La tannerie

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En deux mots:
Jeanne quitte sa Bretagne natale pour Paris. Après un stage en librairie, elle trouve un CDD à La Tannerie, un espace culturel qui vient d’ouvrir. C’est là qu’elle va faire des rencontres, s’engager dans la lutte et s’affirmer. Un roman d’initiation ancré dans la France d’aujourd’hui.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Le journal de la génération sacrifiée

Dans La Tannerie, son quatrième roman, Celia Levi retrace le parcours d’une jeune bretonne qui va chercher les clés de son avenir à Paris. Et perdre presque toutes ses illusions, entre violence économique et désert sentimental.

Jeanne est un peu perdue. Engagée comme intérimaire à la Tannerie, un immense espace culturel au bord du canal de l’Ourcq à Pantin (derrière lequel on reconnaîtra les Magasins Généraux), elle est chargée de guider les visiteurs, mais manque d’instructions précises et a encore de la peine à s’orienter. Lorsqu’on lui confie la tâche de retrouver un enfant de quatre ans qui a échappé à la vigilance de ses parents, elle est proche d’un fiasco. Mais finalement tout va finir par s’arranger. Elle a sauvé sa place et garanti son emploi pour quelques mois au moins.
Durant l’entre-saison et ses promenades dans Paris, elle a plusieurs fois songé à regagner sa Bretagne natale qu’elle avait quitté pour un stage dans une librairie, mais qui s’est avéré décevant.
La nouvelle saison à la Tannerie va lui permettre de mieux apprivoiser cet espace de 60000m2, de se familiariser avec les défilés de mode, les expos d’art contemporain, le théâtre, le cirque et les soirées festives.
La chronique qui suit va retracer en détail les journées de Jeanne, ses rencontres, ses sorties, sa vie entre le Paris du quartier latin où elle trouvé une colocation et son immense vaisseau culturel installé à quelques pas d’un campement de migrants.
Celia Levi a choisi de nous dévoiler la prise de conscience politique et sociale à partir des témoignages rassemblés, de l’expérience acquise au fil des jours, des discussions qui vont devenir de plus en plus intéressantes: «Jeanne sentait que des bases théoriques lui manquaient, qu’elle n’était pas rompue à l’art du discours. Elle réussissait désormais à intervenir, apporter des précisions, des miettes recueillies ici ou là, mais dès qu’il s’agissait de convaincre ou de réfuter, elle était démunie, tout s’effondrait, n’était plus sûre de rien, pas même de ce qu’elle défendait.»
Elle va vivre sa première manifestation un peu comme une sorte de happening, elle va chercher auprès de Julien et de ses amis les lectures et les arguments pour décrypter cette curieuse société qui n’a guère de mal à poser un diagnostic sur les maux qui la ronge, mais hésite à vraiment les combattre.
Le livre, construit comme un long – trop long? – journal intime, revisite le roman d’apprentissage en plaçant une jeune fille un peu timide et maladroite, mais pleine de bonne volonté, au centre du récit. On la voit chercher les clefs d’un monde dont elle se sent exclue et dont elle aimerait tant pouvoir faire partie. En entendant le récit des aventures amoureuses de ses amies, elle va d’abord s’inventer une relation avant d’espérer pouvoir intéresser quelqu’un. Une éducation sentimentale du XXIe siècle qui se lit avant tout comme le difficile constat de la précarité à tous les étages. Jeanne va longtemps espérer un contrat à durée indéterminée, gage de davantage de stabilité. Une quête dont Celia Levi va faire le symbole de cette génération sacrifiée. Ajoutons que les temps difficiles que nous vivons du fait de la pandémie ne vont sans doute pas arranger les choses…

La Tannerie
Celia Levi
Éditions Tristram
Roman
416 p., 23,90 €
EAN 9782367190785
Paru le 20/08/2020

Où?
Le roman se déroule en France, à Paris et en banlieue, principalement à Pantin, et des voyages en Bretagne, de Rennes à Quimper en passant par Auray et Penthièvre. On y évoque aussi la région de Saumur

Quand?
L’action se situe de nos jours, plus précisément entre 2015 et 2017.

