Une année folle

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 En deux mots:
Charles et Antoine, qui ont soutenu Napoléon lors des Cent jours, sont arrêtés et traduits en justice. Deux destins, deux vies qui illustrent non seulement cette année folle de 1815 mais aussi l’honneur, la fidélité et… la trahison.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Fusillé pour l’exemple

Après Mousseline la Sérieuse, Sylvie Yvert fait un bond de quelques années pour nous conter Une année folle, celle de1815 à travers le destin de Charles, qui sera fusillé et d’Antoine qui va réussir une évasion spectaculaire.

Imaginez un roman qui raconterait les soubresauts politiques d’un pays qui en un an verrait passer trois régimes différents, enregistrerait l’une des plus humiliantes défaite militaire de son histoire, verrait un roi remplacé par un ex-Empereur, puis ce même roi revenir au pouvoir sans vraiment avoir pour autant l’adhésion de son peuple. Peut-être vous direz-vous alors que l’imagination doit avoir des limites et que le vraisemblable doit toujours présider le romanesque.
Seulement voilà Sylvie Yvert apporte la preuve qu’une fois de plus la réalité dépasse la fiction. Même si la formule peut paraître éculée, elle est tout ce qu’il y a de plus juste. Quand, le premier mars 1815 Napoléon débarque à Golfe-Juan, la France est dirigée par Louis XVIII. Un Monarque qui entend faire respecter son pouvoir et, en apprenant la nouvelle, envoie le Maréchal Ney qui s’était rallié à lui, arrêter ce petit caporal fauteur de troubles. Mais on sait aussi que le retournement de veste va devenir une habitude, non seulement pour lui mais pour de nombreux militaires et politiques. Parmi ceux qui rejoignent Napoléon, on trouve notamment Charles Angélique François Huchet de La Bédoyère et Antoine Marie Chamans de Lavalette.
La belle idée de Sylvie Yvert est de nous raconter cette année si particulière à travers le destin de ces deux hommes qui, s’ils n’ont pas joué les premiers rôles, symbolisent à la fois le tragique et le romanesque de la situation.
Lorsque s’ouvre le roman, la fête est finie. Nous sommes à l’heure du procès de ces aristocrates qui ont accueilli l’ex-empereur à bras ouverts. Charles dirigeait alors un régiment à Grenoble et fera allégeance à l’Empereur lorsque ce dernier croisera son chemin en remontant vers Paris.
Antoine se distingue quant à lui par son rôle d’agent double, en aidant notamment les fidèles à Napoléon à gagner l’étranger, en signant de faux passeports. Ont-ils été des fidèle sou des traîtres. Les chefs d’accusation de conspiration contre l’état et d’usurpation de fonctions sont-ils légitimes?
La suite de l’histoire a beau être connue, elle n’en demeure pas moins passionnante à lire. On y voit deux destinées, deux hommes bien nés se mettant au service de l’État et se retrouvant condamnés à mort pour cela. Des Cent-Jours à Waterloo, du retour de Louis XVIII avec La Seconde Restauration à l’exil à Saint-Hélène, des compromis aux compromissions, il y a dans cette année des rebondissements extraordinaires, des drames déchirants, de la comédie la plus désopilante. On y voit Chateaubriand, Benjamin Constant ou encore le grand Hugo commenter la tempête et avec eux la presse se déchaîner dans un sens puis dans l’autre.
Nous voilà finalement en résonnance avec l’actualité. Car l’autre grande vertu de ce roman est de nous apprendre à la prudence et à la modération plutôt qu’aux emballements trop intempestifs. 1815 nous apprend aussi à être un peu plus lucides face au tourbillon médiatique. Ce n’est pas là la moindre de ses vertus.

Une année folle
Sylvie Yvert
Éditions Héloïse d’Ormesson
Roman
336 p., 19 €
EAN : 978xxx
Paru le 14 février 2019

Où?
Le roman se déroule en France, principalement à Paris, mais aussi en Bourgogne, en Savoie, à Chambéry et surtout Grenoble. On y évoque des voyages en Suisse, à Genève, en Égypte, au Caire

