Route One

MOUTOT_route_one coup_de_coeur

En deux mots
Hyrum Rock, propriétaire d’un immense ranch à Big Sur ne veut pas que la «California State Route One» empiète sur sa propriété. Il entend utiliser tous les moyens pour retarder le chantier géré par l’ingénieur Wilbur Tremblay qui doit non seulement se battre contre la topographie mais aussi la mafia.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

La route la plus difficile à construire

L’épopée constituée par la construction de la California State Route One donne à Michel Moutot l’occasion de nous offrir un nouveau formidable roman. Derrière cette page d’histoire, l’auteur de L’America retrouve des hommes ambitieux, la mafia, l’amour et la mort.

Disons-le d’emblée. C’est une fois encore une réussite totale, un gros coup de cœur. Après nous avoir enchanté avec Ciel d’acier, son premier roman qui racontait l’édification des gratte-ciels de New York, puis avoir récidivé avec Séquoias et L’America, le roman de l’émigration, de la Nouvelle-Orléans à la Californie, voici donc son quatrième roman américain. Il nous entraine cette fois au sortir de la Première Guerre mondiale, toujours sur la côte ouest.
Les premiers chapitres nous permettant de découvrir les personnages qui vont se croiser plus tard à des époques différentes de leur vie. Le premier à entrer en scène, en 1935, est Hyrum Rock, propriétaire d’un immense ranch à Big Sur. Il voit d’un mauvais œil les engins de chantier et l’avancée des travaux de la route côtière qui vient manger une partie des terres que son père fait prospérer.
On part ensuite dans le Maine vingt ans plus tôt. A St Clouds vit un orphelin, Wilbur Oak. Le garçon de huit ans découvre que son pensionnat est isolé à la suite d’intempéries qui ont détruit le pont qui les reliait à la ville. Il se promet alors de devenir un as du génie civil.
On remonte ensuite jusqu’en 1847, à l’époque des pionniers comme Samuel Brannan et Moses Rock. Missionné par les mormons pour trouver un endroit où leur église pourrait suivre ses préceptes sans être inquiétée, il crée New Hope avec une poignée d’hommes et de femmes. Cette terre vierge, situé à un confluent de rivières non loin de Monterrey, finira par convenir à Moses qui décide de ne pas suivre les colons qui partent pour Salt Lake City. Il entend profiter de l’espace qui est mis à sa disposition et laissera à son fils un domaine de vingt mille hectares au bord de l’océan. Et le secret de sa fortune.
Puis on retrouve Wilbur. Adopté par le couple Tremblay, il va pouvoir réaliser son rêve et devenir ingénieur civil. Une réussite que sa mère ne verra pas, emportée par un cancer. Son père, victime de la grande dépression, perd son emploi, sa maison et sera sauvé in extremis par son fils adoptif qui l’emmène avec lui au Nevada où l’attend son premier grand chantier, le barrage de Boulder près de Las Vegas. Les conditions de travail et le respect très approximatif de la législation et de la sécurité heurtent sa morale. Et comme son père, engagé comme croupier dans un casino, refuse de truquer les parties, il préfèrent fuir vers la côte.
C’est là, autour de Big Sur, que Wilbur Tremblay retrouvera du travail et se heurtera à Hyrum Rock. Sur la partie la plus difficile de cette California State Route One, il devra aussi composer avec les prisonniers de San Quentin, main-d’œuvre mise à disposition pour aider à la construction de la route en échange de 35 cents par jour et d’une réduction de peine ainsi que des hommes mandatés par le plus célèbre des détenus d’Alcatraz, Al Capone.
On l’aura compris, ce chantier focalise l’attention, les ambitions, les trafics. Mais offre aussi une voie vers la liberté, y compris pour les femmes vivant sous le joug de Hyrum Rock. Il donne aussi à Michel Moutot l’occasion de nous offrir un nouveau grand roman, plein de bruit et de fureur, de drames humains et de grandes avancées, de sentiments à fleur de peau. La fin de époque et l’émergence d’un Nouveau Monde, un tourbillon dans lequel on se laisse emporter avec énormément de plaisir, un peu comme si Alexandre Dumas avait croisé la route de John Steinbeck !

Route One
Michel Moutot
Éditions du Seuil
Roman
320 p., 20 €
EAN 9782021455670
Paru le 6/05/2022

Où?
Le roman est situé aux États-Unis, principalement en Californie, à San Francisco, Los Angeles, Monterey, Big Sur, New Hope. On y évoque aussi le Maine et St Clouds, New York et Salt Lake City.

Quand?
L’action se déroule de 1845 à 1937.

Ce qu’en dit l’éditeur
À l’aube du XXe siècle, des hommes intrépides bâtissent la mythique route One, balcon sur l’océan Pacifique qui longe la côte ouest des États-Unis, de la Californie du Sud aux confins du Canada. Mais le destin du jeune ingénieur chargé de tracer la voie sur ces terres sauvages va croiser celui du dernier grand propriétaire terrien de Big Sur, mormon polygame à la fortune mystérieuse, prêt à empêcher toute intrusion dans son domaine et préserver ses secrets.
La construction de la route One, c’est aussi la parabole de la fin d’un monde, poussé dans les oubliettes de l’Histoire par un autre. Le XXe siècle et ses machines rugissantes remplacent le XIXe siècle, la pelle mécanique chasse le grizzly. À l’autre bout de l’Amérique, la dernière route part à l’assaut des falaises du Pacifique et met le point final à la conquête de l’Ouest.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
goodbook.fr

Les premières pages du livre
« 1
Big Sur (Californie)
Mars 1935
Il entend la machine avant de la voir. Le souffle rauque d’une bête de fer et de charbon, toutes les trois secondes. Grincements de chenilles, grognements mécaniques, craquements de roches, volutes de fumée et de poussière au-dessus du canyon. L’écho du bulldozer se mêle à la rumeur du Pacifique, la couvre par moments. C’était donc vrai. Ces maudits ouvriers ne sont plus armés que de pelles, de pioches et de brouettes. Le monstre de métal qu’il a vu débarquer d’un navire à Anderson Landing et monter vers le chantier, comme un insecte géant écrasant tout sur son passage, est entré en action. Une pelle à vapeur. Hyrum Rock en a vu une à l’œuvre, l’an dernier, dans le port de San Francisco. Menace de fer et de feu, symbole du siècle nouveau, barbare mécanique, elle viole le paradis perdu de la côte sauvage. Son godet, au bout du bras articulé tendu de câbles, abat le travail de dix hommes. Il mord la terre brune, arrache le maquis, change le sentier muletier en piste où deux automobiles peuvent se croiser. Une cicatrice à flanc de montagne. « Ma montagne. Mes terres. Saloperie de route.»
Le rancher détend les rênes de sa jument, qui part au pas vers un bois de séquoias. Derrière lui, les sommets arides de la chaîne de montagnes Santa Lucia accrochent les nuages, dans un ciel céruléen. Un paysage de cyprès couchés par les vents du large, bosquets de pins Douglas dans les vallons, maquis impénétrable où les nuances de vert se marient au jaune des genêts, prairies salées par les embruns, sentiers millénaires des Indiens Esselen, ravins profonds où chantent des torrents, falaises sombres en à-pic sur les flots, chutes d’eau douce sur des plages de sable clair. Au loin, l’infini du Pacifique, son bleu cobalt, ses caps, ses récifs, ses îlots couverts d’oiseaux, ses forêts d’algues géantes, ses rouleaux couronnés d’écume, ses horizons mouvants où courent les tempêtes.
Quarante ans qu’il parcourt à cheval cette terre où il est né, où ses ancêtres mormons ont trouvé refuge, et jamais Hyrum Rock ne s’est lassé de sa majesté, de sa sauvagerie, de son incandescente beauté. Ce sentiment d’immensité, de fin du monde ; ce refuge où le continent s’achève, dernière piste à l’ouest de l’Ouest, où le temps semble s’être arrêté, où une Amérique éternelle se jette avec fracas dans l’océan, où ils ne viendront jamais les déloger.
Get up into the mountains, disait la prophétie, « Réfugiez-vous dans les montagnes ». Combien de fois l’a-t-il entendue, dans la bouche de son père, de sa grand-mère ?
D’une pression du mollet, il dirige sa monture vers la crête, à travers les touffes d’armoise odorante et de sarrasin sauvage. L’ombre portée, sur la végétation, d’un oiseau de proie lui fait lever la tête. Un condor de Californie plane en cercles concentriques. Il épie, lui aussi, les intrus qui profanent le silence et l’isolement de la côte la plus escarpée et la plus inaccessible de l’Ouest américain. « Il est descendu du pic Junipero Serra, se dit Hyrum en cherchant dans une fonte de selle sa lunette de marine. Il en reste quelques couples, là-haut. Des mois que je n’en avais pas vu. Il va falloir rentrer les veaux nés la semaine dernière. » Grossis douze fois, la tête rouge et le bec crochu sont tournés vers la côte et la rumeur du chantier. Le rancher baisse la longue-vue, la garde en main le temps d’arriver au sommet de la colline. Le cheval comprend qu’il ne faut pas s’engager dans la descente et s’arrête entre deux chênes à tan. Les voilà.
Ils n’ont pas tracé leur route, cette coast road de malheur que les spéculateurs et les milieux d’affaires de Monterey réclament depuis des lustres, en suivant les courbes des collines, arabesques de l’ancienne piste indienne. Ils ont tiré droit, au plus court, au plus violent, à flanc de montagne. À la dynamite. Les explosions et leurs champignons de poussière rythment les jours et se rapprochent des terres du ranch Rock. Son sigle, un double R dans un cercle de feu, sur les troncs, les barrières ou en travers des pistes, et la réputation de son propriétaire ont longtemps suffi à éloigner curieux, policiers, voleurs de bétail ou chercheurs d’or. Mais ceux-là sont d’une autre trempe, d’un autre temps. Ils arasent, bouchent, déboisent, éventrent, détruisent. Ils ont bâti un pont de béton monumental pour franchir le canyon de Bixby, dont le rancher pensait qu’il le protégerait à jamais des envahisseurs. Les actions en justice, les tempêtes d’hiver, glissements de terrain, éboulements, incidents mécaniques, accidents mortels, rios en crue les ralentissent mais ne les arrêtent pas. La grande crise économique les a immobilisés un temps au sud de Monterey, mais ils ont repris.
« Leur route est une balafre. Une cicatrice dans mon paysage. Mon ranch. Mon royaume. Mon grand-père n’avait pas choisi par hasard ces confins perdus de la côte californienne. Il fuyait les persécutions, les arrestations, les procès, la prison, la chasse aux mormons. Les Rock ont vécu heureux dans ce bout du monde pendant près d’un siècle, libres de conserver leurs coutumes, de pratiquer leur religion et la polygamie sans que quiconque vienne mettre son nez dans leurs affaires. Une visite du shérif, fatigué par deux jours de selle, tous les deux ou trois ans, un coup de gnôle, quelques billets et à la prochaine. Mais, avec cette route, Monterey et ses fonctionnaires, les lois californiennes et fédérales, les curieux, les journalistes et les spéculateurs ne seront plus qu’à quelques heures en automobile. Ils arrivent, ils nous rattrapent. »
Hyrum enlève son Stetson, le laisse pendre dans le dos par la jugulaire, s’essuie le visage d’un revers de manche, lève la lorgnette.
À mi-pente, cent mètres au-dessus des vagues qui roulent sur les rochers et lèvent un voile d’écume irisé par les rayons du soleil, l’engin semble en équilibre sur un chemin trop étroit. Un panache de fumée noire, deux jets de vapeur, et son bras, comme la trompe d’un éléphant d’acier, s’abat sur un monticule de terre meuble. Le godet se rétracte, s’emplit, la pelle tourne d’un quart de tour et lâche son contenu dans la pente, soulevant un nuage chassé vers le large. Les pierres plongent dans les vagues, soulèvent des gerbes blanches, les flots se teintent de brun. La pelle se retourne, attaque à nouveau la montagne. Le cavalier ajuste le réglage de sa lunette. Il tente d’apercevoir le conducteur de l’engin, dans la cabine marquée « Lorain, OH » en lettres rouges. Impossible, les vitres sont couvertes de poussière. Il distingue en revanche un homme en casquette, jodhpur et bottes de cuir lacées jusqu’aux genoux qui lève un bras et porte à sa bouche un sifflet, dont il entend l’écho. La bête mécanique s’immobilise. Elle entame une marche arrière, au claquement sec de ses chenilles, dévoile un rocher de la taille d’une automobile, en pierre sombre, posé en travers de la voie. Trois ouvriers approchent, poussant une charrette sur laquelle fume et crache une machine plus petite. L’un d’eux saisit les poignées du marteau-piqueur, le pose contre la roche. Hyrum voit l’homme tressauter au rythme de l’engin, dans un nuage de vapeur et de poussière. Il reconnaît le bruit sec et saccadé qu’il a déjà entendu, porté par le vent, depuis ses pâturages de Garrapata Creek. Il descend de son cheval, l’attache à une branche, relève la lunette. Dix minutes plus tard, la charrette recule. Un homme s’agenouille sur le trou, y glisse deux bâtons de dynamite, s’éloigne à reculons, tirant un fil entre ses jambes. Il le tend à l’homme aux bottes de cuir qui l’introduit dans un boîtier, soulève une manette. Ils se mettent à couvert derrière la pelle à vapeur. L’explosion projette le rocher dans le précipice, avec la force du Cyclope tentant d’écraser la galère d’Ulysse. Son écho rebondit sur les parois du canyon, le champignon de poussière monte et s’étire vers l’océan.
« Ils sont là, se dit Hyrum. Les amis à Monterey, mes contacts à San Luis Obispo, les recours des avocats ne les arrêteront pas. Il va falloir passer à autre chose. »

