Blizzard

VINGTRAS_blizzard

  68_premieres_fois_logo_2019 Logo_premier_roman

En deux mots
En plein blizzard Bess sort de son abri avec un enfant qu’elle perd de vue après quelques secondes d’inattention. Commence alors une course contre la mort pour survivre et retrouver l’enfant, à la fois pour elle et pour la poignée d’habitants de ce coin d’Alaska partis à se recherche. Au long de ce récit haletant, on va découvrir leurs parcours respectifs.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Vous avez dit blizzard?

Marie Vingtras a construit son premier roman sur un intenable suspense, la course d’une femme et d’une poignée d’habitants pour tenter de retrouver un enfant qui s’est perdu dans le blizzard.

Dès les premières lignes de ce dramatique suspense, on est happé par l’urgence qui va pousser une poignée de personnes à affronter un terrible blizzard. Car Bess, malgré le froid et le vent, et sortie avec le petit Thomas, l’enfant que lui a confié Benedict, sans doute l’homme le plus aguerri dans ce coin de l’Alaska. Mais aussi l’homme qui n’accepterait pas de voir Bess revenir seule de son intrépide sortie dans le ventre du diable. Mais pour l’heure, il va laisser sa colère froide au chaud pour affronter à son tour le blizzard en compagnie de son ami Cole. Car désormais chaque minute compte.
Marie Vingtras passe de l’un à l’autre des personnages en courts chapitres qui nous permettent de découvrir ce microcosme et les raisons qui les ont poussés à s’installer dans cet environnement, cette «terre de désolation qui suinte le malheur». On peut ainsi, au fil des monologues qui s’enchainent, reconstruire le puzzle. D’abord en apprenant ce que font ici les deux personnages dont nous n’avons pas encore parlé, Freeman qui après le Vietnam a sillonné toute l’Amérique dans son van pour atterrir là: «C’était surtout le seul Noir à la ronde et il paraissait aussi incongru que Bess, quand elle est arrivée avec sa mini-jupe en velours et ses santiags blanches». Et Clifford le taiseux misanthrope et violent. Ensuite en découvrant les failles de Bess et Benedict, l’origine de leur relation et de la présence de Thomas, le neveu de Benedict.
Et alors que le temps se gâte encore dans cette blancheur qu’on croit éternelle, c’est bien la noirceur des âmes qui émerge et va nous entraîner vers un final époustouflant où se mêlent les deux grands thèmes du roman, la culpabilité et la paternité.
Marie Vingtras, que l’on sent nourrie de littérature américaine, de nature writing, réussit avec Blizzard une entrée remarquée en littérature.

Blizzard
Marie Vingtras
Éditions de l’Olivier
Premier roman
192 p., 17 €
EAN 9782823617054
Paru le 26/08/2021

Où?
Le roman est situé principalement en Alaska.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Le blizzard fait rage en Alaska.
Au cœur de la tempête, un jeune garçon disparaît. Il n’aura fallu que quelques secondes, le temps de refaire ses lacets, pour que Bess lâche la main de l’enfant et le perde de vue. Elle se lance à sa recherche, suivie de près par les rares habitants de ce bout du monde. Une course effrénée contre la mort s’engage alors, où la destinée de chacun, face aux éléments, se dévoile.
Avec ce huis clos en pleine nature, Marie Vingtras, d’une écriture incisive, s’attache à l’intimité de ses personnages et, tout en finesse, révèle les tourments de leur âme.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Goodbook.fr
France Culture
Diacritik (Johan Faerber)
Bulles de culture
Ouest-France (Michel Troadec)
En attendant Nadeau (Alexis Buffet)
France TV culture (Laurence Houot)
À Voir À Lire (Cécile Peronnet)
La cause littéraire (Sandrine-Jeanne Ferron-Veillard)
Blog Mémo Émoi
Blog Tranche de livres
Blog La bibliothèque de Delphine-Olympe
Blog Pamolico
Blog Mélie et les livres
Blog Les livres de Joëlle
Blog Bulle de Manou


A l’occasion des Correspondances de Manosque 2021, Marie Vingtras présente Blizzard © Production Librairie Mollat

Les premières pages du livre
« Bess
Je l’ai perdu. J’ai lâché sa main pour refaire mes lacets et je l’ai perdu. Je sentais mon pied flotter dans ma chaussure, je n’allais pas tarder à déchausser et ce n’était pas le moment de tomber. Saleté de lacets. J’aurais pourtant juré que j’avais fait un double nœud avant de sortir. Si Benedict était là, il me dirait que je ne suis pas suffisamment attentive, il me signifierait encore que je ne fais pas les choses comme il faut, à sa manière. Il n’y a qu’une seule manière de faire, à l’entendre. C’est drôle. Des manières de faire, il y en a autant que d’individus sur terre, mais ça doit le rassurer de penser qu’il sait. Peu importe, j’ai lâché sa main combien de temps ? Une minute ? Peut-être deux ? Quand je me suis relevée, il n’était plus là. J’ai tendu les bras autour de moi pour essayer de le toucher, je l’ai appelé, j’ai crié autant que j’ai pu, mais seul le souffle du vent m’a répondu. J’avais déjà de la neige plein la bouche et la tête qui tournait. Je l’ai perdu et je ne pourrai jamais rentrer. Il ne comprendrait pas, il n’a pas toutes les cartes en main pour savoir ce qui se joue. S’il avait posé les bonnes questions, si j’avais donné les vraies réponses, jamais il ne me l’aurait confié. Il a préféré se taire, entretenir l’illusion, prétendre que j’étais capable de faire ce qu’il me demandait. Au lieu de cela, dans cette terre de désolation qui suinte le malheur, je vais ajouter à sa peine, apporter ma touche personnelle au tableau. Il faut croire que c’est plus fort que moi.

Benedict
Rétrospectivement, je crois que j’ai senti que quelque chose ne tournait pas rond. C’est un peu comme lorsque vous avez la sensation qu’un insecte vous chatouille l’oreille. Vous faites un geste pour vous en débarrasser, mais en réalité c’est une alarme, votre alarme interne, réglée au strict minimum. Pas assez forte pour vous faire bondir, mais juste assez pour vous empêcher de dormir tranquillement. Je dormais justement et je me suis réveillé en sursaut. Était-ce un pressentiment ou bien le courant d’air froid qui venait d’en bas ? Je ne sais pas. J’étais tellement fatigué d’avoir passé les derniers jours dans l’excitation, à relever les pièges, à ranger le matériel et à nous préparer avant que n’arrive le mauvais temps. J’ai toujours aimé les tempêtes, et surtout le moment juste avant, quand il faut tout protéger, boucher les interstices, rentrer assez de bois pour tenir quelques jours et se faire un espace clos, le plus hermétique possible. Et puis, quand la tempête est là, se claquemurer avec la cibi qui grésille, une tasse de café brûlant pour se réchauffer les mains et le feu dans la cheminée qui se rebelle à cause de la neige qui tombe dans le conduit et du vent qui s’y engouffre. J’entends la maison qui craque et qui gémit comme un petit vieux. Parfois, j’ai l’impression qu’elle me parle, comme elle a peut-être parlé à mes parents et à mes grands-parents avant eux, de génération en génération, jusqu’au premier Mayer qui a décidé de s’installer ici, en terre hostile, et de prétendre qu’il serait plus fort que la nature. La maison est encore debout et je suis bien au chaud à l’intérieur, protégé par ses murs, comme un diamant dans son écrin. Sauf que je suis tout seul. Quand je suis descendu de l’étage, la porte était grande ouverte et la neige s’était déjà engouffrée par paquets. Ça m’a énervé. J’ai crié : « Bon Dieu, Bess, tu peux pas fermer cette foutue porte ? On va tous crever de froid par ta faute ! », mais elle n’a pas répondu. C’est seulement à ce moment-là que j’ai vu que les bottes du petit n’étaient pas là et que leurs vestes n’étaient plus accrochées au porte-manteau. J’ai compris qu’elle était sortie avec lui, alors que même une fille aussi spéciale qu’elle aurait dû savoir qu’on ne sort pas dehors en plein blizzard.

