Les Orphelines du Mont-Luciole

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En deux mots
Revenant dans les monts du Lyonnais de son enfance, la narratrice constate que les paysages de son enfance sont désormais menacés par les promoteurs immobiliers. Alors, il est plus que temps de replonger dans ses souvenirs et d’essayer de sauver la mémoire des pensionnaires de l’orphelinat, toutes emportées par la grippe espagnole.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

Vie et mort des orphelines

Dans un premier roman qui s’apparente à une quête identitaire, Isabelle Rodriguez revient dans les monts du Lyonnais de son enfance et essaie de sauver la mémoire des orphelines qu’elle croisait alors et qui furent toutes emportées en quelques jours.

Pour raconter son histoire, et celle de sa famille, la narratrice nous parle d’abord d’architecture. De ces bâtiments qui entourent la maison familiale plantée sur les monts du Lyonnais, à commencer par la grande bâtisse au sommet de la colline, l’orphelinat du mont Luciole. En fait, c’est bien plus qu’un bâtiment voué à la démolition. C’est le lieu de toutes les histoires, de tous les fantasmes aussi. Un endroit où étaient rassemblées toutes les orphelines de la région. Jusqu’à ce que la grippe espagnole, au lendemain de la Première Guerre mondiale, ne les tuent toutes, foudroyées en quelques jours avec les religieuses qui les gardaient. Après les avoir toutes enterrées, on a muré les portes d’accès, fermé ce grand bâtiment vide.
Non loin de là se dresse le château des Enjoleras. C’est là qu’une riche famille d’origine espagnole venait passer les étés et qu’elle a remarqué Marie. Sa beauté lui aura permis à la grand-mère de la narratrice de franchir la porte de cette belle demeure, puis d’accompagner ses occupants à la mer. Aujourd’hui racheté par un promoteur du coin, la propriété a été divisée en dizaines de parcelles sur lesquelles des maisons à crépi rose et tuiles romaines ont été construites «parce que les Lyonnais à la campagne aiment rêver de Provence».
C’est face à la disparition de ses souvenirs, mais aussi d’un patrimoine qu’il faut désormais se battre, car il y a encore tant à dire, tant à raconter.
Par exemple son combat pour son identité. Quand ses camarades de classe lui reprochent son patronyme espagnol «dans lequel résonne celui de la grande tueuse», alors elle s’érige en protectrice des orphelines, va rechercher leurs traces. Mais, tout comme celles de ces ouvrières qui œuvraient dans les soieries et contribué à la prospérité de la région, elle ne recueille guère que quelques témoignages. Quand elle découvre le cimetière où ont été ensevelies les orphelines, elle va convaincre une amie de l’accompagner jusqu’à cet autre lieu, lui aussi voué à l’abandon.
Tout le roman est construit sur ces doubles pôles, celui familial avec les ancêtres canuts et historique avec la chronique des orphelines. Les deux trajectoires se rejoignant dans cette envie de préserver leur mémoire respective, de sauver les dernières traces, de ne pas tirer un trait sur ce passé désormais en voie de disparition. Le style vient épouser cette quête, se parant de la poésie propre à l’enfance. Une langue qui s’appuie sur les odeurs et les couleurs, une musique qui laisse toute sa place à la sensualité. Vous l0aurez compris, ce premier roman est riche de belles espérances.

Signalons la Rencontre-performance organisée par la Maison de la poésie le 21 janvier à 19h 30, animée par Samuel Loutaty : infos et réservations

Les Orphelines du Mont-luciole
Isabelle Rodriguez
Éditions Les Avrils
Premier roman
204 p., 20 €
EAN 9782383110026
Paru le 4/01/2023

Où?
Le roman est situé principalement en France, à Lyon et sur les monts du Lyonnais, dans les communes imaginaires de Morneré et Sorcelin (sans doute Saint Sorlin).

Quand?
L’action se déroule il y a une trentaine d’années, puis de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Un retour envoûtant sur les lieux de l’enfance et l’imaginaire qui s’y déploie. Une supplique pour que la mémoire des campagnes ne s’efface jamais.
Des champs sauvages, trois fermes, une école à classe unique à l’ombre d’un orphelinat abandonné. Au village, on dit que toutes ses pensionnaires y sont mortes d’un coup, fauchées par la grippe espagnole au lendemain de la Grande Guerre. On ne sait rien de plus. Une enfant refuse l’oubli. Les orphelines sont ses fées. Alors, quand des promoteurs débarquent pour construire un lotissement à l’endroit de leurs tombes, elle promet de revenir, adulte et conquérante. De sauver la colline et ses légendes.

