Rond-Point

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En deux mots
Patrick ne se remet pas de la perte de son épouse Mathilde. Un soir, un collègue l’entraîne quelques minutes sur un rond-point tenu par les gilets jaunes. Il y croise notamment Michel et Madeleine, deux manifestants qui vont changer sa vie.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Patrick et les gilets jaunes

Dans un premier roman habilement construit Olivier Scheibling retrace le destin de Patrick, veuf et déprimé, qui se retrouve par hasard sur un rond-point tenu par les gilets jaunes. Un roman noir sur fond de misère sociale.

Patrick n’a plus vraiment goût à la vie. Il a perdu Mathilde, la femme qu’il aimait, ne veut plus voir personne. Il a trouvé refuge dans un petit pavillon loin de tout et travaille désormais au sein d’une société chargée de recouvrer des créances. Sa vie est rythmée par un peu de boulot et beaucoup de dodo.
Cela va changer quand son collègue propose de le ramener chez lui et qu’au détour d’un rond-point occupé par des gilets jaunes, il décide de s’y arrêter. Une épreuve de plus pour Patrick, même si le calvaire annoncé va se transformer en une rencontre plutôt agréable. Une aide-soignante vient vers lui, engage la conversation et ces quelques minutes d’entretien vont marquer son inconscient. Car Madeleine va venir peupler l’un de ses rêves, lui qui ne rêve plus souvent.
Alors, il renâcle moins à prendre la direction du rond-point, même s’il se sent totalement étranger à ces militants, notamment les plus radicaux. C’est alors que ce produit un drame. Lors d’une confrontation avec les forces de l’ordre, un parpaing est lancé vers un pompier qui est gravement blessé. Madeleine et Michel, l’un des leaders, sont arrêtés sous les yeux effarés de Patrick qui n’a pour seul réaction de dire qu’il connaît un avocat. Du coup, il se sent un peu obligé de contacter son ami d’enfance, perdu de vue depuis longtemps.
Olivier Scheibling a eu la bonne idée de construire son roman en laissant s’exprimer les personnages qui apparaissent au fil de l’histoire, offrant ainsi au lecteur différentes perspectives d’une même situation.
Après Madeleine et Patrick, c’est à Michel de prendre la parole, puis à Gérard, lui aussi témoin de la scène. Un cercle qui va s’élargir encore car l’incident est relayé sur BFM TV et Florence voit ainsi sa cousine se faire arrêter et se dit qu’elle pourrait peut-être essayer de la joindre. Il en va de même pour Damien, le fils de Madeleine, lui-même pompier, et qui hallucine en voyant les images de l’arrestation manu militari de sa mère.
Serge, l’ami de Patrick, raconte à son tour leur relation, suivi par Mathilde qui livre post-mortem ses encouragements à son ex-mari.
Entre tensions sociales et romance, le roman va alors prendre un tour très noir, jusqu’à un épilogue que je me garderais bien de dévoiler.
En se faisant chroniqueur de la misère sociale, Olivier Scheibling réussit une remarquable entrée en littérature. D’une écriture fluide, il raconte la France qui se lève tôt et qui n’en peut plus. Une France que l’on ne prend pas la peine d’écouter, une France à bout de nerfs, une France qui va céder à la violence. Un premier roman fort, qui se lit d’une traite, le souffle coupé.

Rond-Point
Olivier Scheibling
Éditions Rue Fromentin
Premier roman
160 p., 17 €
EAN 9782919547746
Paru le 12/01/2023

Où?
Le roman est situé en France, principalement autour de Lyon.

Quand?
L’action se déroule au moment du soulèvement des gilets jaunes, fin 2018 et 2019

Ce qu’en dit l’éditeur
Dans une petite ville au large de Lyon, quatre âmes à la dérive échouent sur un rond-point, haut lieu de la contestation locale. Patrick, cadre déclassé, éprouve des sentiments pour Madeleine, aide-soignante fragilisée par l’existence. Michel, syndicaliste nostalgique des luttes passées et Gérard, activiste adepte de l’action directe, se disputent le leadership du mouvement dont ils perçoivent le caractère historique.
Sous les caméras de BFM TV, la contestation bascule soudain dans la violence…
Patrick, Madeleine, Michel et Gérard trouveront-ils ce qu’ils sont venus chercher sur ce rond-point qui les aimante? Dans ce chaos, seront-ils prêts à payer le prix de leur participation à des événements qui les font renaître à la vie?
Roman choral à l’intrigue prenante, Rond-Point met en scène des individus ordinaires en prise avec un monde déraisonnable. Fin observateur, Olivier Scheibling dresse, à travers le regard de chacun des personnages, un portrait subtil d’une société fracturée entre malentendus et violence.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com


Olivier Scheibling présente son roman Rond-Point © Production éditions Rue Fromentin

Les premières pages du livre
CHAPITRE 1
Patrick
Toutes ces années, je me suis couché tôt, très tôt. Parfois même avant la tombée de la nuit, dans l’obscurité artificielle de mes volets de fer. Pas par choix. Pas vraiment par hygiène de vie. Non, c’est plus bête que ça. Par ennui, tout simplement. Quand je rentre du boulot, ma seule perspective, c’est mon repas du soir. Et je ne parle pas de faire la cuisine, juste de me réchauffer un truc : en début de mois acheté chez Picard pendant la pause déjeuner, ou, passé le 15, au Carrefour, de l’autre côté de l’autoroute. Après le repas, rien d’autre à faire que de regarder la nuit tomber. La télé ? Entre séries débiles et émissions ineptes, rien qui ne me tente vraiment. Et quand ça vole un peu plus haut, je me dis que ce n’est plus pour moi. Je pourrais m’accrocher un peu, mais je n’ai pas l’énergie. À la radio, entre émissions pour ados prépubères et rap au robinet, il n’y a que du foot. Et il se trouve que je n’aime pas le foot. Parfois j’écoute une boucle de France Info, mais rapidement j’ai la tête qui vrille. Alors je vais me coucher. Je suis chanceux, je m’endors en sept minutes. J’ai entendu, je ne sais plus où, que c’était la moyenne pour les hommes. Les femmes, il leur faut plus de temps. À chaque fois que je pose ma tête sur mon oreiller, avant d’éteindre la lampe, je me dis que j’ai de la chance d’être un homme. Et sept minutes après, je ne m’ennuie plus.
« À ce niveau-là, mon pote, c’est plus de l’ennui, c’est de la déprime. » C’est Stéphane, un collègue, qui m’a dit ça l’autre jour. « Non, je lui ai répondu, la déprime, c’est pas d’aller se coucher, c’est de ne pas vouloir se lever. » Et ça, il n’y a pas de risque. J’aime bien les matins. Le rituel du petit déjeuner : les trois cuillères à café dans le filtre, pester, parce que quoi qu’on fasse, on en fait toujours tomber un peu sur le plan de travail, le beurre trop dur qu’on écrase sur le pain de la veille, la première tranche qu’on met dans le grille-pain, l’odeur qu’elle dégage, en avant-goût. Et puis cette bulle de temps, familière, ce dernier moment avant le monde, avant dehors. Je vois le champ, et les collines en arrière-plan. Il y a quelques années, une femme m’a dit que c’était une belle vue. Moi, je trouve surtout que c’est toujours la même vue. Je mets la radio, mais je ne suis pas sûr que je l’écoute.
Bourdin dans le poste, qui fait semblant d’être mon pote. Remarque, parfois il me fait marrer. C’était mieux avant, la radio, quand on ne la voyait pas à la télé. On pouvait s’imaginer la tête des voix. Bourdin, je l’imaginais très brun, avec une moustache de routier et des rouflaquettes, le genre un peu caïd à qui on ne la fait pas. Puis un jour je l’ai vu. Ma radio ne marchait plus, j’ai voulu écouter sur Internet. Je n’aurais pas dû. En vrai, il n’a pas la tête de sa voix.
Ces derniers jours, pourtant, quelque chose a changé, je ne me couche plus aussi tôt. À cause de Stéphane. Ma voiture a rendu l’âme, ça devait arriver. Je pars avec le car, le matin, mais Stéphane m’a proposé de me ramener le soir. Pour être franc, ça ne m’enchantait pas trop de faire la route avec lui : on n’est pas si proches lui et moi, et le silence à deux, c’est vite gênant. D’un autre côté, ça m’évitait de me les geler à attendre le car pendant vingt minutes.
C’est le deuxième soir que ça a commencé. On sortait de l’autoroute, et sur le premier rond-point après le péage, il y avait des palettes qui brûlaient, avec une dizaine de types autour, quelques femmes aussi. Ils arrêtaient les voitures. Bourdin en avait parlé, mais je n’aurais jamais imaginé les voir là, à même pas cinq kilomètres de chez moi.
« Et merde ! » j’ai dit. Stéphane souriait, lui. Il a sorti la main, klaxonné trois grands coups et les types se sont écartés en applaudissant. Mais après s’être engagé sur la route de la forêt, il a soudain eu le regard du mec qui a oublié un truc important, soucieux et stupéfait. D’un coup, il a pilé et il a fait demi-tour.
« Mais qu’est-ce que tu fous ? j’ai crié.
— T’inquiète, mon pote. Et puis, c’est pas comme si quelqu’un t’attendait, non ? »
Le plus dur, ça avait été de descendre de la voiture. Sitôt après s’être garé, Stéphane, lui, était sorti, et d’emblée s’était dirigé vers l’attroupement. Les gars l’accueillaient avec chaleur. L’atmosphère était encore détendue en ces premiers jours, et les nouveaux venus considérés sans méfiance. Moi, je restais figé sur le siège passager, fixant les flammes sortant du tas de planches, espérant qu’elles me protégeraient. La petite foule allait et venait autour du rond-point, le jaune fluo des gilets la faisant ressembler à un essaim de lucioles prêtes à s’immoler, avec constance et insouciance, dans le brasier central. Stéphane revint en courant à moitié. Sans me regarder, il prit son gilet dans la boîte à gants, l’enfila et, sans refermer la portière, me cria de venir. Le froid et le ridicule de la situation me décidèrent à bouger. Je m’approchais du feu, cherchant à éviter les regards. Je grommelais un bonsoir, qui à ma grande surprise et mon grand soulagement ne rencontra aucun écho. Il semblait bien que, finalement, personne n’avait le projet de m’adresser la parole. Je me sentis sourire, presque rassuré. Mis à part le petit groupe qui discutait toujours avec Stéphane, les autres étaient silencieux. Je me postais sur le bord du rond-point, là où l’ombre commençait. Petit à petit, je sentais que la boule qui s’était formée d’un coup, sous mon sternum, quand j’avais réalisé que Stéphane avait bien l’intention de s’arrêter sur ce rond-point, commençait à se dégonfler. La brume d’angoisse qui m’engourdissait, elle aussi se dissipait, se déchirait plutôt. J’avais soudain envie de plonger les doigts dans mon crâne, d’enlever la gangue de graisse autour de mes neurones, de m’élargir les orbites. Disponible. C’était curieux comme je me sentais disponible, intéressé, bien planqué que j’étais dans mon obscurité anonyme. La lumière pulsée des flammes faisait apparaître et disparaître les visages, barbes mal taillées, mines frigorifiées, cernes, cheveux rares, couleurs en retard, regards dignes, bravaches ou vides, joues creusées, cous empâtés, jeunesse s’accrochant encore, dents manquantes, rides évidentes. Une belle brochette de gueules, solitaires et résignées, de bouches silencieuses, de figures invisibles ailleurs que dans leur miroir. La plupart avaient l’air aussi gauches que moi. Je m’étonnais de les scruter, d’éprouver tant de curiosité pour mes semblables. Le rond-point flottait dans l’obscurité comme une île, le feu sauvage en son centre, sillonné de sentinelles, et, lui faisant face, la barrière de péage, éclairée comme un checkpoint, de l’autre côté d’un no man’s land de bretelles et de voies d’accès. Plus loin, la forêt, impassible et sombre, indifférente aux drames à venir.
« Bonsoir, c’est la première fois que vous venez ? » Je crois bien que j’ai rentré ma tête dans les épaules, comme quelqu’un qui se prépare à prendre un coup. Croyant que je n’avais pas entendu, elle répéta : « Je ne vous ai jamais vu, c’est la première fois que vous venez ? » J’ai répondu que oui, c’était la première fois, mais que je n’étais pas vraiment venu, enfin si, j’étais là, bien sûr, mais par hasard, à cause d’un collègue qui me rendait service parce que ma voiture était en panne, et que par ce froid, je n’avais pas envie d’attendre le car, c’est lui, je veux dire mon collègue, qui avait voulu s’arrêter, mais que je ne savais pas trop pourquoi ils étaient là, et moi encore moins, même si bien sûr, j’en ai entendu parler, chez Bourdin, mais je ne suis pas trop l’actualité, la politique, tout ça, c’est pas trop mon truc, ah, au fait, bonsoir.
La boule s’était reformée, instantanément. Mon crâne s’épaississait, accentuant la pression sur mon front, rétrécissant mon champ de vision. Disparaître ! Éteindre ! S’endormir.
« Moi, je suis là depuis le début. » J’étais soulagé : elle n’avait ni prêté attention à mes propos confus, ni même noté l’embarras. Elle enchaînait, déroulait, s’animait ; je captais qu’il était question de taxe, de diesel, qu’il ne fallait pas exagérer, que cette fois, ça suffisait, qu’on n’allait pas se laisser faire. Une pause. Et puis elle repartait, sur les radars, sur son permis qui ne tenait plus qu’à son troisième stage de récupération de points, 189 euros, vous vous rendez compte, y en a à qui ça profite, vous ne trouvez pas ? Sur sa mère qui n’aurait pas de quoi se payer une maison de retraite, sur ses voisins du premier qui, eux, vivaient des allocations familiales, bon, c’est pas la peine d’en dire plus, vous voyez ce que je veux dire. Non, je ne voyais pas très bien, mais elle continuait. Pour une fois, les gens se bougent, elle avait vu une pétition, des milliers de signatures, il paraît ; depuis le temps qu’on se fait avoir, il faut que ça change, il faut que ça pète.
« Excusez-moi, il faut que j’y aille. » Stéphane me faisait des grands signes depuis la voiture déjà redémarrée. Soulagé, encore presque essoufflé, je voyais se profiler la perspective rassurante de la routine. »

À propos de l’auteur
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Olivier Scheibling © Photo DR

Olivier Scheibling a 60 ans. Il vit à Paris et travaille dans les tours de la Défense. Écrit dans la foulée d’ateliers d’écriture de Gallimard, Rond-Point est son premier roman. En 2015 il a publié un livre de réflexion issue de son expérience sur la parentalité d’un enfant dys-férent. (Source: Éditions Rue Fromentin)

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Les Orphelines du Mont-Luciole

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En deux mots
Revenant dans les monts du Lyonnais de son enfance, la narratrice constate que les paysages de son enfance sont désormais menacés par les promoteurs immobiliers. Alors, il est plus que temps de replonger dans ses souvenirs et d’essayer de sauver la mémoire des pensionnaires de l’orphelinat, toutes emportées par la grippe espagnole.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

Vie et mort des orphelines

Dans un premier roman qui s’apparente à une quête identitaire, Isabelle Rodriguez revient dans les monts du Lyonnais de son enfance et essaie de sauver la mémoire des orphelines qu’elle croisait alors et qui furent toutes emportées en quelques jours.

Pour raconter son histoire, et celle de sa famille, la narratrice nous parle d’abord d’architecture. De ces bâtiments qui entourent la maison familiale plantée sur les monts du Lyonnais, à commencer par la grande bâtisse au sommet de la colline, l’orphelinat du mont Luciole. En fait, c’est bien plus qu’un bâtiment voué à la démolition. C’est le lieu de toutes les histoires, de tous les fantasmes aussi. Un endroit où étaient rassemblées toutes les orphelines de la région. Jusqu’à ce que la grippe espagnole, au lendemain de la Première Guerre mondiale, ne les tuent toutes, foudroyées en quelques jours avec les religieuses qui les gardaient. Après les avoir toutes enterrées, on a muré les portes d’accès, fermé ce grand bâtiment vide.
Non loin de là se dresse le château des Enjoleras. C’est là qu’une riche famille d’origine espagnole venait passer les étés et qu’elle a remarqué Marie. Sa beauté lui aura permis à la grand-mère de la narratrice de franchir la porte de cette belle demeure, puis d’accompagner ses occupants à la mer. Aujourd’hui racheté par un promoteur du coin, la propriété a été divisée en dizaines de parcelles sur lesquelles des maisons à crépi rose et tuiles romaines ont été construites «parce que les Lyonnais à la campagne aiment rêver de Provence».
C’est face à la disparition de ses souvenirs, mais aussi d’un patrimoine qu’il faut désormais se battre, car il y a encore tant à dire, tant à raconter.
Par exemple son combat pour son identité. Quand ses camarades de classe lui reprochent son patronyme espagnol «dans lequel résonne celui de la grande tueuse», alors elle s’érige en protectrice des orphelines, va rechercher leurs traces. Mais, tout comme celles de ces ouvrières qui œuvraient dans les soieries et contribué à la prospérité de la région, elle ne recueille guère que quelques témoignages. Quand elle découvre le cimetière où ont été ensevelies les orphelines, elle va convaincre une amie de l’accompagner jusqu’à cet autre lieu, lui aussi voué à l’abandon.
Tout le roman est construit sur ces doubles pôles, celui familial avec les ancêtres canuts et historique avec la chronique des orphelines. Les deux trajectoires se rejoignant dans cette envie de préserver leur mémoire respective, de sauver les dernières traces, de ne pas tirer un trait sur ce passé désormais en voie de disparition. Le style vient épouser cette quête, se parant de la poésie propre à l’enfance. Une langue qui s’appuie sur les odeurs et les couleurs, une musique qui laisse toute sa place à la sensualité. Vous l0aurez compris, ce premier roman est riche de belles espérances.

Signalons la Rencontre-performance organisée par la Maison de la poésie le 21 janvier à 19h 30, animée par Samuel Loutaty : infos et réservations

Les Orphelines du Mont-luciole
Isabelle Rodriguez
Éditions Les Avrils
Premier roman
204 p., 20 €
EAN 9782383110026
Paru le 4/01/2023

Où?
Le roman est situé principalement en France, à Lyon et sur les monts du Lyonnais, dans les communes imaginaires de Morneré et Sorcelin (sans doute Saint Sorlin).