Cole
Si le Seigneur m’entend, je jure solennellement que je boirai plus une goutte d’alcool. J’ai tellement mal à la tête avec le truc que ce salopard m’a fait boire. Appeler ça de l’eau-de-vie, c’est vraiment se foutre de la gueule du monde. Je sens plus ma gorge et j’ai le bide en vrac. C’est à vous donner l’envie de virer bonne sœur, même si j’ai pas l’attirail pour ça. Je sortais à peine des toilettes à cause de la courante que l’alcool m’avait causée quand ça a tambouriné de tous les diables à la porte. C’est pas un temps à mettre un bon chrétien dehors, alors je me suis reboutonné comme j’ai pu et j’ai attrapé mon fusil. On sait jamais ce qui peut courir les bois. J’ai crié : « C’est qui ? », un truc auquel un ours pourrait pas répondre, mais il y avait trop de vent dehors pour que je puisse entendre quoi que ce soit. Les coups ont redoublé. Ma foi, j’avais pas le choix. J’ai tourné le verrou, entrouvert la porte avec mon pied et j’ai visé l’entrebâillement au cas où. « Tire pas, Cole ! C’est moi ! » qu’il a crié. J’ai reconnu la grosse voix grave de Benedict. Il était couvert de neige, ça lui faisait comme des épaulettes de général de pacotille et il avait déjà le bout des cils tout blanc, avec des gouttes de givre comme des décorations de strip-teaseuses. Enfin je dis ça parce que j’en ai vu une en photo dans un magazine qui traînait chez Clifford. La fille avait des petites gouttes rouges au bout de ses faux cils, ça lui faisait un regard bizarre, comme une poupée. Il paraît qu’il y a des types qui aiment ça. Benedict m’a poussé d’un coup pour refermer la porte derrière lui. Il a même pas enlevé son couvre-chef. Il s’est appuyé contre le mur, a passé sa main sur son visage et puis il a dit, comme s’il avait vu passer un revenant : « Bess et le petit sont partis. Ils sont dehors. » C’était tellement crétin comme idée que j’ai rigolé. « Me fais pas rire, Benedict, elle est pourrie ta blague », je lui ai dit. « Tu crois que je serais sorti avec ce temps, juste pour te faire marcher ? » qu’il m’a répondu. J’ai vu rien qu’à sa tête qu’il était sérieux et bon sang, si c’était vrai, alors on avait du souci à se faire. Il a tout juste dix ans, le môme, et l’autre, elle a pas deux sous de jugeote. Je lui ai demandé : « Qu’est-ce qu’on fait alors ? » et il m’a répondu un truc qui m’a pas fait plaisir : « Qu’est-ce que tu crois ? On va les chercher. » Ça, c’était pire que la bibine de Clifford et j’ai eu comme une envie d’en reprendre une lampée.

Freeman
Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit avec ce temps. Le vent souffle tellement fort autour de la maison que je ne sais pas comment elle tient encore debout. J’ai l’impression que les murs sont pris dans un étau entre la poussée des rafales et la neige qui s’accumule. Dieu sait comment je vais réussir à en sortir quand tout sera fini. Lors de la première tempête que j’ai vécue ici, je suis resté bloqué deux jours. Il y avait bien cinq pieds de neige devant la porte et je ne pouvais pas ouvrir les volets des fenêtres que j’avais stupidement fermés, une erreur de débutant, m’avait dit Benedict. J’ai dû grimper jusqu’au grenier, à mon âge, et redescendre par la lucarne avec une corde. L’opération n’a pas tout à fait marché comme je le souhaitais. Je me suis déboîté l’épaule dans la chute et il a quand même fallu que je m’occupe de pelleter la neige avec mon bras valide avant de pouvoir trouver de quoi bloquer l’autre bras. Ce coup-ci, j’ai essayé de déblayer le plus possible tout autour de la maison en espérant que ce soit suffisant. C’est quelque chose qui ne s’invente pas, savoir survivre. Là d’où je viens, on n’a pas à se poser de questions pour savoir si la neige vous empêchera de sortir. Il n’y a pas de neige, pas le moindre flocon, et si j’avais le choix, je préférerais cent fois être là-bas plutôt que dans ce pays à supporter mes rhumatismes. Le froid, l’humidité, ce n’est pas bon pour ma vieille carcasse. Ce serait un comble d’avoir survécu à tout ce que j’ai connu pour mourir maintenant, moisi comme une vieille branche pourrie. Qu’est-ce que je fais là alors ? Je suppose que s’Il a voulu que nos routes se croisent et que je m’enterre au bout du monde, c’est qu’il y avait une bonne raison à cela. Il sait que je suis un pécheur, mais si mon Dieu de miséricorde a un plan pour moi, j’attendrai jusqu’à ce que la lumière soit faite. Je suis gelé, mais j’attendrai puisqu’il le faut. Et, pour être tout à fait honnête, je n’ai pas vraiment d’autre choix.

Bess
Je ne vois rien. La neige s’envole du sol en tourbillons et lorsque je lève les yeux vers le ciel c’est une vraie purée de pois. L’air est incolore, comme si toutes les couleurs existantes avaient disparu, comme si le monde entier s’était dilué dans un verre d’eau. Je regrette de ne pas avoir fait plus attention quand Benedict essayait de décrire le fonctionnement des blizzards au petit. J’aurais peut-être su ce qu’il fallait faire, à part ne pas sortir bien sûr, mais ça, il est trop tard pour le regretter. Je tourne le dos au vent, appuyée sur ce que je suppose être un rocher. À moins que ce ne soit un ours qui hiberne, ce qui réglerait mon problème. Je ne parviens pas à réfléchir à la conduite à tenir, mais je vais me transformer en bonhomme de neige si je ne bouge pas. Je ne suis pas complètement idiote, je sais dans quel pétrin je me suis fourrée. Il faut que je bouge, que je trouve le gosse ou que je retourne à la maison chercher Benedict, même s’il pourrait avoir envie de me décoller les oreilles à grands coups de baffes si je reviens seule. Je ne peux pas rentrer, je ne peux pas lui expliquer, ce serait trop d’un seul coup. Il est solide, mais il y a des choses qui sont trop dures à entendre. De toute façon, je ne peux pas laisser le petit tout seul. Puisque je ne sais même pas dans quelle direction aller, je vais marcher droit devant moi, c’est ce qu’il a dû faire. C’est bête parfois un gamin, ça fait des trucs sans réfléchir, à l’instinct, même un petit génie comme lui. Alors si je ne réfléchis pas, moi, j’avance tout droit. C’est sûrement ce qu’il y a de mieux à faire.