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Entrez dans la danse : une des plus sidérantes années de l’histoire de France commence. Fraîchement débarqué de l’île d’Elbe, Napoléon déloge Louis XVIII pour remonter sur son trône. « Son » trône? Après Waterloo, le voilà à son tour bouté hors des Tuileries. Le roi et l’Empereur se disputent un fauteuil pour deux, chacun jurant incarner la liberté, la paix et la légitimité.
Sur la scène de ce théâtre méconnu des Cent-Jours, deux fidèles de « l’Aigle » sont dans la tourmente. Deux héros oubliés liés par un sens de l’honneur et une loyauté hors du commun qu’ils vont payer cher…
Au bal du pouvoir la valse des courtisans bat la mesure face à un peuple médusé. Chorégraphe d’une tragi-comédie en cinq actes, Sylvie Yvert tisse avec une savoureuse habileté ces destins contrariés. Une fable intemporelle, enjouée et amorale.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Wukali (Émile Cougut)

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« La parole est à l’accusé.
« Messieurs », commence Charles avec résolution.
Son regard droit et ardent s’adresse, tout comme sa voix, aux jurés qui l’écoutent avec sévérité, visages fermés, sourcils froncés.
« Si dans cette journée importante ma vie seule était en cause, j’espère avec raison que celui qui, quelquefois, a su conduire de braves gens à la mort saura s’y conduire lui-même en brave homme. Je ne vous retiendrai pas longtemps… Mais ce n’est point devant vous, messieurs, que je dois appuyer sur le sentiment. Elle passera dans vos cœurs, messieurs, cette conviction intérieure que j’ai, que je proclame hautement, dans ma pensée, dans mon action : l’honneur est intact. »
Ses yeux clairs et francs se perdent maintenant vers les murs de cette salle comble, dont le grain se floute. Puis fixent de nouveau avec gravité ceux qui lui font face, assis sur une estrade semi-circulaire : « Je n’ai ni l’intention, ni la possibilité de nier des faits publics et notoires ; mais je proteste que je n’ai trempé dans aucun complot qui ait précédé le retour de Bonaparte ; je suis même convaincu qu’il n’a point existé de conspiration pour ramener Bonaparte de l’île d’Elbe. »
L’infortuné jeune homme de vingt-neuf ans, à la tournure élégante, est doté d’une physionomie fine et agréable. À peine plus pâle qu’à l’accoutumée, il est vêtu d’une longue redingote verte, conforme à sa haute taille, celle qu’il portait le jour de son arrestation. Belle allure, cheveux blonds implantés à la Chateaubriand, favoris, front haut, petite bouche finement ourlée, nez long et fin, yeux bleus, teint clair, il apparaît dépouillé de ses décorations puisqu’on vient de lui retirer sa Légion d’honneur. Celui qui déclamait naguère sur scène des vers avec fougue veut cette fois donner avec le calme de l’honnêteté les raisons qui ont déterminé sa conduite. Mais à peine a-t-il commencé son plaidoyer qu’il se voit déjà interrompu par un juré redoutant, à juste titre, une défense propre – qui sait ? – à prétendre le sauver. Voici donc ce colonel (ou bien est-il général ?) traduit au conseil de guerre. Il s’est rendu coupable, dit-on, de rébellion et de trahison, après avoir succombé à des sentiments mal éteints. Comprenant qu’il est condamné par avance, Charles ignore les feuillets volants qu’il tient à la main pour passer aux dernières lignes de son exposé, sans se départir de son attitude mêlant douceur et fermeté : « Une grande erreur que je reconnais, que j’avoue avec douleur, a été commise par l’ignorance des intentions du roi ; aujourd’hui les promesses royales sont exécutées, un peuple, se pressant à l’envi autour de son souverain, reconnaît que lui seul est digne de régner et peut faire son bonheur… Peut-être ne suis-je pas appelé à jouir de ce spectacle, ajoute-t-il avec noblesse, mais j’ai versé mon sang pour la patrie, et j’aime à me persuader que ma mort, précédée de l’abjuration de mes erreurs, sera de quelque utilité. »
Sa réparation tardive à l’endroit du monarque impressionne l’assemblée. Ne vient-il pas de nommer l’ex-empereur « Bonaparte », et non Napoléon, comme ces royalistes sincères pour qui Louis XVIII règne depuis la mort du jeune Louis XVII ? Sa sincérité ne fait aucun doute, mais le jury a décidé de faire d’un être d’exception, modeste et droit, un ambitieux vil et déloyal. Qu’on ne s’y trompe pas : malgré les apparences, cet officier voué au service de la France n’a rien d’un courtisan. Il serait aujourd’hui un impeccable serviteur de l’État dans une haute administration en principe apolitique. Rejeton d’une vieille famille de la noblesse bretonne, il appartient à un milieu dont il ne partage pas les idées. Et répond aussi, malgré lui, à cette caractéristique si française qui, depuis la Révolution, regarde tomber les régimes sans jamais éprouver de satisfaction durable. Mais comme son cœur ressemble à son esprit, purs l’un et l’autre, sa destinée ne peut se calquer sur la trajectoire d’un Talleyrand, girouette aux serments successifs, insubmersible Phénix.
L’avocat, qui déclare n’avoir trouvé que grandeur et noblesse dans l’âme de son client, a préféré le laisser parler et demande à ses juges d’offrir à l’accusé la liberté de lire l’entièreté de sa défense. Essuyant un refus, Charles reprend une dernière fois la parole : « Je puis prouver que les faits dont on m’accuse ne sont pas de nature à me faire perdre l’honneur, et du moment où vous m’empêchez de me défendre, je suis exposé à perdre à la fois la vie et l’honneur. »

