Seyvoz

KERANGAL_SORMAN_seyvoz  RL_Hiver_2022

En deux mots
Tomi Motz est appelé pour une mission de maintenance au barrage de Seyvoz. Mais arrivé sur place, rien ne va se passer comme prévu pour l’ingénieur. En parallèle à son séjour on lira l’histoire du village avant le barrage.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Un barrage contre l’oubli

Maylis de Kerangal et Joy Sorman ont uni leurs plumes pour raconter l’histoire du village englouti par l’édification du barrage de Tignes. Sur les pas d’un ingénieur arrivé pour la maintenance, on va découvrir l’esprit du lieu.

Quand Tomi Motz, après une longue route depuis Paris, arrive au barrage de Seyvoz, il a la désagréable surprise d’apprendre que Brissogne, qui l’a convoqué, ne viendra finalement pas. Résigné, l’ingénieur gagne l’hôtel d’Abondance où une chambre lui a été réservée. Après avoir regardé quelques épisodes d’une série, il s’endort du sommeil des justes.
C’est à ce moment que Maylis de Kerangal et Joy Sorman ont choisi d’insérer dans leur roman, avec une couleur d’encre différente, la chronique du temps passé, lorsque Seyvoz était encore un village de montagne. On pourra ainsi, au fil du récit découvrir l’histoire de Seyvoz, au moment où les habitants apprennent qu’ils n’ont plus que quelques jours à passer dans le village avant que ce dernier ne soit englouti sous les eaux de retenue du barrage. Le temps de célébrer un dernier mariage et les trois cloches de l’église de Notre-Dame-des-Neiges seront déposées. On ira même, suite à des débats enflammés, déterrer les morts du cimetière et leur offrir une nouvelle sépulture à quelques kilomètres de là. «Comme le garde champêtre refusait de le faire, c’est Beaumichel qui a donné lecture de l’ordre du préfet: abandon du cimetière de Seyvoz, exhumation, transfert et inhumation des corps dans le cimetière nouvellement ouvert du hameau du Ruz, autour de l’église que l’on finissait de bâtir, un fac-similé de Notre-Dame-des-Neiges dont les habitants de Seyvoz haïssaient l’idée, jurant qu’ils n’y foutraient pas les pieds.»

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Tout aussi fort en émotions, on suivra l’un des immigrés venu prêter main forte à l’édification de cet édifice monstrueux. Joaquim ne rentrera jamais dans son Portugal natal ou encore le vain combat de la dernière poignée de résistants opposés à la destruction de leur village.
À son réveil, Tomi entend retrouver Brissogne, lui dire son fait, assurer sa mission de contrôle des installations et rentrer à Paris. Mais son programme va à nouveau être perturbé. D’abord parce que Brissogne reste introuvable, ensuite parce qu’un grésillement bizarre émane d’une partie du barrage, enfin parce que Tomi a quelques problèmes de santé. Il n’a alors d’autre choix que de passer une nouvelle nuit dans hôtel qui affiche complet, bien qu’il ne croise personne dans l’établissement.
Le troisième jour va encore lui réserver quelques surprises que je vous laisse le plaisir de découvrir, à la frontière du voyage initiatique et du fantastique.
Les deux autrices ont habilement su mêler leurs plumes – elles ont parfois rédigé ensemble et se sont aussi répartis certains chapitres sans que l’on puisse attribuer le texte à l’une ou à l’autre – pour nous offrir différentes entrées, manières d’appréhender ce mur de béton qui depuis plus d’un demi-siècle barre la vallée de ses 180 m de haut et ses 300 m de long. En faisant revivre les habitants du village qui, au début des années cinquante, ont dû tout abandonner devant l’inexorable montée des eaux, en nous entrainant dans la vallée et même dans le lac à l’occasion d’une plongée mémorable dans les 240 millions de mètres cubes d’eau, on découvre combien ce lieu est chargé d’un esprit très particulier. Et nous donne l’envie d’une escapade dans les Alpes.

Signalons que Maylis de Kerangal et Joy Sorman seront à Paris à la Maison de la poésie le lundi 7 mars à 19h pour y présenter leur livre.

Seyvoz
Maylis de Kerangal
Joy Sorman
Éditions Inculte
Roman
110 p., 12,90 €
EAN 9782360841394
Paru le 23/02/2022

Où?
Le roman est situé en France, principalement à Tignes et dans les environs. On y évoque aussi Paris.