Quand?
L’action se déroule il y a une trentaine d’années, puis de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Un retour envoûtant sur les lieux de l’enfance et l’imaginaire qui s’y déploie. Une supplique pour que la mémoire des campagnes ne s’efface jamais.
Des champs sauvages, trois fermes, une école à classe unique à l’ombre d’un orphelinat abandonné. Au village, on dit que toutes ses pensionnaires y sont mortes d’un coup, fauchées par la grippe espagnole au lendemain de la Grande Guerre. On ne sait rien de plus. Une enfant refuse l’oubli. Les orphelines sont ses fées. Alors, quand des promoteurs débarquent pour construire un lotissement à l’endroit de leurs tombes, elle promet de revenir, adulte et conquérante. De sauver la colline et ses légendes.

L’intention de l’auteur
Cette forme d’écoute du monde, je la dois à mes grands-parents maternels, des canuts de la campagne, qui me racontaient les ancêtres, le folklore de la région lyonnaise. Les journaux intimes de leurs parents étaient mes lectures. On m’offrait des aventures vécues là où je posais mon regard. C’était merveilleux.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Actualitté (Barbara Fasseur)
RCF
Blog Baz’Art

Les premières pages du livre
« Dans la cour de l’école, l’ombre déployée depuis l’arrière de l’orphelinat nous parvient en flaques mouvantes. La cour, l’étroite route nouvellement goudronnée devant, les champs autour ; notre village se dissout dans ce contre-jour, se noie au sein de cette pénombre stagnante jusqu’au cœur des étés. Tous logés à la même enseigne, paysages et habitants, tous plongés dans l’ombre de la gigantesque bâtisse, à l’exception singulière du château blanc posé un peu plus haut sur la colline et qui est la plus belle chose que j’ai jamais vue.
L’orphelinat est un bâtiment aux portes murées, aux volets clos et condamnés, campé haut sur ses jambes devant nous ; une large enceinte qui empêche de voir au loin, qui nous empêche d’être vus, nous protège des regards, du vent, des tempêtes, à moins que ses murs de terre ne soient pas capables de résister plus longtemps et finissent par s’écrouler en nous entraînant dans leur chute.
On dit que la bâtisse est fragile, qu’il faudrait la détruire, qu’elle s’effondrait déjà sur ses propres fondations pendant qu’on la construisait, que des hommes étaient morts sur le chantier, sous les éboulements de pisé ; trois morts, avant même d’avoir réussi à faire sortir de terre l’immense édifice, chez nous, dans notre campagne esseulée au milieu de nulle part, avant que n’ait surgi, sur les pentes du mont Luciole, cette maison friable dont une toute jeune fille avait eu la vision à un siècle et demi de nous; friable mais colossale, capable de recueillir toutes les orphelines de la région, assez grande pour les accueillir toutes, vision devenue maison, devenue congrégation dont le fief serait Sorcelin.
Une toute jeune fille née dans les environs, au hameau du Leu, s’était obstinée et l’on avait malaxé la terre des monts du Lyonnais pour fabriquer un pensionnat. La jeune mousselinière avait vu en songe notre colline et voilà que, depuis, s’élève devant nous un bâtiment immense, sa peau d’argile étirée comme une peau de
tambour prête à craquer sous les excroissances de la façade, encore un étage, encore un flanc, la carcasse dilatée jusqu’au fragile, et cette faiblesse affleure sans fin derrière la silhouette massive, dans les plaies du crépi et des murs, derrière les aspérités des bois mangés par le temps. On peut le penser posé là, sans racines ; il est fragile, mais tenace, malgré l’abandon, les décennies de délaissement, malgré l’attente, malgré l’oubli. Ni château, ni immeuble, ni maison bourgeoise, maison de bourg, ferme ou exploitation agricole, plus volumineux que tous les corps des bâtis autour et aussi grand qu’un château pourrait l’être, cent fois plus grand et même plus que le château blanc posé plus haut sur le mont, le trapu et gracile orphelinat pour filles de Sorcelin est un ouvrage singulier, orné d’élégances timides, quelques lucarnes rondes, quelques chiens-assis, des tuiles poinçons aux faîtages des toits à quatre pentes, un clocher élancé, des lambrequins dentelés qui habillent les rives. Mais la construction reste austère derrière ces affèteries, s’entête dans une rigueur rude, appliquée, en dépit de sa ruine ; son ombre garde un sérieux consciencieux quand elle vient caresser les branches de nos platanes, reste sérieuse jusque dans ses caresses.
Au-devant de notre si petit village, le pensionnat désaffecté, écran pare-feu ou enceinte tronquée, grand-voile tourmentée mais résistante, disperse les contours de sa large silhouette, joue à définir ou à flouter les périmètres de notre monde, ce mont Luciole sur lequel jamais ne se résorbe tout à fait la nuit de pierre et de pisé projetée par le volume de l’édifice clos.
Seul le château blanc échappe à la loi ténébreuse. Grand accroc de lumière sur le tissu morose de nos forêts, sa façade a toujours le soleil en plein. La pénombre, c’est pour les autres, pour nous qui ne sommes pas châtelains, pour la cour de l’école, ses platanes, pour les ruelles du bourg, les jardins des pavillons. Ce n’est pas une ombre apaisante de Provence, de bords de mer à l’eau brillante, de cigales ou d’herbe brûlée, c’est une ombre paysanne, résignée, et, s’il me faut décrire le village de Sorcelin, je dis : c’est un village – trois fermes, quelques maisons d’artisans ou de bourg, une école à classe unique pour les dix enfants que nous sommes, une route, une église, un café pour les hommes, une poignée de pavillons en briques ou en parpaings –, un village lové dans les collines du Lyonnais, pas du côté des pierres dorées mais de celui des pierres brunes, avec un je-ne-sais-quoi d’intranquille, de renard endormi, lové dans l’ombre d’un orphelinat à la taille démesurée, massif et grêle, placé au premier plan, à l’endroit de la scène où tomberait le rideau lourd qui jamais ne s’ouvre sur aucun autre décor ; un village qui disparaît derrière un établissement construit il y a plus de cent cinquante ans et abandonné depuis, créé par la seule volonté d’une jeune fille des alentours.
Ici se dresse notre bâtisse faiseuse d’obscurité, ses alignements de fenêtres désormais closes, cinq ou même six étages superposés, des toits doubles encore, des dizaines de dortoirs, les portes murées, les couloirs vides, les lierres agrippés aux façades boursouflées sous leur joug. Elle se dresse là, on ne sait pas pourquoi ni comment, si loin de tout ; le gigantesque pensionnat nous propage sa nuit, sentence irrévoquée.
Les adultes osent parler de lui, dire qu’il faut le détruire, que c’est laid – ils disent cela, eux –, que ça ferait du terrain à bâtir – les promoteurs commencent leur prospection autour de Lyon. Dans la plaine, doucement, les routes s’élargissent, se goudronnent, on croise dessus des 4 × 4 qui rejoignent la ville, les grues assemblent de petits immeubles et des supermarchés –, ils parlent de l’abattre ; alors je leur jette des sorts, terribles. Je fais brûler des feuilles de laurier dont je viens déposer les cendres à leurs seuils, je récite d’infinies listes de malédictions, écrase des fleurs de millepertuis en des bouillies que je vais appliquer sur les murs effrités de mon orphelinat pour que tous restent à distance. Que celui qui s’approche à moins de un mètre soit pétrifié comme pierre, liquéfié comme mercure, soufflé comme poussière.
Car je l’aime, moi, cette nuit qui ne s’échappe jamais de nous, nous constitue, prend toute la place dans notre paysage. J’aime le réconfort des longs manteaux légers et froids dont elle nous vêt ; je reconnaîtrais sans erreur son parfum au milieu de mille autres. Aucune obscurité ne porte la même odeur, je saurais distinguer celle des platanes, acide, de celle du pisé, humide jusque dans les canicules, terreuse, et la nôtre par-dessus encore ; l’ombre emprunte à sa matrice quelque chose d’elle, et celle de l’orphelinat dépose sur nous le voile de ses silences, épand en nous une saveur aigre-douce d’insolubles mystères.
Le pensionnat est le roi de notre royaume, déployant face à nos regards sa large façade arrière, la plus sévère, la plus fermée, à la manière dont un chat boudeur aurait tourné le dos. Mais nous nous sommes apprivoisés lui et moi, et je lui laisse prendre avec joie toute la place qu’il a à prendre, concrète et impalpable, toute l’emprise au sol sur notre colline et toute la place dans les histoires que je me raconte, puis que je raconte aux autres, à l’école.
Dans la cour, les deux platanes projettent leur ombre sur la grande ombre originelle, elles se mêlent sur le gravier et les heures de récréation sont consacrées, entièrement, à l’histoire de la grande maison : il s’est passé quelque chose, quelque chose de terrible que nous ne savons pas ; moi j’invente, scénario après scénario : ça a été si terrible que les orphelines disparues sont revenues en fantômes, sont revenues hanter Sorcelin au point d’empêcher le jour d’y venir, au point de le plonger dans la nuit. L’ombre n’était pas aussi grande avant leur départ et je dis que cette ombre, que certains ne supportent plus, est la meilleure des preuves que leurs fantômes veillent, soucieuses. Je dis que cette ombre a été noircie par elles pour que l’on se souvienne, que l’on se souvienne pour toujours des filles qui ont disparu en laissant notre paysage à l’abandon, désolé, avec son orphelinat qui trône là, échoué comme un navire sur les côtes rugueuses d’une île désertée – si on me disait que nous sommes des naufragés, je le croirais sans doute.
Moins on se souviendra d’elles, plus l’ombre règnera. Elles sont revenues en fantômes, car elles sentent bien que nous les oublions, que nous ne cherchons pas à savoir ; elles refusent l’oubli que la destruction de leur maison finirait de sceller. Elles aussi nous ont jeté un sort : si le soleil arrivait sur notre village qui ne connaît pas cela, qui ne sait rien de cette étreinte, tout brûlerait, hommes et bêtes, maisons et prés. Et ce que je raconte, à force d’être raconté, entrera dans notre folklore et plus personne n’osera s’approcher du pensionnat ni n’osera le menacer.
Où iraient mes fantômes si leur ombre disparaissait ? Je peux les entendre elles-mêmes, mes orphelines, me dire tout cela. Elles ne dorment pas tranquilles, je sens leur inquiétude, leur façon de s’accrocher à notre village, de vouloir rester dans notre langage. Elles sont parties enfants ; je ne veux pas partir enfant. Je veux le temps de grandir, de faire, de fabriquer, de sauvegarder ; devenir adulte et acheter l’orphelinat. Je n’y ferai rien, je n’y habiterai pas, mais plus personne ne pourra le prendre au mont Luciole. Je ferai peut-être ôter les parpaings des fenêtres et des portes pour que le vent circule plus librement à travers lui, pour laisser passer un peu de lumière si je sens les filles rassurées – derrière l’orphelinat, nous avons le monde à nos pieds, qui s’étend comme la mer jusqu’aux silhouettes dentelées des Alpes. Je trouverai quelqu’un qui saura leur existence et expliquer pourquoi ce grand ciel lourd au-dessus de nous.
Je voudrais ne jamais partir d’ici. Je voudrais que rien ne vienne déranger notre paysage, qu’il soit toujours, en hommage, ainsi qu’il était lorsqu’il était le territoire des
petites filles dont personne ne connaît le destin.
Je chéris les secrets qui planent sur Sorcelin, qui se malaxent dans mes récits, saison après saison, se transforment dans mes histoires ; que les orphelines deviennent des héroïnes mille fois et de mille façons racontées, que les malédictions circulent, que les adultes aient peur à leur tour. Je savoure à pleine bouche notre chance d’avoir devant nous les fenêtres closes de l’orphelinat, de voir jouer à nos pieds ces brumes à la façon de marionnettes floues, de silhouettes de nuit, d’étranges morceaux d’obscur ; quelle chance, je mange toutes les hypothèses folles avec voracité, nous sommes le lieu où les fantômes viennent. Le soir, en passant devant le pensionnat fermé, qui n’a pas entendu les souffles de ces filles qui hantent la contrée ? »
Il s’agit d’apprendre à prêter l’oreille aux chants sourds de notre campagne, aux mystères des disparues de Sorcelin, qui épaississent encore la nuit indélogeable de notre colline, ce mont Luciole qui, jamais, ne se prélasse au soleil.

Les fantômes de l’orphelinat ne m’ont jamais fait peur. J’aimerais apprendre à leur parler, je dis souvent des mots en l’air pour les leur donner. Je m’applique, aussi consciencieusement que je le peux, à examiner chaque chose qui pourrait rendre compte de leur présence et de leurs voix.
Étendue sur la moquette de ma chambre, jusqu’à ce que la nuit arrive enfin, je remplis des cahiers de fables et de contes qui ne parlent que d’elles, leur invente des jeux, des prénoms, dessine les plans de leur pensionnat sur des assemblages soigneux de feuilles A4 qui recouvrent tout le sol de la pièce. Elles me disent, sans avoir besoin de me parler, que je ne suis pas seule sur mon île, que dans mes pas d’autres pas se sont posés avant les miens, que dans mes rires d’autres rires ou bien dans mes larmes d’autres larmes ont vécu et elles rendent ces larmes moins acides sur mes joues. J’espère les voir, les surprendre, fugaces, pour recueillir des preuves, j’apprends à être vigilante, attentive aux moindres changements de lumière, de teinte, de chaleur. J’ai tant appris à sentir que le soir, souvent, il faut me glisser des compresses imbibées de gros sel ou de poudre de charbon sous le nez pour me permettre de dormir.
Mes fantômes ne sont pas des apparitions de fêtes foraines, des linceuls flottants aux plaintes terrifiantes ; les filles sont là, sans avoir besoin d’apparaître, elles sont simplement ici chez elles, plus chez elles que nous qui sommes arrivés plus tard sur la Terre, voilà ce que je me dis quand je rentre doucement, en rapetissant chacun de mes pas sur le chemin du retour après l’école, ce chemin bien trop court pour avoir du temps pour rêver ; elles sont dans tout ce qui perce à travers l’odeur de la nuit, dans tout ce qui la rend belle ou inquiétante, dans toutes les douleurs et dans les joies trop grandes, dans tout ce que, grâce à elles, j’apprends à regarder.
Elles se glissent dans chaque moment que je souhaiterais retenir, dans tout ce que je me promets de ne jamais oublier, dans l’épaisseur de la buée que je souffle sur la vitre pour dessiner dedans, dans les heures tranquilles d’étude quand la fenêtre est ouverte en plein sur la campagne fixe. Elles sont dans les herbiers, fleurs séchées gardées comme trésors, dans les notes du piano maladroites sous mes doigts, dans le goût trop marqué des cassis qui claquent sous nos dents, dans les évanescences des pollens. Elles sont dans tout ce qui était là avant nous et qui ne bouge pas, dans le temps qui colle à notre peau comme les suées de printemps accrochent nos cheveux à nos joues, dans l’immobilité des jours, dans les silences d’après les questions que je pose, dans le silence d’entre mes mots, dans l’éclipse qui vient parfois quelques minutes l’été ajouter une nuit supplémentaire sur la nuit infinie de notre mont, dans les sillons des vinyles qui chantent Brel ou Barbara, dans le ronronnement du chat. Elles sont avec moi quand je suis seule, dans ma chambre à l’arrière du pavillon, dont la fenêtre donne sur la forêt du mont Luciole, sur son sommet qui croule sous les arbres noirs ; elles sont là chaque fois que je suis seule encore, assise en tailleur, entre la porte du bureau et la bibliothèque en bois, le beau recoin pour lire sans que personne ne songe à moi, elles sont là quand la planète entière semble m’avoir oubliée, quand les journées s’étirent dans les trop grands silences, ou dans le capharnaüm des cris et des drames mille fois répétés qui se jouent près de moi. Elles m’apprennent à regarder ailleurs, à voir ce que je peux trouver beau, me rappellent que le temps des vivants n’est pas le seul temps que notre corps connaîtra et qu’il faut bien trouver autour de nous des choses pour les aimer.
Entre les fées et les fantômes, je ne sais pas bien la nuance ; mes fantômes adoucissent la vie comme les magiciennes de Cottingley ont laissé des ailleurs merveilleux apparaître dans les jardins de la campagne anglaise. Sans elles, sans leur présence légère mais remarquable à chacun des endroits de ma vie, à chaque endroit facile ou douloureux, le village de Sorcelin ne serait rien d’autre que ce qu’il a jamais été, un simple chemin, devenu avec le temps une route carrossable, mais tellement étroite que deux voitures ne s’y croisent pas partout. Le village n’a jamais été que cela, une route entre deux grands virages qui se plient aux rudes dénivelés des monts du Lyonnais, de chaque côté de laquelle se nichent trois ou quatre exploitations agricoles, leurs baignoires rouillées sous les préaux, une place au sol en terre, trois maisons de bourg et l’église courbées les unes au-dessus des autres, figées en messes basses. Contre l’église, le monument aux morts, un modeste obélisque en pierre grise, à côté le café pour les hommes, pas ouvert tous les jours, qui vend depuis cent ans des cigarettes – quand c’est fermé on peut tout de même toquer à la fenêtre du bas –, plus loin l’école et la mairie que la IIIe République a éloignées du clocher, depuis les années 1980 quelques pavillons posés comme des verrues sur les pentes de ces monts dont nous sommes ceints. À la sortie, côté sud, un sanctuaire à l’image de celui de Lourdes, sa grotte miniature, sa statue de sainte Bernadette, un sanctuaire construit sur les ordres d’un abbé condamné après la Seconde Guerre mondiale. Et heureusement, en contrebas du village, à ses pieds, heureusement, le monumental orphelinat, la maison des petites sœurs, démesurée, disproportionnée, qui nous offre des histoires à inventer et derrière laquelle je me blottis, noyée dans le secret de l’abandon des lieux, en compagnie des fées qui embellissent ma campagne comme les bourgeons embellissent les branches, et qui veillent sur moi.
Elles sont des bijoux d’enfance que je me plais à porter, à la façon dont on se pare des doubles cerises en lourdes boucles d’oreilles quand le cerisier donne enfin, et si j’entends des bruits étranges lorsque je marche dans la forêt, qu’un corbeau vole un peu trop bas, un peu trop près, qu’un jouet tombe tout seul de l’étagère, que l’orage me surprend en balade, je n’ai pas de crainte, je me dis simplement qu’elles ne sont pas loin et que tout cela est de leur fait. Je me dis simplement qu’elles veillent sur moi.
Ce qui est beau est toujours menacé, à l’abandon ou bien inaccessible. Il me faut bien la force de mes fées pour soigner ma colère, pour ne pas détester ceux qui sont incapables de voir ce que je déclare merveilleux ; des travaux autour de l’église ont été faits sans soin, on a creusé pour faire passer des câbles, les anciens villageois enterrés ont fini dispersés par les enfants et par les chiens – mon frère avait ramené au pavillon un os humain. Un énorme tibia, plein de terre. Personne ne s’est soucié de la perte. Tout est bousculé sans tendresse, pourtant les lieux aussi réclament qu’on les aime.
Nous avons cette réplique de la grotte de Lourdes et personne ne vient espérer de miracles. Personne pour venir se faire miraculer. Le sanctuaire n’est indiqué nulle part, sur aucun panneau, je ne sais plus quel hasard m’a conduite un jour jusqu’à lui. De longues lianes de vigne et des broussailles forment un rideau épais qui occulte l’intérieur en rocaille de ciment; les herbes poussent sous les décors désagrégés, laissant apparaître les structures en fer soudées qui leur donnent leurs formes minérales. Il faut attendre l’hiver pour avoir une chance de voir au-delà de l’écran de ronces calcinées par le froid, et alors on aperçoit derrière une immense grille à pointes qui empêche de trop s’approcher, l’autel, la niche, la statue, un porte-cierge, tout ce qu’il faut pour que des pèlerins viennent, tout est prêt.
Derrière la grotte en faux cailloux, il y a une salle construite dans la vraie roche, une salle qui a dû être une chapelle, aux vitraux de couleur couverts par les lierres, qui ne captent plus beaucoup la lumière. Elle est remplie de bancs amoncelés en désordre et de statues couchées au sol. Il suffirait d’un seul miracle pour que le lieu soit sauvé, qu’il attire des humains pour prendre soin de lui ; mais le miracle ne se produit pas, ne s’est pas produit, et personne n’a même pris la peine de fermer à clef la salle des statues.
Je demande souvent à la Vierge de me miraculer. Ce ne serait pas trop spectaculaire, j’aurais bien du mal à le prouver, à le faire reconnaître. Il ne s’agirait pas de me faire offrir des ailes ou le don d’ubiquité – ce serait sur le champ validé ; je lui demande d’extraire l’étrange tristesse qui plane sur le mont, dans l’histoire de tous ceux qui sont passés par Sorcelin et qui ont espéré des choses jamais venues, qui ont espéré autre chose de leur vie, un autre destin. Je dois mal exprimer ma demande, je dois être trop imprécise, confuse, sûrement parce que ma tristesse est une étoffe compliquée à décrire. Je la remercie quand même d’être là, dans un lieu où chantent les fantômes, où la frontière avec leur monde est si mince, plus fine que n’importe où ailleurs sur la Terre. Je l’ai déjà mon miracle, c’est celui d’habiter ici.
La jeune mousselinière du hameau du Leu a construit son orphelinat sur notre mont, elle en avait eu la vision, c’est ici qu’elle est venue pour répondre à l’appel qu’elle avait entendu ; pourquoi notre village n’est-il pas devenu aussi connu que d’autres, pourquoi avec son histoire fabuleuse ne le protège-t-on pas ? Sorcelin a été choisi pour accueillir une réplique de Lourdes ; c’est bien qu’on a senti chez nous la possibilité du miracle, ou même compris qu’un miracle était déjà en cours.
Je voudrais ne jamais quitter Sorcelin.
Je voudrais que jamais il ne change. »