L’intention de l’auteur
Cette forme d’écoute du monde, je la dois à mes grands-parents maternels, des canuts de la campagne, qui me racontaient les ancêtres, le folklore de la région lyonnaise. Les journaux intimes de leurs parents étaient mes lectures. On m’offrait des aventures vécues là où je posais mon regard. C’était merveilleux.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Actualitté (Barbara Fasseur)
RCF
Blog Baz’Art

Les premières pages du livre
« Dans la cour de l’école, l’ombre déployée depuis l’arrière de l’orphelinat nous parvient en flaques mouvantes. La cour, l’étroite route nouvellement goudronnée devant, les champs autour ; notre village se dissout dans ce contre-jour, se noie au sein de cette pénombre stagnante jusqu’au cœur des étés. Tous logés à la même enseigne, paysages et habitants, tous plongés dans l’ombre de la gigantesque bâtisse, à l’exception singulière du château blanc posé un peu plus haut sur la colline et qui est la plus belle chose que j’ai jamais vue.
L’orphelinat est un bâtiment aux portes murées, aux volets clos et condamnés, campé haut sur ses jambes devant nous ; une large enceinte qui empêche de voir au loin, qui nous empêche d’être vus, nous protège des regards, du vent, des tempêtes, à moins que ses murs de terre ne soient pas capables de résister plus longtemps et finissent par s’écrouler en nous entraînant dans leur chute.
On dit que la bâtisse est fragile, qu’il faudrait la détruire, qu’elle s’effondrait déjà sur ses propres fondations pendant qu’on la construisait, que des hommes étaient morts sur le chantier, sous les éboulements de pisé ; trois morts, avant même d’avoir réussi à faire sortir de terre l’immense édifice, chez nous, dans notre campagne esseulée au milieu de nulle part, avant que n’ait surgi, sur les pentes du mont Luciole, cette maison friable dont une toute jeune fille avait eu la vision à un siècle et demi de nous; friable mais colossale, capable de recueillir toutes les orphelines de la région, assez grande pour les accueillir toutes, vision devenue maison, devenue congrégation dont le fief serait Sorcelin.
Une toute jeune fille née dans les environs, au hameau du Leu, s’était obstinée et l’on avait malaxé la terre des monts du Lyonnais pour fabriquer un pensionnat. La jeune mousselinière avait vu en songe notre colline et voilà que, depuis, s’élève devant nous un bâtiment immense, sa peau d’argile étirée comme une peau de
tambour prête à craquer sous les excroissances de la façade, encore un étage, encore un flanc, la carcasse dilatée jusqu’au fragile, et cette faiblesse affleure sans fin derrière la silhouette massive, dans les plaies du crépi et des murs, derrière les aspérités des bois mangés par le temps. On peut le penser posé là, sans racines ; il est fragile, mais tenace, malgré l’abandon, les décennies de délaissement, malgré l’attente, malgré l’oubli. Ni château, ni immeuble, ni maison bourgeoise, maison de bourg, ferme ou exploitation agricole, plus volumineux que tous les corps des bâtis autour et aussi grand qu’un château pourrait l’être, cent fois plus grand et même plus que le château blanc posé plus haut sur le mont, le trapu et gracile orphelinat pour filles de Sorcelin est un ouvrage singulier, orné d’élégances timides, quelques lucarnes rondes, quelques chiens-assis, des tuiles poinçons aux faîtages des toits à quatre pentes, un clocher élancé, des lambrequins dentelés qui habillent les rives. Mais la construction reste austère derrière ces affèteries, s’entête dans une rigueur rude, appliquée, en dépit de sa ruine ; son ombre garde un sérieux consciencieux quand elle vient caresser les branches de nos platanes, reste sérieuse jusque dans ses caresses.
Au-devant de notre si petit village, le pensionnat désaffecté, écran pare-feu ou enceinte tronquée, grand-voile tourmentée mais résistante, disperse les contours de sa large silhouette, joue à définir ou à flouter les périmètres de notre monde, ce mont Luciole sur lequel jamais ne se résorbe tout à fait la nuit de pierre et de pisé projetée par le volume de l’édifice clos.
Seul le château blanc échappe à la loi ténébreuse. Grand accroc de lumière sur le tissu morose de nos forêts, sa façade a toujours le soleil en plein. La pénombre, c’est pour les autres, pour nous qui ne sommes pas châtelains, pour la cour de l’école, ses platanes, pour les ruelles du bourg, les jardins des pavillons. Ce n’est pas une ombre apaisante de Provence, de bords de mer à l’eau brillante, de cigales ou d’herbe brûlée, c’est une ombre paysanne, résignée, et, s’il me faut décrire le village de Sorcelin, je dis : c’est un village – trois fermes, quelques maisons d’artisans ou de bourg, une école à classe unique pour les dix enfants que nous sommes, une route, une église, un café pour les hommes, une poignée de pavillons en briques ou en parpaings –, un village lové dans les collines du Lyonnais, pas du côté des pierres dorées mais de celui des pierres brunes, avec un je-ne-sais-quoi d’intranquille, de renard endormi, lové dans l’ombre d’un orphelinat à la taille démesurée, massif et grêle, placé au premier plan, à l’endroit de la scène où tomberait le rideau lourd qui jamais ne s’ouvre sur aucun autre décor ; un village qui disparaît derrière un établissement construit il y a plus de cent cinquante ans et abandonné depuis, créé par la seule volonté d’une jeune fille des alentours.
Ici se dresse notre bâtisse faiseuse d’obscurité, ses alignements de fenêtres désormais closes, cinq ou même six étages superposés, des toits doubles encore, des dizaines de dortoirs, les portes murées, les couloirs vides, les lierres agrippés aux façades boursouflées sous leur joug. Elle se dresse là, on ne sait pas pourquoi ni comment, si loin de tout ; le gigantesque pensionnat nous propage sa nuit, sentence irrévoquée.
