L’amour au temps des éléphants

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En deux mots
Du Tennessee, où ils assistent à la mise à mort d’une éléphante, en passant par le Paris de la Grande Guerre et jusqu’au Kenya, trois destins vont se retrouver liés, celui d’Arabella l’insoumise, de Jeremy le reporter et de William Vernon, obligé de fuir le Ku-Klux-Klan.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Arabella, Jeremy, William, une épopée

Dans cette formidable fresque romanesque, Ariane Bois nous entraine aux débuts du XXe siècle, des États-Unis en France puis en Afrique sur les pas d’un trio que les circonstances vont rassembler pour un bel hymne à l’amour et à la liberté !

Comme dans L’île aux enfants, son précédent roman, Ariane Bois saisit son lecteur dès les premières pages. Cette fois, ce n’est plus à un enlèvement que l’on assiste, mais à une exécution. Nous sommes dans le Tennessee en 1916. Une foule considérable s’est rassemblée pour assister à la pendaison d’une éléphante. La rumeur avait alors enflé, faisant de «Mary la tueuse» l’objet de toutes les attaques. Il avait alors été décidé de la pendre. L’occasion d’une dernière et horrible représentation.
Si la plupart des spectateurs hurlent leur contentement, certains sont tout au contraire effarés par la cruauté du traitement. Parmi eux, la jeune Arabella qui ne peut retenir ses larmes. Pas plus qu’elle ne comprend son père et son éducation rigoureuse, elle ne comprend le plaisir que l’on peut avoir à faire souffrir, elle qui se destine à soigner ses semblables.
Envoyé par le Boston Herald pour relater l’événement, Jeremy est lui aussi atterré par les mœurs barbares de ces gens du Sud et attendri par la peine d’Arabella.
À quelques mètres d’eux, Kid, un jeune homme noir, est lui aussi choqué par ce spectacle. Sa journée va du reste mal se finir, puisqu’il va être passé à tabac par un groupe de blancs le soupçonnant d’être un voleur et qui, sans autre forme de procès, le rouent de coups. Trois personnes qui, à priori, n’étaient pas faites pour se rencontrer et faire un bout de route ensemble. Mais la grande Histoire va en décider autrement. Prenant tour à tout le point de vue d’Arabella, de Kid et de Jeremy, Ariane Bois tisse sa toile et tend les fils qui vont finir par se rejoindre.
Car Arabella, Kid et Jeremy vont prendre la direction de la France et de ses champs de bataille. L’occasion pour Arabella d’oublier la sévérité paternelle, pour Kid de s’éloigner des champs de coton et du Ku-Klux-Klan et pour Jeremy d’oublier le parcours tout tracé que sa riche famille avait tracé pour lui.
Loin de leur Amérique, ils sont plongés dans ce conflit, cette boucherie qui va toutefois avoir la grande vertu de les réunir. Et quand les canons cessent de tonner, ils prennent la direction de Paris où les «Années folles» et le jazz doivent faire oublier les millions de morts, où l’insouciance est à l’ordre du jour. L’occasion aussi d’une fresque sur la formidable créativité qui régnait alors et sur les célébrités qui écumaient alors la capitale.
C’est lors d’une sortie au zoo de Vincennes qu’ils vont recroiser un éléphant et à nouveau être choqués par le spectacle offert. Ils ont alors l’idée folle de le ramener au Kenya!
Avec ce roman Ariane Bois enrichit sa palette. Autour de ses thèmes de prédilection, l’origine sociale, le racisme, la force de l’amour, elle rajoute l’écologie, la défense des animaux et la solidarité. Solidement documenté, depuis le fait divers d’origine et l’histoire de Mary l’éléphante jusqu’aux colons chasseurs d’ivoire, en passant par l’histoire de James Reese Europe, ce Jazz Lieutenant qui fit découvrir cette musique en France. Un homme à l’image de ce roman, rythmé, enlevé, entrainant.

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L’amour au temps des éléphants
Ariane Bois
Éditions Belfond
Roman
256 p., 19 €
EAN 9782714493316
Paru le 14/01/2021

Où?
Le roman est d’abord situé aux États-Unis, dans le Tennessee, à New York, puis en France, principalement à Paris et en Afrique, au Kenya.

Quand?
L’action se déroule au début du XXe siècle, en 1916 et les années suivantes.

Ce qu’en dit l’éditeur
Il n’y a pas d’hommes libres sans animaux libres.
Ils ne se connaissent pas et pourtant, en cette journée caniculaire de septembre 1916 dans une petite ville du Sud des États-Unis, ils assistent parmi la foule au même effroyable spectacle: l’exécution par pendaison d’une éléphante de cirque, Mary, coupable d’avoir tué un homme. Cette vision bouleversera la vie d’Arabella, de Kid et de Jeremy.
De l’Amérique qui entre en guerre au Paris tourbillonnant des années 1920, des champs de bataille de l’Est de la France aux cabarets de jazz, des pistes de cirque jusqu’au Kenya dissolu des colons anglais, ces trois êtres devenus inséparables vont se lancer sur la trace des éléphants au cours d’une prodigieuse expédition de sauvetage.
Dans cette éblouissante saga, une jeunesse ivre d’amour et de nature livre son plus beau combat pour la liberté des animaux et celle des hommes.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Notre Temps (Stéphanie Janicot)
Page des libraires (Frédérique Franco – Librairie Le Goût des mots à Mortagne-au-Perche)
Radio Vinci (Francine Thomas)
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Ariane Bois présente L’Amour au temps des éléphants © Production Place des Éditeurs

Les premières pages du livre
« 13 septembre 1916, Erwin, Tennessee
De loin, ce n’est qu’une houle, un grondement. Mais quand on s’en approche, la foule ressemble à un organisme géant en colère. Elle bruit d’une seule poitrine, hurle à intervalles réguliers, donnant l’impression à celui qui l’observe de tanguer. Les hommes arborent leurs plus beaux chapeaux melon, les femmes paradent en tenues vives. Des enfants sont juchés sur les épaules paternelles, d’autres sautillent en piaillant. Certains ont suspendu leurs tâches quotidiennes, tels ces bouchers ceints de leurs tabliers sanguinolents ou ces boulangers blancs de farine.
Malgré la fine pluie qui tombe sans discontinuer depuis des heures, il est presque impossible de se frayer un chemin parmi la cohorte des citoyens qui piétinent le sol couvert d’une boue jaunâtre et grasse arrivant parfois jusqu’aux chevilles.
La population entière – deux mille âmes – semble s’être donné rendez-vous dans la rue principale d’Erwin, cette bourgade poussée trop vite, véritable champignonnière de constructions. Le spectacle va bientôt débuter, des petits malins cherchent à se faufiler au premier rang. Les chiens jappent, flairant l’événement exceptionnel.
Soudain, une rumeur monte de la foule.
Partis de Nolichucky Avenue, les éléphants ont emprunté Tucker Street et s’avancent désormais sur Main Street, enchaînés les uns aux autres. Mabel, la femelle aux yeux bordés de cils d’une longueur prodigieuse, ouvre solennellement la marche. Puis vient Shadrack, le vieux mâle, qui pose ses pattes avec précaution sur le sol, ébahi de croiser tant d’humains sur son chemin. Deux autres pachydermes, dont le nom s’est perdu, trottinent presque gaiement à côté de leurs cornacs. Enfin, dans un contre-jour saisissant, paraît Big Mary, la cause de cet engouement extraordinaire. C’est une éléphante d’Asie âgée de trente ans, mais contrairement à ses congénères souvent efflanqués, galeux ou malades, elle a des dimensions imposantes. Dépassant deux mètres au garrot, affichant cinq tonnes sur la balance, elle marche devant Jumbo, la star du fameux Barnum, le plus grand cirque du monde. Sa trompe oscillant au rythme de ses pas, elle avance, déroutée, nerveuse. Aujourd’hui, pas d’accessoires, ni ballons ni musique, rien qu’une procession sous la pluie, entre des colonnes de visages curieux, hostiles. Même ses entraîneurs qui cheminent à ses côtés lui semblent étrangers. Elle n’a eu droit ni aux caresses ni aux quignons de pain qu’elle s’empresse d’engloutir dans son fourreau gris. Et où est passé son cornac habituel, celui qui la lave, la félicite quand elle a bien travaillé et lui donne même du whisky, les soirs où le vent se faufile dans son enclos ? L’homme a déclaré forfait et l’a abandonnée.
Quand on écarte ses compagnons et qu’on l’immobilise soudain, Mary se met à trembler. Massés de l’autre côté de la rue, les éléphants refusent de la quitter. Les hommes du cirque jouent de la cravache pour les contraindre à avancer.
Sentant ses pieds se soulever, Mary barrit, affolée. Une acrobate détourne son visage raviné de larmes. Des ricanements, des jurons, des menaces montent du public.
— Respire, respire, ma vieille. Car la suite ne va pas te plaire !
— C’est la fête de la cravate au cou, ma belle !
— Quatre, trois, deux, un, dans les airs, Mary.
Des hommes lui passent une chaîne autour du cou et la fixent au crochet de l’immense grue.
— Tuez-la, tuez-la !
Le moteur démarre, la grue s’ébranle, la chaîne se tend autour de son corps.
Tirée par le cou avec une lenteur terrible, Mary commence son ascension funeste.
Dans la foule, indifférente à la boue qui macule ses pieds et à la pluie qui dégouline dans son cou, Arabella serre les poings devant l’ignoble tableau : l’animal suspendu, ballotté dans les airs, à deux mètres du sol. Soudain un bruit se fait entendre. La chaîne reliant Mary à la grue a cédé. L’éléphant s’écrase par terre dans un craquement d’os.
La clameur redouble.
— Allez-y, tuez-la !
Livides, des membres du cirque Sparks emmènent la jeune acrobate évanouie. Un cornac s’agenouille auprès de Mary et lui parle au niveau d’une oreille en forme d’immense feuille flétrie. Couchée sur le flanc, celle-ci regarde la foule d’un œil vide. Arabella se force à observer cette ignominie. Depuis la veille, elle ne pense qu’au sort de l’éléphant, à sa mort annoncée. Autour d’elle, beaucoup de reporters s’affairent, bloc-notes et crayon en main. Le spectacle a attiré la presse de Chicago et même de New York.
Vite, on passe une nouvelle chaîne autour de Mary, toujours inerte. Hissée à trois mètres du sol, elle commence à suffoquer, en se balançant doucement, dans un silence sépulcral, sous la potence d’acier. L’éléphant agonise une dizaine de minutes avant de fermer définitivement les yeux. Arabella se surprend à prier à voix basse.
C’est fini, on a tué « Mary la Tueuse », comme certains la surnommaient déjà. Des familles applaudissent à tout rompre. Leur appareil braqué dans le ciel lavasse, des photographes immortalisent la dépouille. Arabella aperçoit le reporter rencontré la veille, qui griffonne fébrilement sur son carnet. Elle se détourne vivement, l’homme ne l’a pas vue. Il le tient, son scoop ! C’est la première fois qu’on exécute un éléphant par pendaison. Le 4 janvier 1903, à Coney Island, on avait électrocuté Topsy, une éléphante d’une trentaine d’années comme Mary. Elle avait fini par écraser son gardien. Un meurtre, certes, mais qui s’apparentait à de la légitime défense : celui-ci tentait de lui faire avaler une cigarette allumée !
Jeremy Parkman espère décrocher la une de son journal. Cette histoire inouïe devrait captiver les lecteurs, même à Boston ! Abreuvés d’articles sur la guerre en Europe, ils se passionneraient pour le sort de Mary et la manière expéditive dont ces ploucs du Sud avaient réglé le problème.
Levant les yeux de ses notes, le journaliste aperçoit soudain Arabella. Que cette fille resplendit, même sous les larmes, avec son visage lumineux, cette peau satinée, une jupe verte épousant ses courbes, ses jolies jambes gainées de bas, qu’il devine plus qu’il ne les voit. Il ôte son chapeau pour la saluer, mais elle le fusille du regard et poursuit son chemin. Jeremy reste médusé. Comme si elle le tenait pour responsable du désastre ! Ensemble, ils avaient pourtant tout tenté pour sauver Mary.

