La soustraction des possibles

INCARDONA_la-soustraction-des-possibles

RL2020  coup_de_coeur

Finaliste Grand Prix RTL/Lire
Finaliste Grand Prix des Lectrices ELLE
Sélection Prix Relay des Voyageurs-lecteurs
Sélection Prix Le Point du polar européen
Sélection Prix des lecteurs L’Express/BFMTV
Sélection Prix Alexandre-Vialatte
Sélection Prix Nice Baie des Anges
Sélection Prix des Romancières
Sélection Prix du Làc

En deux mots:
Aldo et Svetlana en ont assez d’être au service de la belle société genevoise. Ils ambitionnent de réussir un grand coup et d’empocher cet argent qu’ils transportent semaine après semaine jusqu’aux coffres des banques suisses. Leur heure de gloire est-elle arrivée ?

Ma note:
★★★★★ (coup de cœur, livre indispensable)

Ma chronique:

Les eaux troubles du Léman

Attention, chef d’œuvre! La soustraction des possibles est LE livre à lire, surtout quand on a un peu de temps devant soi car, quand vous l’aurez commencé, vous ne pourrez plus lâcher cette merveille.

Joseph Incardona nous avait laissé avec un roman riche de promesses autour d’un thème très original. Dans Chaleur il nous racontait un extraordinaire championnat du monde de sauna. Des promesses qu’il fait bien mieux que concrétiser avec ce roman que l’on aimerait d’emblée affubler d’une belle guirlande d’adjectifs, à commencer par addictif. Mais on y ajoutera aussi fascinant, érudit, puissant, prodigieux, intense, inoubliable. Bref, La Soustraction des possibles fait partie des rares titres qui à mon sens ne doivent manquer dans aucune bibliothèque. Il répond en effet à tous les critères que j’ai définis pour cela: la lecture doit être agréable, l’ouvrage doit enrichir notre culture en s’appuyant sur le réel et les personnages doivent marquer notre mémoire.
Mais cessons de vous faire languir et venons-en au récit qui s’ouvre sur une leçon de tennis donnée par Aldo Bianchi à Odile. Les leçons de tennis particulières sont pour le presque quadragénaire l’occasion d’approcher la gent féminine et notamment les bourgeoises délaissées par leurs maris. En mettant Odile dans son lit, il cherche à entrer dans ce «beau monde» qui, on va vite le découvrir, n’est pas si beau que ça.
Nous sommes en effet au moment où le mur de Berlin tombe, où le bloc soviétique explose et où l’argent afflue dans les coffres des banques suisses encore protégées par le secret bancaire. Le mari d’Odile profite de cette situation, su service d’un directeur de banque qui n’a guère davantage de scrupules que son épouse qui organise et contrôle. Aldo est chargé de faire des allers-retours entre Lyon et Genève et de transporter des sacs de billets de banque d’un point à un autre sans poser de questions, sans se faire prendre et d’empocher pour ce service une grasse commission. Une affaire qui roule…
C’est à ce moment que Svetlana entre en scène. Tout comme Aldo, elle est un rouage essentiel du trafic, tout comme Aldo elle cherche à comprendre comment circule l’argent, tout comme Aldo elle se méfie de tout le monde. Mais ni l’un ni l’autre n’ont envisagé que l’amour pourrait ajouter du piment à leurs ambitieux desseins. Ils imaginent comment réussir un «gros coup», comment se venger de ces «exploiteurs».
Le diabolique Joseph Incardona sait attraper son lecteur avec les ingrédients du polar, du suspense, des retournements de situation, l’apparition de la mafia corse, d’une bande de malfrats plus idiots que méchants ou encore de prostituées qui jurent de briser leurs chaînes. Mais ce qui donne à ce roman toute sa richesse, c’est à la fois son style et sa profondeur. Car le polar n’’est qu’un prétexte. Au fil des pages, on va découvrir comment se sont construites les grandes fortunes dont les propriétés bordent le Lac Léman, comment les capitaines d’industrie et les banquiers ont ensemble fait fructifier leur argent – bien loin de la propreté helvétique. On va aussi, comme Balzac avec sa comédie humaine, plonger dans cette folie, cette avidité que l’argent peut susciter dès qu’on peut le humer. Qui a du reste affirmé qu’il n’avait pas d’odeur? Il a l’odeur du sang, du stupre, du cynisme, de la vengeance, de la peur…
Avant de conclure, disons encore un mot du style, lui aussi exceptionnel. Joseph Incardona a trouvé le moyen d’habiller son récit de références littéraires, de citer ici Ramuz ou là Norman Mailer, de placer quelques digressions qui nous offrent – un peu à la manière d’un hyperlien – d’approfondir tel ou tel aspect de l’histoire, mais aussi de jouer avec le lecteur en lui proposant d’apprécier telle ou telle intervention de ses personnages.
Vous l’aurez compris, La soustraction des possibles est le meilleur roman que j’ai lu cette année. Et à en juger par la longue liste des Prix littéraires pour lesquels il est sélectionné, j’imagine que je ne suis pas le seul à le penser. Affaire à suivre!

