Tribu

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En deux mots
Elvire et Yann vont devoir se séparer pour quelques temps. Elle doit se rendre à Rouen pour une série de concerts, lui surveiller une propriété à Saint-Aubin-de-Médoc. Elvire propose alors à Mina, Croisée dans un café, d’accompagner Yann. Le piège se referme.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Tous des sauvages

Pour son second roman, Nathalie Yot a décidé de réunir un improbable trio, Elvire et Yann, un couple très amoureux et Mina, agente d’entretien. Un roman qui mêle avec délectation instinct animal, fantasmes et comédie noire.

C’est un de ces instants de plénitude comme il y en a peu. Elvire laisse ses pensées vagabonder jusqu’à imaginer qu’elle pourrait croquer davantage que la vie à pleines dents. Elle pourrait manger Yann, son amour.
Bien entendu, il rit quand elle lui raconte ce fantasme. Rit avant de l’embrasser, rit avant qu’elle ne quitte Bordeaux pour aller jusqu’à Rouen où elle a été engagée pour une série de concerts. Car Elvire est une violoncelliste talentueuse aux mains magiques.
Pendant ce temps, Yann ira à Saint-Aubin-de-Médoc où de riches propriétaires lui ont confié les clefs de leur domaine. Il est chargé de menus travaux d’entretien et d’assurer la sécurité de la propriété.
Avant le départ, ils se retrouvent au café où ils croisent le regard de Mina. D’origine marocaine, elle a fui son pays pour échapper à un mariage forcé et travaille comme agent d’entretien. La conversation s’engage alors jusqu’à ce qu’Elvire propose à Mina un autre emploi, surveiller Yann durant son absence. Car elle pense qu’il ne supportera pas cet éloignement forcé.
C’est alors que les choses vont prendre une tournure dramatique. À Rouen Elvire fait l’admiration du chef d’orchestre, mais se met aussi à dos la quasi-totalité des musiciens. La tension monte sur les bords de la Seine, mais aussi dans le bordelais. Yann n’a pas seulement fait visiter la propriété qu’il est censé surveiller à Mina, il l’a séquestrée. Son idée est alors d’offrir un joli cadeau à Elvire à son retour, lui permettre d’assouvir son fantasme et de manger la prisonnière!
Mina parviendra-t-elle à ce sortir de ce piège mortel? C’est tout l’enjeu de la dernière partie de ce roman qui flirte avec le fantastique, pour ne pas dire la folie.
Nathalie Yot ménage le suspense tout en explorant la psyché de chacun des membres de cet improbable trio. En creusant dans leur passé, en explorant leur milieu culturel et social, en cherchant ce qui les motive, on va finalement se rendre compte qu’ils ont bien davantage à partager que ce qu’à priori ils imaginent.
Comme dans Le Nord du monde, son précédent roman, la romancière construit son roman autour de scènes fortes et réserve à ses lecteurs un épilogue des plus surprenants. Et en refermant le livre, vous pourrez vous interroger sur la part animale qui est en vous et que vous cachez peut-être derrière le vernis des conventions.

Tribu
Nathalie Yot
Éditions La Contre Allée
Roman
176 p., 17,50 €
EAN 9782376650263
Paru le 18/02/2022

Où?
Le roman est situé en France, à Bordeaux, Rouen et Saint-Aubin-de-Médoc.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Elvire et Yann d’un côté, Mina de l’autre. Trois personnages que tout oppose, qui n’auraient sans doute jamais dû se rencontrer. Elvire, violoncelliste de renom ; Yann, prêt à tout pour conserver l’amour d’Elvire ; et Mina, femme de ménage qui n’aurait rien contre le fait de bouleverser sa vie. Des parcours différents, des milieux sociaux et culturels éloignés, trois personnalités, trois corps, qui vivent l’expérience de l’autre, avec attirance et répulsion en ritournelle.
Mina, Elvire et Yann, trois personnages en quête d’une vie plus grande, aux frontières des tabous et des interdits. Vivre plus fort, vivre vraiment. Mais les relations établies peuvent-elles réellement évoluer? Domination et dépendance ne modèlent-elles pas les liens entre les êtres? Jusqu’où Mina, Elvire et Yann seront-ils prêts à aller pour souder leur relation? L’ un ou l’ autre ne se fera-t-il pas manger par les autres ?