La veille à Kingsport, Tennessee
— Tu n’iras pas à ce maudit spectacle ! Tu m’entends ? Il n’en est pas question.
Joseph Cox serrait les mâchoires, tout son visage traduisait sa détermination. Contrairement aux autres hommes qui s’empourpraient dès qu’ils hurlaient, le père d’Arabella affichait une pâleur inquiétante, comme s’il gelait sur place. Froid en temps normal, son regard virait au glacial. Dans ces moments-là, sa femme Lisbeth s’éclipsait en rasant les murs, redoutant les fréquentes explosions de colère de son mari. Arabella, elle, lui tenait tête.
— Mais c’est le cirque, papa ! Alors, oui, bien sûr que j’irai. Avec toute la ville, d’ailleurs.
— Des catins à moitié nues se trémoussant sur de la musique de clowns, ce n’est pas un endroit pour une jeune fille.
— Je n’ai plus dix ans.
À presque dix-huit ans, dans quatre mois et douze jours précisément, Arabella Cox se considérait comme une adulte. Elle avait arrêté l’école, qu’elle jugeait inutile, suivait des études à l’hôpital, travaillait par ailleurs afin de participer aux frais de la maison. Pour une fois qu’elle pouvait se distraire ! Le cirque, ce théâtre à la fois populaire et héroïque, la fascinait depuis toujours. L’odeur de sucre, de peinture fraîche sur les roulottes, de crottin sous les tentes sombres, la ravissait, tout comme les jongleurs et la ménagerie. Ses meilleurs souvenirs d’enfance restaient les représentations où sa Grand Ma Daisy l’emmenait dès qu’un cirque se produisait dans le bel État du Tennessee. Elle les connaissait tous, des plus modestes, ceux qui passaient en carriole avec deux pauvres canassons, des canards et un magicien hagard et souvent saoul, aux plus légendaires comme le Ringling ou le Barnum & Bailey Circus. Ceux-là sillonnaient les États-Unis d’est en ouest en train dans des convois de quatre-vingts wagons et s’arrêtaient dans les bourgs les plus reculés, comme Kingsport, où elle avait vu le jour.
— Et puis, il y a cinq éléphants, reprend Arabella à l’adresse de son père. Je ne vais pas rater ça !
— Si tu me désobéis, tu sais ce qui t’attend ! rugit Joseph Cox avant de claquer la porte, ce qui fait vibrer les murs.
Arabella connaissait le prix de ses rébellions. Son dos et ses jambes en gardaient des souvenirs cuisants, fouettés à l’occasion par le martinet paternel sur fond de prières sourdes et rageuses. Adventiste du septième jour, Joseph Cox croyait en effet en la Grande Controverse, autrement dit au conflit entre le Christ et Satan. Il pratiquait le sabbat, bannissait alcool, viande de porc et fruits de mer de sa maison et ne ratait aucun baptême par immersion de la région. Il se destinait au pastorat avant que sa famille, moins bigote que lui, ne le dissuade de suivre cette voie. Devenu comptable, il aimait son métier mais plaçait Dieu au-dessus de tout et vivait selon sa dure loi. Pas de loisirs, à part la lecture de la Bible, pas de médicaments en cas de maladie, jamais d’achats de plaisir ou flattant la vanité. Arabella abhorrait ces préceptes d’un autre temps et n’en faisait qu’à sa tête, quitte à en subir les conséquences.
Une longue femme maigre au visage délavé s’approche d’elle, plus ombre qu’être humain.
— Ne va pas te mettre en mauvaise situation, ma fille. Tu connais ton père… Je t’en prie, fais-le pour moi.
— Ne t’inquiète pas, maman. Tout se passera bien. Les éléphants m’attendent, conclut Arabella en clignant un œil malicieux.
Lisbeth Cox laisse échapper un soupir résigné qui creuse sa maigre poitrine. Depuis l’enfance, sa fille était indomptable. À sept ans, elle avait refusé de porter l’uniforme pour l’école une semaine entière, malgré les fessées paternelles. À dix ans, on l’avait surprise fourrant sa langue dans la bouche de son cousin. À quinze ans, il fallait l’arracher de son lit et la traîner à l’église où son père officiait avec une voix de stentor. Elle persistait à boire en cachette du thé et du café, malgré la doctrine adventiste tenant ces boissons pour du poison. Et contrairement à ses parents, elle pensait que l’Amérique se devait d’entrer en guerre contre les Allemands, au nom de la dette de liberté contractée auprès des Français depuis 1777. Joseph Cox s’en étranglait devant son potage, mais Arabella s’en moquait. À l’inverse de son frère aîné John, qui réglait son pas sur celui de son père et l’imitait dans ses moindres gestes, Arabella était née insoumise.
Arabella presse l’épaule de sa mère en songeant au cirque. Pourquoi l’aimait-elle autant ? Cet univers de tous les possibles l’attirait tel un aimant. La galerie des monstres, l’homme à la mâchoire de fer, la femme à barbe, les sœurs siamoises, les albinos, les nains, toute cette cour des Miracles l’émouvait autant qu’elle la fascinait. Petite, elle rêvait de devenir acrobate, de planer dans les airs avant d’atterrir sur les épaules d’un jongleur en débardeur étoilé. Puis elle avait découvert les éléphants, leurs barrissements caverneux, et s’était prise de passion pour ces créatures quasi mythologiques, ces statues de chair granitiques, avec leurs oreilles en draps de velours, leurs dagues d’ivoire plantées dans leur peau parcheminée, leurs trompes puissantes qui se dressaient et semblaient peindre des fresques invisibles dans les airs. Les éléphants nous ressemblaient tellement, contrairement à ce que l’on pouvait croire ! Joyeux ou tristes, attentifs à leur progéniture et à leurs congénères, intelligents, drôles, effrayants parfois, sans parler de leur mémoire biographique, ils n’avaient rien à nous envier. Au cirque, elle jubilait de les voir s’asseoir sur des tabourets, s’assembler pour former un petit train circulaire, jouer au ballon, résoudre des additions à l’aide de bâtons ou danser, majestueusement dressés sur leurs pattes arrière. Cet attachement lui venait sûrement des récits de sa grand-mère Daisy. Un temps missionnaire adventiste en Afrique australe, Grand Ma avait eu la chance d’observer des hardes en liberté dans la brousse. Plus tard, elle en avait fait de saisissantes descriptions à sa petite-fille, qui buvait ses paroles avant de s’endormir. Hélas, Grand Ma était morte, elles ne partageraient plus ces formidables après-midi où elles s’empiffraient de pop-corn sur les gradins, assistaient au spectacle sur la piste, puis filaient discuter avec les soigneurs. Amusés et séduits par ce curieux duo, ces derniers les laissaient caresser les bêtes dans leurs enclos et même les nourrir de courgettes et de pommes.
Arabella s’efforce de chasser ces souvenirs heureux avec une grand-mère adorée, happée un matin par le noir. On l’avait trouvée affaissée sur son évier, un vague sourire aux lèvres. Elle n’avait pas dû souffrir.
De la 3e Rue où elle habite jusqu’à Main Street, Arabella marche vite. Là encore, son père renâclerait. Selon ses parents, une demoiselle doit se mouvoir à pas mesurés et prudents, surtout à Kingsport, où les rues dépourvues de trottoir sont jalonnées d’ordures et souvent investies par des sangliers avides de déchets. En plein essor économique, la bourgade se couvre de tentes pour loger les ouvriers qui affluent des confins de l’État. On érige plus de deux cents maisons, dans un concert de marteaux, de scies, de jurons de charretiers. Les terres alentour s’arrachent comme au temps de la ruée vers l’or.
Arabella a remonté sa jupe pour presser l’allure, la parade va débuter. L’air chaud embaume d’effluves de pommes d’amour mêlés à l’âcreté de la bière et de la sueur des hommes. Pendant que les femmes s’éventent, ces derniers reluquent les cuisses des danseuses qui guettent le signal de l’orchestre.
Non loin d’Arabella, Jeremy Parkman, haute silhouette, habits élégants, port de tête aristocratique, a fort à faire avec son turbulent neveu de cinq ans.
— Tonton, achète-moi du nougat !
Le jeune homme s’exécute. Il ne peut rien refuser à James, dit Jimmy, le fils de sa sœur Marta, mariée à un notable de la ville de Charlotte. Chaque année, Jeremy lui rend visite, cette fois dans la maison de famille de son beau-frère, à Kingsport. Souffrante, elle lui a confié son fils pour la journée.
Une clameur s’élève. Les éléphants s’avancent en tête du défilé, indifférents au tumulte qu’ils déclenchent. Ouvrant la marche, Mary, la plus imposante, la star du show, a fière allure avec ses tresses et son diadème fantaisie posé sur sa lourde tête. Les gens du cirque le savent, plus un éléphant est gros, plus il attire les foules. Perché sur l’animal, son soigneur, un type roux à l’air malingre, sourit de toutes les dents qu’il lui reste et parade en agitant son bullhook, le bâton muni d’une pointe servant à diriger la bête.
Hypnotisée, Arabella s’approche comme si elle voulait toucher Mary.
— Il paraît qu’elle sait jouer au base-ball ! s’égosille un gamin.
— J’ai envie de la voir danser ! hurle une fillette en tapant dans ses mains.
Voilà un an que les enfants attendent ce spectacle. Ils suivront les éléphants jusqu’à l’étang où il est prévu que les bêtes se désaltèrent et jouent dans l’eau.
Tout à coup Mary se cambre, son grand corps s’arc-boute. Devant elle, au milieu de la rue, des cochons se sont invités au défilé et se disputent une pastèque pourrie en grognant. Son dresseur lui ordonne d’avancer en la menaçant du piolet. Aux aguets, clouée sur place, l’éléphante craint-elle le grognement des porcs ou convoite-t-elle leur fruit ? L’homme, qui s’en fiche, lui assène un grand coup sur le côté de la tête. L’animal pousse un barrissement de douleur, agite ses oreilles, s’ébroue, piétine le sol qu’il semble moudre dans un nuage de poussière. Tout à l’heure prompts à moquer le cornac impotent, les spectateurs reculent, apeurés. Sidérée, Arabella retient son souffle. Brusquement l’animal, d’une vivacité insoupçonnable, relève sa trompe, l’enroule autour du cornac tel un lasso et l’arrache de son dos comme une simple figurine. Une vague d’effroi agite les premiers rangs. Projeté tel un pantin dans les airs, l’homme atterrit sur un stand Coca-Cola, qui s’effondre dans un fracas assourdissant.
Des femmes crient de terreur. Mary semble hésiter, jauge les spectateurs, avance de quelques mètres, soulève sa lourde patte grise et la laisse retomber sur la tête du soigneur, qui explose dans un mélange de sang et de cervelle. Arabella se décompose, l’éléphante vient d’écraser le crâne de son dompteur comme une noix de coco ! Tout autour les gens s’éparpillent, épouvantés. Happée par la foule, Arabella va tomber, quand une main la soustrait au chaos.
— Mettez-vous à l’abri, tout de suite.
Un enfant dans les bras, l’homme la pousse derrière un établi. Arabella peine à reprendre ses esprits. Tout cela semble un mauvais rêve, ces cochons affamés, l’éléphant en fureur, l’homme catapulté et sa tête en charpie.
Soudain un type surgit d’un magasin avec un Colt et tire cinq fois sur Mary. Les cris redoublent, des gens plongent à terre. Mais les balles semblent glisser sur l’animal, qui secoue sa trompe pour défier l’assaillant.
— Respirez bien, mademoiselle, vous êtes toute pâle.
Jeremy regarde la fille, ses yeux d’un bleu irréel, ce visage en forme de cœur. Une odeur d’ambre et de sueur sucrée s’exhale de son corsage. Il l’entraîne derrière les colonnes de l’entrée d’un bar.
— Si vous voulez vomir, ne vous gênez pas.
— Après vous, je vous en prie…
La repartie de la fille le surprend, mais l’heure n’est pas à la joute verbale. Main Street est tapissée de chapeaux et d’ombrelles abandonnés, les mères hurlent les prénoms de leurs enfants perdus dans ce magma humain. Jeremy protège Jimmy qui s’accroche à son bras. Finalement, un homme du cirque réussit à sauter sur Mary. Sous sa poigne experte, elle se calme en quelques secondes. L’animal semble avoir tout oublié de la violence qu’il a déchaînée.
Jeremy époussette le pli de son pantalon mis à mal dans l’affolement.
— Bonjour, mademoiselle. Jeremy Parkman, pour vous servir. Vous n’avez rien ?
— J’ai vu pire, réplique la jeune fille.
— Dites-moi, à quoi ressemble le shérif par ici ? Je dois lui parler.
— Pourquoi ? Vous êtes un membre du cirque ?
— Non, du Boston Herald, un journal de la côte Est, sourit le jeune homme, laissant apparaître deux fossettes soulignant sa beauté un peu canaille et son regard carnassier.
— Tout le monde sait ce qu’est le Herald, rétorque Arabella en lui désignant un type qui s’avance en chaloupant parmi la foule. Fred Jackson. Notre shérif. Vous ne pouvez pas le louper, il est saoul dès midi.
— Très bien. Puis-je vous laisser seule ?
— J’allais vous le demander. Je n’ai besoin de personne.
— Quel est votre nom ?
— Arabella Cox.
Arabella aurait pu montrer plus d’aménité, le Yankee l’avait protégée de la foule, mais les mines et les postures du personnage l’agaçaient. Cette courtoisie condescendante, cette redingote pied-de-poule trop apprêtée pour Kingsport, ces longs cheveux calamistrés qui sentaient le barbier de luxe, ce mélange douteux de pirate et d’homme du monde pommadé, l’étrange intensité de son regard vert foncé, tout cela réveillait ses instincts de frondeuse et l’envie de se payer sa tête. Pendant un court instant, en tout cas, elle avait oublié le drame de l’éléphant, et de cela aussi, elle aurait pu le remercier. Elle savait depuis longtemps que ces animaux pouvaient attaquer, détruire et tuer, mais c’était la première fois qu’elle assistait à la mort violente d’un être humain. Et quelle mort horrible… Elle en avait l’estomac retourné, mais elle aurait préféré se faire couper un doigt plutôt que d’en convenir avec cet homme qui s’éloigne en tenant la main du petit garçon. Est-ce son fils ? Tout à coup, la lassitude l’envahit, l’étiole, s’immisce dans son dos, ses jambes. Elle rentre chez elle à petits pas, escortée par les images de cette parade macabre. Quel sort réservait-on à Mary ?

