À double tour

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En deux mots
À six ans et demi, le narrateur est séquestré par sa mère en compagnie de sa sœur de neuf ans. Leur calvaire va durer près de deux ans. C’est à dix-sept ans, après le procès qui a condamné la tortionnaire, qu’il décide de raconter ce terrible drame.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Séquestrés pendant près de deux ans

Dans son second roman Thomas Oussin a choisi de se glisser dans la peau d’un jeune homme de dix-sept ans qui raconte à froid le calvaire qu’il a vécu à six ans et demi. Avec sa sœur de neuf ans, il a été séquestré pendant plus de 600 jours par sa mère. Glaçant !

Le 4 janvier 1989, la mère du narrateur décide de l’enfermer – lui et sa sœur – dans leur chambre à coucher. Les enfants ont 6 et demi et 9 ans. Ils pensent alors être victimes d’une punition infligée par leur génitrice, devenue de plus en plus irritable après le départ de son mari, parti rejoindre sa maîtresse et ses autres enfants.
En fait leur calvaire va durer près de deux ans. À compter de ce jour funeste, Victor et Amandine vont devoir composer avec un quotidien carcéral aux règles strictes: ne plus faire de bruit, faire leurs besoins dans la poubelle, vivre avec les habits, livres et jouets qui se trouvent dans leur prison. Et n’avoir quelquefois à manger et à boire qu’un jour sur trois, selon les caprices de leur bourreau. Très vite, l’aînée va décider de rationner leur pitance et aussi assurer un minimum d’éducation en apprenant à lire à son frère. Pour cela, elle va se servir d’une version de l’Odyssée d’Homère adaptée aux enfants. Les aventures d’Ulysse deviennent alors la porte vers un nouveau savoir et un moment de distraction bienvenu dans ce lieu confiné, propice aux maladies. «Je n’imaginais pas un instant que mon manque d’hygiène pouvait être à l’origine des fortes démangeaisons qui me ravageaient les bras et la raie des fesses. Je n’imaginais pas que mon corps et mes cheveux étaient infestés de poux. Je n’imaginais pas être en état de sous-nutrition. Ma conscience se limitait à l’enfermement, au silence et à l’obscurité.»
Mais ils ne sont pas au bout de leurs peines, bien au contraire. Après leur avoir coupé l’électricité, ne leur offrant pour toute lumière que celle qui perçait à travers les volets de bois, leur mère va découvrir qu’ils disposent encore d’une lampe-torche. Elle va alors les transférer dans un placard de deux mètres carrés. Ils vont alors devoir apprendre à survivre dans cette cellule. Et profiter de chaque seconde d’éclaircie: «Quelquefois, notre mère, par inadvertance sans doute – j’ai du mal à imaginer que l’inverse puisse être possible – oubliait d’éteindre la lumière de la buanderie. Alors, en dessous de la porte et à travers la serrure, cette clarté qui fendait notre obscurité nous réjouissait telle de la poussière d’étoile.»
Si le lecteur sait dès les premières pages que cette épreuve est désormais un souvenir pour Victor, qui a trouvé refuge chez sa grand-mère, il va découvrir avec effroi les circonstances qui ont permis sa libération et l’arrestation de sa mère.
Bouleversante, cette tragédie a beau être rédigée à froid, des années après l’enfer vécu par les deux enfants, elle n’en conserve pas moins son côté glaçant et une forte intensité dramatique. Thomas Oussin joue avec brio sur le clavier des émotions, entraînant tout à tour le lecteur de la sidération à la révolte, de l’incompréhension à l’empathie. Si les formules n’étaient pas déjà éculées, je dirais volontiers que ce roman se lit d’une traite et qu’il est impossible de la lâcher jusqu’à la dernière page.

À double tour
Thomas Oussin
Éditions Viviane Hamy
Roman
144 p., 14,90 €
EAN 9782381400501
Paru le 1/03/2023

Où?
Le roman est situé en France, dans un endroit qui n’est pas spécifié.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Pendant ces six cent douze jours, le silence et l’obscurité ont été mes seuls amis. Presque les seuls. Victor, dix-sept ans, vit depuis quelques années chez sa grand-mère maternelle, Ma, dont la gouaille vindicative cache l’amour qu’elle lui porte. Un simple geste a fait basculer leur vie : une porte fermée à double tour quand Victor était âgé de six ans et sa sœur Amandine de neuf ans.
Habitués à subir la colère de leur mère, les deux enfants pensent ce jour-là l’avoir contrariée sans raison et n’y prêtent guère attention. Mais quand Victor insiste pour qu’ils sortent de la pièce, sa mère répond qu’elle ne veut plus les voir, sa sœur et lui. L’enfer commence alors. À double tour est un roman noir qui nous tient en haleine et nous révolte. C’est aussi une histoire bouleversante, celle de l’émouvante reconstruction de deux êtres cabossés par la vie.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Mare Nostrum (Christiane Sistac)
Actualitté (Hocine Bouhadjera)
RTBF (Thierry Bellefroid)
Blog The Unamed Bookshelf
Blog Sur la route de Jostein
Blog L’œil d’Olivier

Les premières pages du livre
« Pendant un an, huit mois et quatre jours, j’ai été caché. Presque deux ans d’une vie. C’est long deux ans dans une vie, surtout quand on est un enfant de huit ans. Pendant ces six cent douze jours le silence et l’obscurité ont été mes seuls amis. Presque les seuls. Je continue à utiliser le mot «caché» lorsqu’il m’arrive d’en parler, sans doute dans un élan enfantin de ma part, mais le terme exact, en tout cas employé par mon avocat, c’est «séquestré». J’ai été séquestré. Entre mes six ans et demi et mes huit ans. J’ai toujours eu du mal à comprendre le processus qui m’a amené à être la victime de cette séquestration. D’autant que lors des tout premiers jours, je n’avais pas conscience de cette privation de liberté. J’étais, de mon point de vue, dans une situation à peu près confortable dans ma maison, avec ma sœur et ma mère. Comment imaginer que ce cocon douillet allait être ma prison et que celle qui m’avait mis au monde allait être mon bourreau? Ce qui a été une chance pour moi, c’est que je n’étais pas seul dans cette épreuve. Ma grande sœur a été un soutien constant. Du premier jour d’enfermement à la libération ultime, elle était à mes côtés. Je crois que, sans sa présence, je ne serais sans doute pas là aujourd’hui pour écrire ces quelques lignes. Je lui dois ma vie.

Victor. Voilà le nom qu’elle m’a donné à ma naissance, il y a un peu plus de dix-sept ans à présent. Quelle ne fut pas ma surprise lorsque j’ai appris en cinquième que mon prénom signifiait « vainqueur » en latin ! Quelle ironie ! Je n’avais, pendant ces années de collège, absolument rien d’un vainqueur. J’étais une espèce de morceau de chair, un petit être chétif, à mille lieues du jeune homme que je suis devenu. Même si je sais que le chemin est encore long, je suis conscient que je reviens de loin. J’ai bel et bien vaincu quelque chose ou quelqu’un. Mes angoisses. Mes démons intérieurs peut-être. Cela dit, je n’ai pas tout vaincu ; un masque terne vient par moments affadir mon visage jovial. Mon esprit est traversé d’interrogations qui demeurent et demeureront tout le reste de ma vie.
Cela fait un peu plus de neuf ans que je suis sorti de cet enfer et parfois mes souvenirs se brouillent. Les années viennent déposer leur voile de crêpe sur ces instants. Sans doute mon esprit adoucit il les angles de certains moments et en aiguise-t il d’autres. Je vous demande donc d’excuser le caractère quelquefois fragmentaire de mon propos. Je vous livre ces informations comme elles reviennent à ma mémoire : tantôt elles surgissent avec facilité et simplicité, tantôt je les accouche aux forceps.
Par ailleurs, quand on a six ans et demi, on ne se souvient pas de tout. La conscience du temps se met alors tout juste en place. Il est donc possible que la chronologie des événements que je vais évoquer soit quelque peu approximative. Enfin, du fait de mon bas âge, certains éléments m’étaient totalement inconnus. C’est en recoupant les témoignages de tierces personnes, en lisant les notes d’audience du procès et les différents documents archivés dans le dossier que j’ai pu tenter de reconstituer le déroulement des faits. Et aussi grâce à ma grand-mère. Ah… Ma grand-mère, tout un poème ! Je l’appelle Ma. Elle aussi me parle… Parfois…
« Reconstituer le déroulement des faits », c’est une chose. Les comprendre, c’en est une autre. Vaste programme que d’essayer de trouver des réponses à ces « pourquoi ? ». Pourquoi ma mère a-t elle séquestré ses deux enfants ? Et pendant aussi longtemps ? Pourquoi ne pas nous avoir abandonnés, plutôt ? A-t elle, à un moment, songé à la folie de son acte ? Y songe-t elle maintenant ? Je me demande comment une femme peut en arriver à vouloir oublier, à vouloir soustraire de sa vue, de celle des autres, ses propres enfants. Autant de questions avec lesquelles je vais devoir vivre.

