Ce n’est pas un fleuve

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En deux mots
Trois amis réussissent à sortir une raie géante lors d’une de leurs parties de pêche. Un exploit inutile, à l’image de leur vie misérable. Mais quand l’un d’eux disparaît, ils vont bien devoir se remettre en cause.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Quand la mort étend ses tentacules

L’argentine Selva Almada nous entraîne dans une nature sauvage où vit un petit groupe d’habitants qui tentent de survivre dans ce milieu hostile, générateur de tensions et de violence.

C’est l’histoire de trois copains, trois garçons qui ont grandi ensemble et que l’on retrouve au début du roman lors d’une partie de pêche. Après plusieurs heures à traquer une raie géante, ils vont parvenir à leurs fins et sortir l’animal géant de près de 100 kilos du fleuve.
«Tous les trois sont déjà des hommes. Pas des gamins, comme Tilo en ce moment. Des hommes qui approchent de la trentaine. Célibataires. Ils n’allaient pas se marier. Aucun d’entre eux n’allait se marier. Jusqu’à ce jour, du moins, aucun d’entre eux n’allait se marier. Pour quoi faire. Ils étaient là les uns pour les autres. Et quand ce n’était pas le cas, Enero avait sa mère; Negro avait ses sœurs, qui l’ont élevé; Eusebio pouvait avoir qui il voulait. Alors à quoi bon se maquer avec une fille, puisqu’il pouvait les avoir toutes.»
Mais à l’image de leur prise, ce gros poisson qui fait leur fierté, ils se heurtent à l’indifférence d’une micro-société qui a appris qu’il n’y a aucune raison de fanfaronner dans ce coin perdu d’Argentine, que seules les tournées de Maté et l’ivresse qui les accompagnent peuvent leur faire oublier leur condition peu enviable.
À la suite de la disparition d’Eusebio, emporté par le fleuve et dont les plongeurs finiront par retrouver le corps, une suspicion générale s’installe. Du côté des anciens, du côté des femmes et même au sein du groupe désormais décimé.
La raie va finir par suivre le chemin d’Eusebio et provoquer colère et incompréhension. La mort va étendre ses tentacules. C’est dans cette chaleur moite, ce climat très lourd, tendu, que l’on va finir par comprendre le concours de circonstances qui a conduit au drame.
Selma Almada a expliqué que lorsqu’elle était enfant, elle voyait son père partir à la pêche avec ses amis et revenir après quelques jours, la plupart du temps sans poissons mais avec la gueule de bois. Des souvenirs d’enfance qui souvent chez elle forment le point de départ de ses romans. Les fidèles de l’autrice argentine se souviendront avec bonheur de Après l’orage, Les Jeunes Mortes ou encore Sous la grande roue. On y retrouve cette plume âpre et sensuelle, ces paysages qui sont des personnages à part entière et ce goût particulier à sonder l’âme humaine dans des situations de crise. C’est alors – comme ici – qu’elle se met à nu. La violence qui sourd derrière les silences et qui se nourrit des légendes – forcément noires – que l’on aime à se raconter pour conjurer la peur.

Ce n’est pas un fleuve
Selva Almada
Éditions Métailié
Roman
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Laura Alcoba
128 pages 16,00 €
EAN 9791022611718
Paru le 14/01/2022

Où?
Le roman est situé en Argentine, au détour d’un fleuve en pleine jungle.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Le soleil, l’effort tapent sur les corps fatigués de trois hommes sur un bateau. Ils tournent le moulinet, tirent sur le fil, se battent pendant des heures contre un animal plus fort, plus grand qu’eux, une raie géante qui vit dans le fleuve. Étourdis par le vin, par la chaleur, par la puissance de la nature tropicale, un, deux, trois coups de feu partent.
Dans l’île où ils campent, les habitants viennent les observer avec méfiance, des jeunes femmes curieuses s’approchent. Ils sont entourés par la broussaille, par les odeurs de fleurs et d’herbes, les craquements de bois qui soulèvent des nuées de moustiques près du fleuve où le père d’un des trois hommes s’est noyé. Ils se savent étrangers mais ils restent.
À chaque page, le paysage, les éléments façonnent le comportement et la psychologie des personnages qui confondent le rêve et la réalité, le présent et les souvenirs dans la torpeur fluviale.
Dans cet hymne à la nature, Selva Almada démystifie l’amitié masculine, sa violence, sa loyauté. Avec un style ensorcelant, l’auteur vous emporte loin avec un langage brut et poétique où les mots et les silences font partie de l’eau. Ce roman est une caresse de mains rêches qui reste collé à votre peau, à votre mémoire.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Benzine Magazine (Alain Marciano)
Espaces latinos
Que Tal Paris
Son du monde
Blog sur la route de Jostein

Les premières pages du livre
« Enero Rey est debout sur son bateau, les jambes écartées, son corps est massif, imberbe, il a le ventre gonflé, il fixe la surface de l’eau et attend, un revolver à la main. Sur le même bateau, Tilo, le jeune homme, est cambré, l’extrémité de la canne appuyée sur sa hanche, il fait tourner le moulinet, tire sur le fil : c’est un cordeau de lumière contre le soleil qui décline. Negro, la cinquantaine, comme Enero, n’est pas sur le bateau mais dans le fleuve même, l’eau lui arrive aux testicules, son corps est également cambré, le soleil et l’effort font rougir son visage, tandis qu’il déroule et enroule le fil, sa canne forme un arc. La petite roue du moulinet tourne, sa respiration est celle d’un asthmatique. Le fleuve est immobile.
Fatiguez, fatiguez-la. Tirez sur le fil, tirez. Faites-la décoller, décoller.
Après deux ou trois heures, il est fatigué, il en a un peu marre, mais Enero répète les mêmes consignes dans un murmure, comme s’il priait.
Il a la tête qui tourne. Il est étourdi par le vin et la chaleur. Il relève la tête, ses minuscules yeux sont rouges, enfoncés dans son visage gonflé, il est ébloui et soudain tout devient blanc, il perd pied, il veut prendre sa tête dans ses mains et le coup de feu part tout seul.
Tilo, sans interrompre ce qu’il est en train de faire, pince ses lèvres et lui lance.
Qu’est-ce que tu fais, le soleil t’a tapé sur la tête !
Enero se ressaisit.
Ce n’est rien. Continuez. Fatiguez, fatiguez-la. Tirez sur le fil, tirez. Faites-la décoller, décoller.
Elle monte ! Elle est en train de monter !
Enero se penche par-dessus bord. Il la voit venir. Telle une immense tache, sous l’eau. Il vise et tire. Un. Deux. Trois coups de feu. Le sang monte à la surface, de grosses bulles se forment, gorgées d’eau. Il se redresse. Il range son arme. Il la cale entre la ceinture de son short et le bas de son dos.
Tilo, depuis le bateau, et Negro, dans l’eau, la soulèvent. Ils l’agrippent par les volants gris que forme la chair. Ils la lancent à l’intérieur.
Regarde un peu l’animal !
Dit Tilo.
Il prend le couteau, coupe la queue, la renvoie au fond du fleuve.
Enero pose ses fesses sur le petit siège du bateau. Son visage est en sueur, sa tête bourdonne. Il boit un peu d’eau de la bouteille. L’eau est tiède, il boit quand même de longues gorgées, puis verse le restant sur son crâne.
Negro monte à bord du bateau. La raie prend tellement de place que c’est difficile de faire un pas sans lui marcher dessus. Elle doit faire dans les quatre-vingt-dix, cent kilos.
Putain de vieille bestiole !
C’est Enero qui prononce ces mots, tandis qu’il tapote sa cuisse et rit. Les autres rient aussi.
Elle s’est bien battue.
Dit Negro.
Enero prend les rames et s’engage au milieu du fleuve, puis il change de cap et continue à ramer, longeant le rivage jusqu’à l’endroit où ils campent.
Ils ont quitté leur village à l’aube, dans la camionnette de Negro. Tilo, assis au milieu, s’occupait du maté. Enero avait le bras posé sur la fenêtre ouverte. Negro était au volant. Ils ont vu le soleil se lever lentement sur l’asphalte. Tôt le matin, déjà, ils ont senti la chaleur vive.
Ils ont écouté la radio. Enero a pissé au bord de la route. Dans une station-service, ils ont acheté des viennoiseries et ils ont rempli leur thermos pour continuer à boire du maté.
Ils étaient contents d’être ensemble, tous les trois. Ça faisait longtemps qu’ils préparaient ce voyage. Pour une raison ou pour une autre, ils l’avaient annulé à plusieurs reprises.
Negro s’était acheté un nouveau bateau et il voulait l’essayer.
Tandis qu’ils traversaient le fleuve pour se rendre sur l’île dans le bateau tout neuf, comme d’habitude, ils se sont souvenus de la première fois où ils sont venus là avec Tilo. Il était tout petit à l’époque, le gamin marchait à peine, ils avaient été surpris par un orage qui avait envoyé valser leurs tentes, alors le gamin, petit comme il était, avait été mis à l’abri sous le bateau retourné, coincé entre deux arbres.
Ton père s’en est pris plein la tête quand nous sommes rentrés.
A dit Enero.
Et ils ont repris l’histoire que Tilo connaît déjà par cœur. Eusebio avait amené le gosse en cachette, sans prévenir Diana Maciel. Ils étaient séparés depuis que Tilo était né. Tous les week-ends, Eusebio prenait le gamin avec lui. Mais ce jour-là, soudain, Diana avait réalisé qu’elle avait oublié de mettre dans le sac de Tilo, avec ses vêtements de rechange, un médicament qu’il devait prendre. Alors Diana avait débarqué chez Eusebio, mais il n’y avait personne. C’est un voisin qui lui avait dit qu’ils étaient allés sur l’île.
Pour corser le tout, l’orage s’était abattu sur toute la région. Sur le village aussi. Diana était morte de trouille.
Elle nous a tous engueulés.
A dit Enero.
Diana Maciel les avait traités de tous les noms, tous les trois, et ils n’avaient pas pu retourner chez elle ni revoir Tilo pendant plusieurs semaines.
Arrivés à l’endroit où ils campent, ils sortent la raie, glissent une corde dans les trous qui sont derrière les yeux et l’accrochent à un arbre. Les trois orifices percés par les balles se perdent sur le dos tacheté. Si ce n’était en raison de leur circonférence plus claire, presque rosée, on pourrait croire que c’est un motif supplémentaire sur la peau.
Une bonne bière, je mérite au moins ça.
Dit Enero.
Il est assis par terre, tournant le dos à l’arbre et à la raie. Sa tête ne bourdonne plus, mais il sent quand même un nœud, là.
Tilo s’avance, il ouvre la glacière et sort une bière de l’eau glacée où flottent quelques glaçons. Il la débouche à l’aide de son briquet et la lui tend, pour que ce soit lui, Enero Rey, celui qui la mérite, qui y colle ses lèvres en premier. La bière coule dans sa bouche, rien que de la mousse qui s’échappe de ses lèvres dessinant un feston blanc sur sa moustache très noire. C’est comme se faire des bains de bouche avec du coton. C’est seulement après la deuxième gorgée qu’arrive le liquide froid, amer.
Negro et Tilo s’assoient également, ils sont en rang d’oignons, ils se passent la bouteille.
Dommage, on n’a pas d’appareil pour se prendre en photo.
Dit Negro.
Tous les trois tournent la tête pour regarder la raie.
On dirait une vieille couverture que l’on a tendue à l’ombre.
Alors qu’ils en sont à leur deuxième bouteille, un groupe de gamins débarque, ils sont maigres et noirs comme des anguilles, avec des yeux immenses. Ils s’attroupent devant la raie, se donnent des coups de coude, se poussent les uns les autres.
Regarde regarde regarde. Purée. Sacrée bête !
L’un des gamins prend un bâton et l’enfonce dans les trous laissés par les balles.
Sortez de là !
Dit Enero en se levant d’un coup, immense, comme un ours. Les petits gamins partent en courant, ils disparaissent de nouveau dans la forêt.
Vu qu’il est debout, vu qu’il a fait l’effort de se lever, Enero en profite pour piquer une tête. L’eau le fait sortir de sa torpeur.
Il nage.
Il plonge.
Il flotte.
Le soleil commence à décliner, un vent léger frise la surface de l’eau.
Soudain, il entend le bruit d’un moteur qu’accompagnent les vagues. Il s’écarte, se met à nager vers le rivage. Un hors-bord surgit, rasant l’eau, ouvrant sa surface en deux comme une toile pourrie. Accrochée à l’arrière, une fille en bikini fait du ski. L’embarcation prend un virage abrupt et la fille roule dans l’eau. Au loin, Enero voit émerger sa tête, les cheveux longs collés sur son crâne.
Il pense au Noyé.
Il sort de l’eau.
Sur la côte, Negro et Tilo sont debout, les bras croisés sur la poitrine, ils suivent les mouvements du hors-bord.
Des gamins excités.
Dit Negro.
Tous les week-ends, c’est la même chose. Ils font peur aux poissons. Un de ces jours, il faudrait leur foutre la frousse.
Tous les trois se retournent et tombent sur un petit groupe d’hommes. Ils ne les ont pas entendus arriver. Les habitants de l’île ont le pas léger.
Bonjour.
Un des hommes prend la parole.
Les gamins nous ont raconté, alors on est venus voir. Une bête magnifique !
Les autres regardent la raie. Ils se tiennent debout à côté de l’animal pour en estimer la taille.
Je m’appelle Aguirre, dit le seul du groupe à parler, et il leur tend la main, qu’ils serrent l’un après l’autre.
Enero Rey, dit Enero, et il s’approche du groupe, saluant tout le monde. Negro et Tilo le suivent, ils l’imitent.
Elle est grande, pas vrai ?
Enero dit ces mots et il donne des petites tapes sur le dos de la raie, mais il retire sa main aussitôt, comme si elle brûlait.
Aguirre observe les orifices de près, puis il dit.
Trois balles ? Vous lui avez tiré trois fois dessus. Une seule balle suffit.
Enero sourit, dévoilant le trou qu’il a à la place d’une incisive.
Je me suis emballé.
Il faut faire en sorte de ne pas… s’emballer.
Dit Aguirre.
Tilo, sers un petit verre de vin à nos amis.
Negro prononce ces mots et il s’avance.
La gamin court jusqu’au rivage où ils ont enterré la dame-jeanne pour qu’elle reste fraîche. Il l’apporte et sert à ras bord une timbale en métal.
Il tend le verre à Aguirre, qui le lève.
À votre santé, dit-il, il prend une gorgée et passe le verre à Enero. Il reste un moment à regarder sa main gauche, celle à laquelle il manque un doigt, mais il ne pose pas de questions. Enero s’en aperçoit, mais il ne dit rien non plus. Il préfère le laisser gamberger.
La dernière fois, le Bonhomme que vous voyez là a pêché une raie encore plus grande. Aguirre pavoise. Combien de temps tu t’y es collé ?
Tout l’après-midi, répond l’autre, le regard en coin.
Et combien de balles tu as tiré?
Une seule. Une seule suffit.
C’est que mon copain ici présent est un peu maladroit.
Negro dit ces mots, puis il rit.
Les gars de la télé étaient venus, lâche celui qui avait déjà pêché une raie plus grande encore que la leur. On en a parlé dans le journal du soir, dit Aguirre. Le samedi suivant, il y a plein de gens de Santa Fe et de Paraná qui sont venus. Ils ont cru qu’ici, nous avions des raies à ne plus savoir qu’en faire. Comme si c’était facile. Vous, vous avez eu de la chance.
Et le coup de main, dit Enero. De la chance et le coup de main. La chance seule ne suffit pas.
Aguirre sort un paquet de tabac de la poche de sa chemise ouverte qui laisse à découvert son torse osseux, sur son ventre gonflé de vin. Il se roule une cigarette en un rien de temps. Il l’allume. Il fume en marchant vers le rivage, puis il reste là, à regarder l’eau. »