Plus tard, en fin de journée
— Alors, expliquez-moi, nom de Dieu. Que s’est-il passé au juste ?
Charlie Sparks s’est laissé tomber sur une chaise où son ventre gélatineux lui fait comme un tablier. En vingt-sept ans à la tête du cirque, le patron n’a jamais vécu pareille journée. Un homme broyé par l’un de ses animaux ! Et pas n’importe quelle bête : sa star, Mary, qui lui avait coûté les yeux de la tête – huit mille dollars ! – et dont il était si fier. Réuni dans la salle de la mairie avec son équipe, le maire, le shérif, le révérend et d’autres sommités de Kingsport, Charlie se demande comment protéger sa vedette, la soustraire à cette populace vengeresse qui réclame son exécution en scandant « Un fusil ou une corde ! ».
— C’est incompréhensible, lâche un dresseur. Mary était la plus sage de nos bêtes. Jamais un coup de pied ou un mouvement d’humeur…
— Le malheureux qui la montait, on sait qui c’était ? l’interrompt Sparks, irrité d’entendre chanter les louanges de l’animal en la circonstance.
Debout au fond de la salle, Arabella porte une robe bleu nuit ourlée de dentelle aux manches. Les hommes l’observent avec dédain ou concupiscence. Comme d’habitude, elle les ignore, absorbée par les débats qui augurent mal du destin de l’éléphante.
— Ma sciatique s’était réveillée, explique le cornac attitré de Mary. Avec toute la bonne volonté du monde, impossible de la monter. Alors à Saint Paul, il y a ce type qui s’est présenté… Un certain Walter Eldridge, il se faisait appeler « Red ». Il a commencé par filer un coup de main, ramasser la paille souillée, couvrir les bêtes avec des couvertures, c’était pas de trop…
— Ça n’explique pas comment il s’est retrouvé sur le dos de Mary, s’énerve Sparks, qui voit déjà se profiler les éternelles doléances syndicales de ses employés.
— Il a insisté, patron, profité de la situation pour se rendre utile, se défend le cornac. Nos éléphants sont doux, il a dû se passer quelque chose…
— Un chien qui grogne ? Un marmot qui braille ? Qui sait, avec ces bestioles ? maugrée un fermier. En tout cas, elle ne va pas s’en tirer comme ça.
— Elle a tué ! Elle tuera encore ! hurle le shérif Jackson, l’œil allumé par la gnôle.
— Cette bête est manifestement possédée, lance le révérend Johnson, un homme aux traits fins et cruels. Vous avez vu ses yeux ? Démoniaques…
Dehors, sous le soleil rouge sang de cet été sudiste, les citoyens de Kingsport réclament justice. Les plus excités se fraient un passage jusqu’aux fenêtres de la mairie, d’autres tambourinent à sa porte. Ils ne vont pas tarder à tout casser, pense Sparks.
— Rien n’annonçait un tel drame avec cet animal ? interroge Jeremy du fond de la pièce, en griffonnant des notes. Aucun antécédent violent ?
— Rien, lâche Sparks.
En son for intérieur, le patron du cirque est persuadé que Mary a déjà blessé voire tué quelqu’un par le passé. Nombre d’animaux au caractère belliqueux se refaisaient une virginité dans un nouveau cirque, sous un nom différent. Tenter de revendre la bête à un autre zoo pour récupérer une part de sa mise ? Cela semblait compromis. Les cinglés qui braillaient dehors ne l’avaient-ils pas déjà surnommée « Mary la Tueuse », scellant son destin ?
— Patron, les nouvelles vont vite. Des villes de la tournée annoncent qu’elles refuseront d’accueillir le cirque si Mary y figure. Les annulations, c’est la plaie de la profession…
L’homme qui vient de s’exprimer est le magicien de la troupe, en charge également de la publicité du cirque.
— En tout cas, moi je ne me rendrais pas à un spectacle où je risque de finir en mou pour les chats, ironise le maire en ricanant dans sa barbichette.
Arabella toise l’édile au monocle. Comment pouvait-on se montrer aussi abruti ?
Sparks soupire. Garder l’animal, le vendre paraissent aussi impossibles l’un que l’autre.
— Flinguons-la ! lance le révérend. Que justice soit faite.
— Ouais, la loi du talion ! renchérit le shérif en essuyant ses pattes graisseuses sur son pantalon informe.
— Impossible, lâche Sparks. Vous ne trouverez aucun fusil d’un calibre assez gros pour neutraliser cet animal, même dans le Sud.
Là encore, Sparks tait la vérité. Il suffit de tirer dans le conduit auditif d’un éléphant pour lui brûler la cervelle, mais il se garde bien de le dire à ces péquenauds !
— On pourrait lui trouer la panse avec un vieux canon de la guerre civile, suggère l’un des hommes.
— Ou l’électrocuter, comme l’a conseillé le grand Edison à New York il y a une dizaine d’années pour un autre foutu éléphant !
Arabella bondit de sa chaise.
— Mais vous êtes tous devenus fous ! crie-t-elle. C’était un accident, un malheureux accident. Qui sait ce que Mary a pu éprouver ? De la peur, sans doute. La tuer n’arrangerait rien. Elle ne recommencera pas ! Un mort ne vous suffit pas ?
Impressionné par la vigueur de la tirade, Jeremy fixe la jeune femme campée près de lui. Ses yeux bleu glace, ses fines mèches auburn échappées du chignon encadrant son visage rebelle et empourpré. De la dynamite, cette fille-là. D’une autre trempe que les dindes de la bonne société qu’il croise à Boston. Il devrait l’interviewer, écrire son portrait pour le journal, dans le style « La tigresse et l’éléphant ». Les lectrices, de plus en plus nombreuses, apprécieraient. Le boucan dehors le tire de ses pensées.
— Mes fidèles ont raison, lâche le révérend. Il faut pendre cet animal haut et court.
Arabella se tourne vers Jeremy.
— Eh bien, remuez-vous, le journaliste de Boston ! Dites quelque chose, aidez-moi à leur faire entendre raison.
Jeremy se surprend à obtempérer.
— Messieurs, envisageons calmement une alternative. Je suggère des jours de dressage ou de confinement avant d’utiliser cet animal pour les travaux des champs. Mary ferait une formidable bête de trait.
Ses propos se perdent dans le brouhaha et les ricanements.
— Insistez ! lance Arabella.
— Inutile. Ils sont décidés à la tuer. Et puis mon métier n’est pas de haranguer les foules mais de les informer.
Le ton suffisant de l’homme déplaît à la jeune fille.
— Joli métier, en effet. Eh bien moi, je vais continuer à me battre. Pas question d’autoriser une telle saleté, messieurs.
La voix d’Arabella monte dangereusement dans les aigus : elle va téléphoner à des journaux, prévenir la Société pour la prévention de la cruauté envers les animaux, celle-là même qui avait interdit qu’on pende Topsy.
— Et si cela ne suffit pas, j’alerterai le gouverneur et même la Maison-Blanche à Washington…
— Miss, je crois qu’en ce moment le Président a d’autres chats à fouetter, chuchote Jeremy avec une pointe de sarcasme. Vous les entendez dans la rue ? C’est un lynchage qu’ils veulent. Voilà bien une tradition du Sud, non ?
— Que connaissez-vous du Sud, monsieur le Bostonien ?
Blanche comme une craie, Arabella se lève et sort de la salle. Dehors la foule scande toujours : « Tuez-la ! Tuez-la ! » Elle s’enfuit sans attendre le verdict des hommes à la mairie : Mary l’éléphante est condamnée à être pendue à Erwin, la ville voisine, là où le train s’arrête. Une puissante grue rendra justice au nom des honnêtes citoyens en colère.