Extraits
« Le château des Enjoleras est passé dans d’autres mains, une fois de plus, ce qu’il restait de parc a été vendu en terrains à lotir, acheté par un promoteur du coin, un fils du pays comme on dit, un qui vend les prés pour que les riches Lyonnais viennent habiter ici, qui fait tomber les anciennes constructions pour en poser des neuves, à la provençale, parce que les Lyonnais à la campagne aiment rêver de Provence, tant pis pour les arbres noirs, on plante des lavandes.
Le parc que l’on disait classé, protégé, a été divisé en dizaines de parcelles sur lesquelles des maisons à crépi rose et tuiles romaines ont été construites. » p. 55

« Les autres portent des noms accrochés au village, l’une le nom du hameau sur la pente où se tiennent sa ferme et ses vergers, des arbres qui fabriquent les pommes débordantes de parfums dont on se souvient toujours après les avoir goûtées, d’autres s’appellent comme le sentier qui traverse les champs de maïs, un autre encore comme le lieu-dit au bord du ruisseau ; ils portent tous des noms que l’on retrouve gravés et peints sur l’obélisque de la place de l’église, mais pas moi. Mon nom n’est nulle part sur les cartes pour randonneurs, je porte un nom étranger, venu d’un pays qui a donné son nom à la maladie que les filles de l’orphelinat n’ont pas supportée, des filles venues d’un autre ailleurs que le mien, pas d’ici non plus. Je porte un nom dans lequel résonne celui de la grande tueuse, venu d’un pays que je ne connais pas, que je sais depuis si peu de temps situer à la surface du planisphère épinglé au mur du fond de la classe. » p. 69

À propos de l’auteur
RODRIGUEZ_Isabelle_2©Chloe_Vollmer-LoIsabelle Rodriguez © Photo Chloé Vollmer-Lo

Isabelle Rodriguez est née en 1982. Elle est diplômée de l’École supérieure des Beaux-Arts de Nîmes et du master de création littéraire du Havre. Dans son travail de plasticienne, elle construit des récits sur des personnages oubliés de l’histoire à partir d’objets et d’archives. Depuis quelques années, elle est retournée vivre près de Lyon et a choisi pour atelier une fabrique d’écrins désaffectée. Les Orphelines du Mont-luciole est son premier roman. (Source: Éditions Les Avrils)

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Requiem pour la classe moyenne

DELSAUX-requiem_pour_la-classe_moyenne

RL_2023

En deux mots
Étienne rentre de vacances en famille en Bretagne lorsque la radio annonce la mort de Jean-Jacques Goldman. Une nouvelle qui va le déstabiliser et sa vie va alors basculer dans le doute et l’indécision. Sa femme, son fils et sa fille vont se comporter bizarrement, ses repères vont tous vaciller.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Un décès déstabilisant

Dans cette comédie dramatique Aurélien Delsaux imagine un père de famille touché par l’annonce du décès de Jean-Jacques Goldmann. À compter de ce moment, il va regarder son épouse, son fils et sa fille avec un œil différent et se perdre en conjectures.

C’est sur la route du retour des vacances, de Bretagne à Lyon, que le narrateur apprend la mort de Jean-Jacques Goldman. Mais il garde cette information perturbante pour lui. «Ce ne fut qu’une fois Félix et Laetitia couchés, les valises défaites, que je dis à Blanche que Jean-Jacques Goldman était mort, et que ça me faisait bizarre. Sa disparition marquait la fin d’une histoire – une histoire liée à mon enfance, à mon milieu d’origine, village et famille, à tous les miens.»
Ce qui le trouble tout d’abord, c’est qu’il a l’impression qu’autour de lui la nouvelle n’émeut pas plus que ça. Chacun continue à vaquer à ses occupations. Ses enfants continuent à ne pas faire honneur au petit-déjeuner et Blanche ne lui adresse qu’une petite phrase de réconfort.
Dans son entreprise aussi, la routine – après le compte-rendu des vacances de chacun – a repris ses droits.
À compter de ce moment, il y a deux lectures possibles de la suite des opérations. Je vous laisse choisir la vôtre.
La première est à charge. Étienne perd le sens des réalités et ne comprend plus sa famille. Pourquoi Blanche décide-t-elle d’acheter un rottweiler pour la protéger et quitte quelques jours le domicile pour s’acclimater à son chien? Pourquoi son fils cache-t-il une bible dans sa chambre? Pourquoi sa fille, devenue femme, choisit-elle un amant qui a quasiment son âge? Autant d’interrogations qui vont le perturber au point de chercher refuge dans la fuite – il cherche un refuge dans les bois – ou dans l’alcool.
La seconde version est à décharge. On peut considérer que la mort de son idole a enclenché un processus d’hypersensibilisation et que le schéma d’une famille heureuse et équilibrée qu’il croyait bien ancré lui apparaît désormais dans sa vraie dimension. Il se rend subitement compte que quelque chose ne tourne pas rond chez son épouse qui a des crises d’angoisse et se sent suivie, que son fils est en pleine crise mystique et que sa fille cherche un père de substitution.
Aurélien Delsaux a joliment construit son roman autour d’ellipses. Il n’affirme rien et laisse au lecteur le soin de conclure. Où est le raisonnable? Où se cache la névrose? Et faire semblant d’être heureux, n’est-ce pas le début du bonheur? Et dans ce cas, l’inverse serait tout aussi vrai!

Post Rencontre VLEEL Auteur - 2

Signalons la rencontre en ligne avec Aurélien Delsaux organisée par VLEEL le dimanche 22 janvier à 19 h. Gratuite et ouverte à tous. Inscription via ce lien.

Requiem pour la classe moyenne
Aurélien Delsaux
Éditions Noir sur Blanc / Notabilia
Roman
224p., 20 €.
EAN 9782882508058
Paru le 5/01/2023

Où?
Le roman est situé principalement en France, en Bretagne, face à la baie d’Audierne, le long de l’A89, en passant par Clermont-Ferrand jusqu’aux monts du Lyonnais et Lyon.

Quand?
L’action se déroule dans un futur plus ou moins proche.

Ce qu’en dit l’éditeur
Etienne rentre de vacances avec sa famille parfaite et son apparent bien-être. Sa vie est confortable, routinière. Il mène une vie normale, c’est l’essentiel.
Quand soudain, on annonce à la radio la mort de Jean-Jacques Goldman.
Avec cet adieu au totem et au ciment des classes moyennes, Aurélien Delsaux tire à vue sur notre époque, et il la touche en plein cœur.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Transfuge (Damien Aubel)
Actualitté (Hocine Bouhadjera)

Les premières pages du livre
« Les vacances étaient terminées, jusque-là tout s’était bien passé. Je me souviens des chiffres d’alors, je voudrais les saluer : il allait bientôt être dix-huit heures, Blanche, ma femme chérie, somnolait à mon côté, nos deux enfants dormaient à l’arrière, je roulais sur la flambant neuve A89, j’avais quarante-cinq ans, j’avais enregistré sur le régulateur la vitesse maximale autorisée, le tableau de bord annonçait quarante et un degrés à l’extérieur.
Ce que les chiffres mesuraient, le temps et la vitesse, la température ou le prix, j’étais depuis longtemps persuadé de ne pas savoir l’évaluer, de n’être plus capable de le ressentir vraiment. Les chiffres fixaient tout et tenaient tout en respect, ils épinglaient calmement en moi des papillons morts. Ils rendaient la vie saisissable, ils étaient les sigles de mon bonheur.
Je ne vis pas le gris de cendre du gazon sur les aires, ni les branches nues comme en hiver des arbres secs, presque brûlés, je n’entendis aucun appel au secours. Je veillais sur la sécurité et le bonheur des miens, les ramenant au foyer dans notre confortable familiale, en qui j’avais toute confiance.
Les objets ne m’avaient jamais trahi. Chacun me faisait croire avec élégance, presque affection, que je méritais ses bons offices. La clim était automatiquement réglée, la ventilation était douce, les vitres teintées nous protégeaient de la lumière et des regards, la puissance du moteur était peu bruyante, je doublais les camping-cars hollandais tranquillement. Si je restais concentré sur ma route, il ne nous arriverait rien.
Nous avions hésité à partir la veille, nous craignions une circulation compliquée. C’était un dimanche classé orange. Mais nous n’allions pas renoncer à un jour de vacances, nous profiterions de notre bon temps jusqu’au bout. Par chance, il n’y avait pas eu un seul bouchon. J’avais refait le plein à hauteur de Clermont-Ferrand, j’avais acheté aux enfants un paquet de fraises Tagada. À leur réveil, ils en déchireraient le plastique en éclatant de rire. J’avais aimablement souri à la caissière harassée par ce long, ce si long dernier dimanche et dernier jour du mois d’août.
Tout ce qu’il avait fallu faire, je croyais l’avoir fait.
*
Mentalement, j’aurais dû effectuer plus d’efforts pour rester vigilant. Je me parlais, je ne reconnaissais pas tout à fait ma voix, ce n’étaient pas tout à fait mes paroles. Je me repassais le film de notre séjour en Bretagne, dans la grande villa de mes beaux-parents, face à la baie d’Audierne. Mon beau-père m’y avait conté l’oracle de la situation économique mondiale, il interprétait force données, il en ouvrait froidement les entrailles. Dans ces viscères ternes, il lisait un avenir stable et bon, il lisait le clair et ferme avenir.
Tout tiendra ! l’entendis-je encore jubiler.
Et je me répétai cette prédiction, sans réfréner un sourire que je n’adressai qu’à moi, tendant le cou pour que le rétroviseur me le rendît. En petites vagues, de bons souvenirs clapotaient dans ma tête. J’étais de nouveau dans cette crique charmante que nous avions gagnée en bateau, que nous eûmes pour nous seuls. Les enfants s’amusaient à m’enfouir en son sable et à m’entourer de murailles. Puis je revis la destruction de leur château, le grand trou que mon corps relevé laissa, les vagues abolissant tout. L’océan s’évapora. Les Monts du Lyonnais avaient paru au loin.
Tout tiendra, tout tiendra, marmonnais-je à présent comme un mantra. Nous passions sous un de ces grands panneaux bleu roi, aussi verticaux que des lames de guillotine. Il indiquait des directions qui n’étaient pas la nôtre, bifurquant avant elle, STRASBOURG DIJON SAINT-ÉTIENNE, ou, MARSEILLE MILAN, la dépassant. Tout tiendra, tout tiendra, allai-je jusqu’à comiquement chantonner.
Filant sur une portion d’autoroute parfaitement droite, je jetai un œil distrait aux différents symboles allumés sur le tableau de bord. Tous confirmaient le pilotage quasi automatique de mon véhicule.
*
Le soleil ne faiblissait pas. Je savourais un mélange de sérénité et de confiance, dont l’habitacle était plein, et que j’aurais pu essayer de nommer. Depuis la fin de l’adolescence, et jusqu’à ce soir-là, je ne m’étais pas beaucoup attardé sur mes sentiments, je n’avais que rarement ressenti le besoin de leur donner un nom. Je me sentais proche de ces gens qui appellent leur chien Le chien ou leur chat Le chat, et à qui très souvent on reproche cette négligence. De mes émotions je ne faisais pas une affaire personnelle. Je n’étais pas une pierre, je n’aspirais pas à devenir de marbre, des sentiments m’habitaient bel et bien. C’étaient ceux d’un homme normal, dans une vie normale. J’étais triste ou heureux comme tous les gens de ma catégorie pouvaient l’être, ni plus ni moins.
Il n’y avait rien à en dire, rien à dire du tout.
La route était toujours droite et sèche, la voiture semblait voler magiquement à un centimètre de sa surface. Je me redressai sur mon siège. Je humai l’odeur de neuf autour. Le mot assurance émergea. Il aurait parfaitement convenu pour me caractériser.
À 20 ans, j’aurais eu bien des raisons personnelles de protester contre l’ordre des choses. À présent, je n’en voyais plus de très sérieuses, je n’en voyais plus aucune de valable. Globalement, les lois invisibles qui régissaient le cosmos, les lois tortueuses que l’humanité s’imposait, tout ça m’allait très bien. Mes besoins étaient comblés et mes désirs, modestes, satisfaits.
Pour ne pas m’endormir, je doublai une Kangoo verte qui se traînait trop sur la voie centrale. Voici ma vie – une avancée rapide, contournant en toute sécurité, dans le respect des règles, le moindre obstacle. Je n’avais qu’à continuer à bonne allure ma trajectoire, je n’avais qu’à suivre les indications.

