antichambre d’une mairie ou d’une préfecture. Face à ton guichet automatique, à coup sûr, tu es impressionné et te comportes avec la plus grande prudence, comme chaque fois que tu affrontes un monstre froid.

Alors, tu bombes le torse, retiens ta respiration, tends tes muscles orbiculaires afin de garder les pupilles bien ouvertes quand l’éclair jaillira. À tâtons, tu glisses les pièces de monnaie dans la fente cerclée de métal. Ton corps tout entier s’immobilise. L’appareil produit quatre bruits sourds, semblables au claquement d’une bulle d’air à la surface de l’eau ou d’un pistolet muni d’un silencieux dans un film de Michel Audiard. Un rayon aveuglant sort de ses entrailles et irradie ton visage. Et puis, plus rien. Plus une lueur, plus un son. Encore ébloui, tu perds de ta prestance et t’affaisses, tels ces vieux comiques frappés d’une forme de catalepsie dès que leurs numéros éculés prennent fin. Sortant de ta torpeur, tu te dépêches de remettre ton manteau. Une dernière injonction t’invite à lever le camp au plus vite : « Vous êtes priés de ne pas rester dans la cabine. Quelqu’un d’autre attend peut-être pour s’en servir », peut-on lire, tout en bas du panneau, en guise d’épilogue.

Personne ne vient briguer ta place. L’appareil n’attire jamais grand monde. Tu te demandes parfois si tu n’es pas son unique client. Les gens autour de toi ne cherchent qu’à remonter à l’air libre ou à effectuer le chemin inverse, ce qui crée un embouteillage à l’endroit précis où tu te tiens. Tu te retrouves ballotté entre deux flots d’usagers de forces et de densités inégales. Les premiers ressortent par paquets, au rythme des trains, tandis que les seconds affluent en plus petit nombre, mais à jet continu. Tu t’impatientes. Le regard rivé sur ta montre, tu comptes les minutes. Impossible de partir sans ta gueule en celluloïd. Tu ne vas pas la laisser là, collée contre la paroi, à titre de spécimen, ou traînant par terre comme un vieux ticket. Tu tends l’oreille et imagines ton avatar prisonnier d’un immense mécanisme d’horlogerie, emporté par des roues dentées, des bielles et des courroies, décrivant des huit entre deux cylindres, comme Charlie Chaplin dans Les Temps modernes. Tu guettes un déclic, un bruit de ressort, qui annoncerait ta délivrance. Et soudain, tu te vois émerger de la machine, tête la première, frissonner comme une feuille, sous l’effet de la soufflerie, et tomber délicatement dans la corbeille.
Lorsque je parcourus les premières pages, je ne vis qu’une figure de gaieté. Les coins d’une bouche légèrement relevés et, entre les deux, un étalage d’émail. Le sourire flottait, semblable à un râtelier, à un clapet amovible, doté d’une existence propre. Il marquait de son cachet ovale la première photo et revenait inlassablement, à la manière d’un motif sur un tissu. Il n’adhérait pas vraiment au reste du corps. Il s’apparentait plutôt à une parure, un collier, une espèce d’alacrité en sautoir, quelque chose que l’on peut mettre et retirer. On pouvait presque le découper selon les pointillés et l’attacher derrière les oreilles avec des élastiques, comme protection.

Omniprésent, il rayonnait au centre du cadre et drainait l’attention sans toutefois faire événement. D’une pesanteur de pierre, il ne disait rien. Il restait muet. Ce n’était pas une béance, ni un hiatus, mais un sourire plein, un sourire fermé qui ne renvoyait qu’un éclat de diamant. On y cherchait en vain une trace d’ironie, une légèreté, une jubilation, l’expression d’un sentiment particulier, un soupçon d’équivoque. Un sourire parle. Un sourire, c’est éphémère, ça ne dure qu’un instant. Celui-là semblait avoir été taillé dans un bloc de résine. Il devait être l’œuvre d’un orthodontiste. Solidité et brillance garanties dix ans.

Était-il de circonstance ? Associée généralement à des réjouissances collectives, une caméra appelle l’hilarité des muscles. Le sourire se faisait, ici, plus machinal, comme l’appareil qui l’avait enregistré. Le lieu n’invitait pas au relâchement. Il poussait plutôt au garde-à-vous. Comment rester naturel face à un robot ? Peut-on être vif et alerte dans un caisson de métal ? Cette mimique, sortie d’une boîte de conserve, manquait de fraîcheur et, fatalement, virait à la grimace, au tic nerveux.

En dépit de son conditionnement, ce demi-masque de comédie m’intrigua. Il constituait le point fixe d’un tableau vivant. Sa charnière autour de laquelle tous les autres éléments gravitaient : la posture du visage, l’implantation des cheveux, les vêtements, les gestes de la main. Autant de micas qui se recomposaient à l’infini, comme un kaléidoscope pivotant sur son axe. À tel point que je crus au début avoir affaire non pas à un mais plusieurs individus, chacun réductible à quelques attributs remarquables, et tous affublés du même rictus figé.

L’effet d’optique ne résistait pas à un examen plus attentif. Derrière ce sourire inaugural, il n’y avait qu’une seule personne. Un inconnu résumé à son buste en hermès, un homme-tronc et manchot enfermé dans un petit rectangle de carton bordé d’un contour blanc. Des tirages de dimensions standard : 3,5 centimètres de large, 4,5 centimètres de haut, le format prévu pour un passeport ou un permis de conduire. Quoi de plus banal ? La photo d’identité figure parmi les choses les mieux partagées du monde. Reliquats administratifs, miroirs d’une jeunesse perdue, on en possède tous quelques exemplaires démonétisés enfouis au fond d’un tiroir.

Pris séparément, ces portraits conformes ou déclarés tels ne présentent à dire vrai qu’un intérêt modéré. À quelques exceptions près, ils n’appellent pas de commentaire particulier. C’est inévitable. Un photomaton ne fait pas de miracle. Règles de prises de vue simplifiées à l’extrême, usage du flash qui écrase les blancs et gomme les reliefs, afin d’obtenir une image uniforme, cadrage et distance imposés. Tous ces visages successifs étaient installés dans la même forme monotone.