Ce qu’en dit l’éditeur
Jeanne, ses études terminées, a quitté sa Bretagne natale pour vivre à Paris. Elle a trouvé un emploi temporaire d’«accueillante» à la Tannerie, une nouvelle institution culturelle, installée dans une usine désaffectée de Pantin.
D’abord déboussolée par le gigantisme et l’activité trépidante du lieu, timide et ignorante des codes de la jeunesse parisienne, elle prend peu à peu de l’assurance et se lie à quelques-uns de ses collègues, comme la délurée Marianne ou le charismatique Julien, responsable du service accueil.
Elle les accompagne dans leurs déambulations nocturnes, participe à des fêtes. Leur groupe se mêle au mouvement Nuit debout. Ils se retrouvent dans des manifestations, parfois violentes – mais sans véritablement s’impliquer, en spectateurs.
Bientôt, deux ans ont passé. Dans l’effervescence de la Tannerie, en pleine expansion, chacun tente de se placer pour obtenir enfin un vrai contrat ou décrocher une promotion. Jeanne va devoir saisir sa chance.
La Tannerie – tel un microcosme de notre société – forme une monde à part entière, avec ses techniciens, ses employés de bureau, ses artistes. Mais derrière la bienveillance affichée et le progressisme des intentions, la précarité et la violence dominent.
Avec ce roman, qui frappe autant par la finesse de ses descriptions que par sa force critique, Celia Levi fait le portrait d’une époque et d’une génération en proie aux ambitions factices et à l’imposture des discours.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Libération (Frédérique Roussel)
BibliObs (Grégoire Leménager)
Diacritik (Christine Marcandier)
Revue Études (Aline Sirba)
France Culture (Par les temps qui courent – Romain de Becdelievre)
La Cause littéraire (Philippe Chauché)
culturopoing.com (Jean-Nicolas Schoeser)
La Bibliothèque de Delphine-Olympe
Charybde 27, le blog