Quand?
L’action se déroule des années cinquante à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Tomi Motz, ingénieur solitaire, est mandaté par son entreprise pour contrôler les installations du barrage de Seyvoz, dont l’édification, dans les années cinquante, a entraîné la création d’un lac artificiel et englouti le village de montagne qui se trouvait là. Pendant quatre jours, Tomi arpente la zone. Sous l’effet d’un étrange magnétisme, sa mission se voit bientôt perturbée par une série de troubles sensoriels et psychiques. Autour de lui, le réel se dérobe ; tout vacille, les lieux et les comportements, les jours comme les nuits, et peut-être jusqu’à sa propre raison.
S’aventurant aux lisières du fantastique, ce roman sonde les traces d’une catastrophe. Maylis de Kerangal et Joy Sorman y font résonner une mémoire immergée mais insistante, et affleurer les strates de temps qui se tiennent dans les plis du paysage.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
goodbook.fr
Franceinfo Culture (Camille Bigot)
France Inter (Boomerang – Augustin Trapenard)
France Culture (Par les temps qui courent – Marie Richeux)
La Vie (Marie Chaudey)
Générations nouvelles (René Jeoffro)
Blog Un dernier livre avant la fin du monde
Blog Mumu dans le bocage

Les premières pages du livre
« Jour I
Il pense au lac de soufre du Kawah Ijen. Il se souvient de la jeep devant l’hôtel à deux heures du matin, l’air glacé de la nuit asiate, le trajet chaotique jusqu’au pied du volcan, le café dans les timbales en fer-blanc autour du brasero, les voix fines des guides javanais, puis l’ascension, la température qui se réchauffe à mesure que le soleil se lève, les premières silhouettes qui descendent de la montagne sur les sentiers étroits, ployant sous le poids des blocs de soufre maintenus dans des sacs à dos de fortune, l’odeur piquante et âcre des émanations de gaz, et enfin, donc, apparu au terme d’une nuit de marche, ce lac brûlant, toxique, dans lequel il ne fallait surtout pas tomber sous peine d’être dissous comme dans un bain d’acide.
Devant lui, le lac de Seyvoz est bien de ce même bleu opaque, d’une même luisance mate, et propageant cette même impression de liquide épais, stable. En surface, il remarque des auréoles plus sombres qui, c’est bizarre, ne correspondent pas au relief autour du lac mais semblent projetées depuis les profondeurs. Il plisse les yeux, tente de faire coïncider ces ombres, leurs emplacements, leurs contours, aux lignes du paysage, mais rien ne s’ajuste.

Tomi Motz a roulé depuis Paris, sept heures à vitesse constante au volant d’une Passat grise floquée Voltang sur les portières, il est seize heures et il est bien au rendez-vous. D’une main machinale, il éclate l’opercule d’une Nicorette au fond de la poche de son jean, la gobe et commence à mâcher tête renversée vers les crêtes montagneuses qui encerclent la retenue de Seyvoz. Les cimes sont blanches encore, éblouissantes, mais les flancs cérusés, austères, la roche brute, couleur d’acier frotté, maculée de plaques herbeuses à mesure que l’on descend les pentes et que s’efface le monde minéral. Tomi s’étire puis inspire à fond, cambré, les paumes plaquées sur les reins, le ventre écrasé contre le parapet de béton, il gonfle les poumons, siphonne les moindres particules atmosphériques, se frotte les mains, subitement content d’être là quand depuis Paris cette mission à Seyvoz, mordant sur le week-end, ressemblait à une punition – Million l’avait appelé la veille d’une voix assise, une voix qui avait les pieds sur un bureau et pivotait distraitement dans son fauteuil, une voix si basse que Tomi s’était concentré pour suivre le cours de sa phrase, prenant appui sur les rares mots audibles comme on traverse le gué d’une rivière en posant le pied sur des cailloux : « Seyvoz », « maintenance des installations », « contacter Brissogne ».