Ce qui me frappait, c’était leur nombre. Ils composaient une masse compacte, une multitude homogène, issue par scissiparité d’une même matrice. Ils défilaient derrière un film de cellophane, en colonnes par quatre ou cinq, droits, impassibles, telle une armée de clones. Entassés les uns contre les autres, alignés en rangs serrés sur des feuilles cartonnées jaunies par le temps, ils remplissaient un cahier entier.

Avec sa reliure en similicuir marbrée de vert, poisseuse au toucher, sillonnée de ridules noirâtres, l’album ressemblait à un vieux grimoire. Lourd, volumineux, plein de poussière, il exhalait des relents de bas-fond. On s’attendait à y dénicher des signes cabalistiques, des rites occultes. On tombait sur des centaines de selfies. Précisément, sur trois cent soixante-sept clichés en noir et blanc et deux en couleurs, tous ou presque réalisés dans une cabine automatique de photographie, comme l’attestaient le cadre unique, la focale fixe, la lumière venue de face et l’éternel rideau en arrière-plan.

Rien à voir avec un ensemble disparate, accumulé au fil des ans, avec des souvenirs glanés ici et là, réunis dans un même volume, parce qu’il faut bien les classer quelque part. L’objet que je voyais pour la première fois ne relevait pas du hasard, de la nostalgie, de la rareté, de l’instant soigneusement sauvegardé, mais de la production en série, d’une forme d’usinage. Il participait d’une entreprise méthodique, quasi obsessionnelle, presque sans limites.

« Le type est ouf, tu ne trouves pas ? » me lança la productrice de cinéma au moment où je redressais la tête. En toute chose, elle manifestait un égal enthousiasme. « Quand j’ai vu ça, c’était l’hallu totale. » Par habitude, elle m’avait tutoyé d’emblée. Les mêmes réflexes professionnels l’amenaient à abuser de superlatifs et à manger la moitié des mots. Je venais de perdre mon emploi quand elle m’avait invité à déjeuner dans une cantine vietnamienne située en face du bureau de sa société baptisée Les Copains d’abord. Cela faisait longtemps qu’elle souhaitait faire quelque chose de cet album trouvé aux puces quatre ans plus tôt. Elle voulait me le confier pour que j’en tire la matière d’un synopsis. Elle hésitait entre le documentaire et la fiction, entre, disait-elle, un « rail réaliste » et un autre « plus loufoque », « plus déjanté ». À l’entendre, tout paraissait ouvert. Je pouvais laisser libre cours à mon imagination. « Et si le film ne se fait pas, tu pourras toujours en faire un livre », ajouta-t-elle pour me convaincre.

Elle se disait fascinée par ce jeune homme affligé d’une curieuse manie, celle d’accumuler des images à son effigie, toujours différentes, en proie à de perpétuelles mutations, à des métamorphoses infinies, qui semblaient explorer toutes les possibilités de son être. Il était un et multiple. Il faisait collection de lui-même et d’autrui. « C’est quelqu’un et tout le monde à la fois », remarqua fort à propos la productrice.

Il ne se contentait pas de vous regarder de face avec son sourire carnassier. À la longue, il paraissait se lasser de son « cheese » sur commande. Une crampe des muscles bucco-faciaux, peut-être ? Entre deux murs de blancheur, il montrait son profil découpé à la serpette, le droit le plus souvent, écartait les babines et contemplait le plafond ou peut-être un au-delà céleste. Aspiré par une lumière surnaturelle, son visage était soudain en extase. Il lui arrivait aussi de poser de trois quarts, les yeux encore une fois levés, touchés non plus par la grâce mais par un optimisme résolu, tourné vers un avenir radieux, une aube nouvelle, tel un candidat sur une affiche électorale.

À la moitié du recueil, il semblait progressivement gagné par la mélancolie et arborait un masque triste à la Buster Keaton. Sur plusieurs planches, il se montrait lymphatique et nuageux. Plongé dans ses pensées, il paraissait indifférent à la présence de l’objectif, fermait les paupières, courbait l’échine. Clic ! Il simulait une gueule de bois, paupières mi-closes, lèvres pendantes. Clic ! Appuyait sur sa tête comme si elle allait exploser. Clic ! Affectait l’ennui en étouffant un bâillement. Clic ! Fumait une cigarette qu’il tenait en évidence, entre le majeur et l’index. Puis retrouvait son entrain et riait aux éclats. Clic ! Ou émettait un ricanement plus grinçant, plus sardonique. Clic !

De nouveau, il faisait le pitre. Il jouait. Au jeune premier, au mauvais garçon, à l’employé modèle, à l’agent secret, lunettes noires et costume gris. Il endossait des rôles. Tantôt Elvis, coiffure gominée, chemise ouverte au col pelle à tarte, rictus charmeur, tantôt Raspoutine, les deux globes exorbités, la chevelure en bataille. Un prophète sorti de l’asile.

C’était à chaque fois une saynète différente. Quelqu’un avait-il crié, de l’autre côté du rideau ? Il tendait l’oreille et dessinait un cornet avec sa main, avec l’exagération d’un Pierrot sur le qui-vive. Plus loin, il décochait une œillade de crooner, dans le style du studio Harcourt, le menton appuyé sur l’index, le pouce dressé le long de la joue, montre d’aviateur au poignet, mèche rebelle, col de chemise largement ouvert au-dessus de la veste à carreaux. Il exécutait une pantomime. Il nous parlait en silence. Quand il ouvrait la gueule jusqu’à se décrocher la mâchoire, on l’entendait presque pousser un ah ! comme chez le médecin. Page après page, il enchaînait ses numéros, avec son air tour à tour satisfait, entendu, étonné, farceur, narquois, vaguement strabique, grave ou alors habité, presque fou, limite inquiétant.