La soustraction des possibles
Joseph Incardona
Éditions Finitude
Roman
400 p., 23,50 €
EAN 9782363391223
Paru le 2/01/2020

Où?
Le roman se déroule principalement en Suisse, du côté de Genève et environs, mais on s’y déplace aussi, notamment à Lyon et en Corse, sans parler du Mexique.

Quand?
L’action se situe d’octobre 1989 à mai 1990.

Ce qu’en dit l’éditeur
On est à la fin des années 80, la période bénie des winners. Le capitalisme et ses champions, les Golden Boys de la finance, ont gagné : le bloc de l’Est explose, les flux d’argent sont mondialisés. Tout devient marchandise, les corps, les femmes, les privilèges, le bonheur même. Un monde nouveau s’invente, on parle d’algorithmes et d’OGM.
À Genève, Svetlana, une jeune financière prometteuse, rencontre Aldo, un prof de tennis vaguement gigolo. Ils s’aiment mais veulent plus. Plus d’argent, plus de pouvoir, plus de reconnaissance. Leur chance, ce pourrait être ces fortunes en transit. Il suffit d’être assez malin pour se servir. Mais en amour comme en matière d’argent, il y a toujours plus avide et plus féroce que soi.
De la Suisse au Mexique, en passant par la Corse, Joseph Incardona brosse une fresque ambitieuse, à la mécanique aussi brillante qu’implacable.
Pour le monde de la finance, l’amour n’a jamais été une valeur refuge.

Les critiques
Babelio 
Lecteurs.com
Libération (Alexandra Schwartzbrod – Entretien avec l’auteur)
Le Temps (Salomé Kiner)
Blog Les lectures d’Antigone
Blog Les livres de Joëlle
Blog Motspourmots.fr (Nicole Grundlinger)
Blog Sang pages 
Blog Mon roman noir et bien serré 
Blog Nyctalopes 