Benedict
Cole met un temps fou à se préparer, il traîne les pieds. Je ne peux pas vraiment lui en vouloir. Qui aurait envie de sortir avec ce temps ? Vivre ici c’est déjà dur quand il ne neige pas, mais en pleine tempête, c’est comme être dans le ventre du diable, d’après Freeman. Lui, je ne suis pas allé le chercher. Il est trop vieux et il ne voit pas bien loin. Je ne sais même pas ce qu’il est venu faire ici. J’avoue que j’ai bien ri quand il est arrivé il y a deux ans avec son van et son matériel flambant neuf. On aurait cru un jeune retraité en goguette, mais un retraité seul, dans un coin isolé, pas vraiment ce que vous vendent les formulaires. C’était surtout le seul Noir à la ronde et il paraissait aussi incongru au milieu du paysage qu’elle, quand elle est arrivée avec sa mini-jupe en velours et ses santiags blanches. Il n’avait pas tout à fait le profil d’un type qui serait venu se frotter à la nature sauvage, même s’il est bien plus en forme pour son âge que ne le seront jamais Clifford ou Cole à force de passer leurs soirées à boire. Je croyais qu’il ne tiendrait pas l’hiver avec ses mitaines et son bonnet, ce n’était pas vraiment l’équipement adéquat. Il est toujours resté évasif sur ce qu’il faisait avant d’arriver ici, si ce n’est qu’il avait été militaire dans sa jeunesse. Ça pouvait expliquer qu’il ait su comment tenir malgré le climat. On ne l’a pas aidé la première année. Les gens ont beau être solidaires dans le Nord, ils ne vont pas non plus tout risquer pour un inconnu. Une fois, je l’ai aidé à changer la courroie de sa motoneige. Il l’avait rachetée à Clifford, ce vieil escroc. Il y a des choses qu’il vaut mieux ne pas acheter d’occasion par ici. Si leur propriétaire s’en est débarrassé, c’est qu’il y a une bonne raison à cela. Elle tombait tellement souvent en panne que Freeman a fini par éplucher tout le manuel que Clifford avait daigné lui donner. Ce n’était pas un grand sacrifice de sa part, il ne l’avait jamais sorti de son emballage, à se demander s’il sait seulement lire. Freeman a intégralement démonté la machine et, après l’avoir bricolée, elle marchait mieux que la mienne, ce qui n’était pas difficile. J’ai bien vu que Clifford était vexé qu’il ait réussi à la remettre à neuf alors qu’il n’y était jamais arrivé. Il avait cru lui jouer un mauvais tour en lui vendant une épave et il s’était retrouvé comme un idiot. Je me suis dit que Freeman avait de la ressource pour un vieil homme. Quand il s’est démis l’épaule, il est arrivé sans se plaindre et il m’a demandé si je pouvais l’emmener voir un médecin parce qu’il n’arriverait pas à conduire tout seul. Je ne vais pas mentir, ça ne m’arrangeait pas de faire cinquante miles jusqu’au dispensaire, mais je l’ai emmené quand même. S’il avait survécu à son premier hiver ici, c’est que la nature ne le rejetait pas. Peut-être que, d’une certaine façon, elle le tolérait. On ne peut pas en dire autant de Bess, ni du petit. Un jour, elle m’a dit que leur présence ici était un non-sens. C’était sa manière à elle d’exprimer ce que tout le monde pensait tout bas : ils n’avaient rien à faire là. Je ne sais pas si la nature les a absorbés ou si elle va les recracher, morts ou vivants. Tout ce que je sais, c’est que c’est de ma faute. Je n’aurais jamais dû les ramener. Même si j’avais promis à sa mère que je prendrais le petit avec moi, je n’aurais pas dû le faire. Je n’en serais pas là aujourd’hui, à chercher un gosse et une fille au milieu de la neige, au milieu de nulle part.

Cole
Une chose est sûre, j’avais pas envie d’y aller. Il faut vraiment être dingue, je me suis dit. En plus – mais ça, je l’ai évidemment pas dit à Benedict – ils sont peut-être déjà morts de froid ou d’une mauvaise chute, ou alors ils ont fait une sale rencontre. L’hiver a été long, il y a des animaux qui ont autant les crocs que moi. J’ai quand même prévenu Clifford avec la cibi et il m’a dit que c’était pas son affaire et qu’il avait pas l’intention de sortir avec ce temps. Ça m’a pas vraiment étonné, même si je pensais qu’il aurait quand même bien aimé retrouver la fille, à défaut du gamin. J’ai traîné autant que j’ai pu. J’ai cherché mes chaussettes les plus chaudes et aussi les petites fines en soie que sur les conseils du vieux Magnus j’enfile d’abord, même si elles sont tellement reprisées qu’elles ne tiennent plus que par l’opération du Saint-Esprit. Je savais bien qu’on allait se retrouver plus gelés que des Esquimaux. Benedict m’attendait, appuyé contre le chambranle de la porte. Il avait l’air d’avoir pris dix ans d’un coup. C’est sûr que les savoir dehors, c’était le pire truc qui puisse arriver, il était bien placé pour le savoir. Des types emportés au printemps par les rivières en crue, écrasés par l’arbre qu’ils étaient en train de tailler, ou retrouvés raides comme des bouts de bois dans des fossés, il en avait vu plus que son compte quand il était petit et que la scierie tournait encore. Mais un gosse et une bonne femme perdus dans le blizzard, autant que je m’en souvienne, c’était pas encore arrivé. Et Benedict savait bien pourquoi. Parce que ça n’a pas de sens, et qu’ici tout a un sens, parce que chaque geste vous coûte un effort et que Dame Nature, elle vous fait jamais de cadeaux. C’est ça le deal. Vous voulez vivre ici ? Profiter de l’air pur, du gibier, du poisson ? Être libre de vos actes, ne rendre de comptes à personne et peut-être ne croiser aucun être humain pendant des semaines ? Libre à vous. Mais le jour où vous vous retrouverez nez à nez avec un kodiak ou que votre motoneige ne voudra plus démarrer alors que vous êtes à des miles de votre piaule, il faudra accepter l’idée que personne vous viendra en aide, à part vous-même. C’est pas un truc que cette satanée bonne femme peut comprendre. J’ai fini par trouver les chaussettes. J’ai pris une vingtaine de cartouches pour le fusil. Benedict avait pris le sien et j’allais ouvrir la porte quand je me suis souvenu de la gnole de Clifford. Ça, c’était bien un truc à prendre pour une expédition aussi dingue. Sûr que j’en sentirais à peine les effets dans ce grand bazar. »

À propos de l’auteur
VINGTRAS_Marie_©Patrice_NormandMarie Vingtras © Photo Patrice Normand

Marie Vingtras est née à Rennes en 1972. Blizzard est son premier roman. (Source: Éditions de l’Olivier)

Page Wikipédia de l’auteur

Mes livres sur Babelio.com


Focus Littérature

Tags
#blizzard #MarieVingtras #editionsdelolivier #hcdahlem #premierroman #68premieresfois #RentréeLittéraire2021 #litteraturefrancaise #litteraturecontemporaine #MardiConseil #rentreelitteraire #avislecture #passionlecture #critiquelitteraire #primoroman #roman #RL2021 #livre #lecture #books #blog #littérature #bloglitteraire #lecture #jaimelire #lecturedumoment #lire #bouquin #bouquiner #livresaddict #lectrice #lecteurs #livresque #auteur #lectureaddict #litterature #instalivre #livrestagram #unLivreunePage #writer #reading #bookoftheday #instabook #bookstagram #book #Bookobsessed #bookshelf #booklover #Bookaddict #instabooks #ilovebooks #babelio #goodbook #Jeliscommejeveux

Publicité

Saturne

CHICHE_saturne

  RL2020  coup_de_coeur

En deux mots:
Quand son père meurt, la narratrice a quinze mois. Aussi lui faudra-t-il bien longtemps avant de vouloir explorer son histoire familiale, retracer la rencontre de ses parents et remonter jusqu’à leur propre enfance, jusqu’aux grands-parents. Un récit bouleversant.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Mon père, ce héros

En retraçant l’histoire d’un père qu’elle n’a quasiment pas connu, Sarah Chiche a réussi un bouleversant roman. Et en mettant en lumière le passé familial, c’est elle qui se met à nu. Dans un style éblouissant.