Kid
Kid avait assisté au châtiment de Mary. Par atavisme, il se méfiait de la foule, de ses débordements, mais c’était la première fois qu’il voyait un éléphant… Et dire que la pauvre bête allait mourir. Horrifié, il n’avait pourtant pu détourner son regard de la pendaison. Un être vivant se balançant au bout d’une chaîne ou d’une corde, si cela pouvait être le dernier, pensait-il, comme pour conjurer cette trouble fascination. Il n’y avait que des Blancs dans le public. Les Noirs comme lui s’étaient tenus à l’écart. La scène avait peuplé ses nuits de cauchemars.
Rien de tel qu’un épi de maïs couvert d’une fine couche de beurre pour se changer les idées. S’élançant tête baissée vers le marchand qui va fermer, Kid bouscule une femme au milieu de la rue. Une Blanche, la cinquantaine, toute ridée d’amertume et de colère. Il s’empresse de l’aider à se relever, mais la virago en jupons le repousse.
— Que fais-tu, négro ? Ne va pas me toucher avec tes sales mains !
— Je suis désolé, madame. Je ne vous ai pas vue.
Kid commence à ramasser les paquets éparpillés autour d’elle.
— Au secours, on me détrousse ! piaille la femme. Mon argent, mes affaires !
Un homme à la mâchoire de dogue s’approche, prêt à mordre.
— Pourriture de nègre ! Toujours à voler les gens !
— Non, je vous jure, répond Kid en posant les paquets. J’ai heurté madame sans le faire exprès. Pardonnez-moi.
Autour de lui convergent des hommes en chapeau, une meute patibulaire, prête à en découdre avec ce garçon gracile d’à peine un mètre soixante-dix, bâti comme un adolescent, aux yeux d’un vert de chlorophylle.
— Foutez-lui la correction qu’il mérite !
— Sac à charbon !
Un coup de pied le cueille au bas du dos, le fait trébucher. Un poing le redresse qui lui entaille la lèvre. Une femme lui crache au visage, la salive dégouline sur sa joue. Il protège son crâne de ses mains, mais une bourrade lui pilonne la tempe, une autre lui écrase un œil. Ces vociférations, ces ondes de haine qui lui vrillent les tympans et le tétanisent sont familières à Kid. Elles emplissaient déjà la rue le jour de la pendaison de l’éléphant.
Dans un sursaut, il se libère d’un assaillant – il le reconnaît, il a travaillé pour lui. La vue brouillée, il aperçoit une ruelle sombre, bouscule deux types et se rue vers l’obscurité, son salut. Il ne connaît pas cette partie d’Erwin, il habite de l’autre côté, dans le quartier réservé aux Noirs, avec ses rigoles d’eau putride, ses cases en bois au sol de terre battue et sa petite église si modeste qu’on dirait qu’elle va s’envoler à la moindre brise. La chaleur y est plus écrasante qu’ailleurs, selon sa maman qui a voyagé jusqu’à Memphis. Il se repère vite, à l’instinct, dans un dédale de rues. Enfin, le terrain vague, et au bout, sa maison.
En lui ouvrant la porte, sa mère retient un cri d’effroi devant son visage tuméfié, sanguinolent. Ma en a pourtant vu d’autres, sa propre mère est morte en lui donnant la vie et elle s’esquinte tous les jours dans les champs de maïs.
— Mais que s’est-il passé, fils ?
— Des sales types m’ont tabassé. Je n’avais rien fait, maman, je te promets.
Ma le guide vers la chaise en bois fabriquée par son père, comme les autres meubles de la case. Elle va chercher une bassine d’eau, trempe un linge qu’elle passe délicatement sur le visage de son fils. »