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Octobre 1989
Lignes de fond
Cet homme, sur le court de tennis, c’est lui, Aldo Bianchi.
Celui de l’histoire d’amour.
Un avantage de son métier est de pouvoir se placer derrière l’élève, saisir son poignet afin de lui montrer, lentement, le mouvement correct à effectuer. D’une voix douce, mais ferme, il accompagne le geste par la parole, la lui souffle à l’oreille, en quelque sorte. Les corps se touchent, c’est inévitable. L’été indien permet encore de porter short et jupette de tennis. Et Dieu seul sait combien — avec monsieur Sergio Tacchini —, combien les tissus de ces combinaisons sportives sont minces.
Les corps maintiennent encore leur bronzage. Les corps sont les derniers à vouloir renoncer et céder à l’automne.
Aldo prend la main dans la sienne, se presse davantage contre le dos de son élève et achève le geste du coup droit lifté par une rapide torsion du poignet. L’élève sent la cuisse du professeur de tennis s’insinuer entre ses jambes. Elle a beau vouloir
retenir son souffle, elle ne peut s’empêcher de respirer l’odeur de phéromones que dégage son torse en sueur.
L’élève n’a pas bien compris le geste de torsion du lift. L’élève est troublée.
Généralement, l’élève est une femme entre 40 et 55 ans.
Mariée – le mari est souvent absent.
Mère – les enfants sont grands.
Riche – elle laisse ses bijoux au vestiaire.
Elle a encore quelques belles années devant elle, pressent le gâchis du temps perdu à attendre. La routine du luxe: villa, jardin, piscine, shopping, loisirs. L’entretien du domaine. Du corps. De l’esprit. D’une vie affective. Des relations. L’entretien du temps qui passe.
De l’ennui.
Aldo recule, se détache et l’élève se sent désorientée. La promesse de son corps aussitôt rétractée. Aldo lui sourit tout en lui disant de prendre le panier et de ramasser les balles.
«Okay, Odile, prenez le panier et ramassez les balles!» Et Odile
exécute. Elle a une femme de ménage, une décoratrice d’intérieur, deux jardiniers et une life coach, mais elle obéit, elle qui ne fait même pas son lit. Se soumettre, c’est tout au fond d’elle-même, comme l’envie d’être prise par ce rital à peine lettré lui expliquant comment frapper dans une balle.
Sûr qu’il n’a pas lu Madame Bovary, ça non.
On n’imagine pas non plus Aldo tomber amoureux.
Il maîtrise le petit jeu de la parade nuptiale, s’essuie le visage avec une serviette en coton. Il dépasse le mètre quatre-vingt, ses cheveux châtains striés de mèches blondes évoquent la coupe d’André Agassi avant qu’il devienne chauve et porte une
perruque sur le circuit. Les yeux bleus, rieurs, creusent des pattes-d’oie comme la bonne blague d’une vie à 180 sur l’autoroute. Un petit diamant brille au lobe de son oreille. Et, peut-être, la seule note discordante, le seul bémol, serait sa voix un peu nasillarde s’accordant mal à son physique de playboy:
«Semaine prochaine, dernier cours, Odile!»
Odile regarde autour d’elle. Les arbres devenus jaunes, le lac en contrebas qui s’étend derrière les losanges du grillage, juste après les pins sylvestres et les marronniers séculaires, le gazon impeccable délimitant le parc… Il y a comme un flottement, une seconde de désarroi: le dernier cours signifie le passage à l’heure d’hiver, la nuit plus vite, la solitude plus tôt. Présage de l’autre hiver, plus vaste et dramatique: celui de la vieillesse et de la déchéance. Tout à l’heure, un dîner à la Coupole en compagnie de sa fille et de son fiancé, le retour sur la colline, le cabriolet au garage — villa au milieu des villas, système d’alarme à désactiver puis à enclencher une fois en sécurité à l’intérieur.
L’époux en escale à Boston. Est-ce possible, Odile? Tout ce que tu voulais, et maintenant cette excitation adolescente, cette métamorphose qui te fait perdre dix ans d’un seul coup?
Les feuilles égarées sur le court en terre battue se désintègrent en craquant sous les semelles de ses tennis. Odile ramasse jusqu’à la dernière balle, qu’elle rapporte, docile, à son professeur.
Aldo a refermé son sac de sport, emporte la raquette de son élève qu’il a pris soin de remettre dans la housse, et l’échange contre le panier lourd de Slazenger en feutre jaune.
Aldo sait, le moment est arrivé.
Sur l’échiquier, il attend qu’elle bouge sa pièce.
C’est le jeu. Il n’y a pas d’autre possibilité. Trop gâtée, trop écoutée, trop plainte, choyée, soutenue. La coach, la femme de ménage, la décoratrice, les copines. Trop de femmes autour d’elle, trop de condescendance partagée. Instinctivement — sans pouvoir poser dessus une réflexion liée au libéralisme, à l’uniformisation des marchés ou à son corollaire qui est l’atomisation de la société —, Aldo a compris que le monde devient femelle. Que maris et pères sont surchargés de travail, que leur taille s’épaissit, qu’ils deviennent myopes. Et s’il y a quelque chose à prendre dans ce monde où tout se confond, il l’obtiendra en restant mâle, en jouant sur le paradoxe de l’émancipation des femmes. Ce qu’elles gagnent, ce qu’elles
perdent. Ses rivaux dans ce domaine sont les immigrés latinos bourrés de testostérone écumant la ville depuis le boum de la salsa, pêche miraculeuse à la femme blanche.
Mais Aldo joue dans une autre catégorie. Son biotope, ce sont les lignes d’un court de tennis, prélude aux chambres à coucher des madames Bovary.
Dans l’économie du dominant/dominé, la privation et l’humiliation sont le ressort.
Odile lève son visage vers son professeur. Il la regarde, amusé.
Elle ne rit pas.
Car tout ça se cassera la gueule malgré la chirurgie esthétique, l’entretien du corps, la frustration des régimes.
Tu sais très bien comment tout ça va finir, Odile.
OK, mais je vais te dire un truc, ma belle: à quoi sert tout ça, si c’est pour ne pas en profiter?
À quoi, bon sang?
Le moment est venu de sacrifier sa reine.
Odile lève la tête, ses traits se crispent quand elle prend la main de son professeur et la pose sur son ventre:
«C’est là, dit-elle à Aldo. C’est là où je veux que tu sois.»