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
goodbook.fr
Actualitté (Barbara Fasseur)
Blog shangols


Nathalie Yot présente son roman Tribu © Production La Contre Allée

Les premières pages du livre
« PREMIER MOUVEMENT
Elvire se sent bien. Bien comme tranquille. Comme après un bain de mer. La peau détendue, lâchée. Elle ne veut rien. Elle n’a pas d’avis. Ça la repose de ne pas avoir d’avis, d’être neutre. Et la neutralité fait son effet habituel. Celui de laisser les gens en paix cinq minutes. Elle se frotte les yeux exagérément et ça aussi ça la détend. Les mains dans les yeux, on ne le fait jamais assez. On oublie.
Dans cet état, il n’y a plus rien de chamaillé en elle, le tracas s’est effondré, à même le sol. Elle pense à Yann.
Elle se dit que l’autre compte. Tous les autres. Et elle se frotte à nouveau les yeux. Ce soir, j’ai un concert. Faut que je me concentre un peu.
Elle est dans sa douche. Celle d’avant l’entrée en scène. Depuis cet après-midi, elle expulse. Ses pensées vont faire un tour dehors. Dedans, c’est blanc maintenant. L’eau glisse sur son corps et finit le travail d’épuration. Puis elle se sèche lentement, se prépare lentement et s’étend jusqu’à ce qu’on vienne la chercher. Ça toque à la porte. Il est temps d’y aller.
Elle marche au ralenti. On marche toujours au ralenti quand on va monter sur scène. Elle traverse le rideau, comme si elle traversait un mur de beurre et avance sans hésiter, toujours au ralenti, jusqu’à son instrument installé au milieu de la scène face au public. Elle salue, s’assoit et attaque le prélude de la Suite n° 1 en sol majeur de Bach.
Les yeux du public sont rivés sur elle, sur ses doigts qui dévoilent toute la blancheur du dedans. Un homme crie dans la salle. Immédiatement les « chut » fusent et les regards se tournent vers celui qui perturbe. La musicienne n’entend rien, elle joue, mais elle sait. Elle sait à qui appartiennent ces cris d’orage. C’est Yann.
Il ne s’est rien passé. Rien de catastrophique. Yann s’est tu et elle a continué de jouer sa suite en sol majeur. Jusqu’à la fin. Jusqu’aux applaudissements. De longs applaudissements. C’est après qu’elle est devenue étrange. La transformation, c’est après qu’elle a eu lieu, quand le théâtre s’est vidé. Presque une bête. Avec des mouvements incertains, vifs et maladroits. À se cogner aux murs, aux chaises, aux coins de tout. Je vais manger quelqu’un, a-t-elle pensé. C’est sûr, il faut que je dévore. Je veux ce gout dans ma bouche. Un gout de chair. Il me faut ça.
Elle a un peu bavé seule dans sa loge. Elle a grogné aussi. Puis le calme est revenu. Quelques tics cependant.
Manger quelqu’un, ce n’est pas la première fois qu’elle y pense. Ce n’est pas la première fois que cette envie surgit. Elle sait que c’est impossible. On ne mange pas les gens. Les faits divers, elle les connait. C’est un écœurement pour tout le monde. On est complè¬tement fou si on mange de la chair humaine. Elle en a bien conscience. Mais elle aimerait qu’il existe la possibilité de le faire. Alors elle le ferait. Elle sourit en y pensant. Elle sourit d’être différente. Ça lui va de l’être. Elle fait déjà le boulot de la musique qui n’est pas si courant, qui étonne quand elle le dit. Je suis violoncelliste. Oui, c’est mon métier. Ça épate et ça fait froncer les sourcils. La singularité fait froncer les sourcils. On ne sait pas si c’est bien ou si c’est mal. On se dit juste que ce ne doit pas être facile.