Il semblait parfois promouvoir une boutique de postiches en tous genres : barbe courte de hipster, toison fournie de vieux loup de mer, bouc méphistophélique, rouflaquettes à la rockabilly, moustache en brosse ou pyramidale… Il changeait de système pileux presque aussi souvent que de tenues vestimentaires. Confondant son photomaton avec un salon d’essayage, il alternait le complet-veston et des tenues plus décontractées, un blouson clair en cuir souple, une canadienne au revers en peau de mouton, un ciré de marin, des pulls en tergal à col roulé, pareils à ceux qui habillaient les Compagnons de la chanson. À force, il devait avoir épuisé l’ensemble de sa garde-robe. À intervalle régulier, je le voyais réapparaître avec les mêmes vêtements, au rythme, je suppose, de ses lessives, de ses obligations professionnelles ou tout simplement de ses préférences. Histoire d’introduire un peu de variété, il s’autorisait, ici et là, une touche de fantaisie : un foulard, une écharpe écossaise, une chemise disco satinée, une cravate à fleurs, un maillot à rayures mode babygro.

Sur la page de garde, il avait écrit : « Album de l’année 1973-1974 ». Au singulier, comme s’il faisait référence à un cursus universitaire, un cycle couronné par un examen. La période évoquait le coup d’État de Pinochet, la fin de la guerre du Vietnam, le poncho en laine de lama, les robes indiennes, les bâtons d’encens, la tour Montparnasse ou les films de Pierre Richard. Et si son sourire était celui d’un étudiant post-soixante-huitard ? S’il répondait à une époque ? À une injonction au bonheur ? Un appel à jouir sans entraves ? Et si tout ceci n’était que l’expression d’une jeunesse hédoniste et narcissique ? Le symbole d’une société du spectacle ?

Ses séances de pose avaient dû s’échelonner sur une longue durée. On ne troque pas une paire de bacchantes finement taillées pour une barbe touffue en un claquement de doigts. Ses innombrables changements capillaires et pileux témoignaient du passage du temps. C’était comme regarder quelqu’un vieillir en accéléré dans une conserve inoxydable. En feuilletant son portfolio, je voyais ses traits s’épaissir et les premières ridules apparaître autour de ses yeux en amande. Sa figure tout entière bougeait, évoluait par à-coups, à la manière d’un de ces petits livres animés pour enfants.

Je n’avais plus en face de moi l’homme qui rit, mais un personnage solitaire et fragile. Il me donnait l’impression d’un prisonnier enchaîné à sa propre image. Sa boîte, c’était son panoptique, son quartier d’isolement, sa cellule de poche. Dans photomaton, il y a le mot maton. Un gardien de délit de faciès. Une phrase de Guy Debord me revint : « Plus il contemple, moins il vit. »

Vous ne choisissez pas une histoire. Elle s’impose à vous. Elle déboule sans prévenir, l’air de rien. Vous la chassez. Elle revient. A priori, elle ne vous concerne pas. Elle semble même assez éloignée de vos préoccupations, et pourtant elle vous touche. Vous essayez de comprendre pourquoi sans y parvenir. Vous ne savez pas par quel bout la prendre, jusqu’au moment où vous percevez une note familière, comme un écho assourdi de votre musique intérieure, et, doucement, vous vous laissez gagner. Elle vous trotte dans la tête, pareille à une rengaine. Vous êtes fatigué de la ressasser, mais impossible de s’en défaire. Elle finit par vous obséder. Il n’existe alors plus qu’un seul moyen pour s’en débarrasser : l’écrire.

Et même là, face à votre écran, vous n’êtes pas davantage maître de la situation. L’histoire vous joue des tours, elle vous embringue, et, parfois, vous avale tout cru. Sans le vouloir, vous en faites partie, vous devenez l’un de ses personnages. Cette histoire, non content de m’envahir, allait m’entraîner dans une longue suite d’épreuves.

Au début, il ne s’agissait que d’un jeu de piste, de partir à la poursuite d’un inconnu, de reconstituer sa vie et, à défaut, de l’inventer. Pris dans son sens littéral, un album, c’est une page blanche. On peut y mettre ce qu’on veut.

À chacune de nos rencontres, la productrice émettait sur celui qu’elle appelait par commodité « John Doe » de nouvelles hypothèses. Un jour il était « barge », un autre « gay », un troisième elle en faisait une sorte de Fantômas, un personnage clandestin et insaisissable. Elle était convaincue que son album recelait un secret. À cause d’une étiquette, décolorée par le temps, apposée au verso de la quatrième de couverture. Un rectangle jaunâtre dont je relus plusieurs fois la suscription rédigée en capitales et en caractères gras, comme pour mieux en souligner l’importance : « EN CAS D’ACCIDENT, PRIÈRE DE CONTACTER le consulat d’ISRAËL, 3, rue Rabelais, à Paris 8e. »

Que cherchait-il à entrevoir avec son scanner ? Lui-même ? Quelque chose en lui ? Une vérité cachée au plus profond de son être ? Et que faisait-il quand il en sortait ? Rentrait-il chez lui ? Avait-il même un logement ? Une femme ? Des enfants ? Des amis ? Un métier ? Ou alors ne vivait-il que pour ces brefs moments sous les rayons de sa machine ? Combien de temps laissait-il passer entre deux séances de pose ? Quelques jours ? Plusieurs semaines ? Changeait-il à chaque fois d’automate pour brouiller les pistes, ou retournait-il toujours au même endroit par habitude ou fétichisme ? Quelle tête affichait-il, une fois revenu dans la vraie vie ? Celle qu’il arborait sur son ruban blanc ? Promenait-il son sourire pétrifié parmi la foule ou le réservait-il à son miroir sans tain ? Faute de l’avoir aperçu ailleurs que dans un isoloir, je l’imaginais mal à l’aise en public, d’un tempérament taiseux et distrait, enclin à la rêverie, porté davantage à la contemplation qu’à l’action. À tort, sans doute. Je n’avais aucune certitude à son sujet. Que des questions.