J’ai découvert Sarah Chiche l’an passé avec Les enténébrés (qui vient de paraître chez Points poche), un roman qui explorait les failles de l’intime et celles du monde et qui m’avait fasciné par son écriture. Je me suis donc précipité sur Saturne et je n’ai pas été déçu. Bien au contraire! Ici les failles de l’intime sont bien plus profondes et celles du monde plongent davantage vers le passé pour se rejoindre dans l’universalité des émotions qu’elles engendrent.
Tout commence par la mort tragique de Harry, le père de la narratrice, emporté par une leucémie. «Le cœur lâcha à midi. Il venait de fêter ses trente-quatre ans. Il mourut dans les bras de son père qui, trois ans plus tard, mourut à son tour de chagrin. Ils avaient tous en eux l’espoir que ce ne serait qu’un mauvais rêve, mais en fait, tout cela, ce n’est pas un rêve, tout cela c’est pareil pour tout le monde, tout cela, ce n’est pas grand-chose, tout cela ce n’est que la vie, et, finalement, la mort. On lui ferma la bouche après les yeux. On le déshabilla. On le lava. Puis le corps fut ramené à son domicile. On le recouvrit et on recouvrit tous les miroirs ainsi que tous les portraits d’un drap blanc. On me tint éloignée de la chambre funéraire. On déchira un pan de ma chemise de nuit à hauteur du cœur. Mais personne ne me dit que mon père était mort.»
Elle n’avait que quinze mois.
Le chapitre suivant se déroule le 4 mai 2019. Une femme s’approche de la narratrice, en déplacement à Genève – une ville où elle a vécu «l’année la plus opaque» de son enfance et qu’elle retrouve avec appréhension – et lui révèle qu’elle a bien connu ses grands-parents, son père et son oncle à Alger. C’est sans doute cette rencontre qui a déclenché son envie d’explorer son passé, de retrouver son histoire et celle de sa famille.
Retour dans les années 1950 en Algérie. C’est en effet de l’autre côté de la Méditerranée que son grand-père fait fortune et lance la dynastie des médecins qui vont développer un réseau de cliniques. Une prospérité qu’ils réussiront à maintenir après la fin de l’Algérie française et leur retour en métropole.
Une retour que Harry et Armand vont anticiper. Au vue de la sécurité qui se dégrade, les garçons sont envoyés en Normandie dès 1956. Le premier est victime de moqueries, d’humiliations et d’agressions. Il se réfugie alors dans les livres, tandis que son aîné ne tarde pas à s’imposer et à devenir l’un des meilleurs élèves du pensionnat.
On l’aura compris, Sarah Chiche a pris l’habitude de construire ses romans sans considération de la chronologie, mais bien plutôt en fonction de la thématique, des émotions engendrées par les épisodes qu’elle explore, «car ainsi voguons-nous disloqués dans la tempête des années, otages de la mer sombre où l’exil des uns n’efface jamais celui des autres, coupables et victimes du passé».
On retrouve les deux frères lors de leurs études de médecine – brillantes pour l’un, médiocres pour l’autre. Harry préfère explorer le sexe féminin en multipliant les aventures plutôt que s’intéresser aux planches d’anatomie et aux cours de gynécologie. Sur un coup de tête, il décide de mettre un terme à cette mascarade et part pour Paris dépenser toute sa fortune au jeu. «On ne l’arrête pas. Il ne s’arrêtera plus. L’aube vient. Il sort du casino enfumé comme une bouche de l’enfer, les poches vides. Il a vingt-six ans.»
L’heure est venue de vivre une grande histoire d’amour, une passion brûlante, un corps à corps dans lequel, il se laisse happer. Elle s’appelle Ève et il est fou d’elle.
Le 19 juin 1975, Armand intervient à ce «serpent peinturluré en biche»: «Je suis le frère de Harry. Et au nom des miens, au nom de l’état dans lequel vous avez mis mon frère, je vous le jure: vous ne ferez jamais partie de notre famille. Nous ne vous recevrons plus: ni demain, ni les autres jours.»
On imagine la tension, on voit poindre le drame et le traumatisme pour l’enfant à naître. Si la vie est un roman, alors certains de ces romans sont plus noirs, plus forts, plus intenses que d’autres. Si Saturne brille aujourd’hui d’un éclat tout particulier, c’est qu’après un profond désespoir, une chute aux enfers, une nouvelle vie s’est construite, transcendant le malheur par la grâce de l’écriture. Une écriture à laquelle je prends le pari que les jurés des Prix littéraires ne seront pas insensibles.

Saturne
Sarah Chiche
Éditions du Seuil
Roman
208 p,, 18 €
EAN 9782021454901
Paru le 20/08/2020

Où?
Le roman se déroule en Algérie, à Alger et Philippeville, ainsi qu’en France, à Paris et en Normandie, à Verneuil-sur-Avre, à Évreux et Rouen, mais aussi à Tours. On y évoque aussi Genève.

Quand?
L’action se situe principalement de 1950 à 2019, mais on y remonte jusqu’en 1830.

Ce qu’en dit l’éditeur
Automne 1977 : Harry, trente-quatre ans, meurt dans des circonstances tragiques, laissant derrière lui sa fille de quinze mois. Avril 2019 : celle-ci rencontre une femme qui a connu Harry enfant, pendant la guerre d’Algérie. Se déploie alors le roman de ce père amoureux des étoiles, issu d’une grande lignée de médecins. Exilés d’Algérie au moment de l’indépendance, ils rebâtissent un empire médical en France. Mais les prémices du désastre se nichent au cœur même de la gloire. Harry croise la route d’une femme à la beauté incendiaire. Leur passion fera voler en éclats les reliques d’un royaume où l’argent coule à flots. À l’autre bout de cette légende noire, la personne qui a écrit ce livre raconte avec férocité et drôlerie une enfance hantée par le deuil, et dévoile comment, à l’image de son père, elle faillit être engloutie à son tour.
Roman du crépuscule d’un monde, de l’épreuve de nos deuils et d’une maladie qui fut une damnation avant d’être une chance, Saturne est aussi une grande histoire d’amour : celle d’une enfant qui aurait dû mourir, mais qui est devenue écrivain parce que, une nuit, elle en avait fait la promesse au fantôme de son père.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com 

