À l’encre rouge

En lice pour le Prix des romancières 2023

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En deux mots
Lysiane qui se morfond dans l’auberge familiale rêve de devenir la Dolly Parton du nord. Elle se jette dans les bras d’un chanteur qui s’enfuit sans savoir que sa groupie est enceinte. Sur le conseil de sa mère Lysiane décide de garder l’enfant. Désormais tous les espoirs de gloire reposent sur sa fille Jolene.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Une fausse mère, une vraie mère et une fille sans père

Dans son nouveau roman, Marjorie Tixier raconte le rêve de gloire d’une jeune fille qui préfère confier sa fille à sa mère pour faire carrière et décide, après son échec, de reporter ses espoirs sur sa fille. Fort en émotions, entre abandon et ressentiment, entre douleur et incompréhension.

Lysiane est une adolescente plutôt sage. Si ses résultats scolaires ne sont guère brillants, elle seconde sans rechigner ses parents qui tiennent une auberge près de Cassel, dans les Hauts de France. Mais Lysiane rêve de devenir chanteuse, alors le jour où un chanteur fait halte à l’auberge, elle n’hésite pas à le suivre, à engager une relation amoureuse. Quelques mois plus tard, l’artiste, qui n’a jamais voulu céder un pouce de son indépendance, prend la poudre d’escampette. Il laisse Lysiane désemparée et enceinte.
Sur les conseils de sa mère, qui lui assure qu’elle s’occupera de l’enfant, elle renonce à avorter et, dès la naissance de sa fille Jolene, part pour Lille où elle trouve rapidement un emploi de serveuse puis quelques cachets pour chanter dans les bars, laissant à ses parents le soin d’assurer l’éducation de sa fille. Elle ne se rend qu’épisodiquement à l’auberge pour regarder Jolene grandir, à la fois irritée de voir ses parents être appelés papa et maman par la petite fille et désireuse de gagner l’affection de ce petit bout de chou qui se passionne aussi pour la musique. Elle va prendre l’habitude de lui couper les cheveux et de dire son mal-être, au grand dam de ses parents. Puis ne viendra plus durant quelques temps, ayant rencontré Bob, un autre musicien. «Un soir, il lui avait proposé de l’accompagner en tournée et elle avait sauté sur l’occasion, persuadée qu’ensuite ils s’installeraient quelque part ensemble et peu lui importait où, pourvu qu’elle rompe sa solitude et mène la vie dont elle avait toujours rêvé. La scène, les concerts, les cocktails, le succès… Et tant pis si elle goûtait à tout cela par procuration. C’était mieux que la routine et le sentiment d’avoir trahi ses idéaux. Elle aurait tout accepté, quitte à être choriste, éclipsée derrière un micro sur pied entre la batterie et le clavier. Elle aurait tout accepté, même de se taire, pourvu qu’il l’’emmène.»
La tournée qui suit va apporter la preuve que le talent est très inégalement partagé et ruiner tous ses espoirs. De retour au pays, Lysiane va alors décider de se venger par procuration, en arrachant sa fille de ses grands-parents et en lui offrant une formation au Conservatoire de Lille.
Dorénavant Joline – un nouveau nom pour un nouveau départ – se doit de réussir.
Avec beaucoup de sensibilité, Marjorie Tixier va alors nous raconter les années qui vont suivre et qui tiennent davantage du duel entre une mère frustrée et une fille qui se sent flouée et manipulée que d’une volonté de recoller le spots cassés. Avec beaucoup de sensibilité, la romancière met le doigt sur les faiblesses de l’une et de l’autre, sur l’incompréhension qui croît au fil des mois jusqu’à prendre des proportions trop importantes pour que l’histoire se finisse bien. Un roman âpre, dur, sans concessions qui démontre la large palette de Marjorie Tixier, toujours à fleur d’émotion.

A l’encre rouge
Marjorie Tixier
Fleuve Éditions
Roman
320 p., 19,90 €
EAN 9782265156210
Paru le 5/01/2023

Où?
Le roman est situé principalement dans le Nord de la France, à Cassel, Hazebrouck, Lille et Audresselles. On y évoque aussi des tournées en France et à l’étranger, notamment en Allemagne.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Est-il possible de prendre une revanche sur la vie ? Il y a des revanches plus cruelles que la blessure qu’elles vengent…
Lysiane n’a jamais voulu être mère, et Jolene n’a jamais considéré comme telle cette tornade blonde aux ongles rouges qui débarquait un lundi sur trois à l’auberge de ses parents pour lui couper les cheveux et faire des remarques acides.
L’enfant grandit loin dans sa paisible province pendant que la mère, partie à la ville, s’épuise à combattre des moulins. Jusqu’à ce qu’elle pose les yeux sur cette fille dont elle ne s’est jamais souciée. Et décide qu’elle sera sa revanche sur la vie.
Un conte cruel où les liens du sang déchirent au lieu d’unir, blessent au lieu d’apaiser. Avec en fil rouge la musique, quête de gloire illusoire ou exutoire salvateur.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Blog Mes p’tits lus
Blog Domi C Lire
Blog Sonia boulimique des livres
Blog Pose-toi Eva lire

Marjorie Tixier présente «A l’encre rouge» © Production Fleuve éditions

Les premières pages du livre
« Elle éventre la plaine, juchée sur sa bicyclette, ses boucles au vent. Blondes, auréolées d’espoir. Elle est belle. Trop belle pour se laisser approcher. Ses lèvres sont rouges, ses paupières bleues. Ses yeux, on ne sait pas. Personne ne les a encore compris. Ils ont la couleur changeante des destins qui se cherchent. Elle roule. Le talon calé contre la pédale, la jupe courte. Jeune. Sillonnant sa terre natale, elle serpente entre les tournesols. Son cœur tangue encore, bat le rythme que sa tête imprime, envoûté par la musique qu’elle a écoutée toute la nuit.

Comme un trait d’arbalète, le héron cendré transperce le ciel dans le plus pur des silences, survolant les champs de blé mûr dont la moisson devient imminente. Elle roule, tournesol mouvant sur l’artère sinueuse de la plaine des Flandres. Les inflorescences dorées, gorgées d’insectes et de soleil, ondulent sur les coteaux, pareilles à de longs cheveux d’ange, tandis que la mosaïque des prairies forme une tapisserie de plaines agricoles entaillées de routes et de voies de chemin de fer qui relient la métropole à la mer.

Elle a l’âge de tous les possibles, la légèreté de toutes les illusions, l’assurance des promesses.

Les mains sur le guidon, elle relâche les freins, oublie ses ongles vernis, se laisse aller. Le dos droit, elle croit qu’elle le reverra bientôt. Vite, tout ira vite. Aussi vite que sa traversée de la plaine. N’est-ce pas ainsi qu’il l’a emmenée en ville, tailladant le soir au volant de sa moto ? Là-bas, plus loin qu’elle n’aurait cru, elle s’est sentie de passage, dans un sas de nouveauté si étranger qu’il paraissait sans conséquence. Un espace-temps défragmenté que la musique et l’alcool cristallisaient pour la sortir d’elle-même. Un autre univers, si différent du sien…

À l’aube, il lui susurre quelques mots à l’oreille, puis se met au piano et plaque une série d’accords en fumant une cigarette. Il ravive la musique du bar et de la nuit, rien que pour eux. Alanguie, elle se laisse bercer, hypnotisée, le regard fixé sur sa poitrine nue.

Depuis plusieurs semaines, chaque dimanche soir, il l’emmène, la promène dans la ville, la plonge dans son lit. Ses yeux, il en ignore la couleur. Elle l’amuse, c’est tout. Elle est mignonne, la fille de la plaine dont les boucles dépassent du casque sur l’autoroute. Elle se cramponne, le moteur vibre sous ses fesses, la vitesse la grise. Il lui donne plus de vingt ans, elle en est loin, mais joue les initiées avec l’aplomb aveugle des nécessités. Après la musique, l’amour et le piano du petit matin, il la ramène à moto. Elle s’agrippe, minaude, réclame d’autres baisers. Il file et reviendra.
— Quand ?
— Bientôt.
Et il revient.

Elle y pense toute la semaine, attend son retour et se répète son nom. Sa musique coule dans ses veines, son odeur est devenue la sienne, ses paroles sont des conquêtes à venir. Il joue à défaut de parler et, comme elle le fait pour deux, ce charme silencieux attise sa curiosité.

La nuit de leur septième rencontre, leurs corps ont pris l’habitude et se trouvent sans se chercher. Elle lâche prise, paupières closes, souffle haletant, elle ose tout :
— Je veux être chanteuse. J’ai une belle voix, enfin je crois. Tu me laisserais chanter avec toi ?
Il se redresse, les yeux écarquillés, surpris autant que déçu.
Encore une fille intéressée, pense-t-il, c’est à croire que je les attire !
Blasé, il ricane une réponse évasive avant de l’embrasser sur le front comme une petite fille.
Elle insiste. Il lui promet qu’il y pensera tout en lui jouant un dernier morceau de piano, une cigarette au bord des lèvres. Une manière détournée de lui dire adieu avant de la sortir du lit. Il est pressé, un rendez-vous important l’attend pour l’enregistrement de son premier disque. Elle est fière, l’encourage, se réjouit, mais il ne l’écoute plus et l’incite à s’habiller pour la pousser dehors sans même lui offrir un café.
Il est en retard, tellement en retard qu’il n’a pas le temps de la ramener à moto. Elle cache sa déception sous un sourire forcé.
Ensuite vient le silence jusqu’à la gare routière, à pied dans les rues de Lille. Le dernier baiser, à la va-vite au bord du trottoir, elle le sentira longtemps grésiller sur ses lèvres, pareil à un courant électrique.

