L’Épouse

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En deux mots
Vivian et Piper Desarzens s’installent à Gaza dans une villa mise à disposition par le Comité international de la Croix Rouge. Tandis que le mari part en mission visiter les prisons, son épouse cherche un jardinier qui l’aidera à agrémenter son nouveau lieu de vie.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

Un jardin à Gaza

Dans son nouveau roman Anne-Sophie Subilia nous propose de découvrir le quotidien d’un couple d’expatriés partis à Gaza pour le compte du CICR. Une chronique douce-amère depuis l’un des points les plus chauds de la planète.

Un couple d’expatriés emménage dans sa nouvelle affectation, une maison un peu à l’écart à Gaza, en Palestine. Employés par le Comité International de la Croix Rouge, ils bénéficient d’un statut particulier et savent qu’ils ne sont là que le temps de leur mission. Ce qui ne les empêche pas d’engager Hadj, un jardinier, afin que ce dernier plante des arbres, des légumes et des fleurs dans leur cour qui n’est que sable et poussière. Accompagné de son âne et quelquefois de ses fils, le vieil homme s’acquitte de sa tâche sous les yeux de Piper Desarzens, la maîtresse de maison.
Expatriée, elle tue le temps en attendant le retour de Vivian, son mari, parti inspecter les prisons de la région. Son occupation principale consistant à retrouver tous les expatriés au Beach Bar pour y faire la chronique de leur quotidien, se raconter et se distraire en buvant force verres, si les coupures de courant ne viennent pas mettre prématurément un terme à leur programme. Elle profite aussi du bord de mer pour se baigner. Quelquefois, quand l’emploi du temps de Vivian le permet, ils bénéficient de quelques jours pour faire un peu de tourisme, aller visiter Israël.
Si les paysages désertiques du Néguev ou les bords de la mer morte n’ont rien à voir avec ceux du cercle polaire où Anne-Sophie Subilia avait situé son précédent roman, Neiges intérieures, on y retrouve cette quête de l’intime derrière l’exploration de la planète. Il n’est d’ailleurs pas anodin que la meilleure amie de Piper soit Mona, une psychiatre palestinienne. C’est avec elle qu’elle essaiera de comprendre la difficile situation de ce peuple sans pays, la «drôle de vie» qu’il mène. C’est en lui rendant visite à l’hôpital qu’elle constatera la situation difficile des orphelins et qu’elle se prendra d’affection pour l’un d’eux. Jusqu’au jour où on lui annonce qu’il a trouvé une famille d’accueil. Une nouvelle qui pourrait la réjouir, mais qui va la laisser en plein désarroi.
Paradoxalement, cette chronique douce-amère d’un quotidien peu enthousiasmant fait la force de ce roman. Ici, il n’est pas question de politique, encore moins de prendre parti et pourtant, au détour d’une chose vue, d’une difficulté rencontrée pour se procurer telle ou telle chose, on saisit parfaitement le drame qui se noue ici. La vie n’est pas seulement en suspens pour Piper et Vivian, mais pour tous ces habitants qui les entourent. À la différence que pour les expatriés, il existe une porte de sortie…

L’épouse
Anne-Sophie Subilia
Éditions Zoé
Roman
224 p., 17 €
EAN 9782889070251
Paru le 25/08/2022

Où?
Le roman est situé en Israël et en Palestine, principalement à Gaza.

Quand?
L’action se déroule en 1974.

Ce qu’en dit l’éditeur
Janvier 1974, Gaza. L’Anglaise Piper emménage avec son mari, délégué humanitaire. Leurs semaines sont rythmées par les vendredis soir au Beach Club, les bains de mer, les rencontres fortuites avec la petite Naïma. Piper doit se familiariser avec les regards posés sur elle, les présences militaires, avec la moiteur et le sable qui s’insinue partout, avec l’oisiveté. Le mari s’absente souvent. Guettée par la mélancolie, elle s’efforce de trouver sa place. Le baromètre du couple oscille. Heureusement, il y a Hadj, le vieux jardinier, qui sait miraculeusement faire pousser des fleurs à partir d’une terre asséchée. Et Mona, psychiatre palestinienne sans mari ni enfants, pour laquelle Piper a un coup de cœur. Mais cela suffit-il ?Plus que jamais, dans L’Épouse, Anne-Sophie Subilia révèle la profondeur de l’ordinaire. La lucidité qui la caractérise ne donne aucune circonstance atténuante à ses personnages.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Le Blog de Francis Richard