Après dix heures de route, nous arrivions enfin aux abords de Lyon. Je connaissais parfaitement notre fin de parcours. Je laissai néanmoins le GPS me guider encore, j’augmentai légèrement le volume de la radio, la fatigue commençait à se faire sentir davantage. J’avais de désagréables picotements dans la nuque, de violentes envies de bâiller. Ma fille et mon fils, écouteurs sur les oreilles, regardaient chacun leur film sur leur tablette. Blanche, la tête penchée vers sa vitre, gardait en son reflet les yeux fermés.
Le dernier péage franchi, nous entrâmes dans le tunnel, le profond et long tunnel qui passe sous les fleuves. Nous arriverions bientôt rue Saint-Jacques, nous étions presque arrivés – plus que 7 minutes, indiquait la machine. Je n’en comprenais plus l’itinéraire. Les lumières orange, le grésillement de la radio qui ne capte plus, je me les rappelle. Je pensais peut-être à quelque chose de précis en cet instant, quelque chose du proche et calme avenir : aux valises à défaire, à la rentrée des enfants – ou à un nouveau voyage. Je ne m’en souviens plus.
Je ne vis pas l’écran émettre de flash ni devenir noir, je ne vis pas le tunnel s’éteindre ni s’écrouler, nous n’avons pas plongé dans je ne sais quel gouffre. Je ne me souviens de rien sinon du bleu – de cette moitié de disque bleu, de l’air libre qui nous appelle, de ce morceau de ciel comme une île en vue. De ce bleu là-bas au loin, tout au bout, ce bleu tendre du soir, vers quoi nous allions et de quoi, sans cesse, sans cesse, nous nous rapprochions.
C’est en sortant du tunnel que j’entendis la présentatrice interrompre le programme pour m’annoncer à voix basse la mort de Jean-Jacques Goldman.
La nouvelle tomba en moi, avec ce son mou du galet jeté dans la mare. Dans le silence de la vase, une fois leur obscure retraite atteinte, y remuent des bêtes étranges.
J’éclatai en sanglots, mais doucement, le plus doucement possible, pour ne déranger personne, pour ne pas dévier de ma trajectoire. Je coupai la radio et mon portable.
Le trafic s’était soudain densifié. Tous les phares et tous les lampadaires s’étaient allumés. La nuit et la ville nous avaient avalés.
*
Rue Saint-Jacques on décongela tout de suite une quiche Tradition. Une odeur de gras sortit du micro-ondes, on mangea très vite. Je mâchai ma part tiède en y cherchant une consolation. Nous étions arrivés, nous avions encore réussi. Les vacances étaient finies, mais nous étions de retour chez nous, sains et saufs. Personne n’avait forcé la porte de notre appartement, un rapide tour de nos 184 m2 me donna l’impression que tout était intact, que rien n’avait changé.
Dans un cauchemar qui m’avait autrefois obsédé, je nous voyais rentrer de vacances pour découvrir au sous-sol qu’on avait défoncé la porte de notre garage. Aucun de nos vélos n’y avait été dérobé, on s’était contenté de casser ce grand et vertical rectangle blanc et lisse, on l’avait défoncé, tordu et sali, pour le seul plaisir de nous nuire. Qui avait fait ça, quel était son visage, qu’est-ce que c’était, avait-ce un visage – mon rêve ne le révélait pas.
J’avais, depuis, investi dans un système de sécurité. Ce mauvais songe s’était fait de plus en plus rare. Mais contre les cauchemars on ne vend pas de système de sécurité infaillible.
Ce ne fut qu’une fois Félix et Laetitia couchés, les valises défaites, que je dis à Blanche que Jean-Jacques Goldman était mort, et que ça me faisait bizarre. Sa disparition marquait la fin d’une histoire – une histoire liée à mon enfance, à mon milieu d’origine, village et famille, à tous les miens.
Je ressentais autre chose que de la tristesse, quelque chose de plus fort, comme on dit d’un alcool.
Elle ne me demanda pas de quoi il était mort, d’ailleurs je n’en savais rien, qu’est-ce que ça changerait. Elle fit juste C’est vrai, à moitié comme une question, à moitié comme si elle le savait déjà, comme si elle l’avait toujours su. Elle n’était pas douée pour la consolation, mais qui l’est. Elle posa négligemment une paume sur ma joue, par automatisme, ou par condescendance. Sa paume était douce, ma joue rêche, elle retira très rapidement sa main.
Je haïssais tous ses gestes. Je ne disais rien.
Je m’isolai dans ma pièce – moitié bureau, moitié débarras, je ne lui avais pas assigné de fonction exacte. J’y regardai mon vieux poster. On l’y voyait avec encore beaucoup de cheveux, il jouait sur une guitare électrique bleu et blanc, son profil laissait voir son nez juif, une immense fumée rouge montait derrière lui. J’avais tellement aimé ses chansons, autrefois.
Les autres écoutaient les hits internationaux, mélopées anglaises et rap d’outre-Atlantique : paroles que je ne comprenais pas, rythmes qui ne me correspondaient pas, mélodies qui n’étaient pas les miennes. Les chansons de Goldman, je les avais si souvent passées et repassées dans ma chambre et dans ma tête. J’avais tant aimé quand la radio en diffusait une, les matins ou soirs dans le car du collège, les samedis après-midi à l’Intermarché de Bournay, et aux mariages de mes grands cousins, et à quelques enterrements. J’en savais sûrement encore tous les textes et tous les airs par cœur. Il y avait pourtant longtemps que je ne les chantais plus.
Je ne décrochai pas le poster, ce ne fut pas à ce moment-là que je le déchirai. Je pleurai encore.
Un air funèbre m’avait envahi. Je reconnus le début du requiem anglican de sir Andrew Gardiner, un contemporain de Purcell dont, pour parfaire mon éducation musicale, mon beau-père m’avait offert un disque. C’est épatant, m’avait-il vanté. Le terme m’avait paru quelque peu déplacé pour qualifier une œuvre funèbre, mais comment dire la puissance de cette médecine sacrée. I am the Resurrection and the life, chantonnai-je aux quatre murs et au plat visage de mon ancien héros, sans y croire. Je me laissai apaiser par la tristesse domptée de cette musique-là. Malgré moi, elle m’accompagnerait dans les jours à venir.
J’essuyai mes joues. Je me concentrai sur demain. Une nouvelle année commencerait.
Blanche allait retrouver ses collègues avocats, et ses clients innocents ou menteurs, et les greffiers, et les juges, et le président du tribunal, et je ne savais qui. Les enfants reprendraient le chemin de l’école et reverraient leurs amis. Moi, j’allais retrouver le labo, mes listes de tâches quotidiennes à distribuer, grilles à remplir, dosages et résultats à contrôler, fidèlement. Nous reprendrions tous les quatre notre rythme, nos horaires, nos activités, loin du temps sans stries des vacances.
Nous les regretterions un peu, ces jours libres – mais pas trop, pas longtemps. Le cours normal des choses emporterait dans ses flots tranquilles tout le sable de notre mélancolie.

Dans notre chambre, Blanche avait déjà éteint. Elle était parfaitement immobile. Allongé tout près d’elle, je ne l’entendais pas respirer, j’eus peur qu’elle ne fût morte aussi. Je murmurai Bonne nuit chérie, espérant qu’elle me répondît, qu’elle me rassurât. Sans doute était-elle plongée dans la phase profonde du premier sommeil. Je fermai les yeux pour la rejoindre où l’on ne rejoint jamais personne, là où se mène la vie involontaire.
La plupart du temps je dormais du parfait sommeil du juste. Et voici que, très vite, je me réveillai en sursaut.
*
J’errai dans le couloir, hésitai entre le salon et la cuisine, entrouvris avec délicatesse la porte des chambres de Laetitia et de Félix. Je ne voulus pas contempler leur visage, leur visage dormant m’avait toujours fait peur. Je détournai le regard au bel or de la chevelure de ma fille qui débordait son oreiller, je ne vis que la main, la timide main de Félix – puis je regardai nos meubles, toutes les choses, toute la sécurité des choses qui se taisaient dans la nuit.
Je me laissai tomber sur le grand canapé d’angle du salon, j’allumai plusieurs lampes, une à une, pour simuler le début d’un show. Les bibelots n’avaient pas bougé, le vernis de tout brillait. Sur une étagère, dans l’émail d’un vase en raku, je vis une forme de boule qui devait être mon visage déformé, ma trouble gueule.
J’admirai longuement les angles parfaitement orthogonaux et l’apparence gris et noir de ces bijoux technologiques qui font toute la beauté de la vie moderne, qui justifient par leur usage comme par leur simple présence la peine qu’on se donne pour les acquérir. Je les chérissais comme de loyaux, de sûrs et fidèles consolateurs. Par le seul commandement de mon désir, grâce à l’efficacité de leurs entrailles électroniques, Jean-Jacques Goldman ne serait pas si mort que ça.
Je caressai la table basse devant moi. Un peu de poussière se colla sur mes phalanges, la poussière qui continue à se déposer partout, tout le temps, même quand l’appartement reste fermé dix jours, même quand nous ne sommes pas là pour la créer en abandonnant toujours d’infimes pellicules de peaux mortes. Plus que de notre propre usure, je la voyais naître de chaque chose, et de l’air, et du temps lui-même – chair de sa chair, émiettée.
Heureusement pour nous, Nadia nous débarrasserait de ces particules bourrées d’acariens. Elle reviendrait jeudi faire le ménage, elle reviendrait chaque jeudi, tous les jeudis, toute l’année, elle n’avait aucune raison de nous abandonner. Elle reviendrait année après année, jusqu’à sa retraite – à moins qu’elle ne meure prématurément. Je ne connaissais pas l’espérance de vie d’une femme de ménage.
Je repris la pile des journaux et magazines, j’aimais qu’elle dessinât – le plus grand format à la base, le plus petit au sommet, le tout bien centré – une petite pyramide aztèque.
Ainsi trouvai-je caché entre L’Obs et Télérama un prospectus annonçant l’ouverture prochaine d’une salle StrongPark à La Part-Dieu.
Sous le slogan TOUJOURS PLUS FORT, un jeune blond, en short bleu et marcel immaculé, affichait, un haltère dans chaque main, ses muscles en sueur et son sourire carnassier. Pourquoi Nadia n’avait-elle pas jeté ça tout de suite à la poubelle. Fixant avec mépris l’image de ce Musclor photoshopé, je ne pus m’empêcher de rire, d’un rire presque spectral.
À ton âge, j’avais mieux à faire que de gonfler mes biceps –
D’un seul poing, je roulai en boule ce rectangle de papier glacé.

Derrière une des lampes, des feuilles se découpaient, noires, en contre-jour. Je me levai pour les toucher, pour leur donner une caresse. Elles avaient des formes originales, on aurait dit des œuvres de métal ciselé. La première que j’effleurai se détacha de sa tige pour tomber droit vers le sol. Je passai ma main au-dessus des autres, toutes s’effritèrent. Elles tombèrent en petits morceaux, en tout petits morceaux de cendre noire.
Toutes les plantes étaient mortes de soif. Ce n’était pas moi qui m’occupais de leur arrosage, mais la personne qui le faisait leur avait manqué. Nous avions oublié de demander à Nadia, ou à n’importe qui, de passer les arroser, ne serait-ce qu’une fois en notre absence. C’était idiot et touchant, ce besoin vital et cette négligence humaine.
Je souris à ce nécessaire et fidèle souci que nous, êtres humains, devons à toute plante en pot. Notre nécessité avait sa réciproque, elles manqueraient à la joliesse de notre intérieur. Il faudrait vite en acheter d’autres. J’avais à me débarrasser d’autant plus vite de ces formes rabougries et cramées, de ces tiges cadavériques.
Je cessai de sourire parce que je ne savais pas quoi faire de la terre.
*
Dans les heures lisses de la nuit, quand pour deux ou trois heures la rue se tait parfaitement, les yeux fixés au plâtre du plafond, je vis défiler quelques futiles images de mon enfance calme. Les chansons de Goldman avaient bercé tout le premier tiers de ma vie, au soleil de sa mort ma mémoire en dégelait quelques morceaux.
J’ai revu des jardins. J’ai revu notre petit pré piqué de fruitiers à Saint-Jean-l’Herme, bordant les grands bois des Blaches. J’ai revu le carré tout en fleurs de Bournay, et le petit potager à Sainte-Julie, chez mes grands-parents paternels, maternels. Je disais bonsoir aux arbustes, aux buissons des haies, bonsoir aux fleurs et aux fruits, bonsoir chaque brin, chaque branche, bonsoir la terre et l’herbe, bonsoir bestioles.
Passe alors une petite taupe, je la suis. Elle plonge dans un trou, creuse de plus en plus profond sa galerie. Bientôt ses pattes se fatiguent, ses griffes s’usent. Elle n’arrive plus à poursuivre, elle ne sait plus creuser, elle ne peut plus, ne peut plus. Et soudain c’est moi. Je suis coincé sous la terre, dans quel boyau du temps, mes mains sont couvertes de sang, et j’étouffe –
Je me réveillai encore en sursaut. Qu’est-ce qui m’arrivait. Me semblait avoir entendu un cri sourd, assez proche, de l’autre côté des cloisons ou des vitres, dans une chambre ou sur le balcon. J’ouvris un instant la baie, je retournai voir les enfants. Tout était tranquille dehors, tout dormait dedans.
L’air extérieur m’avait fait frissonner, je rejoignis la tiédeur du lit conjugal.

Une heure avant l’aube, Blanche me réveilla. Elle secouait mes épaules, elle s’était mise à quatre pattes, elle avait enlevé sa chemise de nuit.
La première chose que je vis en ouvrant les yeux dans la pénombre fut le frémissement de ses seins.
D’abord elle ne demanda rien, je me taisais. Nous avions souvent fait l’amour en muets, sans parler ni avant, ni pendant, ni après. Dans ces moments bénis, l’évidence et l’accord de nos désirs suffisaient, commandaient tout. »

À propos de l’auteur
DELSAUX_aurelien_©Emmanuelle LescaudronAurélien Delsaux © Emmanuelle Lescaudron

Aurélien Delsaux est né en 1981. Son premier roman, Madame Diogène, remarqué par la critique, a été finaliste de plusieurs prix. Son deuxième roman, Sangliers, paru en 2017 chez Albin Michel, a reçu le prix Révélation 2017 de la Société des gens de lettres. Luky a paru chez Notabilia en 2020, tout comme Requiem pour la classe moyenne (2023). (Source: Éditions Noir sur Blanc)

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Quelque chose à te dire

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En deux mots
Elsa Feuillet, jeune romancière, voue un culte à son aînée Béatrice Blandy. Après le décès de la grande écrivaine, son mari lui propose un rendez-vous. Elle va alors se retrouver dans l’appartement de son idole, puis dans ses draps, puis dans son bureau et se sentir investie d’une mission, continuer l’œuvre en suspens.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Dans les pas de son idole

L’admiration d’Elsa Feuillet pour l’œuvre de Béatrice Blandy, romancière à succès, va la mener bien au-delà de ses espérances. Et permettre à Carole Fives de nous offrir l’un des grands romans de cette rentrée!

«Elsa Feuillet admirait Béatrice Blandy. C’était une écrivaine dont elle pouvait relire les romans chaque année, sans jamais se lasser. (…) Elle se retrouvait dans chacune de ses pages, dans chacun de ses personnages.» Si la jeune romancière n’a jamais rencontré son aînée, elle est fascinée par son écriture, par le regard qu’elle pose sur le monde. Aussi décide-t-elle de mettre en exergue de son nouveau roman un extrait de l’un de ses livres. Et va jusqu’à penser que ces quelques lignes ne sont pas étrangères à son succès. Mais la conséquence la plus surprenante de ce choix arrive par la poste. Un petit mot signé Thomas Blandy: «Chère Madame,
J’ai lu avec plaisir votre roman, Forum. J’ai été très touché que vous y citiez une phrase de ma femme. Votre livre aurait plu à Béa, à coup sûr. J’ai appris que vous ne viviez pas à Paris, mais contactez-moi lorsque vous y passez, j’aimerais vous rencontrer.»
Une telle invitation ne se refuse pas. Impressionnée puis intriguée, Elsa découvre le luxueux appartement du premier arrondissement où vivait Béatrice, les toiles de maître – jusqu’à un Picasso accroché dans la cuisine – qui décorent l’endroit et l’attention que lui porte Thomas. Très vite ce rendez-vous va devenir un rituel. Chaque fois qu’elle se rend à Paris, au lieu de loger chez son amie artiste, elle retrouve Thomas. Quand ce dernier l’embrasse, elle le laisse faire, curieuse de découvrir comment le mari d’Elsa – de vingt ans son aîné – fait l’amour. Une intimité qui va aussi lui permettre d’entrer dans le saint des saints, le bureau aménagé par Béatrice où elle écrivait et où elle rassemblait ses notes et sa documentation. En entendant son éditrice affirmer qu’elle travaillait sur son prochain livre avant de mourir, Elsa se persuade que sa mission était désormais de «mettre la main sur ce joyau de la littérature contemporaine».
Après avoir exploré le statut de l’artiste dans son précédent roman, Térébenthine, Carole Fives s’attaque à celui de l’écrivain, un milieu qu’elle a désormais apprivoisé et dont elle connaît fort bien les chausse-trapes et les lois du marché: « un titre ne se vend bien que si l’auteur est capable d’en assurer la promotion dans les médias, on préfère des auteurs toujours plus jeunes, toujours plus beaux et sûrs d’eux-mêmes, sortant si possible d’une grande école. La littérature est à l’opposé, et se présente le plus souvent sous la figure d’un jeune homme bien coiffé et diplômé de Normale Sup, rodé pour répondre du tac au tac à n’importe quelle question en prime time». Mais bien plus qu’un roman à charge, c’est d’abord un roman qui rend hommage au livre et à la lecture, qui puise dans Daphné du Maurier comme dans Nathalie Sarraute, qui prouve combien Jules Renard a raison d’affirmer que quand il pense à tous les livres qu’il lui reste à lire, il a la certitude d’être encore heureux.
Bien entendu, je ne dirai rien de l’épilogue, si ce n’est que pour souligner qu’il est digne des meilleurs thrillers. Du grand art !
Ayant eu le nez creux ces dernières années en ce qui concerne les Prix littéraires, je prends le risque d’affirmer que les jurys ne seront pas insensibles à ce texte, le meilleur de Carole Fives. Courez vite chez votre libraire !

Quelque chose à te dire
Carole Fives
Éditions Gallimard
Roman
170 p., 18 €
EAN 9782072989780
Paru le 18/08/2022

Où?
Le roman est situé en France, principalement à Paris ainsi qu’à Lyon. On y évoque aussi un voyage jusqu’à la presqu’île de Giens.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Elsa Feuillet, jeune écrivaine, admire l’œuvre de la grande Béatrice Blandy, disparue prématurément. Cette femme dont elle a lu tous les livres incarnait la réussite, le prestige et l’aisance sociale qui lui font défaut. Lorsque Elsa rencontre le veuf de Béatrice Blandy, une idylle se noue. Fascinée, elle va peu à peu se glisser dans la vie de sa romancière fétiche, et explorer son somptueux appartement parisien — à commencer par le bureau, qui lui est interdit…
Jeu de miroirs ou jeu de dupes ? Carole Fives signe avec Quelque chose à te dire un thriller troublant.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com

Les premières pages du livre
« Elsa Feuillet admirait Béatrice Blandy. C’était une écrivaine dont elle pouvait relire les romans chaque année, sans jamais se lasser. Plus que l’histoire, car il n’y avait pas vraiment d’histoire dans ses livres, ce qu’elle aimait, c’était l’écriture, incisive, le regard qu’elle posait sur le monde. Elsa Feuillet se retrouvait dans chacune de ses pages, dans chacun de ses personnages. Elle était cette femme qui prend un inconnu en stop la nuit, cette autre qui prépare un dîner pour un amant qui n’arrive jamais ou cette autre encore (était-ce la même ou était-elle à chaque fois différente ?) qui se balade dans le métro avec du sang sur les mains. Lire Béatrice Blandy donnait à Elsa Feuillet l’impression de mieux se comprendre elle-même, c’était une petite voix qui l’entraînait et lui disait, « regarde les choses sous cet angle et vois comme la vie est différente ainsi, plus intense, plus vraie… ».
Elsa Feuillet n’avait jamais cherché à rencontrer Béatrice Blandy. La lecture de ses ouvrages lui suffisait. Il lui semblait que dans leurs livres, les écrivains mettaient le meilleur d’eux-mêmes, pourquoi ensuite aller en librairie ou dans un salon du livre pour les voir en chair et en os ? Quel intérêt de savoir s’ils rédigeaient au stylo Montblanc ou à la plume d’oie, jusque tard dans la nuit ou dès potron-minet ? Puis Elsa Feuillet écrivait elle-même, elle avait publié quelques romans et une sorte de pudeur la retenait d’envoyer un courrier enflammé aux autrices qu’elle aimait. Bien sûr, il leur arrivait parfois de se croiser, entre écrivains, dans un salon, un festival, alors là oui, si elle avait aperçu Béatrice Blandy, elle serait certainement allée la voir, elle lui aurait dit quelque chose comme, « j’adore vos livres ». Ç’aurait été bref, juste deux ou trois mots, elle aurait trouvé le courage. Mais l’occasion ne s’était jamais présentée. Et puis elle avait appris la nouvelle sur internet, Béatrice Blandy était morte. Un cancer foudroyant, elle était partie en quelques semaines à peine. Les hommages avaient plu sur les réseaux sociaux et dans les journaux, c’était une femme de lettres qui avait reçu des prix prestigieux, elle vivait à Paris, connue et reconnue par le milieu, tout le gotha littéraire était sous le choc. Elsa Feuillet aussi. Elle ne vivait pas à Paris mais les jours qui suivirent sa mort, elle était triste. Il n’y aurait donc plus de roman de la grande écrivaine ? Plus rien ? Elle n’était pas la seule à l’admirer, quelques mois plus tard, plusieurs livres et documentaires lui furent consacrés, chacun tenait à témoigner de l’influence que Béatrice Blandy avait eue dans sa vie, dans son travail, chacun voulait lui rendre hommage à sa façon, un film, une chanson, un roman… À elle, Elsa Feuillet, lui restaient ses livres, elle pourrait toujours les lire, les relire. Son œuvre infuserait lentement dans la sienne, c’était en quelque sorte son héritage.
Béatrice Blandy avait peu écrit, cinq romans seulement en trente ans, soit un tous les six ans. Elle n’était pas de ces auteurs omniprésents à chaque rentrée littéraire, qui tiennent le crachoir coûte que coûte et monopolisent les plateaux télévisés, non, elle expliquait dans les interviews que l’écriture répondait chez elle à une sorte d’urgence, sans laquelle il lui était impossible de se mettre au travail. C’étaient des romans assez courts, à peine cent pages à chaque fois, des textes fulgurants, forts, et Elsa aimait aussi cette brièveté, cette manière de ne pas s’étaler. C’était, lui semblait-il, une sorte de politesse, une façon de ne pas trop occuper le terrain, de laisser de la place aux autres, et cette place près de Béatrice Blandy, elle la prenait chaque fois qu’elle relisait un de ses cinq livres. C’était comme un dialogue entre elles, toujours aussi saisissant, aussi passionnant, un voyage dont elle ressortait à chaque fois différente. Elsa se sentait comme une dette envers Béatrice Blandy, elle lui avait transmis tant de beauté et maintenant elle n’était plus là, elle n’avait rien pu lui dire, c’était dommage. Elle aurait préféré la rencontrer finalement, lui faire savoir à quel point ses textes avaient changé sa vie. C’étaient eux qui lui avaient donné la force d’envoyer ses écrits à des maisons d’édition. De continuer, malgré les refus, et de publier, d’abord des nouvelles, puis de brefs romans, sur le modèle de ceux de Béatrice Blandy.