Les adultes osent parler de lui, dire qu’il faut le détruire, que c’est laid – ils disent cela, eux –, que ça ferait du terrain à bâtir – les promoteurs commencent leur prospection autour de Lyon. Dans la plaine, doucement, les routes s’élargissent, se goudronnent, on croise dessus des 4 × 4 qui rejoignent la ville, les grues assemblent de petits immeubles et des supermarchés –, ils parlent de l’abattre ; alors je leur jette des sorts, terribles. Je fais brûler des feuilles de laurier dont je viens déposer les cendres à leurs seuils, je récite d’infinies listes de malédictions, écrase des fleurs de millepertuis en des bouillies que je vais appliquer sur les murs effrités de mon orphelinat pour que tous restent à distance. Que celui qui s’approche à moins de un mètre soit pétrifié comme pierre, liquéfié comme mercure, soufflé comme poussière.
Car je l’aime, moi, cette nuit qui ne s’échappe jamais de nous, nous constitue, prend toute la place dans notre paysage. J’aime le réconfort des longs manteaux légers et froids dont elle nous vêt ; je reconnaîtrais sans erreur son parfum au milieu de mille autres. Aucune obscurité ne porte la même odeur, je saurais distinguer celle des platanes, acide, de celle du pisé, humide jusque dans les canicules, terreuse, et la nôtre par-dessus encore ; l’ombre emprunte à sa matrice quelque chose d’elle, et celle de l’orphelinat dépose sur nous le voile de ses silences, épand en nous une saveur aigre-douce d’insolubles mystères.
Le pensionnat est le roi de notre royaume, déployant face à nos regards sa large façade arrière, la plus sévère, la plus fermée, à la manière dont un chat boudeur aurait tourné le dos. Mais nous nous sommes apprivoisés lui et moi, et je lui laisse prendre avec joie toute la place qu’il a à prendre, concrète et impalpable, toute l’emprise au sol sur notre colline et toute la place dans les histoires que je me raconte, puis que je raconte aux autres, à l’école.
Dans la cour, les deux platanes projettent leur ombre sur la grande ombre originelle, elles se mêlent sur le gravier et les heures de récréation sont consacrées, entièrement, à l’histoire de la grande maison : il s’est passé quelque chose, quelque chose de terrible que nous ne savons pas ; moi j’invente, scénario après scénario : ça a été si terrible que les orphelines disparues sont revenues en fantômes, sont revenues hanter Sorcelin au point d’empêcher le jour d’y venir, au point de le plonger dans la nuit. L’ombre n’était pas aussi grande avant leur départ et je dis que cette ombre, que certains ne supportent plus, est la meilleure des preuves que leurs fantômes veillent, soucieuses. Je dis que cette ombre a été noircie par elles pour que l’on se souvienne, que l’on se souvienne pour toujours des filles qui ont disparu en laissant notre paysage à l’abandon, désolé, avec son orphelinat qui trône là, échoué comme un navire sur les côtes rugueuses d’une île désertée – si on me disait que nous sommes des naufragés, je le croirais sans doute.
Moins on se souviendra d’elles, plus l’ombre règnera. Elles sont revenues en fantômes, car elles sentent bien que nous les oublions, que nous ne cherchons pas à savoir ; elles refusent l’oubli que la destruction de leur maison finirait de sceller. Elles aussi nous ont jeté un sort : si le soleil arrivait sur notre village qui ne connaît pas cela, qui ne sait rien de cette étreinte, tout brûlerait, hommes et bêtes, maisons et prés. Et ce que je raconte, à force d’être raconté, entrera dans notre folklore et plus personne n’osera s’approcher du pensionnat ni n’osera le menacer.
Où iraient mes fantômes si leur ombre disparaissait ? Je peux les entendre elles-mêmes, mes orphelines, me dire tout cela. Elles ne dorment pas tranquilles, je sens leur inquiétude, leur façon de s’accrocher à notre village, de vouloir rester dans notre langage. Elles sont parties enfants ; je ne veux pas partir enfant. Je veux le temps de grandir, de faire, de fabriquer, de sauvegarder ; devenir adulte et acheter l’orphelinat. Je n’y ferai rien, je n’y habiterai pas, mais plus personne ne pourra le prendre au mont Luciole. Je ferai peut-être ôter les parpaings des fenêtres et des portes pour que le vent circule plus librement à travers lui, pour laisser passer un peu de lumière si je sens les filles rassurées – derrière l’orphelinat, nous avons le monde à nos pieds, qui s’étend comme la mer jusqu’aux silhouettes dentelées des Alpes. Je trouverai quelqu’un qui saura leur existence et expliquer pourquoi ce grand ciel lourd au-dessus de nous.
Je voudrais ne jamais partir d’ici. Je voudrais que rien ne vienne déranger notre paysage, qu’il soit toujours, en hommage, ainsi qu’il était lorsqu’il était le territoire des
petites filles dont personne ne connaît le destin.
Je chéris les secrets qui planent sur Sorcelin, qui se malaxent dans mes récits, saison après saison, se transforment dans mes histoires ; que les orphelines deviennent des héroïnes mille fois et de mille façons racontées, que les malédictions circulent, que les adultes aient peur à leur tour. Je savoure à pleine bouche notre chance d’avoir devant nous les fenêtres closes de l’orphelinat, de voir jouer à nos pieds ces brumes à la façon de marionnettes floues, de silhouettes de nuit, d’étranges morceaux d’obscur ; quelle chance, je mange toutes les hypothèses folles avec voracité, nous sommes le lieu où les fantômes viennent. Le soir, en passant devant le pensionnat fermé, qui n’a pas entendu les souffles de ces filles qui hantent la contrée ? »
Il s’agit d’apprendre à prêter l’oreille aux chants sourds de notre campagne, aux mystères des disparues de Sorcelin, qui épaississent encore la nuit indélogeable de notre colline, ce mont Luciole qui, jamais, ne se prélasse au soleil.

