En deux mots:
Johanna vit au sein d’une famille modeste dans une petite ville de province. Des études médiocres semblent la vouer à un destin tout aussi médiocre, d’autant que son rêve de gloire ne va pas plus loin qu’une audition aux éliminatoires régionaux de Graines de star. Jusqu’au jour où on l’appelle pour participer à la première émission de téléréalité française.
Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)
Ma chronique:
Une autre Loft story
À travers l’histoire de Johanna, jeune fille modeste et sans histoire qui va devenir la vedette de la première émission de téléréalité française, Guillaume Sire nous entraîne dans ce curieux monde où les apparences sont les plus trompeuses.
Jennifer et sa copine Johanna sont à l’âge où elles deviennent femmes et où elles commencent à se poser des questions existentielles. Et si dans leur petite ville de province les perspectives sont toutes autres que réjouissantes, elles se disent que peut-être elles réussiront à accrocher une étoile. Que même leur scolarité médiocre ne les empêchera pas de devenir un jour une vedette.
Nourries par les images proposées par la télévision qui trône dans le salon, elles attendent le petit coup du pouce du destin. Pour Johanna, il pourrait venir des sélections de l’émission Graines de star. Outre un physique agréable, elle a pris des cours de danse classique et s’entraîne à chanter devant le clip de Dieu m’a donné la foi d’Ophélie Winter. Toutefois sa prestation ne convainc pas le jury et elle retrouve sa famille, ses parents Sylvie et Didier Tapiro, sa grand-mère – son premier supporter – et son frère Kevin.
Pour Antoine Dupré, le beau gosse du collège, sa prestation l‘a rendue plus désirable. Du coup, il l’invite à le suivre dans les toilettes du cinquième étage. Un rendez-vous loin d’être aussi romantique que celui de Léonardo di Caprio et Kate Winslet dans Titanic, mais une sorte de rite de passage. L’ironie veut que ce soit Jennifer qui mette son amie en garde – « Et tu crois que la prochaine étape, c’est quoi? Le mariage? Un jour il te fera mal. Les bourges, à un certain stade, il n’y a que ça qui les excite : la douleur. Pour eux, il s’agit d’une vérification. » – alors qu’elle même couche avec Adam qui n’a aucun égard pour elle, réussira à la mettre enceinte. Contraint d’assumer, il finira par frapper sa compagne.
La spirale infernale s’enclenche. Les petits boulots qui s’enchaînent, du McDonald’s à la caisse du supermarché et la fin de sa liaison avec Antoine qui a choisi Pauline Gouhier, plus conforme à son rang.
Le seul élément positif pour Johanna est la signature du bail pour un studio qui lui offre au moins l’illusion de la liberté.
Mais un coup de téléphone inattendu va tout bouleverser. Un producteur l’invite à Paris pour participer à une émission d’un nouveau genre. Intitulée Big Brother, elle mettra en scène des candidats «normaux» dont la mission sera de cohabiter dans un loft durant plusieurs semaines. Johanna accepte d’être l’une des pionnières de la téléréalité à la française. Après tout il s’agit d’une expérience limitée dans le temps et, comme lui souffle sa grand-mère, elle peut «tirer un maximum d’argent de toutes ces conneries».
On connaît la suite de l’histoire et l’hystérie qui s’est emparée de la France. Guillaume Sire n’a qu’à nous rafraîchir la mémoire en replaçant les épisodes forts de Loft story, saison 1 (Big Brother étant le nom d’origine du concept importé des Pays-Bas) dans son roman, utilisant même les mêmes prénoms pour certains des candidats tels que Laure ou Aziz. Johanna (que l’on rapprochera de Loana Petrucciani) et Édouard (on se souvient de la scène de la piscine avec Jean-Édouard) vont tomber amoureux et réussir à tenir presque jusqu’au bout. Mia qu’importe, car ils sont alors effectivement célèbres au point que Jean-Édouard va finir par se transformer en agent de Johanna.