Avant de la quitter, il pianote sur la vitre et lui adresse un clin d’œil. Elle rit, émue d’entrer dans l’intimité des garçons, ces matelots dont elle ignore à peu près tout. Fascinée, elle se colle à la vitre de l’autocar pour le contempler jusqu’à l’ultime soupçon de son blouson qui se perd dans le flot des silhouettes.

Plus tard, dès le lendemain, elle roule juchée sur sa bicyclette, les cheveux lissés par la brise de midi, sous le soleil d’août, encore toute pleine de lui.
Elle roule pour l’attendre plus vite, le sourire angélique, gorgée de souvenirs qu’elle ravive à chaque coup de pédale, mais que la lumière trop crue s’obstine à rendre flous.

Souvent, elle implore sa mère : Apprends-moi, apprends-moi, les chansons de l’oncle. Mais Jeanne ne sait pas chanter et ne se rappelle jamais les paroles. C’est une pitié de l’entendre articuler un son, une offense à l’oreille. La fillette a beau insister, la mère chiffonne un bout de refrain avant de se remettre à l’ouvrage. Constamment débordée, elle laisse Lysiane pousser toute seule telle une herbe folle.

Il arrive que la petite se faufile entre la jupe et le tablier de sa mère, histoire de se rappeler à son bon souvenir. Elle s’y enroule et réclame inlassablement la part d’affection qui lui est donnée sans lui convenir, traînant autour de Jeanne à la manière des petits chiens qui reviennent à peine ont-ils été chassés. Et c’est une danse sans fin où les partenaires se frôlent sans jamais se toucher. La mère surveille, laisse sa fille grandir tout en imitant chacun de ses gestes, fière de l’avoir à ses côtés comme un clone en miniature.

La semaine, Lysiane passe plus de temps à mettre le couvert et à couper des légumes en rondelles qu’à faire ses devoirs. L’école, pour elle, c’est secondaire. Plus tard, elle tiendra l’auberge des Flandres comme ses parents le font en ce moment, elle en est persuadée. Pourtant, parfois, les jours de fête en particulier, lorsque l’oncle vient interpréter les danses traditionnelles, il lui arrive de s’inventer une autre vie. Elle se glisse sous la chaise du musicien, sent le souffle de l’instrument l’envahir et la faire vibrer. Transportée, elle s’imagine improviser sur les notes de l’accordéon. Elle rêve de chanter avec la voix des anges, limpide et haut perchée, cristalline et sans échardes.
Les danses de l’oncle font éclore les histoires d’amour, elle le sait. Le Mieke Stout met les jeunes couples face à face. Premières œillades, premiers sourires. Ce sont les préliminaires avant de s’offrir une bière ou une limonade en échange d’un baiser furtif. Le vrai baiser est donné ailleurs, loin de ses regards d’enfant curieuse, dans une voiture le plus souvent. Le scénario est tellement prévisible qu’elle ne peut s’empêcher de rêver plus grand.
Alors, elle réclame d’apprendre la musique. Elle veut imiter l’oncle et jouer d’un instrument. N’importe lequel. Un vieux tuba traîne sur le haut d’un buffet, elle se perche sur une chaise pour l’attraper. Les lèvres en cul de poule, elle souffle dans l’embouchure. Le cuivre tapisse sa bouche d’un goût de métal. Les sons sont graves et poussifs, disgracieux et aussi lourds que la relique aux pistons vert-de-gris. Dès que l’oncle arrive, Lysiane le tanne pour jouer de son accordéon trop grand, trop lourd et trop encombrant. En grandissant, elle s’amuse à chantonner.

L’écho de sa voix retentit dans le couloir de l’étage, dévale l’escalier et se répand jusqu’au rez-de-chaussée. Personne n’y prête la moindre attention, c’est pourquoi Lysiane insiste et consacre des heures à ses vocalises. Elle attend une remarque, un petit quelque chose, une ébauche de réaction, mais nul n’écoute ses prouesses vocales (ses délires, pense-t-on, sans le lui dire) ; alors elle serine, se plaint, invente des stratagèmes pour parvenir à ses fins. Tout le monde s’accorde à penser que c’est une lubie vouée à amuser la galerie, un caprice de petite fille qui lui passera avec le temps.

Les danses de l’oncle, elle finit par les savoir par cœur, jusqu’à la nausée ; et ce qui faisait sa joie autrefois, tourne au supplice. Quinze ans d’un rituel immuable, éternel et bien rodé auquel elle assiste en jupe longue et en tablier, digne réplique de sa mère. Après la carbonade flamande, le potjevleesch ou la flamiche au maroilles, l’oncle s’installe sur un tabouret pour jouer les airs traditionnels. Rompus à l’art d’alterner pas sautillés et pas courus à grand renfort de tours en moulinet, les convives se mettent à danser.
Chacun participe de bon cœur à cette chorégraphie que Lysiane rejette désormais avec mépris. Depuis qu’elle a entendu « Jolene » à la radio en montant dans le bus, elle ne jure plus que par la country. La chanson a beau dater, elle sonne à son oreille comme une nouveauté. La cassette, elle l’achète chez le disquaire de Cassel où elle se rend dès le samedi suivant à vélo. Elle en profite pour rafler tous les albums de cette interprète américaine qu’elle trouve magnifique sur les jaquettes.

En rentrant à l’auberge, elle pose sa bicyclette contre le mur et se précipite dans sa chambre. Elle attrape son baladeur et se jette sur son lit avant de chausser son casque. Aussitôt que la voix de la chanteuse à la coiffure de lionne frôle ses tympans, elle commence à fredonner. L’artiste lui est parfaitement inconnue, bien que son visage lui paraisse familier. Entre elles, il y a comme une ressemblance, étrange sensation de mimétisme que rien, à l’exception de la couleur des cheveux, ne vient confirmer dans la réalité.
Le boîtier vide entre les mains, Lysiane se souvient. Apprends-moi, apprends-moi, les chansons de l’oncle. Elle se souvient d’avoir tant réclamé que sa requête s’était transformée en une ritournelle anodine, pareille au tic-tac de l’horloge de la cuisine qui revient sans cesse, mais que l’on n’entend plus.
Elle se souvient et regrette, toute jeune qu’elle soit, d’avoir le sentiment d’être déjà passée à côté. Comment devenir chanteuse sans avoir jamais chanté ? Pour se rassurer, elle se dit qu’il existe d’autres moyens de réussir que de passer par les voies toutes tracées. Elle pourrait s’inspirer de Dolly Parton qui lui offre un modèle de féminité aux antipodes de celui de sa mère. Si elle l’écoute et l’observe attentivement, elle apprendra et se transformera, se donnant ainsi une chance d’échapper à sa vie morose. Dès lors, elle n’hésite pas à épuiser son argent de poche, allant jusqu’à chaparder quelques billets dans la caisse, pour s’offrir du maquillage, du vernis à ongles et des bigoudis. Déterminée, elle s’échappe à bicyclette tous les samedis, entonnant « Jolene » à tue-tête sur la route bordée de champs couverts de jeunes pousses. Hors du temps.

La chambre de Jeanne est grande et spacieuse, dotée d’une coiffeuse blanche à tiroirs sur laquelle elle a disposé des flacons de parfum qu’elle n’utilise jamais. Lysiane s’en charge depuis qu’elle a l’âge de se tenir assise sur une chaise face à un miroir. C’est donc naturellement là qu’elle s’installe pour ôter les bigoudis qu’elle a enroulés dans ses cheveux la veille au soir avant de se coucher. Des boucles serrées s’étirent comme des ressorts qu’elle peine encore à assouplir sans les réduire à néant. Elle s’est levée tôt pour se farder les paupières de bleu, recourber ses cils avec la brosse de mascara et couvrir ses ongles d’un vernis rouge, trop vif pour une fille d’à peine seize ans. Ravie, elle contemple le résultat de ses premières tentatives, collée au miroir, fascinée par sa beauté naissante. En sourdine, elle répète, sans bien le comprendre, le refrain de « Jolene » et se surprend à rêver d’un beau brun venu d’ailleurs qui aura des yeux noirs et une barbe fraîchement taillée, juste pour elle.
Transformée, elle descend les escaliers, rejoint la cuisine et s’installe à table.
Jeanne la dévisage, Pierre se tait.
— Quoi ? lâche-t-elle, agressive pour la première fois, surtout gênée.
Rien. Ils baissent les yeux et ne disent rien.
Pierre croque dans sa tartine de pain beurré, Jeanne avale une gorgée de Ricoré. Lysiane, en attente d’une conversation qui ne vient pas, a l’appétit coupé. Dépitée, elle finit par se lever.
— Merci pour le compliment ! lance-t-elle avec amertume, juste avant de claquer la porte de la cuisine.

L’horloge sonne sept coups lorsqu’elle quitte l’auberge le ventre vide et le cœur froid. Elle enfourche sa bicyclette et laisse ses nouveaux cheveux flotter au vent. Ses ongles de feu sont sa revanche sur le silence, la preuve évidente qu’une flamme brûle en elle malgré l’ennui, l’isolement et tout ce que la vie nous empêche d’accomplir, sans se justifier.

La voix cristalline de Dolly Parton la sépare d’elle-même autant qu’elle l’en rapproche. Quand elle l’écoute, Lysiane a l’impression de s’ouvrir en deux comme une grenade dont les arilles explosent dans la bouche en un mélange doux-amer. Elle veut tellement lui ressembler que la tâche lui paraît insurmontable même si elle l’emplit de joie. En descendant du car, elle se mêle au flot des élèves avant de bifurquer à l’approche du centre-ville. Elle ne le fait pas exprès. C’est ainsi. Elle déserte le lycée pour errer dans les rues d’Hazebrouck, minuscules à son goût. Elle lèche les vitrines, ouvre grand les yeux, regarde tout, capte comme une antenne. Sa jupe longue se raccourcit. Les corsages à col rond deviennent des hauts cintrés. Le duffle-coat à capuche tombe pour un trench noir. Les ballerines se métamorphosent en escarpins. Ses formes, elle les apprivoise au lieu de les cacher. Elle en fait une arme pour la suite.
C’est ainsi qu’elle divague, un casque sur les oreilles, ses cassettes dans les poches. De retour à l’auberge, elle se change en cachette avant d’aller saluer ses parents. Dans l’ombre, elle se prépare, la tête agitée de rêves, ne sachant comment les réaliser.