Extrait
« Tous les trois sont déjà des hommes. Pas des gamins, comme Tilo en ce moment. Des hommes qui approchent de la trentaine. Célibataires. Ils n’allaient pas se marier. Aucun d’entre eux n’allait se marier. Jusqu’à ce jour, du moins, aucun d’entre eux n’allait se marier. Pour quoi faire. Ils étaient là les uns pour les autres. Et quand ce n’était pas le cas, Enero avait sa mère; Negro avait ses sœurs, qui l’ont élevé; Eusebio pouvait avoir qui il voulait. Alors à quoi bon se maquer avec une fille, puisqu’il pouvait les avoir toutes. Alors, à trente ans, tous les trois sous le soleil du rivage. »

À propos de l’auteur
ALMADA_Selva_©Mardulce_EditoraSelva Almada © Photo DR Agustina Fernandez

Selva Almada est née en 1973 à Villa Elisa (Entre Ríos, Argentine) et a suivi des études de littérature à Paraná, avant de s’installer à Buenos Aires, où elle anime des ateliers d’écriture. Elle est l’une des écrivains les plus reconnus en Amérique latine ces dernières années. Ses livres ont reçu un excellent accueil critique en France et à l’international. Elle est également l’auteure de Après l’orage, Les Jeunes Mortes et Sous la grande roue. (Source: Éditions Métailié)

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Le cercle des hommes

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  RL2020  coup_de_coeur

 

En deux mots:
Aux commandes de son avion, un chef d’entreprise est victime d’un accident qui le précipite en pleine jungle amazonienne. Choqué et amnésique, il est pris en charge par la tribu des Yacou qui vit en autarcie, loin de toute civilisation. Au fil des semaines, il va devoir s’adapter à cette nouvelle vie.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Un chef d’entreprise dans la jungle

Avec son nouveau roman Pascal Manoukian nous offre bien plus qu’une fable écologiste. En suivant les pas d’un chef d’entreprise dont l’avion s’écrase au cœur de la forêt amazonienne, il touche à l’essentiel, à la raison de notre présence sur cette terre.

Que ce soit au cinéma, à la télévision ou en littérature, la recette a déjà été souvent utilisée avec succès: la rencontre de deux mondes qui à priori n’ont rien de commun. Si la variante que nous propose ici Pascal Manoukian est également très réussie, c’est que derrière le roman d’aventure se cache une profonde réflexion sur l’écologie au sens large, allant puiser jusqu’aux questions fondamentales, sur le sens même de notre vie sur terre.
Dans la forêt amazonienne vivent encore quelques poignées d’êtres humains totalement isolés de la civilisation. Appelons-les les Yacou. Ils sont à la fois extrêmement forts pour avoir survécu à des conditions extrêmes et très fragiles, car leur territoire est à la merci des «exploiteurs» qui rongent jour après jour la forêt amazonienne pour ses ressources naturelles, son bois, son or ou qui défrichent pour implanter des cultures extensives et rentables à court terme, faisant fi de la biodiversité et des équilibres naturels. Tout l’inverse des Yacou qui, au fil des ans, ont appris à composer avec la nature et à la respecter. Le secret de la longévité de la tribu tient du reste dans ce respect de tous les instants pour leur environnement naturel: «ils veillaient perpétuellement sur son inventaire, remettaient chaque feuille déplacée à sa place, dispersaient la cendre des feux et les restes des repas.» Une discrétion aussi rendue possible par les règles de la communauté qui n’autorisent que des groupes de huit personnes au maximum, hommes, femmes et enfants compris. Ils ont eu l’intelligence de s’adapter au milieu plutôt que de vouloir le détruire. S’ils ne se donnent jamais de rendez-vous, ils se retrouvent toujours. Un cri suffit à se signaler. Leur langage est sommaire, mais primordial. Si pour eux l’argent et tout son vocabulaire n’existe pas, ils ont en revanche une quarantaine de mots pour définir la couleur verte, dans toutes ses teintes.
Au-dessus de leurs têtes, Gabriel est aux commandes de son petit avion. À la tête d’une grande entreprise de prospection minière, il vient de célébrer ses fiançailles avec Marie et est en passe de conclure de juteuses affaires. Seulement voilà, un vol d’oiseaux va brusquement le plonger dans le monde des Yacou. Les volatiles se prennent dans les réacteurs, causant la perte de l’appareil. Gabriel échappe à la mort, mais ni aux blessures physiques, ni aux blessures psychiques. Choqué, il ne se souvient de rien lorsqu’il se réveille. Le Yacou qui le découvre est intrigué par cet être qui lui ressemble un peu, mais dont les différences physiques sont telles qu’il se méfie et le jette dans un enclos avec les cochons.
C’est au milieu des animaux qu’il va devoir survivre, se nourrir, guérir. Au bout de quelques jours de souffrance, il va pouvoir se mettre debout indiquant qu’il n’est pas comme les animaux qu’il côtoie et intriguant les Yacou qui décident de lui laisser sa chance. «Il ne faisait plus partie du monde des porcs, mais il ne faisait pas non plus complètement partie de celui des hommes».
Alors que la mémoire et les forces lui reviennent, il lui faut constamment s’adapter et, avec chaque jour qui passe, apprendre et se perfectionner, contraint à franchir les rites de passage mis au point par sa tribu, gardant désormais dans un coin de sa tête l’idée de pouvoir un jour fuir et retrouver les siens.
Pascal Manoukian, le baroudeur, a dû se régaler en imaginant les épreuves auxquelles Gabriel est confronté, en intégrant aussi dans son récit la situation du pays qui a élu Bolsonaro avec ce chiffre terrifiant – qui est malheureusement tout à fait juste – depuis son arrivée au pouvoir, de juillet 2018 à juillet 2019, la déforestation de la forêt amazonienne a atteint 278%! L’occasion aussi d’un clin d’œil à son précédent roman, Le Paradoxe d’Anderson.
Sans dévoiler l’épilogue de ce formidable roman, disons que les Yacou vont aussi se rendre compte du danger qui les menace. En filigrane, le lecteur comprendra qu’en fait, lui aussi fait partie de ces Yacou, de ce cercle des hommes. Un roman vertigineux et salutaire !