Quand le régisseur du théâtre vient lui dire qu’il va fermer, elle le regarde avec appétit puis elle détourne les yeux en rangeant ses affaires et le suit vers la sortie. Il n’y a plus de spectateurs sur le parvis, elle en est soulagée, ce soir elle n’avait pas envie de parler, d’écouter les compliments, de sourire pour faire plaisir. Son état ne lui aurait pas permis de se plier aux convenances d’usage. Parfois, elle y va. Elle va recevoir quelques flatteries. Mais très souvent, elle reste terrée dans sa loge. Ses proches le savent et l’acceptent. Elvire est un peu sauvage, disent-ils entre eux.
Dehors, l’air vivant circule. Elle avance dans cette circulation. Elle voudrait remuer l’espace. Elle fait des détours pour rentrer chez elle, traverse quelques terrasses en essayant de renverser une table ou au moins un verre sur une table. Un verre qui tombe ce n’est rien. C’est un accident. On peut s’excuser. On peut toujours s’excuser.
La nuit piétine. Il n’y a pas de cadre bousculé.
Elle prend son téléphone et appelle Yann. Pourquoi a-t-il hurlé dans la salle ? Ça ne lui a pas plu. Ça complique. Pour créer un évènement, dit-il. Tu sais bien que cette ambiance est étouffante. Tous ces regards sur toi. Ce besoin qu’ont les gens d’être en osmose avec ta musique. On ne le supporte pas tous les deux. Il faut que quelque chose d’autre se passe. Et mes cris sont sortis tout seuls. Pour toi. J’ai cherché un endroit opportun dans ta parti¬tion. Tu n’as pas trouvé qu’on était ensemble à ce moment-là ? Tu n’as pas trouvé ? Hein ? Tu n’as pas trouvé ?
Elle laisse courir le discours de Yann sans y prêter attention. Elle admet tout de lui. C’est une histoire réglée. Il peut tout faire, même n’importe quoi.
Elvire est seule dans son appartement maintenant. Elle jette ses habits par terre, comme ça d’un seul coup, comme elle en a l’habitude. Ses habits épar¬pillés. Taches de tissu sur le carrelage. Elle n’allume aucune lampe. Les lumières extérieures, celles de la rue, suffisent. Cette pénombre lui permet d’être elle-même. Plus précisément. La femme qu’elle sait qu’elle est. Dans la pénombre, elle sait.
Elle attendra Yann toute la nuit, ce qu’il reste de toute la nuit. Elle est persuadée qu’il finira par venir. Même à l’aube, elle sera là à l’attendre. Cela existe, les nuits de certitude.
Elle regarde le dessus de ses mains. Elle lit sa vie sur le dessus de ses mains. Pas à l’intérieur comme les gitanes. Non, dessus. La vie c’est dessus. Et elle répète deux mots en boucle, comme un mantra.
Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains. Mes mains.
À chaque syllabe, elle enfonce un clou. Cette litanie la berce, la console, de quoi elle l’ignore, on a toujours besoin d’être consolé. Un réconfort se fait sentir, elle embrasse chacune de ses mains, les lèche un peu aussi, puis elle se tait.
Ma peau est un couloir qui résonne à mort, pense-t-elle encore. Ensuite elle ne pense plus rien. Elle reste une heure ou deux à savoir qui elle est, puis elle entend des clefs tourner dans la serrure. Yann.
Il entre. N’allume pas la lumière. Ce serait enfreindre leur consentement à l’obscurité. Il se tient aux murs pour avancer. Elle l’observe tâtonner, hésiter, trébucher. Elle rit de notre inaptitude à nous diriger sans y voir.
Yann slalome entre la table basse et le fauteuil, puis contourne un pupitre, marche sur les taches de tissu. Elle le suit des yeux avec la nuque qui craque. C’est un bruit discret la nuque qui craque. C’est surtout à l’intérieur. La nuque qui craque ne dérange personne.
— Qu’est-ce que tu proposes, Yann ? dit-elle. J’ai attendu ton retour pour que les murs vibrent.
— Rien. Ce soir les murs resteront immobiles. »