Après toutes ces années, à quoi ressemblait-il ? Je ne l’avais vu qu’assis sur sa chaise tournante, dans sa posture figée, quasi hémiplégique. J’ignorais s’il était petit ou grand, maigrichon ou ventru. Aurais-je pu seulement le reconnaître si je l’avais croisé à l’improviste dans la rue ? Tout signalement comporte une date de péremption au-delà de laquelle il n’est plus valide. Par-dessus tout, il me manquait l’essentiel : son regard, qui ne peut être saisi que dans l’échange, dans la confrontation avec autrui, son air par nature volatil, sa manière de se tenir, de marcher, la lourdeur ou la vivacité de ses gestes, la modulation de sa voix, tout ce par quoi il différait de ses semblables, ce qui ne pouvait être gravé sur une plaque aussi sensible soit-elle, cette chose imperceptible qui faisait qu’il était lui et pas quelqu’un d’autre.

Était-il encore vivant ? Le sort réservé à son cahier vert, le simple fait de l’avoir entre les mains, incitait malheureusement à penser le contraire. Un tel objet qui touche au corps, à l’intime, n’aboutit pas sur la table à tréteaux d’un chiffonnier comme ça. On sème rarement des petits bouts de soi à la ronde, sinon, peut-être, pour échapper à quelque chose, dans une forme de mutilation réflexe, comme un lézard avec sa queue.

La productrice raffolait de ces vieilles photos qui, à l’occasion, lui servaient d’outils de travail. À force de récolter les souvenirs des autres, généralement sur les marchés, via des chineurs qu’elle connaissait, elle en avait déduit une règle qui présentait l’avantage de résoudre l’épineuse question du droit à l’image : « Quand tu tombes sur ce genre de trucs, tu peux être sûr que la personne est décédée », répétait-elle.

Un album à l’abandon en guise de faire-part. Je ne comprenais pas pourquoi je ressentais une telle tristesse à cette idée somme toute banale, inhérente à un art voué au passé. J’avais beau savoir que, par essence, la photographie enregistre ce qui n’est plus, je refusais d’admettre que tous ces yeux, ces petits éclats parvenus jusqu’à moi, après avoir cheminé pendant des décennies, aient pu correspondre à un astre mort.

Je me méfie des images, des écrans, de tout ce qui fait obstacle entre moi et les autres. Les hygiaphones m’intimident. Les grillages m’oppressent. En ces temps où un verre de pinard agité devant l’œilleton d’un ordinateur tient lieu d’apéro entre copains, j’exècre plus que jamais les filtres et les barrières. Sans même attendre cette virtualisation forcée du monde, j’ai toujours été convaincu que rien ne remplace une rencontre. Ce sont les aveugles qui ont raison. Comme eux, je ne crois qu’au toucher, à l’ouïe, au souffle, à l’odorat, aux embrassades. Le reste n’est qu’illusion. J’apprécie les tête-à-tête, pas les vis-à-vis, ce gouffre entouré d’immeubles. Les fenêtres sur cour ne nourrissent que des malentendus et des fantasmes.

Rien de plus froid, de plus lisse, de plus trompeur qu’une effigie certifiée aux normes. Peut-on reconstituer une existence à partir d’un buste ? Je ne disposais que d’un détail, d’une synecdoque. La partie pour un tout, pareille à une relique. Je devais redonner à cette pièce fragmentaire ce qu’elle était supposée établir au départ : une identité.

Je n’allais pas la trouver aux puces. Méfiant sans être agressif, toujours pressé, même quand il n’avait rien à faire, mon vendeur rechignait à dévoiler l’origine de sa marchandise. « J’ai pas le temps », me déclarait-il à chaque fois, y compris durant la semaine, lorsque son bord de trottoir était désert. Les mains dans les poches, les épaules rentrées, il semblait fermé comme une huître. « Appelle-moi plus tard », ajoutait-il en désignant le zéro-six étalé à l’arrière de son camion. La convivialité chez lui se limitait à l’usage du tutoiement. Mes coups de téléphone tombaient toujours au mauvais moment. « Là, je peux pas te parler, j’entre en clientèle », répondait-il invariablement, ce qui, dans sa bouche, signifiait qu’il dépeçait un appartement.

Les brocanteurs n’aiment pas évoquer la manière dont ils s’approvisionnent. Quand on les interroge sur la provenance de leur bric-à-brac, ils recourent à un terme vague qui les dispense de préciser les conditions dans lesquelles ils l’ont acquis. Ils disent l’avoir « sorti », comme on tire quelqu’un d’un mauvais pas. D’où exactement ? D’un débarras ? D’un autre étal ? D’une benne à ordures ? Impossible de s’en souvenir. »

Extraits
« Je ne partais pas de zéro. C’était même tout le contraire. Je me débattais avec l’infini. L’homme que je cherchais procédait par accumulation. Il élevait des montagnes. Loin de léguer à la postérité une feuille immaculée, il laissait un fouillis inextricable. Pas le moindre espace vacant. Sur chacune de ses planches, il amoncelait, comme s’il déversait le trop-plein de lui-même. Il multipliait les indices ou peut-être les pièges, des trompe-l’œil destinés à induire en erreur les générations futures. Comment savoir? Il submergeait ses improbables lecteurs de détails a premier abord sans importance qui, mis bout à bout, semblaient former un gigantesque puzzle.
À défaut d’accéder à son identité, à ce quelque chose qui le distinguait de tous les autres, je pensais tenir un début d’état-civil. Au début et à la fin du cahier, de grosses étiquettes rectangulaires, semblables à celles qui autrefois tapissaient les malles-cabines, couvraient les pages de garde.
Un nom et un prénom revenaient sans cesse: B’chiri Jacob. Libellés dans cet ordre. Suivait une adresse à chaque fois différente.
« B’chiri Jacob c/o Casa Gizzi, via R. Cadorna 29, Roma (Italie) ». « B’chiri Jacob c/o Kaufmann Lutz Inn, Margarethenstr. 22, 4051 Basel (Suisse) », « B’chiri Jacob c/o Pillet Jean, 24, Saint-Nizier, Quincié-en-Beaujolais, 69 (France) ». Et ainsi de suite. L’homme ne tenait pas en place.
Cet inconnu mettait son nom partout comme s’il anticipait son anonymat futur. Il l’inscrivait sur chaque vignette jusqu’à plus soif, sans omettre l’apostrophe entre la première et la deuxième lettre de son patronyme. À la ligne suivante, d’un discret « c/o », il le confiait «aux bons soins» de ses hôtes du moment. Tel un colis. Un fardeau que l’on devine encombrant, lourd à porter, et aussi fragile, nécessitant vigilance et attention. Car, à l’évidence, c’était bien ce nom, ce bagage, cette étiquette accolée à chacun de nous, qu’il interrogeait à travers ses autoportraits équivoques et ses mouvements erratiques. »
p. 42-43