Si ce roman est très réussi, c’est parce qu’il montre toute la perversité du système sans jamais se faire donneur de leçons. Johanna et Édouard ont par exemple compris que dans le loft ils ne peuvent pas tout se dire, surtout les épisodes de leur vie qui pourraient éventuellement se retourner contre eux. Du coup, ils conservent des parts d’ombre qui vont finir par les perdre. Le même jeu pervers va heurter la famille, les amis et même la production.
À vouloir trop se rapprocher du soleil, on finit – presque toujours – par se brûler les ailes…
Réelle
Guillaume Sire
Éditions de l’Observatoire
Roman
320 p., 20 €
EAN : 9791032902431
Paru le 22 août 2018
Où?
Le roman se déroule en France, d’abord dans une ville de province vers l’ouest, puis à Paris, à la Plaine Saint-Denis et à Issy-les-Moulineaux, à Leucate et sur les hauteurs de Saint-Tropez.
Quand?
L’action se situe des années 80 à nos jours.
Ce qu’en dit l’éditeur
Enviée, choisie, désirée : Johanna veut être aimée. La jeune fille ne croit plus aux contes de fée, et pourtant… Pourtant elle en est persuadée : le destin dans son cas n’a pas dit son dernier mot.
Les années 1990 passent, ses parents s’occupent d’elle quand ils ne regardent pas la télé, son frère la houspille, elle danse dans un sous-sol sur les tubes à la mode, après le lycée elle enchaîne les petits boulots, et pourtant…
Un jour enfin, on lui propose de participer à un nouveau genre d’émission. C’est le début d’une étrange aventure et d’une histoire d’amour intense et fragile. Naissent d’autres rêves, plus précis, et d’autres désillusions, plus définitives.
L’histoire de Johanna est la preuve romanesque qu’il n’y a rien de plus singulier dans ce monde qu’une fille comme les autres.
Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Blog motspourmots.fr (Nicole Grundlinger)
Blog Les livres de Joëlle
Blog éternelle transitoire (Quentin Perissinotto)
Les premières pages du livre
« Didier Tapiro avait emmené sa famille en forêt lorsqu’une pierre maintenue par un bourrelet de béton creva le pneu arrière droit.
— Johanna, tu vas devoir m’aider.
Il n’avait pas demandé à Sylvie, trop fragile, ni à Kevin, encore jeune, mais à sa fille, sur les épaules de laquelle reposeraient désormais la survie et la dignité des siens. Elle l’aida à positionner le cric conservé dans un compartiment dont tout ce temps elle avait ignoré l’existence. Non loin de là, un buisson de houx tremblotait comme si un lapin ou n’importe quel rouge-gorge avait essayé d’en sortir. Aucune rivière. La forêt s’assombrissait dans ses hauteurs mais le sous-bois était clair et presque fluorescent par endroits. Soutenue par le cric, la voiture ressemblait à ces herbivores dangereux (au zoo oui, au cirque non) en train de célébrer leur territoire. Quant aux rayons du soleil, ils patrouillaient dans l’entrelacs d’un cèdre pendant que Didier jouait les maréchaux-ferrants.
— Merci, ma chérie, sans toi je n’y serais pas arrivé.
Johanna eût été moins fière si sa mère et son frère n’avaient pas eux aussi remercié. Le buisson de houx avait cessé de trembloter. Sans elle, il aurait probablement fallu construire une cabane et ingurgiter l’eau de pluie, la vase, des racines, peut-être renoncer à certains principes ; il y a des films, après tout, où les secours n’arrivent jamais. Dans son cœur furent consignés le cèdre au tronc mauve, ses croisées d’ogives et sa fraise espagnole garnie d’aiguilles bleues ; sur la pulpe de ses doigts la bave violacée du cambouis et dans son regard le regard d’un père qui viendrait à son secours s’il fallait (un jour il faudrait).