Seize heures onze. L’espace est silencieux, la route qui couronne le barrage est vide, seul un épervier de grande envergure plane au-dessus du lac, décrivant des cercles dans le ciel pur. Tomi ne connaît rien aux oiseaux de montagne, ne saurait distinguer un tétras-lyre d’un aigle royal mais commence lui aussi à tourner en rond entre le parapet du barrage et la Passat qui refroidit, troublé de ne pas voir apparaître Brissogne, lequel lui a pourtant envoyé dans la nuit un message outrant l’aridité professionnelle : rv barrage 15h, cldt CB.
Nouveau coup d’œil à sa montre, où la grande aiguille ne bouge plus. Tomi tapote le cadran, le presse contre son oreille, écoute, rien, sort son portable, seize heures seize, il espère un message de Brissogne lui signalant un problème, un retard, et par là même s’excusant, mais son téléphone ne capte rien. Tomi pivote, oriente l’appareil dans toutes les directions, agacé : la centrale électrique de Seyvoz, soit le plus important site producteur d’électricité de la nation, serait donc une poche de territoire sans couverture réseau, une zone blanche. »

Extrait
« Comme le garde champêtre refusait de le faire, c’est Beaumichel qui a donné lecture de l’ordre du préfet: abandon du cimetière de Seyvoz, exhumation, transfert et inhumation des corps dans le cimetière nouvellement ouvert du hameau du Ruz, autour de l’église que l’on finissait de bâtir, un fac-similé de Notre-Dame-des-Neiges dont les habitants de Seyvoz haïssaient l’idée, jurant qu’ils n’y foutraient pas les pieds. Une voix a percé de nouveau, aiguë, touchez pas à nos morts, salauds, alors le prêtre a entonné sa psalmodie et les villageois lui ont emboîté le pas vers le cimetière, où ils ont regardé les croques morts faire leur travail, hostiles et résignés. » p. 77

À propos des autrices
KERANGAL_SORMAN_©Renaud-MonfournyMaylis de Kerangal et Joy Sorman © Photo Renaud Monfourny

Maylis de Kerangal est l’auteure, entre autres, de Corniche Kennedy (2008), Naissance d’un pont (2010, prix Médicis, prix Franz Hessel), Réparer les vivants (2014, Prix des étudiants France Culture-Télérama, Grand Prix du Livre RTL-Lire), Un monde à portée de main (2018) et Canoës (2021), tous parus aux éditions Verticales.
Joy Sorman publie son premier roman en 2005, Boys, boys, boys, lauréat du prix de Flore. Suivent notamment, chez Gallimard, Gros œuvre (2009), Paris Gare du Nord (2011), Comme une bête (2012), La Peau de l’ours (2014), puis Sciences de la vie (Seuil, 2017) et À la folie (Flammarion, 2021).
Elles sont toutes les deux membres du collectif Inculte. (Source: Éditions Inculte)

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Giboulées de soleil

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Giboulées de soleil
Lenka Horňáková-Civade
Alma éditeur
Roman
340 p., 18 €
ISBN: 9782362791857
Paru en avril 2016

Où?
Le roman se déroule principalement en ex-Tchécoslovaquie ainsi qu’en Autriche. Si Brno, Prague et Vienne sont les villes les plus citées, on y évoque également Paris et les plages d’Istria et de la mer Baltique.

Quand?
L’action se déroule sur près d’un demi-siècle, des années 1930 à 1980.

Ce qu’en dit l’éditeur
Dans un style ample et tendre et des dialogues presque naïfs, Lenka Horňáková-Civade relate dans ce premier roman l’histoire d’une lignée de femmes bâtardes en Tchécoslovaquie de 1930 à 1980.
Elles s’appellent Magdalena, Libuse et Eva et partagent le même destin : de mère en fille elles grandissent sans père. Mais de cette malédiction, elles vont faire une distinction. Chacune a sa façon, selon sa personnalité, ses rêves, ses lubies, son parler et l’époque qu’elle traverse. Malgré elles, leur vie est une saga : Magdalena connaîtra l’annexion nazie, Libuse les années camarades et Eva la fin de l’hégémonie soviétique. Sans cesse des imprévus surgissent, des décisions s’imposent, des inconnus s’invitent. À chaque fois, Magdalena, Libuse et Eva défient tête haute l’opinion, s’adaptent et font corps. Au fond, nous disent-elles, rien n’est irrémédiablement tragique, même les plus sombres moments.
Ces héroïnes magnifiques, Lenka Horňáková-Civade les magnifie encore par son écriture solide et douce, brodée, ourlée, chantante. Moqueuse aussi lorsque la kyrielle de personnages secondaires – paysans, apparatchiks, commères… le requiert.