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Prologue
On entrait dans l’automne. Ils le veillaient depuis deux jours. Au matin du troisième jour, les ténèbres tombèrent sur leurs yeux. Sa mère était affaissée sur une chaise dans un coin de la chambre. Elle avait, posé sur les genoux, un mouchoir rougi de sang. Son père, à son chevet, lui caressait le front, comme on berce un tout petit enfant. Sa femme lui tenait la main. Ses doigts étaient bleuis de froid. Ses joues, livides. Elle brûlait de sa beauté blonde, un peu sale, dans une robe trop somptueuse. Il était étendu, inerte, enfermé en lui-même, sans plus de possibilité de parler autrement qu’en écrivant sur une ardoise qu’il gardait à portée de main. On avait placé une sonde dans sa trachée, reliée à un respirateur artificiel ; un tuyau lui sortait du nez. De temps en temps, ses yeux allaient du scope sur lequel on pouvait suivre le rythme de son cœur, le taux d’oxygène dans son sang, sa tension artérielle et sa température, au visage de sa femme, puis ils revenaient sur le scope, puis au visage de sa femme. Il la regarda. Il la regardait. Ses yeux. Ses mains. Ses lèvres. Leurs silences. Leurs mots. Leurs joies. Leurs chagrins. Leurs souvenirs. Il sentait la pression de ses doigts sur les siens. Il regarda sans doute cette main agrippée à la sienne de la même manière que lorsqu’elle était au bord de jouir, qu’il prenait son visage entre ses paumes pour l’embrasser, qu’elle liait ses doigts aux siens, penchant la tête de côté, cachant ses yeux sous la masse de ses cheveux qui retombaient en torsades sur sa bouche, soudain plus lointaine à l’homme qui l’aimait jusqu’à la brûlure, devenant la nuit dans laquelle ils tombaient tous deux.
Les premiers signes s’étaient manifestés moins d’un an après leur mariage. Elle venait à peine d’accoucher. Elle avait passé leurs noces à son chevet. Chaque jour, elle l’avait aidé à se doucher, à se laver les dents, à s’habiller. Chaque nuit, elle avait dormi à son chevet, recroquevillée dans un fauteuil. Elle avait affronté à ses côtés les fièvres, les sueurs nocturnes, les cauchemars dont il s’éveillait en grelottant dans ses bras, l’anémie, les malaises, les troubles de la coagulation, la chimiothérapie, les injections, les prises de sang, les hématomes qui pullulent sur les bras et obligent à piquer les mains, le cou ou les pieds, quand les veines roulent sous la peau, disparaissent puis se nécrosent. Il y avait eu les visites chez l’hématologue, l’attente des résultats, les espoirs de rémission, les fausses joies, la rechute.
Il promena son pouce sur l’intérieur du poignet de sa femme.
Elle vieillirait, sans lui. Il voulait qu’elle vieillisse. Ce visage à l’ombre duquel il aurait voulu voir grandir leur enfant, ce visage à la beauté infernale, qu’il avait fait rire, elle qui ne riait jamais, qu’il avait filmé, photographié, chéri, caressé, finirait par se faner. En même temps, elle ne vieillirait jamais. Même ridée, elle conserverait ces yeux de faune, ce sourire de fauve qui, dans l’instant où il l’avait vu, l’avait envoûté, lui, et d’autres, et qui en envoûterait d’autres encore, il le savait, parce qu’elle était sans mémoire, n’avait pas d’histoire. Peut-être cette pensée fit-elle monter en lui un sentiment de pitié profonde, non pour lui-même, comme quand on se rend compte que ce que nous sommes ne suffira jamais et qu’au fond on en sait si peu de l’être avec qui l’on dort, mais pour elle, car elle non plus ne se connaissait pas. Il suffoqua.
Sa mère se leva d’un bond et s’approcha. Ses cheveux, qu’elle n’avait pas coiffés depuis plusieurs jours, s’agglutinaient à l’arrière de sa nuque en un paquet spongieux. Son visage était ravagé par l’absence de sommeil. Ses yeux lui tombaient sur les joues. Une odeur de lavande et de sueur flottait dans son sillage. Les yeux de sa femme prirent un éclat de verre froid. Elle s’écarta du lit, d’un mouvement presque symétrique, fronçant le nez. La mère, qui n’en avait rien perdu, l’ignora et se mit à parler. Pendant de longues minutes, elle parla sans discontinuer, mais nul n’aurait su dire de quoi au juste. D’ordinaire, ses longs monologues entrecoupés de gémissements lui étaient insupportables ; il en vint, cette fois, à la trouver d’un comique attendrissant. Elle se débattait, comme une petite bête prise au piège dans le sac noir d’une angoisse dont nul n’avait jamais réussi à la tirer, mais qui, désormais, ne le concernait plus. Il regardait sa peau laiteuse, les taches de son sur ses avant-bras. Elle lui dit encore quelque chose, mais il ne l’écoutait plus. Il était perdu dans la contemplation de la ride qui barrait la joue de son père, et qu’il n’avait, jusqu’alors, jamais remarquée. Il observa la pâleur grise qui avait envahi son teint olivâtre, ses yeux cerclés de noir. La conviction qu’il était la cause du vieillissement précipité de ses parents, que le trou noir qui l’aspirait les aspirait à leur tour, lui fut insupportable. Il était temps qu’il les délivre de lui.
Une infirmière vêtue de vert arriva. Elle baissa les stores. De garde. Traits tirés par la fatigue. Elle venait juste de s’allonger pour prendre un peu de repos quand on avait téléphoné. On lui avait dit qu’il s’agissait d’une admission un peu particulière et que la famille pourrait rester au-delà des horaires dévolus aux visites. Il est toujours plus facile de soigner les malades quand on les connaît un peu – même quand on sait qu’on ne pourra peut-être pas les sauver, le souvenir de ce qu’ils furent et de l’engagement qu’on a mis à les soigner jusqu’au bout aide parfois à en sauver d’autres. L’infirmière avait donc demandé des explications. On avait fini par lui dire qui ils étaient.
Ils avaient tout perdu. Ils avaient tout regagné, au centuple. Lui, le père, avait travaillé sans relâche – on disait qu’il ne dormait jamais. Il avait amassé une fortune colossale. Des cliniques, d’innombrables résidences, et un château. Ils avaient des cuisiniers, des domestiques et des jardiniers, une flotte de voitures. Ils ne s’étaient privés de rien, mais ils s’étaient montrés généreux en prenant soin des plus modestes de leurs employés – à moins que ce ne fût prodigalité vaniteuse ou compassionnelle, paternaliste. Ils donnaient, en tout cas, du travail et même des logements à des centaines de personnes. Ils avaient formé des chirurgiens, des internes, des anesthésistes, des réanimateurs, des radiologues, par douzaines. Ils avaient vécu avec eux plusieurs révolutions : les premiers antibiotiques, les premières transplantations cardiaques, les premières cœlioscopies. Soigné, en Algérie et en France, des dizaines de milliers de patients. Mais quand elle s’approcha du père du jeune homme alité, pour le saluer à voix basse, l’infirmière ne reconnut pas celui que les journaux appelaient « le Prince des cliniques ». Elle ne vit qu’un vieil homme en train de perdre son fils.
Leucémie.
Admis en urgence à la suite d’un malaise dans son bain, au moment même où chacun croyait qu’il allait mieux. Comme il avait repris des forces, il avait voulu faire sa toilette, seul. Il avait perdu connaissance. Sa tête avait heurté le rebord de la baignoire. Sous le choc, il avait vomi. On l’avait retrouvé la face dans l’eau, le nez en sang. Le contenu de son estomac avait inondé sa trachée et ses bronches. On l’avait intubé. On avait aspiré ce qui encombrait ses voies aériennes. Branché un respirateur artificiel. On l’avait perfusé. Il avait ouvert les yeux.
Son frère entra d’un pas rapide. Il vit sa mère se jeter dans ses bras, sa femme arranger prestement ses cheveux. Il s’approcha de lui et lui demanda s’il voulait qu’on lui remonte les oreillers sous la tête ou qu’on replace ceux qui soutenaient ses bras. Il répéta plusieurs fois Tu veux qu’on te remonte tes oreillers ? Aux premiers mois de son hospitalisation, à la simple vue de son frère, la colère l’étouffait. Il le fixa d’un regard pâle et amer tandis que l’autre se dégageait de l’étreinte maternelle. Mais, curieusement, cette fois lui revinrent leurs meilleurs moments. Une sensation aiguë le bouleversa : ce qui avait vraiment valu la peine qu’ils vivent ensemble était calfeutré dans leurs années d’enfance. La douleur au poumon le reprit. Il détourna les yeux. Tous se mirent à crier d’épouvante.
Une seconde infirmière surgit en courant, escortée d’une aide-soignante. On le coucha sur le côté. On rassembla le plus délicatement possible les tuyaux le reliant à ses machines et à la perfusion. Son pouls s’affola. Le respirateur artificiel s’emballa. On lui entrava le corps, une main sur le thorax, l’autre sur les cuisses. On nettoya ses oreilles, le bord de ses yeux, on passa un gant de toilette sur son torse, sur son pénis, entre ses fesses, on jeta le gant, on en prit un autre. On lui lava le dos. Les infirmières flottaient comme des spectres dans leurs blouses vertes. Derrière leur masque, leurs yeux mi-clos lui souriaient. Il regarda les gouttes translucides de la perfusion reliée à son avant-bras gauche tomber une à une dans la poche de plastique. La lumière se fit plus vive, plus forte. Dans les derniers jours de la vie, le plus ancien redevient le plus jeune. Nous dormons comme des nourrissons. Les premiers mois, l’état de torpeur dans lequel le faisaient sombrer tantôt le progrès de la maladie tantôt les traitements le terrifiait. Puis ce lui fut un soulagement qu’il attendait comme on attend, à la tombée du jour, dans le lit de l’enfance, une histoire, toujours la même, lue par une mère qui, … »