Au moment de rendre son nouveau manuscrit à son éditeur, Elsa eut envie de le lui dédier, « À Béatrice Blandy, trop tôt disparue ». Non, c’était ridicule. Excessif. Qui était-elle pour parler ainsi de sa mort ? Il valait mieux une évocation plus discrète, une citation par exemple, voilà, une phrase de Béatrice Blandy en exergue de l’ouvrage, une façon de lui rendre hommage sans en faire des tonnes.
Elle relut les cinq romans de Béatrice Blandy, stabilo à la main, à la recherche d’une phrase, une seule, qui résumerait ce qu’elle aimait tellement dans ses livres. L’exercice était plus complexe qu’il n’y paraissait. Béatrice Blandy n’était pas une écrivaine à petites phrases. Dès qu’on les isolait de leur contexte, les phrases de Béatrice Blandy perdaient de leur force, se révélaient simplement banales. C’était le texte dans sa totalité qui leur donnait du sens, qui les rendait si justes. Bien sûr, Béatrice Blandy n’était pas poète, elle était romancière, comment Elsa ne s’en était-elle pas rendu compte plus tôt ?
À force de chercher, elle finit par trouver un passage qu’elle pourrait mettre en exergue, sans ridicule, ni pour elle-même ni pour Béatrice Blandy.
Le texte d’Elsa fut accepté par son éditeur et, après quelques corrections, publié au printemps sous le titre Forum. La narratrice de ce roman était mère célibataire et consultait régulièrement les forums de parentalité. Sur ces sites, les parents répondaient à des questions aussi variées que « A-t-on le temps de faire un jogging pendant la sieste de bébé ? » ou tout aussi bien, « Comment faire des économies quand on élève seule un enfant ? ». De plus, et c’était le cœur du roman, la mère célibataire faisait des fugues la nuit. Pas pour aller faire un jogging, mais juste pour prendre l’air, sortir, décompresser. Tout cela n’avait rien à voir ni de près ni de loin avec les romans de Béatrice Blandy, d’ailleurs les siens ne parlaient jamais d’enfants, pour la bonne raison, expliquait-elle dans un entretien sur France Culture, qu’elle n’en avait jamais voulu. Elle était écrivaine, insistait-elle, elle avait d’autres livres à fouetter. Elsa l’admirait d’autant plus qu’elle n’avait pas su elle-même résister aux injonctions de maternité, encore très fortes en province, où elle vivait.
Forum reçut un très bon accueil, et même si les mères célibataires n’eurent pas vraiment le temps de le lire, il lui permit d’élargir son lectorat, principalement des parents qui lui envoyaient des messages sur Facebook, expliquant que même en couple, ils vivaient des situations très proches, et ressentaient profondément le besoin d’évasion de la narratrice. Elsa fut pour la première fois invitée à des festivals, et le livre reçut même plusieurs propositions de traductions. Elle était intimement convaincue que la petite phrase de Béatrice Blandy, placée en exergue du livre, lui portait chance, qu’elle agissait tel un talisman, et que son autrice favorite, quelque part, veillait sur elle.
C’est à cette période-là qu’Elsa reçut une lettre, transmise par sa maison d’édition avec quelques semaines de retard.

Paris, le 23 mai
Chère Madame,
J’ai lu avec plaisir votre roman, Forum. J’ai été très touché que vous y citiez une phrase de ma femme. Votre livre aurait plu à Béa, à coup sûr. J’ai appris que vous ne viviez pas à Paris, mais contactez-moi lorsque vous y passez, j’aimerais vous rencontrer. Je vous joins ma carte, avec mon numéro,
Thomas Blandy »

Extraits
« Vue de Lyon, la vie parisienne avec Thomas paraissait excitante, aventureuse, pleine de rires, de rencontres, de sorties. C’était Paris la liberté contre Lyon l’endormie. Paris la fête contre Lyon la défaite. Ici, elle s’ennuyait et n’avait qu’une hâte, que la semaine prenne fin et qu’elle puisse enfin filer par le premier TGV et retrouver sa liberté. » p. 91

« Qu’importe les personnes réelles derrière une œuvre, l’essentiel était l’œuvre elle-même. Notre époque survalorisait la figure de l’artiste aux dépens de l’œuvre, un titre ne se vendait bien que si l’auteur était capable d’en assurer la promotion dans les médias, on préférait des auteurs toujours plus jeunes, toujours plus beaux et sûrs d’eux-mêmes, sortant si possible d’une grande école. La littérature était à l’opposé, et, si elle se présentait le plus souvent sous la figure d’un jeune homme bien coiffé et diplômé de Normale Sup, rodé pour répondre du tac au tac à n’importe quelle question en prime time, Elsa sentait qu’elle était loin, ailleurs. » p. 123

À propos de l’auteur
FIVES_Carole_©Francesca_MantovaniCarole Fives © Photo Francesca Mantovani

Carole Fives est romancière, nouvelliste et essayiste. Elle a notamment publié Une femme au téléphone, Tenir jusqu’à l’aube et Térébenthine. Quelque chose à te dire est son sixième roman.

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Et ils dansaient le dimanche

PIGANI_et-ils-dansaient-le-dimanche  RL-automne-2021

En deux mots
En 1929 Szonja quitte la Hongrie pour venir travailler dans les usines textiles de la région lyonnaise. Les rêves de liberté qu’elle caresse vont vite se heurter à la dure réalité des cadences infernales et des odeurs toxiques. Peut-être qu’un mari pourra lui ouvrir de nouvelles perspectives.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

Szonja ou la vraie vie

Paola Pigani s’est plongée dans l’histoire industrielle de la région lyonnaise pour retracer le destin des immigrés engagés pour produire la soie artificielle. À travers l’histoire de Szonja, ce sont les luttes ouvrières des années 1930 qu’elle fait revivre.

Deux jeunes filles essaient de dormir un peu dans le train qui les mène de Budapest à Lyon. Márieka et Szonja font partie d’un contingent d’ouvrières recrutées en Hongrie pour servir de main d’œuvre dans les usines de viscose. Depuis 1923, de «bons patrons» recrutent à tour de bras, notamment en Italie, en Pologne et en Hongrie, mais aussi en Arménie et en Espagne pour faire tourner ces usines monstrueuses ou la chimie transforme les matières premières en soie artificielle.
À peine débarquées de la gare de Perrache, un bus les conduit dans un pensionnat aux règles strictes où les religieuses les logent et les nourrissent contre un loyer défalqué de leur paie qui est inférieure à celle des françaises et à celles des hommes qui touchent 3,50 francs de l’heure. Là encore, il n’est pas question de se reposer, le travail attend. Après avoir pointé, dix heures éprouvantes attendent les salariés dans des relents de vapeurs chimiques. Pour Szonja comme pour les autres, il faut tenter d’apprivoiser les étapes de fabrication, tenir la cadence, apprendre une langue et des termes techniques qui ne lui disent rien.
«Szonja fixe des yeux les flottes de viscose, ces écheveaux visqueux; il lui faut rester attentive à la transformation de la matière souple jusqu’au débit du fil sans fin qu’elle tire avec les mêmes pensées. Elle se crée des rituels, imagine des choses pour oublier la fatigue, y fait un nœud mental à chaque heure écoulée de la matinée. Ensuite, elle oublie, puise dans la coulée des gestes répétitifs. Une mélancolie nouvelle s’étire alors, tandis que la pluie s’abat sur la verrière.»
Au fur et à mesure que les semaines passent, il n’y a guère que les sorties dominicales avec ses sœurs d’infortune qui mettent un peu de baume au cœur. Elles font alors le constat de leur échec. Leur rêve de liberté s’est transformé en une nouvelle servitude que leur maigre pécule ne pourra compenser. Reste la perspective de trouver un mari, de quitter le pensionnat Jeanne d’Arc, de fonder une famille. Méfiante, Szonja finit par répondre aux avances de Jean et accepte de l’épouser. Le couple va pouvoir emménager dans un appartement au quatrième étage de la cité. Une nouvelle expérience qu’ils doivent Gérer, trouver leurs marques, afin de partager au mieux leur quotidien de misère. Mais le combien le conte de fées est bien loin et très vite les soucis se transforment en griefs puis en coups. La crise de 1929 se fait aussi sentir aussi à Vaulx-en-Velin. Le travail se fait plus rare. Il faut fermer des unités, licencier. Le tout accompagné de relents xénophobes. Ceux qui échappent à la porte voient leurs conditions de travail se dégrader encore. La maladie, l’alcool et la violence domestique sont des fléaux qui s’étendent bien plus vite que les mouvements syndicaux qui réclament juste un peu de justice sociale.
En étudiant les archives et en fouillant la mémoire ouvrière, Paola Pigani ne donne pas uniquement de la chair et de la véracité à son récit, elle brosse un pan d’histoire qui résonne tout particulièrement aujourd’hui, au moment où une frange croissante de la population voit dans les immigrés la cause de tous leurs maux. Vision simpliste et nauséabonde qui ne tient pas au regard d’une réalité bien plus complexe. Szonja n’est pas sans rappeler, bien des années plus tard Elise ou la vraie vie de Claire Etcherelli ou encore, pour la solidarité ouvrière, le Germinal de Zola. Un roman fort, de ceux qui laissent une marque indélébile à ses lecteurs.

Et ils dansaient le dimanche
Paola Pigani
Éditions Liana Levi
Roman
240 p., 19 €
EAN 9791034904303
Paru le 26/08/2021

Où?
Le roman est situé en France, à Vaulx-en-Velin et dans la région lyonnaise. On y évoque aussi les pays d’origine des migrants, et principalement la Hongrie et l’Italie.

Quand?
L’action se déroule de 1929 à 1936.

Ce qu’en dit l’éditeur
Sur le quai de la gare de Perrache, un jour de l’année 1929, une jeune Hongroise, Szonja, a rendez-vous avec son avenir : la France où brillent encore les Années folles et l’usine qui l’a embauchée à la production de viscose. Répondre au désir des femmes d’acquérir ces tissus soyeux à bas prix ne lui fait pas peur. Son rêve, c’était de quitter le dur labeur de paysanne. À Vaulx-en-Velin, dans la cité industrielle, elle accepte la chambre d’internat chez les sœurs, les repas au réfectoire et les dix heures quotidiennes à l’atelier saturé de vapeurs chimiques. Les ouvriers italiens ne font-ils pas de même ? Elsa, Bianca, Marco et les autres tiennent les rythmes épuisants, encaissent les brimades des chefs, inhalent les fumées nocives contre de maigres salaires. Cela ne les empêche nullement de danser le dimanche au bord de la Rize.
Dans ces modestes vies d’immigrés, la grande crise fera irruption, amenant chômage, mise à l’écart des étrangers et affrontements avec les ligues. Portée par une inébranlable solidarité et une détermination à vivre, la colère constituera le socle de leur rassemblement, jusqu’à aboutir au Front populaire.
Après les soyeux, la légende lyonnaise des viscosiers.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Goodbook.fr
L’usine Nouvelle (Christophe Bys)
France 3 Auvergne Rhône Alpes (Franck Giroud)
SoundCloud (Lyon demain, Gérald Bouchon)
Blog Le tourneur de pages
Blog Surbooké (Laurent Bisault)
Blog Le fil de Mirontaine
Blog Alex mot-à-mots


Paola Pigani présente Et ils dansaient le dimanche © Production Librairie Mollat

Les premières pages du livre
« Prologue
« Je t’attends, je serai patiente », m’a-t-elle dit dans un rêve, son visage voilé par un rideau. À peine ai-je eu le temps de distinguer une silhouette, des boucles brunes, des jambes maigres au ras d’une combinaison, une poignée d’épingles à cheveux sur une sorte de guéridon. De toutes mes forces, j’ai essayé de retrouver ses traits, de parfaire le rêve, donner chair à une image furtive, l’habiller de temps, de mémoire. Je serai patiente.
Ces mots m’ont poursuivie alors que je tentais de distinguer la provenance d’un bruit étrange dans la chambre. Il m’a semblé entendre une feuille tomber, puis deux. J’ai arpenté mon petit périmètre de silence. Le bruit a repris, comme la chute d’une présence infime. J’ai laissé mon regard flotter de part et d’autre de la pièce, oubliant tout ce qui pouvait parvenir de l’extérieur, oubliant la ville et ses rumeurs d’asphalte, le soleil trop fort qui cognait au carreau. Aux aguets entre les murs, je me sentais devenir la proie de moi-même. C’est alors que j’ai aperçu contre la plinthe une sorte de phasme, un brin de vie mi-paille mi-herbe qui tentait de retrouver le plein air, le plein jour, la pleine clarté. Une créature minuscule, une fibre froissée dans un coin de ma chambre et de ma vie.
« Je t’attends, je serai patiente, je reviendrai. » C’était elle, la femme de mon rêve. J’ai compris alors que je partirais de rien, d’un soupçon d’existence, d’un fil de rayonne aussi ténu que celui d’une araignée.
J’allais devoir écarter le rideau doucement, l’approcher, la nommer, la déloger aussi d’une des alcôves de la mémoire ouvrière. Cerner son histoire traversée de toutes les fatigues, de tous les élans. Suivre la ligne de l’Est jusqu’au passage des migrants, m’attacher à ceux qui avaient fondé une ville de banlieue autour d’une des plus grandes usines de textile artificiel en France, marcher dans les gravats, imaginer derrière chaque pan de l’effondrement ce qui s’était construit de la solidarité. Une épopée ouvrière, cosmopolite et fragile, au siècle dernier.
Parce que rien n’éblouit cette mémoire, sinon les traces de l’effort humain.