Ma, assise au bout de la table de la cuisine, est occupée à faire ses mots croisés en silence. Je lève de temps en temps le regard et décroche de ma dissert de philo pour l’observer. Elle est concentrée et aspirée par son activité. Comme si de rien n’était, elle se rend aux pages finales pour jeter un œil furtif aux solutions. « Juste pour vérifier », dit elle. Ça m’amuse et je la taquine parfois.
Elle a la respiration profonde et apaisée des gens d’expérience. Sa présence a toujours eu un effet rassurant sur moi, en tout cas depuis que je vis chez elle. J’ai pris l’habitude de faire mes devoirs sur la table de la cuisine, près d’elle, alors même qu’elle avait aménagé un coin bureau dans ce qui est devenu ma chambre.
Au milieu de cette vieille maison à la décoration des années soixante-dix, je me sens bien. Ce n’est pas le lieu de vie rêvé pour un garçon de dix-sept ans, certes, mais c’est chez moi. J’ai cependant mis du temps à considérer cette maison comme la mienne.
Les premiers jours qui ont suivi ma libération demeurent assez flous. Je me souviens de nuits à l’hôpital, d’un nombre incalculable de rendez-vous dans des bureaux : gendarmerie, psychologue, avocat, aide sociale à l’enfance. Ils se ressemblaient tous, je ne les différenciais pas vraiment. Je me contentais de répondre aux questions de ces gens du mieux que je le pouvais, bien souvent sans lever les yeux. J’observais à chaque fois avec une grande attention le revêtement des bureaux qui nous séparaient, les « interrogateurs » et moi. Je finissais par en connaître chaque texture, chaque nervure, chaque égratignure. Ils constituaient pour moi les garants de mon espace vital. Je percevais que toutes ces personnes voulaient mon bien, mais j’étais quelque peu apeuré après avoir passé des mois privé de tout contact social. J’avais surtout, je pense, peur de mal faire, et je vivais ces moments avec une extrême tension, tiraillé par la crainte de commettre une erreur qui aurait déclenché leur colère.
Dans l’attente de savoir qui s’occuperait de moi, j’ai passé, à ma sortie de l’hôpital, plus d’une semaine dans un foyer. Je n’ai gardé des nuits dans ce lieu que l’image de mes petits poings serrant un coussin jaune ainsi qu’une vague impression de sanglots dans la nuit, dont je ne sais a posteriori s’il s’agissait des miens ou des pleurs de mes co-pensionnaires de fortune.
Il fallut d’abord contacter mon père, qui avait disparu du paysage, mais il fut décidé que je n’irais pas chez lui ; je reviendrai plus en détail sur ce point. Ma grand-mère, dans un premier temps, ne voulut pas de moi, me confia-t elle. Elle avait coupé les ponts avec sa fille, ma mère, plusieurs années auparavant et préférait rester en dehors de toute cette affaire. Elle ne me connaissait pour ainsi dire pas et j’étais presque un étranger pour elle. Me prendre chez elle ne serait qu’une source d’emmerdements, pensait elle. Elle avait d’autres chats à fouetter. Pourtant, et j’ignore si son revirement est dû à l’obstination de l’assistante sociale ou si la pitié l’avait assaillie le jour où elle avait découvert mon visage marqué par le poids de l’hébétude, mais elle finit par m’accueillir chez elle. Sa volte-face ne s’arrêta pas là, puisqu’elle prit la résolution de se constituer partie civile, contre ma mère.
Au début, je fus installé dans l’ancienne chambre de mon oncle Joseph, laquelle conservait quelques stigmates de son adolescence comme une cible de fléchettes dessinée directement sur le mur et un poster d’ACDC. Puis très vite, sur les conseils avisés de l’assistance sociale, et grâce à l’aide apportée par un autre de mes oncles, Michel, la chambre fut repeinte et aménagée de manière à convenir davantage à un enfant de mon âge. Selon les experts, il était souhaitable que je m’approprie ce lieu et que je m’y sente en sécurité. Pour ma part, j’avais surtout l’impression de flotter, comme un ballon sans attache, égaré entre deux courants d’air. Je me retrouvais vide, seul, sans ma mère, ce qui était sans doute mieux, mais surtout sans ma sœur qui avait été mon compagnon de jeux, mon unique amie, ma confidente, mon institutrice, pendant ces longs mois. J’avais perdu l’habitude de l’école. Je restais assis sur mon lit à contempler les palmiers verts et bleus imprimés sur la housse de couette. Et j’attendais. Quoi ? Je n’en avais aucune idée. Ma grand-mère, à sa façon, c’est-à dire avec une attitude maladroite et un ton de butor, tentait de me stimuler : « T’as pas fini de rêvasser ? Viens donc m’aider à éplucher les patates ! » « Bouge ton cul de ce tabouret, va jouer dans le jardin ! » « On va faire des crêpes ! » J’ai fini par m’habituer à cette vie. À cette autre vie. À cette nouvelle vie. À cette étroite cour grillagée qui servait de jardin, à cette maison coincée dans une autre époque, aux scènes de chasse représentées sur le papier peint du salon, à ce canevas au-dessus du canapé, à cette petite horloge sous un globe de verre et dont le balancier tournait sur lui-même invariablement. »

Extraits
« Lorsque nous étions là-bas, nous n’avons jamais évoqué l’idée de la mort ou de la maladie. La notion de survie m’était inconnue: peut-être ma sœur en avait-elle conscience. Je n’imaginais pas un instant que mon manque d’hygiène pouvait être à l’origine des fortes démangeaisons qui me ravageaient les bras et la raie des fesses. Je n’imaginais pas que mon corps et mes cheveux étaient infestés de poux. Je n’imaginais pas être en état de sous-nutrition. Ma conscience se limitait à l’enfermement, au silence et à l’obscurité. » p. 65

« Dans ce ciel sombre que représentait notre épreuve, il nous arrivait d’apercevoir des éclaircies. Quelquefois, notre mère, par inadvertance sans doute — j’ai du mal à imaginer que l’inverse puisse être possible — oubliait d’éteindre la lumière de la buanderie. Alors, en dessous de la porte et à travers la serrure, cette clarté qui fendait notre obscurité nous réjouissait telle de la poussière d’étoile. » p. 77

À propos de l’auteur
OUSSIN_Thomas_©Christophe_MassonThomas Oussin © Photo Christophe Masson

Né en 1982, Thomas Oussin a passé son enfance dans un petit village de la Nièvre auquel il reste profondément attaché. Après une maîtrise de Lettres Classiques obtenue à Dijon, il enseigne le français, le latin et le grec, d’abord à Pantin puis à Paris. Parallèlement à son métier d’enseignant, il suit une formation d’acteur au Cours Florent et joue dans deux longs-métrages. Il s’adonne également au dessin ainsi qu’à l’écriture de scénarios et de chansons. Il est aussi l’auteur de deux romans, Soleil de juin (2021), roman lumineux sur les premiers émois adolescents et À double tour (2023). (Source: Éditions Viviane Hamy)

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Accordez-moi la parole

MOESCHLER_Accordez-moi_la_parole  RL_2023

En deux mots
Après une enfance difficile, Raphaëlle rêve de construire une famille aimante. Mais quand son mari la quitte, elle entraîne son fils dans la mort et se retrouve derrière les barreaux. Réfugiée dans la lecture, elle décide de contacter une romancière.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Une mère infanticide a-t-elle droit au pardon?

Dans son nouveau roman, Vinciane Moeschler suit une femme emprisonnée pour le meurtre de son fils et qui décide de contacter une romancière. Le début d’une relation très particulière.

La vie de Raphaëlle Lombardo a tout d’un chemin de croix. Dès son enfance, elle a subi la violence d’un père qui frappait son épouse avant de s’en prendre à ses enfants. Si à 20 ans, son décès l’a délivrée d’un lourd fardeau, elle n’en a pas moins gardé un lourd traumatisme. Et quand, à son tour, elle se met en couple, elle ne veut pas écouter les conseils de sa mère qui voit dans cette union la reproduction du schéma qui lui a été fatal.
Les premières années semblent lui donner tort. Le mari de Raphaëlle est attentionné et promet de l’aider dans son ménage. Les grossesses vont s’enchaîner et la situation se dégrader. Face au poids de ses responsabilités, le mari démissionne et laisse son épouse gérer le chaos. Elle se raccroche alors à son petit dernier, le bébé d’amour que personne d’autre ne serrera plus dans ses bras, car dès la préface on comprend qu’elle se retrouve en prison pour un infanticide.
Derrière les barreaux, elle lit et découvre le premier roman de Salomé. Une œuvre qui lui donne envie de contacter cette romancière à succès et de lui proposer de lui raconter son histoire.
La relation qui s’installe est alors l’occasion de reprendre depuis le début le «parcours criminel» sous le regard bienveillant du directeur de la prison, toujours persuadé que ses détenus devraient tous avoir droit à une seconde chance.
Vinciane Moeschler, comme dans Alice et les autres, son précédent roman qui traitait le cas d’une personne souffrant d’un trouble dissociatif de la personnalité, aime explorer les marges de notre société, creuser derrière le fait divers. En remettant en perspective un geste aussi extrême que celui de donner la mort à son propre enfant, elle nous pousse à la réflexion et à nuancer une condamnation quasi inéluctable. Mais l’intérêt de ce roman est double. Il nous propose aussi une nouvelle plongée dans l’univers carcéral. Depuis Surveiller et punir de Michel Foucault, la question du rôle de la prison reste toujours en débat. La détention reste d’abord et avant tout un moyen d’isoler les délinquants et les criminels de la société. Mais elle semble oublier la préparation des détenus, une fois leur peine purgée, à retrouver une place parmi les hommes. Avec l’exemple de Raphaëlle, mais aussi de l’une de ses codétenues, on comprend que cet aspect des institutions pénitentiaires reste à améliorer.
Ajoutons-y l’effet-miroir introduit par la mise en scène d’une romancière. Salomé, en s’interrogeant sur son rôle, en racontant les difficultés qu’elle rencontre avec son texte, en cherchant des parallèles avec sa propre histoire, le couple qu’elle forme avec Lucas et son rôle de mère, joue avec subtilité la part introspective du livre. Ajoutons-y l’expérience accumulée depuis plus d’une décennie maintenant avec le travail effectué en asile psychiatrique, à commencer par l’animation d’ateliers d’écriture.
Comme dans toute son œuvre, Vinciane Moeschler joue d’une plume sensible, toute en nuances, pour nous parler de l’une de nos valeurs cardinales, l’humanité.