Ce petit manège dure jusqu’à ce que les aubergistes reçoivent un appel du lycée. Jeanne décroche le téléphone, Pierre attrape l’écouteur. Ils se regardent en chiens de faïence et tombent des nues. Rien dans le comportement de leur fille ne les a préparés à une telle annonce. Trop choqués pour intervenir, ils se contentent d’écouter le bilan détaillé du C.P.E. « Le nombre de jours d’absence est faramineux », juge-t-il, avant d’en venir à la moyenne en chute libre. « Quant à ses tenues, n’en parlons pas… » Jeanne et Pierre remercient dix fois qu’on les ait prévenus. Ils vont remédier à tout cela dans les plus brefs délais. Ils s’y engagent et remercient encore avant de raccrocher.
Pareils à des statues, ils demeurent pétrifiés face au téléphone, puis, dans un même élan, vont s’installer sur le canapé, les mains posées sur les genoux. Qu’arrive-t-il à leur fille qu’ils n’ont pas vu venir ?

Lorsque Lysiane rentre du lycée, ils n’ont pas bougé. D’un hochement de tête, ils l’invitent à s’asseoir près d’eux afin de mettre la situation au clair. Sans gêne ni culpabilité, elle admet qu’elle sèche les cours depuis plusieurs semaines parce qu’elle s’ennuie ferme. C’est sa nouvelle façon de parler.
Contre toute attente, elle semble soulagée plutôt que prise en faute. Elle aura seize ans deux mois plus tard, l’âge de travailler à l’auberge et de gagner un salaire, ce qui lui évitera de se servir dans la caisse pour s’acheter d’autres vêtements que ceux que sa mère s’obstine à lui commander sur catalogue.
— Parce que tu piques dans la caisse maintenant ? s’étonne Jeanne. Il te suffisait de demander. Tu as de l’argent de poche et on n’a jamais refusé de t’en donner davantage si tu en avais besoin !
— Je sais.
— Alors ?
— Je ne sais pas. Pour me sentir libre.
— Et puis quoi encore ! s’énerve Pierre.
— Je veux devenir chanteuse, le reste ne m’intéresse pas.
— Sois raisonnable, cette vie-là, ce n’est pas pour des gens comme nous.
— Et pourquoi pas ? fulmine Lysiane qui peine à contenir sa colère. Si vous m’aviez écoutée quand je vous réclamais d’apprendre la musique, tout serait différent aujourd’hui, mais vous ne m’avez jamais prise au sérieux !
— Là n’est pas la question, tranche Pierre. À ton âge, je refuse que tu traînes en ville à ne rien faire au lieu d’étudier. Regarde les mains de ta mère, regarde ce qui t’attend si tu t’obstines et réfléchis bien.
Dans un éclat de rire, Lysiane bondit du fauteuil pour mieux défier son père.
— Pas la peine, j’ai eu tout le temps de la voir à l’œuvre !
— Ne sois pas insolente, riposte Jeanne, blessée par le mépris de sa fille.
— Qui vous donne des coups de main gratis depuis des années ? Qui ? Vous pouvez me le dire ? Depuis que je suis gamine, vous me répétez que ma place est ici et, quand je peux enfin la prendre, vous m’exilez au lycée où je m’embête à longueur de journée.
D’un geste théâtral, elle repousse les boucles blondes qui sont venues lui entraver la vue. Surtout, ne pas esquiver le rapport de force. Ni cette fois ni plus jamais. Ce qui lui a manqué dans son enfance, elle compte bien le récupérer par un autre biais, mais elle est loin de se formuler les choses en ces termes.
— Je veux prendre des cours de chant et bosser ici en attendant de trouver un travail dans la musique. C’est ça ou rien, lance-t-elle comme une bombe.
— Chanter n’est pas un métier !
C’est lui qui parle le premier, la réplique fuse et serre la gorge de Lysiane.
Elle se défend.
— Et Édith Piaf ? A-t-elle eu tort de consacrer sa vie à la chanson puisque vous l’écoutez encore, plus de vingt ans après sa mort ?
Pierre ironise sur le parcours chaotique de cette femme devenue alcoolique à force de chanter. Jeanne tempère. Ce n’est pas la vie d’artiste qui l’a démolie, c’est la vie tout court… Pauvre fille, qu’aucun malheur n’a épargnée… Lysiane enchaîne sur l’objet de ses fantasmes, la chanteuse de country américaine née dans un village paumé avant de devenir star à Hollywood.
— Encore une pin-up ! s’exclame Pierre d’un air détaché.
Sous le regard consterné de Lysiane, Jeanne se lève en signe d’agacement. Pierre l’exaspère lorsqu’il se permet de réduire les jolies femmes à des séductrices idiotes. Elle sait que Lysiane l’attend au tournant, mais préfère calmer le jeu plutôt que d’assumer ses convictions. Elle finit donc par ravaler ses paroles dans un toussotement de gêne.
Déçue, Lysiane prend la relève et invective son père.
— Dolly est une femme d’affaires en plus d’être chanteuse. Elle en a dans la cervelle. Contrairement à ce que tu crois, ce n’est pas parce qu’elle est blonde et sexy que c’est une potiche. La preuve, elle joue de la guitare et compose elle-même sa musique !
— Tu ne sais pas aligner trois notes, alors…
— La faute à qui ?
Les parents se taisent.
Un silence de plomb étouffe la réponse attendue qu’une rage féroce vient remplacer. Une grenade qui lui mord les entrailles.
Pierre finit par se lever à son tour tandis que Jeanne s’approche de la fenêtre et plonge son regard dans le paysage. Cette manière bien connue de fuir horripile Lysiane qui se met à tapoter des doigts sur la table du salon tout en fixant le papier peint. La tension monte, elle attend un signe, un mot, n’importe quoi, mais rien ne vient. Acculée, elle s’extrait du fauteuil et finit par lâcher ce qu’elle a sur le cœur. C’est le seul moyen qu’elle a trouvé pour ne pas exploser.
— Tes vieilles rengaines du samedi soir, j’en ai assez, lance-t-elle à son père sans ciller. Il est grand temps de moderniser tout ça, si tu veux rester dans le coup. Et toi, maman, toi qui ne dis jamais rien, tu es d’accord avec lui ? demande-t-elle, menton en avant, cherchant la provocation.
— Passe ton bac, après on verra, c’est la vie qui décide de toute façon. Moi aussi, j’ai eu des rêves, comme tout le monde.
Le visage de Pierre se décompose, l’obligeant à baisser les yeux.
— Et lesquels par exemple ? s’enquiert Lysiane, intriguée.
Chacun se redresse, impatient d’écouter les explications de Jeanne, mais le temps se dilate et la réplique se fait attendre.
— Je ne sais plus, finit-elle par abréger, en sortant de sa poche une cigarette à moitié consumée.
— Comment ça, tu ne sais plus ? s’indigne Lysiane dont la déception n’a d’égale que son agressivité.
L’aubergiste ouvre la fenêtre et sort son briquet.
— Ne fume pas dans la maison, Jeannette, tu sais que j’ai horreur de ça !
Lysiane s’approche de sa mère, submergée par l’émotion.
— Alors, vraiment, tu as oublié ce que tu aurais aimé faire de ta vie ?
Jeanne allume sa cigarette et Pierre lui répète d’aller s’intoxiquer dehors. Plus personne ne bouge, mais chacun se défie, testant les limites. Alors, comme sa mère garde le silence et tire une longue bouffée de cigarette en esquivant le regard de son père, Lysiane quitte la pièce et claque à nouveau la porte pour ne pas dégoupiller.

Dès le lendemain au petit déjeuner, Lysiane avait franchi le seuil de la cuisine en robe courte et talons hauts, résolue à ne pas prendre le bus. De toute sa hauteur, elle avait toisé ses parents avant de s’installer à table. Elle n’irait plus au lycée, inutile d’avoir un diplôme pour être serveuse.
Elle avait relancé les hostilités, néanmoins la tension était vite retombée. Ses parents avaient plié.
Toute la nuit, ils s’étaient interrogés. D’abord allongés chacun de leur côté puis adossés à la tête de lit. Ils avaient discuté dans le noir, en murmurant.
Comment avaient-ils pu être aussi aveugles, aussi indifférents ? À bien y réfléchir, Lysiane n’avait pas tort… Combien de fois leur avait-elle demandé de l’inscrire à un cours de musique ? Petite, elle ne réclamait que cela, mais ils avaient d’autres préoccupations, remettant à plus tard. Obnubilés par l’auberge, ils n’imaginaient pas que leur fille puisse penser autrement qu’eux. N’était-elle pas toujours volontaire pour les aider ? Sans doute, pourtant si elle les suivait à la trace, c’était surtout dans le but de trouver l’occasion de glisser la supplique qu’ils n’entendaient même plus.
La culpabilité les rendit muets, les mains jointes posées sur le drap. Ils décidèrent de donner raison à leur fille et, partant, d’essayer de se faire pardonner.
Dès que Lysiane comprit qu’elle avait eu gain de cause, sa colère retomba ; et une nouvelle vie commença.