Le cercle des hommes
Pascal Manoukian
Éditions du Seuil
Roman
336 p., 19,50 €
EAN 9782021442403
Paru le 2/01/2020

Où?
Le roman se déroule au Brésil, au cœur de la forêt amazonienne

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
L’Amazonie.
Perdue sous la canopée, une tribu d’Indiens isolés, fragilisés, menacés par les outrages faits à la forêt. Au-dessus de leurs têtes, un homme d’affaires seul et pressé, aux commandes de son avion, survole l’immense cercle formé par la boucle du fleuve délimitant leur territoire.
Une rencontre impossible, entre deux mondes que tout sépare. Et pourtant, le destin va l’organiser.
À la découverte de la « Chose », tombée du ciel, un débat agite la tribu des Yacou: homme ou animal ? C’est en essayant de leur prouver qu’il est humain que l’industriel finira par le devenir.
Le Cercle des Hommes n’est pas seulement un puissant roman d’aventures, d’une richesse foisonnante, c’est aussi un livre grave sur le monde d’aujourd’hui et notre rapport à la nature.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
RTBF (Sous couverture – Thierry Bellefroid)
Blog motspourmots.fr (Nicole Grundlinger)
Blog Mémo Émoi (Geneviève Munier)
Blog Mes échappées livresques 

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« La forêt s’égouttait encore des larmes de la nuit. Parfois, racontait la légende des Yacou, le Soleil pleurait de se savoir enfermé dans le noir. Peïne ne lui en voulait pas, bientôt il réchaufferait la tribu. L’Indien, au corps sec, strié de centaines de petites cicatrices, droites et régulières, protégea le feu d’une tresse de brindilles et rapprocha les braises. Autour de lui, nus, allongés sur des nattes de feuilles, les corps des siens, serrés les uns contre les autres, pareils aux lames d’un radeau, flottaient encore dans le sommeil. Il les compta. Sept. Son clan entier, sa famille. Leurs poitrines se gonflaient juste assez pour éloigner les charognards. Leurs tignasses sentaient la viande et le manioc sauvage. Il se leva et fit le tour du bivouac, deux abris de palme, sommaires, juste un toit de branches posées sur des bâtons, un feu et au-dessus un petit fumoir. Leurs peaux brûlées de soleil et peintes d’ocre se confondaient avec les racines géantes dressées comme des orgues, les touffes emmêlées de leurs cheveux gris de cendre avec l’épaisse pourriture végétale. Rien ne les trahissait. À côté de leurs couches, les traces d’un gros puma en témoignaient. L’animal s’était reposé à quelques mètres avec son petit, pendant la nuit, sans les voir. Peïne fouilla les déjections : la femelle jeûnait depuis deux jours, sa progéniture boitait et souffrait sans doute de parasites. L’Indien se promit de leur laisser les restes de la pêche avant de lever le camp. Une autre fois peut-être les fauves lui abandonneraient une carcasse pour nourrir les enfants.
Surplombant le campement, des arbres entrelacés de lianes se bousculaient en mikado, prêts à perfuser les premières lueurs du jour. Toujours selon la légende, le sommeil était un filet tendu par les esprits où les Indiens se laissaient attraper pour apaiser leur corps des efforts et des blessures de la journée. Un doux piège, dont il fallait s’arracher avant la fin du noir au risque d’y demeurer prisonnier comme dans une nasse.
À Peïne revenait le devoir de réveiller son clan. Au fond d’un tronc en décomposition il attrapa deux gros vers de palme de la taille d’un pouce, le corps annelé, jaune de gras. Il les excita en les remuant au-dessus des braises, s’agenouilla devant Mue le vieil aveugle et les lui glissa sous les aisselles. Le rire apaisait les tensions chez les Yacou, or la journée promettait d’être lourde. L’aïeul, encore prisonnier du filet, sourit d’abord discrètement du coin des lèvres, puis les vers s’obstinant à creuser sous ses bras pour trouver une sortie il se mit à pouffer, déclenchant une réaction en chaîne, les uns se jetant sur les autres pour leur arracher des gloussements sans fin. Peïne en profita pour se rapprocher de sa femme et lui faire oublier sa mauvaise humeur de la veille. Une bande de singes laineux, réveillés par les cris, imita aussitôt les Indiens, effrayant une nuée d’oiseaux, et bientôt la forêt ne fut plus qu’un immense éclat de rire.
Mue mit fin à la cérémonie des chatouilles et commença la journée. L’aveugle s’éloigna du camp en tâtonnant. Ses yeux ne voyaient plus. Ses doigts si. De longues lianes torturées, des loupes, capables même de distinguer les couleurs. Il lui en manquait trois à la main droite, mais rien n’échappait aux rescapés.
Le vieil Indien saisit une feuille au limbe arrondi et caressa chacune des nervures en suivant leurs hésitations.
Il savait déjà le serpent sur la branche, juste derrière son épaule mais assez loin pour qu’il ne s’en inquiétât pas. Sur le feu humide, les deux vers de palme ne faisaient plus rire personne. Ils grillaient sur le dos, panse tournée vers un gros nuage qu’éventrait déjà un mince éclat de soleil.
Face à l’aveugle, silencieuses, deux femmes nues, les seins griffés par les ronces et les enfants, attendaient son verdict, arc aux pieds, la peau perlée de rosée, le regard souligné du trait rouge et gras de la pulpe d’urucu, une baie sauvage à l’allure de petits oursins dont les Indiens se servaient aussi pour se protéger des insectes et colorer les plats.
Mue mit la feuille dans sa bouche et la mâcha longuement.
Une bande droite et nette rasait sa chevelure grise en son milieu, laissant apparaître une longue cicatrice mal refermée, gonflée d’affreuses boursouflures. À la verticale de son crâne fendu, d’immenses orchidées égrenaient leur pollen dans un rideau de brume, montant de la pourriture du sol pour se déchirer aux premières branches des arbres et disparaître trente mètres plus haut, en fins lambeaux blancs, transperçant la voûte épaisse et échappant par miracle à la forêt, telles des volutes de fumée sans feu.
Depuis qu’on lui avait amputé trois doigts de la main pour le faire parler, le vieil Indien économisait les mots.
– Luisant, se contenta-t-il d’annoncer.
Tout le monde approuva d’un hochement de tête, sauf le Héron, un adolescent aux allures d’échassier, en perpétuel recherche d’équilibre, toujours penché vers l’avant, les deux jambes fendues en un « V » semblable à celui dessiné par la rencontre des eaux caillouteuses de l’Otavella et du Cahuinari, deux rivières entre lesquelles, depuis mille ans, les Yacou cueillaient et chassaient.
L’aveugle régurgita une bouillie verte grumeleuse, s’agenouilla, y mélangea un peu de cendre et, pendant que le Héron expertisait à son tour la feuille arquée d’un palmier-poubelle, enduisit de sa mixture les seins vides d’une jeune mère pour y faire monter le lait. Elle le remercia en prenant sa main entre ses doigts, et le contact devenu trop rare d’une peau douce contre la sienne ravit l’ancien.
Son opinion faite, le grand échalas se redressa sur ses compas.
– Brillant perlé, corrigea-t-il respectueusement.
Peïne, le gardien provisoire de la tribu, coiffé d’un casque de cheveux noirs à l’arrondi parfait cerclant un front curieux, orienta les feuilles d’une fougère géante vers une rafale de lumière qui trouait la tête d’un grand bananier.
Contrairement au vieil aveugle, il pouvait compter des yeux chaque battement d’ailes d’un colibri et le stopper net d’une fléchette en plein cou et en plein vol.
– Moiré, trancha le petit homme trapu, le biceps droit ceint d’une mue de serpent, seul signe distinctif de son rang.
Chez les Yacou, il existait cinquante-sept mots décrivant très précisément chaque nuance de vert, mais aucun pour dire le profit, la science ou le bonheur. Pour une raison simple : le profit n’existait pas, la science tenait déjà tout entière dans la nature et le bonheur, à part une période sombre, dont le vieux Mue gardait, en plus du secret, trois moignons et une méchante cicatrice sur le crâne, se révélait être pour les Indiens et depuis toujours un état permanent, une source intarissable.
Les sept statuèrent finalement sur un vert humide et scintillant, puis firent cercle autour du foyer et régurgitèrent ensemble ce que leurs estomacs n’avaient pas digéré de la veille, grelottant les uns contre les autres, trempés par les gouttes lourdes d’une averse pianotant sans partition précise de feuille en feuille jusqu’au feu toussotant. L’air sentait l’ananas vert et la cendre mouillée. Tout ce que comptait le clan tenait là : Peïne le sage, Mue l’aveugle au crâne fendu, le Héron, fragile et curieux, la Tatouée, la femme de Peïne, au corps entièrement incrusté d’arabesques bleues, le Rebelle, un jeune mâle de vingt ans, le regard noir, toujours sur ses gardes, méfiant comme un jaguar, Solitude, la veuve aux seins vides, Sans Nom, son jeune fils, et Pas d’Âge, le mort, recroquevillé en position fœtale au beau milieu d’une feuille de nénuphar géant, jaune tendre, aux bords parfaitement arrondis, relevés et dentelés comme un moule à tarte.
Les sept devaient choisir maintenant. À l’unanimité ils décidèrent de confier pour un jour encore le destin de la tribu à Peïne et s’entaillèrent symboliquement le bras de la pointe d’un bambou pour marquer d’une cicatrice leur décision commune.
Ainsi commençait chaque jour nouveau entre l’Otavella et le Cahuinari. À peine sortis du filet des esprits, les Yacou rendaient à la terre ce dont ils n’avaient pas besoin, choisissaient le meilleur d’entre eux pour les guider tout au long de la journée et définissaient la couleur du vert afin de décider à quoi ils allaient l’occuper. Peïne regarda le colibri s’envoler et se félicita : humide et scintillant était la couleur idéale pour un enterrement. Ils avaient bien fait de rire avant. »