« Comment Jacob B’chiri vivait-il sa proximité avec les morts? Je ne pourrais jamais le lui demander. Shimon Mercer-Wood avait enfin retrouvé sa trace dans les dossiers de l’ambassade. « Il est décédé le 24 mai 2014, à Paris, m’écrivit-1l. Il a été inhumé en Israël, à Beer-Sheva. Je regrette de ne pas pouvoir vous fournir des informations plus satisfaisantes. »
J’avais beau m’y attendre, la nouvelle m’affligea. C’était comme si je venais de perdre non pas un ami, le mot est trop fort, ni même une connaissance, mais un familier, quelqu’un dont la présence m’était devenue habituelle et à laquelle j’accordais une importance que j’ai toujours du mal à expliquer. » p. 99

« En la matière, je suis au regret de dire que l’élève des Beaux-Arts ne fait preuve d’aucune originalité — et sans doute est-ce la raison pour laquelle il gardera son trombinoscope pour lui et ne le montrera qu’à ses frères et sœurs, puis le remisera au fond d’un carton.
Avant lui, il y a eu André Breton et ses amis surréalistes, le maître du pop art Andy Warhol et sa Factory, ou Richard Avedon qui, dès la fin des années 1950, convie les stars de son époque dans le photomaton de son studio new-yorkais. Durant cette même année 1972, l’artiste italien Franco Vaccari installe à son tour une cabine à la Biennale de Venise et invite les visiteurs à laisser sur les murs une preuve en celluloïd de leur passage. Ils sont quarante mille à se prêter à l’expérience. Notre héros en fait-il partie? Après, il y aura Cindy Sherman, Michel Folco et son double, le personnage de Nino dans Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain. Et bien d’autres encore.
Il ne consacre à tout cela qu’un mi-temps, car il doit, par ailleurs, gagner sa croûte. Il a toujours été dans la dèche. À qui pourrait-il demander de l’argent? Sa famille n’a pas un rond. Il ne peut même pas se payer un loyer. » p. 191

« Jacob, ce héros. Pour tout le monde, c’est le fils prodige, celui qui a réussi. Comment ne pas attribuer à un tel personnage quelques actes de bravoure ? Il n’en fait pas étalage ? C’est qu’il n’a pas le droit d’en parler, tout simplement. Sa réserve, ses mystères, ses silences reflètent son désir de passer inaperçu. Et puis, les gens les plus remarquables ne sont-ils pas aussi les plus modestes ? Ses échecs apparents, son incapacité à trouver sa voie ne peuvent s’expliquer que par l’existence d’une double vie. Il n’est ni artiste, ni architecte, ni professeur d’hébreu, ni fourreur, ni électronicien, ni même agent de sécurité. Ce ne sont là que des couvertures. Ce qu’il est ou plutôt ce qu’il était réellement, Itzhak pensait le savoir. Il n’en était pas sûr, mais comment peut-on l’être dans un univers où règne les faux-semblants? » p. 197

À propos de l’auteur
BOLTANSKI_Christophe_©Philippe_MatsasChristophe Boltanski © Photo Philippe Matsas

Né en 1962 à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), Christophe Boltanski a été grand reporter à «Libération», au «Nouvel Observateur», et rédacteur en chef de la revue «XXI». Il est l’auteur de Minerais de sang, de La Cache, qui a reçu le prix Femina en 2015 et de Le Guetteur (2018). (Source: L’Obs / Éditions Stock)

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Hôtel Waldheim

VALLEJO_hotel_waldheim

En deux mots:
Une carte postale énigmatique dans le courrier du jour va réveiller les souvenirs de Jeff Valdera. En accompagnait sa tante à l’hôtel Waldheim de Davos, l’adolescent de seize ne se doutait pas du rôle qu’il a joué alors dans la partie de chasse qui se déroulait la fin des années soixante-dix entre les Allemands fuyant la RDA et la Stasi.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Les Grisons, nid d’espions

François Vallejo est en course pour le Goncourt avec un roman d’initiation qui se double d’un thriller se déroulant durant la Guerre froide. N’hésitez pas à monter dans le train rouge qui va jusqu’à Davos.