Les premiers mois, elle avait montré patte blanche, exécutant tout ce que ses parents lui demandaient de faire, de la cuisine au service en passant par le ménage. D’ailleurs, elle ne rechignait pas à la tâche et affichait même un enthousiasme débordant. Dynamique et entreprenante, elle rongeait son frein pour ne pas mettre l’auberge en branle-bas de combat. Si elle s’était écoutée, elle aurait tout changé, de la décoration au menu, de la musique au choix de sa tenue de service ; mais elle avait compris qu’il valait mieux progresser par étapes, c’est pourquoi elle rognait petit à petit l’espace d’une liberté qui lui manquait chaque jour davantage.
En dehors du travail, elle s’enfermait dans sa chambre où elle écoutait Dolly, feuilletant les magazines people. Chaque semaine, le jeudi, parce que c’était jour de fermeture, elle sautait dans le car pour aller s’acheter de nouveaux vêtements, des chaussures et toutes sortes d’accessoires à Hazebrouck. Elle revenait de la ville les bras chargés de sacs trop légers à son goût, mais le cœur rempli de nouvelles envies. Parfois, lorsqu’elle étouffait à l’auberge, elle s’évadait sur sa bicyclette. C’était une escapade pour laquelle elle se maquillait et se parfumait autant que pour le reste. Hormis ces petites virées, elle ne sortait jamais de l’estaminet. Elle n’avait pas d’amis à voir, pas de rendez-vous à honorer. Sa vie était réglée comme du papier musique, bercée par les rêves qu’elle s’inventait. En état de gestation, elle se maintenait dans sa bulle tel un papillon dans sa chrysalide, se transformant au fil des mois. Elle apprenait à sourire, à charmer, à nouer le contact. Au bout d’un an, elle s’octroya le droit de porter un tablier court sur une jupe à peine plus longue.
Sa féminité lui donnait de l’assurance.
Le rouge sur les ongles, sur les lèvres… Des lèvres de feu.
Les regards portés sur elle se transformaient aussi ; et souvent, on lui faisait de l’œil. Elle est bien jolie, la fille de l’auberge ! Une belle fille à marier !
Lorsque ce genre de remarques courait jusqu’aux oreilles de Pierre, il renvoyait sa fille à la cuisine et prenait le relais.
Reléguée en coulisses, Lysiane pestait en essuyant les verres au torchon. Elle regrettait de ne pouvoir se prêter au jeu de la séduction. Se sentir désirée la grisait, mais elle savait définir des limites, attiser le feu sans se brûler, se garder pour celui qu’elle attendait vraiment.

Durant une année et demie, elle apprit le métier, gagna en maturité et se montra presque docile avec ses parents. L’auberge n’en était que plus rayonnante, car chacun assumait son rôle avec dévouement.
C’est alors que Fred Solange fit irruption dans sa vie.
Un soir, quatre jeunes garçons s’étaient assis au bar pour commander des bières. Elle les avait préparées, laissant la mousse retomber sur les rebords des verres tulipes. Un nectar doré tout juste sorti de la tireuse.
Elle avait plaqué quatre dessous de verre en carton, en ligne parfaite, au milieu du comptoir, avant d’y déposer les bières d’un geste expert, les fixant chacun leur tour droit dans les yeux.
Cet aplomb avait plu à Fred. Ce savoir-faire, ce n’était pas donné à tout le monde. Alors, il l’avait observée, laissant à la conversation le soin de s’animer sans lui, et son regard s’était perdu dans ces boucles blondes, ces lèvres bien dessinées, d’un rouge aussi vif que sur les toiles de Picabia. Pour l’attirer à lui, il avait levé la main, commandé un petit quelque chose à grignoter, comme ça, sur le pouce, à même le bar, avant de s’en aller. Ils étaient pressés, ils venaient de donner un concert à Dunkerque et avaient fait escale ici par hasard avant de rejoindre Lille. « Une bonne idée ! » avait-il ponctué, un doux clin d’œil à son adresse. Elle avait compris qu’il la draguait, immédiatement. De cela, elle avait l’habitude à l’auberge, mais des gars beaux comme lui, il n’y en avait pas beaucoup ; et musiciens, encore moins, alors elle était sortie de sa froideur habituelle.
— Vous jouez de quoi ?
— Piano, synthé, je chante aussi. Bref, je fais tout. Les trois autres m’accompagnent pour la logistique.
— C’est bien, avait-elle répondu, en regrettant de manquer de repartie.
Elle lui avait proposé une part de flamiche au maroilles – la spécialité locale –, mais s’il était lillois, il connaissait forcément…
C’était parfait, ils avaient aussi repris une bière et Fred avait continué à s’agripper à la jolie blonde qui passait de table en table avec une fluidité déconcertante.
Au moment de partir, il lui avait donné son nom.
— Je reviendrai vous voir, avait-il ajouté, enfin, si vous voulez bien.
Et elle n’avait pas refusé, alors il était revenu, à moto cette fois, et, malgré les mises en garde de sa mère et de son père, Lysiane avait enfourché l’engin rouge vif avec assurance. Elle avait soif de partir, de découvrir, de croquer la vie et de sortir de sa campagne trop connue ; avide de tout, elle l’avait suivi les yeux fermés, guidée par une euphorie qui ne souffrait aucune nuance.
Le casque, il le lui avait accroché juste après l’avoir embrassée.
Premier baiser volé qu’elle n’avait pas vu venir.
Elle avait eu un mouvement de recul, il avait ri, enfoncé le casque sur sa tête, regretté d’écraser ses jolies boucles ondulées, puis il s’était installé au guidon sans casque avant de démarrer. Le moteur avait émis un grognement musclé et le bolide avait traversé la route nationale à toute vitesse.
Il avait tout, celui-là, se répétait-elle, grisée par cette liberté qu’elle croquait comme le fruit défendu. Beau, brun, musicien, citadin, avec quelques années de plus qu’elle pour l’emmener plus vite et plus loin, au-delà même de ses espérances.

Fred Solange. Elle répétait son nom en boucle, sur les intermèdes de Dolly, ces espaces sans paroles qu’elle pouvait combler à sa guise.
Pour penser à lui, elle enfourchait son vélo et filait à toute allure dans la plaine, cheveux aux vents, ravivant les sensations qu’elle éprouvait sur la moto, un total abandon à un plaisir indécent qu’elle n’avait pas les mots pour nommer. De ces escapades extatiques, elle revenait pimpante et essoufflée, courant se changer, se coiffer, se maquiller avant d’enfiler son tablier pour assurer le service du soir.
Depuis sa rencontre avec Fred, son sourire était plus large, ses mots plus nombreux. Elle exultait, ressassant ses attentes à l’infini.
Bientôt, il l’emmènerait à ses concerts, cela ne faisait aucun doute. Ne le lui avait-il pas promis ? Avec un peu de patience et d’adresse, il la surprendrait en train de chanter sous la douche et resterait bouche bée, envoûté, stupéfait de n’avoir pas détecté immédiatement ce talent. Aussitôt, il lui proposerait de chanter avec lui, en tant que choriste, puis en duo, et puis comme soliste, chacun son tour, et pourquoi pas ?
Elle imaginait sa vie comme on écrit des histoires, avec l’illusion de tout maîtriser.
Dans cette perspective, ses virées à vélo se voulaient des galops d’essai, des espaces de liberté où elle composait un scénario idéal dans lequel elle jouait le rôle de la chanteuse tout droit sortie de sa campagne, mais dont la beauté transformait tout. Aussi se voyait-elle un peu comme Dolly Parton ou comme Lily Stevens dans La Femme aux cigarettes, la transfuge irrésistible que rien n’arrête.
Au début, Fred avait succombé à ce charme maladroit dont la spontanéité n’a d’égale que l’innocence des premières fois. Et peu importe que ses coéquipiers se soient moqués de lui, et d’elle – surtout –, elle lui avait tapé dans l’œil et il s’amusait bien. Elle riait comme une gamine, contente de tout, naïve et admirative.
Quand il lui avait demandé son âge, elle lui avait retourné la question et, comme il avait refusé de répondre, elle s’était dérobée dans un éclat de rire.
Bientôt pourtant, il commença à se dire que la plaisanterie avait assez duré. La fille s’attachait, se pendait à son cou, le présentait comme son petit ami alors que lui n’avait pas la moindre intention de s’engager. Elle s’offrait à lui corps et âme, demandait un peu plus après chaque étreinte jusqu’à prétendre chanter avec lui. La limite était franchie. Au petit matin, il lui joua une mélodie composée juste pour elle en fumant une cigarette avant de lui annoncer qu’il était l’heure de partir.
Un rendez-vous l’attendait, sa carrière commençait à décoller, il allait bientôt enregistrer un disque, il ne pouvait pas la ramener à moto jusque chez elle cette fois-ci…
— Bien sûr, lui avait-elle répondu, fière et inquiète à la fois.
Le pas pressé sur les pavés lillois, il l’avait donc déposée à la gare routière, jouant la comédie de l’amoureux qui reviendra, le cœur déjà allégé d’une conquête amusante, mais dont les attentes ravagent la pérennité.
Car il n’était pas du genre à s’attacher ni à se laisser mener par le bout du nez ; contrairement à ce que Lysiane s’était imaginé.

Par la grâce du jeudi de fermeture, Jeanne demeura longtemps assise, une tasse vide entre les mains pour réfléchir.
Sa fille était partie au lever du jour, en catimini. Pas de moto pour l’emmener l’espace d’une nuit et la redéposer le lendemain.
Juste une absence.
Le ciel était bleu nuit. L’ampoule se reflétait sur la vitre et les tulipes roses s’inclinaient comme des danseuses sur la table.
Lorsque la porte du garage avait claqué, elle s’était précipitée à la fenêtre où elle l’avait vue courir le long de la nationale privée de lampadaires. Au mieux, elle attraperait le bus, au pire, elle ferait du stop. C’était sûr. Si seulement elle avait su conduire, elle l’aurait cueillie au bord de la route pour l’emmener où elle voulait, sans lui poser la moindre question.
Mais c’était déjà trop tard pour chercher à comprendre de toute façon.
Le garçon avait disparu avec la moto ; et depuis, Lysiane arborait le visage fermé, blanc et lisse des poupées de cire.
Une poignée de nuits… juste quelques nuits passées ailleurs… une rencontre, un fol espoir et puis plus rien.
Il n’en fallait pas davantage pour abîmer sa fille.