Accordez-moi la parole
Vinciane Moeschler
Éditions du Mercure de France
Roman
208 p
EAN 9782715261174
Paru le 09/03/2023

Où?
Le roman n’est pas géographiquement situé.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Salomé est une jeune romancière à succès. Alors qu’elle commence l’écriture de son prochain livre, Raphaëlle Lombardo surgit dans sa vie. Maman à la tendresse qui dérape, elle peine à faire grandir ses enfants. Elle est l’épouse que le conjoint abandonne, la fille qu’on a mal aimée. Son petit dernier, son «bébé d’amour», était sa dernière chance. En commettant l’interdit, elle rejoint le cercle tragique des criminelles et réclame la parole : être jugée plutôt que réduite au silence.
À contre-courant de la maternité idéalisée, Vinciane Moeschler dresse le portrait d’une femme que personne n’a voulu voir sombrer. En abordant de manière frontale un sujet qui dérange, elle questionne les limites d’un acte qui assassine nos repères. Un roman inclassable, terriblement puissant.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Le carnet et les instants (Estelle Piraux)

Les premières pages du livre
Jugée responsable de mes actes, j’ai dû répondre des faits devant une cour d’assises.
Comme la main un peu ferme qui se dépose sur votre épaule, j’ai approuvé.
Accordez-moi la parole. Tout inculpé y a droit, non ?
Je ne souhaitais pas qu’on me prenne pour une cinglée, qu’on me tienne à l’écart.
Privée de ce procès, réduite au silence, je n’aurais pas eu la possibilité de raconter.
Mon histoire.
Cette histoire.
Qui m’a conduite à l’acte le plus indicible qui soit.
Donner sens à l’abominable allait me permettre d’accepter l’enfer que serait ma vie.
Non pas celle qui m’a été proposée à la naissance.
Pas celle que j’aurais souhaitée.
Celle que vous, eux, les autres, ont piétinée.
Celle qui m’a été confisquée parce qu’on m’a laissée trop seule.
J’avais besoin de comprendre, moi aussi.
Comment j’en suis arrivée là.
Lorsque les mots perpétuité, peine capitale ont été prononcés par le juge, l’odeur de ta nuque m’est revenue.
Comme une volupté dérobée à l’interdit.
La déchirure de nos deux corps.
Oui, j’étais soulagée parce que coupable.
J’ai dit pardon.
Juste pardon.

Je me suis liée d’amitié avec un parapluie.
Bleu foncé avec de gros points rouges.
Un rien vulgaire.
Il semblait abandonné dans un coin de rue.
J’ai d’abord observé si quelqu’un venait le réclamer, mais non, alors je l’ai emporté.
Disons que je l’ai emprunté.
J’ai fait comme s’il m’avait toujours appartenu et qu’on avait déjà toute une histoire ensemble.
Une histoire de solitude.
Grâce à lui, je porte un bout de la vie d’une autre, ses goûts, ses souvenirs, ses oublis.
Je dis qu’il est magique parce que quand la pluie glisse sur lui, sa texture donne l’impression qu’il est sec.
Bizarre, perdre un parapluie comme celui-là !
Quelle femme a bien pu faire ça ?
De la négligence sûrement.
Moi, j’ai jamais rien perdu.
Pas même mes enfants dans un supermarché. Pas même.
Depuis je ne le quitte plus.
Quand il fait beau, il m’arrive de le prendre avec moi.
J’ai oublié de te dire, il est blessé, ce parapluie : une baleine pend lamentablement.
C’est pas logique ça, maman, qu’elle m’a répliqué ta sœur.
Qu’est-ce qui est logique dans cette vie ?

Il n’y a pas si longtemps, j’ai commencé une collection.
Pourtant, j’ai jamais été collectionneuse, je trouve ça stupide.
Le même objet, pour quoi faire ?
Les objets, ton père, il n’en veut plus, ça encombre la maison.
Et pourtant, je ne peux pas m’en empêcher : tous ceux que je trouve, je les ramène.
C’est plus fort que moi, un truc viscéral.
Si on était plus riches, je leur réserverais bien une armoire entière.
Ma mère, elle, ce sont les hommes qu’elle a collectionnés.
Comme des perles qu’on enfile sur un collier.
De toutes les couleurs, de toutes les tailles, de tous les styles, de tous les horizons, de toutes les façons, de toutes les odeurs, de toutes les punitions.
Des perles qu’on choisit à la va-vite, qu’on entasse dans un bocal, négligemment.
Des perles qu’on compte : six, sept, huit, quinze, seize, vingt…
Il faudrait une armoire gigantesque.
Toi, tu t’es entiché du violet.
Tu as bon goût, c’est de loin le plus joli.
Quand je le fais tourner sur lui-même comme une toupie, tes yeux de chat le suivent.
Ton premier sourire, je le dois à ce parapluie violet.
Alors je recommence et je recommence, encore.
Souris mon bébé. Souris mon ange. Mon enfant mon bébé mon petit. Mon bébé mon bébé.
Tes bras potelés, ta tête douce, du velours, ta tête.
De la pâte à modeler.
Je pourrais la déformer à force de la caresser.
Tu sens si bon. L’embrun de l’océan, l’odeur de l’herbe coupée, la nature qui s’abandonne. Odeur énigmatique des bébés.
Celle du réconfort. Celle d’un adoucissant, celle d’une pommade à la rose, à la citronnelle, à la vanille.
Glissée là dans les replis du cou.
Viens là, viens là mon cœur.
Que je te touche, que je te respire, que j’en transpire.
Ton corps docile, il s’abandonne, ton corps docile, mon cœur mon cœur.
Tes yeux se noient dans moi, se fondent dans moi, se reflètent en moi, contre moi.
Jamais rassasiée.
Mon cœur mon cœur mon enfant.
Mes seins se tendent, mon lait pour ta bouche ronde, goulue, tendre.
J’effleure tes lèvres, elle m’aspire, ta bouche ronde et douce.
On dirait qu’elle va m’engloutir.
Tes mains à peine formées pétrissent ma peau, ma langue lèche un ongle de nacre.
Tu te blottis et quand tu te blottis, alors le dehors, la rue et le bruit de la rue m’échappent.
Reste notre quiétude.
Mon bébé mon enfant.
C’est comme ça que j’ai toujours imaginé mes petits : au creux de l’intime.
Regardez-moi ça, ces petites pattes qui remuent.
Là, calme-toi, chut… chut…
Là, là, bébé d’amour.

Et dire qu’ils pensaient que tu allais mourir.
Ils insistaient : « Trop petit, votre bébé, madame. Poids inférieur pour… »
Le médecin hochait la tête ostensiblement.
Il constatait, avait des doutes, puis sortait de la salle blanche, ôtait ses gants de silicone et reposait sa blouse immaculée.
Il s’autorisait à mettre une main sur mon épaule.
« Soixante pour cent des grands prématurés gardent des séquelles. Il y a parfois des miracles. Mais bon, 800 grammes, ce n’est pas beaucoup tout de même… Il va falloir être forte, chère madame. »
Il a fallu te mettre sous ces machines. Ces horribles tuyaux.
Comme autant de petits serpents.
Partout dans le corps, les orifices comblés.
Existence si minuscule déjà reliée à des artifices.
Tu ressemblais à un petit cosmonaute, le corps en attente, le corps inachevé et déjà surchargé.
Des veines si fragiles, trop fines, trop invisibles, on ne savait plus où piquer la perfusion.
Impossible fusion.
Impossible corps-à-corps.
Impossible tiédeur.
Ma petite statistique de bébé, ton corps à peine esquissé était déposé sous la couveuse, dans l’expectative d’un avenir.
Déjà, la vie te maltraitait.
Prenez garde de ne pas abîmer mon enfant avec vos mains puissantes, vos mots médicaux disgracieux. Vous le savez, pourtant vous, comme c’est dur à venir au monde, un enfant.

J’ai patienté.
Moi, je savais mon amour mon cœur que tu allais vivre.
C’était une évidence.
Il n’y a qu’une mère pour savoir ça.
L’autre, il était pas là, bien sûr.
Jamais là quand il faut, l’autre.
Ton poids a peu à peu progressé. Tu étais courageux, t’accrocher comme ça à la vie, sans savoir.
850 grammes, 910 grammes, 1 kilo, 1,5 kg, 2 kilos.
Et puis ce jour. On m’a dit : « Votre fils est sauvé, il peut rentrer chez vous. Tout va bien. »
Une phrase anodine, comme quand on demande : comment ça va, aujourd’hui, madame Lombardo ? Merci, TOUT VA BIEN.
Mais moi, j’y croyais pas, je me disais, ils me mentent, ils ne savent plus quoi faire, tu vas mourir là, dans ta couveuse, tu vas pas survivre.
À force, j’avais fini par douter.
Pourtant, tu étais vivant, beau, petit mais grandiose.
La miraculeuse proportion du bébé.
J’ai pleuré.
J’ai appelé maman : « Maman, mon bébé est sauvé. »
Elle a juste dit : « C’est bien, ça, ma fille. »
Elle n’a jamais beaucoup montré ses sentiments, ta grand-mère. Elle était contente je crois.
À la maison, les gosses ont sauté de joie quand ils t’ont vu, si magnifique.
Je vous présente votre petit frère.
Et lui, ben lui, il avait trop bu, alors forcément, il a pas réagi.
Pas réagi.