«Personne n’arriverait à croire qu’une survivance des moyens de communication les plus archaïques comme une carte postale puisse bouleverser un homme, moi, la vie d’un homme, la mienne; une carte postale.» Les premières lignes du nouveau roman de François Vallejo – que j’ai lu avec Un dangereux plaisir – nous en livrent d’emblée le programme. Le facteur vient d’apporter une carte postale représentant un hôtel à Davos et quelques lignes énigmatiques et anonymes qui doivent lui rappeler «queqchose». Une seconde carte reçue un peu plus tard va à peine être plus précise, mais déclencher chez son destinataire la machine à souvenirs: « Je laisse aller les images, ça ne s’arrête plus, qu’est-ce qui m’arrive? Un étranger non identifié a ce pouvoir, avec deux bouts de carton ringards, de déclencher chez moi une sorte d’enquête sur mes vacances de petit prétentieux minable de la fin des années soixante-dix. Et j’ai l’air d’y trouver mon plaisir. Des sensations auxquelles je ne pensais plus depuis longtemps m’agitent, alors qu’elles ont une valeur toute secondaire, l’ordinaire d’un adolescent en virée provisoire à l’étranger… »
Voilà Jeff à quinze ans dans le train de nuit qui va de Paris à Zurich en compagnie de sa tante Judith. Ensemble, ils se rendent à Davos respirer le bon air des Alpes suisses. Les deux jeunes Suissesses qui offrent à l’adolescent la vue de leur corps nu et son premier émoi amoureux suffiraient à son bonheur. Car pour le reste, hormis quelques impressions, le train rouge montant vers la station des Grisons, le plateau de viande séchée offert par l’hôtelier pour accueillir ses pensionnaires, il n’y a guère que quelques visages qui surgissent du néant. « Je fais le tour des visages de ce temps-là, à l’hôtel Waldheim, en premier le patron, Herr Meili, qui a pas mal compté pour ma tante, et aussi pour moi ; le personnel, oublié, sauf Rosa, sorte de gouvernante toujours en service, malgré son grand âge ; des ; des clients solitaires, des couples, des familles en vacances, tous installés dans la vie, à l’aise, de nationalités diverses (…) un noyau d’habitués, comme Mme Finke, le seul nom précis qui me revienne… »
Sauf que son mystérieux correspondant va finir par se dévoiler et lui permettre de se rafraîchir la mémoire. Frieda Steigl lui donne rendez-vous près de chez lui, à Sainte-Adresse, pour lui expliquer la raison de ses courriers et le mettre en face de ses responsabilités, car elle le croit coupable d’avoir aidé les espions de la Stasi et d’avoir provoqué un terrible drame. Car Frieda a pu remonter une partie de son histoire familiale grâce aux archives de la police politique de l’ex-RDA mise à disposition des personnes mentionnées ou de leurs descendants après la chute du mur. Si, sur les documents en sa possession, il se confirme que des espions étaient bien présents dans la station grisonne et que l’hôtel Waldheim servait bien de plaque tournante pour l’accueil de personnalités ayant pu franchir le rideau de fer et trouvé refuge à l’Ouest, Jeff n’aura du haut de sa jeunesse, de se candeur et de sa soif de découvertes n’été qu’un chien dans un jeu de quilles.
Pour lui, l’été à l’hôtel Waldheim se sont des jeux de go et d’échecs, des promenades en montagne, la découverte de l’œuvre de Thomas Mann, à commencer par La Montagne magique qui s’impose dans le lieu même où se situe le sanatorium décrit par l’auteur de Mort à Venise et Les Buddenbrook, ainsi que l’éveil de la sensualité. Il a bien observé et espionné, mais pour son propre compte plus que pour répondre à la demande de Herr Meili.
Mais Frieda Steigl ne l’entend pas de cette oreille et finira par mener son interlocuteur sur les lieux de son soi-disant forfait. C’est là que François Vallejo va lever le voile sur ce roman d’initiation qui éclaire une époque, celle de la Guerre froide.
Un roman prenant comme un bon thriller, une écriture précise et soucieuse de n’omettre aucun détail. Bref, une œuvre que le jury du Goncourt a bien raison de sélectionner pour son prestigieux prix littéraire.

Hôtel Waldheim
François Vallejo
Éditions Viviane Hamy
Roman
304 p., 19 €
EAN : 9782878589887
Paru le 30 août 2018

Où?
Le roman se déroule principalement en Suisse, à Davos ainsi qu’à Zurich. On y évoque aussi Berlin et l’ex République Démocratique allemande et la France et notamment Sainte-Adresse.

Quand?
L’action se situe des années soixante à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
À l’entendre, j’étais très fort, à seize ans, pour tout effacer, et ça continue. Pourtant, à force de déblatérer sans réfléchir, j’ai commencé à lui prouver et à me prouver que je me suis fourré dans de drôles de situations. Si quelqu’un m’avait dit hier : tu t’es comporté comme le pire voyeur, pour surprendre un couple dans son lit, je ne l’aurais pas cru. C’est revenu tout seul, devant cette fille dans son fauteuil. Je sentais son souffle sur ma peau, incroyable ce qu’elle m’insuffle. Presque malgré moi, j’ai reconstitué la scène oubliée. Et d’autres. Elle va finir par me convaincre que je lui cache quelque chose. Que je me cache quelque chose ? Comme l’impression de rencontrer un inconnu qui s’appellerait Jeff Valdera. Et dans le genre inconnu, elle se pose là aussi, avec ses questions insistantes…
Lors de ses séjours avec sa tante à Davos, à l’hôtel Waldheim, l’adolescent Jeff Valdera n’aurait-il été qu’un pion sur un échiquier où s’affrontaient l’Est et l’Ouest au temps de la guerre froide?
Inventer sa mémoire ou inventer sa vie? C’est la question à laquelle tente de répondre François Vallejo avec Hôtel Waldheim, son roman le plus intime. Mais n’est-ce pas cette même quête qui traverse son œuvre depuis vingt ans, que ce soit dans Madame Angeloso (prix France Télévisions), Ouest (prix du Livre Inter) ou encore Un dangereux plaisir?