Anne-Sophie Subilia présente son roman L’Épouse © Production éditions Zoé

Les premières pages du livre
« Gaza, janvier 1974
Arrive une carriole tirée par un petit âne brun. Elle quitte la route Al-Rasheed, qui borde la mer, et s’engage dans l’allée à peu près cimentée de la maison. Elle passe la grille restée ouverte et fait halte plus près du mur d’enceinte que de la bâtisse, peut-être pour ne pas se montrer intrusive. L’âne comprend qu’il faut attendre, il piétine. Ses sabots claquent contre le ciment pour chasser les mouches, qui reviennent. Il trouve une touffe de foin dans le sable et entraîne la carriole un peu plus vers la maison. Son maître le laisse brouter. Assis en tailleur dans sa robe, sur le plateau de bois, l’homme regarde en l’air.
La première chose qu’il a cherchée des yeux depuis la route, c’est le drapeau fixé à une hampe au centre du toit-terrasse. Une plaisanterie collective parle du «grand mouchoir sorti d’une poche suisse». Ce jour-là, le tissu blanc ne faseye presque pas et, dans son affaissement, il mange la croix rouge. L’homme qui regarde longtemps ce pavillon flottant pense peut-être que le travail aurait pu être mieux fait pour éviter que le tissu se plisse aux heures creuses. Il éprouve une pointe de déception et de gêne pour les nouveaux arrivants. Leur drapeau ne devrait jamais s’enrouler. On devrait toujours voir la croix entière, même si la plupart des Gazaouis reconnaissent cet emblème au premier coup d’œil.
Il regarde en plissant les yeux, à cause du soleil blanc du mois de janvier. Il continue d’attendre sans oser descendre. Heureusement, les bêtes ne sont pas entravées par les mêmes règles de politesse. L’âne s’agite et commence à braire à sa façon, timide. Trois têtes de dromadaires viennent de faire leur apparition de derrière le mur et se frottent les unes aux autres, le museau bien tendu vers ce qui pourrait se manger. Le terrain d’à côté est une sorte de friche où ces animaux paissent librement. L’âne veut prendre ses distances et entraîne la carriole toujours plus près de la maison. Le maître dit quelques mots en arabe à sa bête, il parle aussi aux dromadaires.
C’est alors que surgit la femme sur le perron à loggia. Elle noue vite ses cheveux, enfile une veste en daim sur sa blouse. On la voit dans l’ombre, les gestes rapides, se retenant d’une main à la colonnade, elle glisse ses pieds dans des mocassins. Elle découvre une scène assez drôle et désolante dans son jardin – une vision un peu anarchique, qui confine aux situations de rêves : une carriole qui tourne sur elle-même, un âne au museau gris, un vieillard muni d’un fouet et trois dromadaires surgis du voisinage, arrachant autant d’herbes hautes que possible. À cet instant, le vieux maître semble incapable de guider sa bête qui caracole et finit par amener la carriole devant les jambes de la dame. Lui la regarde en baissant légèrement la tête. Est-ce un sage ? Un soufi ? Il porte un de ces bonnets brodés magnifiques, un kufi. La couleur bleu roi couronne sa vieillesse. Le couvre-chef lui vient à l’extrême bordure des sourcils et semble reposer sur eux. Ce sont d’énormes sourcils hirsutes, blancs et gris, splendides. Les tempes blanches leur font harmonie sur la peau foncée. On dirait un veilleur, aux rides gorgées d’ombre. Un de ces princes immortels, son bonnet bleu pour seule extravagance. Il touche son front et se présente. Hadj.
Hadj ? La femme semble chercher dans son esprit. Elle remarque qu’il est atteint de cataracte.
Il ajoute «Muhammad, garden».
Ça lui revient, tandis qu’elle fixe le cristallin opacifié du vieillard.
La proposition que leur avait faite le propriétaire, Muhammad, de faire appel aux services de quelqu’un pour le jardin.
— Oh ! Welcome !
Elle cherche du regard les mains de l’homme. L’une d’elles est restée cachée sous le caftan, mais l’autre se laisse entrevoir. À l’embouchure d’un poignet étroit se déploie une main raffinée, qui semble faire l’objet de soins et se ramifie en cinq doigts juvéniles, assombris au niveau des phalanges. Les ongles sont roses.
En pointant l’alliance qu’elle porte à l’annulaire, il lui demande où est son mari.
— Sinaï.
Il dit qu’il peut revenir une prochaine fois.
— Pourquoi ? Restez !
Elle le retient. Faisant le geste de l’invitation et d’une boisson, elle lui montre un endroit à l’abri pour l’âne et file à la cuisine. Dans la pénombre, elle se dépêche de préparer du café. Puis elle se ravise, tranche trois énormes citrons qu’elle presse et coupe avec de l’eau et du sucre de canne. Elle cherche quelques biscuits pour accompagner ce jus. Mais des cafards se sont réfugiés dans le paquet qu’elle secoue au-dessus de l’évier. Elle prend une grappe de dattes.
Lorsqu’elle retourne au jardin avec son plateau, la grille de l’allée est refermée. La cour est vide. Elle voit la carriole s’éloigner sur la route et, dans un nuage de sable et de poussière, bifurquer au carrefour. De dos, la tache claire de la robe qui ne se retourne pas. Seule la trace des sabots dans le sable du jardin atteste qu’elle n’a pas rêvé cette visite. Demi-lunes qu’au crépuscule le vent revenu commence à effacer.
Ils ont trouvé leur logement avec l’aide du bureau du CICR.
Quand le délégué est arrivé en novembre, tout était organisé, le contrat de location, les clés, une assurance et un semblant d’état des lieux. Des prix adaptés aux expats.
L’habitation n’était pas exactement prête, il avait fallu attendre le 10 janvier pour y entrer.
C’est une construction ocre un peu cubique, située à l’extrémité sud de la ville de Gaza, à un kilomètre du centre. Elle est assez isolée. Il n’y a guère que cinq ou six autres bâtisses, plus ou moins habitées, et ces terrains en friche, qui semblent inanimés, déjà rendus au sable, mais où parfois on parque des chameaux.
Au plafond de la loggia, Muhammad a fixé une balancelle en rotin. De là, on regarde la mer pardessus le muret d’enceinte. La maison, c’est comme si elle avait émergé du sable sous la forme d’un cube et qu’elle s’était durcie naturellement à l’air. Elle est sable, et celui-ci entre par tous les côtés. Il y en a dans les mailles du tapis, sous le tapis, dans les dents, à l’intérieur des fruits dès qu’on les entaille. Il crisse et on le croque autant que du sel.
La maison, c’est une poterie en pisé. Mais à l’allure un peu massive, comme peuvent avoir les châteaux de sable ou les plots. C’est ça que la femme a d’abord dit en arrivant, une poterie. Puis elle a dit, un château de sable.
L’un des murs est pistache, parcouru par une frise blanche meringuée. Il y a comme ça quelques détails originaux, comme ces volets de bois en accordéon et les grilles en fer forgé, très ouvragées, protectrices des fenêtres. On se sent tantôt dans une forteresse miniature, tantôt dans une résidence de nantis. L’élément central reste le drapeau de la Croix-Rouge, hissé sur le toit-terrasse, marqueur des zones de conflits. À lui seul, il transforme l’endroit. La femme est fière du drapeau sur sa maison temporaire.
Au début de leur installation, Muhammad, le propriétaire, vient presque tous les jours les aider. La maison qu’il leur loue « meublée » est pratiquement vide. Un lit, une armoire, une grande table à rallonges, quelques chaises. Les prédécesseurs ont finalement tout repris. La salle de bain est en travaux et sent bon le plâtre. Protégé par une bâche, son carrelage hélas fêlé figure un entrelacs d’oiseaux ornés et de grappes de raisin. Une curieuse fenêtre en losange permet d’apercevoir la Méditerranée. Muhammad s’emploie à organiser plusieurs trajets chez des marchands de Gaza. Il présente le couple européen au tisserand, au potier et au vannier. C’est ainsi que leur logis se remplit peu à peu de mobilier, de tapis, d’objets, de corbeilles et textiles de toutes sortes.
Un jour, il arrive en voiture, accompagné du vieux Hadj. Ce dernier porte un costume de flanelle grise raccommodé avec du beau fil rose qui surgit çà et là des coutures. Ils traversent le terrain. Le vieux monsieur se déplace à l’aide de son long fouet qu’il pique dans le sable. À chaque pas, il marque une brève halte et observe le jardin en terrasses inachevées autour de lui, hochant la tête comme si mille et une idées lui venaient à l’esprit, avec lesquelles il est d’accord. Ses sourcils florissants, hérissés, augmentent son expression étonnée et lui donnent un air sympathique et doux. Il boite, ou alors ce sont ses hanches qui le font claudiquer, et suscite la compassion. Muhammad et lui gravissent les quatre marches du perron et attendent sous la loggia après avoir toqué. Le propriétaire fait la conversation pour deux. Hadj, tu as vu mes beaux murs tout neufs ? Il tape du plat de la main sur la partie de façade repeinte en vert pistache. L’autre, mains jointes sur le ventre, se contente de sourire. Le propriétaire fait deux fois le tour de la maison et toque encore. Les clés il les a dans sa poche, mais il n’oserait pas entrer chez ses locataires sans y être invité, et ce n’est pas le but de l’opération. C’est ainsi qu’ils repartent bredouilles cette fois-là.
C’est un samedi quand ils reviennent. Cette fois, grâce à Dieu, il y a tout le monde. Le propriétaire Muhammad, le vieux Hadj, son âne, le délégué et sa femme.
— Here is Hadj. He is a farmer.
Sans attendre, Muhammad confie à la dame les grands sacs en plastique bleu qu’il tient à la main. Pain pita, olives et pistaches. Elle file à la cuisine chercher de quoi leur offrir à boire. Ils s’installent sous la pergola.
Hadj est venu avec ses deux cadets, Samir et Jad. Les garçons attendent près de la grille qu’on leur fasse signe. Pour qu’ils s’assoient eux aussi, on va chercher une planche derrière la maison et deux briques creuses en béton, il y en a des tas disséminées dans le jardin. La femme rapporte un coussin pour le vieux Hadj, qui n’en veut pas. Sur ces bancs de fortune enfoncés dans le sable, tous les six ont les genoux près du menton, mais semblent satisfaits. La lumière hivernale mordore la vigne nue et non taillée qui s’entortille autour de leur petite communauté improvisée du crépuscule. Ils auraient pu se mettre à l’intérieur, au salon par exemple, mais c’était mieux d’être au cœur du propos : au jardin.
Les deux cadets pouffent, intimidés par la femme qui les regarde. Leur père, le vieux Hadj, les gronde en arabe. La femme du délégué a remarqué qu’elle suscitait l’excitation. Son mari lui jette un coup d’œil. Il sort de sa poche de poitrine un paquet de cigarettes pour tout le monde. Hadj tape sur le dos de la main d’un de ses fils qui s’apprêtait à en prendre une. Le garçon glisse ses mains sous ses fesses. Son frère et lui regardent fumer la femme. Elle fume ses propres cigarettes, tirées d’un petit étui en daim. Elle tire longuement sur le filtre en levant le menton vers la voûte en vigne, puis expire en regardant dans le vague. Les deux garçons ont vu de telles scènes dans des films américains. Sans doute sont-ils impressionnés. Elle feint d’abord de ne se rendre compte de rien, puis écrase sa cigarette avant la fin. De dos, sa robe à col rond en flanelle et son catogan laissent entrevoir une nuque creusée et forte. De face, elle partage avec Samir et Jad les yeux verts des chats abyssins.
Le soir approche. L’apéritif se prolonge par des boîtes de thon, des câpres, des anchois, des fromages frais saupoudrés de zaatar. Le propriétaire boit du thé tiède à sa gourde, qu’il passe aux trois autres adultes.
Le délégué lui demande ce que Hadj prévoit de faire dans le jardin.
— Il va planter des choses, explique Muhammad en anglais.
Le délégué dit qu’ils aimeraient bien des fleurs si possible.
Pendant l’apéritif, les garçons commencent déjà à dégager l’une des terrasses les plus encombrées de détritus de chantier. Ils jouent au foot dans le sable, entre les palmiers, avec un petit ballon mousse.
Les voix sous la treille s’assourdissent. La femme enfile un pull en laine que son mari est allé lui chercher à l’intérieur. Il veut savoir quand Hadj commencera.
— Il ne sait pas, traduit Muhammad.
Cela dépend. Peut-être demain, peut-être la semaine prochaine. Mais il viendra régulièrement, soyez sans crainte. Ils n’ont pas encore été capables de conclure le contrat puisqu’aucun chiffre n’a été articulé. C’est la femme qui pose la question, en frottant ses doigts pour évoquer le thème.
— Combien il demande par heure ou par mois ?
Hadj comprend et secoue la tête.
— Il veut avant tout vous être utile, souligne Muhammad, qui se tourne vers le vieux Hadj pour lui rappeler ce dont ils sont convenus. Il faut oser aborder cette question. Tu as une famille à nourrir, Hadj. Tu as des petits-enfants à vêtir. Tu as une ferme dans un état calamiteux.
C’est le délégué qui vient avec une proposition mensuelle. Les horaires seraient libres et sans contraintes, explique-t-il. Hadj pourrait venir seul ou avec du renfort. Simplement, pour l’amour du ciel, plantez-nous des choses dans ce sable, disent ses yeux.
Le vieux Hadj paraît gêné, mais il accepte la somme offerte. Ce soir-là, sous les premières étoiles de Palestine, pendant que deux gamins jouent au foot dans un jardin de sable, on se serre la main.
La femme sort de sa maison dès qu’elle entend le trot des sabots sur la route. Elle voit arriver la carriole tirée par le petit âne brun. Ils s’arrêtent devant la propriété, près du muret. Elle avance vers l’animal, qui se laisse approcher. Rarement elle a vu un si doux visage. La peau fine, couleur taupe, … »