Extraits
« Ce sont les filles qui lui ont fait perdre la foi dans le sport. L’esprit de sacrifice. L’abdication graduelle aux plaisirs intrusifs de la sexualité.
Il a compris très tôt l’impact que pouvait avoir son apparence quand, à quinze ans, il s’était fait dépuceler par la mère d’un camarade dans l’abri de jardin près de la piscine. Il y avait ce petit bouton sur lequel il suffisait d’appuyer et un monde
s’offrait à lui. Entre toutes, les femmes proches de la quarantaine remportaient habituellement la mise, car plus téméraires et cyniques dans la recherche et l’assouvissement de leur plaisir.
Aldo a été à bonne école. On n’oublie pas ses premières fois. Aldo a appris ce qu’il faut donner dans un lit. D’un certain point de vue, ce n’est pas très éloigné du sport: technique, endurance, créativité.
Forger son propre style.
Mais surtout: monnayer la vigueur et la jeunesse comme un don de soi. Laisser croire à sa partenaire plus âgée que cette jeunesse se prolonge en elle, qu’elle dure même après l’amour. C’est l’inverse de la crainte du déclin: l’espoir de l’éternelle
jouvence transmise par les fluides. »

« Tout ça, tu le sais, Odile. Je t’aime bien, je pense que tu es une femme intelligente. Que tu as juste commis cette erreur initiale du choix de la sécurité, qui te rend esclave et prisonnière d’un monde qui ne te satisfait plus. Ce monde que tu n’as jamais voulu peut-être, qui sait ? Ce que tu désires maintenant, c’est demander pardon, pardon, pardon à l’existence de l’avoir trahie pour gérer le calendrier des pousses d’un jardin, d’une soirée dans un bain à bulles, d’un mariage perpétuant le même désastre. De n’avoir pas su donner à ta fille une possibilité d’évasion d’elle-même, mais d’être complice de l’édification de sa cage dorée. A un moment, tu aurais pu élargir le champ des possibles, Odile. Entre nous, c’est cela que je te reproche. De ne pas avoir eu le courage au moins d’essayer. Tu as contribué à creuser une tanière profonde pour ta progéniture. Tes petites filles suivront le modèle. Il faut espérer dans le sursaut d’une âme vieille dans le corps d’une jeune fille, celui d’une femme qui aura le courage de se soustraire à l’emprise des hommes, de ne pas se laisser acheter ni corrompre au nom de la sécurité. Du confort. Le confort qui devient notre propre prison. Nous sécurise et nous enferme. »

À propos de l’auteur
Joseph Incardona est un écrivain suisse, d’origine italienne. Il vit à Genève où il tente d’arrêter de fumer. Il aime les romans noirs, Harry Crews et les pâtes. Auteur de Chaleur, il a auparavant surtout publié des polars. (Source: Éditions Finitude)

Commandez le livre en ligne sur Amazon (il suffit de cliquer sur la couverture)

Mes livres sur Babelio.com


Focus Littérature

Tags:
#lasoustractiondespossibles #JosephIncardona #editionsfinitude #hcdahlem #roman #LitteratureFrancaise #unLivreunePage. #livre #lecture #books #blog #littérature #bloglittéraire #lire #livresaddict #lectrices #lecteurs #lecteurscom #bouquiner #livresque #rentreelitteraire #rentree2020 #Bloglitteraire
#RL2020 #auteur #book #writer #reading #RentréeLittéraire2020 #litteraturefrancaise #coupdecoeur #thriller #MardiConseil