Ce livre a été sélectionné par France Culture parmi les romans de la Rentrée littéraire 2018: « Tous ceux qui aiment les romans à tiroirs, l’espionnage, l’univers de Thomas Mann, les montagnes là-haut des sanatoriums de Davos, les histoires de transfuges de la RDA… C’est un très bon livre. » Sandrine Treiner

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Télérama (Gilles Heuré)
Blog Action-Suspense
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Blog Enfin livre (Nicole Volle)


François Vallejo vous présente son ouvrage Hôtel Waldheim © Production Librairie Mollat

Les premières pages du livre
« Personne n’arriverait à croire qu’une survivance des moyens de communication les plus archaïques comme une carte postale puisse bouleverser un homme, moi, la vie d’un homme, la mienne ; une carte postale.
Inhabituelle dans mon courrier. Je tombe dessus ce matin. Tout de suite frappé par ses particularités, pour ne pas dire ses anomalies : un modèle ancien, aux couleurs défraîchies, la partie réservée à la correspondance d’un blanc jaunissant. J’ai pensé : une de ces histoires où une lettre égarée parvient à une adresse donnée, parfois en l’absence de son destinataire disparu pour cause de déménagement ou de décès, après vingt ou trente ans d’errance.
Ce n’est pas le cas, le nom de Jeff Valdera, le mien, précède mon adresse actuelle, d’ailleurs récente. Le timbre, d’un rouge vif, porte la mention de l’année en cours, le tampon, noir, net et frais, indique la date du 1er février dernier. Nous sommes le 3.
Je cherche une trace du signataire : nouvelle anomalie, il n’apparaît pas à la place usuelle, sous le message, pas plus ailleurs, introuvable. Le message, parlons-en, est-ce un message ? Réduit à une brève question, inscrite en travers, dans une langue à la fois familière et fautive : « Ça vous rappel queqchose ? »
La personne se croit-elle suffisamment reconnaissable pour se dispenser de signer ? Cette graphie ronde et soignée ne m’évoque aucun proche, ce français approximatif non plus. Le vouvoiement impose une certaine distance.
La provenance de l’envoi me fournit une première indication : le timbre porte la mention Helvetia, le tampon précise le lieu d’expédition, Zurich, Suisse. Anomalie supplémentaire, la face illustrée, divisée en quatre vues égales séparées par deux lignes blanches, l’une verticale, l’autre horizontale, ne figure pas, comme on s’y attendrait, un monument ou un paysage zurichois.
Non seulement un expéditeur anonyme m’adresse aujourd’hui une carte vieille de plusieurs années ou dizaines d’années, mais il m’envoie de Zurich des images d’une autre ville du pays, distante de cent ou deux cents kilomètres, Davos, que, je ne peux pas le nier, j’ai reconnue instantanément.
Mon trouble vient autant de l’impression de familiarité immédiate que m’ont procurée ces quatre photos que du décalage temporel et de l’écart spatial opérés sournoisement par mon interlocuteur.
« Ça vous rappel queqchose ? » Oui, cela me rappelle vraiment quelque chose. J’ai fait plusieurs séjours, dans mon adolescence, en hiver puis en été, dans la petite ville suisse de Davos, canton des Grisons. Des paysages montagneux et enneigés occupent en arrière-plan les deux vues supérieures de la carte, tandis que les deux vues inférieures montrent l’intérieur et l’extérieur de l’hôtel où je séjournais habituellement ; la salle de restaurant à gauche ; à droite, l’enfilade des chambres en façade, avec leurs balcons de bois.
Je devine, sur la ligne de fuite formée par le toit plat, la première lettre de l’enseigne, un W, les autres se perdant dans la perspective. Le nom de l’hôtel Waldheim me revient pourtant aussitôt et sans effort. J’en trouve confirmation de l’autre côté de la carte, où ce nom, je le remarque seulement maintenant, est imprimé au-dessus de la question manuscrite, comme si la réponse la précédait : « Ça vous rappel queqchose ? » Hôtel Waldheim, 7260 Davos Dorf. J’y suis de nouveau.
Je tourne et retourne le carton, une carte promotionnelle à la disposition des touristes, à la réception de l’hôtel, que j’ai dû moi-même expédier à plusieurs correspondants, à la fin des années 1970, d’où mon sentiment brutal de déjà-vu et le bouleversement qui a suivi.
L’auteur de la carte n’a donc pas pour but de me donner de ses nouvelles ni de me faire part de son passage récent dans cet hôtel, selon les conventions datées de ce type de correspondance, mais de me signaler qu’il me connaît, possède des renseignements sur moi et, en particulier, sur une période éloignée de ma vie. Du mal à imaginer que mon adolescence présente le moindre intérêt pour un étranger.
Un étranger, oui, pas seulement au sens d’une personne que je connais mal ou pas du tout, plutôt quelqu’un de nationalité étrangère, maîtrisant mal le français écrit, confondant un nom et un verbe, rappel, rappelle, ne manquant pas, pourtant, d’une pratique relativement spontanée de l’oral, comme le révèlent le « ça » du début de la phrase et le « queqchose » relâché et presque phonétique de la fin. Je pencherais pour un représentant de la Suisse alémanique, plus à l’aise avec les parlers germaniques de la Confédération helvétique, mais apte à la conversation francophone. Quelqu’un que j’aurais croisé, dans cet hôtel des Grisons, vers quinze ou seize ans, pensant à moi des décennies plus tard ? Comme une petite amoureuse suisse ?
Sincèrement, je n’y crois pas, si je pense aux conditions de mes séjours, à l’invitation de ma tante Judith, célibataire endurcie, comme on disait alors, et qui aimait se faire accompagner de son jeune neveu qu’elle n’hésitait pas, quand l’occasion se présentait, à faire passer pour son fils, afin d’acquérir provisoirement le statut de mère de famille auquel elle regrettait de ne pas avoir eu accès.
Je fais le tour des visages de ce temps-là, à l’hôtel Waldheim, en premier le patron, Herr Meili, qui a pas mal compté pour ma tante, et aussi pour moi ; le personnel, oublié, sauf Rosa, sorte de gouvernante toujours en service, malgré son grand âge ; des clients solitaires, des couples, des familles en vacances, tous installés dans la vie, à l’aise, de nationalités diverses, quelques-uns surnagent (des marches partagées en montagne, des conversations en passant, des parties d’échecs ou de go, le soir) ; un noyau d’habitués, comme Mme Finkel, le seul nom précis qui me revienne… Les plus âgés, comme elle, sont morts depuis longtemps, les autres sont vieillissants ou carrément vieux. Le plus jeune de tous, hormis quelques petits enfants insignifiants, selon mon point de vue de l’époque, c’était moi. Aucune trace d’amoureuse dans les parages, même en élargissant le cercle aux rencontres extérieures à l’hôtel. Chercher ailleurs. Je n’y arrive pas.
Si cet expéditeur anonyme a le projet de me déstabiliser, c’est réussi. Je ne me détache plus de son unique question : « Ça vous rappel queqchose ? » « Queqchose ? » On dirait, et de plus en plus. »