2
St Cloud’s (Maine)
Avril 1915
Ici à St Cloud’s, bourgade forestière fondée dans une vallée encaissée du Maine par des bûcherons québécois au milieu du XIXe siècle, les charpentiers savent qu’avant d’attaquer les chantiers estivaux ils doivent au printemps reconstruire les ponts de rondins victimes de la débâcle et de ses crues. Tous ne sont pas emportés, mais ils doivent être au mieux vérifiés et consolidés, au pire démontés et rebâtis avec des troncs plus gros, en sachant que tout sera certainement à refaire l’année suivante.
Ici, pas de métal ou de béton armé, pas d’asphalte et de peinture, de panneaux de signalisation, comme sur les routes de la côte. Dans le centre du Maine, les pistes sont en terre, les communautés rustiques et les structures en rondins.
Après les deux ouvrages aux entrée et sortie du bourg, le pont le plus important, et le plus surveillé, est celui menant à l’orphelinat. Isolé sur sa colline, l’établissement du Dr Larch en dépend pour son ravitaillement. Et c’est au changement du régime alimentaire que les pensionnaires comprirent, malgré les dénégations maladroites des infirmières, que les travaux de renforcement de l’été n’avaient pas suffi et que le pont avait cédé.
– Des lentilles pour la troisième fois de la semaine et du pain dur comme du bois, moi je vous dis qu’il n’y a plus de pont, a lancé un grand. Vous vous souvenez des pluies de la semaine dernière ? Trois jours de déluge ? Il a été emporté, c’est sûr. On est coincés ici comme sur une île. Demain matin, on se lève tôt et on va voir. Qui est partant ? Pas toi, Wil. Tu es trop petit.
Mais Wilbur Oak, huit ans, s’est réveillé au chant du coq, a enfilé ses brodequins et suivi, sans demander leur avis, les trois garçons qui filaient en douce par la buanderie.
– D’ac’, Willie. Mais si tu nous ralentis ou si tu te plains du froid, on te laisse sur place.
– Promis, j’aurai pas froid.
Ils passent par le jardin, rasent le mur du potager, sortent par la porte de bois vermoulu dont un gond a cédé depuis longtemps, courent en gloussant dans la prairie mouillée jusqu’à l’orée de la forêt de chênes. Le grand marche d’un bon pas. Son allure rassure les autres, qui peinent à le suivre mais pensent qu’il sait où il va, ce qui est loin d’être le cas. Par chance, ils aperçoivent la piste en contrebas. Ils se cachent derrière des troncs au passage de deux cavaliers (un adjoint du shérif et le maire de St Cloud’s, que les orphelins ne connaissent pas), puis descendent sur la route et les suivent en trottinant à bonne distance. Ils les voient rejoindre un groupe d’hommes, debout mains sur les hanches devant le torrent en crue. Les enfants s’accroupissent derrière des buissons.
– J’avais raison, dit le grand.
Les flots bouillonnants, marron chocolat, ont emporté trois des quatre troncs de sapin qui formaient l’armature du pont. Le dernier résiste encore, en travers du courant. Plus pour longtemps. Des planches ont été cassées, d’autres projetées sur les rochers en contrebas. Les berges, dévorées par les eaux chargées de branches et de pierres, ont reculé de deux mètres. Un homme se gratte la tête, un autre jette dans les flots une branche qui disparaît dans les remous.
– Il faut me réparer ça, et vite, dit le maire. Il y a quarante gamins à nourrir, de l’autre côté.
– Impossible. Pas avant qu’il ne regagne son lit, dit un géant en bottes de pêche. Et avec cette pluie… Bon, je vais prévenir Bangor. Avec un orphelinat coupé du monde, ils devront bien envoyer une équipe, cette fois. Pas comme l’an dernier.
Les garçons reculent à quatre pattes, se relèvent et partent en courant. L’un d’eux se retourne, voit le petit Wilbur trébucher sur une racine, se rattraper à un tronc. Il tend la main.
– Viens.
Une fine pluie de printemps les accueille comme ils repassent la porte du jardin. Une cuisinière les aperçoit par une fenêtre ouverte.
– D’où venez-vous, chenapans ? Dépêchez-vous, au réfectoire. Et lavez-vous les mains.
Le lendemain, le Dr Larch réunit garçons et filles, avant le dîner, dans la salle de l’entrée, monte trois marches du grand escalier et leur annonce ce que tous savaient déjà : la route est coupée, des restrictions sont au programme mais il ne faut pas s’inquiéter. Des volontaires vont apporter des provisions par la montagne, à dos de mulet, et tout rentrera bientôt dans l’ordre.
– Nous aurons toujours de quoi manger, même s’il y aura peut-être plus de patates qu’à l’accoutumée. Et le pont va être reconstruit sous peu.
Les jours suivants, le beau temps revenu, les orphelins sont conduits à tour de rôle, en fin d’après-midi, aux abords du chantier où s’activent une dizaine d’ouvriers. Un GMC à ridelles, premier camion à parcourir cette route habituée aux charrettes, apporte deux poutres métalliques peintes en rouge qui sont posées au-dessus du ruisseau assagi grâce à des cordes et des poulies fixées à un sapin. Puis des traverses de bois fraîchement coupées sont assemblées, suivies d’épaisses planches de chêne. En quatre jours, un pont moderne et en apparence indestructible a remplacé le vieil ouvrage en rondins.
Wilbur ne quitte pas des yeux l’homme à casquette noire qui dirige les travaux, donne les consignes aux ouvriers et accueille, tout sourire, les visiteurs. Il avance à grands pas jusqu’au milieu du pont, fait signe au Dr Larch de l’y rejoindre, lui serre longuement la main.
– Qui est ce monsieur ? demande Wilbur à l’infirmière Angela.
– C’est l’ingénieur. Il a dessiné le pont. C’est grâce à lui que Marie va pouvoir nous faire son gâteau au chocolat, demain, pour l’anniversaire du docteur.
« Il nous a sauvés », pense le garçon.