À propos de l’auteur
BOIS_Ariane_©Yannick_CoupannecAriane Bois © Photo Yannick Coupannec

Ariane Bois est romancière, grand reporter et critique littéraire. Elle est l’auteure récompensée par neuf prix de: Et le jour pour eux sera comme la nuit (Ramsay, 2009), Le Monde d’Hannah (Robert Laffont, 2011), Sans oublier (Belfond, 2014), Le Gardien de nos frères (Belfond, 2015), Dakota Song (Belfond, 2017). Après L’Île aux enfants, finaliste du prix Maison de la presse, L’Amour au temps des éléphants est son septième roman. (Source: Éditions Belfond)

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La fièvre

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En deux mots:
Un homme qui s’effondre en pleine rue, un bateau mis en quarantaine, une épidémie dont on ne connaît pas l’origine va frapper des milliers de personnes, provoquant un vaste mouvement de panique. Cela se passait en 1878 sur les bords du Mississipi.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Les ravages de l’épidémie

C’est avant la pandémie que Sébastien Spitzer s’est mis à l’écriture de La fièvre, qui raconte l’épidémie qui a frappé le Sud des États-Unis en 1878. Le parallèle avec la pandémie de 2020 est saisissant et prouve une fois de plus la capacité des romanciers à saisir l’air du temps.

Si Sébastien Spitzer n’aime rien tant que varier les plaisirs et les époques, il sait aussi plonger dans l’Histoire pour se rapprocher des thématiques très actuelles. Ces rêves qu’on piétine, son premier roman couronné de plusieurs prix, dressait un portrait saisissant de Magda Goebbels et posait tout à la fois la question du mal, de la maternité et du devoir de mémoire. Le cœur battant du monde, en retraçant la rencontre entre Karl Marx et Friedrich Engels dans un Londres qui s’industrialisait à grande vitesse, était aussi une réflexion sur l’éthique et le capitalisme. Avec ce troisième roman, il nous entraine aux États-Unis au sortir de la Guerre de Sécession. Les chapitres initiaux vont nous présenter un esclave affranchi rattrapé par des membres du Ku Klux Klan et pendu en raison de sa couleur de peau, Emmy une jeune fille qui fête ses treize un jour de fête nationale et qui espère le plus beau des cadeaux, que son père qui vient de sortir de prison regagne le domicile familial. Mais à bord du Natchez qui vient d’accoster au ponton, elle ne peut l’apercevoir. Enfin, l’auteur nous invite à Mansion House, l’un des bordels les mieux soignés de Memphis où les douze pensionnaires jouissent d’un peu de liberté mais restent sous la surveillance attentive d’Anne Scott, la tenancière française de cette maison des bords du Mississipi. Ce matin, au réveil, alors qu’elle entend fêter le 4 juillet par un bal costumé, ses plans sont contrariés par la découverte d’un client mal en point. Et les premiers soins qu’elle prodigue ne semblent guère le soulager.
Puis nous faisons la connaissance de Keathing, le patron du Memphis Daily, qui entend profiter de la fête nationale pour imprimer son plus gros tirage. Il espère que dans l’attente du feu d’artifice on passera le temps à lire son édition du 4 juillet 1878.
C’est alors que deux drames se produisent quasi simultanément. Emmy constate une agitation inhabituelle autour du Natchez censé transporter son père. Les passagers sont sommés de regagner le navire tandis qu’un homme est évacué sur une civière. C’est alors que le malade de Mansion House est pris de folie. Il se précipite tout nu vers la rivière avant de s’écrouler en pleine rue. Deux cadavres et un même diagnostic: la fièvre.
Pour les autorités, la nouvelle ne pouvait tomber à pire moment, car la récolte de coton s’annonce exceptionnelle. Et alors que l’on tergiverse, des nouvelles alarmantes de la Nouvelle Orléans font état d’une épidémie et de morts par dizaines. Keathing ne peut plus reculer la parution de son article. Il doit informer la population. En fait, il va provoquer un vaste mouvement de panique aux conséquences économiques et humaines aussi imprévisibles que terribles.
Si le parallèle avec la pandémie qui a frappé le monde en 2020 est facile à faire, c’est bien davantage la manière de réagir face à ce drame qui est au cœur du roman. Qui va rester en ville et qui va fuir? Qui des sœurs dans leur couvent ou des prostituées dans leur bordel vont se montrer les plus courageuses et les plus solidaires? Comment va réagir le sympathisant du Ku Klux Klan face à la détresse de la communauté noire, plus durement frappée par ce mal insidieux? Qui va se dresser face aux pillards qui entendent profiter du chaos? Les situations de crise ont le pouvoir de révéler certaines personnes, de faire basculer leur destin. C’est ce que montre avec force la plume inspirée de Sébastien Spitzer.

SPITZER_yellow-fever1878Les sœurs de la charité étaient-elles aussi charitables que l’imagerie populaire le laisse entende? © Public Library of America

SPITZER_Martyrs_Park_MemphisLe «Parc des martyrs» de Memphis, dédié aux victimes de l’épidémie. © Tennessee Historical Commission

Pour ceux qui habitent Mulhouse et la région, signalons que Sébastien Spitzer participera à une conférence-rencontre le mercredi 14 Octobre 2020 à 20h à la Librairie 47° Nord. Inscriptions par mail ou par téléphone:
librairie@47degresnord.com 03 89 36 80 00

La fièvre
Sébastien Spitzer
Éditions Albin Michel
Roman
320 p., 19,90 €
EAN 9782226441638
Paru le 19/08/2020

Où?
Le roman se déroule aux États-Unis, principalement à Memphis mais aussi tout au long du Mississipi jusqu’à la Nouvelle Orléans. On y évoque aussi New York.

Quand?
L’action se situe en 1878.

Ce qu’en dit l’éditeur
Memphis, juillet 1878. En pleine rue, pris d’un mal fulgurant, un homme s’écroule et meurt. Il est la première victime d’une étrange maladie, qui va faire des milliers de morts en quelques jours.
Anne Cook tient la maison close la plus luxueuse de la ville et l’homme qui vient de mourir sortait de son établissement. Keathing dirige le journal local. Raciste, proche du Ku Klux Klan, il découvre la fièvre qui sème la terreur et le chaos dans Memphis. Raphael T. Brown est un ancien esclave, qui se bat depuis des années pour que ses habitants reconnaissent son statut d’homme libre. Quand les premiers pillards débarquent, c’est lui qui, le premier, va prendre les armes et défendre cette ville qui ne voulait pas de lui.
Trois personnages exceptionnels. Trois destins révélés par une même tragédie.
Dans ce roman inspiré d’une histoire vraie, Sébastien Spitzer, prix Stanislas pour Ces rêves qu’on piétine, sonde l’âme humaine aux prises avec des circonstances extraordinaires. Par-delà le bien et le mal, il interroge les fondements de la morale et du racisme, dévoilant de surprenants héros autant que d’insoupçonnables lâches.

Les critiques
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Sébastien Spitzer parle de son roman La Fièvre © Production Albin Michel