Les fantômes de l’orphelinat ne m’ont jamais fait peur. J’aimerais apprendre à leur parler, je dis souvent des mots en l’air pour les leur donner. Je m’applique, aussi consciencieusement que je le peux, à examiner chaque chose qui pourrait rendre compte de leur présence et de leurs voix.
Étendue sur la moquette de ma chambre, jusqu’à ce que la nuit arrive enfin, je remplis des cahiers de fables et de contes qui ne parlent que d’elles, leur invente des jeux, des prénoms, dessine les plans de leur pensionnat sur des assemblages soigneux de feuilles A4 qui recouvrent tout le sol de la pièce. Elles me disent, sans avoir besoin de me parler, que je ne suis pas seule sur mon île, que dans mes pas d’autres pas se sont posés avant les miens, que dans mes rires d’autres rires ou bien dans mes larmes d’autres larmes ont vécu et elles rendent ces larmes moins acides sur mes joues. J’espère les voir, les surprendre, fugaces, pour recueillir des preuves, j’apprends à être vigilante, attentive aux moindres changements de lumière, de teinte, de chaleur. J’ai tant appris à sentir que le soir, souvent, il faut me glisser des compresses imbibées de gros sel ou de poudre de charbon sous le nez pour me permettre de dormir.
Mes fantômes ne sont pas des apparitions de fêtes foraines, des linceuls flottants aux plaintes terrifiantes ; les filles sont là, sans avoir besoin d’apparaître, elles sont simplement ici chez elles, plus chez elles que nous qui sommes arrivés plus tard sur la Terre, voilà ce que je me dis quand je rentre doucement, en rapetissant chacun de mes pas sur le chemin du retour après l’école, ce chemin bien trop court pour avoir du temps pour rêver ; elles sont dans tout ce qui perce à travers l’odeur de la nuit, dans tout ce qui la rend belle ou inquiétante, dans toutes les douleurs et dans les joies trop grandes, dans tout ce que, grâce à elles, j’apprends à regarder.
Elles se glissent dans chaque moment que je souhaiterais retenir, dans tout ce que je me promets de ne jamais oublier, dans l’épaisseur de la buée que je souffle sur la vitre pour dessiner dedans, dans les heures tranquilles d’étude quand la fenêtre est ouverte en plein sur la campagne fixe. Elles sont dans les herbiers, fleurs séchées gardées comme trésors, dans les notes du piano maladroites sous mes doigts, dans le goût trop marqué des cassis qui claquent sous nos dents, dans les évanescences des pollens. Elles sont dans tout ce qui était là avant nous et qui ne bouge pas, dans le temps qui colle à notre peau comme les suées de printemps accrochent nos cheveux à nos joues, dans l’immobilité des jours, dans les silences d’après les questions que je pose, dans le silence d’entre mes mots, dans l’éclipse qui vient parfois quelques minutes l’été ajouter une nuit supplémentaire sur la nuit infinie de notre mont, dans les sillons des vinyles qui chantent Brel ou Barbara, dans le ronronnement du chat. Elles sont avec moi quand je suis seule, dans ma chambre à l’arrière du pavillon, dont la fenêtre donne sur la forêt du mont Luciole, sur son sommet qui croule sous les arbres noirs ; elles sont là chaque fois que je suis seule encore, assise en tailleur, entre la porte du bureau et la bibliothèque en bois, le beau recoin pour lire sans que personne ne songe à moi, elles sont là quand la planète entière semble m’avoir oubliée, quand les journées s’étirent dans les trop grands silences, ou dans le capharnaüm des cris et des drames mille fois répétés qui se jouent près de moi. Elles m’apprennent à regarder ailleurs, à voir ce que je peux trouver beau, me rappellent que le temps des vivants n’est pas le seul temps que notre corps connaîtra et qu’il faut bien trouver autour de nous des choses pour les aimer.
Entre les fées et les fantômes, je ne sais pas bien la nuance ; mes fantômes adoucissent la vie comme les magiciennes de Cottingley ont laissé des ailleurs merveilleux apparaître dans les jardins de la campagne anglaise. Sans elles, sans leur présence légère mais remarquable à chacun des endroits de ma vie, à chaque endroit facile ou douloureux, le village de Sorcelin ne serait rien d’autre que ce qu’il a jamais été, un simple chemin, devenu avec le temps une route carrossable, mais tellement étroite que deux voitures ne s’y croisent pas partout. Le village n’a jamais été que cela, une route entre deux grands virages qui se plient aux rudes dénivelés des monts du Lyonnais, de chaque côté de laquelle se nichent trois ou quatre exploitations agricoles, leurs baignoires rouillées sous les préaux, une place au sol en terre, trois maisons de bourg et l’église courbées les unes au-dessus des autres, figées en messes basses. Contre l’église, le monument aux morts, un modeste obélisque en pierre grise, à côté le café pour les hommes, pas ouvert tous les jours, qui vend depuis