Quand Pierre remonta de la cave où il sculptait ses avions en bois, il ne s’étonna pas de la trouver figée, cramponnée à sa tasse. Lui aussi avait entendu la porte du garage claquer et lui aussi avait regardé Lysiane se précipiter le long de la grande route en regrettant de n’avoir jamais passé son permis de conduire.
Unis par les mêmes craintes, ils accumulaient les questions dans le vide et leur esprit devenait flou, envahi d’incertitudes.
Comment ne pas s’accorder sur le fait que leur fille avait perdu sa joie de vivre, ses coups d’éclat et ses lubies ? Évaporés depuis que la moto ne se pointait plus. Sujet intouchable et tabou qui les mettait unanimement mal à l’aise.

Jeanne attendit toute la journée, collée à la vitre, une cigarette au bec. Pierre fit de même à la cave, coupant du bois au lieu de fumer.
Que lui avait-il dit ? Que lui avait-il fait ? se demandait Jeanne.
Un chagrin d’amour n’est jamais sans conséquence.
Rongée d’inquiétude, elle aurait voulu savoir la retenir et la consoler, mais Lysiane était fuyante, tellement fuyante…
À mesure que la journée s’écoulait, elle se sentait de plus en plus ouverte et sans attente, dévouée à sa fille et prête à tout accepter pourvu qu’elle desserre enfin les lèvres.

Bien des années plus tard, Jeanne fit le récit de cette attente insupportable, les larmes aux yeux. Elle la raconta pour briser la chaîne des malentendus.

Lysiane rentra en fin de journée. Ses cheveux étaient lisses et son maquillage avait coulé. D’emblée, elle avait plongé dans les bras de sa mère au lieu de foncer dans sa chambre pour s’y enfermer. Contre toute attente, elle ne l’avait ni fuie ni repoussée, mais elle était revenue, dépouillée de son masque d’orgueil, comme une enfant prise au piège. Alors, Jeanne l’avait serrée contre sa poitrine, soulagée autant qu’abasourdie, car elle n’avait pas l’habitude de ce genre d’effusion. Par ma faute, pensa-t-elle. Elle n’était ni tactile ni sentimentale et préférait s’abrutir à la tâche plutôt que de s’épancher. S’il n’y avait donc pas eu beaucoup de tendresse entre elles, c’était de son fait.
Lysiane s’adossa au mur, Jeanne fit de même juste à côté d’elle et elles fixèrent l’horloge dont la trotteuse n’en finissait pas de tourner.
— J’ai été jeune avant toi, ne crains rien, tu peux tout me dire.
Les mots étaient venus tout seuls, sans un regard, comme si Jeanne se parlait à elle-même.
La trotteuse eut le temps de faire encore un tour de cadran avant que Lysiane ne s’effondre à ses pieds, en larmes. D’un geste maladroit et hésitant, Jeanne glissa sa main dans ses cheveux. Ils étaient doux et chauds, très épais. Rien à voir avec les siens.
Lorsque Pierre apparut à la porte, il se crut face à une Pietà et la pudeur lui dicta de s’éclipser aussitôt. Quelques instants plus tard, Jeanne entendait le vrombissement de sa ponceuse électrique. Comme s’il voulait leur laisser toute la place pour se parler sans risquer d’être interrompues.
— Je suis enceinte, lâcha Lysiane, en se frappant le ventre d’un poing serré.
Sa voix éraillée, écaillée, raturée, contrastait avec la violence compulsive de son geste. Ce bébé, elle refusait de le garder et voulait que Jeanne l’accompagne à l’hôpital, puisqu’elle était trop jeune de quatre mois pour faire ça toute seule.
— Quatre mois, rien que quatre mois, et j’aurais pu faire mes choix sans rendre de comptes à personne, répétait-elle en grand désespoir.
Mais plus Lysiane se lamentait, plus Jeanne se sentait rassurée. Pour elle, ces quatre mois étaient un miracle. Quatre mois bénis sans lesquels sa fille se serait fait avorter toute seule, comme d’autres font un bébé toutes seules, comme dans la chanson.
— Garde ton enfant. Je m’en occuperai pour toi et tu seras libre de faire ta vie.
— Ma vie ? Elle est foutue ! Complètement foutue !
Impossible de la contredire, et pourtant, tout en elle pensait le contraire, c’est pourquoi Jeanne la laissa expulser, entre pleurs et exclamations, sa révolte débordant de détresse et de dépit, issue d’un immense sentiment d’humiliation.
Elle l’apaisa comme elle pouvait. Mot après mot. Pas trop vite pour qu’elle absorbe sans rejet. Lysiane était jeune, belle, en pleine santé. Rien ne se jouait en une seule partie. Il y avait toujours une revanche à prendre, de nouvelles expériences à vivre et d’autres rencontres possibles…
Lysiane renifla, Jeanne lui tendit le mouchoir qui traînait sur le plan de travail, et elles se replacèrent dos au mur, côte à côte, sans autre caresse ni regard.
— Je suis trop jeune, viens avec moi, s’il te plaît. Toute seule, je ne peux pas, je n’ai pas le droit. Aide-moi pour ça. Je t’en supplie.
Le balancier de l’horloge scandait les secondes comme si de rien n’était et la trotteuse achevait de faire le tour du cadran lorsque l’aiguille atteignit le sept pour enclencher le carillon.
Sept coups à la césure desquels leurs yeux se retrouvèrent.
Ensuite, le mouvement lancinant du balancier vint consoler le silence, un va-et-vient régulier auquel Jeanne s’accrocha pour lutter contre elle-même et rester à sa place. Dans son esprit, des questions plus chaotiques les unes que les autres se chevauchaient, mais quel droit aurait-elle eu de les poser ?
— Bien sûr, je vais t’accompagner. On fera comme tu voudras, c’est à toi seule de décider.
Elle énonça sa réplique sans y mettre le ton, comme un texte appris par cœur, et ce flegme raviva la colère de Lysiane qui s’infligea de nouveaux coups dans le ventre.
— Ne te fais pas mal, implora Jeanne, en lui attrapant le bras. Tu souffres, je le sais, je le sens. Fais-moi confiance, je suis ta mère et je respecte ta décision. Toute femme doit avoir le choix pour ces choses-là. Un choix incontestable que nul n’est en droit de juger.
Cette fois, parce que la compassion de Jeanne transparaissait dans sa voix, Lysiane entendit ses paroles et cessa de se violenter, remplaçant les coups par des larmes silencieuses.
En la voyant ainsi, si jeune et démunie, Jeanne se demanda pourquoi il lui avait fallu attendre que sa fille se retrouve genoux à terre pour se sentir investie de son rôle de mère.

Jeanne l’accompagne, branlante comme une quille. La plaine est d’une noirceur pesante, son père à la fenêtre jusqu’au dernier moment. Une vieille habitude. Cette fois-ci, elle pensait qu’il aurait réagi, émis un commentaire, susurré un reproche ; mais rien. Aucune instance supérieure pour la sortir du tunnel ombrageux dans lequel elle s’était perdue. Un mot aurait suffi, un regard peut-être. Une étreinte aurait été de trop. Il est des gestes qui ne s’apprennent pas sur le tard.
Elle part donc seule avec sa mère, bien obligée. Trois mois et deux semaines de plus auraient tout changé. Des nausées, nul signe. Si son sang n’avait pas cessé de couler, elle n’aurait rien perçu de différent en elle, rien soupçonné.
Sa mère répète les mêmes mots tout au long du trajet : Ça va ? Ça va aller ? En boucle, comme une prière vouée à calmer ses jambes et ses mains tremblantes alors que c’est elle qui devrait avoir peur.
Excédée, Lysiane pose son casque sur ses oreilles pour se protéger de son insupportable anxiété.
Avec Jeanne, elle se sent incomprise et irascible, toujours prête à exploser. Que sa mère soit à ses côtés dans ce moment crucial ne compte pas. Entre elles, tout a déjà volé en éclats depuis longtemps.
La preuve, la voilà enceinte. Mal préparée à la vie, sacrifiée avant d’avoir eu son mot à dire. Victime des illusions dont elle s’est bercée à défaut d’avoir eu le droit de réaliser son rêve.
Sacrifiée. Elle se sent sacrifiée, car une vie pousse dans son ventre. Une vie capable de ruiner ses espoirs et de prendre sa place.

Le soleil pointe, la plaine défile plus vite maintenant que l’ombre se dissipe. Il se fait jour dans son esprit. L’hôpital est en périphérie de la ville. Elles iront en taxi, pour être sûres d’arriver à l’heure. Les places sont rares, le temps compté. La honte sera vite oubliée. Une honte banale de fille.
Elle hausse le volume, sa mère serre les jambes et se tord les mains. Lysiane s’arrime à la vitre de l’autocar. Elle avance dans le sens inverse du trajet effectué quelques semaines plus tôt, la même autre vie cachée en elle, mais dont elle a connaissance cette fois-ci. Son clin d’œil, elle le revoit. Cet affront-là ne s’efface pas. Elle a tellement cru qu’il reviendrait…

Elles descendent du car, Jeanne la première. Elle traîne au point que Lysiane la bouscule et finit par la pousser, encore plus énervée contre elle.
C’est la mi-octobre, les arbres sont multicolores à la gare routière. Ils le sont aussi à l’entrée de l’hôpital. Il fait doux, mais Jeanne grelotte. Les tenues de mi-saison concèdent quelques touches de couleur au décor spectral du centre hospitalier. À l’accueil, les formulaires se remplissent, Jeanne signe pour donner son accord. Sa main tremble, ses jambes aussi.
Lysiane, au contraire, reste de marbre ou de glace.
Dur comme du bois ou du fer. Inflexible.
Parce qu’elle joue sa vie en cet instant.
Jeanne lui fait passer le stylo. C’est à son tour de signer, de donner son accord pour qu’un médecin vide son ventre et la libère.
Que seront leurs vies après ?