INCIPIT (Les premières pages du livre)
– Par pitié, laissez-moi !
Il est face contre terre, comprimé par un homme à genoux sur sa nuque. Sa pommette et son front tassent le sable du sentier. Un filet de sang dégoutte sous lui comme la poisse. Combien sont-ils ? Quatre ? Cinq ? Tous portent des toges blanches.
L’un d’eux pèse sur son dos et lui déboîte les bras, coudes aux reins, pognes au dos.
– Ahhh ! Pour l’amour de Dieu, je vous en prie. J’ai rien fait.
Un autre lui lie les chevilles si fort qu’il entrave ses artères. Son pouls bute contre le chanvre. Il a la bouche dans le sable et son cri s’y enterre parmi la bave et ce branle-bas d’effroi qui coagule. Un homme rôde en retrait, chasseur tapi dans l’ombre. C’est lui le chef de ces mauvais génies en toge qui hantent les campagnes depuis des mois maintenant, semant les cadavres, éparpillant le drame et ravivant l’idée que naître noir est une malédiction.
Quand on est né esclave, mourir est un fait comme un autre, une douleur de plus, un mauvais jour de trop. Son père l’a vécu dans sa chair. Il est mort aux champs, épuisé de fatigue. Son grand-père succomba d’une balle dans la nuque. Il avait soixante ans et souffrait de partout. Mais pas lui. Plus maintenant. Il a été affranchi. Il est devenu libre. Un homme parmi les hommes. Il a le droit de vivre et de rêver sa vie sans penser à la mort. Il s’y est habitué depuis la fin de la guerre, la victoire de Lincoln et les lois votées pour libérer les Noirs, faire taire les fouets des maîtres, les coups des contremaîtres. Libres enfin ! Quel miracle ! Il s’est mis à rêver de lundis, de l’école pour ses enfants, d’un emploi dans le commerce, de dimanches en prières et de semaines qui se ressemblent.
– Pourquoi ? Pourquoi moi ?
Le pire des refrains s’est accroché à ses lèvres.
– Pourquoi ? Pourquoi moi ?
Les toges blanches le relèvent. Leurs visages sont cachés. La lune cruelle éclaire la scène d’un crime en cours.
Il voit son ombre au sol, pas plus noire que leurs ombres. Ils sont cinq contre lui. Cinq juges de mauvaise foi. Cinq silhouettes masquées et un nom murmuré :
– Keathing, viens m’aider !
Son instinct prend le pouvoir. Serrer les dents. Faire le dos rond. Attendre. Se taire. Pleurer un peu, puisque ça dure. Pleurer, ça fait du bien, c’est souffrir en silence. Tenir. Tenir bon.
Très jeune, avant la guerre, son père lui avait appris à cousiner la douleur, à débecter ses rages. Il lui avait dit que s’il s’abandonnait à cette douleur comme à ces rages, il ne ferait qu’attiser le drame noir.
Rien n’y fait.
Le mauvais sort s’acharne. Seul un chien se dévoile. Tel quel. Plein de crocs enfoncés dans le muscle de sa cuisse. Il souffre. Aveuglément face à cet animal, avec des yeux de nuit noire et une haleine sauvage. Le chien cesse de grogner et lève mollement la patte sur le poteau devant. Il marque son territoire de quelques gouttes d’urine pendant que l’ancien esclave implore ses bourreaux blancs :
– Pourquoi ? Pourquoi moi ?
En vain.
L’un d’eux serre sa trachée pour qu’il ouvre la bouche. Il fourre deux doigts dedans. Il enfonce un chiffon plein de flotte dans sa gueule. Lui tente de résister, secoue un peu le tronc et attire le chien. Il n’entend même plus ses grognements furieux. Il a pris le même muscle et mord.
– Faut pas traîner, murmure une voix.
Soudain, tout s’atrophie. La bête a lâché prise. Une chouette froisse l’air. Un coassement annonce l’accouplement de crapauds. Son cœur bat si fort qu’il pourrait exploser. Combien de temps encore ? Combien de temps avant de mourir ?
Une corde fend l’air et cogne contre un poteau. Les nœuds de chanvre crissent sur un rondin de bois. Il compte plusieurs brassées.
– Tu vas trop loin ! dit celui qu’il a pris pour leur chef. On devait simplement lui faire peur. Pas ça !
« Ça », c’est le mot qui l’achève. « Ça », c’est l’idée qui gomme tous les « pourquoi », les « par pitié ».
– T’es pas obligé de rester là.
Une main le pousse devant. Une autre le maintient droit, debout, calé contre ce poteau transformé en potence, comme un mât d’injustice dressé devant une lune bien blanche, bien complice.
Les hommes et le chien-loup s’activent dans son dos. Comme sa jambe se dérobe, il s’adosse au poteau, jette un dernier regard vers la grande ville au loin, la vallée qui serpente et les champs qui se déclinent, noir sur noir, jusqu’au bout de l’horizon. Il les connaît par cœur, chaque pousse, chaque travée. Cette vie est un boyau d’enfer, une fosse de Babel. Il y avait cru pourtant à ces lois, à ces mots. Il ne peut plus se défendre quand ils lui passent la corde au cou, et prie.
– Notre Père qui êtes aux cieux, que Votre nom soit sanctifié. Que Votre règne arrive.
Comme il n’a plus de prise, mais juste la honte de grommeler des mots qui finissent en charpie, il se résigne. Il ferme lentement les yeux. Il prend la mesure de l’instant qui le sépare de l’éternité.
– Amen.
Une pulsation cardiaque. Encore une. Un autre battement. Le dernier ? Sa vie à rebours sature sa mémoire. Toutes ces images passées surgissent en tornade. Il voudrait effacer la douleur qui l’empêche de se remémorer le visage de cette fille, dans la cabane d’en face. Elle préférait sourire au lieu de lui répondre. Elle avait de fines hanches et des épaules si droites que tout son corps semblait en équilibre en dessous, comme le fléau d’une balance. Elle avait le front suave. Un sourire à mille dents. Des yeux bruns, grands et vifs, qui guettaient la gaieté. Il aurait pu l’aimer. Lui faire plein d’enfants. Il tremble de regret. Elle serait devenue sa nouvelle femme et ils auraient élevé une tripotée de gosses. Si seulement il avait traversé la rue entre elle et lui.
Il sent le nœud qui serre. Il va finir sa vie au bout de cette fourche fruste, dans ce cercle formé par un bout de chanvre torsadé, les pieds ballottant vaguement, scruté par les corbeaux et ses cinq bourreaux. Le rituel est en cours. Il n’y a plus rien à faire.
La corde crisse et serre. Un papier sort d’une poche. Pendant que sa langue cogne contre le bout de tissu, des mots chargés d’absurde encrassent la nuit. Ils récitent :
– Au nom des Chevaliers Immortels protecteurs de la race,
Au nom du Grand Cyclope garant de notre avenir,
Au nom de la Cause perdue et de ses humiliés,
L’Empire de l’Invisible et le Soleil Invincible t’ont condamné à mort.
La suite s’est perdue au fond de son âme.
Demain, quand Memphis s’éveillera, la ville découvrira son corps bien vertical, bien aligné. Des gens passeront devant lui et feront des commentaires, gênés ou amusés. De longues heures s’écouleront avant que l’un d’eux estime que c’en était assez, qu’on en avait assez vu des Noirs suppliciés.
On fera une prière et on citera son nom. On chantera, un peu, à voix ténue et triste, comme on chante à chaque fois pour ceux qu’on a punis parce qu’ils avaient le tort de croire que même noir on pouvait être libre. On le mettra en terre et on parlera de lui au passé, comme des autres. C’est comme ça ! C’est le Sud.
Emmy dort encore. Rabougrie dans son lit. Ses bras adolescents agrippent le balluchon qui lui sert d’oreiller. Des soubresauts remontent le long de son échine, parfois jusqu’aux épaules, bifurquent vers son visage et impriment à sa bouche d’étranges balbutiements. Elle fait des bruits de succion, bave et grogne puis replonge dans son rêve.
Le jour s’est pointé charriant les bruits de la ville. Des rires. Des pas. Le couinement d’un essieu. Les sabots d’une mule butant sur un caillou qui éclate sous ses fers.
Une brise trimbale l’odeur d’une poudre lointaine, de celles dont on faisait les balles, autrefois, pendant la guerre, quand des Bleus tuaient des Gris par centaines de milliers. Emmy était presque là, dans le ventre de sa mère. Elle attendait que la paix soit signée pour montrer le bout de son nez.
Une explosion retentit.
– Papa ? demande-t-elle en sursaut, fouillant les coins de la pièce et tombant sur sa mère qui s’approche, lentement, de sa démarche peu sûre.
– T’as encore fait une crise, ma fille chérie ?
Emmy tarde à répondre, le temps de faire le tri entre ses attentes et ses rêves, le vrai et ce qu’elle voudrait.
– Non. Pas cette fois. Je ne crois pas, en tout cas. J’ai pas mal aux épaules, dit-elle en s’étirant. Ni à la nuque. Non, maman. C’était pas une crise nerveuse. Je crois que c’était plutôt une sorte de cauchemar. Je suis en retard ?
Sa mère lève le nez et estime l’heure du jour.
– Non. Pas encore. Je n’ai pas entendu la cloche du débarcadère.
Le visage de sa mère est teinté de brun sale. Ses yeux opalescents fixent toujours leur néant, mais elle sent et entend bien mieux que les voyants. Elle le saurait déjà si son père était là. Ses sens ne la trompent pas.
Emmy frotte ses paupières comme pour chasser ses mauvais songes. Mais des images s’accrochent. Le visage d’un homme.
Un paquet de bonbons dans un sachet de papier, bombé, comme rempli d’air. Emmy tendait les mains vers le cadeau de son père. Elle allait s’en saisir, mais il a éclaté comme une de ces baudruches que les gosses du quartier gonflent et font exploser lors de chaque carnaval. Et puis tout s’évanouit. Les bonbons et son père, ses attentes bernées. Depuis le temps qu’elle attend. Elle a tout un stock d’espoirs déçus à cause de lui. Sa tête en est farcie, et parfois elle se dit que ces crises étranges, ces spasmes épileptiques sont dus à ce trop-plein de dépits, à ces désillusions qui pourrissent au fond d’elle. Comme si elle les refoulait. C’est son père. C’est comme ça. Il a toujours été celui qui trompe son monde.
Dans les rues de Memphis, la grande fête s’annonce. Une partie de la ville va bientôt célébrer le jour de l’Indépendance. La pétarade commence. Des tas de déflagrations accompagnent les rires des gamins extasiés.