À propos de l’auteur
YOT_Nathalie_©marc_ginotNathalie Yot © Photo Marc Ginot

Nathalie Yot est née à Strasbourg et vit à Montpellier. Artiste pluridisciplinaire, passionnée des mots, de musique et d’art, architecte et chanteuse, performeuse et auteure, elle a un parcours hétéroclite à l’image de son écriture. Elle est diplômée de l’école d’architecture mais préfère se consacrer à la musique (auteure, compositeur, interprète signée chez Barclay) puis à l’écriture poétique.
D’abord dans le domaine de l’érotisme, elle publie deux nouvelles Au Diable Vauvert (Prix Hemingway 2009 et 2010) sous le pseudonyme de NATYOT ainsi qu’un premier recueil chez l’Harmattan (Erotik Mental Food). Elle explore ensuite d’autres thèmes, ne laissant de côté ni l’intime, ni la chair car elle dit beaucoup d’elle, fait le tour de son isolement, toujours avec la même intensité. Elle obtient une bourse de la Région Languedoc Roussillon pour D.I.R.E (Gros Textes mai 2011). Elle est alors invitée à dire ses textes en France comme à l’étranger (Voix de La Méditerranée, BIPVAL, Expoésie, Déklamons, Voix Vives, Poésie Marseille, Parole Spalancate, Maelstrom Festival…) et représentera la langue française en Chine (Festival villes jumelées / Chengdu) en 2013.
Ces lectures sont des performances, accompagnées de musiciens, danseurs ou encore plasticiens. Elle inclut parfois des vidéos ou dessine en live. Natyot crée Ma Poétic Party, laboratoire d’expérimentation poétique où se mêlent diverses disciplines artistiques, et dont le but est d’explorer le processus de création, ce qui l’amènera à se tourner vers le théâtre. Un de ses textes (Hotdog, Éditions Le Pédalo Ivre) est monté au Théâtre du Périscope à Nîmes en 2015. Elle anime des ateliers d’écriture dans les écoles et les lycées ainsi que pour les publics empêchés et continue de publier des textes courts qu’elle performe sur diverses scènes. Elle obtient une nouvelle bourse de la Région Languedoc Roussillon pour l’écriture de son premier roman, Le Nord du Monde. Avec un dj et aménageur sonore, elle crée un duo d’électro-poésie, NATYOTCASSAN. Un album est en préparation. Pendant quatre ans, elle fut chargée de mission par la Mairie de Montpellier pour le Printemps des poètes (Festival « Les Anormales » de la poésie). (Source: Éditions La Contre Allée)

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Le soleil se lève aussi

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En deux mots:
À Paris dans les années 1920, le journaliste Jake Barnes, vit entouré d’une bande d’expatriés avec lesquels il fait la fête et rivalise pour les yeux d’une belle Anglaise. Si une blessure de guerre l’a rendu impuissant, il ne désespère pas de parvenir à ses fins, notamment lors d’un voyage au Pays basque et en Espagne.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Une tragédie sous un soleil brûlant

Les déboires du journaliste Jake Barnes dans le Paris des années 1920 permettent à Ernest Hemingway de raconter la «génération perdue» de l’après-guerre. Et de faire vaciller les certitudes des mâles virils.