Publicité

La chair

MONTERO_La_chair

En deux mots
Soledad a 60 ans. Elle s’offre les services d’un gigolo pour se prouver que sa vie amoureuse n’est pas terminée. Ce faisant, elle se prend dans un drôle d’engrenage…

Ma note
etoileetoileetoile (beaucoup aimé)

La chair
Rosa Montero
Éditions Métailié
Roman
traduit de l’espagnol par Myriam Chirousse
196 p., 18 €
EAN : 9791022605403
Paru en janvier 2017

Où?
Le roman se déroule à Madrid et dans sa banlieue. On y évoque aussi un voyage à Barcelone et Bahia, au Brésil ainsi que le village de Janty, à côté de Niagan en Russie.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Pas facile d’accepter son âge quand on a soixante ans, qu’on vit seule et que votre amant vous quitte pour faire un enfant avec sa jeune épouse. Soledad engage donc un gigolo de trente ans pour l’accompagner à l’opéra et rendre jaloux le futur père. Mais à la sortie, un événement inattendu et violent bouleverse la situation et marque le début d’une relation trouble, volcanique et peut-être dangereuse.
Soledad se rebelle contre le destin avec rage et désespoir, avec humour aussi, et le récit de son aventure se mêle aux histoires des écrivains maudits de l’exposition qu’elle prépare pour la Bibliothèque nationale.
La Chair est un roman audacieux et plein de surprises, l’un des plus subtils et personnels de l’auteur. Son intrigue touchante nous parle du passage du temps, de la peur de la mort, de l’échec et de l’espoir, du besoin d’aimer et de l’heureuse tyrannie du sexe, de la vie comme un épisode fugace au cours duquel il faut dévorer ou être dévoré. Le tout dans un style allègrement lucide, cruel et d’une ironie vivifiante.
Une grande romancière décortique avec acuité et humour les sentiments d’une séductrice impénitente aux prises avec les ravages du temps qui passe.

Ce que j’en pense
« Cher lecteur, j’aimerais te demander un service. Et il s’agit de garder le silence. La tension narrative de ce roman repose sur l’erreur de croire que, dans la relation entre Soledad et Adam, le personnage potentiellement dangereux est…(…) si, on le raconte, la structure, le rythme et le mystère du texte tombe à l’eau. Un grand merci. » Il est bien rare qu’un auteur s’adresse en postface à son lecteur et plus rare encore qu’il l’enjoigne de ne quasiment rien révéler de son roman. La tâche du chroniqueur devient alors difficile. Je vais toutefois essayer de relever le défi, essayer tout à la fois de vous faire aimer La Chair tout en respectant le vœu émis par Rosa Montero de ne pas trop en dire.
Soledad a soixante ans. Un âge ingrat, surtout lorsque l’on vient d’être quittée et que l’on se retrouve seule au moment d’aller à l’opéra où le traître sera présent avec sa nouvelle conquête. Surtout lorsque l’on prend soin de s’étudier face au miroir: « Le corps était une chose terrible, en effet. La vieillesse et la détérioration s’y tapissaient insidieusement et l’intéressé était souvent le dernier à l’apprendre, comme les cocus du théâtre classique. »
Mais Soledad a des ressources. Elle gagne bien sa vie, prépare une nouvelle exposition sur le thème des artistes maudits, et décide d’avoir recours aux services d’un gigolo qu’elle trouve sur le site AuPlaisirDesFemmes.com et qui lui servira de chevalier servant pour ses sorties. Le jeune Russe est non seulement beau, mais charmant et attentionné et Soledad va finir va se laisser prendre au jeu. Tout en sachant que sa relation n’est pas amoureuse, qu’elle paie pour un service, elle va avoir envie d’y croire. Elle va passer beaucoup de temps à se faire belle, va avoir envie de faire des cadeaux à son jeune amant, un téléphone portable, une garde-robe, des repas dans les grands restaurants. « Elle commençait à se sentir désespérée qu’ils ne se retrouvent que pour faire l’amour, que leur relation reste enfermée dans la cage étroite de la clandestinité et de la routine. » Du coup, cette relation tarifée va virer à l’obsession. Elle va chercher à en savoir plus sur le beau gigolo, suit son emploi du temps à la minute, fait le guet devant son immeuble de la banlieue de Madrid, le piste durant ses déplacements. Un jour, elle le voit avec une métisse et un enfant, alors qu’il affirmait vivre seul. Pour en avoir le cœur net, elle va même endosser le rôle d’un agent de recensement pour faire du porte à porte dans l’immeuble.
Du coup, on se demande si le piège n’est pas en train de se refermer sur elle. Ne devient-elle pas dépendante, «folle» de son amant. Un peu à l’image de ces écrivains maudits qu’elle étudie et dont elle nous raconte les errements. Dans cette galerie, outre Philip K. Dick et Anne Parry, on trouve William Burroughs, Maria Luisa Bombal et Maria Carolina Geel, deux femmes écrivaines chiliennes du XXe siècle qui ont tué leur amant, Maria Lejáragga qui a laissé son mari endosser la paternité de son œuvre, sans oublier Josefina Aznárez, dont on aurait bien aimé qu’elle existât. Cette femme qui se fait passer pour un homme et dont la supercherie, au moment d’être découverte, va l’entraîner vers une fin tragique mériterait un roman à elle toute seule ! Mais comme promis, je n’en dirai pas davantage. Ayant commencé cette chronique par la postface, je la conclurai par le début, par une définition de la vie à la Soledad : « « La vie est un petit espace de lumière entre deux nostalgies : celle de ce que vous n’avez pas encore vécu et celle de ce que vous n’allez plus pouvoir vivre. »