Extraits
« Au milieu d’un capharnaüm de cartes aériennes, de cigarettes et de dossiers trônait un petit cylindre en titane brossé, rouge mat, une enceinte d’à peine cinq centimètres de hauteur, un cadeau de Marie pour ses cinquante ans, un concentré de technologie, indestructible, étanche, avec un son de chaîne hi-fi, une batterie infatigable, et tout Mozart à l’intérieur.
Il se souvenait du dîner de la veille, du clair-obscur de la suite du Copacabana Palace à la façade en pierre blanche tombant sur la plage comme une falaise de craie, des baisers au goût de caviar, de la fine dentelle des bulles de champagne, de cet incroyable chef japonais venu spécialement de São Paulo leur servir son bœuf wagyu surmonté d’un médaillon de foie gras et parsemé de lamelles de truffe blanche, du meringué de bananes ondulant de cinquante bougies soufflées à la fraîcheur d’une petite brise à l’abri des flamboyants de la terrasse. Elle devait l’attendre, maintenant.
Il sourit en pensant à sa promesse de revenir trois jours plus tard lui faire un enfant. Il ne s’y était tenu avec aucune autre, préférant chaque fois ses affaires à ses histoires d’amour. Une femme par étape de sa carrière, toutes indispensables mais chacune sacrifiée, comme les étages d’une fusée, pour monter toujours plus haut. »

« Quatre générations plus tard, Diego, l’un des arrière-arrière-petits-fils du drapier de Séville, embarquait pour les Amériques, avec cinq cents volontaires, dans l’espoir de venger son ancêtre et d’aller au nom de la France piétiner les plates-bandes espagnoles. Malheureusement, la troupe débarqua au nord du Brésil, côté portugais. Après deux ans à défricher la côte, Diego déserta et s’enfonça dans la forêt avec une bande d’aventuriers venus de São Paolo. La légende dit qu’ils arrivèrent sur les rives d’un lac, quelque part entre le Brésil et la Guyane, dans lequel chaque année un roi indien se baignait nu et ressortait le corps couvert d’or. Nombreux furent ceux qui cherchèrent l’endroit sans jamais le trouver, mais dans le jardin de sa petite échoppe bordelaise, étudiant, bien avant de connaître Marie, il aimait à imaginer son ancêtre remontant les fleuves et les rivières, inventoriant des plantes inconnues aux parfums mille fois plus délicats que les épices de la Judería, racines contre les fièvres hémorragiques, teintures ocre et bleues, gomme pleurant des arbres, toujours accueilli et fêté par des peuples sans nom, heureux d’échanger leurs trésors contre les siens. »

« La veille, le Brésil avait fait un immense bond en arrière en s’offrant un président nostalgique de l’ordre et de la dictature militaire. L’Amazonie et toute l’industrie du pays étaient à vendre. Premiers arrivés, premiers servis, « les meilleures affaires se font à l’ouverture », disait son père, tant pis pour les travailleurs sans terre, l’écosystème, les espèces menacées et les Indiens. Les conquistadors étaient de retour. »

À propos de l’auteur
Photographe, journaliste, réalisateur, Pascal Manoukian a couvert un grand nombre de conflits. Ancien directeur de l’agence CAPA, il se consacre désormais à l’écriture. Il a publié notamment  Le Diable au creux de la main (2013), Les Échoués (2015) et Ce que tient ta main droite t’appartient (2017) et Le Paradoxe d’Anderson. (Source: Éditions du Seuil)

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Nietzsche au Paraguay

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En deux mots:
Élisabeth Nietzsche suit son mari, le Docteur Förster dans son projet de créer une nouvelle Allemagne au Paraguay. Alors qu’elle s’enfonce dans une jungle pleine dangers avec un groupe de colons, son frère va basculer dans la démence. Deux parcours reliés par une étonnante correspondance.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Le rêve fou de la Nueva Germania

Durant leurs recherches sur la vie et l’œuvre de Friedrich Nietzsche, Nathalie et Christophe Prince ont découvert que sa sœur faisait partie d’un groupe de colons décidés à créer une nouvelle Allemagne au Paraguay. Quel roman!

Quand en mai 2015, j’ai découvert «Les Amazoniques», j’ai été emballé par ce thriller efficace, mais aussi par les autres dimensions de l’ouvrage, grand roman d’aventure qui nous entraîne dans la forêt amazonienne, espionnage et réflexion sur la pureté des peuples et sur leur droit de vivre selon leur culture et reportage. Si je vous en reparle ici, c’est que sous le pseudonyme de Boris Dokmak (l’auteur de La Femme qui valait trois milliards) se cachait Christophe Prince, un agrégé de philosophie décédé en 2017. Dans une postface éclairante Nathalie Prince nous raconte la genèse de ce roman signé de leurs deux noms. Nietzsche était leur passion commune : «On est entrés dans sa biographie quand on était professeurs. On est entrés dans sa tête.» Ensemble, ils ont accumulé un peu tout ce qui se rapporte au philosophe et à son œuvre. Des textes «oubliés, perdus, retrouvés, empilés, surlignés» jusqu’à ces dernières lettres qui racontent l’exil d’Élisabeth Förster-Nietzsche au Paraguay. «L’histoire est romanesque, et elle est vraie: la sœur de Nietzsche s’embarque en 1886 avec son mari pour aller fonder une colonie allemande au cœur du Paraguay.»
On imagine combien l’auteur des Amazoniques a trouvé matière à roman dans cette histoire, à commencer par répondre à une question évidente: que diable était-elle allée faire dans cette galère, avec les vinchucas et les Indiens?
La réponse nous offre un voyage sur les pas d’une communauté menée par un illuminé rêvant de créer une nouvelle Allemagne, un peuple à la race pure. À l’aube du XXe siècle, son utopie annonce des jours autrement plus funestes. Mais n’anticipons pas. Un petit groupe d’hommes et de femmes ont choisi de suivre le couple Förster-Nietzsche. Mais avant de pouvoir poser la première pierre de leur Nueva Germania, ils vont se rendre compte combien l’environnement qu’ils ont choisi leur est hostile. À l’image de la scène d’ouverture couleur rouge sang, ils vont devoir surmonter les attaques des tribus qui peuplent cette jungle, supporter l’humidité et les maladies et se frayer un chemin dans une nature aussi luxuriante que dangereuse. Mais pour l’heure, ils restent persuadés qu’ils braveront les obstacles et feront des immenses terres qui leur ont été concédées un vrai paradis.
Friedrich Nietzsche, de son côté, combat d’autres démons. La folie qui va le gagner ne l’empêche pas d’être lucide dans la correspondance qu’il entretient avec sa sœur, espérant que tous les antisémites puissent les rejoindre pour libérer ainsi l’Europe de leur idéologie nauséabonde. Et s’il affirme «Toi et moi ne serons plus jamais frère et sœur», ils va poursuivre ses échanges épistolaires jusqu’au crépuscule de sa raison.
En ne se concentrant pas sur le Paraguay et en mettant en parallèle la vie d’Élisabeth et de Friedrich, Nathalie et Christophe Prince montrent à la fois combien les deux mondes sont éloignés et combien la folie peut gagner l’un et l’autre.
Si cette Nouvelle Germanie est – au moins sur le papier – riche de promesses, les difficultés ne vont cesser de s’accumuler. Le fossé entre les discours exaltés de Förster – «nous constituons une société unique, à la fois ambitieuse et enthousiaste, fondée sur la fraternité» – et leurs ressources qui fondent comme neige au soleil, ne va cesser de se creuser. La misère, puis la détresse et le dénuement auront raison de ce rêve, non sans avoir auparavant englouti de nouveaux colons.
L’aventurier Virginio Miramontes, qui a échappé à la mort, pressent l’issue de cette épopée. «Mais il n’y avait face à lui qu’une montagne de surdité et d’orgueil. Pas seulement Förster, mais sa femme, la Nietzsche! Affreuse épouse, affreuse sœur, affreuse femme, obtuse et arrogante, instillée dans le sang de son homme comme un venin lent.» Un venin lent qui va devenir une peste brune et donner à ce roman, sous couvert d’aventures en Amérique du Sud, une vraie densité. Une belle réussite!

Nietzsche au Paraguay
Christophe Prince
Nathalie Prince
Éditions Flammarion
Roman
384 p., 19,90 €
EAN 9782081427549
Paru le 13/02/2019

Où?
Le roman se déroule principalement au Paraguay, mais également en Suisse et en Italie.

Quand?
L’action se situe en 1886 et les années suivantes.

Ce qu’en dit l’éditeur
Paraguay, 1886. Virginio Miramontes, un aventurier solitaire, est recueilli en pleine jungle dans une étrange colonie peuplée d’une poignée de familles allemandes.
C’est le projet fou d’Élisabeth Nietzsche, sœur du célèbre philosophe, et de son mari, le lugubre docteur Förster. Tous deux rêvent de créer dans ces terres vierges une nouvelle Allemagne digne de l’utopie aryenne balbutiante.
Antisémitisme délirant, plans d’expansion démesurés, cultures et commerces impossibles… Rien ne marche comme prévu, et la Nueva Germania court au désastre. La maladie rôde, la faim guette, la violence s’installe. Perdue dans ce microcosme entouré de barbelés, Élisabeth tient à son frère la chronique fantasmée de leur succès, passant ses jours à attendre les lettres de Nietzsche. Nietzsche au Paraguay révèle une face cachée de l’Histoire, celle d’une illusion folle, présage des massacres nazis un demi-siècle plus tard.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
L’Opinion (Bernard Quiriny)
Blog Evadez-moi
Blog Lyvres 
Blog Demain je lis 
Blog Le dit des mots


Nathalie Prince présente Nietzsche au Paraguay © Production éditions Flammarion

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Journal de bord du capitaine Virginio Miramontes
30 avril 1888.
Aujourd’hui, rien ; je veux dire, «rien à signaler» comme dit Pedro. Néant absolu. Mais nous devons absolument rester vigilants. Pluie toute la journée.
[Dernière page du journal de bord du capitaine Virginio Miramontes.]