Les premières pages du livre
«Mets-toi là» lui avait-elle dit. «Là», Jeanne ne savait pas où cela se trouvait avec toute cette cohue, les radeaux, les bateaux et les danseurs épars. Elle se posta près du canal cherchant des yeux les tenues orange des accueillants dispersés. La foule se pressait, Jeanne se sentit entraînée. Elle dépassa une accueillante qui répondait à un couple et montrait du doigt un point au loin à droite. Elle aurait voulu lui parler, derrière on la poussait. Elle était sur la péniche. « Larguez les amarres. » Une sirène hurla. La fanfare commença à jouer, sur l’embarcation des personnes agitaient leur main comme si elles partaient pour un long voyage. Sur le quai, les gens s’amusaient, des jeunes buvaient dans des chopes, allonges sur des chaises longues. Il y avait aussi des tables rondes sous les marronniers, une petite buvette où une queue s’était formée. Les péniches accostées en face vacillaient légèrement car un vent frais s’était levé. Jeanne frissonna. Les rayons du soleil déclinant illuminaient l’horizon de teintes dorées. Elle aperçut l’imposant édifice en briques rouges, les deux cheminées, et devant, tout le long de l’ancien chemin de halage, les cabanons en tôle ondulée et en verre. Les accueillants s’affairaient, ils dépliaient des chaises; certains, en faction, se tenaient à côté des barrières. Des enfants faisaient des courses de tricycle, c’étaient des tricycles bleus avec des poignées en bouchons de plastique conçues par un artiste belge spécialement pour l’occasion, il fallait y faire attention. Elle s’appuyait au bastingage et regardait les habits et les visages des passagers tout en se demandant si un responsable ou un collègue ne pourrait pas lui donner des instructions. Les jeunes femmes portaient des robes légères aux couleurs vives, les hommes des pantalons retroussés sur les chevilles. Ces toilettes lui donnaient une impression de gaieté, d’ivresse. On entendait, alors que la péniche s’éloignait, les applaudissements et la fanfare qui reprenait. Sur le quai, le public attroupé battait la mesure, un cornet de frites à la main, un vrai cornet en papier journal. Les légers remous lui donnaient mal au cœur, elle s’accrochait au parapet plus fermement. Elle se pencha, derrière elle entrevoyait la façade des Magasins généraux, la structure métallique du pont, et devant, sur l’eau, l’ombre noire des arbres qui suivaient la ligne droite du canal. Des radeaux partaient dans leur direction, et des éclats de rire étaient recouverts par la musique, elle n’avait pas vu qu’il y avait également des pédalos, des petits points plus bas éparpillés. Elle se dirigea vers la marquise, tentant de se frayer un chemin à travers la foule compacte sur le pont. Elle réussit à voir un homme avec le gilet orange qui distribuait des prospectus. Elle s’approcha de lui pour savoir ce qu’elle devait faire. Il était occupé, tout le monde lui posait des questions, il avait l’air survolté, son talkie émettait des sons brouillés. Qui était-elle ?… une nouvelle.. Paula ne lui avait-elle rien dit ?… ils allaient bientôt rentrer de toute façon, elle n’avait qu’à se mettre à la sortie, ah il y avait déjà quelqu’un, qu’elle se poste donc près du boulard.… dire qu’ils seraient à quai dans dix minutes, ah oui qu’elle parle aussi du programme. Il lui remit une petite pile de dépliants. Elle ne savait pas ce qu’était un boulard, et ne se souvenait que vaguement du programme, elle regarda le prospectus. Elle n’eut pas le temps de l’interroger car il avait déjà disparu. Elle resta les bras ballants, écoutant des bribes de conversations.
La péniche s’immobilisa. Elle retournait vers la berge.
Jeanne se sentait perdue. La fanfare avait cessé de jouer. Des musiciens se préparaient pour le bal, les techniciens installaient des micros, branchaient des amplificateurs. Les VIP buvaient dans les cabanes qui ressemblaient à de petits salons avec des tables basses, des poufs, des coussins.
Le maire allait arriver, avec la ministre de la Culture. Il fallait se tenir prêt, des accueillants couraient, donnant des ordres dans leur talkie, il restait des transats à replier, il fallait remonter au bureau imprimer des programmes, disposer les chaises, un lutrin s’était cassé, vite, vite. Un homme grand et maigre, chauve, avec un veston violet, des bretelles au pantalon, parlait à Paula, elle hochait la tête. Il vérifiait, tournait sur lui-même, puis serrait des mains. Que dirait-on si on la surprenait comme ça, immobile, à ne rien faire. Escortés par la sécurité, la ministre et le maire se dirigeaient vers une estrade face au canal. Un homme de la sécurité la poussa vivement. Elle se plaça derrière la foule qui entourait l’estrade. Le micro fonctionnait mal, Paula courut en chercher un autre accompagnée d’un technicien au tee-shirt noir.
La ministre prit la parole, Jeanne ne parvenait à voir que des têtes et des dos. «Quelle belle énergie, quelle vie, une ambition pareille, moi je le confesse je n’y croyais pas à ce projet…» Elle n’écoutait pas, son esprit vagabondait… «la culture pour tous…» Combien pouvait-il y avoir d’accueillants? Elle n’aurait pas reconnu le jeune homme avec qui elle avait échangé deux mots sur la péniche. Et Paula était-elle la chef des accueillants? Elle lui avait été présentée comme sa «référente». Elle regarda du côté de la péniche, il y avait une femme et un homme qui s’adressaient à deux accueillants, la femme faisait de grands gestes, était agitée, l’accueillant parlait au talkie, Jeanne réussit à s’extraire de la masse, ils avaient peut-être besoin d’elle. L’accueillant au talkie s’était éclipsé. Jeanne, qui s’était rapprochée, n’osait pas interrompre la fille au gilet orange qui parlait à l’homme. Elle comprit que le couple ne retrouvait plus son enfant. Elle demanda si elle pouvait aider. L’accueillante, une petite blonde frisée, la prit à part: «Ouais s’il te plaît, j’ai autre chose à foutre, gère la mère elle est hystérique, tu nous dis.» Elle s’éloigna. Jeanne resta avec les parents. La mère criait: tout le monde s’en fichait, pourquoi ne cherchait-on pas? Jeanne tentait de la rassurer, ils étaient justement partis pour régler la situation. Elle demanda aux parents de décrire l’enfant, quel âge avait-il? quel était son nom? Gaston, un joli prénom, elle se repentit, ce n’était pas le moment, ça lui était venu comme ça. Où l’avaient-ils perdu? Dix minutes… près de la péniche. Où avaient-ils cherché? au stand de tricycles? les enfants adoraient les tricycles. Près de l’orchestre? Le père s’impatienta, ils avaient déjà tout dit à ses collègues. Jeanne leur demanda de rester où ils étaient, elle chercherait parmi le public. «Merci» lui dit la mère d’un air méfiant. Avait-elle compris que c’était son premier jour?
Elle tapotait l’épaule des gens, les faisant sursauter, pour demander s’ils n’avaient pas vu un enfant seul, roux, de quatre ans. Ils ne prêtaient pas attention à ce qu’elle disait, secouaient la tête, irrités. Le discours continuait: «Un voyage d’une rive l’autre, d’un monde à un autre, de l’urbain à l’art, du faber à la fabrique.» Elle aurait dû rester à écouter le discours tranquillement. Elle ne connaissait pas le lieu. Ne savait déjà plus où étaient les tricycles. Elle dévoilait toute son incompétence, ses employeurs diraient qu’elle avait fait n’importe quoi, que se passerait-il si l’enfant n’était pas retrouvé? Plus de trace de gilets-orange. Jeanne eut l’idée de fouiller la péniche. Un agent de sécurité lui barrait le passage. Elle lui expliqua la situation, il ne savait pas, n’avait pas vu d’enfant, n’avait pas de talkie, ne pouvait pas bouger de sa place, il la laissa néanmoins passer. La péniche vide semblait immense. Elle chercha sous les banquettes, sur le pont. L’enfant n’y était pas. »