3
New Hope (Californie)
Novembre 1847
Un doigt tremblant trempé dans le goudron a tracé « New Hope » (« Nouvel Espoir ») sur la pancarte, deux croûtes de bois clouées sur un poteau mal équarri. Et l’espoir, il faut l’avoir chevillé au corps pour voir dans ces cabanes de rondins, cette grange en construction et cet atelier de ferronnier inachevé, perdus entre les arbres, la Nouvelle Jérusalem.
C’est pourtant ce qu’espèrent édifier une vingtaine de colons, en cet automne 1847, au confluent du fleuve San Joaquin et de la rivière Stanislaus, dans la vallée centrale de la Californie.
Arrivés il y a plus d’un an à bord d’un trois-mâts parti de New York, ce sont des mormons de la côte Est. Menés par Samuel Brannan, jeune homme charismatique désigné par les dirigeants de l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours pour partir à la recherche de la Terre promise sur la côte californienne, ces soixante-dix hommes, soixante-huit femmes et une centaine d’enfants, quand ils débarquent dans la baie de San Francisco, y trouvent un village assoupi où un millier de peones ne parlent qu’espagnol. Plus vraiment le Mexique, qui vient de perdre ces terres dans une guerre avec son voisin du Nord ; pas encore les États-Unis, qui n’accepteront cet État dans leur Union que trois ans plus tard.
C’est dans ce pays de cocagne, fertile et peu peuplé, qu’ils vont, leur répète Brannan, jeter les bases de « la nouvelle Sion », cité idéale où les autres mormons vont bientôt les rejoindre.
En butte aux brimades, à l’hostilité de leurs voisins et même aux massacres (le fondateur de la communauté Joseph Smith et son frère ont été lynchés par une foule en colère trois ans plus tôt), les mormons quittent l’Ohio et l’Illinois, où ils étaient établis. En longs convois bâchés, ils « fuient Babylone » et prennent la route de l’Ouest à travers les Grandes Plaines.
– Ils arrivent, ils seront bientôt là ! clame Sam Brannan. Il faut bâtir des maisons, des granges, des étables, l’ébauche d’une ville, planifier son extension, préparer leur arrivée. Nous sommes l’avant-garde d’un monde nouveau, les éclaireurs du Ciel. Nous entrons dans l’histoire de notre Église. Nos noms seront célébrés, nos louanges chantées par les prochaines générations ! Courage ! Alléluia !
Brannan ne pousse toutefois pas le zèle missionnaire jusqu’à s’installer à New Hope, emplacement qu’il a choisi, à une journée de bateau de San Francisco, sur une rive du fleuve San Joaquin. Il a préféré bâtir, sur la baie, une maison confortable où il a installé la presse Franklyn apportée en caisse de la côte Est dans les soutes du trois-mâts. Il imprime le California Star, premier journal de l’État, ouvre bientôt un general store, une banque. Son attitude, sa condescendance, sa propension à donner des ordres et à prendre les décisions importantes sans concertation passent mal auprès de certains membres de la communauté.
Parmi eux, le plus méfiant est Moses Rock. Récemment converti au mormonisme, ce fils d’une famille de bûcherons du Vermont a vu quand il avait douze ans son père perdre sa scierie dans une escroquerie montée par un oncle. Il a appris la ferronnerie chez un maréchal-ferrant dans le Connecticut, la charpente dans le New Hampshire et n’a pas hésité quand, docker à New York, il a entendu parler d’une expédition montée par les mormons à destination de la côte Ouest, ce nouveau monde où, dit-on, la fortune attend les jeunes gens courageux et travailleurs.
Ce solide garçon de vingt-six ans aux favoris roux, legs d’ancêtres irlandais ayant traversé l’Atlantique à la fin du XVIIIe siècle, a commencé à avoir des doutes quand, pendant la traversée, Brannan a proposé « Sam Brannan & Company » comme nom de leur société coopérative. « S’il faut travailler trois ans et mettre tous les profits dans une structure, je ne vois pas pourquoi elle ne s’appellerait pas plutôt Pionniers de la côte Ouest ou Saints du Nouveau Monde », avait-il proposé. Mais Brannan avait refusé, rappelant que son rang de patron de l’expédition maritime autour des Amériques avait été confirmé par le chef de l’Église lui-même, Brigham Young. Cela lui avait conféré, pendant les six mois de cet éprouvant voyage, le privilège d’avoir une cabine et de prendre ses repas à la table du capitaine, quand le reste de l’expédition se contentait de couchettes puantes, de pommes de terre, de harengs trop salés et d’eau croupie. Après l’arrivée en Terre promise, Moses n’avait pas apprécié non plus que Brannan choisisse, sans consultation, ce confluent de rivières éloigné de tout pour y édifier New Hope.
Il s’était toutefois mis au travail. Ils avaient abattu des arbres, bâti une scierie, un moulin, construit des bâtiments, retourné la terre, édifié ponts et pontons, ouvert une ligne de bac sur la rivière Stanislaus, dans ce coin perdu, dévorés par des moustiques gros comme des mouches, mal nourris, affaiblis par la malaria, espionnés par des Indiens hostiles, jalousés par des voisins moins bien équipés. Brannan leur rendait parfois visite, remontant la rivière à la barre de son navire à fond plat, le Comet, acheté avec l’argent de la communauté. Mais il restait installé dans sa maison de San Francisco, à diriger son journal et à faire des affaires. Déjà notable dans une ville qui en comptait peu. Bâtir la Nouvelle Sion, préparer l’arrivée de la communauté, installer l’avant-garde d’un monde nouveau… Son but semblait plutôt de faire fortune le plus vite possible. Décidément, Moses n’aimait pas ce Brannan. Un affairiste, un aventurier, un beau parleur. Certains disaient, à bord du trois-mâts, qu’il avait été exclu de l’Église mormone pour malversations, puis réintégré et promu chef de la communauté new-yorkaise dans des circonstances douteuses. « J’aurais peut-être dû rejoindre nos frères dans l’Ohio et tenter la traversée du continent par les pistes », pensait Moses. Mais l’hostilité des habitants du Midwest envers les Saints, que Moses, pour n’en avoir pas souffert, s’expliquait mal, l’en avait dissuadé. « Land of the free, “Terre des hommes libres”, chantent les paroles de l’hymne américain – tu parles. Pas pour nous, les mormons. Ou alors il va falloir la trouver, toujours plus à l’ouest, cette terre. »
Il avait préféré payer son passage à bord du Brooklyn. Il avait enduré les rigueurs du voyage puis, arrivant dans la baie, avait hésité à suivre la consigne de Brannan et à remonter le fleuve pour travailler à la fondation de la colonie. Il aurait peut-être dû rester à San Francisco, mouillage idéal pour toutes sortes de navires, où ses talents de charpentier auraient facilement trouvé à s’employer. Il y pensait encore quand Brannan, l’air sombre, est un jour venu leur annoncer ce que tous redoutaient : le Quorum des Douze Apôtres, instance dirigeante de l’Église, avait pris sa décision. C’était dans l’Utah, sur les rives du Grand Lac Salé, où leur caravane était arrivée, qu’ils allaient édifier leur cité idéale. Les milliers de Saints en route vers l’Ouest allaient interrompre leur longue marche à travers le continent au pied des montagnes Rocheuses, loin des rives du Pacifique.
– Ne perdez pas espoir, mes frères ! Rien n’est perdu. Je vais retourner voir Brigham Young. Je peux le convaincre…
– Tu t’es assez moqué de nous, Samuel Brannan! tonne Moses Rock. Je ne reste pas une heure de plus sur ces terres de misère. Le champ que j’ai déboisé et labouré est sous un mètre d’eau, et rien ne garantit qu’entre ces deux rivières il n’y a pas deux crues par an. Tu vas me rembourser mes parts dans la compagnie et tu n’entendras plus parler de moi. J’en ai soupé, de votre Sion et de la marche des Saints.
– Tu t’es engagé par contrat sur trois ans, Moses. Devant Dieu. Il m’est impossible de te rembourser avant cette date.
– C’est bien ce que je pensais. Tu vas répondre de tes actes devant la justice, Samuel Brannan. Il doit y avoir un tribunal, à San Francisco, maintenant que le drapeau américain flotte sur la ville.
Le lendemain, les colons de New Hope chargent sur des chariots leurs outils et leurs ballots et abandonnent leurs cabanes, destination Salt Lake City. Mais Moses Rock ne se joint pas à eux. Ses deux femmes, cousines de vingt et vingt-deux ans épousées dans l’Est selon le rite mormon avant le départ, ont embarqué à New York et devraient arriver à San Francisco dans trois ou quatre mois. « J’y trouverai bien du travail, en les attendant, se dit-il. Je peux tout faire : charpentier, bûcheron, ferronnier, maréchal-ferrant. Et quand elles seront là, grâce aux cinq pièces d’or que m’a confiées mon père sur son lit de mort, cousues dans la doublure de ma veste, nous achèterons un morceau de ce bout du monde que personne ne semble gouverner et bâtirons un ranch. C’était une erreur de s’installer dans cette vallée. Les terres y sont fertiles, mais nous sommes vulnérables. Les colons vont y venir chaque jour plus nombreux. Notre religion, nos coutumes, notre culture mormones n’y seront pas respectées, comme ce fut toujours le cas dans l’Est. Il faudra encore se battre ou fuir. Se battre puis fuir. »
Il sort de son portefeuille de cuir grossier une feuille de papier jauni pliée en quatre sur laquelle, trois ans plus tôt, il avait recopié le passage d’un prêche du fondateur de l’Église, Joseph Smith, lu par l’un des Apôtres lors d’un sermon à Boston : Get up into the mountains, where the Devil cannot dig us out, « Réfugions-nous dans les montagnes, d’où le Diable ne pourra pas nous chasser ».

4
Monterey (Californie)
Avril 1848
Assis sur une poutre, sur le toit en construction du fort d’adobe et de pierres que l’US Navy fait agrandir à Monterey, Moses Rock regarde le Pacifique. Si ses eaux sont d’un bleu si sombre, lui a expliqué un charpentier mexicain, c’est parce que la baie est une fosse sous-marine, un abîme dont personne ne connaît la profondeur, plus profond que tous les fils plombés mis bout à bout. Moses aperçoit, entre les vagues aux crêtes ourlées d’écume, le souffle de plusieurs cétacés. La queue d’une baleine émerge, décrit avec une merveilleuse lenteur un demi-cercle parfait, disparaît dans les flots. Le golfe en forme de croissant de lune est une étape dans leur migration vers les eaux froides de l’Alaska. Elles y sont les proies de chasseurs venus du Portugal qui les poursuivent à la rame, les harponnent, les ramènent sur la grève, les découpent et font bouillir leur graisse, changée en huile qui sera vendue à prix d’or. L’odeur âcre et doucereuse des fumées monte, par vent d’ouest, jusqu’à la pension où Moses loue une chambre à la semaine, sur Washington Street.
Il profite d’une pause, le temps pour les apprentis d’apporter des chevrons, pour scruter l’horizon. Trois barques de pêcheurs japonais, installés en Californie au début du siècle, passent au ras des récifs. Une autre s’amarre à un ponton. Deux adolescents en chapeau de paille conique déchargent des paniers dégoulinants, pleins d’ormeaux et de poissons. Des loutres jouent à cache-cache dans les forêts sous-marines de varech géant. La Half Moon Bay, baie de la Demi-Lune, est surmontée d’un amphithéâtre de collines couvertes de pins qui dévalent vers des plages de sable clair et des rochers luisants d’algues découvertes par la marée. C’est là, au sud de la Porte d’Or qui marque l’entrée de la baie de San Francisco, que les conquistadores ont établi leur premier port et bâti une mission. Monterey était la capitale de la Californie mexicaine, jusqu’à ce que le Mexique soit contraint par les armes à céder ces immensités à Washington, avec bien d’autres territoires de l’Ouest. Aujourd’hui personne ne sait à qui appartient cette terre. « Mais la cavalerie des États-Unis est là, elle nous paie en dollars pour agrandir le Presidio, la bannière étoilée flotte sur la capitainerie, cela suffit pour savoir qui commande, pense Moses. Un juge venu de Boston dirige le tribunal et le contremaître m’a parlé d’un bureau d’enregistrement des terres, à deux rues d’ici, qui délivre des titres de propriété porteurs du cachet State of California. Tous ici pensent qu’il sera bientôt remplacé par un tampon United States of America, avec son aigle aux ailes déployées. »
Moses aperçoit sur l’horizon les voiles d’un trois-mâts cinglant vers le nord. Un clipper anglais a fait escale à Monterey, il y a quelques jours, plein de Chiliens et de Péruviens qui n’avaient qu’un mot à la bouche : oro. Ils sont repartis pour San Francisco comme s’ils avaient le diable aux trousses. La rumeur de la découverte de gisements fabuleux dans la Sierra Nevada, de trésors brillant dans le lit des rivières, de fortunes instantanées, a enflammé la ville et la région le mois dernier. Le chantier a failli s’arrêter, faute d’ouvriers. Les hommes ont pris la route des montagnes, des pépites dans les yeux, l’espoir au cœur, avec tous les professeurs de l’école, la moitié de la garnison du fort et des marins du port.
Mais s’il y en a un que la fièvre de l’or ne contaminera pas, c’est Moses Rock. Lui, ce qu’il veut, ce sont des terres. Les voir envahies par des hordes de prospecteurs venus de Bolivie ou de plus loin encore – il paraît que des bateaux sont en route depuis la côte Est, et même d’Europe – serait un cauchemar. Ils montent vers le nord, la sierra. Il va chercher au sud. S’éloigner de la civilisation. Dans ces terres vierges, pas d’interdiction du culte mormon, pas de lois contre la polygamie, personne pour mettre son nez dans votre chambre à coucher et vous dire comment vous devez vivre, ce que doit être une famille. La seule chose qui importe, c’est de savoir quand accostera le Sea Witch. C’est à bord de ce navire qu’Irene et Laurie ont embarqué à New York, à la fin de l’été. C’est ce qu’elles lui ont écrit dans la lettre confiée à l’équipage d’un bateau parti un mois avant elles. Elles devraient être arrivées à San Francisco depuis plusieurs semaines. Le franchissement de ce Cap Horn peut être un enfer. On ne compte plus les naufrages. Ils n’ont été mariés qu’un an avec Irene, trois mois avec Laurie, des unions arrangées par l’Église mormone à Brooklyn, avant son départ pour la côte Ouest. Il n’avait pas assez d’argent pour payer leur passage. Quelle erreur ! S’il avait emprunté le prix de leurs billets à la communauté, comme d’autres l’ont fait, ils auraient bien trouvé le moyen de rembourser, et aujourd’hui ils seraient ensemble en Californie. Il faut aller aux nouvelles, à la capitainerie. « Sea Witch, Sorcière des Mers, espérons que ce nom ridicule ne va pas leur porter malheur. »
Le lendemain, Moses boit une bière au comptoir de la cantina Adrias, sur la place centrale de Monterey, quand arrive un convoi de mules chargées de fagots d’écorces de chêne, mené par un petit homme replet, bottes crottées et machette à la ceinture, coiffé d’un sombrero à moitié déchiré.
– ¡ Madre de Dios ! Deux jours pour franchir le canyon de Bixby… Une bête a dérapé sur une falaise et est tombée dans l’océan. Si je ne les avais pas détachées, elles y passaient toutes. Je ne sais pas si je vais continuer, dit-il au barman, dans un mélange d’anglais et d’espagnol.
– Tout ça pour rapporter du bois ?
– Ce n’est pas du bois, hombre, c’est de l’écorce à tan. Sais-tu combien les tanneries de San Francisco paient pour cette cargaison ? Au moins douze dollars. Ils les font tremper dans l’eau et s’en servent pour traiter les peaux, en faire du cuir bien souple. Mais là, avec la perte d’une mule, j’ai travaillé pour rien. Une semaine, dans ces fichues montagnes, sans voir âme qui vive, pour ne pas gagner un rond…
Moses s’approche. Contre une tequila, l’homme lui décrit la région baptisée Big Sur. « Le Grand Sud », dans un mélange d’anglais et d’espagnol. Une contrée à peine explorée, qui commence à une vingtaine de kilomètres de la ville, aux premiers contreforts des monts Santa Lucia et s’étend sur une cinquantaine de kilomètres de côte, la plus sauvage et la plus escarpée de Californie. Après une forêt d’eucalyptus, la piste carrossable s’arrête, remplacée par un sentier muletier tracé à flanc de montagne. Les deux premières rivières se traversent à gué ou sur des ponts de rondins, quand ils n’ont pas été emportés par les crues de printemps, mais la troisième, la Bixby Creek, est trop large. Il faut la contourner en suivant une piste qui monte en lacets pendant des heures, puis redescend de l’autre côté dans une pente à effrayer les bêtes.
– Et quand tu arrives à Granite Creek, il faut à nouveau passer par la montagne, jusqu’à la Big Sur River. C’est là que poussent les chênes à tan, dit l’homme.
– Ils appartiennent à quelqu’un, ces arbres ?
– Tu rigoles ! Personne ne vit là-bas. Et je doute que quelqu’un soit assez fou pour s’y installer un jour. Tu croises davantage de grizzlis et de lions des montagnes que d’humains. C’est pour ça que je vais aussi loin. Les écorces appartiennent à celui qui a le courage d’aller les chercher. En été, la brume monte de l’océan presque chaque jour, plus épaisse que le pire des brouillards. Tu peux perdre de vue la mule qui marche devant toi. En hiver les tempêtes sont terribles, des vents à ne pas pouvoir rester debout, des vagues à déchiqueter les navires, et au printemps des rios en crue difficiles à franchir. Par beau temps, c’est le plus beau pays du monde. Mais c’est rare.
– Il y a des ranchs, des fermes ?
– Tu veux rire… Des forêts à perte de vue, des vallées et des collines qui pourraient faire de bons pâturages, mais c’est si loin de tout. Pourquoi se fatiguer à bâtir une maison dans ce bout du monde, où il faudrait tout apporter à dos de mulet ?
– Si je veux y aller, il y a quelque part où dormir ?
– Entre ici et San Simeon, il y a quelques cabanes de bûcherons et le Rancho del Sur, sur la rivière. Il appartient à un capitaine nommé Cooper, qui a fait fortune en vendant des peaux de loutres en Chine, à ce qu’on raconte. Comme je ne suis pas sûr qu’il apprécie mes petites récoltes d’écorce, et que je ne connais pas bien les limites de son ranch, je n’en approche pas. Mais qu’est-ce que tu peux aller chercher dans ce coin perdu, gringo ? C’est plus isolé qu’une île, Big Sur… Et si c’est l’or qui t’intéresse, à ce qu’on dit il y en a dans la Sierra Nevada, et c’est beaucoup plus près. Moi-même, d’ailleurs…