Je me souviens…
J’ai 7 ans, une peluche en forme de chien. Milou.
Je me démène grotesquement, d’une vie à l’autre.
D’un côté mon père, Giuseppe, le dimanche uniquement et une fois par mois.
De l’autre ma mère et mon beau-père.
Je traîne Milou chez l’un, chez l’autre.
Je traîne aussi David, mon frère cadet.
Ma toute petite histoire n’est rien.
Mon pays vit des moments horribles. Ça saute dans les métros.
À la télé, on voit des gens le visage en sang, ils crient dans les rues.
J’ai 7 ans. Cela m’affecte.
Là où je vis, c’est la province, un bled pourri.
Une mer grise et dure, des marées indéfinies.
Tantôt glaciale, tantôt poisseuse.
Mon beau-père cogne sur ma mère.
Un connard haut sur pattes, des cheveux fins qui s’émiettent.
Il sent la transpiration, ça me dérange.
La vulgarité de son regard me met mal à l’aise.
Il chlingue comme la raie de son cul, son regard.
S’envoie des Carlsberg à n’en plus finir. Un vrai ringard, mon beau-père.
Quand il est bourré, il met à fond une chanson de Rod Stewart.
Il se la pète avec son putain de tatouage dans le dos, un dragon, enfin un truc du genre.
Ma mère, ma mère je l’admire.
Elle est vraiment très belle.
Ma mère.
Qu’est-ce qu’elle fout avec cet hybride ?
Il l’abîme, la coince dans une vie médiocre.
Une putain de vie.
Mérite mieux. Sa douleur a annulé la mienne.
Je veille désormais sur elle.
Je suis ta bouée de sauvetage, ton ange gardien. Je ferai attention pour qu’il ne saccage pas notre vie, maman. Ça s’abîme vite, une vie. Et après, on peut plus rien récupérer, que des lambeaux, des lambeaux.
Maman, tu m’écoutes ?
Elle est belle ma maman.

J’ai 12 ans. Et je ne sais pas nager.
Personne n’a appris dans ma famille, et pourtant on côtoie l’océan à longueur de journée.
Pour une fois, l’eau est cristalline.
Pas une seule vague.
Je voudrais m’y jeter.
Si je m’y jette, je coule.
Tant pis, j’essaie.
Très vite, je sens le poids de mon corps s’enfoncer dans l’eau légère, puis s’enrouler dans les algues.
Tout va trop vite : ma tête pique vers le fond, au lieu de me laisser sombrer, je fais des gestes désarticulés, j’étouffe.
Et pourtant.
J’observe un tas de petits poissons verts, rouges et violets.
Des hippocampes aussi. Des étoiles de mer.
C’est tranquille sous l’eau, beaucoup de silence. Du silence, et c’est tout.
Une sirène me tend la main.
Elle cherche à m’attirer.
Ses cheveux emmêlés forment un léger sillon dans l’eau.
J’arrive, je lui dis, attends-moi.
Voilà que je remonte à la surface.
Je crie, je hurle : j’ai peur.
Ça doit se sentir dans ma voix que j’ai peur. Des mots incompréhensibles, des sons qui ne ressemblent à rien.
Enfin, elle a tourné la tête, ma mère. Mais elle ne bouge pas. On dirait que…
C’est à lui qu’elle fait signe de sauter.
Elle est froide cette eau, alors il fait la grimace.
Il m’attrape, me pousse sur la plage, je respire difficilement.
Elle lui passe la serviette.
Son geste n’est pas précipité, juste mécanique.
Elle lui passe la serviette.
Je grelotte, je crache, je pleure.
C’est rien, qu’elle dit ma mère. T’avais qu’à pas te jeter comme ça dans l’eau. T’es malade ou quoi ?
Lui il me sèche, me frotte.
Ses mains glissent le long de mes jambes.
Elles s’attardent ses mains, jusqu’à mes cuisses.
Elles atteignent mon sexe.
Je connais déjà ce geste.
Ma mère a tourné la tête.
Ma mère regarde ailleurs.
Je voudrais replonger.

Je dois avoir dans les 13 ans.
Je suis mal foutue, des crampes partout.
Elle a pris ma température.
— Raphaëlle, ma pauvre chérie, tu restes au lit, avec une fièvre comme ça !
Ma mère m’a donné des carambars, elle a versé un lait bien chaud avec du miel de sapin dans un bol où Mickey souriait…
Non, Donald, enfin je sais plus… la mémoire parfois…
Une mère aimante, une mère d’agrippement.
— Tu n’iras pas à l’école aujourd’hui. Mais il faudra réviser tes tables.
— Écoute comme je les connais bien, maman, ma petite maman, maman que j’aime : une fois quatre quatre, deux fois quatre huit, trois fois…
Elle a eu un sourire magnifique. Je sentais bien qu’elle était fière.
Et… Non, enfin… Elle a jamais pu dire ça, ma mère !
Jamais pu faire ça.
C’était ma tante, ma tante Sonia, qui m’avait soignée ce jour-là.
L’amour et la haine, ça se ressemble, non ?
Je sais bien que David, mon frère, est le préféré de maman.
Il se fout bien d’elle, mais elle n’a de regards que pour lui.
Il dit : « Cette conne, elle m’emmerde. Fait chier de devoir se taper ses humeurs ! »
Ça la rend triste et moi, j’aime pas quand elle est triste, ma mère.
Je suis là, maman, regarde-moi… Maman ? Laisse-moi t’aimer. Juste un peu.
T’es qu’une cannibale. Me touche pas, Raphaëlle, me touche pas toujours comme ça… Pousse-toi !
N’empêche, elle m’a prêté ses chaussures à talons.
Ses préférées.
J’ai marché avec dans l’appartement.
Évidemment, j’étais pas stable, en déséquilibre constant, j’ai fini par me tordre la cheville.
Tu me prêtes ta robe rouge pour être belle ?
Tu me prêtes un peu d’amour pour avoir moins peur ?
Tu me prêtes un couteau aiguisé pour lacérer le poulet ?
Tu me prêtes un Tampax pour éviter que le sang ne tache ?
Tu me prêtes la quiche du frigo pour que je l’avale ?
Tu me prêtes tes boules Quiès pour m’absenter du ramdam de la vie ?
Tu me prêtes mon frère ?
Je lui dirai de t’aimer.

Le jour de mes 14 ans, pas de bol, mon père meurt.
Un stupide accident de voiture.
Je n’irai plus chez lui les dimanches.
Quand la vie est magnifique, faut la traiter avec beaucoup de précautions.
Faut faire gaffe, c’est tout.

J’ai 20 ans.
C’est rien 20 ans, tout juste un 2 et un 0.
Je suis enceinte.
Mon premier enfant. Je serai mère.
Est-ce que je serai mère ?
— Faudra bien que tu te débrouilles, elle me dit la mienne de mère.
— Je me débrouillerai.
— T’aurais pu attendre un peu. C’est un naze ton mec…
— Tu crois ?
— Un naze, je te dis. Qu’un ouvrier, comme ton père !
— Mais je l’aime.
— Moi j’ai eu ma dose. Maintenant toi qui te fais mettre en cloque par le premier venu. C’est le bouquet !
Elle a vieilli. Elle n’est plus aussi jolie.
Ce lardon, elle en veut pas.
Moi oui.
Je serai une bonne mère.

22 ans et je n’oublie pas que j’ai le bac.
Il est temps d’entamer des études.
Ça tombe bien, j’ai trouvé une crèche à côté de la fac pour ma petite Clémence.

Extrait
« Son crime a bouleversé une génération de lecteurs dont Salomé ne faisait pas partie, parce que trop insouciante à l’époque.
Les avocats, les experts psychiatres avaient plaidé pour un internement psychiatrique, en pointant une non-responsabilité lors du passage à l’acte.
Son discernement était profondément altéré, disaient-ils. Ils avaient prononcé le mot de suicide altruiste: On tue les siens pour les protéger d’un avenir noir, puis on se suicide. Et insisté sur la non-prise en charge d’une dépression profonde. Parlé d’un dysfonctionnement familial. De déni, de l’abandon du mari.
« C’est une mère aimante que vous allez juger et non femme maltraitante. »
Les jurés et la partie civile avaient quant à eux réclamé la condamnation à perpétuité pour préméditation.
« Les conditions concrètes, tant de la personnalité de l’accusée que de son contexte de vie, ne constituent pas des circonstances atténuantes, au regard de la gravité extrême des faits commis. »
Qui est-ce qui penserait à déposer une étoile de mer sur un cadavre. » p. 77

À propos de l’auteur
MOESCHLER_Vinciane_©Celine_LambiotteVinciane Moeschler © Photo Céline Lambiotte

Vinciane Moeschler est journaliste, romancière et dramaturge. Elle est l’auteure de nombreux romans, notamment Annemarie S. ou les fuites éperdues, Trois incendies (prix Victor-Rossel en 2019) ou encore Alice et les autres. Elle vit à Bruxelles. (Source: Éditions du Mercure de France)

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Crime au pressoir

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En deux mots:
La découverte des cadavres de deux bébés dans un pressoir d’Ingersheim, au cœur du vignoble alsacien est l’affaire du journaliste Julien Sorg. Rendant compte de l’enquête, il nous offre par la même occasion de découvrir le patrimoine de cette région à l’histoire aussi riche que mouvementée.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Enquête dans le vignoble alsacien

Après Crime de guerre en Alsace, Jean-Marie Stoerkel poursuit son exploration du patrimoine alsacien à travers les faits divers sur lesquels enquête un journaliste de L’Alsace. Cette fois, il s’agit d’élucider un double infanticide: deux bébés sont retrouvés morts dans un pressoir.