Rouge
Rouge. Du rouge partout: rouge sur le nez, dans les yeux, rouge sur les lèvres, un rouge avec un sale goût de terre.
Et la tête qui cogne.
— Pedro ?
Et la tête qui saigne. Il sent des bestioles qui lui escaladent le visage pour s’agglutiner sur le front et le haut du crâne, là où pisse le sang : moustiques, fourmis noires, mouches, cloportes, ils font la queue, c’est la curée, ils se battent pour lui siphonner la cervelle. Mais d’où viennent-ils ? Sa main pèse cent livres, impossible de la bouger, sinon il se mettrait des claques et ferait de la bouillie de tous ces vautours. Ses paupières aussi sont lourdes.
Ne pas s’endormir.
Il rouvre les yeux: rouge la rivière, et rouges les arbres… Ne pas s’endormir. Quand ils ont attaqué, ces salauds jappaient comme des chacals, des chacals morts de faim. «Yap-yap!» et «youp-youp», et bis et re-bis: il les entendait plutôt qu’il ne les voyait. Les lances, les flèches jaillissaient des arbustes, dans tous les sens, et tombaient comme une pluie d’été autour d’eux, sur la rivière, sur la pirogue, faisant percussion, sur Pedro aussi, sur Francisco et sur Julio, et sur lui-même. Mon Dieu, qu’elle est lourde cette fichue lance! La pointe fichée profondément dans son flanc droit. Il la tâte : du bois de quebracho, un bois lourd comme l’acier. Du coin de l’œil, il peut apercevoir sa hampe sombre dressée vers le ciel, et les longues plumes qui la parent. Rouges, les plumes. Ouaip, des chacals! Des semaines qu’il leur court après, et il n’en a même pas vu un seul. Des fantômes, ces types.
Rouge, le ciel. La douleur devient insupportable, cuisante.
Elle le cloue sur place, au fond de cette pirogue, dans cette mare d’eau mêlée de sang, le sien, mais celui de Pedro aussi, de Francisco et de Julio.
La douleur, la lance, il a l’impression qu’une armée de singes le halent depuis la berge! Des blessures, il en a eu son lot. Bataille de Tuyuti, en 1866: une balle lui a traversé l’épaule, lui explosant l’omoplate; bataille d’Abay, hiver 1868 : une balle de mousquet lui sectionne l’annulaire de la main gauche; et à Lomas Valentina, quelques jours après, des débris d’un obus manquent de lui sectionner la jambe droite. Il en conserve une légère claudication, et des rhumatismes de vieillard. Mais aucune de ces blessures ne lui a tiré de tels tourments.
— Pedro?
Crucifié, planté contre la pirogue comme une figure de proue, le visage tourné d’un quart vers la berge qui glisse doucement devant lui, il ne parvient pas à distinguer l’arrière de la pirogue. Pedro est-il encore là? Derrière lui? Il ne l’entend pas. Il ne l’entend plus. Francisco, lui, est parti ; il est tombé dans l’eau boueuse de la rivière dès le début de l’assaut, hérissé d’une demi-douzaine de flèches tel un saint Sébastien en son martyre. Il a plongé vers le fond immédiatement, tête la première, pas un mot, pas une plainte: une pierre. À son tour, Julio a hurlé, il a gémi et crié à chacune des flèches qui le touchaient: d’abord au cou, traversé de part en part, puis aux bras, dans le bide et finalement dans l’œil, et il s’est tu alors, basculant doucement par-dessus bord et s’en allant en aval du fleuve: un vieux tronc sec. La rivière, tout autour d’eux, a viré au rouge foncé, dessinant des veines et des marbrures cerise dans l’eau boueuse.
— Pedro?
Pedro, le fidèle Pedro. Il se souvient de ses cris, des cris rageurs puis des cris étranglés, mais rien d’autre. Est-il mort? Agonise-t-il à quelques centimètres de lui sans qu’il le sache?
Quant à lui, dès le début de l’attaque il a plongé dans le fond de la pirogue, pour se protéger d’abord, et pour sortir son Henry, ensuite. Une seule balle sortant du long canon acier de cet engin peut tuer un puma; il a entendu parler de bison abattu d’un seul coup à une lieue de distance.
Mais pas eu le temps de le charger que cette saloperie de lance, bois noir et pointe en pierre nouée par des fils de chanvre, le perforait. Tout de suite, le souffle coupé, et une douleur intense, lourde, granitique qui l’a écrasé vers le fond du bateau, les mains crispées sur le fusil impuissant qui plongeait dans la rivière. Il a senti sur ses mains l’eau froide, puis le canon du fusil s’enfoncer dans la vase.
Alors il a poussé sur la crosse, de tout son poids, jouant au gondolier, poussant encore, et la pirogue s’est éloignée de la berge et des jajapeos de ces chacals pour glisser dans un courant plus rapide. Ça les a sauvés. Ça l’a sauvé. »

Extraits
« Nice, 10 avril 1887, veille de Pâques
Mon cher Lama,
Une omission d’abord. Dans ma dernière lettre, j’avais oublié de te dire quelques mots de la musique de Parsifal. Le chevalier au cygne! Tu t’étonnes? Eh bien oui, j’en ai entendu le prélude. Où? À Monte-Carlo! Très bizarre! Je ne puis y repenser sans un bouleversement intérieur tant je me suis senti l’âme élevée et saine. Le plus grand bienfait qui m’ait été accordé depuis longtemps.
La puissance et la rigueur du sentiment, indescriptible. Je ne connais rien qui saisisse le christianisme à une telle profondeur et qui porte si âprement à la compassion. Totalement sublime et ému. L’écho musical de l’infini, le sens du tragique, de la souffrance et de la grandeur de la souffrance, la passion du mystère, la nuit du monde qui est aussi minuit et lumière éternelle. Wagner a-t-il jamais fait mieux? […] Je suis content d’avoir de tes nouvelles, de savoir que ton installation au Paraguay se passe si bien et qu’on t’accueille comme une grande dame.
Ton Fritz »

« 3 décembre 1887 – Sucre, Bolivie.
Nous sommes enfin à Sucre, la «cuidad de la plata» (ville de l’argent), ou «choquechaca», le «pont d’or» en quechua : le pont vers la fortune ! Sucre, ville pauvre, sale et puante, sans route ni lumière, sans pension ou auberge digne de ce nom, sans hôtel du gouverneur, ni théâtre, sans transport autre que des vieilles mules et une dizaine de carrioles, ville terreuse, et rose lorsque le soleil se couche, en fin d’après-midi, derrière Churuquella et Sisasica, les deux hautes montagnes qui la cernent. Pentland, lorsqu’il était encore délégué régional du bureau de La Connaissance des Temps, a placé Sucre par 19° 03’ de latitude S et 64° 24’ 10’’ de longitude O Greenwich, ainsi qu’à près de 3 000 mètres d’altitude. Mais ses mesures sont sérieusement contestées. En attendant de nouvelles observations, il apparaît que la position exacte de Sucre, la plus grande ville de Bolivie, reste inconnue. Sacré point de départ. La forêt est là, derrière les montagnes, tout autour, c’est-à-dire l’inconnu, ou presque. Là-bas, les hauts plateaux nous attendent.»

«Il faut comprendre ce qu’était la Nouvelle Germanie. La misère y était permanente et la détresse multiple: les maladies, la vermine, l’humidité, le dénuement, l’isolement, la crétinerie du couple Förster, leurs entêtements moraux et politiques, les Indiens, la faim et l’interdiction de manger de la viande, de faire appel à une quelconque aide extérieure, l’angoisse omniprésente… Seul Virginio, par sa clairvoyance et sa compassion, a deviné l’inéluctable désastre. Seul, il l’évoquait. Mais il n’y avait face à lui qu’une montagne de surdité et d’orgueil. Pas seulement Förster, mais sa femme, la Nietzsche! Affreuse épouse, affreuse sœur, affreuse femme, obtuse et arrogante, instillée dans le sang de son homme comme un venin lent. Pas seulement le docteur et son épouse, mais les colons qui, à quelques exceptions près, ont commencé à se méfier de lui, de son esprit critique, de sa liberté, qu’ils enviaient, ils ont commencé à parler dans son dos, à le surveiller, à médire, à lui inventer une légende de démon cruel et sensuel, à l’isoler, ils ont parlé de la bannir, pire peut-être. »

« L’histoire de la sœur nous intriguait: les dernières lettres de Nietzsche faisant état de l’emménagement d’Élisabeth au Paraguay et du succès qu’elle exhibe, nous nous demandions ce que diable elle était allée faire dans cette galère, avec les vinchucas et les Indiens. L’histoire est romanesque, et elle est vraie: la sœur de Nietzsche s’embarque en 1886 avec son mari pour aller fonder une colonie allemande au cœur du Paraguay. On a accumulé les archives, les articles consacrés à sa vie, on a retrouvé des images des colons et de la propriété des Förster, des bribes, des souvenirs, des colonnes de journaux… »

À propos de l’auteur
Christophe Prince, professeur agrégé de philosophie, a publié sous le pseudonyme de Boris Dokmak deux romans, dont un polar très remarqué, La femme qui valait trois milliards (Ring, 2013). Il est décédé en 2017. (Source : Éditions Flammarion)
Nathalie Prince est Professeure de Littérature Générale et Comparée à le Mans Université. Ses thèmes de recherche sont littérature et théorie des genres (littérature fantastique, littérature de jeunesse) ; Histoire des idées et des représentations décadentes autour de 1900 et Poétique du personnage. (Source: universités d’Angers et du Mans)

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Faune et Flore du dedans

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En deux mots:
Une photographe est invitée à se joindre à une expédition scientifique qui entend recenser la faune et la flore de la jungle péruvienne. Mais pour Louise, ce voyage tient tout autant de la thérapie, de l’initiation et de la quête amoureuse.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

L’insoutenable et inguérissable fuite

Le chant de la nature est au cœur du premier roman de Blandine Fauré, une nature extrême qui fait refluer les souvenirs et va bouleverser sa vie. Intense et envoûtant.