Une semaine plus tard, la charpente terminée, Moses prévient le couvreur, qui ne le croit pas, qu’il sera absent trois jours. Non, pas pour chercher de l’or.
– Promis, je suis de retour dimanche… Trois dollars de prime si je suis là lundi matin ? Bien sûr, je prends. Merci.
Il loue un mulet, achète des boîtes de haricots et du poisson séché, une couverture, un chapeau de feutre et des cartouches à fusil.
Il croise les dernières carrioles près du pont sur la rivière Carmel, au sud de la ville. La piste rétrécit, serpente entre les pins, puis descend sur une plage d’un blanc étincelant qu’elle longe pendant plusieurs kilomètres avant de remonter à travers des collines boisées. Plus une trace de roue. Du crottin de mule dont l’odeur se mêle à des senteurs marines, d’embruns, des parfums de résine, de thym et de fleurs sauvages. Moses descend de sa monture et marche à ses côtés. Arrivé au sommet d’un petit mont, il embrasse du regard une côte découpée, des rochers sombres où s’accrochent des cyprès torturés par les vents du large, des successions d’îlots et de récifs sur lesquels se brisent, dans des gerbes d’écume, les vagues du Pacifique. Les rayons du soleil, à travers les milliards de particules dorées, nimbe le paysage d’une lumière irréelle. Plus loin, il devine des alignements de falaises, successions de montagnes couvertes de forêts de pins et de séquoias. Par endroits, là où s’engouffre la furie des tempêtes océanes, des prairies sont piquetées d’arbustes nains, comme plaqués au sol par la main d’un géant. Pas une maison, une cabane, une fumée, une piste, une construction. Aucune trace humaine. La côte du Nouveau Monde comme ont dû l’apercevoir, du pont de leurs caravelles, les premiers explorateurs anglais et espagnols. Le sommet le plus haut, sur l’horizon, est couronné d’un blanc étincelant. « Le Pico Blanco dont m’a parlé le Mexicain, se dit Moses. Ce n’est pas de la neige mais un calcaire très blanc. Il doit être possible de l’exploiter, d’en faire de la chaux. Pas question de faire passer une route, et tant mieux, mais c’est bien le diable s’il n’y a pas, sur la côte, une crique où bâtir un ponton d’embarquement. Moins de deux jours de navigation jusqu’à la baie de San Francisco, ça pourrait marcher. Je connais le marchand de matériaux qui achèterait la chaux à bon prix. »
Deux heures plus tard, la piste disparaît dans un bois de cyprès. Moses revient sur ses pas, cherche l’embranchement qu’il aurait pu rater, ne le trouve pas. Un grognement sourd lui fait lever la tête, le mulet brait de peur. Il aperçoit, entre les arbres, le dos d’un ours qui s’éloigne à quatre pattes. Moses casse son fusil, glisse deux cartouches dans le canon, le remet à l’épaule. À pied, tenant sa monture tremblante par la bride, il descend à travers des fourrés vers la grève. « J’aurais dû prendre une machette. » Une rivière coule en contrebas, entre rochers ronds, roseaux et langues de terre claire. Elle est étroite, semble peu profonde et traversable à gué. Plus loin, son embouchure dessine une lagune, des bras d’eau stagnante séparés par les arabesques de bancs de sable où s’assemblent des oiseaux de mer. Entre troncs d’arbres et amas de bois flotté, le regard de Moses est attiré par des formes brunes. L’une d’elles bouge, s’ébroue dans un ronflement rauque. Des éléphants de mer. Ils sont une dizaine, dont un énorme avec une trompe qui, de ses nageoires, projette sur son dos du sable pour se protéger des rayons du soleil. Plus loin, sur une dune de sable sombre, une colonie de phoques gris. Deux d’entre eux font la course pour retourner à l’océan. Ils plongent dans une vague et jouent à se poursuivre dans les buissons d’algues géantes.
Moses descend sur la berge, trouve l’endroit où traverser. Il laisse boire sa monture, goûte dans le creux de sa main l’eau de la rivière, remplit sa gourde. Il monte sur le mulet qui entre sans rechigner dans le courant. Sur l’autre rive, il oblique en direction de la plage. La colonie de phoques s’éloigne en sautillant à la vue de l’intrus, les éléphants de mer ne bougent pas d’un pouce, immobiles comme des rochers. « Pas étonnant qu’ils aient été décimés, au début du siècle, par les bandes de chasseurs descendus de Sibérie, pense Moses. Jolie collection de fourrures. »
Un sentier serpente en remontant entre les massifs de pieds de sorcière, les lupins, touffes d’armoise, broussailles à fleurs jaunes et bleues. Il mène à un vallon creusé par un torrent qui chante entre les rochers avant de tomber en cascade dans l’océan. L’homme et sa monture cheminent plus d’une heure à flanc de colline, en direction d’une forêt de séquoias qui se dresse dans un repli, à mi-pente, comme les colonnes d’un temple naturel. Moses pénètre dans l’ombre odorante des géants. Il pose la main sur leur écorce douce et spongieuse, lève la tête vers les sommets, trente ou quarante mètres plus haut, d’où s’envolent des chants d’oiseaux. Deux écureuils se poursuivent, volent de branche en branche en poussant des cris stridents. Silencieux sur le tapis d’aiguilles, un chevreuil et son petit paraissent derrière un buisson. Le mulet souffle des nasaux, les bêtes tournent la tête, frissonnent et disparaissent en trois bonds. Moses épaule le fusil, ne tire pas. « La prochaine fois, il me faudra être plus rapide, se dit-il. J’aimerais retourner à Monterey avec du gibier à offrir à ma logeuse. »
Il marche à pas lents entre les séquoias, cherche le plus haut, le plus large, s’adosse à son tronc, mange du pain et du lard fumé. La lumière se teinte d’orange, des nuées d’insectes brillent entre les arbres, une odeur d’humus et de champignons monte du sol. Il est temps de chercher un endroit où bivouaquer. Il remonte en selle, sort de la forêt en direction d’un chaos rocheux. Le soleil descend sur l’océan. Il va bientôt plonger derrière l’horizon, teinte de rouge et d’or un paysage comme Moses n’en a jamais vu. Il repère, au loin, un rocher plat qui forme un auvent au-dessus d’une crique. En dessous, les traces d’un foyer, des pierres posées en cercle autour d’une table naturelle. Il ramasse du bois sec au moment où les derniers rayons enflamment le ciel. Un briquet de silex, le feu crépite, mêle aux étoiles ses bouquets de lucioles rougeoyantes. La lune se lève, fait scintiller l’écume des longs rouleaux du Pacifique, éclaire les prairies, découpe les forêts, pare d’argent les sommets désertiques, dessine dans l’indigo du ciel une ligne de crête infinie. »

Extrait
« L’homme, qu’ils ne connaissent que par son prénom, Luigi, leur explique qu’un important chantier est en cours sur la côte, au sud: la construction à flanc de montagne d’une route qui reliera bientôt San Francisco à Los Angeles. Les travaux ont commencé il y a plus de dix ans, et là, ils sont dans le plus difficile.
— Big Sur, une région escarpée, de falaises et de forêts, après Monterey, je ne sais pas si ça vous dit quelque chose, si vous avez déjà regardé une carte, paesani ignorants. Ce coin est isolé, loin de tout. Les ouvriers doivent dormir sur place, dans des camps de travail qui bougent avec la route. Les gars ne rentrent chez eux qu’une fois par mois, parfois moins. D’autres vivent carrément sur place, avec femmes et enfants. Mais comme ils n’ont pas assez de main-d’œuvre, l’État de Californie a passé une loi pour employer des prisonniers. Voilà, vous commencez à comprendre. Une centaine de gars de San Quentin y travaillent, logés dans un camp, surveillés par des gardiens. L’organisation est parvenue à glisser cinq ou six hommes à nous dans le lot. Des Irlandais et un Français. Tous les volontaires avec des noms italiens ont été refusés, même quand ils ne faisaient pas partie de Cosa Nostra, mais nous savons nous faire des amis, ou des obligés. Et voilà où ça vous concerne: les détenus et les ouvriers libres logent dans deux camps différents, mais bossent ensemble toute la journée. Nous avons besoin de faire la liaison avec nos gars. Pour l’instant, ça ne rapporte pas grand-chose, mais les chefs pensent que ce chantier pourrait devenir rentable. Ils utilisent beaucoup de dynamite, des stocks rapportés de la guerre mondiale en Europe il y a vingt ans. Ce ne serait pas mal de mettre un peu la main dessus. D’autant que la construction des structures en béton du Golden Gate va bientôt être achevée, et que nous ne parvenons pas à mettre un pied dans le montage de l’acier, avec leurs putains de syndicats qui surveillent tout et refusent nos propositions. Ces gars ne sont pas faciles à menacer. Alors, les capi vous ont choisis pour vous faire engager sur ce chantier. C’est la société Pollock, de Sacramento, qui gère le truc ils ont un bureau ici. Trente-cinq dollars la semaine, nourris, logés. » p. 134

À propos de l’auteur
MOUTOT_michel_©DR_Ouest-FranceMichel Moutot © Photo DR – Ouest-France

Michel Moutot est reporter à l’Agence France-Presse, spécialiste des questions de terrorisme international. Lauréat du prix Albert-Londres en 1999, correspondant à New York en 2001, il a reçu le prix Louis-Hachette pour sa couverture des attentats du 11 Septembre. Son premier roman, Ciel d’acier, a reçu le prix du Meilleur Roman des lecteurs de Points en 2016. Par la suite il a publié Séquoias, prix Relay des Voyageurs (2018), et L’America, prix Livre & Mer Henri-Queffélec (2020) et Route One (2022). (Source : éditions du Seuil)

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Matador Yankee

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Sélectionné pour le « Prix Orange du livre 2019 »

En deux mots:
Harper grimpe dans un bus brinqueballant, direction un village mexicain où il doit se produire pour la fête annuelle. Il a dû remballer ses rêves de gloire et de vedette hollywoodienne pour des prétentions alimentaires. Le road-movie du toréador américain est aussi la chronique d’un âge d’or disparu.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Mister Gringo Torero

C’est bien hors des sentiers battus que nous entraîne Jean-Baptiste Maudet dans son premier roman. «Matador Yankee» raconte le périple d’un torero américain entre Mexique et États-Unis, entre habit de lumière et misère noire.