Ce que j’en pense
****
Quatre femmes puissantes. Voilà, à la manière de Marie Ndiaye un autre titre possible à ce roman fort et bouleversant qui met en scène Marie, Magdalena, Libuse et Eva. Leur point commun : elle naissant de père inconnu. Sous la plume de Lenka Horňáková-Civade cette malédiction se transforme en une sorte de certificat de résistance et de combativité. Quand s’ouvre le livre, nous faisons d’abord connaissance avec Marie quand elle découvre que sa fille Magdalena est enceinte. Les deux femmes, qui vivaient à Vienne au moment où les nazis s’apprêtent à déferler sur l’Europe, ont trouvé refuge dans un village tchèque proche de la frontière autrichienne. Magdalena résume son quotidien ainsi : « Je m’occupe des vaches, de la basse-cour, j’aide à la cuisine. Ça va faire quatre ans. Oui, je travaille ici. »
Ses patrons ont pu éviter la séquestration de leurs biens au sortir de la guerre en intégrant une coopérative et développent en parallèle une biscuiterie. Mais, se méfiant des réformes agraires annoncées, ils sont persuadés que l’avenir de leurs enfants est ailleurs et les envoient étudier dans la capitale autrichienne que Magdalena aimerait revoir avec le père de son enfant qui n’est autre que le fils du propriétaire. Mais, tout comme sa mère, infirmière au service d’un médecin juif – le père de Magdalena – qui disparaît du jour au lendemain, ce projet restera un vœu pieux. Car là encore, le père choisit la fuite, cette fois face à la montée du communisme.
Voilà du reste l’autre intérêt de ce livre qui se déroule sur plus d’un demi-siècle : il nous offre, à travers le destin de ces femmes, un témoignage historique sur l’évolution du pays avec quelques scènes d’anthologie : la réquisition de la vache de Magdalena par les autorités du village, représentées notamment par le maire qui a vendu la vache en question, l’arrivée en 1968 de quelques camarades de l’armée rouge visiblement perdus (les chars russes sont alors à Prague) ou encore l’inscription sur les registres de la coopératives de productions irréalistes : «S’il fallait boire tout ce lait que ces vaches sont censées donner, tout le pays pourrait se faire des bains de lait une fois par semaine».
Malgré les revers de fortune et le poids du communisme, les femmes conservent la ligne de conduite inculquée par Marie, toujours faire face, ne pas s’affecter des moqueries, des insultes ou même des coups, continuer de croire en ses rêves.
Si Libuse devra accepter le joug du communisme, sa fille Eva – qui a peu ou prou l’âge de l’auteur – vivra l’arrivée de Gorbatchev et pourra aspirer à une nouvelle vie et réaliser le rêve de sa mère, voir Paris.
Lenka Horňáková-Civade, qui s’est installée dans le Sud de la France, a écrit ce livre en français, sa langue d’adoption. Une manière de rendre hommage à la littérature qui l’a accompagnée et façonnée, comme elle l’explique dans une postface. Encore une belle découverte de cette année riche de nouveaux talents.

68 premières fois
Blog motspourmots.fr (Nicole Grundlinger)
Blog Le petit carré jaune (Sabine Faulmeyer)
Blog Les lectures du mouton (Virginie Vertigo)
Blog Les battements de mon cœur (Albertine)
Blog Bricabook (Leiloona)

Autres critiques
Babelio
Blog Unwalkers
Le Blog de Yv
Blog Le Mexicain jaune

Extrait
«Il faut le préciser, on est des bâtardes de mère en fille, comme certains sont boulangers ou rois. Aujourd’hui, il n’existe plus de boulangers. Ils ont été remplacés par des boulangeries industrielles qui crachent du pain sans âme (…). Les rois n’existent plus non plus et ont été remplacés, eux, par le Parti communiste. Il faut maintenant être communiste de père en fils. L’avantage avec le communisme, c’est que chacun peut l’adopter, alors que normalement il n’y a qu’un seul roi par pays. »

À propos de l’auteur
Lenka Horňáková-Civade, née dans la province de Moravie en actuelle République tchèque, vit dans le Sud de la France. Elle peint également. (Source : Alma éditeur)
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Focus Littérature

Les bonnes mœurs

GAGET_Les_bonnes_mœurs68_premieres_fois_Logo

Les bonnes mœurs
Timothée Gaget
Intervalles
Roman
400 p., 19,90 €
ISBN: 9782369560340
Paru en mars 2016

Où?
Le roman se déroule entre Paris, Saint-Germain-en-Laye, la Sologne et plus précisément à Bartenay, Valbrun, Romorantin et Montrieux, à Saint-Briac, Orléans, dans les lieux de villégiature du Sud de la France, le Lubéron, Marseille, Nîmes, Aix-en-Provence, Saint-Raphaël, Saint-Tropez, Port-Grimaud, Cannes, Le Cap-Ferret et Monaco. Courchevel vient compléter la liste.