En rentrant, Kevin, le petit frère, avait vomi sur la banquette. Il y avait des morceaux, et l’odeur, l’odeur !… De cela aussi, elle se souviendrait.
Les dimanches en forêt, deux ou trois par an, étaient aux Tapiro ce que pour une nation sont les moments d’unité. Le reste de la semaine, l’amour avait lieu, mais à distance raisonnable. On cochait sans conviction les cases d’un calendrier acheté à la police pour les étrennes et punaisé de guingois sur l’aggloméré de la cuisine.
Dans l’appartement où ils avaient emménagé après la naissance de Kevin, les meubles, les fenêtres, le coucou suisse fabriqué en Chine et les trois chambres existaient autour de la télévision.
— On dirait que l’architecte a travaillé pour elle, avait expliqué un jour Mamie. Ou pire, avait-elle ajouté sans que Johanna saisisse l’allusion.
À cette époque les télévisions étaient des caissons de bois et de plastique équipés d’un ventre de verre et remplis de luminophore. L’interrupteur de celle des Tapiro étant cassé, il n’y avait pas d’autre solution pour l’allumer et l’éteindre que de brancher et débrancher la prise, ce qui exigeait une contorsion digne des meilleurs danseurs à laquelle on ne procédait que quatre fois par jour, pour l’allumer au réveil et quand Didier rentrait du travail (il rentrait avant Sylvie), puis pour l’éteindre le matin avant de quitter l’appartement et la nuit lorsque les parents se couchaient. À cause des murs trop minces, Johanna s’endormait au son des mitraillettes des films de guerre et des saxophones des comédies romantiques, auquel elle était tellement habituée que, si elle se réveillait après que Didier eut débranché, elle actionnait le volume de son radio-réveil et se rendormait en écoutant des insomniaques parler de sauter par la fenêtre pendant qu’une femme à la voix caféinée leur suggérait de « profiter » (un jour l’un d’eux, un Bordelais, avait agressé sa voisine en direct). Mise en joue par les cauchemars et accrochée aux voix du radio-réveil comme d’autres enfants à leurs peluches bousillées, elle cherchait le sommeil ; puis le jour venait, Didier rebranchait la télévision, un oiseau chantait si le matin était brumeux et finalement la voix liquide et intelligente de William Leymergie se chargeait pour ainsi dire d’ouvrir les volets. »
Extrait
« Johanna se procura un portrait d’Ophélie Winter qu’elle accrocha au-dessus de son lit. Dans le magazine d’où elle le détacha se trouvait également une photo de Filip, le chanteur des 2be3, ornée d’une signature imprimée, comme si le poster avait vraiment été dédicacé.
Ça faisait plus d’un an qu’elle n’avait plus assisté au cours de danse classique de Mme Merzeau. Ses anciennes camarades avaient ébloui une trentaine de parents au spectacle de fin d’année. L’une d’elles avait obtenu une espèce de prix. La professeure avait essayé d’appeler les Tapiro mais elle avait fini par croire que le numéro de l’annuaire n’était pas le bon puisque personne, jamais, ne décrochait.
Dans la cave où Johanna dansait le mercredi – au « Club » –, le DJ passait une chanson d’Ophélie Winter quatre ou cinq fois par heure. On y installa une télévision pour diffuser les clips en même temps qu’on dansait devant les miroirs.
— Qu’est-ce que vous pensez d’Ophélie Winter ? demanda un jour Johanna à ses parents.
— Elle a une de ces poitrines, s’extasia Didier. On dirait une Américaine.
— Ils sont faux, ricana Sylvie.
— Et alors ?
— Moi, je trouve qu’elle ressemble à Jennifer, dit Kevin. »
À propos de l’auteur
Guillaume Sire est écrivain et enseignant à l’université Toulouse I Capitole. Il a publié des essais et deux romans, Les Confessions d’un funambule (La Table ronde, 2007) et Où la lumière s’effondre (Plon, 2016). (Source : Éditions de l’Observatoire)
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