Est-ce le culot ou l’envie d’ailleurs qui entraîne Louise à pousser la porte du bureau de Joachim? Toujours est-il que la quête de cette artiste, dessinatrice et photographe, touche le scientifique aguerri au point qu’il accepte de l’intégrer à son équipe scientifique qui part pour le Pérou avec mission de répertorier la faune et la flore du parc national del Manú.
En nous révélant dès les premières lignes du livre l’issue dramatique de ce voyage, Blandine Fauré ne fait qu’accroître le mystère. Un mystère qui paradoxalement va s’éclaircir au fur et à mesure que le groupe s’enfonce dans la jungle.
Au fil des chapitres, on va comprendre que Joachim et Louise cherchent à chasser les fantômes du passé en Amérique du Sud. De se nourrir de la nature pour apaiser les traumatismes, de construire une nouvelle histoire avec la densité et l’énergie que dégage leur environnement.
Pour Louise, il faut toutefois tenter d’apprivoiser «ce lieu étrange et étranger, vaste espace irréel» après «l’insoutenable et inguérissable fuite». Après quelques jours tous ses sens communient avec ce nouvel univers: « La nature qui m’accueille me bouleverse. C’est un chant extrême, inouï, qui fissure un à un mes souvenirs, pulvérise les maigres certitudes que j’avais pu accumuler jusque-là. »
Là où on aurait pu s’attendre à combattre les prédateurs ou à souffrir de l’inconfort et du climat, ce sont les vertus thérapeutiques du dépaysement qui l’emportent: « Les jours passent et je me fonds de plus en plus au décor que nous offrent la nature et ses excès. Je suis son rythme d’élancement et de croissance, lente mais assurée. Je me fais végétal, mon amour pour toi continue d’infuser dans les eaux qui nous entourent mais je sais l’oublier. Ma souffrance elle aussi s’est tue, les voix et les cris de mon passé me semblent être devenus de lointains déserts inhabités et silencieux. »
La principale qualité de ce livre tient du reste au parfait mariage entre l’écriture et la nature. Les phrases sont comme des lianes qui viennent s’enrouler autour des émotions, leur conférant une intensité nouvelle. « À chaque pas de ce voyage, les souvenirs de ma vie passée avaient éclos, triomphant de l’amnésie où ils étaient tombés depuis que la mort s’était abattue sur mon corps. »
L’idée d’ouvrir chaque chapitre par une définition scientifique tirée du lexique de botanique, d’expliquer les notions de forêt, suspension, inflorescence, ruissellement ou encore anaérobie donnent permettent aussi de marier la science et l’art, autre transcendance de ce récit aussi exaltant que douloureux, aussi thérapeutique que dramatique.

Faune et flore du dedans
Blandine Fauré
Éditions Arléa
Roman
212 p., 20 €
EAN : 9782363081698
Paru le 30 août 2018

Où?
Le roman se déroule en France, à Paris, mais aussi dans la jungle, du côté de Cuzco et dans le parc national del Manú, non loin de Boca Manú au Pérou.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
La forêt me dévore, me happe, désagrège toutes mes défenses. Elle m’assomme par sa densité, les milliers d’arbres alignés devant moi s’empressent de me voler quelque chose que je ne veux pas leur donner.
Que fait Louise, artiste plasticienne, un peu photographe, un peu dessinatrice, dans cette équipe de scientifiques dont la mission est d’explorer le parc El Manu, jungle amazonienne péruvienne et d’y collecter des espèces inconnues, menacées quelquefois, dans des conditions extrêmes. Pourquoi les a-t-elle rejoints et que vient-elle chercher? Il y a bien sûr un travail artistique sur le végétal qu’elle veut mener à bien, mais très vite d’autres raisons, plus obscures, se dessinent. Il y a Joachim, le chef de l’expédition, avec lequel se noue une relation intense, secrète et toute en retenue. Il y a le passé, douloureux, émaillé de deuils, d’absence et d’abandons. Il y a aussi la quête, trouver enfin une forme d’apaisement, de réconciliation avec soi-même, avec la vie tout court.
La forêt, la selva, se déploie tout au long du livre. Elle est inquiétante, protectrice, matricielle, elle engloutit autant qu’elle rejette, elle met à nu et peut tuer aussi. Elle envoûte ceux qui la pénètrent et tentent de se mesurer à elle. Louise marche, respire, se fond dans cet océan vert et nous marchons avec elle, nous respirons, nous cheminons derrière elle. Comme elle, nous observons le lent et puissant assaut des plantes vers la lumière, le combat pour la survie, la tentation de la disparition.
Blandine Fauré, avec ce premier roman d’une exceptionnelle maîtrise, nous embarque dans une aventure intérieure, long chemin vers la rédemption, et dans une aventure unique, digne des grands récits initiatiques, où se mêle la découverte toujours juste d’un biotope inconnu, menacé, et clos sur lui-même.

68 premières fois
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Les autres critiques
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Blandine Fauré présente Faune et flore du dedans © Production Éditions Arléa

Les premières pages du livre
« Il me faut à présent renoncer à tes mots. Que la terre les recouvre eux aussi. Le sous-bois dans lequel je m’enfonce est encore plein des odeurs de la ville toute proche – gasoil, goudron, friture –, je n’ai pas le courage de m’éloigner davantage, je crains que la distance ne me fasse changer d’avis. Un petit espace boisé suffira pour cette mise en terre. Quelques minutes de travail pour mieux nous séparer.
À genoux sous un arbre englouti par la nuit, je creuse. De petites particules noires se logent sous mes ongles, je sens les cailloux et les ronces égratigner mes paumes. Mes doigts plongent plus loin vers les racines et le trou peu à peu s’agrandit. Mes larmes s’y écrasent d’un bruit mat, je les essuie d’un revers de main. La terre sur mon visage s’épand en larges traces, glacées et grumeleuses.
Quand j’estime la profondeur suffisante, je vide enfin le contenu de mon sac à dos. La douleur contracte mon thorax et je retiens mal un cri que je suis la seule à entendre. Je ferme les yeux et pousse ce fatras de feuilles, d’encre et de murmures au fond de la bouche noire que j’ai moi-même ouverte – pour tout recouvrir en seulement quelques secondes. Ta voix ne m’appartient plus. Elle te revient, retrouve ses origines, réintègre cette sève qui animait ton corps et lui insufflait vie. Plus de mots à présent. Le partage, l’espoir: tout est enseveli.
Je me lève et contemple le monticule de terre fraîche à mes pieds. Je suis calme, apaisée, tout à coup désinvestie. Je reviens sur mes pas, longe la route déserte à cette heure tardive. Le bourg est déjà silencieux, mes larmes se sont taries. Mes sens se réveillent et je ressens à nouveau le froid, alors je presse le pas pour rentrer à l’hôtel. Plus personne ne saura ce qui nous unissait.
Arrivée dans ma chambre, je me sens soulagée, fière d’être parvenue à me délester de ces derniers vestiges. Une légèreté reflue dans la pénombre, quelque chose de tiède et de doux m’enveloppe – la certitude d’être attendue. Il ne me reste plus rien de toi, et cela m’est égal. Aucune image, plus aucune phrase, rien qui puisse donner à croire que nous nous sommes connus. Aucune preuve tangible de notre relation (en était-ce une?), rien qui ne viendra jamais plus parasiter l’essentiel de cette rencontre. Seul survivra en moi le désir du voyage à venir. L’envie de repartir, de rejoindre cette forêt où tout a commencé. Mon corps se délasse entièrement à la pensée des arbres, et je m’endors comme si j’étais au milieu d’eux.
Une gêne pourtant subsiste, me tire du sommeil en sursaut. je l’avais oublié, mais je comprends que je ne pourrai pas m’en défaire. Je saisis à toute vitesse mon sac à dos et ouvre la poche extérieure. Le livre est là, compact, solennel dans sa couverture brochée vert sombre.
Le lexique de botanique que tu m’avais offert avant notre départ. Je le manipule, le feuillette, caresse les pages froissées d’avoir été si souvent parcourues. Je repère les passages surlignés, certaines définitions sont entourées au crayon à papier.
« Forêt. ¬ Formation végétale, plus ou moins étendue ou dense, constituant un écosystème complexe où les communautés végétales et animales entretiennent des relations d’interdépendance. »
Un fatras de souvenirs heureux s’engouffre dans ma tête. Les semaines passées ensemble m’irriguent encore d’une joie surnaturelle.
Il ne me reste rien de toi, excepté tout ce que tu m’as appris. »

Extraits
« Les jours passent et je me fonds dc plus en plus au décor que nous offrent la nature et ses excès. Je suis son rythme d’élancement et dc croissance, lente mais assurée. 16 me fais végétal, mon amour pour toi continue d’infuser dans les eaux qui nous entourent mais je sais l’oublier. Ma souffrance elle aussi s’est tue, les voix et les cris de mon passé me semblent être devenus de lointains déserts inhabités et silencieux.
La mission officielle a débuté. Après trois semaines passées en compagnie d’un petit groupe de scientifiques au sein duquel j’avais fini par trouver mes marques, avec pour objectif d’effectuer des repérages et d’initier des prélèvements très spécifiques, j’ai mis du temps à m’habituer à l’ambiance effervescente, au bouillonnement disparate de cette deuxième phase du travail. L’ampleur de ce rassemblement est effarante. »

« À chaque pas de ce voyage, les souvenirs de ma vie passée avaient éclos, triomphant de l’amnésie où ils étaient tombés depuis que la mort s’était abattue sur mon corps. Qu’elle avait arraché le plus précieux, délogé tout espoir de bonheur. Depuis que mon enfant, à peine née, s’était éteinte dans mes bras. Alors, j’avais continué à Vivre sans respirer. Jusqu’à ta rencontre. »

À propos de l’auteur
Blandine Fauré est née en 1984. Elle vit en région parisienne, et travaille dans le secteur culturel et artistique en Seine-Saint-Denis. Faune et flore du dedans est son premier roman. (Source : Éditions Arléa)

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Une chasse au trésor picaresque

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En deux mots:
Un pirate, du rhum, un trésor et une famille obsédée. Avec ces ingrédients Miguel Bonnefoy a concocté un second roman épique, luxuriant et formidablement addictif.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Une chasse au trésor picaresque

La famille Otero, obsédée par le trésor du fameux pirate Henry Morgan, nous entraîne dans une quête aussi exotique qu’épique.