Comme les romans d’Ernest Hemingway sont indissociables de sa vie, commençons par reprendre la partie de sa biographie qu’il raconte dans Le soleil se lève aussi. Après la Première guerre mondiale qu’il a effectuée comme ambulancier sur le front italien, Hemingway décide de reprendre son métier de journaliste et part pour Paris. Au début des années 1920, installé à Montparnasse, il côtoie toute une colonie d’expatriés, d’Ezra Pound à Gertrude Stein, de Sherwood Anderson à Sylvia Beach qui accueillait généreusement les Américains dans sa librairie Shakespeare and Co. Il y a sans doute croisé aussi Francis Scott Fitzgerald ou James Joyce. C’est dans ce Paris des «années folles» que s’ouvre ce roman qui va raconter le parcours de Jake Barnes, journaliste américain derrière lequel il n’est pas difficile de reconnaître le double de l’auteur. Une technique qu’il va également utiliser pour les autres personnages du livre, largement inspirés de ses amis et fréquentations, ce qui lui vaudra notamment l’inimitié de Harold Loeb qu’il a dépeint sous le nom de Robert Cohn. Mais si le jeu des masques a provoqué un scandale au moment de la parution du livre son intérêt aujourd’hui tient bien davantage dans la chronique et les idées développées.
Le désenchantement de cette «génération perdue» est personnifiée par Jake lui-même, devenu impuissant après une blessure infligée sur le front italien et qui se désespère de voir Brett Ashley, la belle anglaise dont il est amoureux passer d’un amant à l’autre. Une galerie composée d’un Ecossais qui attend son divorce pour l’épouser à son tour, un comte grec qui roule sur l’or et Robert Cohn, dont je viens de parler, juif américain complexé qui aimerait aussi obtenir les faveurs de Brett. C’est dans l’alcool, le jeu et les fêtes que l’on cache son mal-être.
Quand Bill Gorton débarque des États-Unis, son ami Jake décide de lui faire découvrir le Pays basque et l’Espagne et de l’emmener à Pampelune pour la San Fermin, notamment célèbre pour ses corridas. Avant cela, ils pêcheront la truite.
En passant du calme de la partie de pêche à la fièvre de la corrida, Hemingway donne une forte intensité à cette dernière partie où les inimitiés, les frustrations et la violence vont se déchaîner. Chacun se retrouvant alors à l’heure du choix, souvent douloureux, dans une atmosphère électrique. Tandis que le soleil continue à se lever, leurs rêves s’évanouissent.
Hemingway considérait son roman comme «une tragédie, avec, pour héros, la terre demeurant à jamais.» Je crois que le passage du temps lui a donné raison.

Le soleil se lève aussi
[The Sun Also Rises]
Ernest Hemingway
Folio Gallimard (n°221)
Roman
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Maurice Edgar-Coindreau
288 p., 7,50 €
EAN 9782072729997
Paru le 11/05/2017

Où?
Le roman se déroule en France, à Paris puis au Pays Basque et enfin en Espagne, notamment à Pampelune et Madrid.

Quand?
L’action se situe dans les années 1920.

Ce qu’en dit l’éditeur
Paris, années 1920. Jake Barnes, journaliste américain, retrouve la belle et frivole Lady Ashley, perdue dans une quête effrénée d’amants. Nous les suivons, s’abîmant dans l’alcool, des bars parisiens aux arènes espagnoles, en passant par les ruisseaux à truites des Pyrénées. Leurs compagnons, Robert Cohn, Michael Campbell, sont autant d’hommes à la dérive, marqués au fer rouge par la Première Guerre mondiale.
Dans un style limpide, d’une efficacité redoutable, Hemingway dépeint le Paris des écrivains de l’entre-deux-guerres et les fameuses fêtes de San Fermín. Ses héros, oscillant sans cesse entre mal de vivre et jouissance de l’instant présent, sont devenus les emblèmes de cette génération que Gertrude Stein qualifia de «perdue».

68 premières fois
Sélection anniversaire: le choix de Sébastien Spitzer

SPITZER_Sebastien©Astrid-di-CrollalanzaAprès avoir découvert Miller, Hemingway et Fante, Sébastien Spitzer est devenu journaliste. Il a longtemps baroudé comme grand reporter, puis s’est mis au roman. Son premier, Ces rêves qu’on piétine, a été traduit dans plusieurs pays et remporté une quinzaine de prix littéraires. Après Le Cœur battant du monde, il publie le 20 août La Fièvre. (Photo Astrid di Crollalanza)