Jeanne et Lysiane se regardent pour la première fois de la journée. Un regard de mères.
La secrétaire récupère les feuilles signées, répète ses consignes protocolaires et dirige les deux femmes vers l’ascenseur qui les conduira au troisième étage où une infirmière les guidera.
À l’unisson, elles acquiescent d’un même signe de tête avant de prendre congé.

Comme elles ont un peu d’avance, Jeanne demande à Lysiane de prendre l’air pour fumer et se détendre un peu. Ses mains s’agitent d’angoisse.
— Regarde, lui dit-elle en se forçant à sourire. Je ne les contrôle plus.
Sur le banc, Jeanne sort une cigarette du paquet. Ce sont des Lucky.
— Tu en veux ?
Lysiane en prend une aussi. Pour se donner du courage et que ça aille vite. D’une main toujours tremblante, Jeanne lui tend sa boîte d’allumettes. Elle lui échappe et s’éventre sur l’herbe parsemée de feuilles rouges et jaunes. Lysiane la ramasse, claque une allumette, embrase le bout de sa Lucky qu’elle aspire pour la faire prendre plus vite.
Jeanne souffle et émet une volute de fumée, Lysiane toussote. C’est la première fois qu’elle s’essaie à fumer.
Elles fixent un érable.
Lysiane continue à tousser. C’est la fumée, dans sa gorge, dans son nez. Âcre. Elle le revoit soudain, assis au piano, plaquant ses accords une cigarette aux lèvres, après leur première nuit.

Beaucoup de premières fois, pense-t-elle. Beaucoup de premières avortées…
Après, juste quelques ricochets, quelques nuits exemptes de promesses. Alors, entre lui et le fœtus qui pousse dans son ventre, elle ne voit aucun rapport.
Rien qu’un grand vide qui la renvoie à sa bêtise d’y avoir cru.

Le couloir blanc paraît plus court à leur retour. Jeanne appelle l’ascenseur en reniflant. Elle tourne la tête et Lysiane sait pourquoi. Elle manifeste tout ce qu’elle n’exprime pas.
En sortant de l’ascenseur, les pleurs que Jeanne réprime lui deviennent intolérables.
— Ne renifle pas si fort, tu me stresses ! Et sèche tes larmes, tu auras tout le temps de pleurer plus tard.
Jeanne s’exécute. Encore plus pathétique. Lysiane serre ses cheveux dans un élastique. Pour l’intervention, ce sera mieux. On les a installées sur deux chaises à l’entrée du couloir. On les fait patienter. Jeanne est livide. Ses pieds bondissent en saccades sur le sol. Parce qu’elle multiplie les efforts pour la soutenir, Lysiane essaie de se taire et de se contenir, mais la colère l’emporte bientôt.
— Ça suffit. »

Extrait
« Un soir, pour lui faire plaisir, il lui avait offert une place au Nouveau Siècle et ils étaient allés écouter Véronique Sanson, Il l’adorait, elle avait fait semblant. Ensuite, ils avaient bu un verre au Yéti. En la ramenant chez elle, il lui avait proposé de l’accompagner en tournée et elle avait sauté sur l’occasion, persuadée qu’ensuite ils s’installeraient quelque part ensemble et peu lui importait où, pourvu qu’elle rompe sa solitude et mène la vie dont elle avait toujours rêvé. La scène, les concerts, les cocktails, le succès… Et tant pis si elle goûtait à tout cela par procuration. C’était mieux que la routine et le sentiment d’avoir trahi ses idéaux. Elle aurait tout accepté, quitte à être choriste, éclipsée derrière un micro sur pied entre la batterie et le clavier. Elle aurait tout accepté, même de se taire, pourvu qu’il l’’emmène. » p. 112

À propos de l’auteur
TIXIER_Marjorie_DRMarjorie Tixier © Photo DR

Née en 1977, Marjorie Tixier vit en Savoie. Professeure agrégée de lettres modernes, elle écrit également de la poésie et puise son inspiration dans la musique, la peinture et les voyages. Après Un matin ordinaire et Un autre bleu que le tien, À l’encre rouge est son troisième roman. (Source: Fleuve Éditions)

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Être en train

MEDIONI_etre-en-train

En deux mots
En montant dans un TGV Paris-Montpellier le 21 juin 2019, l’auteur ne peut s’empêcher d’observer le petit monde qui voyage avec lui. Une «manie» qu’il va approfondir en traversant le pays et nous livrer avec finesse ses observations de sociologue du quotidien.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

Ceux qui aiment prendront le train

Dans un essai-témoignage savoureux David Medioni raconte ses voyages en train un peu partout en France. Mêlant géographie et sociologie, reportage et littérature, il nous donne des envies de voyage.

Et si David Medioni avait écrit le livre idéal à acheter dans un kiosque de gare avant quelques heures de voyage? Le fondateur du magazine littéraire en ligne Ernest donnera en tout cas aux voyageurs d’agréables pistes de réflexion, aussi bien sur les rails qu’une fois arrivés à destination.
Dans son introduction, il raconte comment en avril 2019, venant de Quimper et arrivant à Paris, il a posté sur Facebook et Instagram un «instantané du train» disant ceci: «Le voyage en train a ceci de particulier qu’il est un espace-temps réduit qui permet l’introspection, la créativité et la recherche du mieux. Les pensées vagabondent. Là un homme à l’air pressé qui s’agace sur son tableur Excel Ici deux jeunes étudiants en transit. Ils n’arrêtent pas de se toucher, de se regarder, de se sourire, de se bécoter. Ils ont vingt ans de moins que moi. J’étais eux, des fois, en revenant de Bordeaux. Là, une vieille dame à une pile de journaux: le Canard, Marie France, elle lit et elle dort à intervalles réguliers. Un peu plus loin, une femme seule, 45 ans environ. Elle pleure. J’ai toujours aimé ces instants en train. Instantanés de nos vies grandes et minuscules à la fois. Il paraît même que dans ce wagon, un journaliste en transit rêvait d’écrire un roman. #soleil #train #writing #write #sun #sky #clouds #rails»
Les retours très positifs qui ont suivi et l’étincelle dans les yeux de ses enfants lorsqu’ils évoquent ensemble le train vont le convaincre de poursuivre sa réflexion. De noter les scènes vues, les livres lus, mais aussi les films, les musiques, les jeux qui occupent les passagers durant ce temps suspendu. Avec délectation, il se transforme en sociologue du quotidien, essayant de déterminer si l’habit fait le moine, de différencier les populations en fonction des horaires et des destinations ou encore du type de train. Le TER et le TGV, sans parler du train de nuit, ayant chacun des rôles et des types de voyageurs bien différents.
Puis vient ce petit jeu auquel on s’est sans doute déjà tous livrés: imaginer quelle peut-être la vie de ces personnes avec lesquelles on partage un compartiment pendant quelques heures. Qui est ce cadre qui ne peut lâcher son ordinateur? Et cette femme qui n’arrête pas téléphoner, faisant partager son intimité a tout le wagon. Et cette famille partant en vacances avec une bouée déjà gonflée. Ou encore ces deux jeunes amoureux qui ne peuvent s’empêcher de se toucher.
Un peu voyeur, un peu rêveur, on se délecte de ces bribes d’histoire, d’autant qu’elles viennent souvent s’associer à un souvenir personnel.
Qui n’a pas vécu l’épisode du passager qui ne retrouve pas son billet, celui qui s’est trompé de place, celui qui est parvenu haletant à attraper son train au dernier moment? Ou encore, moins drôle, l’incident du train arrêté en pleine voie, de la correspondance qui est déjà partie, de la voiture-bar qui est fermée.
L’amateur de littérature n’est pas en reste non plus. En feuilletant la bibliographie des ouvrages consacrés au train ou le mettant en scène, en détaillant la filmographie et en y ajoutant la bande sonore des musiques que l’on peut y entendre – quelquefois contre son gré – David Medioni réveille tout un imaginaire.
Comme je vous le disais, pensez à vous munir de ce nouveau bréviaire du voyageur la prochaine fois que vous vous rendrez à la gare !

Être en train
David Medioni
Éditions de l’Aube
Essai
184 p., 17 €
EAN 9782815941389
Paru le 21/01/2021

Où?
Les voyages en train nous emmènent un peu partout en France, partant principalement de Paris et avec une Eskapade à Bruxelles.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Prendre le train est une aventure. Instantanés de voyage, réflexions sur la place du train dans nos vies et sur son avenir dans nos sociétés peuplent cet ouvrage. Qui sommes-nous quand nous sommes sur les rails ? Qui sont ces voisins que nous ne connaissons pas mais avec lesquels nous allons partager une certaine intimité, parfois pendant de longues heures ? Que disent de nous nos « tics de train », de la peur de ne plus voir sa valise à celle de ne pas être assis à la bonne place ? Quels sont les personnages récurrents rencontrés dans un train ? Que nous l’empruntions pour le plaisir ou pour le travail, le train offre une suspension du temps dans un espace clos, que chacune ou chacun d’entre nous expérimente plus ou moins régulièrement. Ce livre décortique cette expérience universelle avec tendresse, intelligence et humour. Vous ne prendrez plus le train par hasard !