Extrait
« Elle retourne à la cuisine, se penche sur sa lettre et continue sa phrase. C’est que nous avons un jardin de sable. Son collier de grosses perles en bois lui fait un poids au cou. Du menton, elle joue avec. Elle raffole des kumquats, c’est peut-être pour ça que son collier ressemble à une rangée de ces petits agrumes. Elle s’interrompt une seconde pour se gratter le tibia. La maison aussi est remplie de sable, on s’accoutumera. Un rai de lumière entre dans le champ de la feuille de papier. La femme se décale, puis se lève. Elle se hisse sur la pointe des pieds et tire un casier en rotin poisseux. Elle tend encore le bras et saisir l’anse d’une tasse de camping. Chaque vertèbre affleure sous la blouse fleurie. Sa tignasse gonflée remplit le creux de la nuque. Elle s’énerve à chercher le sucre et le café. Quelque chose la fait sursauter, pivoter, guetter. « Vivian, c’est toi? » Mais il n’y a personne dans son dos. Lui est parti à l’aube. »

À propos de l’auteur
SUBILIA_Anne-Sophie_©Romain_GuelatAnne-Sophie Subilia © Photo Romain Guélat

Suisse et belge, Anne-Sophie Subilia vit à Lausanne où elle née en 1982. Elle a étudié la littérature française et l’histoire à l’Université de Genève. Elle est diplômée de la Haute École des arts de Berne, en écriture littéraire.
Elle écrit pour des ouvrages collectifs et des revues, pour la radio ou encore pour la scène avec Hyperborée, performance inspirée d’une navigation le long des côtes groenlandaises. Poète et romancière, elle est l’auteure de L’Épouse (Zoé, août 2022), abrase (Empreintes, 2021, bourse Pro Helvetia), Neiges intérieures (Zoé, 2020, Zoé poche 2022), Les hôtes (Paulette éditrice, 2018), Qui-vive (Paulette éditrice, 2016), Parti voir les bêtes (Zoé, 2016, Arthaud poche 2018, bourse Leenaards) et Jours d’agrumes (L’Aire, 2013, prix ADELF-AMOPA 2014).

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Le parfum des cendres

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En deux mots
Alice se propose de rédiger une thèse sur les pratiques funéraires et va pour cela suivre des thanatopracteurs. Sa rencontre avec Sylvain, qui «sent les morts», va l’intriguer avant de changer sa vie.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

De l’odeur de la mort à un hymne à la vie

Dans Le parfum des cendres Marie Mangez confronte une thésarde et un thanatopracteur. Une rencontre surprenante pour un roman qui ne l’est pas moins.

On devrait toujours choisir avec soin ses sujets de thèse, car ils vont occuper une grande partie de vos études supérieures. Le choix d’Alice Lanier, doctorante en anthropologie, va la confronter à un univers resté par la force des choses très secret, la thanatopraxie.
En décidant de partager le quotidien de Sylvain Bragonard qui depuis neuf ans prépare les corps des morts avant leur inhumation, elle va aller de surprise en surprise. Mais pour explorer ce monde, il lui aura fallu déployer des trésors de patience. Car Sylvain est un taiseux, fermé sur lui-même et réfugié dans son travail. C’est une question en apparence anodine qui va libérer la parole du jeune homme. En se rendant au domicile d’un vieil homme décédé Alice lui demande ce qu’il sent. « Le vieux papier et la bergamote ». Une réponse qu’il explicite et permet à la jeune femme de comprendre les qualités olfactives exceptionnelles de son « objet d’études ». Au fil du récit, celui que sa sœur Aude appelle sa grenouille, en référence au personnage imaginé par Patrick Süsskind dans Le Parfum, va tenter de sortir de la prison dans laquelle il vit désormais comme dans un bocal. « Entre lui et le monde s’élevait cette paroi épaisse et transparente qui l’entourait tout entier, pas d’échappatoire, une prison de verre sans oxygène où l’on ne pouvait respirer ? Il ne pouvait pas. Impossible. Il aurait suffi d’un mot, pourtant, un mot pour leur expliquer ce qu’il vivait depuis toutes ces années; mais ce mot-là, comme les autres, restait enfermé à l’intérieur du bocal. Il ne pouvait que regarder à travers la baie vitrée, regarder les autres vivre alors que lui était mort, asphyxié, mort sans rémission. »
Au fil du récit, on va découvrir les causes de ce traumatisme, voir peu à peu Sylvain retrouver le goût (jamais expression n’aura été plus juste) de ses premières amours, faire de la confiture de piments, se replonger dans les défis de la composition des parfums et se rapprocher des siens et d’Alice.
Il y a dans ce roman l’originalité du choix de la profession du personnage principal, mais il y a bien davantage. La mort omniprésente et la façon d’affronter un deuil, les rêves de jeunesse et la façon dont on les oublie un jour… ou pas, la difficulté de dire sa peine, d’exprimer ses sentiments et cette exploration sensuelle des odeurs et des parfums que le style de la romancière sublime au point que le lecteur se prend lui aussi à « sentir les choses ».
Ajoutez-y une dose d’humour et de poésie et vous obtiendrez d’emblée la confirmation d’un joli talent!

Le parfum des cendres
Marie Mangez
Éditions Finitude
Premier roman
240 p., 18,50 €
EAN 9782363391506
Paru le 26/08/2021

Où?
Le roman est situé en France.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Les parfums sont toute la vie de Sylvain Bragonard. Il a le don de cerner n’importe quelle personnalité grâce à de simples senteurs, qu’elles soient vives ou délicates, subtiles ou entêtantes. Tout le monde y passe, même les morts dont il s’occupe tous les jours dans son métier ¬d’embaumeur.
Cette manière insolite de dresser des portraits stupéfie Alice, une jeune thésarde qui s’intéresse à son étrange profession. Pour elle, Sylvain lui-même est une véritable énigme: bourru, taiseux, il semble plus à l’aise avec les morts qu’avec les vivants. Elle sent qu’il cache quelque chose et cette curieuse impénitente veut percer le mystère.
Doucement, elle va l’apprivoiser, partager avec lui sa passion pour la musique, et comprendre ce qu’il cache depuis quinze ans.

Les critiques
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Psychologies
France Bleu Le coup de cœur des libraires (Marie-Ange Pinelli)
Blog Sur la route de Jostein


Marie Mangez présente son roman Le parfum des cendres © Production Librairie Mollat

Les premières pages du livre
« Bernadette était allongée, paupières fermées, les bras sagement étendus le long du corps. Au cœur de ses joues sillonnées de rides, légèrement affaissées, on distinguait le creux des fossettes, centres névralgiques d’un visage encore animé par des années de sourire. Visage arborant désormais une expression sereine – Bernadette attendait que l’on s’occupe d’elle, remettant placidement son enveloppe charnelle aux soins d’autres mains que les siennes.
Sylvain la contempla avec tendresse. D’un mouvement délicat, le pinceau alla caresser les lèvres de la vieille femme, une caresse minutieuse et colorante. Rouge grenat. Teinte identique à celle du tailleur que la famille avait préparé pour elle.
Ça lui allait bien, cette couleur au parfum de groseille. Sylvain écarquilla les narines, son regard glissa le long de la petite bouche ronde et encore charnue, séductrice, encadrée de plis amers que venaient contrebalancer, un peu plus loin, les deux fossettes rieuses. Et puis, au bout de ses doigts déformés par l’arthrose, ultime coquetterie, une dentelle de vernis écaillé… Groseille, oui. C’était bien ça. Cette fragrance piquante et fruitée. Une bille écarlate qui éclate en jus acide, très acide sous ses dehors pimpants, pas du genre à enrober le palais de douceur sucrée, la groseille, plutôt du genre à le picoter délicieusement – avec, de temps à autre, l’éclair d’amertume des minuscules grains qui cèdent sous la dent…
Il reporta son attention sur le pinceau. Une touche de plus, là. À la commissure. Une touche de plus et Bernadette retrouverait pleinement son arôme de groseille…
« … Et ça vous dérange pas, les odeurs ? »
Sylvain se retourna, irrité. Elle le regardait tranquillement, visage neutre et sourire interrogatif aux lèvres, avec son petit carnet de fouille-merde sur lequel elle grattait sans discontinuer.
« Quoi, les odeurs ? » demanda-t-il sèchement.
Elle ne se démonta pas, son sourire s’adoucit encore, de même que s’arrondirent les inflexions de sa voix, calmement pédagogue :
« Ben, vous savez, des fois, avec les débuts de la décomposition… ça dégage quand même une odeur un peu… putride… Vous la supportez sans problème ? »
Il haussa les épaules et se contenta de lâcher :
« Faut croire que oui. »
Elle hocha la tête, retourna de plus belle à son carnet et lui à son cadavre, non sans mauvaise humeur.
Deuxième jour d’« observation ».
Putain, ça allait être long.