L’histoire ne le dit pas, mais ils ne doivent pas être très nombreux les Américains toréadors. Harper est l’un des derniers représentants de cette profession qui ne nourrit plus vraiment son homme. Aujourd’hui, il rend dans un petit village mexicain où la fête annuelle ne saurait se passer sans un spectacle dans les arènes.
Dans un bus brinqueballant et le long de routes poussiéreuses, il a le temps de réfléchir à ses rêves de gloire, au souvenir des heures de gloire qui drainaient le tout Hollywood de ce côté de la frontière. «Son père avait connu Orson Welles, Rita Hayworth, Ava Gardner, Frank Sinatra et collectionnait les photos des vedettes qui aimaient se montraient aux arènes en compagnie des grands toréros de l’époque.»
Aujourd’hui quelques retraités nostalgiques, «obèses ou rabougris», viennent grossier les rangs des autochtones pour des corridas la confrontant à des vaches fatiguées plutôt qu’à des taureaux aux naseaux rageurs et lui rapportant à peine de quoi faire bouillir sa marmite. «Cette situation n’était pas inconfortable, elle permettait de ménager de grands moments d’indifférence au monde et de liberté, sans qu’aucun fil ne le rattache à une autre existence.»
À moins qu’il ne se berce d’illusions, car la vie ne l’a pas ménagé, comme en témoigne les cicatrices sur tout son corps. Frôlé par la mort à plusieurs reprises, il ressemble à ses cow-boys qui ont fait la gloire d’Hollywood. Sa gueule de malfrat en fait le candidat idéal pour une mission risquée, retrouver la fille du maire du village du côté de Tijuana, essayant de grappiller quelques dollars pour rembourser une dette de jeu.
Jean-Baptiste Maudet fait appel à tous les ingrédients du road-trip pour construire sa chronique d’un monde en voie de disparition. La pègre, les dettes d’honneur, le sang et la mort, un trésor de guerre et, bien entendu, la femme qu’il faut essayer d’extirper d’une spirale infernale. Il y a du Thelma et Louise dans la virée de Harper et Magdalena, mais il y a aussi l’émergence d’un monde plus dur, plus violent. Au bout de la route, le géographe qu’est Jean-Baptiste Maudet nous aura dépeint le paysage d’une autre Amérique, celle de Trump qui fait la chasse à toutes sortes de marginaux et dans laquelle un Gringo Torero n’a quasi aucune chance de survivre.

Matador Yankee
Jean-Baptiste Maudet
Éditions Le Passage
Roman
192 p., 18 €
EAN 9782847424072
Paru le 10/01/2019

Où?
Le roman se déroule aux États-Unis et au Mexique, en Californie, à Los Angeles, San Diego, à Tijuana, Ciudad Juárez, Hermosillo, Cerocachi

Quand?
L’action se situe des années 60 à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Harper aurait pu avoir une autre vie. Il a grandi à la frontière, entre deux mondes. Il n’est pas tout à fait un torero raté. Il n’est pas complètement cowboy. Il n’a jamais vraiment gagné gros, et il n’est peut-être pas non plus le fils de Robert Redford. Il aurait pu aussi ne pas accepter d’y aller, là-bas, chez les fous, dans les montagnes de la Sierra Madre, combattre des vaches qui ressemblent aux paysans qui les élèvent. Et tout ça, pour une dette de jeu.
Maintenant, il n’a plus le choix. Harper doit retrouver Magdalena, la fille du maire du village, perdue dans les bas-fonds de Tijuana. Et il ira jusqu’au bout. Parfois, se dit-il, mieux vaut se laisser glisser dans l’espace sans aucun contrôle sur le monde alentour…
Alors les arènes brûlent. Les pick-up s’épuisent sur la route. Et l’or californien ressurgit de la boue.
Avec Matador Yankee, sur les traces de son héros John Harper, Jean-Baptiste Maudet entraîne le lecteur dans un road trip aux odeurs enivrantes, aux couleurs saturées, où les fantômes de l’histoire et du cinéma se confondent. Les vertèbres de l’Amérique craquent sans se désarticuler.

Les critiques
Babelio 
Lecteurs.com
Blog Domi C Lire 
Blog Charlie et ses drôles de livres
Blog Le jardin de Natiora


Jean-Baptiste Maudet présente Matador yankee © Production Librairie Mollat

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« 1. Un serpent brodé
Son sac pesait sept kilos en comptant son épée. Harper s’essuya les pieds avant de monter dans le bus. Tout le monde ne le faisait pas. Le conducteur incurva sa bouche de poisson, admettant qu’il avait des manières. Harper s’installa contre la fenêtre, en exposant côté couloir la cicatrice qui lézardait son cou. Ça permettait de ne pas dire un mot à son voisin sur des centaines de kilomètres. Il regardait les gens avancer dans le couloir. Celui-ci allait ronfler, celui-là allait manger des chips, la gamine ferait du bruit avec sa paille plantée dans son soda ou tirerait dans la nuit sur les plumes des poules. Une vieille femme qui debout n’était pas plus haute que les rangées de sièges finit par s’asseoir à côté de lui, une Indienne. Elle sentait le beurre frais et l’herbe d’altitude. Ils passeraient la nuit l’un à côté de l’autre comme beaucoup de gens sur terre, sans rien se dire ou presque, mais pas tout à fait seuls. Cette femme s’était présentée, Ana, sans doute pour montrer qu’elle était bien là malgré son âge. Elle abaissa l’accoudoir en demandant la permission et y laissa retomber son avant-bras. Il convenait de respecter les frontières. Ana le regarderait dans la nuit et penserait, elle aussi, à quel point il était étrange de dormir à côté d’un étranger. Harper n’aimait pas dormir, il ne trouvait pas facilement le sommeil, mais les fenêtres des bus et leur défilement d’images l’apaisaient bien davantage que la voix d’une mère. On était parfois contraint de se laisser porter dans l’espace sans aucune prise sur le monde alentour. Ana regarda la cicatrice de cet homme pour l’apprivoiser, c’était mieux que de s’en empêcher. Cette peau rapiécée était bien vivante et continuait, à sa manière, à renouveler ses cellules.
La ville de Hermosillo brillait dans le soir, les néons colorés, les lumières aux fenêtres, les écrans des télévisions qui papillotaient, les rivières de phares sillonnant les banlieues, puis l’obscurité tombante qui recentrait peu à peu la vie intérieure des passagers sur le miroir des vitres. Le bus prenait de la hauteur sur la ville pour bientôt ne plus laisser pâlir qu’un rougeoiement lointain déjà percé par des étoiles. Le bus grimpait, se retournait sur lui-même à chaque virage pour s’enfoncer dans les montagnes. Il n’y avait plus de place mais des familles entières continuaient à monter dans la nuit et s’entassaient avec leurs bagages qui leur servaient de couche. Ana s’était endormie et murmurait dans son sommeil. Chacun se réveillait, regardait la lune, chacun pensait à sa vie, mobile et immobile. Un homme dessinait avec son doigt un trou plus sombre sur la condensation des vitres, duquel ruisselait un filet d’eau fragile. Le fleuve grossissait dès qu’il croisait des gouttes. Dehors tout était noir, on apercevait parfois la blancheur d’un sommet, on s’y accrochait aussi longtemps que possible et rien ne prévenait de sa disparition soudaine, masqué par un autre relief, noir à nouveau, puis scintillant plus loin, sans que l’on sache s’il s’agissait du même ou d’un autre ou si les yeux s’étaient fermés sur les taches d’un rêve.
À l’aube, des montagnes plus hautes encore dépassaient de la brume. Des arbres en retenaient des bribes et des chaos de roche nue venaient crouler jusqu’à la route. Le bus roulait vite à présent, soulevant la poussière, comme sorti de la nuit miraculeuse. Les passagers se réveillaient dans l’odeur de sueur et de volailles. La lumière du matin était pâle et la vitesse estompait la broussaille des bas-côtés. À la sortie d’une longue courbe, le bus freina en projetant une pluie de graviers de part et d’autre de la chaussée. Le conducteur secoua la cloche. Une vierge métisse servait de battant.
– Cerocachi, Cerocaaaaaachi.
Le conducteur en saisit la robe pour étouffer le son et coupa le moteur. De l’autre côté de la route se tenait un homme appuyé contre une jeep militaire. Il portait un costume clair, des lunettes de soleil et lustrait ses bottes derrière ses mollets. Il tenait une pancarte pour ne pas rater Mr. Gringo Torero, écrit en lettres majuscules. Il semblait apprécier la plaisanterie. Des familles se hâtèrent à l’extérieur du bus, chargées de cages et de sacs tressés. Elles finiraient à pied par des sentiers que personne ne voyait. Ana se leva pour laisser passer son voisin et lui indiqua d’un mouvement de tête qu’elle continuait la route, des heures encore à contourner des ravins jusqu’au prochain col. Elle se gratta le cou en le dévisageant. L’homme qui attendait Harper écarquillait les yeux et pointait la pancarte avec son doigt tendu.
– Mister, je vois que vous avez fait bon voyage, toujours un peu de retard. Il vaut mieux ça que les précipices. Vous avez vu ? Vertigineux. Vous avez soif ? Vous avez faim ? Les deux peut-être ?
La luminosité était plus forte que derrière les vitres teintées du bus et l’air était plus sec. L’altitude et le bourdonnement du moteur avaient bouché les oreilles de l’Américain. Les deux hommes se tenaient l’un en face de l’autre et le bus avait déjà repris sa route. À quelle question convenait-il de répondre en premier ? À aucune.
– Bon, vous avez l’air en forme en tout cas, c’est important ça. Il y a un changement de programme, je vais vous expliquer en chemin, allons-y, ne perdons pas de temps.
Le mot programme sonnait faux et n’était pas prononcé comme un mot de tous les jours. Mister Gringo Torero préféra rester silencieux. Tant qu’il ne parlait pas, rien de tout ce qui existait autour de lui n’avait de consistance et le parfum d’Ana devenu étrangement familier continuait de l’accompagner. Il monta dans la jeep de son chauffeur particulier aucunement perturbé par le silence de l’Américain. L’homme au volant pensait peut-être lui aussi que ne rien dire avait du bon et le barouf de la jeep qui filait sur la piste permettait de s’en contenter. Les programmes étaient faits pour changer. On n’allait pas lui annoncer le branchement de l’eau courante ni l’inauguration d’une autoroute. Profitant d’un tronçon moins défoncé et regardant dans le rétroviseur comme s’ils pouvaient être suivis, le chauffeur finit par prendre les devants.
– Vous verrez, rien d’embêtant. Simplement, il n’y aura que vous à l’affiche demain, car les autres ont eu un empêchement. Ils n’ont pas pu franchir le col, sûrement à cause des éboulements sur la route, ou pire. Les gens tombent souvent dans les ravins par ici. Rassurez-vous, ce ne sont pas toujours les mêmes.
L’homme était content de son astuce. Il la répéta à voix basse pour s’assurer qu’elle faisait rire et reprit sur le même ton.
– Une année, nous sommes restés sans personne. Ils étaient tombés, tous les passagers du bus, écrabouillés dans cette boîte en fer, un roulé-boulé jusqu’à la rivière, trente-cinq morts.
Il marqua un temps d’arrêt.
– Non, je plaisante, simplement du retard, une crevaison, deux jours de retard et pas moyen de prévenir qui que ce soit. Alors on a décalé la fête. Exceptionnellement, on s’arrange.
La piste redevenait chaotique, les ravinements plus profonds, et rien ne semblait désormais freiner le flot des mots.
– Du coup, vous n’aurez qu’un seul taureau, on vous a gardé le plus gros et quelques vaches. Mais ne vous inquiétez pas, il y a probablement des gens au village qui seront prêts à vous aider d’une manière ou d’une autre. Et le maire va tout faire pour vous mettre à l’aise. Le maire, c’est mon frère, Don Armando. Et s’il y a un problème, je suis là, je suis médecin et chirurgien.
L’Américain préférait pour l’instant ne rien relever et ne comprenait pas comment son chauffeur, quelles que soient ses qualifications, parvenait à conduire le corps de profil, ne quittant pas des yeux son passager.
– On ne connaît pas votre nom. Comment vous appelez-vous ? Gringo Torero, c’est mon idée. On l’a écrit sur les affiches. Il faut prendre les choses avec le sourire ici, sinon vous allez mourir d’ennui. C’est important que vous ayez un nom, comme ça les gens pourront vous soutenir ou vous insulter, vous comprenez ?
– Je m’appelle Juan. Mais mon nom de torero, c’est Harper. Pour les précipices, j’ai voyagé de nuit, je n’ai pas vu grand chose.
– Juan, soyez le bienvenu. Moi c’est Miguel. J’ai un fils qui s’appelle Juan, comme vous. Et un autre qui s’appelle Miguel, comme moi. C’est amusant non ? Juan, c’est le petit. Ils vivent à Hermosillo maintenant, avec leur mère. Ne croyez pas tout ce que les gens du village vous disent. Ils sont particuliers, c’est la montagne.
– Je connais un peu la région.
– On a modifié les affiches pour signaler qu’il ne restait plus que vous. Les villageois sont déçus, c’est toujours plus amusant quand vous êtes plusieurs à vous tirer la bourre. Ne vous attendez pas à des merveilles, les gens sont pauvres ici, mais ils ont besoin de vous. Personne ne vient jamais nous rendre visite, il y a toujours une excuse, toujours un truc qui va de travers.
Tout en bloquant le volant entre ses cuisses, Miguel lui tendit une carte de visite plastifiée et tapota sur sa photo en souriant.
– Docteur Miguel. C’est moi, vous voyez ? Je n’avais pas la moustache à l’époque et puis un jour, je me suis dit, tiens, ça pourrait bien m’aller la moustache à moi aussi. Alors je l’ai laissée pousser. Ça me change. Maintenant on me connaît avec la moustache. Juan, ce n’est pas vraiment un prénom américain ?
– Ça peut arriver.
Le docteur se mit à rire, la moustache à l’horizontale. On aurait dit que de petites larmes lui montaient aux yeux, le début d’un spasme qui pouvait tout emporter.
– On m’appelle aussi John, John Harper. Ça dépend qui, ça dépend où.
– John ! Ah c’est bien John, ça va leur plaire, John Wayne, John Travolta, John Rambo. Ça ne fait pas très torero mais ça va leur plaire. Vous savez que John Rambo, à y réfléchir, ce n’est pas un violent. On le voit bien au début du film, il ne cherche pas les ennuis, il marche le long d’une route, c’est tout. C’est la société qui fait de lui un sauvage.
Miguel fit un écart avec la voiture, probablement pour contourner une mine ou éviter un tir de roquette, puis il dérapa avec le frein à main, à hauteur d’un talus.
– On s’arrête là. Laissez-moi porter votre sac. On va finir à pied. On a pensé vous installer à la mairie. Il y a une chambre pour les gens de passage. Vous y serez tranquille, vous dormirez bien, mieux qu’en ville, vous verrez. C’est important de bien dormir, l’altitude ça coupe les jambes et vous en aurez besoin.
Encore ces petites larmes menaçant l’équilibre du monde. Cet ultime conseil médical finit de rassurer Harper sur les compétences du docteur. Il refusa de lui laisser porter son sac, mais il accepta tout le reste qui avait l’air sensé. Au-delà du talus, ils marchèrent encore vingt minutes jusqu’au village, annoncé par des champs désordonnés de courges, de maïs et de haricots. Dans une cuvette, une place centrale divisait quelques maisons d’adobe autour desquelles, de collines boisées en collines sèches, dépassaient d’autres toits. La mairie était la maison du maire et le mot mairie était peint en ocre sur le mur sombre. Un agave extravagant dépassait du balcon et pointait des piquants hostiles vers le mur de l’église. Ils entrèrent dans la mairie par l’arrière, où un escalier montait jusqu’au premier étage. »