Autres critiques
Babelio
Libération (Alexandra Schwartzbrod)
Le Point (Sophie Pujas)
En attendant Nadeau (Albert Bensoussan)
Le Matricule des Anges (Martine Laval)
Transfuge (Charlotte Persicaire)
ActuaLitté (Cécile Pellerin)
Lesuricate.org (Emmanuelle Lorriaux)
Blog Le chat qui lit 
Blog Parenthèse de caractère(s)

Les premières pages 

Extrait
« “Bonjour, j’aimerais engager un accompagnateur pour le 2 du mois prochain. Plus exactement, je voudrais que ce soit Adam. J’aurais besoin que le rendez-vous soit pour 19h 30 au Café de Oriente, Plaza de Oriente, pour faire connaissance. De là nous irions au Teatro Real juste à côté, pour voir un opéra. La représentation dure 4h 20 avec les entractes, donc nous sortirions vers 00h 30 au plus tard. Le travail s’arrête là et Adam peut s’en aller. Combien cela me coûterait-il, s’il vous plaît?”
Elle espérait que, s’agissant d’une rencontre non consommée, on lui baisserait un peu le prix, mais la réponse tomba dans sa boîte avec une rapidité surprenante, compte tenu du fait qu’il était trois heures du matin, et une coriace indifférence aux circonstances: “Bonsoir, nous pensons qu’il n’y aura pas de problème mais nous devons le confirmer demain avec Adam, d’après ce que vous dites cela fait cinq heures, donc le prix serait de 600 euros.” » (p. 13)

À propos de l’auteur
Rosa Montero est née à Madrid où elle vit. Après des études de journalisme et de psychologie, elle entre au journal El País où elle est aujourd’hui chroniqueuse. Best-seller dans le monde hispanique, elle est l’auteur de nombreux romans, essais et biographies traduits dans de nombreuses langues, parmi lesquels La Fille du cannibale (prix Primavera), Le Roi transparent et L’Idée ridicule de ne plus jamais te revoir. (Source : Éditions Métailié)

Commandez le livre en ligne sur Amazon (il suffit de cliquer sur la couverture)
//ws-eu.amazon-adsystem.com/widgets/q?ServiceVersion=20070822&OneJS=1&Operation=GetAdHtml&MarketPlace=FR&source=ac&ref=qf_sp_asin_til&ad_type=product_link&tracking_id=macolledelivr-21&marketplace=amazon&region=FR&placement=B01J2U0134&asins=B01J2U0134&linkId=&show_border=true&link_opens_in_new_window=false

Mes livres sur Babelio.com


Focus Littérature

Tags:
#rosamontero #RL2017 #roman #rentreelitteraire #lachair #editionsmetailie