cent ans des cigarettes – quand c’est fermé on peut tout de même toquer à la fenêtre du bas –, plus loin l’école et la mairie que la IIIe République a éloignées du clocher, depuis les années 1980 quelques pavillons posés comme des verrues sur les pentes de ces monts dont nous sommes ceints. À la sortie, côté sud, un sanctuaire à l’image de celui de Lourdes, sa grotte miniature, sa statue de sainte Bernadette, un sanctuaire construit sur les ordres d’un abbé condamné après la Seconde Guerre mondiale. Et heureusement, en contrebas du village, à ses pieds, heureusement, le monumental orphelinat, la maison des petites sœurs, démesurée, disproportionnée, qui nous offre des histoires à inventer et derrière laquelle je me blottis, noyée dans le secret de l’abandon des lieux, en compagnie des fées qui embellissent ma campagne comme les bourgeons embellissent les branches, et qui veillent sur moi.
Elles sont des bijoux d’enfance que je me plais à porter, à la façon dont on se pare des doubles cerises en lourdes boucles d’oreilles quand le cerisier donne enfin, et si j’entends des bruits étranges lorsque je marche dans la forêt, qu’un corbeau vole un peu trop bas, un peu trop près, qu’un jouet tombe tout seul de l’étagère, que l’orage me surprend en balade, je n’ai pas de crainte, je me dis simplement qu’elles ne sont pas loin et que tout cela est de leur fait. Je me dis simplement qu’elles veillent sur moi.
Ce qui est beau est toujours menacé, à l’abandon ou bien inaccessible. Il me faut bien la force de mes fées pour soigner ma colère, pour ne pas détester ceux qui sont incapables de voir ce que je déclare merveilleux ; des travaux autour de l’église ont été faits sans soin, on a creusé pour faire passer des câbles, les anciens villageois enterrés ont fini dispersés par les enfants et par les chiens – mon frère avait ramené au pavillon un os humain. Un énorme tibia, plein de terre. Personne ne s’est soucié de la perte. Tout est bousculé sans tendresse, pourtant les lieux aussi réclament qu’on les aime.
Nous avons cette réplique de la grotte de Lourdes et personne ne vient espérer de miracles. Personne pour venir se faire miraculer. Le sanctuaire n’est indiqué nulle part, sur aucun panneau, je ne sais plus quel hasard m’a conduite un jour jusqu’à lui. De longues lianes de vigne et des broussailles forment un rideau épais qui occulte l’intérieur en rocaille de ciment; les herbes poussent sous les décors désagrégés, laissant apparaître les structures en fer soudées qui leur donnent leurs formes minérales. Il faut attendre l’hiver pour avoir une chance de voir au-delà de l’écran de ronces calcinées par le froid, et alors on aperçoit derrière une immense grille à pointes qui empêche de trop s’approcher, l’autel, la niche, la statue, un porte-cierge, tout ce qu’il faut pour que des pèlerins viennent, tout est prêt.
Derrière la grotte en faux cailloux, il y a une salle construite dans la vraie roche, une salle qui a dû être une chapelle, aux vitraux de couleur couverts par les lierres, qui ne captent plus beaucoup la lumière. Elle est remplie de bancs amoncelés en désordre et de statues couchées au sol. Il suffirait d’un seul miracle pour que le lieu soit sauvé, qu’il attire des humains pour prendre soin de lui ; mais le miracle ne se produit pas, ne s’est pas produit, et personne n’a même pris la peine de fermer à clef la salle des statues.
Je demande souvent à la Vierge de me miraculer. Ce ne serait pas trop spectaculaire, j’aurais bien du mal à le prouver, à le faire reconnaître. Il ne s’agirait pas de me faire offrir des ailes ou le don d’ubiquité – ce serait sur le champ validé ; je lui demande d’extraire l’étrange tristesse qui plane sur le mont, dans l’histoire de tous ceux qui sont passés par Sorcelin et qui ont espéré des choses jamais venues, qui ont espéré autre chose de leur vie, un autre destin. Je dois mal exprimer ma demande, je dois être trop imprécise, confuse, sûrement parce que ma tristesse est une étoffe compliquée à décrire. Je la remercie quand même d’être là, dans un lieu où chantent les fantômes, où la frontière avec leur monde est si mince, plus fine que n’importe où ailleurs sur la Terre. Je l’ai déjà mon miracle, c’est celui d’habiter ici.
La jeune mousselinière du hameau du Leu a construit son orphelinat sur notre mont, elle en avait eu la vision, c’est ici qu’elle est venue pour répondre à l’appel qu’elle avait entendu ; pourquoi notre village n’est-il pas devenu aussi connu que d’autres, pourquoi avec son histoire fabuleuse ne le protège-t-on pas ? Sorcelin a été choisi pour accueillir une réplique de Lourdes ; c’est bien qu’on a senti chez nous la possibilité du miracle, ou même compris qu’un miracle était déjà en cours.
Je voudrais ne jamais quitter Sorcelin.
Je voudrais que jamais il ne change. »