Après trois siècles qui ont enrichi la légende du capitaine Henry Morgan, le temps est enfin venu d’explorer consciencieusement cette île où l’un des plus célèbres pirate des Caraïbes a fait naufrage. C’est du moins ce que se disent quelques chasseurs de trésor persuadés que l’or du navigateur ne peut être bien loin. C’est aussi une véritable obsession pour la famille Otero, qui est propriétaire d’une grande partie du terrain où le bateau aurait terminé sa route « planté sur la cime des arbres, au milieu d’une forêt. C’était un trois-mâts de dix-huit canons, à voiles carrées, dont la poupe s’était enfoncée dans un manguier à plusieurs mètres de hauteur. À tribord, des fruits pendaient entre les cordages. À bâbord, d’épaisses broussailles recouvraient la coque. »
Ezequiel et Candelaria Otero vont longtemps espérer sans rien trouver. Mais sans doute n’ont-ils pas bien cherché. C’est du moins ce que leur fille Serena imagine en reprenant le flambeau.
Dans sa chasse au trésor, elle va croiser la route de quelques aventuriers plus ou moins fous, dont Severo Bracamonte qui est persuadé de réussir là où tous les autres on dû rendre les armes, ennivré par l’appât du gain comme il le serait d’une bouteille de rhum, ce fameux Sucre noir qui donne son titre au roman.
Car Serena, contrairement aux drôles d’oiseaux qui font la ronde autour d’elle, comprend que la canne à sucre pourra faire sa fortune bien mieux que l’hypothétique cargaison d’Henry Morgan. Sans renoncer à la ruée vers l’or, elle va développer avec un vrai sens des affaires la production de cet alcool jusqu’à devenir à son tour capitaine, mais capitaine d’industrie plutôt que capitaine d’un navire fantôme.
Avec le même brio qu’il avait démontré dans Le voyage d’Octavio, Miguel Bonnefoy nous emporte d’abord par sa langue, aussi luxuriante que les décors qu’il dépeint, aussi enfiévrée que les rêves caressés par ses personnages. « Il parla de son destin, de sa passion, rappelant qu’il était un chercheur d’or et que, comme tout chercheur d’or, il ne serait un homme que lorsqu’il aurait sorti un trésor du fond de la terre. Serena le fixa longtemps, sans ciller et lui répondit avec une sagesse orgueilleuse qui n’était pas de son âge: – Imbécile. Tu seras un homme quand tu sortiras un trésor du fond de mes yeux. »
Du roman d’aventures nous nous retrouvons, par la magie d’une parole, par la force d’une seule phrase, dans le conte philosophique. On comprend alors que ce n’est pas le trésor lui-même qui importe, ou plutôt qu’il existe plusieurs trésors, qu’il appartient à chacun de poursuivre sa quête et qu’il est essentiel de na pas se fourvoyer : « Rien n’est plus triste que cet être prisonnier de lui-même, enchaîné à lui-même, survivant dans un coin lépreux, léchant l’or comme une plaie ».
Sur le chemin de la sagesse, Severo et Serena vont rencontrer l’amour, unir leurs forces. Quand Severo comprend «que son trésor avait toujours été où son imagination n’avait jamais cherché», Serena cherche «à lire dans les grimoires de la végétation» pour trouver la fortune. Aux parfums des épices vient se mêler les amers relents de la convoitise, à la griserie de la réussite vient se heurter la violence de l’échec. Si bien que les plus attentifs des lecteurs trouveront aussi une métaphore du développement de l’Amérique latine dans ces réflexions. Au sucre noir se superpose alors l’or noir du Vénézuela, exploité sans vergogne. Et si «la terre n’est pas si vide ici», on peut s’empêcher d’en voir les veines ouvertes.
Roman riche et foisonnant, roman plein comme un œuf (de Colomb), roman superbe et fou. Précipitez-vous sur ce trésor !

Sucre noir
Miguel Bonnefoy
Éditions Rivages
Roman
200 p., 19,50 €
EAN : 9782743640576
Paru en août 2017

Ce qu’en dit l’éditeur
Dans un village des Caraïbes, la légende d’un trésor disparu vient bouleverser l’existence de la famille Otero. À la recherche du butin du capitaine Henry Morgan, dont le navire aurait échoué dans les environs trois cents ans plus tôt, les explorateurs se succèdent. Tous, dont l’ambitieux Severo Bracamonte, vont croiser le chemin de Serena Otero, l’héritière de la plantation de cannes à sucre qui rêve à d’autres horizons.
Au fil des ans, tandis que la propriété familiale prospère, et qu’elle distille alors à profusion le meilleur rhum de la région, chacun cherche le trésor qui donnera un sens à sa vie. Mais, sur cette terre sauvage, la fatalité aux couleurs tropicales se plaît à détourner les ambitions et les désirs qui les consument.
Dans ce roman aux allures de conte philosophique, Miguel Bonnefoy réinvente la légende de l’un des plus célèbres corsaires pour nous raconter le destin d’hommes et de femmes guidés par la quête de l’amour et contrariés par les caprices de la fortune. Il nous livre aussi, dans une prose somptueuse inspirée du réalisme magique des écrivains sud-américains, le tableau émouvant et enchanteur d’un pays dont les richesses sont autant de mirages et de maléfices.

Les critiques
Babelio
La Cause littéraire (Emmanuelle Caminade)
L’Express (Éric Libiot)
Blog Charybde 27 
Blog Bricabook
Blog Meelly lit…

Miguel Bonnefoy présente Sucre noir © Page des libraires

Les premières pages du livre
« Le jour se leva sur un navire naufragé, planté sur la cime des arbres, au milieu d’une forêt. C’était un trois-mâts de dix-huit canons, à voiles carrées, dont la poupe s’était enfoncée dans un manguier à plusieurs mètres de hauteur. À tribord, des fruits pendaient entre les cordages. À bâbord, d’épaisses broussailles recouvraient la coque.
Tout était sec, si bien qu’il ne restait de la mer qu’un peu de sel entre les planches. Il n’y avait pas de vagues, pas de marées. D’aussi loin que s’étendait le regard, on ne voyait que des collines. Parfois, une brise passait, chargée d’un parfum d’amandes sèches, et l’on sentait craquer tout le corps du navire, depuis la hune jusqu’à la cale, comme un vieux trésor qu’on enterre.
Cela faisait plusieurs jours que l’équipage survivait difficilement à bord. On y trouvait des officiers sans bannières, des bagnards borgnes, des esclaves noirs qui, les dents cassées par la crosse d’un fusil, avaient été enchaînés sur la côte du Sénégal et achetés sur un marché londonien. »

Extraits
« Ils restèrent tous deux haletants sur le sol terreux. Severo se releva sur un coude et regarde Serena comme il ne l’avait jamais fait. En la détaillant, délacée, un pan d’étoffe cachant sa poitrine, elle était si parfaite qu’il aurait voulu qu’elle fût en marbre pour que le temps ne passât pas sur sa peau.
Il sentit qu’il pourrait tout lui dire sans avoir à prononcer un mot. A cet instant, Severo Bracamonte, nu dans le moulin, au milieu du parfum étourdissant des vieux tonneaux, eut l’impression que cette femme avait inventé l’amour. »

« Au bout d’un mois, le temps changea. Le ciel se couvrit de nuages noirs et la forêt devint houleuse. L’air froid venait du large. La frégate tangua, donna de forts coups de poupe contre le manguier. Au milieu de la nuit, une puissante tempête s’abattit sur le navire. Le vent gonfla les voiles. Des trombes de feuilles tombaient, de grosses branches assommaient les marins, et tous s’agrippaient au parapet, attachés aux cordages qui tiraient à rompre. La frégate remuait en tous sens. Dans les arbres, elle dansait comme un bouchon. Les hommes couraient, rampaient, priaient. Sur le pont mouillé et glissant, ils pouvaient à peine se tenir. Ils luttèrent pendant toute une nuit contre les assauts de l’orage. La quille gémit jusqu’à l’aube et un matelot eut si peur que, le lendemain, avec une superstition patriotique, il fit hisser à la corne le pavillon national. »

À propos de l’auteur
Né en 1988, Miguel Bonnefoy est le fils d’un romancier chilien et d’une diplomate vénézuélienne. Auteur, il est aussi professeur de français pour l’Alliance française. Il remporte le prix du Jeune Ecrivain, en 2013, grâce à une nouvelle intitulée « Icare ». Le voyage d’Octavio est son premier roman, paru en 2015 et traduit dans plusieurs langues. Finaliste du Goncourt du Premier Roman et lauréat de nombreuses distinctions, dont le prix de la Vocation, le prix des cinq continents de la francophonie. (Source : Éditions Rivages)

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Sucre noir

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Voici cinq bonnes raisons de lire ce livre:
1. Parce que ce roman s’inscrit dans la continuité du Voyage d’Octavio, un roman qui m’a beaucoup plu par son style flamboyant.

2. Parce que le sujet abordé est passionnant, on y voit d’une part le capitaine Henry Morgan, figure légendaire de la seconde moitié du XVIIe siècle au moment où il vit ses derniers jours et d’autre part un chercheur de trésor qui part de nos jours à la recherche de l’or qui serait enfoui dans la jungle.

3. Parce ce que, sous couvert de l’épopée, on peut y lire une réflexion sur le devenir du Venezuela, en proie à bien des tourments.

4. Parce que Miguel Bonnefoy fait partie de la dernière sélection du Prix Landerneau des Lecteurs et qu’il s’y trouve en excellente compagnie, les trois autres finalistes étant : La disparition de Josef Mengele d’Olivier Guez (Grasset), Bakhita de Véronique Olmi (Albin Michel) et L’art de perdre d’Alice Zeniter (Flammarion).