«J’avais l’âge des défis qu’on se lance entre amis pour se prouver des choses. Chiche ! Luc venait de dégotter un nouveau terrain de jeu. Une piste d’athlétisme, à Colombes. L’hiver amputait nos loisirs. À dix-huit heures, les spots électriques peinaient à nous offrir des minutes de sursis. La piste était mal éclairée. Il faisait froid. J’étrennais une paire flambant neuve de chaussures à pointe. À vos marques ! Prêts ! L’entraîneur donna le départ du 400 mètres. Nous étions six ou sept. Luc tenait la corde. J’étais dans sa foulée. Je faisais honneur à notre belle amitié. Et puis, je ne sais pas. Une ampoule ? La peur de perdre ? Le souvenir d’une fille qui me faisait le coup du mépris ? Je ne sais plus pourquoi, mais en sortie de virage j’ai ralenti puis cessé de courir. Luc a gagné la course. Bien sûr ! Haut la main ! En se retournant, il m’a vu franchir la ligne au pas. Et son regard dépité est resté dans ma tête, gravé, comme dans le marbre. Il était si déçu. Il n’a rien dit au retour. Il regardait devant lui, replié comme un vrai parapluie. Je fixais mes chaussures.
Les vacances qui suivirent, je les passais chez une tante, en Espagne. Sur la Costa Brava. Je partais quinze jours avec quinze livres. Henry Miller. Marcel Pagnol et… Hemingway. « Le Soleil se lève aussi ». J’ai découvert son univers. Ses valeurs. Ses héros. J’ai trouvé des modèles qui en avaient, eux ; qui ne se seraient pas arrêté, eux. Jamais. J’ai trouvé des silences qui me donnaient des réponses. Ses héros ne se plaignaient pas. Ils ne rechignaient pas. Ils faisaient, de leur mieux. J’ai presque tout lu dans la foulée de ce livre. J’ai presque tout aimé d’Hemingway. Son style, efficace et sensible. Ses scènes. Ses thèmes aux antipodes des écrits tristes et insipides de ces auteurs érudits qui composent des récits gavés des vues des autres. Lui, était humain. Infiniment humain. Il avait vu. Vécu. Senti.»

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Page Wikipédia du roman
Charlie Hebdo (Yann Diener)
France Culture (florilège des émissions sur Ernest Hemingway)
Blog Calliope Pétrichor
Blog Les Aglamiettes
Blog Marque-Pages