Extrait
« Jeanne sentait que des bases théoriques lui manquaient, qu’elle n’était pas rompue à l’art du discours. Elle réussissait désormais à intervenir, apporter des précisions, des miettes recueillies ici ou là, mais dès qu’il s’agissait de convaincre ou de réfuter, elle était démunie, tout s’effondrait, n’était plus sûre de rien, pas même de ce qu’elle défendait.
Tout le monde ne pensait donc pas comme à Nuit debout, il y avait toute une frange de la population dont les opinions différaient totalement de celles qu’elle avait nouvellement acquises. » p. 281

À propos de l’auteur
LEVI_Celia_©Bruno_DewaeleD’origine chinoise, Celia Levi vit en France tout en séjournant souvent à Shanghai. La Tannerie est son quatrième roman, après Les insoumises (2009), Intermittences (2010) et Dix Yuans un kilo de concombres. (Source: Éditions Tristram, © Photo Bruno Dewaele

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Les bonnes mœurs

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Les bonnes mœurs
Timothée Gaget
Intervalles
Roman
400 p., 19,90 €
ISBN: 9782369560340
Paru en mars 2016

Où?
Le roman se déroule entre Paris, Saint-Germain-en-Laye, la Sologne et plus précisément à Bartenay, Valbrun, Romorantin et Montrieux, à Saint-Briac, Orléans, dans les lieux de villégiature du Sud de la France, le Lubéron, Marseille, Nîmes, Aix-en-Provence, Saint-Raphaël, Saint-Tropez, Port-Grimaud, Cannes, Le Cap-Ferret et Monaco. Courchevel vient compléter la liste.

Quand?
L’action se situe de 2011 à 2012.