Emmy se penche par la lucarne. Les commerces sont fermés. Deux hommes endimanchés longent le trottoir d’en face. Un autre les salue. Emmy cherche les enfants et, en tendant le cou, voit une femme qui rabat un pan de sa longue jupe avant de traverser. Elle est jeune. Ses cheveux brun-roux tombent en guirlandes d’anglaises. Ses bottines sont couvertes de poussière et ses talons de bois battent les trottoirs de guingois, parfois mités, souvent branlants.
Au carrefour de Madison, en plissant les yeux pour contrer le soleil, elle distingue des fumerolles, des panaches d’explosifs et une bande de gamins accroupis dans un coin autour d’une allumette qui s’approche d’une mèche. Le feu prend. La mèche crépite et fume et les enfants éclatent plus vite que l’explosion, laissant dans leur sillage des crépitements de rire.
– Cessez ! lancent des vieilles barbes aux fenêtres.
Emmy se retourne.
– T’es sûre qu’il n’est pas arrivé ?
Sa mère lui tend la robe qu’elle avait mise de côté. Toujours au même endroit, sur la chaise près de leur lit. Elle l’aide à s’habiller.
– Tu es tout énervée, ma fille. Calme-toi ! Tu sais bien qu’avec lui…
– Cette fois j’y crois, maman. Je suis sûre qu’il va venir.
Emmy palpe la lettre dans sa poche. C’est sa seule lettre de lui. La première en treize ans. Elle ne l’a jamais vu ni même entendu. Mais ces mots sont de lui. Billy Evans. Il écrit qu’il viendra par le vapeur le jour de son anniversaire.
Elle n’a qu’une vague idée de lui, forgée année après année, comme les pièces d’un puzzle. Elle se l’est représenté par la grâce des mots, des souvenirs semés chez les uns et les autres. D’abord ceux de sa mère qui répète souvent qu’il était grand et beau. Parfois, elle ajoute qu’il était pareil au fleuve, obstiné, impétueux, comme s’il avait quelque chose à prouver au monde, une revanche à prendre sur les obstacles dressés en travers de sa route…
« Qui pourrait redresser ce que Dieu a fait courbe, ma fille ? Hein ? Dis-moi ? Qui a ce pouvoir-là ? On n’oblige pas les étoiles à suivre un chemin de balises. Ton père est né comme ça, avec ses courbures. Toutes les jetées cherchant à l’orienter, toutes les digues visant à le contraindre, les pieux, le rabotage sont restés sans effet. »
Ensuite, elle se taisait, gardant le reste pour elle. Emmy a dû puiser à d’autres sources pour savoir. Chez des voisins. Chez des gens de passage. Dans la rue. Dans les champs. N’importe où. L’image de son père a gagné en nuances. Tous disaient qu’il était beau, certes, mais qu’il avait surtout la beauté des escrocs, de quoi désarmer les doutes, et une faconde à rouler les sceptiques. Emmy serrait les poings, souvent. Elle voulait les faire taire, tous ceux qui s’acharnaient sur les mauvais côtés de son père. D’autres présentaient les choses autrement. Pour eux, son père avait un don. Il était plus habile que le caméléon et plus malin qu’un comédien de la côte.
« Ton père ! Ah ça, ton père ! C’était quelqu’un, celui-là ! Billy avait le don de soumettre les esprits le temps d’y glisser une idée un peu folle, son idée, et de l’y faire germer. Si bien que les autres, y croyaient qu’ils avaient une idée bien à eux, un beau projet, comme celui de l’hôtel, et y se mettaient à l’œuvre. Il avait ce don-là. On peut dire qu’il savait provoquer l’ambition. Il semait la confiance. Après, pour la récolte… c’était une autre affaire. »
C’est ainsi que sur Main Street, dans le quartier commerçant, surgirent des fondations. Un hôtel allait naître. Le charpentier œuvrait. Le maçon s’activait. Un étage fut dressé puis le chantier cessa. Il fallait de l’argent et le compte n’y était pas. Le promoteur s’efforçait de convaincre les banquiers que l’argent arriverait, qu’il avait une idée et que, la guerre finie, il ferait des bénéfices. Quand il se retourna, Billy n’était plus là. Il avait disparu, avec quelques dollars, une avance pour l’idée de ce projet farfelu. Le promoteur paya, fut ruiné et finit par grossir les rangs de ceux qui maudissaient le nom de son père.
« Billy ! Quel numéro ! Billy ! Billy Evans ! Mais Dieu qu’il était beau. Et cette beauté-là, elle n’était pas volée. Normal qu’il ait pris la plus belle de Memphis. Ta mère, Emmy. Ton père était si beau. »
Les yeux vert printemps. Des dents plein la bouche. Et le reste, Emmy le jette dans l’eau du fleuve avec les grandes gueules de ces alligators qui se repaissent du mal et ruminent tout le bon. Pourvu qu’ils s’en étouffent, qu’ils finissent ventre en l’air.
Billy.
Son père.
Imaginé par elle et condamné par eux. Plus malin que tous les autres. Puni de penser plus vite. Condamné à se taire. Purgeant une peine au loin, parce qu’il s’était fait prendre, une fois de plus, une fois de trop. Emmy mit des années à comprendre le vrai sens des mots « peine de prison ».
Elle se disait qu’elle aussi était condamnée, à la même peine que lui. La peine de ne pas le voir. Elle s’était persuadée qu’ils étaient tristes ensemble, tous les deux, loin l’un de l’autre. Pas besoin de se voir pour s’aimer. Sa mère le lui prouve chaque jour. Elle l’aime aveuglément.
Dans quelques heures, les rues de Memphis seront toutes noires de monde. Il y aura des couleurs accrochées aux fenêtres. Des fanions rouges, blancs, bleus. Des essaims d’inconnus échappés des hameaux situés en amont du grand fleuve ou de plus loin encore. Il y aura une fanfare, comme chaque année. Les anciens soldats noirs porteront l’uniforme des Zouaves avec leur gilet rouge et joueront de longues heures, en remontant Main Street jusqu’à l’embarcadère, comme tous les 4 Juillet depuis la fin de la guerre.
Emmy est impatiente. Le jour de l’Indépendance est aussi celui de son anniversaire. Elle a treize ans.
Elle voit la moue de sa bouche, qui ravale sa phrase pour ne pas briser le sort. Tout est dans le silence de sa mère et ses sourcils relevés en accent circonflexe comme une paire de mains jointes qui pointeraient vers le ciel. Elle espère. Sa mère prie pour qu’il vienne. Billy. Il n’était pas si mauvais. Il l’a vraiment aimée. Et elle, elle l’adorait. Son beau génie de père, chevalier d’industrie comme disent les pédants, ceux qui se payent de mots et crèvent la gueule ouverte de n’avoir rien osé. Son père a écrit qu’il allait revenir pour les sortir de là, de cette misère de peau, de cette cabane d’esclaves.
– Tu sais maman, j’ai réfléchi.
– Oui ma fille.
– En attendant qu’il achète une ferme, il pourrait dormir là. Je lui laisserais ma place.
– Ah oui ! Et tu dormiras où ?
– J’ai réfléchi. Je dormirai dehors. Et si la ferme est trop chère, il pourra toujours assembler quelques planches pour agrandir notre cabane.
– La nôtre ?
– Oui. La terre est assez dure du côté de la clôture. Je l’ai tâtée du pied hier. Elle est sèche et tassée. Y a pas de trace d’humidité. J’ai bien regardé sur le côté. Il y a assez de terrain pour soutenir des cloisons et un plancher épais.
– Et qui va payer ça ?
Le tintement de la cloche tombe opportunément.
– Vite ! Vite ! Je suis sûre que c’est papa !
Emmy agite ses longs bras. Elle est tout élancée comme le tronc de l’orme devant. Sa chevelure est un houppier. Pas le temps de se coiffer. Elle se met à quatre pattes pour dénicher ses souliers.
Une autre sonnerie retentit. Plus longue. Ça vient de l’embarcadère.
– Tant pis. J’ai pas le temps, dit-elle en sortant pieds nus.
Elle enjambe la clôture, traverse Madison et remonte vers le fleuve. Sa jupe enveloppe ses jambes et virevolte sous elle telle une méduse folle. Elle court comme les enfants, sans se soucier des regards en coin des femmes et des hommes sur ses longues cuisses fuselées. Elle court à perdre haleine, fixant les cheminées du bateau qui approche avec ses deux gaillards, l’un à la proue, l’autre à la poupe, et sa grande gueule béante comme celle d’un poisson-chat. Emmy ne cille même pas, de peur que si elle lâche sa cible des yeux elle fasse demi-tour, ou pire, disparaisse.
Ses pieds nus frappent le sable. Son cœur choque sa poitrine. Ses mains vont chercher loin devant comme si elle pouvait raccourcir la distance qui la sépare du quai. Elle a la bouche ouverte et le ventre vide depuis la veille. Légère ! Si légère ! C’est son anniversaire et son père va venir pour elle.
Des mouettes rasent le fleuve. Elles sont remontées de l’embouchure, en aval, à des centaines de miles. Il y a foule près du quai. Des dizaines de dos d’hommes et de femmes s’agglutinent.
Sur le pont du Natchez, le capitaine sonne trois coups secs. C’est le signal donné au machiniste en salle. Les deux cheminées crachent ce qui leur reste de fumée. La roue à aubes ralentit puis se cale en trouvant le point mort. L’équipage remonte les coursives. Il y a beaucoup de courant. Depuis la crue de juin, il a encore gagné et contrarie l’accostage.
Le visage barbouillé du mécanicien surgit d’un hublot de bâbord. Le navire vire lentement. Il a dépassé le pont. Sa proue pointe vers l’aval. Un sifflement retentit. Soudain, sa roue repart, mais à rebours cette fois, plus puissante, plus vaillante. Ses larges tambours brassent des mètres cubes d’eau, frappant de toutes leurs forces comme pour régler leurs comptes avec ce maudit fleuve. Les tambours cognent si fort que des éclats de racines valdinguent alentour.
Emmy en a déjà vu, des approches mal finir. L’an dernier, un triple pont bien plus gros que le Natchez a fini par le fond.
En haut de la passerelle, un matelot pivote et jette devant lui la glène de cordage. Un badaud sur le quai s’en empare et la noue. La passerelle se déploie. C’est bon ! Tout va bien. La foule s’avance. Emmy cherche sur le pont, parmi les passagers, le visage inconnu de son père, comme l’aimant cherche la paille. Elle guette l’évidence, armée de tous les indices qu’elle amasse depuis des années. Grand. Blond. Yeux clairs. Aujourd’hui la trentaine. Pourvu qu’il tienne parole. »