Quand?
L’action se situe de 2011 à 2012.

Ce qu’en dit l’éditeur
Tristan est un banquier d’affaires parisien habitué à jongler avec les tableurs Excel et à enchaîner les nuits blanches. Lorsqu’on l’envoie à Romorantin sauver une imprimerie de la faillite, il emménage au château du Valbrun, chez son grand-père avec qui il avait perdu tout contact.
Dans l’isolement solognot, une relation complexe se noue peu à peu entre le vieil aristocrate cyclothymique et le jeune financier désabusé. Mais les élections législatives approchent et un ambitieux conseiller municipal veut faire de la construction d’un collège de réinsertion la clef de voûte de sa campagne. Son préalable, l’expropriation des bois du Valbrun, divise bientôt le petit village du Loir-et-Cher en deux camps.
Tristan, accompagné d’un extravagant voisin anglais, est entraîné malgré lui dans cette guerre de tranchées entre la droite rurale et la gauche technocratique. Car derrière les arguments écologiques et politiques, deux conceptions de l’Homme et de l’animal s’affrontent.
Dans la solitude de la forêt, loin de la vie débridée qu’il mène à Paris, Tristan s’enfonce dans l’univers traditionnel et contemplatif de la chasse, où les préoccupations charnelles ne sont pas les moins pressantes et où une espèce protégée de coléoptère peut mettre à mal les plans les plus infaillibles.
Les Bonnes Mœurs est un roman initiatique, mordant et sensible, au rythme endiablé d’une harde fuyant la meute.
Aussi à l’aise dans la caricature du monde de la finance que dans l’évocation de la chute des derniers hobereaux catholiques, aussi vivant dans la peinture d’une orgie parisienne que dans celle d’une partie de chasse, Timothée Gaget s’amuse à entrechoquer des décors au sein desquels les aventures amoureuses et familiales s’entremêlent aux questions sociétales. Il secoue aussi vertement la vieille dichotomie nature/culture. Dans cet hymne à la forêt, il partage surtout une vision sensible et poétique du monde.