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com 
La Vie (Olivia Elkaim)

Bande-annonce du livre

Les premières pages du livre
« Introduction
«Papa, papa, tu sais de quoi je rêve? me demanda un matin, au petit déjeuner, Rafaël.
— Non, je ne sais pas.
— Mon rêve en ce moment, c’est de prendre le train.
— De prendre le train? m’étonnai-je.
— Oui j’aimerais prendre le Poudlard Express comme dans Harry Potter. J’aimerais être dans ce train parce qu’il est différent des TGV pour aller à Montpellier.
— Oh oui, ce serait trop bien de prendre un vieux train», a renchéri son grand frère Nathan.
La discussion a continué. Le train à voyager dans le temps de l’épisode 3 de Retour vers le futur ou celui de La Grande Vadrouille «où il y a un restaurant» furent évoqués. Et quand je leur ai parlé des trains-couchettes dans lesquels on peut dormir, les yeux de mes deux garçons pétillaient comme s’ils venaient de croiser Dumbledore (le directeur de l’école de sorcellerie dans Harry Potter) en personne.
Cette conversation avec mes enfants m’a surpris. J’ai senti la puissance de la fiction, évidemment. Harry Potter for¬ever… Mais aussi et surtout la puissance de ce que l’évocation du train et de ses possibles pouvait susciter. Leur raconter le train comme un lieu de vie a créé un désir chez mes enfants.
Quelques jours plus tard, pour les besoins d’un reportage, j’ai pris un TGV. Naturellement, en repensant aux yeux de Nathan et de Rafaël, l’idée d’observer de manière plus précise mes congénères de voyage est venue. Elle ne m’a plus quittée.
En observant attentivement et en écoutant ce qui se passe dans une rame de train, qu’elle soit de TGV ou de train Intercités, on se plonge dans un moment de vie. Les tics et les habi¬tudes des uns et des autres apparaissent de manière plus ou moins prononcée selon que le trajet est long ou cours. À force de multiplier les voyages en train, on remarque également que les personnes sont différentes, mais que les habitudes sont similaires. Pas de doute, nous sommes tous et toutes frères et sœurs humains.
Ce jour-là, donc, après la fameuse discussion avec Nathan et Rafaël, j’étais assis dans une voiture de TGV. Quasiment à la fin du trajet, j’ai ouvert mon ordinateur et je me suis mis frénétiquement à écrire sur ce que je venais de vivre. Réflexe de la modernité: en descendant du TGV, avant de partir en reportage, j’ai posté ce texte sur Facebook et Instagram :
Instantané du train
4 avril 2019, Paris-Quimper, TGV
Le voyage en train a ceci de particulier qu’il est un espace-temps réduit qui permet l’introspection, la créativité et la recherche du mieux. Les pensées vagabondent. Là un homme à l’air pressé qui s’agace sur son tableur Excel. Ici deux jeunes étudiants en transit. Ils n’arrêtent pas de se toucher, de se regarder, de se sourire, de se bécoter. Ils ont vingt ans de moins que moi. J’étais eux, des fois, en revenant de Bordeaux. Là, une vieille dame a une pile de journaux : le Canard, Marie France, elle lit et elle dort à intervalles réguliers. Un peu plus loin, une femme seule, 45 ans environ. Elle pleure. J’ai toujours aimé ces instants en train. Instantanés de nos vies grandes et minuscules à la fois. Il paraît même que dans ce wagon, un journaliste en transit rêvait d’écrire un roman. #soleil #train #writing #write #sun #sky #clouds #rails
Le soir, une fois le reportage terminé, alors que j’arrivais à mon hôtel, j’ai regardé mon téléphone. Un raz de marée. Des like à tire larigot. Des commentaires élogieux : « Merci de cet instantané, c’est beau et vrai » ; « Il n’y a pas de j’adore sur Instagram, dommage » ; « Tu tiens un truc, continue. C’est génial ! ».
Quelques jours plus tard, nouveau voyage. Et nouvel instantané.
Dans le train ce matin, au bar. C’est le tout petit matin. À gauche, un cadre, costume propre, cravate slim grise, chaussures italiennes, il boit une orange pressée pour accompagner son café. À droite, une femme, seule. Elle lit le dernier Guillaume Musso.
Au fond, trois collègues qui discutent de la réunion à venir dans la journée. Ils se plaignent d’un quatrième qui a fini la présentation PowerPoint la veille à 22 heures. « Tu te rends compte c’est un vrai procrastinateur ! Il met tout le monde dans la merde. » L’un d’entre eux temporise : « En même temps, je crois qu’il n’avait pas toutes les informations… » Juste derrière, un homme et une femme. Ils sont câlins. Elle lui dit : « Je ne pensais pas que nous arriverions à nous faire enfin ce moment tous les deux. » Il répond : « Je te l’avais promis. » « Dis-moi qu’il y en aura d’autres… » dit la femme. Il ne répond pas. Silence. Ils se tiennent la main. Dans le train, la vie, les vies s’écrivent. J’aime les observer.
Même réflexe de poster sur les réseaux sociaux ce moment, accompagné d’une photo. Même résultat. De très nombreux pouces levés, des commentaires. «Génial!», «Tu as tellement bien décrit l’hypocrisie masculine. Cette femme qui espère et l’autre qui ne répond pas», «Je vais faire attention la prochaine fois que je prendrais le train à vérifier que tu ne sois pas dans les parages à écouter mes conversations 😉 Super instantané en tout cas. On en veut encore.»
Des mots qui, comme les yeux de mes enfants, narraient en creux la relation passionnelle clandestine que nous entretenons avec le train. Passion clandestine, car il est souvent de bon ton de vilipender la SNCF, ses retards, ses trains mal organisés, et pourtant chacun et chacune d’entre nous vit avec le rail une histoire qui dit beaucoup de ce que nous sommes. Certainement que cela nous renvoie à l’enfance. À la magie du train électrique. C’est étonnant à quel point ce classique des jouets pour enfants est resté indémodable. Les enfants – et certains adultes – continuent à faire « tchou tchou » à quatre pattes dans leur chambre. Mais pourquoi le train? Peut-être parce que la voiture – même comme symbole de la liberté de circulation – fatigue et stresse le conducteur. Peut-être parce que l’avion anesthésie le voyageur et uniformise le voyage avec ses aéroports semblables de Rio à Paris ou de New York à Bangkok. Plus rien dans le voyage en l’air ne se distingue, et le voyageur distrait pourrait atterrir ici ou là sans être capable de dire exactement dans quel aéroport il se trouve. Au fond, seul le train permet de réfléchir, de rêver, de divaguer tout autant que de travailler, de synthétiser ou de théoriser. Seul le train permet d’être soi-même. Sans fard.
Dans ce moment de suspension du temps dans un espace clos, soit les masques tombent pour laisser place à une forme d’authenticité, soit ils ne veulent pas disparaître. Au contraire. Ils demeurent et deviennent des caricatures qui, elles aussi, nous racontent. Tour à tour, tous les rôles du train nous ont échu un jour: homme pressé, voisin bruyant, dormeur invétéré, liseur passionné, famille avec enfants bruyants et/ou malades, couple bécoteur, ou encore travailleur acharné.
En observant, en acceptant la suspension que le train offre, en jouant et en ne faisant plus qu’un avec elle, l’œil s’aiguise, l’oreille se tend, et la mémoire imprime mieux encore. Les couleurs, les odeurs, les sons, les mots, les apparences, les lumières, les ombres, les détails, sont là. Présents. Signifiants. Observer mes frères humains dans tous les trains que j’ai empruntés durant un an me permet de brosser un portrait éminemment subjectif, mais profondément honnête et authentique sur ce que nous sommes tous et toutes aujourd’hui. Pompeux ? Non, réaliste. Dans les trains, la France – bigarrée, différente, agaçante, joyeuse, enivrante, folle, calme – circule. Mieux, elle vit. Elle respire. Elle écrit des histoires individuelles qui sont des histoires collectives parfois, des histoires universelles toujours. Ces instantanés, ces histoires de trains, ce sont nos victoires, nos défaites, nos doutes, nos certitudes, nos envies, nos renoncements. Ce sont nos vies.
Des vies tellement réelles que ce lieu de confinement (non, il ne sera pas question du Covid-19, rassurez-vous) a inspiré les écrivains. Dans toutes les époques. Dans tous les genres. C’est ainsi, par exemple, que Marcel Proust vénérait le train. Et qu’il écrivait dans À la recherche du temps perdu, et plus précisément dans Du côté de chez Swann, un éloge de ce que le voyage par le rail faisait naître chez lui.
J’aurais voulu prendre dès le lendemain le beau train généreux d’une heure vingt-deux dont je ne pouvais jamais sans que mon cœur palpitât lire, dans les réclames des Compagnies de chemin de fer, dans les annonces de voyages circulaires, l’heure de départ: elle me semblait inciser à un point précis de l’après-midi une savoureuse entaille, une marque mystérieuse à partir de laquelle les heures déviées conduisaient bien encore au soir, au matin du lendemain, mais qu’on verrait, au lieu de Paris, dans l’une de ces villes par où le train passe et entre lesquelles il nous permettait de choisir ; car il s’arrêtait à Bayeux, à Coutances, à Vitré, à Questembert, à Pontorson, à Balbec, à Lannion, à Lamballe, à Bénodet, à Pont-Aven, à Quimperlé, et s’avançait magnifiquement surchargé de noms qu’il m’offrait et entre lesquels je ne savais lequel j’aurais préféré, par impossibilité d’en sacrifier aucun.