Ce qu’en dit l’éditeur
Tristan est un banquier d’affaires parisien habitué à jongler avec les tableurs Excel et à enchaîner les nuits blanches. Lorsqu’on l’envoie à Romorantin sauver une imprimerie de la faillite, il emménage au château du Valbrun, chez son grand-père avec qui il avait perdu tout contact.
Dans l’isolement solognot, une relation complexe se noue peu à peu entre le vieil aristocrate cyclothymique et le jeune financier désabusé. Mais les élections législatives approchent et un ambitieux conseiller municipal veut faire de la construction d’un collège de réinsertion la clef de voûte de sa campagne. Son préalable, l’expropriation des bois du Valbrun, divise bientôt le petit village du Loir-et-Cher en deux camps.
Tristan, accompagné d’un extravagant voisin anglais, est entraîné malgré lui dans cette guerre de tranchées entre la droite rurale et la gauche technocratique. Car derrière les arguments écologiques et politiques, deux conceptions de l’Homme et de l’animal s’affrontent.
Dans la solitude de la forêt, loin de la vie débridée qu’il mène à Paris, Tristan s’enfonce dans l’univers traditionnel et contemplatif de la chasse, où les préoccupations charnelles ne sont pas les moins pressantes et où une espèce protégée de coléoptère peut mettre à mal les plans les plus infaillibles.
Les Bonnes Mœurs est un roman initiatique, mordant et sensible, au rythme endiablé d’une harde fuyant la meute.
Aussi à l’aise dans la caricature du monde de la finance que dans l’évocation de la chute des derniers hobereaux catholiques, aussi vivant dans la peinture d’une orgie parisienne que dans celle d’une partie de chasse, Timothée Gaget s’amuse à entrechoquer des décors au sein desquels les aventures amoureuses et familiales s’entremêlent aux questions sociétales. Il secoue aussi vertement la vieille dichotomie nature/culture. Dans cet hymne à la forêt, il partage surtout une vision sensible et poétique du monde.