Extraits
« Le château des Enjoleras est passé dans d’autres mains, une fois de plus, ce qu’il restait de parc a été vendu en terrains à lotir, acheté par un promoteur du coin, un fils du pays comme on dit, un qui vend les prés pour que les riches Lyonnais viennent habiter ici, qui fait tomber les anciennes constructions pour en poser des neuves, à la provençale, parce que les Lyonnais à la campagne aiment rêver de Provence, tant pis pour les arbres noirs, on plante des lavandes.
Le parc que l’on disait classé, protégé, a été divisé en dizaines de parcelles sur lesquelles des maisons à crépi rose et tuiles romaines ont été construites. » p. 55

« Les autres portent des noms accrochés au village, l’une le nom du hameau sur la pente où se tiennent sa ferme et ses vergers, des arbres qui fabriquent les pommes débordantes de parfums dont on se souvient toujours après les avoir goûtées, d’autres s’appellent comme le sentier qui traverse les champs de maïs, un autre encore comme le lieu-dit au bord du ruisseau ; ils portent tous des noms que l’on retrouve gravés et peints sur l’obélisque de la place de l’église, mais pas moi. Mon nom n’est nulle part sur les cartes pour randonneurs, je porte un nom étranger, venu d’un pays qui a donné son nom à la maladie que les filles de l’orphelinat n’ont pas supportée, des filles venues d’un autre ailleurs que le mien, pas d’ici non plus. Je porte un nom dans lequel résonne celui de la grande tueuse, venu d’un pays que je ne connais pas, que je sais depuis si peu de temps situer à la surface du planisphère épinglé au mur du fond de la classe. » p. 69

À propos de l’auteur
RODRIGUEZ_Isabelle_2©Chloe_Vollmer-LoIsabelle Rodriguez © Photo Chloé Vollmer-Lo

Isabelle Rodriguez est née en 1982. Elle est diplômée de l’École supérieure des Beaux-Arts de Nîmes et du master de création littéraire du Havre. Dans son travail de plasticienne, elle construit des récits sur des personnages oubliés de l’histoire à partir d’objets et d’archives. Depuis quelques années, elle est retournée vivre près de Lyon et a choisi pour atelier une fabrique d’écrins désaffectée. Les Orphelines du Mont-luciole est son premier roman. (Source: Éditions Les Avrils)

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Kariba ou le secret du barrage

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En deux mots
Un couple commence à se déchirer durant ses vacances au Zimbabwe avant que le fossé ne se creuse de retour en Suisse. Giada décide alors de partir en Italie chez sa mère. Au lieu de l’apaisement espéré, elle va vivre un drame.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Après les vacances de la discorde

Dans ce roman qu’on ne lâche plus, car la tension y est permanente, Adelmo Venturelli associe un couple en crise, une famille déchirée par un secret de famille et une quête de liberté. Un drame retracé par chacun des personnages.