Extraits
« INSTANTANÉ DU TRAIN
4 AVRIL 2019, Paris-Quimper, TGV
Le voyage en train a ceci de particulier qu’il est un espace-temps réduit qui permet l’introspection, la créativité et la recherche du mieux. Les pensées vagabondent. Là un homme à l’air pressé qui s’agace sur son tableur Excel Ici deux jeunes étudiants en transit. Ils n’arrêtent pas de se toucher, de se regarder, de se sourire, de se bécoter. Ils ont vingt ans de moins que moi. J’étais eux, des fois, en revenant de Bordeaux. Là, une vieille dame à une pile de journaux: le Canard, Marie France, elle lit et elle dort à intervalles réguliers. Un peu plus loin, une femme seule, 45 ans environ. Elle pleure. J’ai toujours aimé ces instants en train. Instantanés de nos vies grandes et minuscules à la fois. Il paraît même que dans ce wagon, un journaliste en transit rêvait d’écrire un roman. #soleil #train #writing #write #sun #sky #clouds #rails » p. 11-12

« Au fond quel est le bon train de vie? Qu’il soit financier, amoureux, professionnel. À chacun de trouver sa réponse. Celle que l’auteur pourrait livrer est certainement bien différente de celle de cette jeune cadre, robe bordeaux, qui oscille entre la tentation du sommeil et les documents qu’elle est
en train de finaliser. Adolescente, se rêvait-elle dans un train à 6h39 du matin, plongée dans son travail? Et cet homme mûr, habillé en dandy, barbe de trois jours et armé de l’assurance du conquérant, s’il se retourne, estime-t-il qu’il a bien mené le train de sa vie? Les wagons qu’il tirait lui ont-ils permis d’atteindre l’allure à laquelle il aspirait ?
Au fond, la puissance d’un trajet en train, C’est qu’il nous renvoie à nous-mêmes et, par métaphore, au train de notre propre vie. À son allure. À ses wagons, chargés ou légers. Emplis de voyageurs, ou vides. Au bruit, ou au silence. Cela nous invite à regarder l’intérieur de nos wagons. À ouvrir telle porte et à se confronter à ce que l’on trouve derrière. Le wagon de la joie abrite tous les bons souvenirs; ils sont aériens, ils flottent avec nous et donnent au train de notre vie une belle allure. Bien sûr, il y a le wagon que nous n’aimons pas ouvrir. Celui des mauvais moments, des erreurs, des choses que nous aurions aimé ne pas faire, et des peines aussi. Mais ce wagon, même s’il pèse et peut parfois ralentir le train de notre vie, fait partie intégrante de nous, de ce que nous sommes. Indéniablement. Reste un autre wagon. Un dernier wagon. Celui des choses que nous transportons mais qui ne sont pas à nous. Ce wagon dans lequel chacun et chacune trouve les espoirs des parents, les constructions bancales d’identité, les chemins empruntés pour de mauvaises raisons, etc. C’est certainement ce wagon qui pèse le plus lourd dans notre «train de vie» et qui nous empêche parfois d’avancer à l’allure souhaitée. C’est ce wagon auquel nous pensons quand un voyage en train s’étire et invite à la contemplation, à l’introspection et à la méditation. Inévitablement, ces instants amènent une réflexion plus large. Les paysages qui défilent sous les yeux viennent interroger le citadin: pourquoi ne ferais-je pas comme ces voyageurs qui — chaque jour — prennent le train pour se rendre à Paris? Le soir, ils rentrent chez eux, à la campagne. Ils ont, eux, franchi le Rubicon d’une vie proche de la nature et d’un travail dans la capitale. » p. 55-58

À propos de l’auteur
MEDIONI_David_©Anna_LailletDavid Medioni © Photo Anna Laillet

David Medioni est journaliste, fondateur et rédacteur en chef d’Ernest, qui lui a permis de rassembler ses deux passions, les livres et le journalisme. Celle des livres qu’il a cultivé très tôt en étant vendeur pendant ses études à la librairie la Griffe Noire. Après avoir bourlingué 13 ans durant dans les médias. À CB News, d’abord où il a rencontré Christian Blachas et appris son métier. Blachas lui a transmis deux mantras: «Ton sujet a l’air intéressant, mais c’est quoi ton titre?», et aussi: «Tu as vu qui aujourd’hui? Tu as des infos?». Le dernier mantra est plus festif: «Il y a toujours une bonne raison de faire un pot». David a également été rédacteur en chef d’Arrêt Sur images.net où il a aiguisé son sens de l’enquête, mais aussi l’approche économique du fonctionnement d’un média en ligne sur abonnement. (Source: Éditions de l’Aube / Ernest)

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Domina

HILTON_Domina

En deux mots:
Après Maestra, voici la suite des aventures de l’intrépide Judith, rebaptisée Elisabeth Teerlinc, galeriste à Venise, pourchassé par une bande de traficants qui entendent retrouver un tableau attribué au caravage. Un thriller agréable à lire, mêlant sexe et aventures, voyage et histoire de l’art.

Ma note
★★★ (beaucoup aimé)

Domina
L. S. Hilton
Robert Laffont, collection La bête noire
Thriller
Traduit par Laure Manceau
384 p., 18,90 €
ISBN: 9782221191188
Paru en mai 2017

Où?
Le roman se déroule à Venise, Paris, Rome, Londres, Combe Farleigh, Bath, Lille, Belgrade, Saint-Moritz, Pontresina, Munich, Utrecht, Barcelone, Gênes, Ibiza, Milan, Amsterdam.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Tout ce que vous croyez savoir sur Maestra… est faux.
Judith Rashleigh mène une vie de luxe à Venise. Jusqu’au jour ou son passé remonte à la surface et menace de tout faire s’écrouler. Quelqu’un connaît ses crimes et tente de la faire chanter. Pour acheter son silence, elle doit retrouver une œuvre d’art mythique. Mais elle n’est pas la seule sur le coup… Cette fois-ci, Judith n’a plus aucun contrôle. Surpassée et manipulée, démunie et vulnérable, elle va devoir affronter le plus redoutable des ennemis. Et si elle ne gagne pas cette bataille, elle n’en sortira pas vivante.
Traduit dans 40 pays et déjà en cours d’adaptation par la productrice de Millénium et la scénariste de La Fille du train, Domina est le deuxième volet d’une trilogie noire et érotique.

Ce que j’en pense
Si l’effet de surprise de Maestra, ce thriller érotique qui avait bénéficié l’an passé d’un lancement mondial avec une belle opération marketing à la clef, n’est plus là et que le scénario de ce second tome est peu ou prou construit sur les mêmes situations que le premier, ce thriller n’est reste pas moins agréable à lire. Les tribulations de la spécialiste des beaux-arts, aussi sexy que dangereuse, vous offrirons quelques moment de détente et une récréation bienvenue, surtout si vous êtes en vacances. Les quelques scènes pimentées qui parsèment le livre devant suffire à ne pas vous endormir au soleil.
Dans Domina, on retrouve la belle et sulfureuse Judith Rashleigh sous sa nouvelle identité, celle d’une galeriste vénitienne nommée Elisabeth Teerlinc. Dans la cité des Doges, elle essaie d’oublier la mort du marchand d’art qui lui avait permis de mettre le pied à l’étrier et avait fini tragiquement dans le Tibre. Mais, bien qu’elle se soit évertuée à effacer toutes les traces de ses forfaits, son passé va finir par la rattraper. Une bande internationale de truands est en effet à ses trousses ou plutôt aux trousses du tableau qu’elle avait subtilisé après avoir commis son forfait. « Si je ne me débrouillais pas pour mettre de l’ordre dans tout ça, je pouvais dire adieu à la belle vie d’Elisabeth Teerlinc. »
Finies les fêtes à Ibiza, le luxe et les excès en tout genre, au moins temporairement. Elisabeth doit se mettre à l’abri, tout en essayant de comprendre qui tire les ficelles.
À la manière d’un James Bond, L.S. Hilton choisit de nous faire voyager dans différents endroits, histoire de nous dépayser. On va donc suivre son héroïne à travers toute l’Europe dans une quête très risquée, puisque quelques cadavres vont semer sa route. Accompagnée par un jeune éphèbe et cette fameuse toile attribuée au Caravage, elle devra faire preuve de sang-froid et de finesse pour s’en sortir. Sans oublier la dose d’intelligence et d’érudition dont on sait qu’elle n’est pas dépourvue.
C’est du reste l’un des aspects intéressants de cette trilogie: cette érudition (rappelons que l’auteur a étudié dans de prestigieuses écoles avant d’être critique d’art) nous permet de découvrir des pans intéressants de l’histoire de l’art. Alors, si ce roman ne va pas révolutionner le genre noir et rose avec ses tueurs et ses scènes de sexe, il n’en est pas pour autant dépourvu d’intérêt. La suite et fin de l’histoire est programmée pour l’année prochaine.

Autres critiques
Babelio
Terrafemina (Anaïs Orieul)

Les premières pages

Extrait
« J’étais riche, j’étais indépendante, j’étais libre, et j’étais ici. De mon plein gré, en tant que professionnelle. N’étais-je pas la preuve vivante que si on croit en soi et qu’on suit son rêve on peut arriver à tout ? Bon, mieux valait ne pas s’attarder sur les preuves qui avaient passé l’arme à gauche. Tout ce qui comptait, c’était le pouvoir de l’instant présent, et le mien. Le passé était inutile, Proust et l’infusion de tilleul de sa tante pouvaient aller se faire foutre. Dans la salle de bains, j’ai fait couler de l’eau froide sur mes poignets, avant de prendre une douche et de changer de vêtements, de nettoyer mon visage et d’attacher mes cheveux en un chignon strict. J’avais déjà parcouru tout ce chemin, et il allait falloir plus que le souvenir d’un parfum pour me déstabiliser. Il était temps de se mettre au travail.»

À propos de l’auteur
L.S. Hilton a grandi en Angleterre et a vécu à Key West, New York, Paris et Milan. Après avoir obtenu son diplôme à Oxford, elle a étudié l’histoire de l’art à Paris et à Florence. Elle a été journaliste, critique d’art et présentatrice avant de se consacrer à l’écriture. Elle vit actuellement à Londres. (Source : Éditions Robert Laffont)

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