Il avait reçu son appel la semaine précédente, une certaine – c’était quoi son nom déjà ?… ah oui, Alice Kekchose – demandait à pouvoir « observer quotidiennement sa pratique pendant quelques semaines », dans le cadre « d’une thèse sur les thanatopracteurs » (sic) – tu parles d’un sujet – d’ailleurs, curieusement, elle n’avait pas dit « sur la thanatopraxie », mais « sur les thanatopracteurs », Sylvain se demandait à quoi tenait exactement la nuance. En attendant, il avait dit OK – il n’avait jamais su dire non de toute façon, c’est toujours ce qui avait causé sa perte, d’ailleurs.
Et elle avait donc débarqué la veille, était restée plantée à côté de lui pendant toute la journée, avec ses questions intempestives et le frottement désagréable de son crayon sur le papier à grain épais de son carnet bon marché. Ô joie.

Pour l’instant il se contentait de serrer les dents et attendre que ça passe. Mais cette observation, décidément, était indécente : une intrusion malvenue dans son espace intime.
Il faut dire qu’il n’avait pas l’habitude. L’essentiel de son travail s’effectuait en solitaire – ou plutôt, en tête à tête avec les défunts, instant privilégié durant lequel se tissait entre lui et le mort ce lien fragile et éphémère, cette connivence précieuse que la présence d’un vivant venait inévitablement troubler.
Sylvain ne s’entendait pas avec les vivants. Il ne pouvait établir avec eux la même complicité, ressentir à leur égard la même affection qu’envers ces dépouilles vaguement nauséabondes étalées sur la table de préparation. Un fossé le séparait d’eux : le fossé entre la mort et la vie. Ce que ressentaient les macchabées, il le comprenait, et eux semblaient le comprendre aussi, bien mieux qu’aucun vivant. Leur monde à eux, le monde des vivants, Sylvain Bragonard l’avait quitté, sur la route de Grasse, le 21 juillet il y a quinze ans.
2

L’ouverture de la housse, c’était toujours un moment spécial. On ne savait jamais exactement à quoi s’attendre. Instant Kinder Surprise.
Cette fois-ci, à l’intérieur du Kinder, c’était un lot en pièces détachées.
Alice ne put s’empêcher de réprimer un haut-le-cœur. Manque d’habitude. Elle en avait vu d’autres, pourtant, depuis plus de six mois qu’elle accompagnait les thanatopracteurs, mais là, c’était hard. Le bas, pas de souci, mais alors le haut… Sylvain, lui, ne cilla pas. Il se contenta d’observer le crâne pulvérisé et de commenter sobrement :
« Va y avoir du boulot. »
Ce qui ne semblait pas pour lui déplaire.
Deux semaines qu’Alice le suivait quotidiennement. C’était son cinquième thanatopracteur : avant lui, elle avait eu un jeune type boute-en-train expert en blagues gores, une sympathique trentenaire biberonnée à Six Feet Under, un aîné plus grave type majordome discret et minutieux, et puis Farida, ce sacré bout de femme charismatique, au brushing toujours parfait et aux ongles toujours soigneusement manucurés. Et maintenant, ce Sylvain Bragonard. Cinq personnalités différentes, avec leurs méthodes propres, leurs enthousiasmes, et leur attention qui ne s’attardait pas sur les mêmes détails.
Lui, pourtant, n’était pas tout à fait comme les quatre autres. Elle l’avait constaté dès le premier jour. La façon dont il regardait et maniait les corps… Y’avait un truc.

Elle le scruta. Pas vieux – la trentaine ? – des mains fines, délicates, un visage fermé qui ne montrait des signes d’épanouissement que lorsqu’il se plongeait dans la préparation des défunts. Du reste, pas spécialement porté sur la communication.
Elle sentait bien que sa présence lui courait sérieusement sur le haricot. Pas besoin d’un doctorat en intelligence sociale pour interpréter l’expression de ses pupilles dès qu’elle s’avisait d’émettre le moindre son… Elle se faisait donc la plus discrète possible, retranchée dans un coin de la pièce, évitant généralement d’ouvrir la bouche, histoire de ne pas perturber monsieur. Elle avait également remarqué que le bruit même de son crayon paraissait l’irriter ; et, en conséquence, s’abstenait de prendre des notes, s’efforçant de garder en mémoire tout ce qui pouvait être utile, afin d’en noircir son carnet sitôt sortie du funérarium et libérée de cette compagnie légèrement taciturne.
Parfois, malgré tout, elle tentait de tirer quelque chose de cette peu active cavité buccale.
« À votre avis, lui, comment il est…
— Accident. »
Il ouvrit d’un geste sec, précis, la mallette noire contenant une partie de ses instruments, sans jeter un regard à Alice. Puis précisa après quelques secondes :
« Voiture. Ou moto. »
Alice était toujours quelque peu impressionnée par l’assurance avec laquelle ces professionnels se montraient capables, d’un simple coup d’œil, de déterminer les raisons qui avaient amené ces corps inertes sous la pointe de leur bistouri. Sylvain Bragonard, à ce titre, ne faisait pas exception.
Il commença à déshabiller le mort. Le jean déchiré, le T-shirt ensanglanté pour lequel il fallait déployer des trésors de technicité afin de l’extirper par la tête (ou ce qu’il en restait). Sylvain ne découpait jamais les vêtements, si complexe que fût l’opération. Ses mouvements étaient rapides mais doux, presque tendres ; à la précision chirurgicale s’ajoutait un on-ne-sait-quoi de délicatement attentionné, comme si ce qu’il manipulait n’était pas une masse de chairs et de fluides inanimée, mais un être vivant sensible dont il convenait de respecter à la fois les plaisirs et la pudeur.
Et surtout, une fois le corps entièrement dénudé, il prenait toujours quelques instants pour l’examiner sous toutes les coutures – jusqu’ici rien d’extraordinaire – et pour… Alice ne trouvait pas le terme exact. Difficile à décrire. Tiens, c’est ça, voilà qu’il le refaisait maintenant… comme à chaque fois… Le regard intense qui enrobe la dépouille, non pas dans ses détails anatomiques mais dans une forme de totalité, et ces narines dilatées, tendues vers leur cible… Ce corps, il le humait, oui, voilà ! C’était ça. Précisément. Il humait le défunt. Dans une inspiration profonde, comme si sa vie en dépendait. Quelques secondes en suspension, durant lesquelles le reste du monde semblait ne plus exister.
Alice savait qu’il ne fallait absolument pas le troubler à cet instant-là. Elle se contentait d’observer en silence ce réflexe incongru, qu’elle n’avait remarqué chez aucun autre embaumeur de sa connaissance, et dont le sens lui échappait.

Les produits utilisés pour la désinfection du corps dégageaient une odeur chimique passablement désagréable – quoique, jugeait Alice, toujours moins pénible que les émanations naturelles du cadavre. Les mains gantées de Bragonard se promenaient à présent sur les membres du défunt, les caressaient, les frottaient et les malaxaient pour les assouplir. Rien que la procédure classique ; mais ici, il semblait que ses gestes visaient réellement à ranimer les chairs glacées, à leur insuffler, par ce contact, un peu de la vie qui coulait dans les veines de l’embaumeur. Elle ne savait dire exactement à quoi tenait cette différence infime : peut-être à l’intensité avec laquelle Sylvain Bragonard effectuait ces actes routiniers, l’expression étrange qui flottait sur ses traits – pas de la simple concentration, non, c’était définitivement autre chose – ou encore le frémissement de ses doigts minces sur la peau grise du mort…
Celui-ci, de ce qu’on pouvait en juger, contrairement à la majorité des défunts qui atterrissaient sur la table mortuaire, paraissait jeune. Très jeune. Vingt ans ? Alice n’osait pas demander à Sylvain son pronostic sur la question. Un échange de trois mots par session, c’était le maximum qu’elle pouvait espérer – au-delà, les réserves de patience verbale du thanatopracteur atteignaient très manifestement leurs limites.
Avec les autres, la conversation s’était révélée bien plus fluide et naturelle. Une succession de petites discussions informelles, techniques ou plus personnelles, qui s’égrenaient tout au long de la journée, pendant les soins eux-mêmes ou bien, davantage encore, durant les longs trajets en fourgon d’un funérarium à un autre, d’une maison endeuillée à une autre : c’était généralement lors de ces voyages entre deux morts que les langues se déliaient le plus, que le dialogue dérivait insensiblement vers le tout et le rien – ce rien riche de sens qu’Alice recueillait aussi précieusement que le reste – et qu’une forme d’intimité se tissait avec cette thésarde un peu obscure, dont on ne savait pas très bien au fond ce qu’elle cherchait, mais qui les accompagnait quotidiennement depuis des semaines.