Extraits
« Baptisé à l’église Saint-Sulpice, Charles est né trois ans avant la Révolution. Ce Breton fier de ses ancêtres venus d’Irlande quatre siècles plus tôt tient-il d’eux son sang bouillonnant? En tout cas, la devise de sa famille lui va comme un gant: Honneur et bienfaisance. Son père était capitaine des dragons auprès de Monsieur, frère de Louis XVI et futur Louis XVIII. Le jeune Charles est élevé entre la rue de la Planche à Paris, le château de Nogent-l ’Artaud dans l’Aisne et le château de Raray dans le Valois, posé près de Senlis, où sera tourné La Belle et la Bête de Cocteau. Ses balustrades offrent de spectaculaires sculptures cynégétiques du XVIIe siècle, uniques au monde, évoquant la chasse au cerf par le truchement de quarante-quatre chiens représentés dans des positions différentes. Souffrant, son père renonce à émigrer mais quitte Raray pour se retrancher à Nogent, château fort sécurisant malgré sa vétusté. De solides principes sont inculqués à l’enfant, dont l’apparente froideur cache mal une vive sensibilité, presque farouche, encore exaltée par ses lectures sur Rome ou la Grèce antique dans lesquelles il puise son culte des héros et le goût de la gloire. Ses auteurs favoris ? Boileau et surtout Racine. Comment ce caractère né entier ne pourrait-il vibrer avec Achille qui accepte la mort par sacrifice pour la patrie dans Iphigénie ?
Charles n’a que six ans lorsque Louis XVI est décapité et ne se souvient pas, adulte, du « jour affreux de sa mort ». Il ajoute cependant qu’il n’a pas éprouvé d’envie de vengeance, que le joug de Robespierre n’a pas pesé sur lui – sa jeunesse l’ayant tenu ignorant « pendant longtemps des crimes de la France ». »

« S’il y a eu un soleil à Austerlitz, c’est aussi parce que, en rentrant de l’expédition d’Égypte, Antoine a aidé Bonaparte à devenir Napoléon. Peu après son mariage de raison, il a quitté provisoirement Émilie pour rejoindre son maître au Caire. La ville poussiéreuse aux étroites ruelles encombrées de chameaux surchargés de ballots, la lumière dorée et la chaleur étouffante le surprennent, comme tout voyageur plongé dans ce mirage oriental qui inspire les poètes. Du bas des pyramides, il contemple ces quarante siècles qui ont précédé le nouvel Alexandre. Sa faveur naissante se confirme lorsque ce dernier lui offre le sabre recourbé du chef ennemi – Mourad Bey – qui vient d’être défait. Antoine se révèle bientôt un compagnon plein de franchise, de gaieté, lyrique à ses heures. C’est ainsi qu’il devient un intime du jeune prodige, tantôt pour suppléer son secrétaire – sa plume et sa subtilité ont été remarquées en sus de ses talents militaires –, tantôt, quand il cesse de parler politique, pour lui faire la lecture, privilégiant les histoires de fantômes dont il est paraît-il friand : « Voyons, monsieur l’enthousiaste, lisez-moi cette fameuse lettre de Lameillerie », demande Bonaparte abrité sous une mousseline pour se protéger des insectes. »