Épaule contre épaule, leurs deux visages dans l’anse de leurs cheveux mêlés. Impossible pour l’une de remuer une main sans réveiller l’autre. Szonja s’est endormie contre Márieka. Ni elles ni ceux du convoi ne traverseront l’océan, n’atteindront les Amériques. Tous suivront la voie tracée dit-on par MM. Gillet et Chatin. De bons patrons les attendent en France, convoitant depuis 1923 une main-d’œuvre servile et bon marché, qui ont cru en l’avènement de la viscose, cette soie artificielle dont se vêtent déjà à bas prix toutes les femmes d’Europe, dont on va pouvoir fabriquer les meilleurs parachutes pour la prochaine guerre.
Lorsqu’elle se réveille, Szonja fixe à l’angle du wagon les reposoirs en bois où valises et cabas à provisions ont été hissés. Une louche en cuivre dépasse de l’un d’eux et prend la lumière des réverbères à chaque gare. Un petit soleil témoin pour elle seule. Le voyage est si long depuis Budapest qu’un fragile mouchoir de poussière s’est accroché à la hauteur des rideaux en gros drap. Son regard oscille entre ces deux points d’accroche.
Des poivrons, des oignons crus passent de main en main, puis des œufs durs, des petits pains au pavot. Szonja voudrait tout avaler à la fois sans rien connaître des villes traversées – Vienne, Linz, Munich, Berne, Genève – ni des villages perdus dans le magma de la nuit. Être déjà arrivée, trois ou quatre jours plus tard à Lyon avec une vraie faim, un espace dans son corps et dans sa tête où pourraient s’incruster l’attente, le désir, une autre Szonja.
Pour l’heure, elle a du mal à se déplier dans ce compartiment où les voyageurs sont tellement serrés les uns contre les autres. Entre les pépiements des femmes, les montées de tabac des hommes et le tempo régulier du train sur les rails, elle n’a droit qu’à un sommeil coupé menu. Elle sait à peine ce qui l’attend, là-bas, un contrat pour quelques mois, chambre et repas dans un pensionnat dont les frais seront prélevés sur sa paie. Travailler dans une usine en France, loin des paysans de Sárvár, des champs de houblon, de betteraves, avoir une place parmi les hommes, gagner son propre argent. Szonja ne pense pas à être libre. Le pays qui s’annonce au-delà des brumes n’a pas de contours. Liberté et rêve ne ressemblent à rien.
Dans les couloirs du wagon, le petit monsieur à chapeau gris repasse pour la troisième fois avec une jeune femme qui traduit en hongrois ses consignes à tous. Ensemble, ils vérifient les noms sur un registre que l’homme tient avec autant de dévotion qu’une bible, s’assurent que personne ne manque, qui aurait renoncé la veille du départ, ravalé par une fiancée ou une mère en larmes, ou par le sentiment de trahir les siens. Peut-être se sent-il prophète à cette heure, l’homme si grave au registre, ayant le devoir de guider leur petit peuple indigent ? Parmi les six cents voyageurs, près de la moitié ira à Vaulx-en-Velin, en périphérie de Lyon, les autres à Izieux et à Échirolles. Un contingent a déjà été détaché pour une usine de Colmar.
L’aventure en grise certains. Pour eux, la chance penche vers des collines, des rivières, des villes aux vitrines illuminées. Pour les autres, la peur se niche entre les mains croisées sur des genoux secs et sages. Ne pas remuer l’air, ne pas réagir à la promiscuité, ne pas entraver l’allant dans le convoi des vaillants.
Avant la prochaine gare, un couple s’agite, s’habille à la hâte. L’homme enjambe plusieurs paires de genoux couverts d’enfants et de victuailles, saisit leur unique valise. Sa femme secoue la tête sans un mot face aux visages étonnés du wagon entier. Tous les deux se dirigent vers le bout du couloir avant de sauter comme des fugitifs sur le quai désert. Des centaines d’yeux les regardent disparaître dans le noir. On ne veut pas savoir s’ils ont raison ou tort, s’il faut croire à la suite aveugle du voyage pour émigrer dans l’espoir.
Szonja imagine qu’après ce train il y en aura d’autres, et au bout des voies ferrées un tramway ou un autocar jusqu’à l’usine. Ses chaussures sentent déjà l’immobilité moite. Elle les ôte, traverse le wagon en socquettes, puis le suivant, une forêt avec ses odeurs fauves, ses hommes à la lisière des compartiments qui fument et l’avalent du regard. Elle s’écarte d’eux, se plaque contre les parois du couloir pour éviter de les frôler. Un grand brun lui glisse tout bas qu’elle ressemble à Erzébet Simon, lui demande si elle est juive, comme cette Miss Europa 1929 qui vient d’être élue plus belle femme d’Europe, beauté consolante pour le peuple hongrois depuis la dislocation de l’Empire. Szonja s’éloigne des garçons, ne rougit même pas à leurs allusions. Ils sont quelques-uns, comme eux, à vouloir mettre à profit les longues heures du voyage pour faire la cour aux filles, gagner du temps, ne pas risquer de les voir un jour entre les bras d’un Français. Ils rêvent de fiançailles sauvages en chemin de fer. Ils aimeraient franchir à deux, enlacés, les grilles du paradis de l’Homme nouveau.
Le crépuscule brouille les visages dans les coursives mal éclairées. Szonja revient s’affaler sur la banquette du wagon. La pluie bat les vitres tandis que ses voisins mangent un fruit en silence, gardent le plus longtemps possible leur couteau dans une main, un morceau de pain dans l’autre, pour que dure le goût d’hier. Leurs doigts attentifs autour du fruit ou de la miche déjà un peu rassie.
La jeune fille essaie de les oublier et de rendormir les dernières images qui s’enroulent autour d’elle comme la vieille laine de son chandail où glissent ses mains froides.
C’était quelques semaines avant le départ. Elle était restée assise sur un talus en bordure de champ, avait frotté la terre qui maculait ses bas de laine, s’était relevée un peu trop brusquement comme pour secouer le ciel de bruine et l’impression d’appartenir à un monde las. Une oie s’était approchée de la mare, à dix pas de Szonja, lourde et laide dans son gloussement poussif. Cette vision de grasse volaille sans désir de voler l’avait soudain traversée. Non, elle n’allait pas devenir ainsi. Faire sa vie avec un paysan de Sárvár ou de la plaine de Pécs. N’avoir pour horizon que des lignes tremblantes de blé, les houblonnières, les touffes bleues des choux, le vieux verger du père. Ne porter qu’une robe par saison, les mêmes chaussures toute la vie pour les mêmes routes villageoises.
Sa cousine Márieka l’avait rejointe et elles étaient allées à l’épicerie acheter du sucre et du fil à coudre, s’étaient attardées dans leurs rires, l’oubli des besognes, avaient gaspillé quelques minutes encore à lire des avis à la population sur le mur de l’école. Un vol de cigognes était passé au-dessus de l’église. Leurs deux visages tournés vers le ciel avaient suivi les ailes, les nuages dans la même blancheur de céruse, un flou presque sale. Szonja avait tiré sa cousine par la manche et l’avait contrainte de revenir sur leurs pas. Peut-être n’avaient-elles pas tout saisi de l’affiche de recrutement.
« Recherchons ouvriers hommes, femmes de seize à quarante ans, familles, couples, célibataires bien-portants pour un travail dans une nouvelle usine de textile en France. Contrat de trois mois renouvelable en fonction de la valeur à la tâche. Transport et logement assurés et déduits de la paie par quinzaine. Se présenter ici même le 4 novembre à partir de neuf heures. Priorité sera donnée aux anciens ouvriers de l’usine de Sárvár. »
Elles s’étaient demandé un instant ce que signifiait « bien-portants », s’étaient tâté les bras et pincé les hanches. Oui, elles pouvaient prétendre à un travail d’ouvrières là-bas, loin des terres magyares et de leurs hommes à longue moustache. Le balancement du panier qu’elles tenaient à deux avait repris entre leurs jupes. Márieka avait fait halte soudain. Grave, elle avait cherché dans les yeux de Szonja ce bleu d’enfance qui dansait encore. Lui avait secoué les mains. « Toi et moi, on va y aller ! »
Deux bouches en moins à nourrir dans leurs familles. Moins de draps à laver. Deux bouches à remplir de mots nouveaux, France, ouvrière, usine. Deux bouches qui redoubleraient d’audace, d’une faim vorace. Elles allaient se faire leur propre dot d’avenir.
Puis tout était allé très vite. Être pauvre, c’est savoir se jeter sans état d’âme dans un ailleurs. Plier sa vie dans une valise en carton bouilli, entre quelques vêtements et des rêves de second choix.
Leur grand-mère leur avait donné un coupon de tissu qu’elles avaient partagé pour se coudre deux robes identiques toutes droites, et avec les chutes elles s’étaient fait des rubans un peu grossiers pour se nouer les cheveux. Elles n’en aimaient pas le motif, des rayures gris et grenat. Elles n’aimaient ni leurs souliers plats, ni les premières, ni les dernières lamentations de la grand-mère, ni l’idée de monter dans un train interminable avec des villageois trop familiers.
Un matin, déjà éprises de leur nouvelle vie, elles avaient coupé leurs lourdes nattes pour dégager leur nuque, à la mode de Budapest, et elles s’étaient promis de ne jamais porter de fichu sur la tête. Une envie d’avoir une longueur d’avance sur la beauté des femmes alors que leurs pommettes rosies et leur allure gauche trahissaient encore leurs dix-sept ans. Les parents, eux, ne disaient rien, leurs filles ne partiraient pas pour longtemps, six-huit mois tout au plus. On les avait recommandées aux agents du recrutement et au prêtre, garant de la moralité des travailleurs : des jeunes filles droites et courageuses, ayant déjà embauché à la sucrerie près de Sárvár. Au moins, elles reviendraient avec un peu d’argent, après cette crise qui jetait tant de désœuvrés sur les routes.
La veille du grand départ, Szonja avait encore aidé le père à remplir un tombereau de betteraves, poussé les oies dans leur enclos, curé ses ongles terreux, lavé ses cheveux avec une excessive lenteur, enduit ses mains de saindoux pour en atténuer les gerçures. Puis elle était allée vider la bassine dehors pour regarder le soleil rougir les chaumes derrière le puits. Elle avait voulu provoquer contre l’anse du seau en zinc le petit cri de rouille de la chaîne qui l’amusait enfant, se donner le courage de balancer aussi les doutes et les craintes de la grand-mère. Après ça, ne rien entendre, ne plus rien voir, laisser l’eau noire, au fond, tout au fond. Tourner en rond dans le jour finissant, essayer de repousser la lumière alentour, penser à des choses simples et idiotes.
Szonja avait juré, craché sur le cuir de ses chaussures qu’elle les jetterait par la fenêtre du train même si elle n’en avait pas d’autres. Avec une vieille chaussette, elle les avait pourtant fait briller autant que possible pour leur donner un aspect neuf malgré les traces de betterave mauves. Elle avait usé encore de crachats pour ne pas gaspiller le cirage, changé les lacets effilochés. Bientôt elle marcherait sur le quai d’une gare, dans les rues d’une ville inconnue, se tiendrait autrement au bras de Márieka, le cou dégagé. Elles seraient deux marcheuses de l’avant, éprises d’une légèreté qui claquerait au soleil.
Ensemble, les deux cousines avaient préparé des œufs durs, du pain, glissé à l’intérieur des miches des messages de chance griffonnés sur des bouts de papier roulés, choisi des pommes pas trop mûres, cassé des noix, saupoudré des petits fromages de paprika et de poivre. Les éternuements de Szonja s’étaient mêlés aux larmes de sa cousine pour lui revenir en rires soulevant son corps de spasmes nerveux. Un instant, elles s’étaient laissées aller, sans aucun mot à la bouche, à des grimaces mêlant peur contenue et excitation idiote.
Au moment de partir, Szonja avait regardé trembler ce qu’il y avait de plus réel dans sa petite vie, les branches nues du tilleul dans la cour dont l’ombre sèche passait et repassait sur leur grand-mère assise au milieu des volailles, les mains serrées autour de l’écuelle de maïs. La vieille dame avait levé les yeux vers elles. De ses lèvres s’écoulait une prière. Seule Szonja l’avait deviné.
Entre les arrêts du train pour recharger la locomotive en eau et charbon, une fatigue inexorable s’accumule, dans l’attente d’une escale plus longue. À Vienne, heureusement, les passagers ont pu arpenter les grands halls, acheter du pain frais, du lait, quelques crêpes, du tabac. Ils ont dû compter chaque pièce avec anxiété, prendre garde à réserver un peu d’argent pour les prochaines étapes. La plupart d’entre eux n’ont pas changé leur peu de monnaie hongroise. Pour les dernières escales en Suisse, en France, ils se contenteront d’aller aux toilettes, de respirer l’odeur métallique des gares.
Après deux jours de voyage, le train siffle longuement avant de s’arrêter au milieu de nulle part. Il faut habituer ses yeux aux fumées et vapeurs qui se mêlent au brouillard épais pour distinguer un semblant de gare et les toits d’une ville presque irréelle. Où sont-ils ? dans quel pays ? Les mécaniciens de la locomotive sautent sur le quai, affolés. Seuls le petit homme en gris et la traductrice sont autorisés à descendre pour s’informer : ils préviennent qu’on ne repartira pas avant plusieurs heures. Ils longent le train entier sous les fenêtres, répétant l’information et interdisant toute sortie. On détache la locomotive. L’opération secoue les premiers wagons et transmet l’onde d’inquiétude aux suivants jusqu’à l’extrémité perdue dans la brume.
Une nuée de corneilles afflue : de vieilles femmes tout en noir qui se précipitent et sortent de leurs cabas maintes choses à vendre. Leur haleine fume dans l’air glacé. Leurs mains qui semblent avoir été passées au brou de noix tendent à la portière et aux fenêtres des petits fromages, des chaussettes en tricot, des flacons d’eau-de-vie, des pommes. Après un bref marchandage, Szonja et Márieka en achètent quatre pour le prix de deux. Un géant passe ses gros bras à travers la vitre pour tirer à lui un sac entier. Il agite deux billets, demande encore trois fioles d’eau-de-vie. Des envieux regardent ses achats passer par les fenêtres, laissant entrer le froid. Szonja et Márieka ont l’impression de ne manger que des pommes depuis trois jours, ça lave les dents, ça fait briller nos bouches, mais une heure après, on a encore faim. Tant pis, elles s’en contenteront.
Toutes les vieilles s’agglutinent pour écouler le reste de leurs marchandises. Le monsieur gris essaie de les chasser en déclarant que, dans ce train à destination de la France, on n’a besoin de rien. Il crie presque À DESTINATION DE LA FRANCE. Mais dans ce convoi pour la France, on n’a prévu que l’eau et le pain, durci en moins d’une nuit.
Les pauvres femmes finissent par disparaître dans la brume, un fatras d’ailes sombres laissant derrière elles l’impression d’une halte dans une contrée hors du temps.
On ne sait plus si on attend le soleil ou la lune. Les va-et-vient reprennent dans les couloirs. Des soupirs de résignation gagnent tous les compartiments, que couvrent peu à peu les bruits d’allumettes qu’on craque pour une pipe, une cigarette, une lampe torche. Entre le froissement des pages tournées, missels ou journaux, le fil des bavardages las, des berceuses murmurées.
Le train repart enfin à la nuit tombée.
Les garçons qui ont remarqué Szonja repassent dans le couloir, insomniaques et nerveux. Szonja détourne la tête, baisse les yeux dans l’espoir qu’ils ne la reconnaissent pas, essaie de dormir un peu dans les bruits de papiers froissés, de mâchoires appliquées. Ils dévisagent toutes les jeunes filles, cherchent un peu de joie, en vain.
Márieka s’agite dans son sommeil, enfouit son visage dans son châle. Puis un à un s’éteignent les mouvements humains, le compartiment sombre dans le silence. Seule la plainte lancinante du train rythme la nuit. Szonja rêve qu’il s’arrête en plein champ. En quelle saison ? À quelle heure du jour ? Les wagons se vident en un instant. Une foule de femmes, d’hommes et d’enfants se répand dans l’herbe, sans bagage, sans chapeau ni manteau. Restée seule derrière la vitre du train, elle s’écrie « Revenez ! », mais personne ne l’entend.
Elle se réveille en sursaut. Tout le monde dort. Sauf une mère qui lange discrètement un bébé sur ses genoux. L’odeur des selles accroît le malaise de Szonja. La femme roule le linge souillé dans un vieux journal et, le temps de le porter dans le seau à déchets au bout du wagon, lui confie le petit. Elle caresse son crâne couvert d’un bonnet de coton, sa respiration lente lui fait du bien. Tous deux se laissent bercer jusqu’au retour de la mère. Les jeunes femmes échangent encore quelques signes. Une odeur de tabac s’échappe du couloir. L’aube est lente à venir. »

Extrait
« Szonja fixe des yeux les flottes de viscose, ces écheveaux visqueux; il lui faut rester attentive à la transformation de la matière souple jusqu’au débit du fil sans fin qu’elle tire avec les mêmes pensées. Elle se crée des rituels, imagine des choses pour oublier la fatigue, y fait un nœud mental à chaque heure écoulée de la matinée. Ensuite, elle oublie, puise dans la coulée des gestes répétitifs. Une mélancolie nouvelle s’étire alors tandis que la pluie s’abat sur la verrière. Elsa, à la sortie, la prend par le bras. » p. 46-47

À propos de l’auteur
PIGANI_Paola_Melania_AvantazoPaola Pigani © Photo Melania Avantazo

Paola Pigani est romancière et poète. Elle est l’auteure de trois romans remarqués, N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures (2013), Venus d’ailleurs (2015) et Des orties et des hommes (2019). (Source: Éditions Liana Levi)

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Nézida

PATURAUD_nezida
  RL2020 Logo_premier_roman

 

En deux mots:
Née en 1856 à Comps dans la Drôme, Nézida est décédée vingt-huit ans plus tard. Si sa vie mérite un roman, c’est parce qu’elle portait en elle une farouche volonté de faire bouger les choses, de quitter son village natal et de devenir infirmière, voire médecin.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Nézida, en route vers l’émancipation

Nézida Cordeil, 1856-1884. C’est en découvrant une photographie de cette jeune femme que Valérie Paturaud a décidé d’en savoir plus et de nous raconter la vie de cette féministe avant l’heure. Un premier roman réussi.

Il y a quelques années maintenant, Valérie Paturaud s’est installée à Dieulefit et s’est intéressée à l’histoire de sa ville et de sa nouvelle région. Elle a alors appris que ce coin de la Drôme était connu pour être haut lieu du protestantisme et de la Résistance. En cherchant à en savoir davantage, elle a trouvé une photographie de femme portant la mention «Nézida Cordeil, 1856-1884». Intriguée par ce prénom peu usuel, elle est alors partie sur les traces de cette femme avant de choisir de la faire revivre dans son premier roman.
Elle nous entraîne dans la seconde moitié du XIXe siècle, du Second Empire aux débuts de la Troisième République dans ce coin de France où de nombreux Vaudois venus d’Italie ont trouvé refuge. La Drôme est alors le quatrième département le plus protestant de France et compte 26 pasteurs réformés. Et s’ils «prônaient davantage le réveil religieux que le combat politique», ils n’en instillaient pas moins dans l’esprit de leurs concitoyens de petites graines d’idées nouvelles. Il n’est de ce fait pas trop étonnant de voir Nézida s’interroger sur sa vie, son rôle et ses ambitions. Mais ne brûlons pas les étapes et revenons sur les jeunes années de cette femme étonnante. À l’image de sa fratrie et de ses amis, son destin semblait tout tracé. À Comps, dans son village natal, il fallait travailler la terre, essayer de trouver le meilleur parti, avoir des enfants et s’en occuper. Son père imagine par exemple qu’elle pourrait épouser son ami Isidore qui travaille au château, «cette imposante bâtisse qui dominait à la fois le village et ses habitants.» Si l‘idée ne semble pas lui déplaire à priori, elle a dans son caractère ce que certains voient comme un vilain défaut, une insatiable curiosité. Elle veut sans cesse apprendre et découvrir. Aussi décide-t-elle de seconder son Maître d’école après avoir très attentivement suivi ses leçons.
Et quand un jeune homme «venu de l’extérieur» tombe sous son charme, elle y voit le moyen de ses ambitions. Elle épousera André Delaitre et partira s’installer avec lui à Lyon. C’est dans une ville industrielle où les soieries vont connaître leur apogée qu’elle s’intéresse au prolétariat, qu’elle leur tend une main secourable, qu’elle veut ensuite aider en devenant infirmière, partageant ainsi le rêve de son amie Camille.
Si ce roman est réussi, c’est parce que Valérie Paturaud a choisi d’en faire un témoignage polyphonique, donnant tour à tour la parole aux différents acteurs (Voir la liste des personnages ci-dessous), à ses parents, à ses frères et sœurs. On a ainsi un panorama riche et vivant de la société et des opinions de l’époque. On peut aussi lire certains avis tranchés entre ceux qui voient dans cette femme courageuse et intrépide un exemple à suivre et ceux qui pensent que son ambition est démesurée et qu’elle déroge aux règles patriarcales et conjugales. Comme fort souvent, on imagine que la vérité se situe quelque part entre ces deux extrêmes. Que si elle ne s’était pas autant investie durant sa grossesse, elle aurait pu vivre un peu plus longtemps. Mais grâce à Valérie Paturaud, sans doute émue par son destin tragique, elle revit aujourd’hui.