Avec Sylvain Bragonard, toutefois, l’intérieur du fourgon, la plupart du temps, ne résonnait que de l’écho du silence. Alice avait bien essayé de lui tirer les vers du nez – c’était son boulot, et elle était habituellement assez douée en la matière – mais le nez en question était toujours resté résolument fermé, gardant pour lui ses potentiels parasites. Tout ce qu’elle avait pu en extirper se résumait à des réponses laconiques, quelques rares commentaires un tantinet borborygmiques, et le minimum syndical de la cordialité.
Pourtant, il ne s’était jusqu’à présent jamais opposé à sa présence (si désagréable cette dernière semblât-elle être à ses yeux) et continuait scrupuleusement à l’informer de ses déplacements professionnels afin qu’elle puisse se joindre à lui. Alice en déduisait qu’il était pris en sandwich entre une tranche de misanthropie en haut, et en bas une autre tranche, plus fine, de désir de contact humain. Restait juste à exploiter au maximum la saveur de la tranche du bas.
Pour ça : essayer d’arranger un entretien. C’était son objectif à court terme. Elle n’en avait pas ressenti le besoin avec les autres, les informations glanées ici ou là au gré des journées passées ensemble lui fournissant largement assez de matière. Mais si lui n’ouvrait pas la bouche sur son lieu de travail, peut-être fallait-il l’emmener sur un autre terrain. Ça se tentait, du moins.
L’opération, cette fois, dura presque dix heures : il y avait du pain sur la planche – en l’occurrence, une tête entière à faire passer du statut de sauce bolognaise à celui de visage humain. La famille avait fourni avec le corps une photo du jeune homme pour aider à la reconstitution, mais Sylvain n’y avait jeté qu’un œil distrait, paraissant agir au feeling bien plus qu’en suivant un rigoureux protocole de copie.
Le résultat, constata Alice, n’en fut pas moins bluffant d’exactitude. Ou plutôt, à y regarder de plus près, moins exact que proprement vivant… Ce qui, à la fin de la journée, se trouvait allongé sous leurs yeux n’était pas une poupée de cire figée ; c’était un garçon endormi, un peu abîmé, mais sous les paupières duquel la vie semblait continuer de battre – et de se battre. Alice en était troublée. Elle ne pouvait détacher son regard de ce corps presque vibrant quoiqu’immobile, le voyant déjà se relever d’un bond sur ses jambes, ciao les gars merci pour le ravalement de façade, j’vais m’faire un p’tit kebab…
Sylvain affichait un air satisfait. Ses traits avaient rarement paru aussi détendus. Il s’était montré intensément concentré durant toute la journée, plus encore que d’habitude, ne levant même pas la tête lorsqu’Alice, au bord de l’inanition, avait fini par sortir s’acheter un sandwich et demandé, au passage, s’il souhaitait qu’elle lui ramène quelque chose. (D’ordinaire, c’était lui qui, entre deux préparations de corps, la plantait là en marmonnant qu’il allait manger et revenait dans vingt minutes.) Et à présent, planait sur son visage la sérénité du boulot accompli.

Il désinfectait et rangeait ses instruments un à un dans les lourdes mallettes noires lorsqu’elle se jeta à l’eau. Une brèche temporaire s’était ouverte dans sa nervosité habituelle : c’était maintenant ou jamais.
« Au fait, à l’occasion… si vous avez le temps… on pourrait discuter un peu ? Ça serait très utile pour mon travail… en complément de l’observation directe, vous voyez. »
Il se retourna, sourcils froncés.
« Discuter de…? »
De vos organes génitaux et des modalités d’élevage du lapin nain, faillit-elle répondre, mais se retint – réflexe professionnel.
« Ben, de votre parcours, de votre perception du métier de thanatopracteur… ce genre de chose… »
Elle accompagna ses propos d’un sourire engageant :
« On pourrait, par exemple, aller se poser dans un café après le travail, si ça vous dit ?
— Un café ?…
Visiblement, non, ça ne lui disait pas. Il la fixait comme si elle lui avait proposé de partir en Sibérie à dos de chameau.
« Ou bien, je sais pas, n’importe quel endroit qui vous semblerait approprié pour discuter… »
Silence.
« Va pour le café, finit-il par marmonner de mauvaise grâce, mais pas longtemps, hein. »
C’était pas gagné, mais toute perche était bonne à saisir : petit pas pour Alice, grand pas pour Sylvain Bragonard et son humanité. »

Extrait
« Comment leur dire qu’il vivait désormais dans un bocal, autrement dit qu’il ne vivait plus, qu’entre lui et le monde s’élevait cette paroi épaisse et transparente qui l’entourait tout entier, pas d’échappatoire, une prison de verre sans oxygène où l’on ne pouvait respirer?
Il ne pouvait pas.
Impossible.
Il aurait suffi d’un mot, pourtant, un mot pour leur expliquer ce qu’il vivait depuis toutes ces années; mais ce mot-là, comme les autres, restait enfermé à l’intérieur du bocal. Il ne pouvait que regarder à travers la baie vitrée, regarder les autres vivre alors que lui était mort, asphyxié, mort sans rémission. » p. 61

À propos de l’auteur
MANGEZ_Marie_©DRMarie Mangez © Photo DR

Marie Mangez vit à Paris où elle s’efforce de plancher sur sa thèse en anthropologie qui la mène régulièrement sur les rives du Bosphore. Le Parfum des cendres est son premier roman (Source: Éditions Finitude)

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Rien ne t’appartient

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Prix des Libraires de Nancy – Le Point 2021

En deux mots
Emmanuel, le mari de Tara vient de mourir. Un deuil qui est l’occasion de retracer son parcours dans ce pays lointain, lorsqu’elle s’appelait Vijaya, lorsqu’elle rêvait à une carrière de danseuse et qui connaîtra sévices et brimades dans le pensionnat qui l’accueillera après la mort de ses parents, opposants politiques. Jusqu’au jour où un tsunami vient tout balayer.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

La fille gâchée

C’est à un nouveau tsunami émotionnel que nous convie Nathacha Appanah avec Rien ne t’appartient. Un court roman, un superbe portrait de femme et des drames en cascade.

Emmanuel est mort. Le mari de Tara la laisse seule et désemparée. Quand Eli, son beau-fils, vient lui rendre visite, il découvre «la femme que son père a épousée il y a plus de quinze ans, cette femme beaucoup plus jeune que lui, ramenée d’un pays ravagé et qui ne parle pas beaucoup, une femme en sous-vêtements, le corps maigre, la peau tannée, une femme qui perd la tête, qui oublie de se laver, qui a transformé un bel appartement en taudis, une femme qui a l’air d’avoir cent ans et qui n’arrive même pas à se lever du canapé.» Même si ce deuil n’est pas le seul auquel elle a dû faire face, même si cette épreuve n’est pas la pire qu’elle ait endurée, elle n’y arrive plus. Car toucher un objet, ranger quelque chose, c’est retrouver des traces de leur histoire, de son histoire. Une histoire terrible, insupportable.
En fait, Tara est une survivante, comme on va le découvrir au fil des pages. Tout avait pourtant si bien commencé dans ce pays qui n’est jamais nommé – sans doute le Sri Lanka – et qui ressemble à un paradis sur terre.
Ses parents, un père professeur engagé en politique et une mère aimante, l’ont baptisée Vijaya (Victoire) et entendent lui construire un bel avenir. En grandissant, elle se passionne pour le bharatanatyan, la danse traditionnelle, elle adore les senteurs de la cuisine d’Aya qui, comme le jardin qui l’entoure éveille ses sens. Au milieu de ce bonheur et de cette soif de connaissances, l’armée va débarquer et tuer ses parents ainsi qu’Aya. L’orpheline est alors conduite dans un refuge qui a tout d’une prison. «Ici rien ne t’appartient» lui explique-t-on avant de lui enlever jusqu’à son nom. Désormais elle s’appellera Avril puisqu’elle est né durant ce mois et sa vie de «fille gâchée» s’apparentera à de l’esclavage.
Jusqu’à ce jour où une catastrophe majeure, un tsunami, déferle sur le pays. Un drame qui paradoxalement sera sa planche de salut. C’est dans le chaos généralisé qu’elle va pouvoir se construire un avenir.
Nathacha Appanah, comme dans ses précédents romans, Le ciel par-dessus le toit, Tropique de la violence ou encore En attendant demain se refuse à sombrer dans le désespoir. Une petite lumière, une rencontre, un chemin qui se dessine permettent de surmonter la douleur. Avec ce monologue puissant elle secoue la noirceur, elle transcende la douleur. De sa magnifique écriture pleine de sensualité, la mauricienne prouve combien les mots sont des alliés importants, que grâce à eux, il est toujours possible de construire, de reconstruire. Et de faire tomber les masques. Je fais de Rien ne t’appartient l’un de mes favoris pour les Prix littéraires de l’automne.

Rien ne t’appartient
Nathacha Appanah
Éditions Gallimard
Roman
160 p., 16,90 €
EAN 9782072952227
Paru le 19/08/2021

Où?
Le roman est situé principalement dans un pays jamais nommé, mais qui ressemble au Sri Lanka.