Documentaire d’Henry King sur Le soleil se lève aussi © Dailymotion

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Il fut un temps où Robert Cohn était champion de boxe, poids moyen, à l’Université de Princeton. N’allez pas croire que je me laisse impressionner par un titre de boxe, mais, pour Cohn, la valeur en était énorme. Il n’aimait pas du tout la boxe. En fait, il la détestait, mais il l’avait apprise péniblement et à fond pour contrebalancer le sentiment d’infériorité et de timidité qu’il ressentait en se voyant traité comme un juif, à Princeton. Il éprouvait une sorte d’intime réconfort à l’idée qu’il pourrait descendre tous ceux qui le traiteraient avec impertinence, bien que, étant très timide et foncièrement bon garçon, il n’eût jamais boxé qu’au gymnase. C’était l’élève le plus brillant de Spider Kelly. Spider Kelly enseignait à tous ses jeunes gentlemen, qu’ils pesassent cent cinq ou deux cent cinq livres, à boxer comme des poids plume. Cette méthode semblait convenir à Cohn. Il était vraiment très rapide. Il était si bon que Spider ne tarda pas à le faire se mesurer avec des gens trop forts pour lui. Son nez en fut aplati à jamais, et cela contribua à augmenter le dégoût de Cohn pour la boxe. Il n’en retira pas moins une espèce de satisfaction assez étrange et, à coup sûr, son nez s’en trouva embelli. Pendant sa dernière année à Princeton, il lut trop et se mit à porter des lunettes. Je n’ai jamais rencontré personne de sa promotion qui se souvînt de lui, on ne se rappelait même plus qu’il avait été champion de boxe, poids moyen.
Je me méfie toujours des gens francs et simples, surtout quand leurs histoires tiennent debout, et j’ai toujours soupçonné que Robert Cohn n’avait peut-être jamais été champion de boxe, poids moyen, que c’était peut-être un cheval qui lui avait marché sur la figure, ou que sa mère avait peut-être eu peur ou qu’elle avait vu quelque chose ou que peut-être, dans son enfance, il s’était heurté quelque part. Mais, finalement, quelqu’un vérifia l’histoire de Spider Kelly. Spider Kelly, non seulement se rappelait Cohn, mais il s’était souvent demandé ce qu’il était devenu.
Par son père, Robert Cohn appartenait à une des plus riches familles juives de New York et, par sa mère, à une des plus vieilles. A l’école militaire où il avait préparé ses examens d’entrée à Princeton, tout en s’acquittant fort bien de son rôle de trois-quarts aile dans l’équipe de football, personne ne lui avait rappelé la race dont il était issu. Personne ne lui avait jamais fait sentir qu’il était juif et, par suite, différent des autres, jusqu’au jour où il entra à Princeton. C’était un gentil garçon, cordial et très timide, et il en conçut de l’amertume. Il réagit en boxant, et il sortit de Princeton avec le sentiment pénible de ce qu’il était et un nez aplati. Et il se laissa épouser par la première jeune fille qui le traita gentiment. Il resta marié cinq ans, eut trois enfants, perdit la majeure partie des cinquante mille dollars que son père lui avait laissés (le reliquat des biens étant allé à sa mère), acquit une dureté assez déplaisante par suite des tristesses de sa vie conjugale avec une femme riche, et, juste au moment où il avait décidé de quitter cette femme, c’est elle qui s’était enfuie avec un miniaturiste. Comme il y avait déjà bien des mois qu’il songeait à abandonner sa femme, mais qu’il ne l’avait jamais fait, trouvant trop cruel de la priver de sa compagnie, son départ lui fut une surprise des plus salutaires.
Le divorce fut prononcé et Robert Cohn partit pour la Californie. Il y tomba au milieu d’un groupe de littérateurs et, comme il avait encore un peu des cinquante mille dollars, il ne tarda pas à subventionner une revue d’art. La revue commença à paraître à Carmel, en Californie, et finit à Provincetown, dans l’État de Massachusetts. A cette époque, Cohn, qui avait été considéré purement comme un ange et dont le nom figurait en première page simplement comme membre du comité consultatif, était devenu seul et unique rédacteur. L’argent était à lui et il découvrit qu’il aimait l’autorité que confère le titre de rédacteur. Il fut tout triste le jour où, le magazine étant devenu trop coûteux, il lui fallut y renoncer.
A ce moment-là, cependant, il avait d’autres sujets de préoccupation. Il s’était laissé accaparer par une dame qui, grâce au magazine, comptait bien arriver à la gloire. Elle était fort énergique et Cohn n’avait jamais manqué une occasion de se laisser accaparer. De plus, il était sûr qu’il en était amoureux. Quand la dame s’aperçut que le magazine n’irait pas bien loin, elle en voulut un peu à Cohn et elle pensa que mieux valait profiter de ce qui restait tant qu’il y avait quelque chose dont on pût profiter. Elle insista donc pour qu’ils allassent en Europe où Cohn pourrait écrire. Ils allèrent en Europe où la dame avait été élevée et ils y restèrent trois ans. Pendant ces trois années, la première passée en voyage, les deux autres à Paris, Robert Cohn eut des amis, Braddocks et moi. Braddocks était son ami littéraire. J’étais son ami de tennis.