À propos de l’auteur
Jean-Baptiste Maudet est géographe. Il enseigne à l’université de Pau.  En 2019, il publie Matador Yankee, son premier roman. (Source : Éditions Le Passage)

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Les oiseaux morts de l’Amérique

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En deux mots:
Hoyt Stapleton vit avec une poignée d’autres malheureux dans les collecteurs d’eau de Las Vegas. Ce vétéran ne lâche pas pour autant ses rêves et étudie le moyen de retrouver un passé plus heureux.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Dans les grands espaces de l’oubli

Christian Garcin nous entraîne à Las Vegas, mais pour nous montrer l’envers du décor, celui des laissés pour compte qui vivent dans les collecteurs d’eaux usées.

À Las Vegas tout brille, où on entend donner l’illusion que la fortune est à portée de main, où la démesure est la norme, on ressent plus qu’ailleurs la violence du contraste que représente la population sinon invisible, du moins souterraine, celle des laissés pour compte, des sans domicile fixe, des marginaux qui élisent domicile «le long de tout un réseau d’égouts et de collecteurs d’eaux de pluie (…) trois cent vingt kilomètres en tout, des canalisations allant de tuyaux de soixante centimètres de diamètre à des tunnels de trois mètres de haut sur six de large». C’est dans le numéro 7 de cet «envers du décor à l’ombre des lumières et des paillettes clignotantes du Strip» que vivent Hoyt Stapleton, McMulligan, et Myers, tandis qu’à l’autre extrémité un couple, Lottie Mae et Gollum ont élu domicile, si l’on peut dire.
Christian Garcin va s’attacher plus particulièrement à Hoyt qui, ironie de l’histoire, faisait partie d’une unité spéciale de l’armée américaine chargée des tunnels: « Né de père inconnu, Hoyt Stapleton avait en 1966 accompagné les derniers jours de sa mère qu’un cancer foudroyant avait terrassée en moins de trois mois puis, désormais sans famille ni ressources, s’était engagé dans l’armée. Il avait vingt-deux ans. Il était parti au Viêtnam, où il avait été enrôlé parmi les “rats des tunnels”, ces troupes dont la particularité était d’explorer l’immense réseau de galerie: qui, creusée dans les années 1940 pour établir des poches de résistance à l’envahisseur français, s’étendaient de Saigon à la frontière cambodgienne et à l’intérieur desquelles les combattants viêt-côngs se réfugiaient se réfugiaient, sortant de temps en temps pour décimer les bataillons américains qui entendaient qu’on leur tirait dessus sans savoir d’où cela provenait, et qui, lorsque le tir avait cessé et qu’ils se rendaient sur place, ne trouvaient que feuillages et frondaisons, sans trace des combattants qui avaient reflué à l’intérieur. Lorsque l’armée américaine s’était avisée de l’existence de ces galeries, une unité spéciale avait été formée pour l’explorer, puis la détruire. »
Le problème, c’est que Hoyt comme ses compagnons d’infortune sont bien loin de l’image des héros que l’armée aimerait laisser. Ils sont tout au contraire hantés par leur expérience, au Vietnam, en Irak, en Afghanistan ou même à quelques kilomètres de Las Vegas où une base de pilotes de drones atteignent des cibles au Proche et Moyen-Orient. C’est difficile, dur, atroce. Chacun essaie de refouler ses syndromes post-traumatiques en ayant recours à l’alcool, à la drogue ou en fuyant la réalité en se plongeant dans des recueils de poésie, comme le fait Hoyt. Qui entend aussi lire tout ce qui a trait aux voyages dans le temps. Il se lance alors vers le futur mais sans succès probant. Tente alors de revenir dans les années 50, avant que sa mère ne meure, avant que la belle Maureen ne soit plus qu’un souvenir…
« Depuis ses incursions dans le printemps de son enfance, se dit-il en souriant intérieurement, il avait peut-être activé un mécanisme temporel permettant de brefs surgissements d’une réalité dans une autre. Peut-être la scène laquelle il avait assisté la veille, avec cette jeune femme rousse répondant au prénom dc Maureen qui grimpait dans une Toyota verte, n’avait-elle pas eu lieu la veille mais quarante ans plus tôt, et il avait été le seul à la voir le seul qui pû: la voir.
Peut-être alors était-ce vraiment Maureen qu’il avait aperçue, Maureen venue passer un week-end à Las Vegas avec son mari un jour de 1968 ou 1970. Peut-être la ville était-elle à présent truffée d’intersections entre passé et présent, de filons dans la niche temporelle qui ne demandaient qu’à être forés. »
Ce jeu subtil entre poésie, science et science-fiction a quelque chose de fascinant. Et de profondément troublant. Si l’on peut essayer de trouver dans notre passé les éléments qui nous constituent aujourd’hui, quel moyen avons-nous de modifier cette perception. Pouvons-nous devenir quelqu’un d’autre? Si Christian Garcin ne nous livre pas les réponses, il nous plonge des dans abîmes de réflexion vertigineux. Le tout culminant dans un épilogue que je vous laisse découvrir.
Après Les Vies multiples de Jeremiah Reynolds, Christian Garcin poursuit son exploration de cette Amérique aux contrastes saisissants, au rêves auxquels on veut croire même si, comme les bandits manchots des casinos, on sait que le risque de perdre est bien plus fort que la chance de gagner.

Les oiseaux morts de l’Amérique
Christian Garcin
Éditions Actes Sud
Roman
224 p., 19 €
EAN : 9782330092467
Paru en janvier 2018

Où?
Le roman se déroule aux Etats-Unis, principalement à Las Vegas. On y évoque aussi le Vietnam et quelques autres zones de conflit.

Quand?
L’action se situe de nos jours, avec des retours en arrière jusque dans les années 50.

Ce qu’en dit l’éditeur
Las Vegas. Loin du Strip et de ses averses de fric «habitent» une poignée d’humains rejetés par les courants contraires aux marges de la société, jusque dans les tunnels de canalisation de la ville, aux abords du désert, les pieds dans les détritus de l’histoire, la tête dans les étoiles. Parmi eux, trois vétérans désassortis vivotent dans une relative bonne humeur, une solidarité tacite, une certaine convivialité minimaliste. Ici, chacun a fait sa guerre (Viêtnam, Irak) et chacun l’a perdue. Trimballe sa dose de choc post-traumatique, sa propre couleur d’inadaptation à la vie “normale”.
Au cœur de ce trio, indéchiffrable et silencieux, Hoyt Stapleton voyage dans les livres et dans le temps, à la reconquête patiente et défiante d’une mémoire muette, d’un langage du souvenir.
À travers la détresse calme de ce vieil homme-enfant en cours d’évaporation arpentant les grands espaces de l’oubli, Christian Garcin signe un envoûtant roman américain qui fait cohabiter fantômes et réalisme, sourire et mélancolie, ligne claire et foisonnement. Et migrer Samuel Beckett chez Russell Banks.

« Qu’est ce que le passé? Le modifions-nous en le revisitant ? Quels souvenirs oubliés ont fait de nous ce que nous sommes? Nous est-il jamais arrivé de nous tenir à côté de l’enfant que nous avons été, et de lui chuchoter quelques mots à l’oreille pour qu’il puisse se souvenir, plus tard, de cette scène?
C’est en faisant des recherches, pour un roman précédent, sur les molesmen, ces milliers d’hommes et de femmes qui vivent dans les sous-sols du métro de New York, que j’en ai rencontré d’autres, pour la plupart des vétérans des guerres d’Irak et d’Afghanistan, qui vivaient par centaines dans les tunnels d’évacuation des eaux de Las Vegas. Et c’est en me rendant là-bas que je les ai vus: ils faisaient l’aumône sur le Strip, au milieu des paillettes et du fric qui dégoulinait, assis sur de petits tabourets ou à genoux sur le trottoir, engloutis dans le flot des passants qui passaient sans les voir. Le soir ils réintégraient leurs tunnels, en périphérie. Quelles avaient été leurs vies? Leurs enfances? Quels enfers avaient-ils côtoyés? Ces questions, j’aurais pu me les poser partout ailleurs, en France, en Angleterre, en Russie – je me les suis posées, d’ailleurs, dans un roman publié il y a longtemps. Partout ailleurs j’aurais pu m’interroger sur ces destins brisés qui peuplent notre monde urbain. Mais j’étais à Las Vegas, et le contraste était particulièrement saisissant. J’ai alors pensé à un vieil homme, un ancien du Viêtnam, un «rat des tunnels», comme on les appelait, un de ceux qui risquaient leur vie dans les étroites galeries qu’occupaient les combattants viêt-côngs. Et j’ai imaginé cet homme, un vieillard à présent, qui vivrait dans d’autres galeries en ayant oublié des pans entiers de son passé – lequel un jour se manifesterait à nouveau, et dénouerait peu à peu les fils qui lui manquaient. Le roman est né de tout cela. C’est une histoire d’anamnèse sur fond de guerre, de tunnels, d’amours perdues et de fraternité.” C. G.