La tension s’installe dès les premières lignes du roman, quand Yanis avoue que le couple qu’il forme avec Giada bat de l’aile. Leur différend s’est exacerbé lorsqu’ils ont constaté que l’analyse de leur situation était diamétralement opposée. En arrivant au Zimbabwe, ils ont dû constater la situation économique catastrophique du pays et l’extrême difficulté à trouver de l’argent liquide, mais aussi à se fournir en carburant. Prudent, Yanis a proposé de renoncer et de visiter la Zambie voisine. Ce qui a provoqué la colère de Giada qui a pris les clés du 4X4 et n’est rentrée qu’en fin de journée, avec l’assurance d’avoir des billets et de l’essence. C’est qu’elle a croisé la route d’Alessio, originaire comme elle de Domodosolla, et qui revient régulièrement au pied du barrage qui a coûté la vie à son père, employé par l’entreprise Girola chargée d’édifier l’ouvrage.
Outre ses conseils avisés, il a remis à Giada des émeraudes en lui faisant promettre qu’elle viendrait lui rapporter à Domodossola.
Yanis a fini par accepter de se rendre au parc national de Mana Pools où la faune et la flore s’offraient quasiment pour eux seuls. Aussi, après avoir crevé, ils ont vécu une nuit d’angoisse avant l’arrivée des secours.
C’est au grand soulagement de Yanis qu’ils ont regagné la Suisse, mais sans pour autant effacer le malaise. D’autant que la maison familiale était occupée par la sœur de Yanis et son fils, invitée inopinée qui a provoqué la colère de Giada. Pour leurs derniers jours de vacances, ils vont alors décider de rendre visite à la mère de Giada en Italie. L’occasion de faire franchir la frontière aux émeraudes.
Arrivée chez sa mère Giada va faire expertiser les pierres par un gemmologue et les cacher dans la maison de sa mère, car elle n’arrive plus à joindre Alessio. C’est alors que se produit un horrible drame.
Adelmo Venturelli choisit alors de nous ramener en 1958, au moment de la construction du barrage. Il nous dévoile alors la vie du père d’Alessio, sa découverte des émeraudes et cet accident mortel qui a poussé un fils à partir en Afrique sur les pas de son père.
Les secrets de famille vont alors éclater les uns après les autres…
Construit autour des versions successives livrées par tous les protagonistes, ce roman choral montre combien les non-dits peuvent faire des ravages, combien la dissimulation peut entraîner de drames intimes, combien ils peuvent détruire les vies. Adelmo Venturelli réussit avec Kariba ou le secret du barrage un suspense qui va entrecroiser les destinées, ne laissant personne indemne. Un roman fort, tendu comme un arc, et qui touche au cœur.

Kariba ou le secret du barrage
Adelmo Venturelli
Pearlbooksedition
Roman
196 p., 18 €
EAN 9783952547502
Paru le 28/09/2022

Où?
Le roman est situé au Zimbabwe, à Kariba puis au parc national de Mana Pools avant le retour en Suisse, précédent un voyage en Italie, à Domodossola, Sesto Calende et Salecchio.

Quand?
L’action se déroule de 1958 à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Le barrage de Kariba, construit par des Italiens, a balafré le Zambèze dans les années 1950. D’un côté, il s’accroche en Zambie, de l’autre il empoigne la roche du Zimbabwe. Dans l’église, érigée sur la colline de la petite ville de Kariba, une stèle porte les noms des quatre-vingt-six victimes de la construction de cet ouvrage.

Une odeur familiale planait dans la pièce, mais je ne l’identifiai pas tout de suite. Elle devint pénétrante, puis évidente lorsque je me rapprochai du panier. Des champignons, bien sûr ! Je fus surprise de constater que les spécimens que j’avais sous les yeux étaient tous identiques et, surtout, tous vénéneux: des amanites tue-mouches !

Giada et Yanis vivent en Suisse et sont de grands amateurs de voyages en Afrique. Bien que leur couple batte de l’aile, ils partent ensemble au Zimbabwe. À Kariba, Giada fait la connaissance d’Alessio, originaire de la même ville italienne qu’elle. Celui-ci lui confie l’une des raisons de ses voyages : la quête d’émeraudes, qu’il rapporte clandestinement en Italie. Fascinée par cet homme, elle accepte de transporter pour lui quelques pierres précieuses. Les émeraudes arrivent à bon port, mais Giada se demande si elles n’auraient pas un lien avec un événement tragique qui, peu de temps après, va bouleverser sa vie.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Le blog de Francis Richard
viceversa littérature

Les premières pages du livre

« Prologue

Giada est ma compagne. Contrairement à tous les autres personnages de ce récit, elle n’est pas fictive. J’ai écrit cette histoire à cause de notre couple qui bat de l’aile. Elle m’apparaît de plus en plus agressive. Je la crains, n’ose plus la contrarier, exprimer une opinion différente. Mes souffrances demeurent vives et lancinantes. Je voudrais qu’elle comprenne, en lisant ce texte, comment je la vois.