Quand?
L’action se déroule tout au long de la vie de Vijaya, Avril, Tara jusqu’à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
«Elle ne se contente plus d’habiter mes rêves, cette fille. Elle pousse en moi, contre mes flancs, elle veut sortir et je sens que, bientôt, je n’aurai plus la force de la retenir tant elle me hante, tant elle est puissante. C’est elle qui envoie le garçon, c’est elle qui me fait oublier les mots, les événements, c’est elle qui me fait danser nue.»
Il n’y a pas que le chagrin et la solitude qui viennent tourmenter Tara depuis la mort de son mari. En elle, quelque chose se lève et gronde comme une vague. C’est la résurgence d’une histoire qu’elle croyait étouffée, c’est la réapparition de celle qu’elle avait été, avant. Une fille avec un autre prénom, qui aimait rire et danser, qui croyait en l’éternelle enfance jusqu’à ce qu’elle soit rattrapée par les démons de son pays.
À travers le destin de Tara, Nathacha Appanah nous offre une immersion sensuelle et implacable dans un monde où il faut aller au bout de soi-même pour préserver son intégrité.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Goodbook.fr
France TV Info (Laurence Houot)
lelitteraire.com (Jean-Paul Gavard-Perret)
Libération (Claire Devarrieux)
La lettre du libraire
A Voir A Lire (Cécile Peronnet)
Blog Sur la route de Jostein
Blog L’Or des livres
Blog Mélie et les livres
Page Wikipédia du roman