La dame à laquelle il appartenait – elle s’appelait Frances – s’aperçut à la fin de la deuxième année que ses charmes diminuaient, et son attitude envers Robert passa d’une possession nonchalante mêlée d’exploitation à la ferme résolution de se faire épouser. Cependant, la mère de Robert faisait à son fils une pension de trois cents dollars par mois. Pendant deux ans et demi, je ne crois pas que Robert Cohn ait jamais levé les yeux sur une autre femme. Il était assez heureux sauf que, comme bien des gens qui vivent en Europe, il aurait préféré vivre en Amérique, et il avait découvert l’art d’écrire. Il écrivit un roman et, à vrai dire, ce roman n’était pas aussi mauvais que les critiques le prétendirent plus tard. Néanmoins, ce n’était pas un bon roman. Il lut beaucoup de livres, joua au bridge, joua au tennis et boxa dans un gymnase de quartier.
Je remarquai pour la première fois l’attitude de la dame à son égard, un soir où nous avions dîné tous les trois ensemble. Nous avions dîné au restaurant Lavenue et nous étions ensuite allés prendre le café au Café de Versailles. Nous avions pris plusieurs fines après le café, et j’annonçai mon intention de partir. Cohn avait parlé d’aller passer la fin de la semaine quelque part, tous les deux. Il voulait quitter la ville et faire une grande randonnée à pied. Je suggérai d’aller en avion jusqu’à Strasbourg et de monter ensuite à pied à Sainte-Odile, ou à quelque autre site d’Alsace. « Je connais une femme à Strasbourg qui pourra nous faire visiter la ville », dis-je.
Quelqu’un me décocha un coup de pied sous la table. Je crus que c’était par hasard et je continuai :
– Voilà deux ans qu’elle est là-bas, et elle connaît tout ce qu’il y a à voir dans la ville. C’est une femme épatante.
Je reçus un nouveau coup de pied sous la table et, levant les yeux, je vis Frances, la dame de Robert, le menton en l’air, le visage dur.
– Et puis, après tout, dis-je, pourquoi aller à Strasbourg ? Nous pourrions tout aussi bien aller à Bruges ou dans les Ardennes.
Cohn parut soulagé. Je ne reçus pas de coup de pied. Je souhaitai le bonsoir et partis. Cohn dit qu’il voulait acheter un journal et qu’il allait m’accompagner jusqu’au coin de la rue.
– Bon Dieu, dit-il, pourquoi as-tu été parler de cette femme de Strasbourg ? Tu ne voyais donc pas Frances ?
– Non, je n’avais pas idée. Qu’est-ce que ça peut bien foutre à Frances que je connaisse une Américaine à Strasbourg ?
– Oh, peu importe. N’importe quelle femme. Je ne pourrai pas y aller, voilà tout.
– Ne dis donc pas de bêtises.
– Tu ne connais pas Frances. Une femme, quelle qu’elle soit. Tu n’as pas vu la tête qu’elle faisait ?
– Eh bien, dis-je, on ira à Senlis.
– Ne te fâche pas.
– Je ne me fâche pas. Senlis est très bien. Nous pourrons descendre au Grand Cerf. Nous nous promènerons dans les bois et puis nous rentrerons tranquillement chez nous.
– Bon, ça me va.
– Alors, à demain, au tennis, dis-je.
– Bonne nuit, Jake, dit-il, et il se dirigea vers le café.
– Tu as oublié de prendre ton journal, dis-je.
– C’est vrai.
Il m’accompagna jusqu’au kiosque, au coin de la rue.
– Tu n’es pas fâché contre moi, Jake ?
Il se retourna, le journal à la main.
– Mais non, je n’ai aucune raison.
– A demain, au tennis, dit-il.
Je le regardai s’en retourner au café, le journal à la main. Il m’était plutôt sympathique et, évidemment, la vie avec elle n’était pas toujours rose. »

Extrait
« Elle me regardait dans les yeux, avec cette manière à elle de regarder qui vous faisait douter si elle voyait vraiment avec ses propres yeux. Et ces yeux continueraient à regarder après que tous les yeux du monde auraient cessé de regarder. Elle regardait comme s’il n’y avait rien au monde qu’elle n’eût osé regarder comme ça, et, en réalité, elle avait peur de tant de choses! »

À propos de l’auteur
Ernest Hemingway est né en 1899 à Oak Park, près de Chicago. Il passa tous les étés de sa jeunesse en plein bois, au bord du lac Michigan. En 1917, il entre au Kansas City Star comme reporter. Il s’engage en 1918 comme ambulancier de la Croix-Rouge sur le front italien. Après la guerre, Hemingway reprend en Europe son métier de journaliste. En 1936, il devient correspondant auprès de l’armée républicaine en Espagne. Il fait la guerre de 1939 à 1945, participe à la Libération de Paris avec la division Leclerc, puis continue à voyager : Cuba, l’Italie, l’Espagne. En 1954, Hemingway reçoit le prix Nobel de littérature. En 1961, il met fin à ses jours. (Source: Éditions Gallimard)

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