À propos de l’auteur
Née à Paris, Sylvie Yvert a été chargée de mission au Quai d’Orsay puis au ministère de l’Intérieur avant de se consacrer à la photographie. En 2008, elle publie Ceci n’est pas de la littérature, recueil de critiques littéraires, aux éditions du Rocher. Son premier roman, Mousseline la Sérieuse, paru en 2016 aux Éditions Héloïse d’Ormesson, a reçu le prix littéraire des Princes et le prix d’Histoire du Cercle de l’Union interalliée. (Source : Éditions Héloïse d’Ormesson)

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Focus Littérature

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Et moi je vis toujours

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En deux mots:
L’Histoire, le monde tel qu’il fût, tel qu’il est et peut être même quelques pistes pour deviner ce qu’il va devenir, voilà le modeste résumé de l’ultime roman de Jean d’Ormesson avec lequel on se régale à chaque page.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

L’Histoire sans lui

Pour son dernier roman, Jean d’Ormesson réécrit l’Histoire du monde à sa façon, érudite, exaltante, pétillante. Champagne!

« Tantôt homme, tantôt femme, je suis, vous l’avez déjà deviné, je suis l’espèce humaine et son histoire dans le temps. Ma voix n’est pas ma voix, c’est la voix de chacun, la voix des milliers, des millions, des milliards de créatures qui, par un miracle sans nom, sont passées par cette vie. Je suis partout. Et je ne peux pas être partout. Je vole d’époque en époque, je procède par sondages, je livre mes souvenirs. » Le narrateur omniscient de ce superbe roman commence par jeter un œil hors de la caverne où il se reposait pour nous parler de sa vie, de l’invention du feu qui va bouleverser sa façon de voir le monde, de se déplacer, de se nourrir mais aussi ses relations avec les autres. « Longtemps je m’étais déplacé de bas en haut et de haut en bas. Maintenant je marchais droit devant moi, la tête haute, impatient et curieux. Le soleil n’en finissait pas de se lever devant nous. Je découvrais avec ahurissement, avec admiration un monde nouveau dont je n’avais aucune idée: des peuples, des langues, des villes, des religions, des philosophes et des rois. »
C’est ainsi que de fil en aiguille, d’un continent et d’une époque à l’autre Jean d’Ormesson va nous livrer un époustouflant récit, côtoyant aussi bien Alexandre le Grand que Napoléon, des bords du Nil à ceux du Tibre, de Christophe Colomb à Robespierre, du long de la Muraille de Chine aux baraquements d’Auschwitz.
Et moi je vis toujours est un régal de tous les instants, tellement riche qu’on aimerait cocher chaque page, pouvoir réciter tant de passages savoureux, histoire de s’approprier un peu de l’esprit aussi brillant qu’espiègle de cet immortel qui a décidé, ultime pied de nez de l’académicien facétieux, qu’après tout cette immortalité n’était pas faite pour lui, qu’il lui fallait bien un jour aller voir si tout ce qui se dit sur «l’autre côté» avait un semblant de vérité.
S’il nous fait partager son érudition, il nous sert aussi de guide à Vérone: « allez donc à Vérone. Vous y prendrez un repas de rêve aux Dodici Apostoli, vous irez voir les portes de bronze de l’église San Zeno, vous admirerez dans l’église Sant Anastasia le tableau de Pisanello – Saint Georges délivrant la princesse de Tréhizonde – où brille la croupe d’un cheval blanc. Et vous vous promènerez sur le Ponte Pietra où flotte encore au-dessus de l’Adige, le souvenir de Dietrich von Bern. » Bien entendu, il n’oublie pas Venise et ses merveilles, à commencer par les vénitiennes: « J’ai été gondolier à Venise. Je m’appelais alors Marcantonio. Je dois l’avouer: je ramais fort, je chantais assez bien et j’étais plutôt joli garçon. Je promenais de temps en temps sur la lagune la fille d’une de ces familles hautaines de Venise: Bianca Cappello. J’ai eu de la chance: elle est tombée amoureuse de moi. Elle habitait un palais sur le Grand Canal. J’avais un petit logement à San Pietro di Castello, derrière l’Arsenal. Elle avait seize ans. J’en avais dix-neuf. Elle n’avait pas froid aux yeux. »
On passe du coq à l’âne, si je puis dire, que l’on passe des grandes idées aux grands sentiments, du principal au trivial.
Reste la plume virevolante d’un auteur qui parvient à nous faire partager sa jubilation, allant même jusqu’à se mettre dans la peau du Jean d’Ormesson imité par Laurent Gerra en affirmant qu’il a bien connu les auteurs dont il nous présente les œuvres: « J’avais connu beaucoup de monde. J’étais jeune encore. Je n’étais plus un enfant. Tout m’amusait : je m’amusais moi-même. Une occupation nouvelle était entrée dans ma vie : je me mettais à lire. Sinon déjà à Athènes, du moins un peu plus tard, à Rome et à Byzance, je lisais Platon, Sophocle, Hérodote, Thucydide. Je les ai connus. Je peux vous l’assurer: ils ont existé. Ce ne sont pas des inventions de savants fous ou de poètes exaltés. Le talent, le génie se promenaient à l’ombre de l’Acropole: Athènes était alors le centre et la gloire du monde connu. »
Iconoclaste et facétieux, l’ex pilier du Figaro s’amuse à s’imaginer communiste, à trouver la Révolution inévitable et, par un raccourci audcieux, à y mêler sa belle Vénitienne: « Ce n’est ni une invention scientifique ou technique, ni une œuvre d’art, ni un ouvrage de l’esprit. C’est un bouleversement, une idée, une explosion collective. On s’est beaucoup demandé si elle aurait pu être évitée. C’est de nouveau l’histoire de la brioche de Bianca Cappello. La Révolution était nécessaire et inéluctable puisqu’elle a eu lieu. Il n’existe pas de plan B à mon parcours torrentiel. Il n’y a pas d’alternative. À chaque instant, dans la grandeur et la petitesse, dans la justice et la vanité, dans l’enthousiasme et dans l’horreur, ce qui est fait est fait et ne pouvait pas ne pas être fait. La Révolution vient de loin, elle a mûri, elle a été longuement préparée. Elle devient inévitable. Comme l’avait prévu Voltaire, elle éclate comme une grenade. » Et la déflagration est telle qu’elle secoue le monde sur bien des années, emportant dans son sillage bien des rêves de liberté, d’égalité et de fraternité. C’est une chose étrange à la fin du livre que de constater combien Jean d’Ormesson nous manque déjà.