La commune d’Ingersheim, proche de Colmar, est l’un des joyaux de la route des vins d’Alsace. Si elle n’est pas aussi réputée que ses voisines Riquewihr ou Turckheim, elle vaut tout autant le détour, notamment pour ses appellations Grand cru d’Alsace et ses crémants, mais aussi pour son patrimoine architectural, à commencer par sa Tour des sorcières, vestige d’un château fort du XIIIe siècle. C’est du reste à deux pas de cette tour que se situe le nouveau fait divers dont va devoir s’occuper Julien Sorg, le journaliste au quotidien L’Alsace – le double de l’auteur – qui se passionne pour tous les mystères de sa région.
Quand il arrive sur place, le domaine viticole a déjà été cerné par les forces de l’ordre qui lui refusent l’accès au pressoir où ils viennent de découvrir les cadavres de deux bébés. Une attitude plutôt inhabituelle pour le localier qui a quotidiennement rendez-vous avec les commissariats, gendarmeries et tribunaux.
Cela dit, le fait qu’on veuille lui mettre des bâtons dans les roues est plutôt du genre à exciter sa convoitise et à l’encourager à en savoir davantage.
Lorsque le procureur annonce en conférence de presse que l’ADN récupéré sur les lieux est exploitable et que la police scientifique devrait permettre de mettre un nom sur le coupable, le capitaine Loïc Caradec qui dirige l’enquête et a finalement accepté de collaborer avec Julien – il sait tout l’intérêt que peut avoir une communication habilement dirigée – peut s’enorgueillir d’avoir rondement mené les choses. Car la chance est avec lui. L’empreinte génétique d’une femme, victime deux ans plus tôt d’un accident de la route qui a coûté la vie à son mari et à son fils, correspond à celle d’un cheveu retrouvé sur le cordon qui entourait les cadavres. Elle est incarcérée rapidement. Il ne lui reste plus qu’à la faire avouer.
C’est alors que les choses se compliquent. Muriel est devenue une amie de Véronique, l’épouse de Julien et elle ne croit pas une seconde à la culpabilité de l’esthéticienne. Avec l’aide d’une avocate pénaliste, le couple va tenter d’apporter son soutien à la jeune femme qui croupit en prison.
Mais les semaines, puis les mois passent sans qu’un progrès notable ne puisse être enregistré. Et au moment où Julien commence à perdre espoir, un nouvel élément va permettre de relancer le dossier.
Le suspense est habilement construit, poussant le lecteur à ne pas lâcher le livre. Mais son intérêt est triple. Jean-Marie Stoerkel nous fait aussi partager le fruit de ses recherches et de ses découvertes sur sa région natale, sur son patrimoine artistique et architectural. Un trésor qui fascinera à la fois ceux qui n’ont pas encore visité l’Alsace et ceux qui passent tous les jours devant certaines bâtisses où qui ont déjà visité les musées sans connaître l’histoire des œuvres exposées.
Ajoutons-y aussi les souvenirs du journaliste qui pour avoir travaillé de longues années dans la presse locale en connaît tous les rouages et nous en livre les secrets de fabrication, tout en rendant hommage à quelques collègues qui ont marqué de leur empreinte la région, en défendant des valeurs plutôt que des bilans comptables.
Enfin, et ce n’est pas le moins intéressant, on apprend comment fonctionnent les rouages de la justice, quels rôles jouent les enquêteurs, le procureur, le juge et la police scientifique dont les tests ADN semblent aujourd’hui être l’alpha et l’oméga de toute enquête. Comme à chaque fois, tout est inventé et tout est vrai. Un régal !

Crime au pressoir
Jean-Marie Stoerkel
Éditions du Bastberg
Roman
316 p., 15,20 €
EAN 9782358591270
Paru le 1/10/2019

Où?
Le roman se déroule en France, principalement à Ingersheim, Colmar et Mulhouse, mais aussi dans les villages limitrophes de Turckheim, Kaysersberg ou encore Éguisheim.

Quand?
L’action se situe en 1991.

Ce qu’en dit l’éditeur
Vendanges 1991 en Alsace. Deux nouveau-nés sont découverts morts dans le pressoir d’un vigneron à Ingersheim. Muriel, une jeune femme de Kaysersberg au passé dramatique, se reconnaît dans le portrait-robot envoyé aux gendarmes et à un journaliste par un correspondant anonyme. Elle se retrouve inculpée du crime et emprisonnée, car l’ADN, la nouvelle reine des preuves, l’accuse.
Pourtant, le journaliste colmarien Julien Sorg croit en son innocence. Ce roman est une sorte de suite, située plus de quarante ans après, de Crime de guerre en Alsace, hymne à la Résistance alsacienne, où l’ancien résistant et soldat libérateur Thomas Sorg, le père de Julien, a fait face à un dilemme cornélien en découvrant que le père de son amoureuse était un vil collabo.
Crime au pressoir est aussi une ode à l’Alsace, à son histoire riche, à son formidable patrimoine et à ses grands personnages.

Les critiques
Babelio 
Lecteurs.com

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« 1. Deux petits cadavres dans le raisin
«C’est donc arrivé comme ça. On était rentrés des vendanges et on venait de déposer dans la cour les cuves remplies de raisins. Vous savez, ces belles cuves en chêne, pas comme ces caisses en plastique qu’on utilise de plus en plus maintenant. Deux de mes camarades vendangeurs sont allés dans la pièce où se trouve le pressoir. Tout à coup, un des deux a poussé un grand cri qui a tout déchiré avant de s’évanouir aussitôt dans le silence subit…»
Julien sourit malgré lui à l’idée que son interlocuteur, s’adressant à un journaliste, s’est mis en tête d’utiliser un phrasé littéraire. Dès son entrée dans le bistrot d’Ingersheim où ils s’étaient donné rendez-vous, il lui a trouvé une tête d’artiste maudit, avec ses longs cheveux plaqués en arrière et sur les côtés, sa barbe broussailleuse et son regard fiévreux. Une gueule à ne pas beaucoup aimer les gendarmes, qu’il s’est dit aussi. Et ce témoin était en or.
Il était tombé miraculeusement bien. C’était un peu plus d’une heure auparavant. Julien venait de se faire sèchement rembarrer par les gendarmes quand il s’était présenté dans la Hintergass, appelée en français la rue du Maréchal-Foch, devant la maison du vigneron. Son copain Philippe, qui est aussi le correspondant du journal à Ingersheim, lui avait téléphoné à son bureau de l’agence à Colmar, le prévenant qu’on avait découvert chez le viticulteur les corps sans vie de deux petits enfants.
Julien Sorg ne comprend toujours pas pourquoi les enquêteurs l’ont aussi mal accueilli et chassé. D’habitude, l’adjudant-chef et tout l’effectif de sa brigade se montraient plutôt aimables avec lui, même lorsqu’ils s’efforçaient de lui cacher des éléments d’une affaire. C’était d’ailleurs devenu une sorte de jeu, avec les règles du fair-play, et Julien ne leur avait jamais fait de coup vache. Mais là, les affiliés de la grande muette ne s’affichaient pas seulement muets ; ils manifestaient carrément une hostilité à son encontre. Et lui ne saisissait pas pourquoi.
«Circulez, il n’y a rien à voir!», l’a rembarré tout de suite celui qui interdisait l’entrée de la propriété du viticulteur. Julien a alors demandé à parler an commandant de brigade. II a dû poireauter un très long moment dans la rue. Les badauds se regardaient comme on contemple une curiosité. Certains le reconnaissaient comme le journaliste à Colmar qui a grandi ici à Ingersheim où ses parents habitent toujours.
L’adjudant-chef Sutter a fini par apparaître sur le trottoir en fulminant. «Vous me dérangez en pleine enquête, monsieur, et je n’ai rien à vous dire! Fichez le camp!», qu’il lui aboyait. «Pourquoi? Il s’est passé quelque chose me concernant?», s’est étonné Julien de plus en plus abasourdi.
En temps normal, le sous-officier lui aurait au moins résumé l’événement. Mais là, il l’a furieusement toisé et lui a hurlé avant de tourner les talons: «Vous voulez savoir ce qui se passe? Demandez donc au directeur de votre journal, il vous expliquera! Maintenant déguerpissez! Et que je ne vous voie pas traîner dans la rue, sinon je vous fais arrêter pour entrave à une enquête judiciaire!»
C’est après ça que Julien, cuvant son incompréhension, a redécouvert qu’il y a toujours un dieu pour les journalistes. Retournant dans la maison du vigneron, le gendarme a bousculé un bonhomme qui en sortait. Chacun râlait contre l’autre et Julien a adressé au malmené un regard de compassion.
«Ils me saoulent avec toujours les mêmes questions! J’avais beau leur dire que je devais absolument partir, ils ne me lâchaient pas la grappe. Comme si c’était moi qui avais tué ces deux bébés!» maugréait le type. «Hein? Ce sont deux bébés tués?», a rebondi Julien, du coup rempli à nouveau par la fièvre journalistique. «Oui, étranglés, retrouvés dans le pressoir!», a répondu l’autre, pressé, en ajoutant: «Navré, mais je dois aller récupérer ma voiture chez le garagiste. Il va fermer…»
Julien lui a couru après, l’a questionné: «Je peux vous parler après? Je suis Julien Sorg, journaliste à L’Alsace…» Il s’est angoissé durant le bref instant précédant la réponse. Qui fut: «Oui. Attendez-moi au bistrot en face de la mairie, sur la rue de la République… »