Ce que j’en pense
****
« Comment survivre au XXIe siècle quand on est un jeune banquier d’affaires pété de fric et qu’on a plus de copine, plus de potes et des cernes de raton-laveur ? » Voilà en gros la question existentielle qui taraude Tristan au début de ce roman dense, un peu touffu, mais qui nous offre un portrait saisissant de la génération Y : «Une génération qui s’enorgueillit de sa parfaite maîtrise d’internet, de l’égalité homme-femme, du village-monde, tout en déplorant ses conditions de travail. Personne ne note que ce sont précisément les bienfaits susmentionnés qui sont la cause de la souffrance évoquée.» Notre héros est donc à la recherche de valeurs, d’un sens à une existence jusque-là dirigée par le souci de gagner beaucoup d’argent et de le dépenser presque tout aussi vite dans une vie dissolue.
Car un premier choc a secoué le jeune homme à qui rien ne semblait devoir manquer. Après des études brillantes, il avait vite grimpé les échelons et, malgré des journées de travail sans fin, avait réussi à gagner le cœur de Margaux, fille intelligente et pétillante, jouant du violoncelle avec sensualité, et lisant compulsivement « Elle barbouillait, soulignait, cornait, perdait des milliers de pages, notait et apprenait les phrases qui, plus tard, émailleraient sa conversation. » Ajoutez à cela une sexualité vorace et vous comprendrez aisément le blues de notre narrateur quand elle prend le large.
Il va tenter de noyer son chagrin dans le Lubéron où il passe des vacances en famille. Toutefois, entre les parents, la fratrie et leurs conjoint(e)s, le farniente et une plantureuse suédoise – qu’il va surnommer la Valkyrie – il ne parviendra vraiment à retrouver le moral. Avec l’aide non sollicitée d’un ami, il démissionne et abandonne les horaires de malade pour se reconvertir dans le consulting où les collègues sont tout autant assoiffés de pouvoir, mais la gestion de l’emploi du temps beaucoup plus souple. Après quelques semaines, il se voit confier une mission d’audit à Romorantin au lieu des quelques mois à Prague qui lui avaient été promis. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, il s’accommode de cette mission, car il va pouvoir séjourner au Valbrun, la propriété solognote de son grand-père.
Après les «Mœurs contemporaines», le lecteur est invité à découvrir les «Mœurs anciennes» dans la seconde partie du roman. Cette fois, c’est Bon-Papa qui est à la manœuvre. Après une période d’adaptation avec ce vieil ours acariâtre, Tristan va finir par partager son goût pour la chasse et s’allier avec le vieil homme contre un projet de construction d’un centre pour jeunes délinquants sur une partie du domaine.
On passe du Bûcher des vanités à L’Aménagement du territoire, tout en faisant la connaissance de quelques drôles d’oiseaux, comme Evariste. Ami excentrique exilé dans la campagne française pour limiter son pouvoir de nuisances, il va quand même parvenir à provoquer un accident, détruire une piscine ou encore réduire un cyclomoteur en un puzzle de pièces détachées. Mais les études qu’il entend parachever par une thèse portant sur les littératures française et américaine vues «sous l’angle de la bouffe» vont définitivement nous le rendre très sympathique.
On se régale – c’est bien le cas de le dire ici – des conclusions de cette recherche.
On apprendra aussi par le détail l’organisation, les traditions et le calendrier des parties de chasse en Sologne. Les amateurs apprécieront sans doute.
J’ai pour ma part préféré le rapprochement entre Tristan et sa cousine Bathilde et entre Bathilde et Philippa, la sœur d’Evariste. Leur week-end à Paris «pour se changer les idées» leur permettra à tous de découvrir une nouvelle part de leur personnalité et de repartir sur de nouvelles bases.
Nous voilà arrivés aux «Mœurs du fond des bois», la troisième partie du livre. Celle où les grandes décisions doivent être prises. « J’avais pris goût à cette maison trop grande et trop froide, à cet espace distendu, inadapté et anachronique qu’était le Valbrun. J’avais peu à pei appris à aimer ces bois sombres, ces étangs de vie et ces paysages aveugles, à m’accommoder des silences interminables et des monologues enflammés de bon-papa. Le contact des chiens, la contemplation du feu, les canards de passage m’avaient apporté un réconfort plus profond que celui de la plupart des humains. »
Timothée Gaget n’oublie toutefois pas d’ajouter quelques rebondissements à une fin qui serait trop convenue et prouve dès son premier roman une belle maîtrise du récit, nonobstant quelques longueurs. Mais on lui pardonnera volontiers. Mieux, on attend la suite des aventures de Tristan !

68 premières fois
Blog motspourmots.fr (Nicole Grundlinger)

Autres critiques
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Blog Culturevsnews

Extrait
« J’appartiens à la génération Y. Avant nous il y eut des générations guerrières, frivoles, révolutionnaires, romantiques, rêveuses, traumatisées… La nôtre, c’est Y ! Nous ne vivons tellement rien que la seule chose qui puisse singulièrement nous définir est le Y que forment sur notre torse les fils de notre iPhone. Une génération qui s’enorgueillit de sa parfaite maîtrise d’internet, de l’égalité homme-femme, du village-monde, tout en déplorant ses conditions de travail. Personne ne note que ce sont précisément les bienfaits susmentionnés qui sont la cause de la souffrance évoquée. » (p. 33)

A propos de l’auteur
Timothée Gaget est né à Tours en 1985. Après des études de Droit à Paris et aux Pays-Bas, il travaille brièvement en Suède puis devient avocat. Il exerce en droit pénal des affaires avant de quitter le Barreau de Paris en 2014 pour rejoindre une agence de communication, où il se spécialise en gestion de crise et en communication judiciaire. Il est passionné de chasse et de politique. Les Bonnes Mœurs est son premier roman. (Source : Éditions Intervalles)

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Journal de Théophane Dumartray Chroniques alcoolisées, philosophie de comptoir, amours au pourboire, sous-réflexions politiques, considérations littéraires et autres crachats de l’âme.

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