Et moi je vis toujours
Jean d’Ormesson
Éditions Gallimard
Roman
288 p., 19 €
EAN : 9782072744303
Paru le 11 janvier 2018

Ce qu’en dit l’éditeur
Il n’y a qu’un seul roman – et nous en sommes à la fois les auteurs et les personnages : l’Histoire. Tout le reste est imitation, copie, fragments épars, balbutiements. C’est l’Histoire que revisite ce roman-monde où, tantôt homme, tantôt femme, le narrateur vole d’époque en époque et ressuscite sous nos yeux l’aventure des hommes et leurs grandes découvertes.
Vivant de cueillette et de chasse dans une nature encore vierge, il parvient, après des millénaires de marche, sur les bords du Nil où se développent l’agriculture et l’écriture. Tour à tour africain, sumérien, troyen, ami d’Achille et d’Ulysse, citoyen romain, juif errant, il salue l’invention de l’imprimerie, la découverte du Nouveau Monde, la Révolution de 1789, les progrès de la science. Marin, servante dans une taverne sur la montagne Sainte-Geneviève, valet d’un grand peintre ou d’un astronome, maîtresse d’un empereur, il est chez lui à Jérusalem, à Byzance, à Venise, à New York.
Cette vaste entreprise d’exploration et d’admiration finit par dessiner en creux, avec ironie et gaieté, une sorte d’autobiographie intellectuelle de l’auteur.

Les critiques
Babelio
France Info (entretien avec la Héloïse d’Ormesson)
Huffingtonpost.fr 
Marie Claire (Katia Fache-Cadoret)
Vanity Fair (Pierrick Geais)
Le littéraire.com (Jean-Paul Gavard-Perret)
Radio RCF (Christophe Henning)
Ouest-France (Florence Pitard)
L’Echo Républicain (Muriel Mingau)
TV5 / AFP (Alain Jean-Robert)
La Provence (Jean-Rémi Barland)
Valeurs Actuelles (François Kasbi)