Les critiques
Babelio
Télérama (Michel Abescat)
La Croix (Fabienne Lemahieu)
Le Temps (Éléonore Sulser)
La Cause littéraire (Lionel Bedin)
Quatre sans quatre 
Blog Charybde 27 
Blog Froggy’s Delight 

Les premières pages du livre
« — Attention les yeux ! prévint Hoyt Stapleton. Les sauterelles s’envolèrent dans un bruissement d’ailes effrayé. Il pissa dans les fourrés.
Il secoua et rengaina son bazar, puis grimaça bouche ouverte face au soleil levant, tendant les bras à l’horizontale. Derrière lui, le collecteur des eaux de pluie béait noir, comme sa bouche édentée. On sentait refluer les odeurs croupies de quelques mares qui dataient de l’orage de la semaine précédente.
Bizarrement il aimait bien ces odeurs, elles lui rappelaient son enfance. Les deux autres allaient sortir. Matthew McMulligan aurait à la main son réchaud, la casserole et le café en poudre, Steven Myers, l’eau, le sucre et les timbales métalliques, comme tous les matins ou presque. Ils lui proposeraient un café, il accepterait en silence, et ils s’assiéraient tous les trois sur la dalle de ciment brisée à côté de l’ouverture, juste au-dessous du grillage et des barbelés. Une vieille bobine de câble en bois servirait de table circulaire de presque un mètre de diamètre. Myers et McMulligan échangeraient quelques mots. Pas lui. Lui, il parlait aux sauterelles, aux mulots aussi, mais très peu aux humains. Ensuite chacun regagnerait sa couche, sortirait, vaquerait, filerait vers les boulevards faire la manche ou pas, et aucun ne reverrait l’autre jusqu’à la nuit, ou le lendemain.
C’était une petite vie misérable et paisible.
Sauf lorsqu’il pleuvait.
Lorsqu’il pleuvait, c’était l’apocalypse: il y avait d’abord le bruit de tonnerre qui dévalait sourd et monstrueux le long des canalisations, puis les eaux déboulaient boueuses à une vitesse faramineuse et emportaient tout. Il fallait avoir pensé dès les premières gouttes de pluie (parfois c’étaient les policiers qui venaient avertir qu’il allait faire orage) à tout bien caler en hauteur dans les recoins où chacun s’était installé, matelas, cartons et ustensiles divers, dont un ou deux toujours finissaient à la flotte et que l’on retrouvait parfois, par hasard et parmi d’autres détritus, à des centaines de mètres de là, le plus souvent inutilisables et tordus par la violence des flots. Il arrivait même que les lits de certains fussent emportés. Le plus difficile était lorsque des orages imprévus éclataient la nuit. L’eau alors montait vite dans certains collecteurs, trente centimètres par minute à cinquante kilomètres à l’heure, et les habitants se réveillaient trempés, parfois entraînés sur quelques mètres avant de se relever hagards, l’eau à mi-cuisse. Dans les collecteurs les plus étroits, il n’était pas rare que quelques-uns se noient. Le numéro 7, à une extrémité duquel vivaient McMulligan, Stapleton et Myers (l’autre étant occupée par un couple, Lottie Mae et Gollum, qu’ils ne voyaient que rarement, une fille souvent shootée et un nabot à moitié dingue, d’où son surnom), était heureusement pour eux plutôt large, et s’il y avait eu de nombreuses mésaventures, jamais aucun drame sérieux n’était survenu. »

Extraits

« Tout lui semblait beaucoup trop vide et silencieux. Il éprouvait une sensation difficile à définir. C’était comme si quelque chose lui soufflait à l’oreille que la rue n’était pas déserte depuis quelques minutes ou dizaines de minutes, mais qu’elle l’était depuis toujours, de toute éternité ; comme si ce vide lui était consubstantiel et qu’il fût impossible d’en altérer l’intensité ; comme s’il était totalement inconcevable qu’elle fût animée, ou eût été un jour parcourue de piétons ou de voitures. Cette absence de tout, ce silence massif, ce ciel un peu trop mauve, le souvenir de la jeune femme rousse, des deux enfants à vélo, la Chevrolet grenat. . . Il se demanda si, à son insu cette fois, il n’avait pas fait un saut dans le temps, et basculé sans le savoir dc l’autre côté. Depuis ses incursions dans le printemps dc son enfance, se dit-il en souriant intérieurement, il avait peut-être activé un mécanisme temporel permettant de brefs surgissements d’une réalité dans une autre. Peut-être la scène laquelle il avait assisté la veille, avec cette jeune femme rousse répondant au prénom dc Maureen qui grimpait dans une Toyota verte, n’avait-elle pas eu lieu la veille mais quarante ans plus tôt, et il avait été le seul à la voir le seul qui pû: la voir.
Peut-être alors était-ce vraiment Maureen qu’il avait aperçue, Maureen venue passer un week-end à Las Vegas avec son mari un jour de 1968 ou 1970. Peut-être la ville était-elle à présent truffée d’intersections entre passé et présent, de filons dans la niche temporelle qui ne demandaient qu’à être forés. »

« Le temps est une pâtisserie
C’est la conscience qu’on en a: du passé au futur. Maintenant, imagine que tu replies la pâte sur elle-même, une fois, deux fois, dix fois, pour en faire une pâte à millefeuille. Des points initialement très éloignés les uns des autres vont se chevaucher – mais nous, nous continuerons à n’avoir conscience que de la pâte toute simple, étale, que l’on parcourt d’un point A à un point B. Si tu transperces de part en part la pâte ainsi repliée, tu feras se rejoindre entre eux deux. trois, dix points qui au départ étaient très éloignés les uns des autres et qui le demeurent, selon une conception simplement linéaire de la pâte. C’est ce qui s’est passé. Tous les mystiques ne le diront: le temps est plié, mais on n’en a conscience que dans certains états d’illumination, ou de transe. En ce qui te concerne, un point situé aujourd‘hui s’est trouvé en relation avec un autre situé au même endroit quarante ans plus tôt. Tu étais là au bon moment.
Hoyt hocha la tête. Enfin, conclut Myers, c’est ma façon de voir. »

À propos de l’auteur
Christian Garcin vit près de Marseille, où il est né en 1959. Écrivain, voyageur, il a publié des romans, des nouvelles, des poèmes, des essais, et quelques livres inclassables. Récemment, En descendant les fleuves. Carnets de l’Extrême-Orient russe (avec Éric Faye, Stock, 2011). (Source : Éditions Actes Sud)

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L’été en poche (51)

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Parce que je t’aime

En 2 mots
L’histoire de ce couple dont la fille a disparu est habilement menée. Le mari ne se remet pas de cette perte au point de quitter son existence aisée pour sombrer dans une sorte d’errance cathartique, l’épouse cherche à compenser le vide en se jetant à corps perdu dans la musique.

Ma note
etoileetoileetoile (beaucoup aimé)

Si vous voulez en savoir plus…
Ma chronique complète publiée lors de la parution du roman en grand format

Les premières lignes

L’avis du… Figaro Magazine
« La mécanique Musso est d’une implacable efficacité. (…) Les personnages sont dotés d’une fragilité extrêmement touchante et d’une humanité qui nous ficelle viscéralement à eux. Chez Musso, l’émotion a des accents majeurs. Et c’est là son plus bel atout. »

Vidéo


Guillaume Musso parle de «Parce que je t’aime». © Production minnyfee

L’été en poche (10)

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Les ennemis de la vie ordinaire
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En 2 mots
Sept victimes d’addictions diverses se retrouvent en groupe de thérapie. Une union qui permet l’épanouissement de leur mal en un joyeux bordel.

Ma note
etoileetoileetoileetoileetoile (coup de cœur, livre indispensable)

Si vous voulez en savoir plus…
Ma chronique complète publiée lors de la parution du roman en grand format

Les premières lignes

L’avis de… Bénédicte Junger (Entre les lignes)
« J’ai aimé l’absence de parti pris de l’auteur et le côté abbaye de Thélème qui se développe au fil des pages. Un roman audacieux sur les addictions qui réserve bien des surprises! »

Vidéo


Héléna Marienské présente son ouvrage « Les ennemis de la vie ordinaire ». © Production Librairie Mollat

Les ennemis de la vie ordinaire

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Les ennemis de la vie ordinaire
Héléna Marienské
Flammarion
Roman
320 p., 19 €
ISBN: 9782081366596
Paru en septembre 2015

Où?
Le roman se déroule principalement en France, à Paris et dans la banlieue, à Saint-Ouen, Montreuil, Saint-Denis, Stains, Bondy, Noisy-le-Sec, Mantes-la-Jolie, Émerainville, ainsi qu’à Enghien, en Auvergne dans les localités d’Escolges, Clémensat, Saint-Hilaire, Courtilles, Chamalière-la-rouge, Vaureilles, Brioude, en Languedoc à Montagnac, en passant par Montluçon, le tout se terminant en apothéose à Las Vegas.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Sept personnages souffrant d’addictions – alcoolisme, sport, jeux d’argent, cocaïne, shopping, sexe – se trouvent réunis par la psy qui les suit, Clarisse, pour des séances de thérapie de groupe. Clarisse espère que le « décloisonnement » peut les aider à guérir. Mais en ont-ils vraiment envie, eux ? Pas sûr… Ces « ennemis de la vie ordinaire » vont, peu à peu, se lier d’amitié au point de déteindre les uns sur les autres.
Comédie hilarante, portée par une écriture brillante et rythmée d’Héléna Marienské, ce roman s’empare d’un sujet de société contemporain, l’addiction, pour mieux le détourner : un conte moderne aussi réjouissant qu’immoral.
Abstinents s’abstenir.

Ce que j’en pense
****
Héléna Marienské n’a pas son pareil pour humer l’air du temps et la retranscrire en joyeuses comédies, en fantaisie-sarabande. Dans son nouveau roman, qui met en scène sept victimes d’addictions, elle réussit même à imaginer des personnages et des situations qu’un lecteur boulimique aura déjà croisé dans d’autres romans. On retrouve, par exemple, dans le portrait de Pablo, beaucoup du personnage de Cécile Coulon dans Le Cœur du Pélican. Mais plus étonnant encore, le personnage de Jamal imaginé par Michel Bussi dans N’oublier jamais a la même obsession que ce coureur à pied addictif : il «se verrait bien faire le super trail du Mont-Blanc avec une patte en titane.»
Au-delà de la coïncidence, on imagine la manière dont l’auteur se documente pour donner chair aux personnages. On se dit, par exemple, qu’elle a dû s’inscrire à un site de jeux en ligne, faire quelques sorties au casino d’Enghien, suivre quelques compétitions de poker à la télé pour camper le personnage de Gunter, joueur addictif. Car au-delà du jargon utilisé, elle sait parfaitement rendre l’atmosphère du lieu, la tension qui préside au moment ou rien ne va plus.
Mais reprenons. Le roman s’ouvre au moment où Clarisse, thérapeute spécialisée dans le traitement des addictions, vient proposer un nouveau traitement. Elle entend organiser la rencontre de patients victimes de troubles différents : «tous les addicts qui décident de participer à un groupe de parole ont déjà touché le fond et sont prêts pour l’aventure de l’abstinence. Ils ont tous des stratégies. Toutes sont différentes. Leur entraide sera du jamais-vu. Moi, je les mets en synergie. J’attends des résultats époustouflants.»
Aux côtés de Gunter et Pablo, on va retrouver au sein de ce groupe – et par ordre d’apparition – Jean-Charles, sosie du pape François, qui ne dédaigne pas sniffer une ligne de coke en disant la messe, Damien, le professeur d’université qui éprouve un besoin constant de sexe, Mariette, la jeune et jolie junkie, qui n’arrive pas à décrocher, Mylène dont le compte en banque n’a pu résister à ses achats compulsifs et Élisabeth qui tente de noyer la déliquescence de son mariage dans l’alcool. Voici donc les septe plaies d’Egypte réunies autour d’une thérapeute qui ne sait pas trop si elle vient d’inventer un concept génial ou si elle a ouvert la boîte de Pandore.
Car bien vite, on passe du dérapage à un joyeux capharnaüm et à la rechute quasi-simultanée de tous les membres du groupe, avant que la simple addiction ne devienne une addiction multiple.
Clarisse va bien tenter de reprendre la main en affirmant que la rechute fait partie intégrante de son traitement et que cette étape est même nécessaire à une meilleure prise en compte de leur addiction, sorte de tremplin vers la guérison. Mais, s’agissant d’une première expérience de ce type, elle ne peut qu’émettre cette hypothèse. Peut-être pour conjurer le sort.
Il serait dommage de révéler ici comment tout cela va finir. Disons simplement que, comme toujours avec Héléna, les choses ne vont pas tarder à déraper, les situations devenir aussi cocasses qu’incongrues et que le final est comme un grand feu d’artifice qui fera fi des conventions et du politiquement correct. C’est jouissif et cru, immoral en diable et effectivement bien loin de la vie ordinaire. En un mot, c’est addictif !