Personnages principaux
Nézida Cordeil
Née le 18 novembre 1856 à Comps dans la Drôme.
Antonin Soubeyran
Né le 3 septembre 1853 à Dieulefit dans la Drôme.
Suzanne Cordeil
Mère de Nézida, née Gougne le 12 mai 1836 à Comps.
Pierre Cordeil
Père de Nézida, né le 12 février 1831 à Comps.
Paul Cordeil
Frère de Nézida, né le 19 septembre 1859 à Comps.
Jean-Louis Cordeil dit Léopold
Frère de Nézida, né le 10 mars 1862 à Comps.
Joséphine
Amie d’enfance de Nézida, née le 28 mars 1857 à Comps.
Jean-Antoine Barnier
Maître d’école de Nézida, né le 5 septembre 1820. Instituteur de 1841 à 1886, à Comps.
Ovide Soubeyran
Frère aîné d’Antonin, né le 11 avril 1851 à Dieulefit.
Henry Soubeyran
Frère puîné d’Antonin, né le 10 décembre 1855 à Dieulefit.
Louise Soubeyran
Mère d’Antonin, née Defaysse en 1816 à Dieulefit, épouse d’Antoine Soubeyran, son cousin germain.
Éliette
Garde-malade de Louise Soubeyran, née en 1861.
Camille Delaitre
Amie de Nézida, née le 30 janvier 1859 à Lyon.
André Delaitre
Mari de Camille, né le 20 février 1850 à Lyon.

Nézida
Valérie Paturaud
Éditions Liana Levi
Premier roman
192 p., 17 €
EAN 9791034902569
Paru le 28/05/2020

Où?
Le roman se déroule en France, principalement dans la Drôme, à Dieulefit et Comps ainsi qu’à Lyon.

Quand?
L’action se situe de 1856 à 1884.

Ce qu’en dit l’éditeur
Septembre 1884. Nézida. Ils parlent d’elle. Ils ont grandi ensemble, l’ont côtoyée à l’école et au temple, au hameau et au village lors des marchés et des fêtes. Elle est de retour parmi eux, sur les hautes terres de la Drôme provençale où s’accrochent les familles protestantes depuis des siècles. C’est là qu’elle a été baptisée d’un prénom singulier. Elle a choisi la liberté et l’indépendance. Elle a su ne pas être captive d’une vie toute tracée et s’épanouir à la ville, Lyon. Sur son passage, elle n’a cessé de soulever l’étonnement et la réprobation. Et l’admiration aussi, même chez ceux qui ne pouvaient comprendre son opiniâtreté à ne rien renier, ni les siens ni elle-même, et accepter sa volonté d’être une femme inscrite dans la société, loin des frivolités mondaines. Une vie trop brève, fulgurante comme le vent sur les pierres de Dieulefit.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Page des libraires (Nathalie Jakobowicz, Librairie Le Phare, Paris)
RCF (Le livre de la semaine)


La rentrée de printemps des auteurs d’Auvergne-Rhône-Alpes 2020 / Entretien avec Valérie Paturaud à propos de Nézida © Production Auvergne-Rhône-Alpes Livre et Lecture

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Silence.
Silence dans la maison. Pénombre et silence, les volets sont presque clos et impriment leur ombre de craie grise sur les murs qui soutiennent encore ce qui reste de vie. La bise noire s’insinue déjà en cette fin septembre. Un vent glacial et puissant venu du nord étouffe de ses voiles sombres les collines et balaie de mauve la terre. Il malmène les âmes comme les bêtes. Les légendes courent… Les hommes deviendraient fous, les femmes hystériques, les crimes commis ces jours de grand vent seraient amnistiés.
Le loquet du volet s’agite par bourrasques ; son battement ponctue l’absence de mouvement dans la pièce sombre. Quelques pommes sur la table, un reste de pain, le couteau, la cruche d’eau.
La tête penchée, le corps maigre mais si lourd, tout le corps vers l’avant, Paul Cordeil pousse de ses doigts une mie de pain, l’éloigne, la reprend, concentré sur cette action infime. Le temps et le silence s’étirent. Il lève un peu la tête, regarde l’horloge. L’aiguille s’est à peine déplacée depuis son dernier coup d’œil. La mie de pain occupe son esprit, le silence est tel qu’il se croit seul.
Près de la cheminée pourtant, une ombre de laine se déplace lentement, attentive à sa tâche. Au gré de ses gestes, lumière et obscurité varient dans la pièce immobile. Elle s’applique à remplir d’eau bouillante la cuvette émaillée, d’un geste sûr, de la marmite à la cuvette. Très lentement, elle se dirige vers l’escalier de bois. Elle passe devant Paul. Il ne s’interrompt pas, ne lève pas la tête. La première marche craque un peu. Ouvrir la porte sans pencher le récipient. Ne pas renverser.
Il fait encore plus sombre dans la chambre où les persiennes sont tirées, protégeant les vitres des assauts du vent. La chambre est simple : une commode sur laquelle la photo d’un soldat fait face au portrait de jeunes mariés. Une couronne sous un globe ovale : petites fleurs blanches, minuscules pétales liés par une fine tige de perles.
Deux chaises de bois clair.
Et le lit en fer.
Des draps blancs tout juste sortis de l’imposante armoire.
Fine, transparente, dans une chemise de nuit boutonnée très haut, le col humide, paupières baissées, longues mains teintées de bleu posées sur les draps amidonnés, un mouchoir de dentelle sur l’oreiller, Nézida dort calmement, désespérément… le souffle imperceptible.
La jeune fille s’avance au bord du lit, écarte un peu le drap. Elle trempe dans la cuvette chaude la serviette rêche qui attendait sur la table de nuit, soulève la chemise grège et pose le linge sur le ventre distendu. Eau fraîche pour le front, eau chaude pour le ventre. Elle fait de son mieux : le médecin viendra, ce soir, accompagné du pasteur, peut-être. La mort qui semble s’inviter dans la maison est bien silencieuse. La jeune fille envoyée par la matrone pensait que mourir était beaucoup plus bruyant. Pas de pleurs, pas de cris, plus de vie déjà. Elle imaginait que la mort s’accompagnait de larmes et de démonstrations effrayantes.
Ce silence la met mal à l’aise. Même les langes blancs dont dépassent quelques mèches brunes ne semblent pas vivants. Pourtant on lui a dit qu’Élise, la nourrice, allait venir allaiter l’enfant. Elle ne lui a pas prêté attention en entrant, lorsque, pour atteindre le broc posé sur la commode, elle a dû contourner le berceau. C’est comme s’il ne contenait rien. C’est ce qui la trouble le plus. Ici rien ne vit ni ne semble voué à vivre. Elle aimerait bien partir mais elle a reçu l’ordre de veiller jusqu’à l’arrivée du médecin. D’habitude elle garde les chèvres, la chienne qui a mis bas, le petit garçon de la voisine, le temps que la mère s’occupe des bêtes. Veiller le silence et l’obscurité, c’est la première fois, et elle n’aime pas ça du tout… mais elle ne peut désobéir, donc elle fait de son mieux.
Eau chaude, eau froide, pousser et retenir le berceau si l’enfant se mettait à remuer, redescendre doucement l’escalier, servir la soupe à l’homme assis, jeter un œil à l’horloge et espérer qu’enfin les voix des voisins, du médecin, du pasteur viennent rompre ce silence. »

À propos de l’auteur
Valérie Paturaud a exercé le métier d’institutrice dans les quartiers difficiles des cités de l’Essonne après avoir travaillé à la Protection judiciaire de la jeunesse. Installée depuis plusieurs années à Dieulefit, elle s’intéresse à l’histoire culturelle de la vallée, haut lieu du protestantisme et de la Résistance. Avec son premier roman, Nézida, elle signe un récit polyphonique intense et émouvant. (Source: Éditions Liana Levi)

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Objet trouvé

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En deux mots:
Une femme habillée de latex est retrouvée morte dans un appartement de Lyon. Dans la pièce attenante, un homme prostré. L’enquête qui commence va nous entraîner dans le milieu BDSM de Lyon, mais aussi nous offrir une réflexion sur la sexualité et la quête de la jouissance, sur le couple et sur… la vie de famille!

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Maîtresse et esclave

Sabrina est retrouvée morte dans son appartement de Lyon. En racontant l’enquête qui suit Matthias Jambon-Puillet nous offre un premier roman qui explore une face cachée de la sexualité. À la fois étonnant, sans tabous, et surprenant.

Attention, livre chaud, livre choc! Cet Objet trouvé n’est pas à mettre entre toutes les mains, même s’il nous dévoile un pan fort intéressant de la sexualité connu sous le sigle BDSM et dont Wikipédia nous apprend qu’il signifie «Bondage, Discipline, Sado-Masochisme» et «désigne une forme d’échange sexuel contractuel utilisant la douleur, la contrainte, l’humiliation ou la mise en scène de divers fantasmes dans un but éro-gène. Au centre des pratiques sadomasochistes et fondé sur un contrat entre deux parties (pôle dominant et pôle dominé)».
Avec l’histoire de Marc, Matthias Jambon-Puillet va nous en offrir une illustration sai-sissante. Marc, c’est cet homme retrouvé par une brigade de pompiers un immeuble de la Croix-Rousse à Lyon. Chargée de vérifier si une jeune femme dont on est sans nouvelles depuis plusieurs jours est toujours en vie, elle va tomber sur le corps sans vie de Sabrina, ligotée dans une tenue de cuir qui ne couvre qu’un minimum de ses attributs généreux et sur cet homme prostré, recroquevillé dans la pièce attenante.
L’enquête commence. Elle va nous permettre, grâce à l’habile construction du roman, de découvrir petit à petit comment on en est arrivé à ce drame. Comment Marc a sou-dain basculé d’une vie à une autre. Comment, le soir de l’enterrement de sa vie de garçon, il a disparu, laissant Nadège, sa fiancée, désemparée. D’autant plus que, quelques mois plus tard, elle donnera naissance à un petit garçon qu’elle appellera Enzo.
L’habile construction du roman, qui fait alterner les points de vue, nous permet de suivre Marc et Sabrina – le dominé et la dominante – ainsi que Nadège et Enzo qui essaient de se construire un avenir avec Antoine. Jusqu’à ce fameux fait divers qui va remettre Marc dans la vie de Nadège. C’est l’heure des questions, des remises en cause, des doutes: «J’espère que je n’étais pas à côté de la plaque; pas pendant toutes ces années avec toi. Je crois que ce serait ça, le pire, que je sois passée à côté de qui tu es vraiment». Mais c’est aussi un formidable jeu de la vérité où les masques vont tomber les uns après les autres.
Évitant tout manichéisme, Matthias Jambon-Puillet nous propose une réflexion aigüe sur les liens qui unissent un homme et une femme, sur la quête de l’harmonie sexuelle, sur les limites du pouvoir que l’on peut avoir sur une personne et sur la pos-sibilité – ou non – de changer après avoir été pris dans un tel engrenage. Un premier roman parfaitement maîtrisé et une jolie performance, car avec un tel sujet les risques de dérapages étaient très nombreux.

Objet trouvé
Matthias Jambon-Puillet
Éditions Anne Carrière
Roman
200 p., 18 €
EAN : 9782843379215
Paru le 31 août 2018

Où?
Le roman se déroule en France, principalement à Lyon et Villeurbanne. On y évoque aussi un voyage jusqu’au Saintes-Maries-de-la-Mer

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Le soir de son enterrement de vie de garçon, Marc disparait, laissant seule sa fiancée, Nadège, enceinte de leur premier enfant. Trois ans plus tard, alors que Nadège a refait sa vie, on retrouve Marc: nu, dans une salle de bain, bras menottés dans le dos. Dans la pièce voisine, quelqu’un est mort – une femme gainée de cuir. Qui était-elle? Que s’est-il passé durant ces années? Et, surtout, quel futur pour Marc et Nadège?
Derrière l’énigme apparente se cache une histoire simple qu’il faut reconstituer, celle de trois personnes qui se cherchent, se frôlent, et doivent choisir comment mener leur vie.
Dans ce roman, Matthias Jambon-Puillet donne à voir un triangle amoureux atypique, qui trouve sa réalisation dans l’exploration des sexualités alternatives. C’est aussi, en filigrane, une réflexion sur la masculinité, l’engagement et la quête de la jouissance.

68 premières fois
Blog Voyage au bout de mes livres
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Blog L’ivresse littéraire 
Blog Les jardins d’Hélène 
Blog Mes écrits d’un jour 

Les autres critiques
Babelio
Lecteurs.com
Actualitté (Nicolas Gary)
Les chroniques de Mandor (Entretien avec l’auteur)
Les Echos (Esther Attias)

Les premières pages du livre
« Prologue
Thibaut est l’homme par lequel l’histoire commence. C’est là son rôle. Il n’en avait pas conscience quand il s’est engagé dans les pompiers volontaires. Lui, ce qu’il s’imaginait du métier, c’était surtout sauver des vies, la camaraderie, le feu. Après plu-sieurs années de service, il connaît maintenant l’enjeu véritable. Il a accepté cette nouvelle fonction. Lorsqu’une intervention se déroule sans accroc, lorsqu’il sauve quelqu’un, résout un problème bénin, lui et son équipe ne font que maintenir la situa-tion initiale en place. «Non, vous ne mourrez pas aujourd’hui.» «Non, votre apparte-ment ne partira pas en flammes.» «Non, votre chat n’est pas perdu.» «Je n’ai rien à vous apprendre si ce n’est que vous avez évité le pire, que la vie continuera sans heurt.» Le revers de la médaille du mérite, ce sont toutes les tragédies, les catas-trophes, les arrivées trop tard. Dans ces cas-là, Thibaut constate, consigne et commu-nique l’information. Il est l’étincelle de la réaction en chaîne qui s’apprête à tout dévas-ter.
Il pense à tout ça, Thibaut, pendant que son collègue tape aux portes du petit im-meuble montée de la Grande-Côte, en plein milieu des pentes de la Croix-Rousse. La mission de ce lundi matin consiste à s’assurer qu’une jeune femme, dont on est sans nouvelles depuis plusieurs jours, est toujours en vie. Thibaut n’aime pas intervenir dans le quartier. Foule de complications que cet enchevêtrement de maisons sur ter-rains pentus, tous ces bâtiments de pierre qui se mêlent les uns aux autres, cousus entre eux par d’étroits escaliers en colimaçon. Par exemple, le petit groupe ne peut pas pénétrer dans l’appartement par la fenêtre, comme ils procéderaient s’il s’agissait d’un immeuble récent. Alors, avant d’enfoncer l’épaisse porte d’époque, et en l’absence de gardien, on interroge les voisins. «Quelqu’un a-t-il une clef?» Les col-lègues de Thibaut tambourinent, s’excusent, expliquent. Le cirque dure cinq étages et dix bonnes minutes avant que l’équipée ne s’avoue vaincue. Ils auront essayé. Thi-baut enfile ses lunettes de protection, retrousse ses manches, attrape le pied-de-biche qu’on lui tend.
Le pompier fléchit les jambes, raidit le dos, accélère le pouls. Il fiche d’un coup net la pointe de la barre en métal au niveau de la serrure, entre la porte et son cadre. Thibaut contracte des années de renforcement musculaire. Poignets, avant-bras, biceps, tri-ceps, épaules et pectoraux besognent de concert pour maximiser la pression contre le montant. La peinture s’écaille, le bois plie. La barre vient appuyer contre le verrou. Il ne s’agit dès lors plus que d’une question de force, jusqu’au point de rupture, là où les lois de la physique termineront le travail. Le reste de l’équipe s’écarte.
Le bruit fascine, la chair de bois qui hurle, le métal de la serrure que l’on pousse, c’est une lente agonie. La porte cède dans une gerbe d’échardes. Thibaut, pris de court, titube en arrière, on le rattrape. Ses muscles tremblent de la différence de sollicitation, passés de tout à rien, ses doigts restent crispés autour du métal. On lui reprend le pied-de-biche. La porte achève de s’ouvrir, soulagée parce que vaincue.
– Est-ce qu’il y a quelqu’un? Madame, c’est les pompiers. Est-ce que tout va bien?
Pas de réponse, pas même d’écho, aucun bruit, Thibaut pénètre dans l’appartement. Une entrée avec portemanteau, petit meuble orné de bibelots et courriers ouverts au-tour duquel se prosternent des chaussures alignées avec soin. Le couloir aux murs nus s’enfonce quelques mètres vers l’intérieur, enjambe une petite cuisine séparée pour arriver au salon. Plafond haut, poutres et pierres apparentes, la décoration est froide: meubles de verre et de métal, pas de magazines jetés en vrac sur le canapé. Seule source de chaleur au milieu du minimalisme, plusieurs étagères de livres habil-lent un renfoncement. L’appartement se déploie via une mince marche qui donne sur un second couloir. Thibaut remarque une ligne de démarcation en forme de relief sous le plâtre qui court du sol au plafond au niveau de la marche: il pénètre dans l’im-meuble voisin. Le logement s’étend entre deux bâtisses distinctes. Typique du quar-tier, datant de l’époque où les ateliers textiles ont été convertis en souricières pour la petite classe moyenne. »

Extraits
« – On m’a dit que tu n’obéissais qu’aux infirmières, pas aux médecins ni aux policiers. Tu ne réponds pas à leurs questions. C’est pour ça que tu es encore suspect. À moins que ce ne soit pour ça que tu n’es pas encore coupable. Je ne sais pas qui elle était ni ce qu’elle t’a fait et maintenant elle est morte. Je ne peux pas lui demander. Elle ne peut pas me répondre. Peut-être même qu’elle ne t’a rien fait, peut-être que tu étais toujours comme ça, planqué quelque part au fond. Notre couple n’était pas parfait, je me souviens de chaque engueulade, ces moments où on a bien cru en rester là. Et parce que tu confiais tes doutes et frustrations, je pensais te connaître. J’espère que je n’étais pas à côté de la plaque; pas pendant toutes ces années avec toi. Je crois que ce serait ça, le pire, que je sois passée à côté de qui tu es vraiment. La vérité, c’est que je n’en sais rien. Et sans cette femme, il n’y a que toi qui peux me dire. »

« « Quoi? » demande-t-elle? « Aucune importance en fait », répond-il. Les plans ont chan-gé, il est temps de prendre ses responsabilités. Il compte l’annoncer ce soir: sa fiancée est enceinte. Ce n’était pas prévu. Mais il ne regrette pas, promis. Elle veut le garder et lui veut faire ce qu’il faut, Sabrina ne comprend pas, en quoi l’enfant change tout, qu’est-ce qu’il l’empêche de continuer à étudier? Marc lève les yeux, regarde le ciel. Un enfant, c’est une responsabilité, morale, financière. Il doit se marier, il doit mettre la fac de côté, le temps de se stabiliser. D’ailleurs, ses parents l’y encouragent, feront ce qu’il faut pour les soutenir. Ils en ont beaucoup parlé, ils y tiennent. Son ami Nicolas lui a proposé de prendre une place à son atelier, en menuiserie, au moins les premières années du bébé. Ce ne sera pas si mal. Si le cœur de Sabrina continue à battre, ce n’est plus de désir. »

À propos de l’auteur
Né à Lyon en 1986, Matthias Jambon-Puillet vit à Paris. Il travaille dans le milieu du divertissement et des nouvelles technologies. Objet trouvé est son premier roman. (Source : Éditions Anne Carrière)

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Tenir jusqu’à l’aube

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En deux mots:
Une mère seule avec un petit enfant essaie de s’en sortir. On va la suivre tout au long de son combat quotidien pour mener de front son travail de graphiste et l’éducation de son fils. Une épreuve exténuante, un constat sans appel.