Nathacha Appanah présente Rien ne t’appartient © Production Librairie Mollat

Les premières pages du livre
« Tara
Le garçon est ici. Il est assis au bord du fauteuil, le dos plat, le corps penché vers l’avant comme s’il s’apprêtait à se lever. Son visage est tourné vers moi et, pendant quelques instants, il y a des ombres qui glissent sur ses traits taillés au couteau, je ne sais pas d’où elles viennent ni ce qu’elles signifient. Je ne dis rien, je ne bouge pas, je ferme les yeux mais mon ventre vibre doucement et la peau dans le creux de ma gorge se met à battre. C’est cette peur sournoise que le garçon provoque chaque fois qu’il apparaît, c’est son silence, c’est sa figure de pierre, c’est sa manière de me regarder, c’est sa capacité à me faire vaciller, perdre pied, c’est parce qu’avant même de le voir j’ai deviné sa présence.
Quand il est là, l’air se modifie, c’est un changement de climat aussi brusque que silencieux, il se trouble et se charge d’une odeur ferreuse et par vagues, ça souffle sur ma nuque, le long de mes bras, sur mon front, mes joues, mon visage. Je transpire, ma bouche s’assèche. Je pourrais me recroqueviller dans un coin, bras serrés autour des genoux, tête rentrée, et attendre que ça passe mais j’ai cette étrange impression d’avoir vécu cent fois ce moment-là. Je ne sais pas quand, je ne sais pas où, pourtant je reconnais cette brise humide sur ma peau, cette odeur métallique, ce sentiment d’avoir glissé hors du temps et pourtant cent fois l’issue m’a échappé. Il me vient alors une impatience comme lorsque je cherche désespérément un mot exact ou le nom de quelqu’un, c’est sur ma langue, c’est à portée de main, au bout de mes doigts, c’est si proche. Alors, malgré la peur qui vient et mon esprit qui flanche, j’abandonne ce que je suis en train de faire et je me mets à le chercher.
Il ne faut pas croire que le garçon se cache ou se dérobe, non, il semble simplement avoir trouvé un endroit où il attend que je le découvre. Une fois, il était au fond de la salle de cinéma, debout, et la lumière de la sortie de secours lui faisait un halo rouge sur la tête. Une autre fois, il était assis sur un banc dans le jardin public et, si ce n’était son visage tourné vers moi, on aurait pu croire qu’il venait là regarder les passants, les canards et la manière dont les branches des arbres se penchent au-dessus de l’eau mais jamais ne la touchent. Il y a une semaine, je l’ai vu qui se tenait sous la pluie, de l’autre côté de la rue. Sa peau avait un aspect ciré, et même transie de peur, j’avais eu le désir troublant d’embrasser sa bouche brillante et mouillée.
Aujourd’hui, quand je rouvre les yeux, il est toujours là, dans ce fauteuil où je m’installe pour lire le soir. C’est la première fois qu’il vient chez moi, je ne me demande pas comment il a fait, s’il a profité d’une porte mal verrouillée, s’il est passé par le balcon, ce n’est pas important, je sais qu’il est tel un animal souple, à se glisser ici, à ramper là, à apparaître sans bruit et à disparaître à sa guise. S’il lui venait l’envie de s’appuyer sur le dossier du fauteuil, de tendre le bras gauche, il pourrait effleurer les tranches de la rangée de livres et prendre dans sa paume le galet noir en forme d’œuf, si lisse et parfait qu’il paraît artificiel. Je l’ai ramassé il y a des années sur la plage de…
La plage de…
Je ne me souviens pas du nom. Ça commence par un « s », je la vois, cette longue bande de sable où les lendemains de tempête, la mer dépose des morceaux de bois flotté. J’essaie de me concentrer, j’imagine la rue principale qui mène à cette plage, la partie haute qui est pavée, les commerces endormis l’hiver et ouverts jusqu’à minuit l’été. Dans ma tête, je fais des allers-retours dans cette rue, j’essaie de tromper ma mémoire, de lui faire croire que je veux me souvenir d’autre chose, c’est ainsi que les choses fonctionnent. Il faut savoir se gruger soi-même. Tant de détails me reviennent avec netteté, la frise d’un magasin de chaussures, l’odeur sucrée des crêpes, la fumée bleue du poulet qui grille sur une plaque improvisée, la poisse des doigts qui tiennent le cornet de glace, le grondement des vagues la nuit, le sel qui paillette le duvet des bras et le bombé des joues, mais pas le nom de cette plage. Quand le garçon est là, il y a un mur entre certains mots et moi, entre certains événements et moi, je tente désespérément de les atteindre mais c’est comme s’ils n’existaient plus. Quand le garçon est là, je deviens une femme qui balbutie, qui cherche, qui tâtonne, qui bégaie, ma langue est lourde, j’émets des sons tel un petit enfant, sa, se, si.
Le tremblement qui avait commencé dans mon ventre se répand en moi. Je me couvre le visage de mes mains, les ramène en poings serrés sur ma bouche et soudain je pense à Eli qui doit arriver dans moins d’une heure. J’oublie le galet, la plage, je regarde à nouveau le garçon qui n’a pas bougé d’un iota.
Il porte un pantalon de toile et une chemise à manches courtes avec une poche à l’avant. Au revers de cette poche, il y a l’agrafe argentée d’un stylo. Ses habits sont trop larges pour lui, empesés, d’un autre temps, comme s’il les avait empruntés à son grand-père. Aux pieds, il a des chaussures vernies qu’il porte sans chaussettes, tel un dandy, mais qui sont, elles aussi, trop grandes. De là où je me tiens, il m’apparaît maigre et sec, peut-être est-ce l’effet de ses vêtements amples. Son visage est celui d’un jeune homme – ses traits sont bien dessinés, fermement ancrés, ses sourcils épais, ses cheveux noirs et abondants mais plus je l’observe, plus j’ai le sentiment qu’il est ancien, qu’il vient de très loin, qu’il a traversé le temps, les époques, les mémoires.
Sa bouche bouge légèrement, peut-être qu’il mâchonne l’intérieur de ses joues, je connais quelqu’un qui fait ça, comment s’appelle-t-il déjà ? On a travaillé dans le même bureau pendant quelques mois, il avait un long cou et aimait jouer au solitaire à l’heure du déjeuner… Son prénom commence par un « d ». Da, de, di.
Le garçon continue de me regarder d’une manière intense qui n’est ni hostile ni amicale. Je me demande s’il lit dans mes pensées, s’il m’entend lutter pour retrouver le nom de cette fichue plage, de ce type au long cou, si ça l’amuse d’être dans ma tête, si c’est une satisfaction pour lui de me voir ainsi, tremblante et confuse. Je cherche une réponse sur son visage, dans la manière dont il est assis, dans son immobilité, dans son attente. Est-ce possible que plus je le regarde, plus il me semble familier, comme s’il se fondait peu à peu dans le décor de ce salon, comme s’il prenait les couleurs du crépuscule. Est-ce possible que ce ne soit pas de lui que j’ai peur mais de ce qui va surgir, tout à l’heure, ce soir, cette nuit ?
Quelque chose le long de ma colonne se réveille quand le garçon est là, de minuscules décharges électriques qui vont et viennent sur mon dos, et ça aussi, j’ai l’impression que c’est ancien, que j’ai déjà éprouvé cela. Mon esprit se comporte d’étrange manière, il m’échappe, puis me revient. Je voudrais lui demander ce qu’il fait là, ce qu’il me veut, pourquoi il me poursuit comme ça, pourquoi il ne dit rien, comment il apparaît et disparaît, je voudrais lui dire de partir. Je voudrais aussi lui demander son nom.
Je regarde dehors, vers le balcon et les plantes éreintées par trois semaines de pluie. Cette nuit, il fera beau, a dit l’animateur à la radio avant de se reprendre. Cette nuit, il ne pleuvra pas. Sur la place que j’aperçois, les arbres sont rabougris. En vérité, tout est comme ça après trois semaines de pluie incessante, battante, bruyante parfois. Même les gens ont pris un aspect chétif, craintif, le dos courbé dans l’expectative d’une saucée. Tout glisse, écrasé ou balayé. Rien ne reste. Seule l’eau est vive, elle bouillonne dans les caniveaux, elle enfle, elle inonde, elle dévale, elle remonte d’on ne sait où, des nappes phréatiques, du centre même de la terre, devenue source jaillissante plutôt que noyau en fusion.
Le gris perle du soir a débordé du dehors et s’infiltre ici. Il y a tant de choses à faire avant qu’Eli n’arrive : me doucher, me changer, me préparer à sa venue. Il m’a dit au téléphone ce matin, Je dois te parler, est-ce que je peux passer ce soir ?
Je sais que c’est important. Eli est le genre à dire ce qu’il a à dire au téléphone, c’est son objet préféré, cette chose qu’il peut décrocher et raccrocher à loisir, qu’il utilise comme bouclier ou comme excuse, un appel remplace une visite, des mots distraits en lieu et place d’un moment ensemble. Je passe le seuil du salon, j’appuie sur l’interrupteur, le gris se carapate et j’ai le souffle coupé par l’état de la pièce. Il y a des tasses et des assiettes sales sur la table basse, des sacs en plastique qui traînent, des vêtements et des couvertures sur le canapé. Par terre, des livres, des magazines, des papiers, une plante renversée, de la boue. Dans ma tête ça enfle et ça se recroqueville. Toutes mes pensées prennent l’eau, deviennent inutiles et imbibées, et puis, non, elles refont surface, elles sont encore là. Quand je vois ce salon, mon esprit se tend et j’ai honte. Cela me ressemble si peu, j’aime que chaque chose soit à sa place. J’aime chaque objet de cette maison, jamais je ne les laisserais à l’abandon ainsi, on dirait une pièce squattée. J’imagine clairement le choc que ça ferait à Eli s’il voyait ça. Je me demande quand tout a commencé, est-ce le jour où le ciel s’est ouvert sur nos têtes, est-ce le jour où j’ai vu le garçon pour la première fois, est-ce le jour où Emmanuel est mort ?
J’imagine Eli ici, la bouche ouverte, les mains sur les hanches, une habitude dont il n’arrive pas à se défaire. À quoi pensera-t-il ? Certainement à Emmanuel, son père, cet homme merveilleux qui m’a épousée il y a plus de quinze ans et qui est mort il y a trois mois ? À cet événement qui m’a rendue veuve, qui l’a rendu orphelin mais qui ne nous a rien donné à nous deux. On aurait pu croire que la disparition de cet homme si bon nous aurait liés comme jamais de son vivant nous l’avons été. L’amour, le respect, l’admiration que nous avions pour Emmanuel, ces sentiments sans objet soudain, auraient pu se rejoindre, se transformer en une affection par ricochet, un lien qui ne se nomme pas exactement mais qui vit en sa mémoire, en son souvenir. Pourtant, non. Eli est resté loin, débarrassé de tout devoir filial, libéré de moi enfin et, devant ce salon sens dessus dessous, me vient cette pensée insupportable que, ce soir, il me verra comme un fardeau que son père lui aura laissé.
Je regarde l’heure, 18 h 07, j’oublie le garçon dans le fauteuil, je soupèse la situation comme si je m’attaquais à un problème de mathématiques. Je respire un grand coup, si je ne me presse pas, si je réfléchis calmement, je le résoudrai. Autrefois, quelqu’un m’avait expliqué comment aborder les mathématiques, c’était dans une alcôve, ça sentait l’eau de Cologne… C’est un souvenir à facettes qui remonte, il clignote, il bouge, c’est flou, je ne veux pas de lui, pas maintenant. Il me faut rester concentrée. J’ai une petite heure, non, disons quarante minutes, avant qu’Eli ne vienne et je sais comment agir : sacs-poubelle, lave-vaisselle, chiffon, aspirateur, serpillière, air frais. Je sens mon cerveau travailler, gagner en force et en souplesse. Je fais un pas vers la fenêtre et mon reflet me renvoie une femme à la tenue négligée mais je me détourne vite – je m’occuperai de cela plus tard. 18 h 10. Je dis haut et fort, Tu ne peux pas rester ici. Je m’adresse au garçon sans le regarder directement. Ce soir, je parle aussi aux murs, aux livres, aux choses inanimées dans ce salon, à ces souvenirs qui m’entraînent loin d’ici et à cette partie de moi-même qui se lève. Quelque chose bouge au coin de mon œil, est-ce lui, est-ce qu’il va se mettre debout, est-ce qu’il va me parler, est-ce qu’il va me toucher, pourvu qu’il ne me touche pas, je vais m’effondrer si sa peau vient effleurer la mienne. Je le regarde dans les yeux et ça gonfle dans ma tête, la pensée d’Eli glisse et m’échappe. J’essaie de m’accrocher à Emmanuel, lui seul pouvait me maintenir debout, me garder intacte et préservée de ma vie d’avant, mais il n’existe plus
Cette couverture roulée sur le canapé qui rappelle un chat endormi ces assiettes où il y a encore des restes de nourriture les tasses les verres les papiers les magazines les vêtements par terre – ça me fait l’effet de pièces de puzzle mal assorties. Je les vois en gris telle une vieille photo, je ne les comprends pas, à quoi bon s’y intéresser, ça ne me concerne pas. Je me tourne vers le garçon assis dans le fauteuil. Il y a des livres et des magazines autour de lui mais je sais qu’il n’a pas marché dessus ou d’un coup de chaussures vernies, écartés de son chemin. Il est assis pieds serrés genoux serrés, les avant-bras sur les accoudoirs. Je l’imagine arriver ici tel un danseur de ballet, virevoltant dans le seul bruissement de ses vêtements amples, évitant les livres les magazines les piles de papiers, posant d’abord un bras sur l’accoudoir du fauteuil, le corps soulevé et tenu par ce seul bras, puis, dans un mouvement fluide, effectuer un arc de cercle avec les jambes et descendre doucement dans le fauteuil. Quand ses fesses se posent, il exécute quelques ciseaux avec les jambes puis les ramène vers lui serrées collées et enfin il laisse ses pieds toucher délicatement le sol. Je souris au garçon danseur parce que moi aussi j’aime danser.
Les bras pliés devant ma poitrine, paumes apparentes, index et pouce de chaque main se rejoignant pour former un œil en amande, les autres doigts tendus, les pieds et genoux ouverts. Tât, je tends un bras vers la droite en frappant le pied droit. Taï, je tends l’autre bras vers la gauche en frappant le pied gauche. Taam, je ramène les deux bras. Dîth, bras droit devant. Taï, bras gauche devant. Taam, les paumes à nouveau devant mes seins. Encore un peu plus vite. tât taï taam dîth taï taam. J’ai déjà dansé sur ces syllabes je ne sais pas d’où elles viennent ni ce qu’elles signifient mais devant le garçon, elles sortent de ma bouche, c’est du miel. tât taï taam dîth taï taam. J’ai le souvenir d’une pression ferme sur ma tête pour que je continue à danser bas, que je garde les jambes pliées, ouvertes en losange. D’un doigt seulement on redresse mes coudes pour que mes bras restent à hauteur de mes épaules, d’un autre on relève mon menton. tât taï taam dîth taï taam.
Il y a quelque chose de moins raide dans la posture du garçon peut-être ai-je déjà dansé pour lui, peut-être est-ce ce qu’il attend de moi ? La cadence s’accélère, j’ai chaud, je voudrais me déshabiller et danser nue avec seulement des grelots à mes chevilles mais je ne les ai pas. Où sont-ils ? Je dois les avoir aux pieds quand je danse ! Je me baisse je rampe sur le tapis je soulève les magazines ils doivent être sous le canapé mais je ne peux y glisser que ma main il faut soulever ce meuble il est si lourd à quoi ça sert d’être une adulte quand on n’est pas fichu de soulever quoi que ce soit. Mon visage est plaqué sur l’assise. Il y a une odeur familière ici que je renifle profondément ça me rappelle quelque chose ça me rappelle quelqu’un qui était là, qui aimait être là, quelqu’un que j’ai essayé de soulever aussi et d’un coup d’un seul je me souviens, Emmanuel
Mon esprit se tend à nouveau. Je devrais commencer par débarrasser le canapé, arranger les coussins, jeter un plaid dessus, ce sera la première chose qu’Eli remarquera, lui qui est si sentimental, qui aime croire que les objets acquièrent une aura mystérieuse, humaine presque parfois, par la manière dont ils arrivent en notre possession, par la force des années ou parce qu’un événement particulier leur est lié. Il est attaché aux choses, une feuille séchée, un caillou, un vieux jouet, un livre jauni, un tee-shirt décoloré, un collier en bois cassé qui appartenait à sa mère, ce canapé. C’est sur ce canapé que son père est mort, il y a trois mois, et capturé dans les fibres des coussins, il y a encore, je le sens, son parfum. Ce n’est pas véritablement son parfum quand il était vivant mais quelque chose qui reste de lui, qui me serre le cœur, qui me ramène à son absence et à tout ce qui s’écroule depuis sa mort. Ces notes de vétiver, une touche de citron mais aussi un relent poudré, un peu rance.
C’est moi qui l’ai trouvé sur ce canapé. Il avait pris l’habitude de venir lire dans le salon. Il se réveillait avant l’aube cette dernière année, il disait qu’il avait de moins en moins besoin de sommeil avec l’âge alors que moi, c’était l’inverse. J’ai toujours eu l’impression qu’en fermant les yeux la nuit je menais une autre vie, je devenais une autre et que jamais mon corps et mon esprit ne se reposaient. Je pouvais dormir jusqu’en milieu de matinée et encore, jamais je ne me sentais reposée.
J’enfouis ma tête entre les coussins, mon esprit est serré tel un poing autour d’une image, celle de son dos large et rond et ses genoux pliés m’offrant à voir la plante de ses pieds. Ce matin-là, j’ai fait du café, j’ai grillé du pain, j’ai vidé le lave-vaisselle, il était déjà 11 heures et je me disais qu’il allait se réveiller avec l’odeur du café et des toasts, le bruit des couverts qu’on pose sur la table. Il n’avait pas bougé et je me suis approchée de lui. Je voudrais me concentrer sur cette minute où je le regarde dormir, oui je suis persuadée qu’il dort, je dis son nom doucement, je pose ma main sur sa hanche, puis je la fais remonter jusqu’aux épaules et jusque dans ses cheveux que je caresse, c’est un duvet si doux, et je me souviens encore de cette sensation sous mes doigts, mon esprit qui est alerte et tendu me le rappelle, me le fait sentir à nouveau. Je chuchote, Emmanuel. Il ne bouge pas. Je touche son front et je me rends compte qu’il est si froid ce front-là et c’est à ce moment que je me mets à le secouer, à hurler son nom et d’autres choses encore. C’est à ce moment que j’ai essayé de le soulever, j’avais dans la tête l’image d’êtres humains qui portent d’autres êtres humains, qui courent, qui tentent de se sauver ou de sauver celui ou celle qu’ils portent, ils font ça comme si ce n’était rien et je pensais que j’étais assez forte pour le porter, le descendre dans les escaliers, sortir dans la rue et demander de l’aide. Mais je n’ai réussi qu’à le faire tomber, à le tirer sur quelques mètres. Ma tête dans les coussins, ma tête à essayer de garder son odeur, ma tête à essayer de ne pas flancher, ma tête qui voudrait que cette minute, avant que ma main ne touche son front froid, cette minute-là s’étire, enfle et devienne une bulle dans laquelle je mènerai le reste de ma vie. Juste cette belle et innocente minute. »