Autres critiques
Babelio
Blog Cannibales lecteurs
Blog Blablabla Mia
Blog Livr’envie
Blog Ma librairie bien-aimée

Extrait
« Merci, mon cher, très cher Éric. J’ai reçu le mot de Largelier me confirmant que j’aurai la salle de l’annexe deux soirs par semaine. Hourra !
Tu n’imagines pas à quel point ça tombe bien ! Je dois prendre en charge en urgence un patient dont je viens de rencontrer l’épouse très inquiète. C’est un addict au sport, athlète amateur mais de haut niveau, qui se casse en mille morceaux, et reste dans le déni total. C’est vraiment le problème de ce type d’addiction.
Tout le discours ambiant tend à le valoriser. Le sport est connoté positivement par les médias, la publicité, le cinéma, par tout le corps social : le sport est noble ! Sauf que j’ai vu les radios du zozo : ça fait peur. Sa femme ne sait vraiment plus quoi faire, et elle a été ravie d’apprendre qu’il serait suivi en séances particulières et en thérapie de groupe. Espérons qu’il viendra.
En tout cas, voilà une catégorie d’addiction qui va enrichir mon panel. Et ce n’est pas fini ! Des addictions, par les temps qui courent, il s’en crée tous les jours. Dans les mois qui viennent, je pourrai bien en dépister de nouvelles. Que dirais-tu, dans un an, d’un petit article cosigné sur les néo-addictions ? » (p. 28)

A propos de l’auteur
Héléna Marienské est née en 1969, elle est agrégée de lettres. Elle a publié aux éditions P.O.L., Rhésus, en 2006 (prix Lire du meilleur premier roman, prix Madame Figaro/Le Grand Véfour, Mention spéciale du prix Wepler), Le Degré suprême de la tendresse (Héloïse d’Ormesson, 2008, prix Jean-Claude Brialy) et, en 2014, Fantaisie-sarabande, aux éditions Flammarion. (Source : Editions Flammarion)

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Dis-moi oui

KERNEL_Dis-moi_oui

Dis-moi oui
Brigitte Kernel
Flammarion
Roman
324 p., 19 €
ISBN: 9782081305069
Paru en janvier 2015

Où?
Le roman est composé de quatre parties, la première et la dernière se déroulant à Paris, notamment dans le quartier de Montmartre, la seconde à Montréal et le troisième à Las Vegas. On y évoque aussi le lac de Bouzey dans les Vosges et Nancy.

Quand?
L’action de déroule de nos jours, sur dix mois, allant de décembre à septembre de l’année suivante.

Ce qu’en dit l’éditeur
Après avoir hésité entre deux femmes, la narratrice de ce roman se retrouve confrontée à la question de la reconstruction de son couple. En amour, une seconde chance est-elle possible ?

Ce que j’en pense
***

Nous sommes à Paris en hiver. L’actualité est à l’image de la météo : « on ne parlait que de crise, licenciements, chômage, immobilier inabordable pour les jeunes, hausse des prix délirante, retraites qui n’existeraient plus si on continuait comme ça […] Allumer la radio devenait une épreuve, lire les colonnes économiques des journaux diffusait un sourde anxiété. L’amour avait dit une actrice à la télévision, l’amour, il ne reste que ça. »
Or justement, de ce côté là aussi les choses ne vont pas au mieux pour la narratrice. Elle veut mettre fin à sa relation avec Marie, dont elle pressent qu’elle ne mènera à rien tant leurs caractères sont opposés. De plus, elle n’a pas encore fait le deuil d’un premier amour. Mais Marie s’accroche. Elle ne veut pas de cette rupture et lance tous ses atouts sur la table. La carte de la compassion par exemple, qu’elle a déjà su jouer avec brio. Ou encore celle de la passion fusionnelle, qui ferait vaciller les partenaires les plus décidées. « Marie, un ouragan, un tsunami, un magma de colères, des bouderies à rebonds. » qui se nourrit même de la violence de l’autre pour assouvir son dessein. Marie qui, après s’être éloignée, contre-attaque de plus belle. Harcèle sans cesse sa partenaire, la couvrant de promesses.
Au milieu de cette vraie-fausse rupture, la maladie et la mort de son père, vient encore plus exacerber les tensions, mettre les nerfs à vif. Cette fois, c’en est trop. Un break est plus que nécessaire. Elle s’envole pour Montréal.
Brigitte Kernel a l’art de la construction romanesque. Elle partage cette année particulière en trois temps. Après l’hiver parisien, vient l’été québécois. A Montréal elle retrouve Léa et cet amour qu’elle s’est toujours refusée à croire terminé. Mais s’il suffisait de se retrouver pour que tout soit comme avant et pour que sa partenaire soit au diapason de ce que l’on ressent…
Commence alors un chassé-croisé patient qui conduira à un voyage improbable à Las Vegas, en août. Avec Léa et avec sa mère qu’elle retrouve dans cet univers de pacotille. Pourtant, c’est bien là que les masques tombent, que la douleur peut s’exprimer, que les comptes vont se régler : « Jamais ces dernières années tu ne t’es inquiétée de moi, de papa, de ce qu’Aimée pouvait me faire vivre en refusant de s’occuper de lui, me laissant tout à charge, allant même jusqu’à vouloir le mettre sous curatelle, le déménager de chez lui, cet espace où il ne cessait de sourire, serein, apaisé… »
Un roman vrai et sincère sur les épreuves qui jalonnent une vie, mais surtout sur la reconstruction après un drame, un échec. Bref, une belle bouffée d’oxygène !


Autres critiques

Babelio
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Les chroniques de Koryfée, par Karine Fléjo

Extrait

« J’observais Léa quand elle ne me regardait pas, elle me fixait quand je détournais les yeux. Son visage, dans la lumière de ce début d’été québécois, cette manière si particulière de baisser les paupières quand je la fixais, le minuscule grain de beauté qui trônait comme un diamant entre ses deux clavicules, c’était comme si tout nous était revenu. Sauf que nous n’étions plus ensemble. Sauf qu’elle n’avait plus confiance. Sauf qu’elle était toujours en colère. Sauf qu’elle avait, comme moi, perdu une dizaine de kilos. Sauf qu’elle ne supporterait pas que j’effleure le dessus de sa main. » (p. 116)

A propos de l’auteur
Productrice-animatrice d’émissions littéraires sur France Inter, Brigitte Kernel présente « Noctiluque » tous les dimanches soirs. Elle a déjà publié plusieurs romans, dont Autobiographie d’une tueuse, Tout sur elle ou Fais-moi oublier, chez Flammarion. (Source : Editions Flammarion)
Site Wikipédia de l’auteur
Site internet de l’auteur
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Parce que je t’aime

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Parce que je t’aime
Guillaume Musso
XO Editions
Roman
Littérature française
ISBN Papier: 978284563360
Paru le: 01.04.2007

Où?
L’action se déroule aux Etats-Unis, principalement à New York (Manhattan), à Las Vegas et à Los Angeles.
 
Quand?
Le roman est situé en 2006.
 
Ce qu’en dit l’éditeur
Layla, une petite fille de cinq ans, disparaît dans un centre commercial de Los Angeles. Ses parents, brisés, finissent par se séparer. Cinq ans plus tard, elle est retrouvée à l’endroit exact où on avait perdu sa trace. Elle est vivante, mais reste plongée dans un étrange mutisme.
À la joie des retrouvailles, succèdent alors les interrogations. Où était Layla pendant cette période ? Avec qui ?
Et surtout : pourquoi est-elle revenue ?
Une histoire d’amour envoûtante.
Un livre profondément humain qui nous plonge dans le mystère et le suspense.
Un dénouement que vous n’oublierez pas.
 
Ce que j’en pense
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Pour tous ceux qui aiment chercher dans la littérature un moment pour s’évader du quotidien en se plongeant dans un ouvrage qui se lit facilement, alors il n’y a pas à hésiter. L’histoire de ce couple dont la fille a disparu est habilement menée. Le mari ne se remet pas de cette perte au point de quitter son existence aisée pour sombrer dans une sorte d’errance cathartique, l’épouse cherche à compenser le vide en se jetant à corps perdu dans la musique. Mais un fait divers banal, une tentative de vol à la tire, leur permet de se retrouver. Quelques jours plus tard, on leur annonce que leur fille a été retrouvée. Entre l’exploration de leur passé, des rencontres forcément déterminantes et le dévoilement progressif de l’intrigue ­– qu’il ne faut surtout pas dévoiler – on se laisse prendre au jeu. Même si quelquefois les ficelles sont un peu grosses, le plaisir de la lecture l’emporte.
 
Autres critiques
Babelio

Citations
« Décembre 2006. C’est le soir de Noël, au coeur de Manhattan…
La neige tombe sans relâche depuis le matin. Engourdie par le froid, la «ville qui ne dort jamais» semble tourner au ralenti, malgré une débauche d’illuminations.
Pour un soir de réveillon, la circulation est étonnamment fluide, la couche de poudreuse et les épaisses congères rendant difficile le moindre déplacement.
À l’angle de Madison Avenue et de la 36e Rue, les limousines se succèdent pourtant à un rythme soutenu. Elles déversent leurs occupants sur le parvis d’une belle demeure de style Renaissance, siège de la Morgan Library, l’une des plus prestigieuses fondations culturelles de New York, qui fête aujourd’hui son centenaire.
Sur le grand escalier, c’est un tourbillon de smokings, de robes somptueuses, de fourrures et de bijoux. La foule converge vers un pavillon de verre et d’acier qui prolonge le bâtiment pour l’ancrer de façon harmo­nieuse dans le XXIe siècle. Au dernier étage, un long corridor mène à une vaste pièce où, derrière des vitrines, sont exposés quelques-uns des trésors de l’institution : une bible de Gutenberg, des manuscrits enluminés du Moyen Âge, des dessins de Rembrandt, Léonard de Vinci et Van Gogh, des lettres de Voltaire et d’Einstein, et même un bout de nappe en papier sur lequel Bob Dylan a écrit les paroles de Blowin’ in the Wind.
Progressivement, le silence se fait, les retardataires gagnent leur siège. Ce soir, une partie de la salle de lecture a été spécialement aménagée pour permettre à quelques privilégiés d’entendre la violoniste Nicole Hathaway interpréter des sonates de Mozart et de Brahms.
La musicienne entre en scène sous les applaudissements. C’est une jeune femme d’une trentaine d’années, à l’allure chic et sage. Son chignon à la Grâce Kelly lui donne des airs d’héroïne hitchcockienne. Acclamée sur les scènes internationales, elle a joué avec les plus grands orchestres et, dès son premier disque enregistré lorsqu’elle avait seize ans, reçu d’innombrables récompenses. Cinq ans plus tôt, un drame a dévasté sa vie. La presse et la télévision s’en sont fait largement l’écho et, depuis, sa notoriété a dépassé le cercle des seuls mélomanes. »
 
A propos de l’auteur
Né en 1974, Guillaume Musso, passionné de littérature depuis l’enfance, commence à écrire alors qu’il est étudiant. Paru en 2004, son roman Et après… est vendu à plus de deux millions d’exemplaires. Cette incroyable rencontre avec les lecteurs fait de lui un des auteurs français favoris du grand public, traduit dans le monde entier, et plusieurs fois adapté au cinéma.
Fiche Wikipédia
Site personnel

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