Extrait
« La période la plus terrible a été après l’annexion en 1940 de l’Alsace par le IIIe Reich, assortie d’une véritable répression culturelle et linguistique. Les Alsaciens n’avaient même plus le droit de parler alsacien, une langue pourtant germanophone. Et quand l’Alsace est redevenue française en 1945, il fallait plus que parler le français à l’école et on se faisait taper sur les doigts quand on parlait l’alsacien.» L’élu a débuté sa carrière de professeur en 1964 au lycée Bartholdi à Colmar. Il y a enlevé les grands panneaux “Il est chic de parler français“ accrochés dans les couloirs. Le proviseur a écrit au rectorat en le stigmatisant comme quelqu’un de très dangereux. Puisque Cronenberger n’était pas encore titulaire, il n’a pas eu de poste à la rentrée suivante à cause de cette rébellion. Il a été sauvé par le syndicat SGEN-CFDT de l’Éducation nationale. Dans une autre interview, il a aussi déclaré: «Jamais on n’a enseigné dans nos écoles à nos enfants ni la littérature alsacienne ni l’histoire de l’Alsace. Les enseignants ne connaissent plus les grands auteurs alsaciens depuis le Moyen Âge à aujourd’hui, de Brant à André Weckmann en passant par Nathan Katz, Émile Storck, Albert Schweitzer, Germain Muller et Jean-Paul Sorg. Les élèves français ignorent d’ailleurs tout autant ce qu’était la rafle du Vel’ d‘Hiv pendant la Seconde Guerre mondiale et en Alsace. Ils ne savent pas non plus ce qu’étaient les incorporés de force. J’en veux beaucoup au système éducatif. On a besoin de nos racines. Quand on ne sait plus d’où on vient, on a du mal à savoir on où on va.» p. 255

À propos de l’auteur
Né en 1947 à Ingersheim où il vit désormais, Jean-Marie Stoerkel a effectué une carrière de journaliste à L’Alsace à Mulhouse. Il y était chargé de la rubrique faits divers et justice. Il est l’auteur de seize précédents livres (documents, récits et romans policiers), dont neuf aux Éditions du Bastberg, souvent inspirés de ses enquêtes. (Source : Éditions du Bastberg)

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Faune et Flore du dedans

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En deux mots:
Une photographe est invitée à se joindre à une expédition scientifique qui entend recenser la faune et la flore de la jungle péruvienne. Mais pour Louise, ce voyage tient tout autant de la thérapie, de l’initiation et de la quête amoureuse.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

L’insoutenable et inguérissable fuite

Le chant de la nature est au cœur du premier roman de Blandine Fauré, une nature extrême qui fait refluer les souvenirs et va bouleverser sa vie. Intense et envoûtant.

Est-ce le culot ou l’envie d’ailleurs qui entraîne Louise à pousser la porte du bureau de Joachim? Toujours est-il que la quête de cette artiste, dessinatrice et photographe, touche le scientifique aguerri au point qu’il accepte de l’intégrer à son équipe scientifique qui part pour le Pérou avec mission de répertorier la faune et la flore du parc national del Manú.
En nous révélant dès les premières lignes du livre l’issue dramatique de ce voyage, Blandine Fauré ne fait qu’accroître le mystère. Un mystère qui paradoxalement va s’éclaircir au fur et à mesure que le groupe s’enfonce dans la jungle.
Au fil des chapitres, on va comprendre que Joachim et Louise cherchent à chasser les fantômes du passé en Amérique du Sud. De se nourrir de la nature pour apaiser les traumatismes, de construire une nouvelle histoire avec la densité et l’énergie que dégage leur environnement.
Pour Louise, il faut toutefois tenter d’apprivoiser «ce lieu étrange et étranger, vaste espace irréel» après «l’insoutenable et inguérissable fuite». Après quelques jours tous ses sens communient avec ce nouvel univers: « La nature qui m’accueille me bouleverse. C’est un chant extrême, inouï, qui fissure un à un mes souvenirs, pulvérise les maigres certitudes que j’avais pu accumuler jusque-là. »
Là où on aurait pu s’attendre à combattre les prédateurs ou à souffrir de l’inconfort et du climat, ce sont les vertus thérapeutiques du dépaysement qui l’emportent: « Les jours passent et je me fonds de plus en plus au décor que nous offrent la nature et ses excès. Je suis son rythme d’élancement et de croissance, lente mais assurée. Je me fais végétal, mon amour pour toi continue d’infuser dans les eaux qui nous entourent mais je sais l’oublier. Ma souffrance elle aussi s’est tue, les voix et les cris de mon passé me semblent être devenus de lointains déserts inhabités et silencieux. »
La principale qualité de ce livre tient du reste au parfait mariage entre l’écriture et la nature. Les phrases sont comme des lianes qui viennent s’enrouler autour des émotions, leur conférant une intensité nouvelle. « À chaque pas de ce voyage, les souvenirs de ma vie passée avaient éclos, triomphant de l’amnésie où ils étaient tombés depuis que la mort s’était abattue sur mon corps. »
L’idée d’ouvrir chaque chapitre par une définition scientifique tirée du lexique de botanique, d’expliquer les notions de forêt, suspension, inflorescence, ruissellement ou encore anaérobie donnent permettent aussi de marier la science et l’art, autre transcendance de ce récit aussi exaltant que douloureux, aussi thérapeutique que dramatique.

Faune et flore du dedans
Blandine Fauré
Éditions Arléa
Roman
212 p., 20 €
EAN : 9782363081698
Paru le 30 août 2018

Où?
Le roman se déroule en France, à Paris, mais aussi dans la jungle, du côté de Cuzco et dans le parc national del Manú, non loin de Boca Manú au Pérou.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
La forêt me dévore, me happe, désagrège toutes mes défenses. Elle m’assomme par sa densité, les milliers d’arbres alignés devant moi s’empressent de me voler quelque chose que je ne veux pas leur donner.
Que fait Louise, artiste plasticienne, un peu photographe, un peu dessinatrice, dans cette équipe de scientifiques dont la mission est d’explorer le parc El Manu, jungle amazonienne péruvienne et d’y collecter des espèces inconnues, menacées quelquefois, dans des conditions extrêmes. Pourquoi les a-t-elle rejoints et que vient-elle chercher? Il y a bien sûr un travail artistique sur le végétal qu’elle veut mener à bien, mais très vite d’autres raisons, plus obscures, se dessinent. Il y a Joachim, le chef de l’expédition, avec lequel se noue une relation intense, secrète et toute en retenue. Il y a le passé, douloureux, émaillé de deuils, d’absence et d’abandons. Il y a aussi la quête, trouver enfin une forme d’apaisement, de réconciliation avec soi-même, avec la vie tout court.
La forêt, la selva, se déploie tout au long du livre. Elle est inquiétante, protectrice, matricielle, elle engloutit autant qu’elle rejette, elle met à nu et peut tuer aussi. Elle envoûte ceux qui la pénètrent et tentent de se mesurer à elle. Louise marche, respire, se fond dans cet océan vert et nous marchons avec elle, nous respirons, nous cheminons derrière elle. Comme elle, nous observons le lent et puissant assaut des plantes vers la lumière, le combat pour la survie, la tentation de la disparition.
Blandine Fauré, avec ce premier roman d’une exceptionnelle maîtrise, nous embarque dans une aventure intérieure, long chemin vers la rédemption, et dans une aventure unique, digne des grands récits initiatiques, où se mêle la découverte toujours juste d’un biotope inconnu, menacé, et clos sur lui-même.

68 premières fois
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Les autres critiques
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Blandine Fauré présente Faune et flore du dedans © Production Éditions Arléa

Les premières pages du livre
« Il me faut à présent renoncer à tes mots. Que la terre les recouvre eux aussi. Le sous-bois dans lequel je m’enfonce est encore plein des odeurs de la ville toute proche – gasoil, goudron, friture –, je n’ai pas le courage de m’éloigner davantage, je crains que la distance ne me fasse changer d’avis. Un petit espace boisé suffira pour cette mise en terre. Quelques minutes de travail pour mieux nous séparer.
À genoux sous un arbre englouti par la nuit, je creuse. De petites particules noires se logent sous mes ongles, je sens les cailloux et les ronces égratigner mes paumes. Mes doigts plongent plus loin vers les racines et le trou peu à peu s’agrandit. Mes larmes s’y écrasent d’un bruit mat, je les essuie d’un revers de main. La terre sur mon visage s’épand en larges traces, glacées et grumeleuses.
Quand j’estime la profondeur suffisante, je vide enfin le contenu de mon sac à dos. La douleur contracte mon thorax et je retiens mal un cri que je suis la seule à entendre. Je ferme les yeux et pousse ce fatras de feuilles, d’encre et de murmures au fond de la bouche noire que j’ai moi-même ouverte – pour tout recouvrir en seulement quelques secondes. Ta voix ne m’appartient plus. Elle te revient, retrouve ses origines, réintègre cette sève qui animait ton corps et lui insufflait vie. Plus de mots à présent. Le partage, l’espoir: tout est enseveli.
Je me lève et contemple le monticule de terre fraîche à mes pieds. Je suis calme, apaisée, tout à coup désinvestie. Je reviens sur mes pas, longe la route déserte à cette heure tardive. Le bourg est déjà silencieux, mes larmes se sont taries. Mes sens se réveillent et je ressens à nouveau le froid, alors je presse le pas pour rentrer à l’hôtel. Plus personne ne saura ce qui nous unissait.
Arrivée dans ma chambre, je me sens soulagée, fière d’être parvenue à me délester de ces derniers vestiges. Une légèreté reflue dans la pénombre, quelque chose de tiède et de doux m’enveloppe – la certitude d’être attendue. Il ne me reste plus rien de toi, et cela m’est égal. Aucune image, plus aucune phrase, rien qui puisse donner à croire que nous nous sommes connus. Aucune preuve tangible de notre relation (en était-ce une?), rien qui ne viendra jamais plus parasiter l’essentiel de cette rencontre. Seul survivra en moi le désir du voyage à venir. L’envie de repartir, de rejoindre cette forêt où tout a commencé. Mon corps se délasse entièrement à la pensée des arbres, et je m’endors comme si j’étais au milieu d’eux.
Une gêne pourtant subsiste, me tire du sommeil en sursaut. je l’avais oublié, mais je comprends que je ne pourrai pas m’en défaire. Je saisis à toute vitesse mon sac à dos et ouvre la poche extérieure. Le livre est là, compact, solennel dans sa couverture brochée vert sombre.
Le lexique de botanique que tu m’avais offert avant notre départ. Je le manipule, le feuillette, caresse les pages froissées d’avoir été si souvent parcourues. Je repère les passages surlignés, certaines définitions sont entourées au crayon à papier.
« Forêt. ¬ Formation végétale, plus ou moins étendue ou dense, constituant un écosystème complexe où les communautés végétales et animales entretiennent des relations d’interdépendance. »
Un fatras de souvenirs heureux s’engouffre dans ma tête. Les semaines passées ensemble m’irriguent encore d’une joie surnaturelle.
Il ne me reste rien de toi, excepté tout ce que tu m’as appris. »