5. Parce que je partage l’enthousiasme d’Éric Libiot : «Sucre noir est un conte nourri de ce réalisme magique qui épice la littérature sud-américaine. C’est également une saga et un portrait de femme à l’écriture dense et poétique qui, en une phrase, parvient à caresser l’imaginaire d’une enfant: « Elle avait l’âge où l’on pense que les arbres volent autour des oiseaux. » Miguel Bonnefoy est entièrement partagé entre ses deux cultures, ici une force romanesque intense qui flirte avec l’onirisme, là un style précis et dense qui conduit l’intrigue jusqu’au but. »

Sucre noir
Miguel Bonnefoy
Éditions Rivages
Roman
200 p., 19,50 €
EAN : 9782743640576
Paru en août 2017

Ce qu’en dit l’éditeur
Dans un village des Caraïbes, la légende d’un trésor disparu vient bouleverser l’existence de la famille Otero. À la recherche du butin du capitaine Henry Morgan, dont le navire aurait échoué dans les environs trois cents ans plus tôt, les explorateurs se succèdent. Tous, dont l’ambitieux Severo Bracamonte, vont croiser le chemin de Serena Otero, l’héritière de la plantation de cannes à sucre qui rêve à d’autres horizons.
Au fil des ans, tandis que la propriété familiale prospère, et qu’elle distille alors à profusion le meilleur rhum de la région, chacun cherche le trésor qui donnera un sens à sa vie. Mais, sur cette terre sauvage, la fatalité aux couleurs tropicales se plaît à détourner les ambitions et les désirs qui les consument.
Dans ce roman aux allures de conte philosophique, Miguel Bonnefoy réinvente la légende de l’un des plus célèbres corsaires pour nous raconter le destin d’hommes et de femmes guidés par la quête de l’amour et contrariés par les caprices de la fortune. Il nous livre aussi, dans une prose somptueuse inspirée du réalisme magique des écrivains sud-américains, le tableau émouvant et enchanteur d’un pays dont les richesses sont autant de mirages et de maléfices.

Les critiques
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L’Express (Éric Libiot)
Blog Charybde 27 
Blog Bricabook
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Les premières pages du livre
« Le jour se leva sur un navire naufragé, planté sur la cime des arbres, au milieu d’une forêt. C’était un trois-mâts de dix-huit canons, à voiles carrées, dont la poupe s’était enfoncée dans un manguier à plusieurs mètres de hauteur. À tribord, des fruits pendaient entre les cordages. À bâbord, d’épaisses broussailles recouvraient la coque.
Tout était sec, si bien qu’il ne restait de la mer qu’un peu de sel entre les planches. Il n’y avait pas de vagues, pas de marées. D’aussi loin que s’étendait le regard, on ne voyait que des collines. Parfois, une brise passait, chargée d’un parfum d’amandes sèches, et l’on sentait craquer tout le corps du navire, depuis la hune jusqu’à la cale, comme un vieux trésor qu’on enterre.
Cela faisait plusieurs jours que l’équipage survivait difficilement à bord. On y trouvait des officiers sans bannières, des bagnards borgnes, des esclaves noirs qui, les dents cassées par la crosse d’un fusil, avaient été enchaînés sur la côte du Sénégal et achetés sur un marché londonien. »

Extraits
« Ils restèrent tous deux haletants sur le sol terreux. Severo se releva sur un coude et regarde Serena comme il ne l’avait jamais fait. En la détaillant, délacée, un pan d’étoffe cachant sa poitrine, elle était si parfaite qu’il aurait voulu qu’elle fût en marbre pour que le temps ne passât pas sur sa peau.
Il sentit qu’il pourrait tout lui dire sans avoir à prononcer un mot. A cet instant, Severo Bracamonte, nu dans le moulin, au milieu du parfum étourdissant des vieux tonneaux, eut l’impression que cette femme avait inventé l’amour. »

« Au bout d’un mois, le temps changea. Le ciel se couvrit de nuages noirs et la forêt devint houleuse. L’air froid venait du large. La frégate tangua, donna de forts coups de poupe contre le manguier. Au milieu de la nuit, une puissante tempête s’abattit sur le navire. Le vent gonfla les voiles. Des trombes de feuilles tombaient, de grosses branches assommaient les marins, et tous s’agrippaient au parapet, attachés aux cordages qui tiraient à rompre. La frégate remuait en tous sens. Dans les arbres, elle dansait comme un bouchon. Les hommes couraient, rampaient, priaient. Sur le pont mouillé et glissant, ils pouvaient à peine se tenir. Ils luttèrent pendant toute une nuit contre les assauts de l’orage. La quille gémit jusqu’à l’aube et un matelot eut si peur que, le lendemain, avec une superstition patriotique, il fit hisser à la corne le pavillon national. »

À propos de l’auteur
Né en 1988, Miguel Bonnefoy est le fils d’un romancier chilien et d’une diplomate vénézuélienne. Auteur, il est aussi professeur de français pour l’Alliance française. Il remporte le prix du Jeune Ecrivain, en 2013, grâce à une nouvelle intitulée « Icare ». Le voyage d’Octavio est son premier roman, paru en 2015 et traduit dans plusieurs langues. Finaliste du Goncourt du Premier Roman et lauréat de nombreuses distinctions, dont le prix de la Vocation, le prix des cinq continents de la francophonie. (Source : Éditions Rivages)

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Les Amazoniques

DOKMAK_Les_Amazoniques

Les Amazoniques
Boris Dokmak
Ring
Thriller
430 p., 19,95 €
ISBN: 9791091447294
Paru le 2 avril 2015

Où?
Le roman est situé principalement dans la forêt amazonienne, dans la région du Bulchara, au sud-ouest de la Guyane française, ainsi qu’à Kourou et à Paris.

Quand?

L’action se situe de nos jours, avec des retours en arrière en 1955 et les années suivantes, ainsi qu’un épisode parisien en 1967.

Ce qu’en dit l’éditeur
Été 1967. Un ethnologue est accusé de meurtre. Il vit retiré au fin fond de la Guyane, dans une zone non cartographiée, territoire inconnu des perdidos dégénérés retournés à la vie sauvage et d’Indiens cannibales. Pour le lieutenant Saint-Mars, qui sillonne la jungle infernale à sa recherche, le crime cache des motivations qui vont bien au-delà de l’étude d’un nouveau peuple.
En mars 2014, un Indien agonisant, rongé par un mal étrange, surgit de la forêt guyanaise. Il était le dernier représentant de sa tribu, éteinte depuis cinquante ans. Sa découverte révèle l’existence du monstrueux projet Sunshine, plus grand scandale sanitaire et humain ignoré du XXe siècle, nom de code d’une expérience scientifique authentique jusqu’alors restée secrète et toujours réfutée par le gouvernement américain.
Magnétique et bestial, Les Amazoniques confirme l’entrée tonitruante de Boris Dokmak dans le cercle fermé des géants du polar.

Ce que j’en pense
****

Si le nouveau Thriller de l’auteur de La Femme qui valait trois milliards n’était qu’un bon suspense, il vaudrait sans doute déjà le détour. Mais il est bien plus que cela. A la manière d’un mille-feuilles, il se double d’un grand roman d’aventure qui nous fait découvrir un pan de la grande forêt amazonienne, se triple d’un récit d’espionnage où les services secrets américains mènent des expériences aussi secrètes que dangereuses, se quadruple d’une réflexion sur la pureté des peuples et sur leur droit de vivre selon leur culture et se quintuple par un reportage, puisque le faits divers retracé ici est inspiré d’une histoire vraie. Autrement dit, un sacré bon livre !
L’histoire commence au Centre Spatial Guyanais, lorsqu’un Indien surgit subitement devant une femme qui faisait son jogging et meurt à ses pieds. Dans ses mains, un immense couteau et un carnet noir bien mystérieux. Très vite les autorités locales vont se perdre en conjectures quant à la signification de ce carnet, mais aussi quant à l’identité de la victime. L’Indien semble en effet devoir appartenir à une tribu, les Arumgaranis, qui semblait avoir disparu. Pour essayer de démêler cet imbroglio, un baroudeur venu de métropole débarque. Il s’agit de Saint-Mars « type nimbé d’une sorte de mystère à la mords-moi-le-nœud, genre barbouzard béni et protégé – on parlait de clandestinité, d’OAS, des mains sales de la République ».
Seulement voilà, les règles de la jungle amazonienne peuvent dérouter le plus aguerri des officiers. D’autant que Saint-Maris, ou S.M., ne sait pas vraiment par quel bout prendre son enquête. « On lui avait seulement communiqué un dossier d’une page et demi sur lequel apparaissait un extrait de P.V. mentionnant un certain Matéo qui avait témoigné du meurtre de McHenry, citoyen américain, par Georges Loiseau, à l’arme blanche au beau milieu de la forêt sauvage. »
En essayant de monter une expédition pour retrouver la trace de ce crime sans témoin, sans corps, sans arme, sans preuve et sans coupable, il va comprendre qu’il n’est pas vraiment le bienvenu et qu’une expédition parallèle menée par des Américains se prépare.
A l’image de cette forêt dans laquelle il va s’enfoncer, le mystère ne va cesser de s’épaissir et les pièges de se dresser, de plus en plus menaçants. Entre les moustiques et tous les autres insectes et animaux avides de chair fraîche, il va très vite se sentir épié de toutes parts. Les Indiens n’entendent pas laisser impunément violer leur territoire, les Américains ne souhaitent pas que l’on découvre le projet qu’ils ont mené au cœur de la forêt. S.M. manque à plusieurs reprises d’y laisser sa peau, y compris lorsqu’il découvre un produit radioactif dans une bâtisse délaissée.
Boris Dokmak parvient avec maestria à décrire cette ambiance particulière, cet enfer vert régi par ses propres règles. Que viennent faire des notions telles que le droit ou la morale sous de tels cieux ? Si S.M. parviendra à s’extirper de la jungle et le lecteur à découvrir la clé de ce mystère, ni l’un ni l’autre ne seront vraiment intacts au bout de cette route. Mais c’est une raison supplémentaire pour découvrir Les Amazoniques.
(Je tiens à remercier ici Laura Magné qui m’a fait découvrir ce livre).

Autres critiques
Babelio

Extrait
« Saint-Mars, le bec dans le sable, parce qu’il n’est pas le dernier des crétins, retient trois informations et développe autant de questionnements : primo, il faut faire gaffe en choisissant son campement et éviter les fourmilières et autre tanière de bestioles rampantes. Interrogation : Y a-t-il un endroit dans cette fichue forêt qui échappe aux insectes les plus sordides ? Deuxio, les Indiens et Loiseau sont visiblement comme cul et chemise ; mieux, les sauvages lui mangent dans la main. Qulle influence réelle a-t-il sur eux ? Tertio, Loiseau sait désormais qu’il n’a pas les intentions les plus aimables à son encontre. Quelle va être son opposition ? Car c’est une chose de venir mettre les menottes aux poignets de Loiseau, pour peu qu’il soit réellement coupable, c’en est une autre de l’exfiltrer d’une forêt où des Indiens féroces et sanguinaires lui sont dévoués et soumis. » (p. 311)

A propos de l’auteur
Né en 1967 à Kiev, Boris Dokmak est agrégé de philosophie. Acclamé dès son premier roman La Femme qui valait trois milliards (Ring 2013), il est considéré comme un des prodiges du thriller français. (Source : Editions Ring)

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