Extraits
« La vieille Rosa, femme à tout faire de l’hôtel, sorte de gouvernante septuagénaire, veillait au service à table, avec des faiblesses que son âge accentuait : je l’ai vue plusieurs fois s’emmêler les pinceaux et faire voler un plat entre deux rangées, s’aplatissant elle-même sur une table, au risque de se fracturer un membre ou, à son âge, le col du fémur. Le reste du temps, elle chantonnait d’un air absent, en déposant, souvent avec maladresse, sa vue ayant baissé, les assiettes blanches devant chacun. Elle avait plutôt pour moi un potentiel comique : j’attendais sa chanson en arrière-fond et espérais son plongeon, au moins l’esquisse d’un déséquilibre, suivi du rattrapage in extremis d’une langue de bœuf à la sauce tomate, dont quelques giclures s’échapperaient. Ces gaffes répétées étaient admises de tous, elle bénéficiait de la bienveillance sans limite de Herr Meili, dont j’avais appris qu’elle avait été la nourrice. »

« Ma tante Judith ne me comprenait plus, première année que je me comportais mal en sa présence, alors que ce qu’elle aimait par-dessus tout en Suisse, depuis une quinzaine d’années, et dans l’hôtel Waldheim depuis deux ans, c’était la distinction compassée des populations rencontrées. Un de ses plaisirs était de constater que nous étions les deux seuls Français au milieu de clients de nationalités diverses, principalement Suisses, Allemands de RFA, Autrichiens, dans une moindre mesure Britanniques et Italiens. Elle se hissait, pensait-elle, plus facilement à la hauteur d’étrangers que de Français qui l’auraient identifiée à travers des codes nationaux plus familiers, se disait banquière, si une conversation l’entraînait sur le terrain professionnel, s’attribuant des responsabilités dans une grande banque dont elle n’était qu’une employée administrative. Se dire banquière en Suisse, je me disais qu’elle ne reculait devant rien. Elle avait ses rêves, que ce pays lui permettait d’accomplir, ou d’en avoir l’illusion. L’amabilité locale, renforcée par les limites linguistiques (elle ne connaissait de l’allemand que ses formules de politesse), ne l’obligeait pas à fournir le détail de ses fonctions. Elle se faisait aussi et souvent passer pour veuve, mieux que vieille fille dans son esprit, et mère (surtout pas célibataire, la honte dans ce milieu) de ce grand Jeff qui l’accompagnait. Comme nous ne portions pas le même nom, elle me recommandait, si on me le demandait, de ne fournir que mon prénom. »

« Une autre figure de l’hôtel a rendu mon séjour moins pesant. Pas croisée les trois premiers jours. Elle se tenait renfermée de plus en plus dans sa chambre, selon Herr Meili. Devant mon insistance, il l’a prévenue de notre arrivée, elle a fini par se montrer. Une dame âgée, vivant l’année entière à l’hôtel, sans être richissime, comme elle l’avouait elle-même, bénéficiant, comme je l’avais compris, d’un tarif privilégié depuis une quarantaine d’années, Mme Finkel ou plutôt, comme tous l’appelaient, Frau Finkel, d’origine allemande, hébergée à l’origine par les parents Meili.
Une quarantaine d’années par rapport aux années soixante-dix, cela signifiait la période de l’avant-guerre, la fuite devant le nazisme au pouvoir, plutôt excitant pour moi. Elle esquivait généralement mes questions sur le sujet, ne tenait pas à être identifiée comme une juive pourchassée et rescapée, un fond de secret à préserver, de vieilles histoires sans intérêt, selon elle, encore moins pour un garçon de quinze ou seize ans comme moi. Elle avait deux passions concurrentes, l’actualité immédiate qu’elle observait dans sa chambre grâce à un poste de télévision que lui avait fait installer Herr Meili et qu’elle regardait une bonne partie de la journée, et la littérature, en particulier celle de son compatriote Thomas Mann. »

« Je laisse aller les images, ça ne s’arrête plus, qu’est-ce qui m’arrive? Un étranger non identifié a ce pouvoir, avec deux bouts de carton ringards, de déclencher chez moi une sorte d’enquête sur mes vacances de petit prétentieux minable de la fin des années soixante-dix. Et j’ai l’air d’y trouver mon plaisir. Des sensations auxquelles je ne pensais plus depuis longtemps m’agitent, alors qu’elles ont une valeur toute secondaire, l’ordinaire d’un adolescent en virée provisoire à l’étranger… »

À propos de l’auteur
François Vallejo sait de mieux en mieux d’où il vient et cherche de moins en moins à savoir où il va. Géographiquement, et, comme son nom l’indique, il est à la croisée de voyageurs du sud et de stationnaires de l’ouest.
La seule voie qu’il persiste à suivre est celle du roman, et c’est pour lui un chemin de traverse. Il a exploré une dizaine d’itinéraires singuliers, depuis Vacarme dans la salle de bal, en 1998. Madame Angeloso et Groom ont constitué quelques étapes, suivies d’un Voyage des grands hommes qui l’a emmené vers l’Italie du XVIIIe siècle, avant de retrouver l’Ouest du XIXe en 2006, puis le XXe avec les Sœurs Brelan. Ces déviations historiques l’ont aidé à trouver sa voie dans le XXIe siècle, dont il a essayé d’éclairer quelques Métamorphoses en 2012. Il les pousse plus loin avec Fleur et sang, en 2014, où deux époques s’entrecroisent, deux histoires se confrontent, des hommes et des femmes s’entrelacent à travers le temps. Il considère que, sur ces routes secrètes de la vie et des romans qu’il découvre comme elles viennent, le plaisir d’aller dépasse le bonheur d’arriver. (Source : Éditions Viviane Hamy)

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