Extraits
« Les jours passent et je me fonds dc plus en plus au décor que nous offrent la nature et ses excès. Je suis son rythme d’élancement et dc croissance, lente mais assurée. 16 me fais végétal, mon amour pour toi continue d’infuser dans les eaux qui nous entourent mais je sais l’oublier. Ma souffrance elle aussi s’est tue, les voix et les cris de mon passé me semblent être devenus de lointains déserts inhabités et silencieux.
La mission officielle a débuté. Après trois semaines passées en compagnie d’un petit groupe de scientifiques au sein duquel j’avais fini par trouver mes marques, avec pour objectif d’effectuer des repérages et d’initier des prélèvements très spécifiques, j’ai mis du temps à m’habituer à l’ambiance effervescente, au bouillonnement disparate de cette deuxième phase du travail. L’ampleur de ce rassemblement est effarante. »

« À chaque pas de ce voyage, les souvenirs de ma vie passée avaient éclos, triomphant de l’amnésie où ils étaient tombés depuis que la mort s’était abattue sur mon corps. Qu’elle avait arraché le plus précieux, délogé tout espoir de bonheur. Depuis que mon enfant, à peine née, s’était éteinte dans mes bras. Alors, j’avais continué à Vivre sans respirer. Jusqu’à ta rencontre. »

À propos de l’auteur
Blandine Fauré est née en 1984. Elle vit en région parisienne, et travaille dans le secteur culturel et artistique en Seine-Saint-Denis. Faune et flore du dedans est son premier roman. (Source : Éditions Arléa)

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Ces rêves qu’on piétine

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En deux mots :
Que peuvent avoir en commun Ava, une enfant née à Auschwitz et Magda, la femme de Goebbels? On va le découvrir en suivant leurs parcours respectifs au moment où le régime nazi s’effondre. Un premier roman solidement documenté et construit comme une tragédie grecque.

Ma note :
★★★★ (j’ai adoré)

Ces rêves qu’on piétine
Sébastien Spitzer
Éditions de l’Observatoire
Roman
304 p., 20 €
EAN : 9791032900710
Paru en août 2017
Lauréat du Prix Stanislas 2017

Où?
Le roman se déroule principalement en Allemagne, à Berlin, Auschwitz, Buchenwald, Stöcken et Mieste, mais également en Hongrie, à Komarom, en Belgique, à Bruxelles et Vilvoorde, en Moravie, entre Brno et Olomouc, en Russie, à Nemmersdorf

Quand?
L’action se situe en 1945.

Ce qu’en dit l’éditeur
Sous les bombardements, dans Berlin assiégé, la femme la plus puissante du IIIe Reich se terre avec ses six enfants dans le dernier refuge des dignitaires de l’Allemagne nazie. L’ambitieuse s’est hissée jusqu’aux plus hautes marches du pouvoir sans jamais se retourner sur ceux qu’elle a sacrifiés. Aux dernières heures du funeste régime, Magda s’enfonce dans l’abîme, avec ses secrets.
Au même moment, des centaines de femmes et d’hommes avancent sur un chemin poussiéreux, s’accrochant à ce qu’il leur reste de vie. Parmi ces survivants de l’enfer des camps, marche une enfant frêle et silencieuse. Ava est la dépositaire d’une tragique mémoire : dans un rouleau de cuir, elle tient cachées les lettres d’un père. Richard Friedländer, raflé parmi les premiers juifs, fut condamné par la folie d’un homme et le silence d’une femme : sa fille.
Elle aurait pu le sauver.
Elle s’appelle Magda Goebbels.

Ce que j’en pense
La Seconde guerre mondiale continue de hanter les écrivains, qu’il s’agisse d’en faire le thème central de leur livre où en y intégrant cette période dans une fresque plus large. Historien de formation, Sébastien Spitzer a choisi pour son premier roman un angle bien particulier, celui des derniers jours du régime nazi, va à la fois du côté des vainqueurs (mais dans quel état !) et des vaincus (mais dans quel état !).
Ava incarne la première catégorie. Cette toute jeune fille est née dans le bloc 24-A à Auschwitz d’une mère qui servait au divertissement de ses geôliers. Pour elle la vie dans le camp, mais aussi après avoir réussi à fuir, ne se limite qu’à une chose : survivre.
En un contraste saisissant, la seconde catégorie est incarnée par Magda, une icône du régime: « Magda rajuste son chignon du plat de la main. Elle plisse ses yeux gris d’orage. Elle est un peu cernée. Redresse et gonfle sa poitrine, teutonique. Elle n’a jamais été la plus belle femme du pays, mais elle a de l’allure. Une beauté hors d’âge, imperméable. Magda se plaît encore. Elle lisse son tailleur sur ses hanches. »
Très vite, le lecteur va comprendre que cette femme qui vient prendre ses quartiers dans le bunker berlinois d’Adolf Hitler au moment où la vie ville subit un bombardement en règle, n’est autre que l’épouse du ministre de la propagande nazie, Joseph Goebbels. Grâce à une construction astucieuse, le lecteur est invité à suivre successivement le destin de l’une et de l’autre. Le lien entre les deux récits, aussi inattendu qu’historiquement avéré s’appelle Richard Friedländer.
Issu d’une famille de commerçants juifs berlinois, il est le père adoptif de Magda et l’une des victimes du plan d’épuration des juifs. Sébastien Spitzer nous offre de lire les lettres qu’il envoie à sa fille depuis le camp de concentration où il a été interné et où la mort l’attend. « Richard Friedländer a été. Il a lié son destin à celui de votre famille. Je suis Markus Yehuda Katz, fils de Salman et d’Olga Sternell. Et cette chaîne de mots, de moi, de nous, de noms infalsifiables, vous rattrapera, où que vous soyez. Il n’y aura pas d’oubli. Nous sommes le peuple qui doit durer, celui qu’on ne peut pas éteindre… Un jour, on se souviendra de lui comme de tous ceux qu’on a voulu faire disparaître, en vain. »
Et même si ces lettres sont apocryphes, les faits qu’elles relatent sont tout autant documentés que les dernières heures du régime et qui prendre la dimension d’une tragédie grecque en faisant de Magda une Médée moderne, soucieuse de ne pas offrir à ses enfants les images de la capitulation. « Elle a porté beaucoup d’enfants. Sept en tout : Harald, Helga, Hildegarde, Helmut, Holdine, Hedwig, Heidrun. Les prénoms des six derniers commencent par un « H », à la gloire de ce régime qui a fait d’elle une grande dame. Celui aussi de Harald, son aîné, né quand rien n’était encore, avant le putsch de la Brasserie, avant les premiers faits divers qui feraient parler d’eux. Ses enfants servent la grande cause. La sienne, bien sûr, mais aussi celle de l’Allemagne tout entière. Ils seront sacrifiés. Ils tomberont avec elle. »
Pendant ce temps, Ava tente de se relever. Elle fuit avec Judah qui a été raflé, embarqué brutalement avec son père, ses deux oncles et ses cousins.
« Je n’ai même pas eu le temps de l’embrasser, dit-il.
— Qui ça ? demande-t-elle.
— Ma mère. Je n’ai pas pu l’embrasser! Les soldats nous ont tassés dans des trains pour la Pologne. Mon cousin est mort de froid, à côté de moi. C’était la première fois que je voyais un mort. Et il avait mon âge ! Sur le quai de l’arrivée, on a reçu d’autres coups. Olejak nous a sélectionnés, mon père et moi, pour son camp. Je suis devenu un homme au fond d’une mine. »
Là encore, l’ironie de l’histoire vient confronter les deux destins. Les matières premières extraites dans les monts du Hartz par Judah et ses compagnons d’infortune feront la fortune de Harald, le fils de Magda, et de ses descendants. Après avoir produit les piles Varta pour l’armée du Führer, cer derniers possèdent aujourd’hui la plupart des actions du groupe BMW. La notion de vainqueur et de vaincu est donc toute relative, comme le montre ce roman qui va creuser dans l’âme des personnages les raisons qui les font agir, dans le paroxysme des situations leurs motivations les plus intimes. Un premier roman qui est d’abord un grand roman!

Sébastien Spitzer est lauréat du Prix Stanislas, doté de 3.000 euros, qui sera remis en public samedi 9 septembre à 10h30 à Nancy, à l’occasion de la manifestation Le livre sur la Place.