À propos de l’auteur
SPITZER_Sebastien_©Astrid-di-CrollalanzaSébastien Spitzer © Photo Astrid di Crollalanza

Sébastien Spitzer est traducteur et journaliste. Son premier roman Ces rêves qu’on piétine a reçu un formidable accueil critique et public. Il a été le lauréat de nombreux prix (prix Stanislas, Talents Cultura, Roblès). Avec Le Cœur battant du monde, il fut finaliste du Goncourt des Lycéens 2020. (Source: Éditions Albin Michel)

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La porte du ciel

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En deux mots
La fille d’un médecin de Louisiane se voit offrir une esclave en cadeau. Eleanor et Ève vont grandir ensemble et partager l’expérience de la Guerre de Sécession. Deux destins croisés, deux combats vers l’émancipation.

Ma note
etoileetoileetoile (beaucoup aimé)

La porte du ciel
Dominique Fortier
Éditions Les Escales
Roman
256 p., 19,90 €
EAN : 9782365692915
Paru en janvier 2017

Où?
Le roman se déroule au cœur de l’Amérique ségrégationniste entre Louisiane et Alabama, notamment du côté de Gee’s Bend et Mobile.

Quand?
L’action se situe au XIXe siècle, plus particulièrement dans les années 1860.

Ce qu’en dit l’éditeur
Alors que la Guerre de Sécession fait rage, deux fillettes que tout oppose, deux destins, vont se croiser.
Au cœur de la Louisiane et de ses plantations de coton, deux fillettes grandissent ensemble. Tout les oppose. Eleanor est blanche, fille de médecin; Eve est mulâtre, fille d’esclave. Elles sont l’ombre l’une de l’autre, soumises à un destin qu’aucune des deux n’a choisi. Dans leur vie, il y aura des murmures, des désirs interdits, des chemins de traverse. Tout près, surtout, il y aura la clameur d’une guerre où des hommes affrontent leurs frères sous deux bannières étoilées.
Plus loin, dans l’Alabama, des femmes passent leur vie à coudre. Elles assemblent des bouts de tissu, Pénélopes modernes qui attendent le retour des maris, des pères, des fils partis combattre. Leurs courtepointes sont à l’image des Etats-Unis : un ensemble de morceaux tenus par un fil – celui de la couture, celui de l’écriture.
Entre rêve et histoire, Dominique Fortier dépeint une Amérique de légende qui se déchire pour mieux s’inventer et pose avec force la question de la liberté.

Ce que j’en pense

C’est avec son troisième roman que je découvre la canadienne Dominique Fortier. Et autant l’avouer d’emblée, en refermant La Porte du ciel, j’ai bien envie de découvrir les deux précédents tant son style est envoûtant, tant sa façon de relater les événements est particulière, cherchant une symbolique, voire une poésie dans un monde d’abord régi par la violence et l’arbitraire.
Nous sommes au Sud des Etats-Unis au tournant des années 1860. Le commerce des esclaves bat son plein. Parmi la «marchandise» qui est échangée ce jour figure une jeune diablesse mulâtre dont plus personne ne veut et qui finit par échouer chez un médecin, parce qu’il imagine qu’elle sera un joli cadeau pour sa fille Eleanor. Une fois lavée, débarrassée de ses lentes et habillée, la jeune fille va finir par trouver sa place dans cette famille plutôt conciliante dans cette Louisiane ségrégationniste. Eleanor choisit de l’appeler Guenièvre, comme la princesse du livre qu’elle est en train de découvrir. Un prénom qui va vite être simplifié en Èvre puis, en Ève.
Le lecteur est invité à suivre les années qu’elles vont passer ensemble. Un peu comme les deux faces d’une même médaille, on les voit grandir dans un monde qui leur est hostile. Car le destin d’Eleanor, s’il est plus enviable que celui de son esclave, n’est guère plus libre. D’autant que, depuis la bataille du Fort Sumter en avril 1861, une guerre fratricide s’est engagée avec son lot de drames. C’est dans ce contexte que Michael, fils du propriétaire d’une grande plantation, demande la main de la jeune fille. « Nous avons été mariés le 15 mai 1864, trois semaines après mon dix-huitième anniversaire, alors que les magnolias embaumaient l’air dans le salon de la maison où j’avais grandi et que je laisserais moins d’une heure plus tard. J’avais du chagrin à l’idée de quitter la seule demeure que j’eusse jamais connue, mais on m’avait promis que je pourrais amener Ève avec moi, et que ma nouvelle maison serait plus grande et plus belle encore.»
Après quelques années plutôt paisibles, on bascule alors dans une période troublée : « La guerre avant de s’apaiser s’était démultipliée en luttes sans nombre. Partout le territoire était traversé de frontières où s’affrontaient le Nord et le Sud, larges déchirures dans le paysage où venaient s’engouffrer par dizaines de milliers des hommes dont certains étaient à peine sortis de l’enfance. »
Eleanor et Ève sont en quelque sorte des témoins privilégiés de ce monde qui bascule. On sent la première envieuse de s’émanciper, de goûter à d’autres émotions, on voit la seconde se risquer dans l’inconnu en prenant un matin la route vers son destin. Tout comme d’autres jeunes esclaves désormais affranchis. « Ce mot de « liberté » et ses frères – « égalité », « émancipation », « union » – étaient des osselets qu’on secoue dans sa main avant de les jeter par terre, où ils forment des amoncellements précaires. La bouche qui y mordait n’était point rassasiée; ils ne protégeaient ni de la pluie, ni du soleil, ni à plus forte raison du fouet ou de la guerre. »
Dominique Fortier fait davantage un travail de romancière et de sociologue que d’historienne en choisissant notamment d’agrémenter son récit de descriptions de courtepointes, ces quilts réalisés notamment à Gee’s Bend, qui racontent aussi à leur manière ce que furent ces années : « Ce n’était pas un pays en guerre, ni même deux pays dont l’un cherchait à se détacher de l’autre : c’étaient trente pays tenant ensemble par des liens plus ou moins lâches, qui tantôt se défaisaient et tantôt se renouaient, comme si les pièces d’une courtepointe tout à coup prenaient vie et s’avisaient de changer de place et de couleur, arrachant les coutures au passage, traînant derrière elles des bouts de fils inutiles. » Entre les prêtres qui défendent l’esclavagisme et l’arrivée du Ku Klux Klan, on se rend aussi compte que les mentalités ne vont pas changer aussi vite que peuvent le laisser croire la paix revenue. L’actualité venant du reste montrer combien les Noirs sont toujours en lutte. L’auteur pose du reste avec beaucoup d’à-propos la question suivante : «puisque nul traité de paix n’est venu marquer la fin de cette étrange guerre fratricide, comment prétendez-vous savoir qu’elle est bien finie ?»

Autres critiques
Babelio 
Jeune Afrique (Julie Gonnet)
Le Devoir (Danielle Laurin)
La Presse (Josée Lapointe)
Voir.ca (Venise Landry)
Blog Brèves littéraires 
Blog L’ourse bibliophile
Blog Un jour, un livre 
Blog BettieRose Books 


TV5 Monde – Entretien avec Caroline Laurent – Directrice littéraire aux éditions Les Escales

Extrait
« « Johnson, le docteur McCoy souhaite savoir combien il en coûterait pour cette petite sauvagesse que vous n’en finissez pas de pourchasser. »
L’homme dévisage le médecin, enlève son chapeau, se gratte le front où coulent de fines gouttelettes de sueur. Il a les yeux de la couleur de l’acier.
« Sauf votre respect, docteur, pourquoi vous encombrer de cette petite bonne à rien ? dit-il. Elle n’est pas assez forte pour travailler aux champs, et elle est trop jeune pour être utile à la cuisine. Ce n’est qu’une bouche à nourrir. Si vous cherchez de l’aide à la maison, vous devriez plutôt vous adresser à Mr. Allen. J’ai entendu dire qu’il attendait bientôt une demi-douzaine de nouveaux esclaves. » »

A propos de l’auteur
Dominique Fortier est née à Québec et vit aujourd’hui à Outremont (Montréal). Après un doctorat en littérature française à l’Université McGill, elle exerce notamment le métier de traductrice. Son premier roman, Du bon usage des étoiles (2008), a remporté le prix Gens de mer du festival Étonnants voyageurs de Saint-Malo. Elle a depuis publié Les Larmes de saint Laurent et, en compagnie de Nicolas Dickner, Révolutions. La Porte du ciel est son troisième roman. (Source : Éditions Les Escales)

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