Les premières pages du livre:
« Le maître du feu et l’homme au loup
Longtemps, j’ai erré dans une forêt obscure. J’étais presque seul. Peu de voisins, pas d’amis. Pour ainsi dire pas de parents. J’ai à peine connu ma mère qui m’avait donné son lait. Je n’ai guère eu le temps de m’attacher à elle. Mon père n’était jamais là. Il se promenait, il courait les filles, il se battait, il chassait. Il a, lui aussi, disparu assez vite. À vingt ans, j’imagine, ou peut-être à vingt-cinq. Qui le dira ? Pour moi au moins, le mythe du père ne signifiait pas grand-chose. Ma famille était peu nombreuse. Je n’avais personne à qui me confier. Je parlais très peu. Surtout quand j’avais mal, quand j’avais faim ou soif, quand j’avais envie de quelque chose. Je me servais de très peu de mots. Autant que je me souvienne de ma lointaine enfance, je ne pensais à rien. À survivre seulement. Je tenais à la vie. Elle était dure. Dans une nature encore vierge où il n’était question ni de ville, ni d’usines, ni de cette chose merveilleuse, compliquée et pourrie que vous appelez civilisation, je me défendais déjà plutôt bien. J’étais habile et fort. J’aimais jouer. Je grimpais dans les arbres où je construisais des cabanes.
Un oncle ou un grand-père de trente ou trente-cinq ans, qui me paraissait très âgé, qui avait sans doute aimé ma mère et qui, je n’en sais rien, était peut-être mon père, avait pris soin de moi avant de mourir très vieux deux ou trois ans plus tard. C’est lui qui m’a nourri. De fruits, de dattes, de poissons pêchés dans le lac ou dans la rivière, de débris de gazelles abandonnées par les hyènes. Il me protégeait aussi. Des buffles, des rhinocéros, des crocodiles, des lions. J’avais peur des serpents. Il en avait apprivoisé un qu’il gavait de mouches et d’insectes et qu’il faisait danser à coups de sifflet. Il sifflait très bien. Il exprimait en sifflant ses sentiments et ses craintes. Il était très gai. Il vivait sous un gros rocher, dans une caverne où il m’avait recueilli. Je l’aimais.
Je me rappelle très bien ma première émotion d’enfant. J’ai toujours beaucoup dormi. J’aimais dormir. Je me couchais dans la grotte avec le jour, je me levais avec le jour. Une nuit, je ne sais plus trop pour quelle raison, par curiosité peut-être (j’étais déjà curieux) ou peut-être un cauchemar, je me suis levé sans bruit et je me suis glissé hors de la caverne. Il faisait nuit noire. Bien enveloppé dans ma peau de chacal ou de gazelle, je me suis assis par terre, les yeux grands ouverts. Soudain, au fond d’une éclaircie au coeur de la grande forêt, une lueur apparut. À une vitesse incroyable, le soleil se levait. Je poussai un cri. J’avais déjà compris que des forces mystérieuses étaient à l’oeuvre dans le ciel. »

Extrait
« Depuis le temps que nous nous connaissons, vous l’aurez remarqué plus d’une fois: plus souvent que la duchesse de Guermantes, plus souvent que la Sanseverina ou mon amie Nane chère à Toulet, plus souvent que toutes nos héroïnes de roman, j’ai beaucoup changé de vêtements. J’ai porté la tunique, la toge, la cuirasse, le voile, le pourpoint, les hauts-de-chausse, le frac, le froc, le complet veston, la dentelle, la mousseline, la jaquette, le corset, la cotte, la cotte d’armes ou de mailles, la salopette, le heaume, le haubert, le vertugadin, le jean, la crinoline, la soutane. Je me mettais à enfiler la blouse du médecin, de l’infirmière, de la pharmacienne, du laborantin, du technicien. Longtemps traitée par l’indifférence, par le stoïcisme, par le mépris, la santé devient une de vos préoccupations majeures, la clé et le but de la politique et de la science. Les précurseurs, les fondateurs, il était encore possible de les distinguer. Impossible de suivre la médecine et la science dans leurs aventures sans fin et dans leur développement. Elles m’envahissent tout entière. Elles se confondent avec moi comme je m’étais confondue jadis avec les conquérants, les peintres ou les poètes. Vous savez ce que je fais, ce que je n’ai cessé de faire ? Je change. Comme l’univers, la vie, le temps, je change et je reste la même. Je suis toujours là, et vous ne me reconnaissez pas. »

Site Wikipédia de l’auteur

Hommage national à Jean d’Ormesson, éloge funèbre d’Emmanuel Macron © Production France Télévisions

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