68 premières fois
Blog Entre les lignes (Bénédicte Junger)
Blog Les livres de Joëlle

Autres critiques
Babelio
livreshebdo.fr (Léopoldine Leblanc)
Page des libraires (Sarah Gastel) Avec un entretien avec l’auteur
Blog Sur la route de Jostein 
Blog Les lectures du mouton (Virginie Vertigo)
Blog L’Albatros (Nicolas Houguet)
Blog D’une berge à l’autre
Blog Bricabook 
Blog Le boudoir de Nath
Blog Litteratum Amor (Chantal Lafon)

Les premières pages du livre

Extrait
« Deux autres silhouettes attendent. Judah devine celle d’une enfant. À ses flancs, c’est la femme qui s’est tournée vers lui, et l’observe au milieu du chaos. Elle semble si calme. Elle murmure quelques mots à l’oreille de la petite. Elles attendent quelque chose… On dirait qu’elles ont un plan.
Judah entend les chiens rendus fous. Les soldats rôdent dehors. Ils traquent les fuyards. Combien de chiens? Un. Deux. Peut-être trois. Ils clabaudent, grognent, grattent, claquent leurs canines à vide et labourent de leurs griffes les parois extérieures. Puis les bêtes à fuyards se détendent et s’élancent à l’affût d’une nouvelle proie. C’est le moment. Judah a repéré une fracture entre deux planches. Il la palpe, éprouve sa résistance.
C’est jouable.
Le souvenir de sa mère lui redonne des forces. Elle est restée chez eux, à Komarom. Son visage. Ses mains. Ses paroles et ses caresses. »

À propos de l’auteur
Journaliste indépendant, l’auteur a publié des enquêtes sur l’Iran, les Etats-Unis et le terrorisme international : Raisons d’Etat, contre-enquête sur le juge Bruguière (éditions Privé, 2007) et Ennemis intimes, les Bush, le Brut et Téhéran (éditions Privé, 2006). (Source: http://www.livreshebdo.fr)

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La mésange et l’ogresse

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La mésange et l’ogresse
Harold Cobert
Plon
Roman
425 p., 20 €
EAN: 9782259230421
Paru en août 2016

Où?
Le roman se déroule en Belgique, à Charleroi, Dinant, Ciney, Sart-Custinne, Han-sur-Lesse, Beauraing, Neufchâteau, Saint-Hubert, Gedinne, Bruxelles ainsi que dans les Ardennes françaises à Givet, Charleville-Mézières, Sedan, Floing, Ville-sur-Lumes, Verdun, Bar-le-Duc, Fleury-Mérogis.

Quand?
L’action se situe des années 1980 au début des années 2000.

Ce qu’en dit l’éditeur
« Ce que je vais vous raconter ne s’invente pas. »
22 juin 2004. Après un an d’interrogatoires, Monique Fourniret révèle une partie du parcours criminel de son mari, « l’Ogre des Ardennes ». Il sera condamné à la perpétuité. Celle que Michel Fourniret surnomme sa « mésange » reste un mystère : victime ou complice ? Instrument ou inspiratrice ? Mésange ou ogresse ?
Quoi de plus incompréhensible que le Mal quand il revêt des apparences humaines ?
En sondant les abysses psychiques de Monique Fourniret, en faisant résonner sa voix, jusqu’au tréfonds de la folie, dans un face à face tendu avec les enquêteurs qui la traquent, ce roman plonge au cœur du mal pour arriver, par la fiction et la littérature, au plus près de la glaçante vérité.

Ce que j’en pense
****
Sous le titre «roman du réel», Harold Cobert explique en avant-propos, comment il a imaginé son nouveau roman : « Si ce livre est basé sur « l’affaire Fourniret », s’il suit au plus près les faits tels qu’ils ont été révélés lors du procès, cet ouvrage est avant tout une œuvre de fiction. […] Hormis certaines phrases, les pensées et les propos prêtés à Monique Olivier et à Michel Fourniret ainsi qu’aux différents personnages de cette histoire relèvent de la pure invention et de la seule création littéraire. À part ceux de Monique Olivier et Michel Fourniret, tous les noms des protagonistes ont été changés, et en premier lieu ceux des victimes. »
En se replongeant dans cette célèbre affaire, on se rend très vite compte du matériau mis ici à disposition du romancier, car tout est ici extraordinaire au sens premier du terme. Comme beaucoup de ses contemporains, Harold Cobert s’appuie sur le faits divers pour nous délivrer un suspense étonnant. Car même si l’on connaît l’épilogue de l’histoire, on ne se rend pas compte de la partie d’échecs qui s’est jouée là, de la stratégie mise en place par les enquêteurs et par les coupables.
L’auteur
Le roman s’ouvre à Ciney, en Belgique le 26 juin 2003. On y voit Louise Lemaire être abordée par un homme en camionnette blanche demander à l’écolière si elle peut l’aider à retrouver sa route vers le Mont de la Salle et finira par la convaincre de monter dans le véhicule. Mais cette fois les choses ne se passent pas comme prévu, la fille réussit à s’enfuir et à prévenir la police. Un échec qui va entraîner l’arrestation de ce dangereux récidiviste, condamné à sept ans de prison en France pour treize enlèvements de jeunes filles dont il a tenté d’abuser, suivi d’une autre peine de six mois pour avoir agressé des automobilistes dans la région de Verdun.
Commence alors une enquête très difficile, en Belgique et en France, car il apparaît très vite qu’il va falloir ouvrir tous les dossiers similaires de disparitions de jeunes filles.
Grâce à la construction du roman, on ne s’ennuie jamais tout au long de la lecture. Si Michel Fourniret en est le sujet central, Harold Cobert a choisi de ne pas lui donner la parole. Il se place d’une part du côté factuel en retraçant dans de courts chapitres les circonstances qui ont fait tomber Elodie Defaux, Lian Shiro, Caroline Moens et toutes les autres dans le piège tendu par l’homme aux lunettes cerclées. En second lieu, ce sont les enquêteurs de la police belge qui prennent la parole. On les voit tâtonner, puis avancer doucement, élaborer des scénarios susceptibles de prouver leurs hypothèses, mais aussi tenter de convaincre leur hiérarchie – le budget nécessaire à des tests ADN finira-t-il par être débloqué ? – ou collaborer du bout des doigts avec les collègues français. Sans oublier leurs états d’âme, leurs problèmes familiaux ou de santé, qui viennent interférer et replacer ce drame hors du commun dans le quotidien le plus banal. Enfin et surtout, comme le proclame le bandeau en couverture du livre, la parole est aussi donnée à la compagne du tueur, dont l’attitude étonne: «Elle n’a montré aucune émotion quand je lui ai appris l’arrestation de son mari ni lorsque je l’ai informée des faits qui lui sont reprochés. Quelque chose cloche dans cette affaire, à commencer par elle.»
Monique Olivier, devenue Madame Fourniret, va passer – au fil de dizaines d’heures d’interrogatoire – du rang de témoin, à celui de complice, voire d’instigatrice. L’inimaginable devient petit à petit imaginable et les frontières de l’horreur sont à chaque fois repoussées un peu plus loin.
Un roman aussi glaçant que passionnant.

Autres critiques
Babelio
Blog Les lectures du mouton (Virginie Vertigo)
Blog Tête de Lecture 
Blog Du calme Lucette 
Blog Sans connivence 

Les 40 premières pages

Extrait
«Ce que je ne comprends pas, c’est où il a bien pu rater son coup parce que, une fois qu’elles sont montées, il va au bout, généralement, et même s’il n’arrive pas à avoir ce qu’il veut, elles ne peuvent pas s’en tirer, celles qui sont montées, aucune n’est rentrée chez elle, en tout cas pas depuis qu’il est avec moi, c’est ça que je n’arrive pas à comprendre, vraiment pas. À moins que ça ait dégénéré. sur le trottoir, qu’il soit descendu pour la faire monter de force, qu’elle ait crié, qu’elle se soit débattue, qu’il ait pris peur d’être repéré, que quelqu’un soit venu à la rescousse de la petite, qu’il se soit enfui et qu’on ait relevé sa plaque, une plainte chez les flics et les voilà qui l’embarquent, un truc comme ça, oui, c’est un truc comme ça qui a dû se passer, tout ça parce que je n’étais pas là, parce que sans moi il n’y arrive pas, ou pas bien, pas complètement,
à part deux trois fois ces derniers temps où il a réussi seul et ça lui a fait croire qu’il pouvait se passer de moi, mais il ne peut pas en réalité, non, il ne peut pas. Ils ne peuvent rien trouver, les bleus, ça non, en tout cas je ne pense pas, ou si peu qu’il fera un peu de prison, un peu, oui, peut-être, quelques mois, trois fois rien, ça ne le tuera pas, ça lui rappellera des souvenirs, il a déjà fait pire. Si je l’ouvrais, moi, ce serait différent, très différent, et encore, il est tellement habile, c’est un malin, mon fauve, oui, il sait parler, lui, il peut embrouiller n’importe qui, c’est son truc, les mots, il a de la culture, il a beaucoup lu, pas comme moi, je suis une idiote et une dinde, il me le répête, même si je balançais, il réussirait à noyer le poisson, il la jouerait anguille, et moi je passerais pour une menteuse, oui, une menteuse et une folle. Et puis, de toute façon, personne ne me croirait, on ne peut pas croire ces choses-là, on ne peut pas les croire parce que, justement,
ça ne s’invente pas. » (p. 22-23)

A propos de l’auteur
Harold Cobert est l’auteur de plusieurs romans, dont Un hiver avec Baudelaire, L’Entrevue de Saint-Cloud et, en 2014, Jim paru chez Plon. (Source : Éditions Plon)

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