Extraits
« Alors, il embrasse ses yeux, il lui dit qu’elle est une infraction à la loi du jour, qu’il va boire ses larmes et qu’elle ne pleurera plus, qu’elle est belle, et pure, qu’elle fait sa joie, qu’il n’est pas permis d’être si heureux, qu’il va lui montrer ce qu’est la vie bonne, et qu’il se sent tous les courages, et qu’il va l’aimer, malgré tout cette nuit qu’elle a en elle, malgré la peur qu’elle lui inspire, parce que ça fait partie de l’amour.»

«Le cœur lâcha à midi. Il venait de fêter ses trente-quatre ans. Il mourut dans les bras de son père qui, trois ans plus tard, mourut à son tour de chagrin. Ils avaient tous en eux l’espoir que ce ne serait qu’un mauvais rêve, mais en fait, tout cela, ce n’est pas un rêve, tout cela c’est pareil pour tout le monde, tout cela, ce n’est pas grand-chose, tout cela ce n’est que la vie, et, finalement, la mort. On lui ferma la bouche après les yeux. On le déshabilla. On le lava. Puis le corps fut ramené à son domicile. On le recouvrit et on recouvrit tous les miroirs ainsi que tous les portraits d’un drap blanc. On me tint éloignée de la chambre funéraire. On déchira un pan de ma chemise de nuit à hauteur du cœur. Mais personne ne me dit que mon père était mort.» p. 20« Dans les contes de fées, c’est là que l’histoire s’achève. Dans l’espace de la tragédie ordinaire, c’est ici que tout commence. »

« Jusqu’à quel point la manière dont nous pensons que nos parents se sont aimés façonne-t-elle notre propre degré d’idéalisation de l’amour? »

« Et pourtant, un jour, cachés dans la grande pulsation d’une ville cernée de montagne, où l’on pensait ne jamais revenir, on écrit, depuis l’autre côté d’un lac enfin traversé sans s’y noyer, d’une toute petite main, tremblante, honteuse, si peu sûre d’elle, ce que l’on chuchotait déjà dans le noir d’une chambre d’enfance où l’on parlait tout seul aux étoiles et aux planètes de papier collées au plafond. »

« Car ainsi voguons-nous disloqués dans la tempête des années, otages de la mer sombre où l’exil des uns n’efface jamais celui des autres, coupables et victimes du passé ».

« On ne l’arrête pas. Il ne s’arrêtera plus. L’aube vient. Il sort du casino enfumé comme une bouche de l’enfer, les poches vides. Il a vingt-six ans. Il marche, sous les nuages rapides. Ses grands yeux envahis de brume noire regardent la région du ciel où se forme un œuf de plus en plus lumineux. Une bande gris-bleu surmontée de rose s’élève au-dessus de l’horizon. L’ombre projetée de la terre s’étire en un sidérant ballet de couleurs, à l’opposé du soleil. Alors, Harry se met à rire. Il rit comme jamais. Il ne peut plus s’arrêter de rire. »

« Que voulez-vous, vous êtes irrécupérable. Vous avez l’âme noire, vicieuse, d’un serpent peinturluré en biche. Quoi que puisse en penser mon vieux père, que vous avez réussi à berner par vos charmes, comme vous en bernez tant d’autres, moi, je ne vous trouve aucune excuse. Non. Vous n’êtes qu’une concubine entre les mains d’un garçon qui ne sera jamais un homme. Je suis le frère de Harry. Et au nom des miens, au nom de l’état dans lequel vous avez mis mon frère, je vous le jure: vous ne ferez jamais partie de notre famille. Nous ne vous recevrons plus: ni demain, ni les autres jours. AC »

À propos de l’auteur
CHICHE_Sarah_©MANUEL_LAGOS
Sarah Chiche © Manuel Lagos

Sarah Chiche est écrivain, psychologue clinicienne et psychanalyste. Elle est l’auteur de quatre romans : L’inachevée (Grasset, 2008), L’Emprise (Grasset, 2010), Les Enténébrés, (Seuil, 2019) et Saturne (Seuil, 2020) et de trois essais: Personne(s), d’après Le Livre de l’Intranquillité de Fernando Pessoa (Éditions Cécile Defaut, 2013), Éthique du mikado, essai sur le cinéma de Michael Haneke (PUF, 2015), Une histoire érotique de la psychanalyse: de la nourrice de Freud aux amants d’aujourd’hui (Payot, 2018). (Source: Éditions du Seuil)

Page Wikipédia de l’auteur

Commandez le livre en ligne sur Amazon (il suffit de cliquer sur la couverture)

Mes livres sur Babelio.com


Focus Littérature

Tags:
#Saturne #SarahChiche #editionsduseuil #hcdahlem #roman #RentréeLittéraire2020 #rentreelitteraire #rentree2020 #RL2020 #litteraturefrancaise #litteraturecontemporaine #MardiConseil #coupdecoeur #livre #lecture #books #blog #littérature #bloglitteraire #livre #roman #lecture #jaimelire #lecturedumoment #lire #bouquin #bouquiner #livresaddict #lectrice #lecteurs #lecteurscom #bouquiner #livresque #auteur #jaimelire #lectureaddict #litterature #instalivre #livrestagram #unLivreunePage #writer #reading #bookoftheday #instabook #Bookstagram #Book #Bookobsessed #bookshelf #Booklover #Bookaddict

La chaleur

JESTIN_la_chaleur

RL_automne-2019

68_premieres_fois_logo_2019

Logo_premier_roman

Sélectionné par les « 68 premières fois »

En deux mots:
Léonard, 17 ans, passe ses vacances avec ses parents dans un camping des Landes lorsqu’il est témoin d’un drame, la mort d’un garçon, le cou pris dans les cordes d’une balançoire. Au lieu de prévenir la police, il enterre le corps sur la plage. Les vacances se terminent…

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Sur la plage abandonnée…

Victor Jestin nous offre avec «La chaleur» un premier roman initiatique construit comme une tragédie grecque. Sur une plage des Landes le dernier jour des vacances sera désormais un moment inoubliable pour Léonard.