Ce que j’en pense
****
« Comment survivre au XXIe siècle quand on est un jeune banquier d’affaires pété de fric et qu’on a plus de copine, plus de potes et des cernes de raton-laveur ? » Voilà en gros la question existentielle qui taraude Tristan au début de ce roman dense, un peu touffu, mais qui nous offre un portrait saisissant de la génération Y : «Une génération qui s’enorgueillit de sa parfaite maîtrise d’internet, de l’égalité homme-femme, du village-monde, tout en déplorant ses conditions de travail. Personne ne note que ce sont précisément les bienfaits susmentionnés qui sont la cause de la souffrance évoquée.» Notre héros est donc à la recherche de valeurs, d’un sens à une existence jusque-là dirigée par le souci de gagner beaucoup d’argent et de le dépenser presque tout aussi vite dans une vie dissolue.
Car un premier choc a secoué le jeune homme à qui rien ne semblait devoir manquer. Après des études brillantes, il avait vite grimpé les échelons et, malgré des journées de travail sans fin, avait réussi à gagner le cœur de Margaux, fille intelligente et pétillante, jouant du violoncelle avec sensualité, et lisant compulsivement « Elle barbouillait, soulignait, cornait, perdait des milliers de pages, notait et apprenait les phrases qui, plus tard, émailleraient sa conversation. » Ajoutez à cela une sexualité vorace et vous comprendrez aisément le blues de notre narrateur quand elle prend le large.
Il va tenter de noyer son chagrin dans le Lubéron où il passe des vacances en famille. Toutefois, entre les parents, la fratrie et leurs conjoint(e)s, le farniente et une plantureuse suédoise – qu’il va surnommer la Valkyrie – il ne parviendra vraiment à retrouver le moral. Avec l’aide non sollicitée d’un ami, il démissionne et abandonne les horaires de malade pour se reconvertir dans le consulting où les collègues sont tout autant assoiffés de pouvoir, mais la gestion de l’emploi du temps beaucoup plus souple. Après quelques semaines, il se voit confier une mission d’audit à Romorantin au lieu des quelques mois à Prague qui lui avaient été promis. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, il s’accommode de cette mission, car il va pouvoir séjourner au Valbrun, la propriété solognote de son grand-père.
Après les «Mœurs contemporaines», le lecteur est invité à découvrir les «Mœurs anciennes» dans la seconde partie du roman. Cette fois, c’est Bon-Papa qui est à la manœuvre. Après une période d’adaptation avec ce vieil ours acariâtre, Tristan va finir par partager son goût pour la chasse et s’allier avec le vieil homme contre un projet de construction d’un centre pour jeunes délinquants sur une partie du domaine.
On passe du Bûcher des vanités à L’Aménagement du territoire, tout en faisant la connaissance de quelques drôles d’oiseaux, comme Evariste. Ami excentrique exilé dans la campagne française pour limiter son pouvoir de nuisances, il va quand même parvenir à provoquer un accident, détruire une piscine ou encore réduire un cyclomoteur en un puzzle de pièces détachées. Mais les études qu’il entend parachever par une thèse portant sur les littératures française et américaine vues «sous l’angle de la bouffe» vont définitivement nous le rendre très sympathique.
On se régale – c’est bien le cas de le dire ici – des conclusions de cette recherche.
On apprendra aussi par le détail l’organisation, les traditions et le calendrier des parties de chasse en Sologne. Les amateurs apprécieront sans doute.
J’ai pour ma part préféré le rapprochement entre Tristan et sa cousine Bathilde et entre Bathilde et Philippa, la sœur d’Evariste. Leur week-end à Paris «pour se changer les idées» leur permettra à tous de découvrir une nouvelle part de leur personnalité et de repartir sur de nouvelles bases.
Nous voilà arrivés aux «Mœurs du fond des bois», la troisième partie du livre. Celle où les grandes décisions doivent être prises. « J’avais pris goût à cette maison trop grande et trop froide, à cet espace distendu, inadapté et anachronique qu’était le Valbrun. J’avais peu à pei appris à aimer ces bois sombres, ces étangs de vie et ces paysages aveugles, à m’accommoder des silences interminables et des monologues enflammés de bon-papa. Le contact des chiens, la contemplation du feu, les canards de passage m’avaient apporté un réconfort plus profond que celui de la plupart des humains. »
Timothée Gaget n’oublie toutefois pas d’ajouter quelques rebondissements à une fin qui serait trop convenue et prouve dès son premier roman une belle maîtrise du récit, nonobstant quelques longueurs. Mais on lui pardonnera volontiers. Mieux, on attend la suite des aventures de Tristan !

68 premières fois
Blog motspourmots.fr (Nicole Grundlinger)

Autres critiques
Babelio
Blog Fattorius
Blog Culturevsnews

Extrait
« J’appartiens à la génération Y. Avant nous il y eut des générations guerrières, frivoles, révolutionnaires, romantiques, rêveuses, traumatisées… La nôtre, c’est Y ! Nous ne vivons tellement rien que la seule chose qui puisse singulièrement nous définir est le Y que forment sur notre torse les fils de notre iPhone. Une génération qui s’enorgueillit de sa parfaite maîtrise d’internet, de l’égalité homme-femme, du village-monde, tout en déplorant ses conditions de travail. Personne ne note que ce sont précisément les bienfaits susmentionnés qui sont la cause de la souffrance évoquée. » (p. 33)

A propos de l’auteur
Timothée Gaget est né à Tours en 1985. Après des études de Droit à Paris et aux Pays-Bas, il travaille brièvement en Suède puis devient avocat. Il exerce en droit pénal des affaires avant de quitter le Barreau de Paris en 2014 pour rejoindre une agence de communication, où il se spécialise en gestion de crise et en communication judiciaire. Il est passionné de chasse et de politique. Les Bonnes Mœurs est son premier roman. (Source : Éditions Intervalles)

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Journal de Théophane Dumartray Chroniques alcoolisées, philosophie de comptoir, amours au pourboire, sous-réflexions politiques, considérations littéraires et autres crachats de l’âme.

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