Ma note:
★★★ (beaucoup aimé)

Ma chronique:

Le dur combat d’une mère célibataire

Un nouveau roman percutant signé Carole Fives. Après Une femme au téléphone, elle nous raconte dans Tenir jusqu’à l’aube le quotidien d’une mère célibataire. Dramatiquement juste, formidablement prenant.

Il y a de ces livres qui vous secouent. De ces histoires qui vous remuent. De ces scènes qui vous restent ancrées dans la mémoire. Carole Fives réussit une nouvelle fois à attraper son lecteur dès les premières lignes de ce court et bouleversant roman. Nous sommes à Lyon où nous prenons le pas d’une femme pressée. Après avoir fait manger son fils, l’avoir couché, lui avoir lu une histoire et attendu qu’il s’endorme, elle s’est offert une escapade de quelques minutes. Prendre l’air, croiser des gens, se promener seule: un luxe quasi impossible pour une mère célibataire. Car chaque pas résonne déjà de ce sentiment de culpabilité. Il pourrait arriver quelque chose au bébé. Aussi se dépêche-t-elle de monter les escaliers et n’est vraiment rassurée qu’en constatant que l’enfant dort toujours.
Tout au long du roman, il va en aller de même. Au fil des jours qui passent le poids de sa responsabilité va croître, les moments de liberté se limiter à la portion congrue.
Dans son appartement, qu’elle n’arrive plus à payer, elle doit être attentive chaque minute car son fils a vite fait de transformer la cuisine en champ de bataille, la salle de bain en territoire inondé ou le coin jeu en studio de street art.
Quand elle va à un rendez-vous ou se promène au parc de la Tête d’Or, sa vigilance ne doit pas se relâcher non plus. Il suffit d’un instant d’inattention pour le perdre, pour qu’il s’en prenne à un autre petit garçon ou qu’il chute malencontreusement.
Bien entendu, elle cherche des solutions. Le père de l‘enfant ayant démissionné, elle essaie de trouver une place de crèche. Mais pour l’obtenir elle aurait dû s’inscrire dès la conception de l’enfant. Son grand-père l’accueille quelquefois, mais s’énerve du manque d’éducation de son petit-fils et s’étonne du laisser-faire de sa fille.
Ajoutons encore à ce tableau les rendez-vous avec l’administration qui va briller par son incompétence à régler les problèmes ou, sorte de sommet de l’humiliation, à sa visite chez le pédiatre. Une scène que je vous laisse découvrir par vous-mêmes.
On l’aura compris, le tableau dressé par Carole Fives ressemble à un long chemin de croix, une épreuve qui apparaît de plus en plus insoluble au fil des jours.
Le temps pour se consacrer à son métier de graphiste se réduit comme peau de chagrin, les dettes s’accumulent, pas plus le père que le grand-père n’apportent leur soutien.
Avec beaucoup d’à-propos, Carole Fives choisit d’agrémenter son récit en publiant d’une part des échanges menés sur internet avec des femmes rencontrant les mêmes problèmes et d’autre part des extraits de La chèvre de Monsieur Seguin, l’histoire qu’elle lit à son bout de chou et qui résonne très fort en elle.
L’épilogue de ce drame est aussi subtil que surprenant. Il nous prouve combien Carole Fives s’installe livre après livre, comme une voix originale de la littérature française contemporaine.

Tenir jusqu’à l’aube
Carole Fives
Éditions l’arbalète – Gallimard
Roman
192 p., 17 €
EAN : 9782072797392
Paru le 16 août 2018

Où?
Le roman se déroule en France, principalement à Lyon. On y évoque aussi des voyages à Paris.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
«Et l’enfant?
Il dort, il dort.
Que peut-il faire d’autre?»
Une jeune mère célibataire s’occupe de son fils de deux ans. Du matin au soir, sans crèche, sans famille à proximité, sans budget pour une baby-sitter, ils vivent une relation fusionnelle. Pour échapper à l’étouffement, la mère s’autorise à fuguer certaines nuits. À quelques mètres de l’appartement d’abord, puis toujours un peu plus loin, toujours un peu plus tard, à la poursuite d’un semblant de légèreté.
Comme la chèvre de Monsieur Seguin, elle tire sur la corde, mais pour combien de temps encore?
On retrouve, dans ce nouveau livre, l’écriture vive et le regard aiguisé de Carole Fives, fine portraitiste de la famille contemporaine.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Télérama (Christine Ferniot)
Slate.fr (Thomas Messias)
Lyon capitale (Kevin Muscat)
Blog Les chroniques de Koryfée (Karine Fléjo)
Blog Lecturissime 
Blog Les livres de Joëlle 
Blog Les lectures du mouton (Virginie Vertigo)
Blog Loupbouquin 


Carole Fives présente Tenir jusqu’à l’aube. © Production Librairie Mollat

Les premières pages du livre
« Avec quelle confiance l’enfant a avalé ses pâtes, ses légumes. Il a même terminé le yaourt aux fraises, son biberon de lait tiède. Avec ça, il devrait être calé.
Elle lui a lu une histoire, est restée près de lui jusqu’à ce que les petits poings se desserrent et relâchent enfin sa main.
Elle a encore patienté quelques minutes, l’obscurité de la pièce à peine perturbée par le stroboscope de la veilleuse lapin.
La porte d’entrée qu’elle referme avec mille précautions derrière elle.
Dans le hall, l’éclairage automatique se déclenche.
Il y a encore tant de monde dehors.
Un grand vent frais.
Marcher, juste, marcher. À peine le tour du pâté de maisons.
De la musique sort des fenêtres ouvertes d’un appartement, des rythmes de salsa. Elle perçoit des silhouettes. Des voix reprennent en espagnol un refrain qu’elle ne connaît pas. Quelqu’un se penche à la fenêtre, elle accélère.
Elle stoppe net devant la vitrine d’une agence immobilière. Les annonces s’illuminent sur les écrans LCD. Dernier étage avec terrasse, 1100 euros. Triplex ensoleillé, 850. La campagne à la ville, maison+ jardinet, 1200. Idéalement placé, traversant est-ouest, 850. Joli canut, pentes de la Croix-Rousse, 880.
Plus loin un autre appartement, une autre fête. Un son plus rock, plus puissant. Un livreur à scooter l’évite de justesse sur le trottoir, elle bondit et s’excuserait presque.
Une petite bande éméchée traverse la rue, il est vraiment! Il est vraiment phénoménal.
Mais son smartphone vibre déjà dans sa poche. Elle ralentit, savoure ses derniers pas. Le badge sur l’interphone, les escaliers quatre à quatre.
Sixième étage droite.
Elle rouvre la porte, essoufflée.
À l’intérieur, rien n’a bougé.
Dans la petite chambre, le ronflement régulier de l’enfant. Il est encore enrhumé, demain, elle lui fera un lavage de nez, même s’il déteste ça.
C’est bon pour ce soir.
Désormais elle tient ce trésor, elle pourra recommencer. »

Extrait
« Elle tapa avec son poing sur son fax, et lui sortit la liste des pièces à réunir pour monter le dossier. Et il n’y avait pas de temps à perdre, les délais étaient de minimum six mois avant d’envisager une audience devant un juge. Elle lui tapota l’épaule en la poussant vers la sortie, et lui assura que dans cette bataille qui commençait, elle n’était plus seule. En attendant, elle était priée de lui verser un acompte de cinq cents euros, à l’ordre du cabinet. »

À propos de l’auteur
Carole Fives est née le 12 novembre 1971 dans le Pas-de-Calais. Après une licence de philosophie et une maîtrise d’arts plastiques, Carole Fives entre à l’école des beaux-arts de Paris où elle obtient le diplôme national supérieur d’expression plastique (DNSEP). Artiste plasticienne et vidéaste, elle écrit d’abord dans le cadre de performances sonores. Un premier recueil de nouvelles est publié en 2010, Quand nous serons heureux, qui est récompensé par le prix Technikart, présidé cette année-là par Alain Mabanckou. Elle est aussi auteur d’albums et de romans jeunesse notamment à l’École des Loisirs (Zarra, Modèle vivant… ) et chez Hélium. Elle travaille régulièrement avec les dessinatrices Dorothée de Monfreid et Séverine Assous. Après avoir vécu à Lille, elle s’est installée récemment à Lyon. (Source: Wikipédia)

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N’oublie rien en chemin

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En deux mots:
Rivka vient de décéder, laissant à sa petite-fille une lettre et ses carnets de moleskine. À leur lecture, Sandra va éclairer les zones obscures de l’histoire familiale et découvrir qu’il n’y a pas de hasard.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

N’oublie rien en chemin
Anne-Sophie Moszkowicz
Éditions Les Escales
Roman
176 p., 16,90 €
EAN: 9782365692687
Paru en mai 2017

Où?
Le roman se déroule en France, principalement à Lyon et à Paris.

Quand?
L’action se situe de nos jours. On y évoque aussi 1997 ainsi que la Seconde guerre mondiale.

Ce qu’en dit l’éditeur
À la mort de sa grand-mère qu’elle adorait, Sandra, quarante ans, se voit remettre des lettres et des carnets de son aïeule. Rivka y livre un témoignage poignant sur sa jeunesse dans le Paris de l’Occupation, les rafles, la terreur, le chaos. Mais il y a plus. Par-delà la mort, la vieille femme demande à sa petite-fille d’accomplir une mission.
Une mission qui obligera Sandra à retourner à Paris, ville maudite, sur les traces de son amour de jeunesse, Alexandre. Un homme étrange, hypnotique et manipulateur dont Sandra ne pensait plus jamais croiser la route… Pour elle, l’heure est venue d’affronter ses démons.
Avec délicatesse, Anne-Sophie Moszkowicz brosse le portrait d’une famille prise dans les tourments de l’Histoire et nous entraîne dans les dédales de la mémoire.

Ce que j’en pense
Sandra, la narratrice de ce roman, va soudain se voir confrontée à son passé ainsi qu’à celui de sa famille. À quarante ans, mariée, mère de trois filles et menant une vie sans histoires dans un bel appartement de Lyon elle est destinataire d’un courrier posthume de sa grand-mère adorée. Une lettre qui résume le propos du livre et en explique le titre: « Je n’ai jamais voulu m’épancher en grands discours, mais, vois-tu, je ne peux me résoudre à ce que tout disparaisse avec moi. Tu trouveras dans cette enveloppe le récit chronologique des événements qui ont constitué ma longue vie. Tu y liras les étapes de ce destin aux sinuosités incroyables qui aura été le mien. De la bête traquée que j’étais à mes vingt ans à la grand-mère respectée, il y aura eu un sacré chemin parcouru, j’en ai bien conscience, malgré l’amertume qui n’a jamais pu me quitter. Bien sûr, tu ne mémoriseras pas tout et beaucoup de choses ne seront d’ailleurs pas dignes d’intérêt. Pardonne-moi d’avance. Mais plus que transmettre, il sagit pour moi de consigner. Consigner les choses. Consigner les choses, les faits, les noms des rues et des gens qui ont compté au cours de mon existence. Un peu comme toi et tes petits Moleskine… J’ai toujours eu la même manie que toi, tu le sais, et le jour est venu de te donner les miens, écrits tout au long de ma vie. Ils ont été mes confidents, quand parler m’était impossible. Tu en trouveras aussi trois neufs pour toi. Vois-tu, j’ai besoin de savoir que la vie continuera après et que l’on ne cessera de remplir des Moleskine. Tu les rempliras plus vite que tu ne le penses.
Voilà ma chérie, je te quitte sur ces mots. Sache que je suis très fière de toi, très heureuse d’avoir connu tes merveilleux enfants. Continue sur cette voie car je ne doute pas qu’elle soit la bonne et n’oublie rien en chemin, ni remords ni regrets. J’espère que ces carnets que je te laisse te permettront d’apprendre sur toi aussi, et sur la vie en général. »
En refermant cette lettre bouleversante, nous voici conviés à remonter le temps, à suivre le parcours de Rivka et son combat contre les forces obscures, mais aussi celui de cette relation privilégiée avec sa petite-fille quand «ne comptaient que les heures passées à discuter, dormir, visionner des films, écouter le silence du vide».
Car Sandra rêve, s’imagine un destin et se voit héroïne d’une histoire exaltante. Elle quitte Lyon et son ami Paul, sage, attentionné et raisonnable, pour Paris où l’attend Alexandre, fougeux, imprévisible et torturé et se voit bien continuer ce parcours entre deux pôles qui ont chacun leurs attraits: «tous deux me satisfaisaient, l’un pour son immédiateté, l’autre pour sa solidité. L’éphémère, le durable». Seulement voilà, il arrive toujour sun moment où la dure réalité, le poids du réel vient se heurter aux constructions illusoires. Où il faut faire un choix.
Un lourd secret va ici faire voler en éclats cette double vie et relier ene fois encore la grand-mère à la petite-fille.
Anne-Sophie Moszkowicz a choisi pour son entrée en littérature de retracer un épisode douloureux de la Seconde Guerre mondiale. À l’instar de plusieurs autres auteurs de sa génération, elle a ressenti la nécessité impérieuse en cette période troublée, de ne rien oublier en chemin. Un roman très émouvant construit de main de maître. Bref, une jolie réussite!

68 premières fois
Blog Les couleurs de la vie (Anne Leloup)

Les autres critiques
Babelio
Cultures J (Patricia Drai)
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Black Kat’s blog – Livr’envie
Blog La rousse bouquine 
Blog La bibliothèque de Marjorie 


Anne-Sophie Moszkowicz lit un extrait de son premier roman N’oublie rien en chemin © Production Les Escales

Les premières pages du livre
« Je n’étais pas retournée à Paris depuis l’automne 1997. La dernière fois, je n’avais pas vingt ans et je commençais des études de droit que je ne finirais jamais.
Octobre, novembre, décembre. Trois mois en tout et pour tout, passés là-bas. Cela pouvait sembler court. C’était juste assez pour disparaître. Le temps d’une rencontre, d’un étourdissement et d’une subite envie de tout envoyer en l’air.
Si on s‘y prend bien, on peut faire beaucoup de dégâts en trois mois. Il suffit de croiser un autre chemin et de se demander à quoi ressemblerait sa vie si on bifurquait. Un dernier caprice. On a vingt ans et voilà qu’un regard fasciné vous attrape dans ses filets. Dans le fond, la tentation est toujours trop grande. Si personne ne vous retient, la vie bascule sans que vous puissiez faire marche arrière. J’avais eu cette chance.
Vingt ans après, je débarrasse la table du dîner dans notre appartement lyonnais. Vingt ans après, il y a nos trois filles endormies, et nos oreilles résonnent encore des rires et des pleurs et des jouets qui tombent. Nous nous racontons nos journées à voix basse pour ne pas les réveiller. Paul passe l’éponge sur la table de la salle à manger et je goûte ces dernières minutes paisibles, ce bonheur insouciant, le calme des maisons où les enfants dorment enfin, le frottement régulier d’une éponge sur la toile cirée et la douceur du regard bienveillant d’un mari.
Les jours avaient coulé naturellement pendant vingt ans. Je n’y pensais plus. Ou très peu. Parfois, des souvenirs me revenaient par fragments, mais très vite, le présent se chargeait de les diluer. Avec sa cadence effrénée, le quotidien balayait tout. Il y avait toujours un goûter à préparer, les prochaines vacances à organiser, des plans à terminer pour la maison d’un client. Le passé n’était plus rien devant la fluidité du présent qui m’entraînait sans cesse vers l‘instant d’après. Ces trois mois à Paris semblaient de plus en plus loin, de plus en plus flous… Jusqu’à la lettre de Rivka.
Il avait suffi d’un instant pour que ces souvenirs enfouis refassent surface, plus réels que jamais. »

Extrait
« Beaucoup croient que le pire a eu lieu pendant la guerre. C’est sans doute vrai. Mais l’enfer se poursuivait souvent bien après la fin de la traque. Il fallait rentrer. Où? Retrouver sa famille. Quelle famille? Reconstruire une vie. Que signifiait ce mot? Il fallait tout réapprendre, tout reprendre à zéro, les poches vides, les familles décimées et le cœur en morceaux. Le retour offrait bien des mauvaises surprises, et même si les ressources étaient depuis longtemps épuisées, on n’avait jamais fini d’être un survivant. Plus encore, il fallait revenir parmi eux, eux les traîtres, les indifférents, les complices, ceux qui avaient simplement eu peur, ceux qui avaient fermé les yeux et serré les dents. Pouvait-on les blâmer pour ça? Il est des moments de l’Histoire où tout mériterait de disparaître sous terre. »

À propos de l’auteur
Née à Nice en 1984, Anne-Sophie Moszkowicz vit aujourd’hui à Paris, où elle travaille dans l’édition. Sa famille lui a transmis deux choses: l’importance de la mémoire et la passion des mots. A l’heure de fonder sa propre famille, ses racines la rattrapent. L’écriture s’impose alors à elle. N’oublie rien en chemin est son premier roman. (Source: Éditions Les Escales)

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L’été en poche (57)

DIVRY_quand_le_diable_sortit_P

Quand le diable sortit de la salle de bain

En 2 mots
Journaliste, écrivain et chômeuse : les malheurs de Sophie la Lyonnaise ne sont pas près de se terminer, malgré la famille, un ami, une éditrice et… le diable !

Ma note
etoileetoileetoile (beaucoup aimé)

Si vous voulez en savoir plus…
Ma chronique complète publiée lors de la parution du roman en grand format

Les premières lignes

L’avis de… Estelle Lenartowicz (Lire)
« Traitant du thème de la précarité comme un stimulus au récit, une matière à travailler dans la forme comme dans le style, l’auteure s’amuse avec l’écriture et livre un roman drolatique. […] Parce qu’elle est novatrice ambitieuse et généreuse, son œuvre est à découvrir sans condition. »

Vidéo


Sophie Divry présente «Quand le diable sortit de la salle de bain» © Production librairie Mollat