Les premières lignes de ce court roman nous happent avec une scène-choc: «Oscar est mort parce que je l’ai regardé mourir, sans bouger. Il est mort étranglé par les cordes d’une balançoire, comme les enfants dans les faits divers. Oscar n’était pas un enfant. On ne meurt pas comme cela sans le faire exprès, à dix-sept ans. On se serre le cou pour éprouver quelque chose. Peut-être cherchait-il une nouvelle façon de jouir. Après tout nous étions tous ici pour jouir. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas bougé. Tout en a découlé. […] Il était saoul. Les cordes étaient enroulées autour de son cou. Je me suis demandé d’abord ce qu’il faisait là. Je l’avais vu plus tôt danser sur la plage avec les autres. Il avait embrassé Luce et j’avais failli vomir, je m’en souvenais, leurs corps presque nus se détachaient dans le noir. Je l’ai observé désormais seul sur sa balançoire et j’ai compris qu’il mourait. Les cordes l’étranglaient doucement. Il avait fait cela tout seul et peut-être, à en croire son visage, avait-il changé d’avis. Je n’ai pas bougé.»
Après ce moment de sidération les choses vont s’accélérer. Léonard, le narrateur de dix-sept ans qui passe ses vacances avec ses parents dans un camping des Landes, se sent coupable de n’avoir pas tenté de sauver Oscar et a le réflexe de trainer le corps du jeune homme sur la plage et de l’y enterrer avant l’arrivée des premiers baigneurs et avant de regagner sa tente. «Je suis rentré. Sur la route, j’ai croisé un joggeur levé de bonne heure qui rejoignait la forêt. J’ai retrouvé ma tente et je me suis endormi habillé. J’allais vivre ma dernière journée de vacances, la plus chaude – la plus chaude, même, qu’ait connue le pays depuis dix-sept ans.»
Effectivement, les heures qui vont suivre seront très chaudes – dans tous les sens du terme – pour Léonard. Au milieu des préparatifs de départ, il va devoir gérer son forfait et sa conscience, essayer de conclure enfin avec une fille parce qu’après tout, à son âge c’est l’objectif premier de ces vacances et faire bonne figure face à ses parents, la mère d’Oscar et les forces de l’ordre.
Victor Jestin a trouvé le ton et le rythme pour faire de ce roman d’initiation une tragédie classique avec son unité de temps, de lieu, d’action. Un concentré d’émotions qui, à l’image de la météo, vont aller crescendo jusqu’au gros orage qui va finir par éclater. Léonard parvient assez aisément à dissimuler son forfait aux yeux de ses parents et à ceux de Luce, qu’il avait vu embrasser Oscar, et qui se retrouve désormais sans chevalier servant. Même face à la mère d’Oscar, inquiète de la disparition de son fils, il jouera assez aisément le rôle de celui qui n’a rien vu ni entendu. Mais la culpabilité est à l’image de ces vagues de plus en plus chargées qui viennent éroder le littoral. Inexorablement, elle gagne du terrain. Entre l’urgence – il faut s’empresser d’être heureux, de faire l’amour, de réussir ses vacances – et ce besoin d’effacer le drame de la nuit précédente vient s’immiscer le remords. Tous ces gens qui passent et repassent sur la plage sans savoir que sous leurs pieds gît un cadavre laissent imaginer que l’été va s’achever sans que le mystère soit élucidé. D’autant que les recherches se concentrent désormais en mer et que le camping se vide petit à petit.
Le bonheur d’une première étreinte, d’un amour naissant est-il plus fort que cette faute originelle, cette non-assistance à personne en danger? C’est tout l’enjeu de ce roman qui, jusqu’à la dernière ligne, vous tiendra en haleine.

Signalons pour les parisiens une lecture à la Maison de la poésie le 30 septembre 2019

La chaleur
Victor Jestin
Éditions Flammarion
Premier roman
144 p., 15 €
EAN 9782081478961
Paru le 28/08/2019

Où?
Le roman se déroule en France, dans un camping des Landes, en bord de mer.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
«Oscar est mort parce que je l’ai regardé mourir, sans bouger. Il est mort étranglé par les cordes d’une balançoire.» Ainsi commence ce court et intense roman qui nous raconte la dernière journée que passe Léonard, 17 ans, dans un camping des Landes écrasé de soleil. Cet acte irréparable, il ne se l’explique pas lui-même. Rester immobile, est-ce pareil que tuer ? Dans la panique, il enterre le corps sur la plage. Et c’est le lendemain, alors qu’il s’attend chaque instant à être découvert, qu’il rencontre une fille.
Ce roman est l’histoire d’un adolescent étranger au monde qui l’entoure, un adolescent qui ne sait pas jouer le jeu, celui de la séduction, de la fête, des vacances, et qui s’oppose, passivement mais de toutes ses forces, à cette injonction au bonheur que déversent les haut-parleurs du camping.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Les Échos (Alexandre Fillon)
Livres Hebdo (Alexiane Guchereau)
Télérama (Stéphane Ehles)
Le Télégramme (Chantal Livolant)
Toute la culture (Julien Coquet)
Kroniques.com
Blog Mes p’tits lus
Blog Les livres de Joëlle
Blog Loupbouquin