Extraits
« Je ferme les yeux, j’imagine ce qu’Eli voit: la femme que son père a épousée il y a plus de quinze ans, cette femme beaucoup plus jeune que lui, ramenée d’un pays ravagé et qui ne parle pas beaucoup, une femme en sous-vêtements, le corps maigre, la peau tannée, une femme qui perd la tête, qui oublie de se laver, qui a transformé un bel appartement en taudis, une femme qui a l’air d’avoir cent ans et qui n’arrive même pas à se lever du canapé. Si je pouvais invoquer un peu de courage, je lui dirais que je suis encore celle qui aime profondément son père, celle dont il aime les sandwichs, celle qui l’appelle à l’aube le jour de son anniversaire, celle qui n’a jamais voulu remplacer sa mère, celle qui reste éveillée quand il voyage en avion, celle qui a tenté de porter son père à bout de bras, celle qui comprend combien est grande et pesante l’absence d’Emmanuel.
Mes bras n’ont aucune force, aucune utilité, je me fais l’effet d’un animal malade qui essaie de se mettre debout. Eli s’approche alors. Sa main droite enserre mon poignet, il passe un bras derrière moi, sa main gauche vient entourer mon coude gauche et il me relève. Je le regarde et certaines choses étant immuables, je sais que nous pensons tous les deux à la personne qui n’est plus. Eli me soutient fermement, il est si grand qu’il peut certainement voir le dessus de ma tête, je me laisse aller sur lui, je respire l’odeur de la cigarette sur son tee-shirt. Sans rien dire, il se penche et m’aide à remettre ma jupe. Avait-il un jour imaginé prendre soin de son père, se voyait-il faire les courses, venir le week-end pour du menu bricolage, l’emmener à des rendez-vous, ce genre de choses sans relent, sans drame, sans détresse? » p. 32-33

« Quand enfin Rada se tourne vers moi, c’est une vie virevoltante qui commence.
Elle revêt un sari de danse, sort des claves, des clochettes et sur le côté ouest de la véranda, nous commençons le cours par une séance de yoga pour s’échauffer et étirer nos muscles. Puis nous enchaînons avec les adavus, les différentes postures des jambes, des pieds, des bras, des mains, du cou. tât taï taam dîth taï taam. C’est la partie la plus ardue et la plus fastidieuse parce que Rada ne lâche jamais rien. Les adavus sont les lettres de l’alphabet, répète-t-elle, comment tu pourrais lire sans les apprendre toutes, comment tu pourrais danser la bharatanatyam sans maîtriser les adavus? Comment tu pourrais monter sur scène un jour ? Elle appuie sur mes épaules pour que mes genoux restent fléchis, elle remonte mes coudes quand ceux-ci s’affaissent et d’un doigt elle tapote mon menton pour que je le relève, afin que ma nuque soit longue, ma posture élégante. Sous sa voix répétant les syllabes, sous les claquements des claves, j’enchaîne les postures tant qu’elle le demande. » p. 65

« Pendant longtemps, je suis persuadée que la vie est ainsi, découpée en plusieurs bouchées, divisée en plusieurs gorgées. Les bougainvilliers et les hibiscus, les iris d’eau, l’écho de ma voix dans le puits, les fleurs de frangipaniers, le rire de mes parents, la lune qui ensorcelle ma mère, les bananiers et les palmiers, le coassement des grenouilles et le chant des oiseaux, les fourmis en file indienne, les devoirs et les leçons à n’en plus finir, les crêpes fines d’Aya que j’engloutis alors qu’elles sont encore brûlantes, les noix de coco qui tombent lourdement au sol, le nid d’abeilles à l’arrière de la maison, les nuages noirs qui naissent toujours au-dessus du bois et la pluie que j’attends parce que j’aime entendre les premières gouttes sur le toit, la voix de mon père qui ne vacille pas à la radio, les claves de Rada, tât taï taam dîth taï taam. Pendant longtemps je crois que ceux que j’aime et ce qui m’entoure sont éternels. » p. 70-71

« Quand il est là, le garçon me porte là où il n’y a ni violence ni coffre ni bûcher ni peur. Je ne sais pas nommer ce que nous faisons, l’amour le sexe la fièvre l’union le cœur la nourriture l’eau être avoir nos corps étalés comme une mappemonde du doigt de la bouche explorer, mais tandis que nous faisons un et tout cela mon esprit s’apaise et j’imagine des lumières se rallumer çà et là pour tracer un chemin. Tandis que nous faisons un et tout cela je suis vivante et je ne pense plus à retourner chez moi. Je veux être ici et maintenant.
Il m’arrive de danser pour lui sous le grésillement de l’ampoule. tât taï taam dîth taï taam. Je suis le dieu et son élue, je suis à la fois toutes les adoratrices et les rejetées, je suis la forêt et le désert, la fleur qui éclôt et la nuit qui dure. » p. 96

« Pour l’instant, ce rien ne t’appartient ici ne concerne que mon sac et ce qu’il contient. Je ne sais pas encore que ces mots englobent la robe que je porte, ma peau, mon corps, mes pensées, ma sueur, mon passé, mon présent, mon avenir, mes rêves et mon nom. » p. 108

À propos de l’auteur
APPANAH_Nathacha_©Francesca_MantovaniNathacha Appanah © Photo Francesca Mantovani

Nathacha Appanah est née le 24 mai 1973 à Mahébourg ; elle passe les cinq premières années de son enfance dans le Nord de l’île Maurice, à Piton. Elle descend d’une famille d’engagés indiens de la fin du XIXe siècle, les Pathareddy-Appanah.
Après de premiers essais littéraires à l’île Maurice, elle vient s’installer en France fin 1998, à Grenoble, puis à Lyon, où elle termine sa formation dans le domaine du journalisme et de l’édition. C’est alors qu’elle écrit son premier roman, Les Rochers de Poudre d’Or, précisément sur l’histoire des engagés indiens, qui lui vaut le prix RFO du Livre 2003.
Son second roman, Blue Bay Palace, est contemporain: elle y décrit l’histoire d’une passion amoureuse et tragique d’une jeune indienne à l’égard d’un homme qui n’est pas de sa caste. Suivront La Noce d’Anna (2005), Le dernier frère (2007), En attendant demain (2015), Tropique de la violence (2016) et Le ciel par-dessus le toit
(2019).
Ce qui relie tous ces récits, ce sont des personnages volontaires, têtus, impliqués dans la vie comme s’il s’agissait toujours de la survie. Les récits de Nathacha Appanah sont simples comme des destinées, et leurs héros ne renoncent jamais à consumer leur malheur jusqu’au bout. L’écriture, comme chez d’autres écrivains mauriciens de sa génération, est sobre, sans recours aux exotismes, une belle écriture française d’aujourd’hui. Quant aux sujets, ils évoquent certes l’Inde, Maurice, ou la femme: mais on ne saurait confondre Nathacha Appanah avec une virago des promotions identitaires. (Source: Lehman college)

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