Interview de Victor Jestin à propos de La chaleur © éditions Flammarion

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Oscar est mort parce que je l’ai regardé mourir, sans bouger. Il est mort étranglé par les cordes d’une balançoire, comme les enfants dans les faits divers. Oscar n’était pas un enfant. On ne meurt pas comme cela sans le faire exprès, à dix-sept ans. On se serre le cou pour éprouver quelque chose. Peut-être cherchait-il une nouvelle façon de jouir. Après tout nous étions tous ici pour jouir. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas bougé. Tout en a découlé.
C’était le dernier vendredi d’août. Il était tard, le camping dormait. Restaient les ados sur la plage. J’avais dix-sept ans moi aussi. Je n’étais pas avec eux. J’essayais de dormir et leur musique m’en empêchait. Elle franchissait la dune avec les vagues et les rires. Quand elle s’arrêtait, c’étaient mes parents que j’entendais remuer dans leur tente. Je ne tenais pas en place. Mon matelas gonflable s’enfonçait sur des pierres, le sable collait à ma peau. Parfois le sommeil venait, mais alors quelqu’un criait sur la plage. C’était une espèce de joie féroce dirigée contre moi, une grande danse autour de ma tente. J’arrivais au bout de mes forces. Une journée encore, et les vacances seraient finies.
Cette nuit-là j’ai préféré me relever et marcher dehors. Tout était calme de ce côté. Les tentes et les bungalows se confondaient en ombres. Seul le distributeur de préservatifs continuait à briller. Ça disait « Protégez-vous ». Ça disait Faites-le, surtout. Chaque soir les ados en achetaient, fiers et honteux. Acheter, c’était déjà le faire un peu. Souvent ça finissait en ballon de baudruche et ça crevait dans les airs, comme un nerf qui claque au fond du cœur. Ce camping, j’en connaissais toutes les couleurs. Deux semaines que j’en arpentais les allées, que j’inventais des détours pour faire passer les heures. J’étais allé à toutes les soirées. J’avais fait l’effort. Et chaque fois je m’étais égaré, au bout de quelques verres, j’avais feint d’aller en chercher un autre pour longer le rivage et rentrer sans être vu. Mais je dormais à peine. La musique ne s’arrêtait pas. Quelque chose demeurait soulevé dans ma poitrine et me maintenait tendu jusqu’à l’aube.
C’est dans un détour, cette dernière nuit, que je suis tombé sur Oscar. Je suis passé devant le parc de jeux et je l’ai trouvé sur la balançoire. Il était saoul. Les cordes étaient enroulées autour de son cou. Je me suis demandé d’abord ce qu’il faisait là. Je l’avais vu plus tôt danser sur la plage avec les autres. Il avait embrassé Luce et j’avais failli vomir, je m’en souvenais, leurs corps presque nus se détachaient dans le noir. Je l’ai observé désormais seul sur sa balançoire et j’ai compris qu’il mourait. Les cordes l’étranglaient doucement. Il avait fait cela tout seul et peut-être, à en croire son visage, avait-il changé d’avis. Je n’ai pas bougé. Rien ne bougeait dans ce parc isolé. Les pins montaient haut et voilaient la lune. Soudain, Oscar m’a vu : ses yeux se sont fichés dans les miens et ne m’ont plus lâché. Il a ouvert la bouche mais rien n’est sorti. Il a remué les pieds mais son corps n’a pas suivi. Nous nous sommes regardés ainsi. J’avais voulu parfois qu’il disparaisse, c’est vrai, les autres jours, en le voyant sourire dans son maillot bleu. La musique persistait de l’autre côté de la dune, je reconnaissais le refrain : Blow a kiss, fire a gun… We need someone to lean on… Cela a pris du temps. C’est long, de mourir étranglé. L’instant de sa mort s’est lui-même étiré et m’a échappé. Je me suis simplement senti de plus en plus seul. À un moment sa tête a basculé en avant, ce qui a dû donner un élan aux cordes, car elles sont reparties dans l’autre sens, se sont démêlées de plus en plus vite et l’ont libéré. Il est tombé comme une loque sur le sol souple du parc.
J’avais fait peu de bêtises en dix-sept ans. Celle-ci a été difficile à comprendre. C’est allé trop vite et trop fort. Je me suis approché. J’ai touché l’épaule d’Oscar, puis je l’ai secoué et frappé. Son regard vide a glissé sur moi quand je l’ai retourné. J’ai voulu réfléchir mais des voix sont arrivées depuis la plage. Un petit groupe rentrait dormir. Ils parlaient fort, ils étaient saouls eux aussi. J’ai cru qu’ils pourraient m’écouter. Je les ai appelés mais ma voix n’est pas allée loin, elle est restée près de moi. Ils se sont éloignés en riant. « Vos gueules ! » a crié un campeur depuis sa tente. Ils ont disparu. La musique aussi s’est éteinte sur la plage. Les derniers sont passés. Je me suis tenu debout dans le parc, longtemps, sans me cacher. Enfin j’ai été absolument seul, avec Oscar, qui continuait d’être mort à mes pieds.
J’ai pensé brutalement que je l’avais tué et cette pensée a chassé toutes les autres. Il n’y a plus rien eu que le corps lourd. Et puis, bien nettement, m’est revenu le souvenir d’un grand trou, creusé dans la dune par des enfants cet après-midi-là. Il m’a paru évident qu’Oscar devait disparaître. Je n’ai pas réfléchi davantage. J’ai senti, peut-être, que c’était cela la vraie bêtise, mais je l’ai faite, pour faire quelque chose. J’ai saisi ses jambes. Il n’était pas si lourd. Je l’ai traîné. Nous avons progressé lentement, d’abord dans le parc, puis sur les graviers d’une allée, sur l’herbe d’un emplacement vide, sur une fine couche de sable. Le bruit du corps variait selon la surface. Je me concentrais sur mes gestes pour ne pas songer à autre chose, ne pas savoir ce que signifiaient ces instants. Je traînais un corps, simplement. Avant la dune, j’ai fait une petite pause. Tout était calme. Oscar était si calme. L’air était plus frais, presque agréable. Ce devait être le beau milieu de la nuit. Nous avons grimpé plus lentement encore, nous enfonçant dans le sable, nous accrochant aux chardons. Beaucoup s’y blessaient en courant pieds nus. Enfin, la plage est apparue. Elle était déserte, jonchée de déchets qu’il faudrait balayer le lendemain. Je me suis dit que je pourrais laisser Oscar dans l’eau pour que le ressac l’emmène. Mais la mer était trop basse. Un long chemin me séparait d’elle et j’étais déjà essoufflé. Je m’en suis tenu au trou. J’ai lâché Oscar, j’ai parcouru la dune et je l’ai trouvé sans peine, près du drapeau de baignade. Il n’était pas assez grand. Je me suis accroupi et je l’ai élargi aux dimensions d’un adolescent. Je n’aimais pas le contact du sable qui rentrait sous les ongles et faisait crisser la peau, mais je m’y suis confronté cette fois sans manières, à grands mouvements de bras volontaires. Quand j’ai été satisfait, je suis retourné chercher Oscar. Je l’ai amené jusqu’au trou et je l’y ai fait entrer, les jambes pliées sur le côté. Son visage était sale, plein de poussière. Je l’ai nettoyé du bout des doigts. Puis j’ai rejeté du sable dessus et sur tout son corps également. Cela m’a pris beaucoup de temps. Je ne pensais à rien. J’écoutais mon souffle et le bruit des vagues.
Enfin le trou n’a plus été que du sable, et Oscar, sous terre, a pesé moins lourd. Il a même disparu un peu. Je me suis redressé et j’ai regardé le ciel clair. Une petite musique s’est élevée dans les airs. J’ai compris que le bruit venait d’en dessous. Je me suis remis à genoux et j’ai creusé, défaisant tout mon travail. C’était bien enterré. La musique tournait en boucle. J’ai fini par atteindre Oscar – son téléphone sonnait dans son maillot : Luce appelle. Je l’ai éteint et fourré dans ma poche. Personne ne l’avait entendu. Tous les gens étaient loin. J’ai repris mon souffle et j’ai rebouché le trou, aussi soigneusement que la première fois. »

Extrait
« Je suis rentré. Sur la route, j’ai croisé un joggeur levé de bonne heure qui rejoignait la forêt. J’ai retrouvé ma tente et je me suis endormi habillé. J’allais vivre ma dernière journée de vacances, la plus chaude – la plus chaude, même, qu’ait connue le pays depuis dix-sept ans. On nous avait prévenus. On l’avait annoncé dans les haut-parleurs fixés sur les pins, dont l’un juste au-dessus de ma tête qui me réveillait chaque matin. »

À propos de l’auteur
Victor Jestin a 25 ans. Il a passé son enfance à Nantes et vit aujourd’hui à Paris. La Chaleur est son premier roman. (Source : Éditions Flammarion)

Commandez le livre en ligne sur Amazon (il suffit de cliquer sur la couverture)

Mes livres sur Babelio.com

Focus Littérature

Tags:
#lachaleur #VictorJestin #editionsflammarion #hcdahlem #roman #unLivreunePage. #livre #lecture #books #littérature #lire #livresaddict #lectrices #lecteurs #lecteurscom #bouquiner #livresque #rentreelitteraire #rentree2019 #RL2019 #RentréeLittéraire2019 #LitteratureFrancaise #68premieresfois #primoroman #premierroman
#MardiConseil