Giada est distante. Au fond, je crois qu’elle s’éloigne, qu’elle se laisserait volontiers séduire par tout homme à son goût qui croiserait son chemin. Je prie le Bon Dieu pour qu’il nous réserve des derniers moments de tendresse. Pour écrire cette histoire, je l’ai regardée avec des yeux plus grands que jamais. J’ai pu lui dire ce que j’aurais été incapable d’exprimer à haute voix. Je l’ai dépeinte avec ses arrogances et ses caprices. Une héroïne à laquelle le lecteur n’osera pas toujours s’identifier. Il ne sait pas qu’elle peut aussi être adorable, confuse, parfois immature. Il faut être un écorché, avoir une sensibilité singulière, pour percevoir son insouciance, son charme.

Yanis

Zimbabwe, 30 juillet

Le barrage de Kariba a imprimé de profondes marques dans la gorge humide du Zambèze. Il s’y agrippe comme un forcené qui ne lâchera plus jamais prise. Il a donné vie à ce gigantesque lac turquoise que des bandes d’oiseaux sillonnent en permanence. Je le contemplais depuis le jardin du lodge suspendu comme un balcon. Les taches noires des cormorans en contrebas se succédaient en file indienne pour disparaître dans une brume lointaine. Le ciel immense se mêlait avec l’eau. La Zambie, de l’autre côté, se fondait avec le Zimbabwe. J’aspirai une grande bouffée de cette magie africaine.

Pour tromper l’inquiétude qui me rattrapait, je pris mes jumelles pour observer le ballet des guêpiers au bout du jardin. Ils passaient des branches des arbres à la clôture avant de rebrousser chemin. Les alentours de ce lodge regorgeaient d’oiseaux. Au petit matin, le chant du calao trompette nous avait réveillés. Il criait comme un enfant qui pleure…

Ce fut plus tard que tout bascula, après le petit déjeuner, à la suite de notre altercation. Je n’avais jamais vu Giada se cabrer si vite. Comme dans un duel, le doigt sur la gâchette, elle s’était retournée et avait tiré.

— J’ai besoin de prendre l’air, avait-elle lâché. Et de s’emparer des clés du quatre quatre. Je ne fis rien pour la retenir. Elle aurait tiré une seconde fois. « Dégonflé ! » m’aurait-elle répété. Avait-elle raison ?

Le cyclone qui dormait en elle se réveilla subrepticement à la première difficulté. Nous étions arrivés à Kariba la veille, en franchissant le barrage depuis la Zambie, et notre premier contact avec le Zimbabwe se révéla assez rude. Nous avions largement sous-estimé la crise économique que traversait le pays. Je pestais encore à l’annonce de l’employé de banque qui nous dit clairement :

— Impossible de changer vos dollars, nous n’avons plus d’argent liquide ! Ahuri, je lui demandai si on pouvait payer en dollars. Sa réponse me glaça :

— Personne ne les acceptera ! Un goût amer m’était aussitôt venu à la bouche, amer comme la fin d’un voyage. Au lodge, la propriétaire accepta de nous fournir l’équivalent de cinquante dollars en monnaie locale. La somme me semblait dérisoire pour un périple de trois semaines. Giada, visiblement satisfaite, se montra bien plus optimiste.

— Je suis sûre qu’on en trouvera encore. J’étais loin d’en être aussi certain.

— Tu t’angoisses pour un rien. On a des cartes de crédit ! Elle fut bien forcée d’en rabattre lorsque plus tard, au supermarché, la caissière refusa notre carte de crédit et que nous utilisâmes une part importante de notre argent liquide. Pourtant rien ne semblait la désarçonner. Elle voulut tout de même tester un distributeur automatique de billets.

— Ils sont vides, ne rêve pas ! Ils l’étaient, évidemment. Je ne voyais aucune lueur d’espoir. Giada s’obstinait à chercher de petites lumières, des vers luisants cachés dans cette obscure mélasse.

— Il y a forcément des magasins où ils acceptent les dollars !

La situation ne laissait rien présager de bon. Giada retrouvait les élans d’agressivité que je lui avais connus au début de l’été. L’orage approchait. Lorsque nous apprîmes l’existence d’une deuxième difficulté majeure, mon souhait de renoncer définitivement au Zimbabwe mit le feu aux poudres. Comment, en effet, allions nous parcourir plus de deux mille kilomètres dans un pays confronté à une pénurie de carburant ? À Kariba, une interminable file de voitures s’étirait le long de la route en direction de la seule station-service à être approvisionnée. L’attente pouvait durer des heures, avec le risque d’arriver trop tard, de voir s’évaporer la dernière goutte de carburant. Cette nouvelle entrave avait ravivé mon angoisse latente.

— Tu veux vraiment continuer ? m’étais-je écrié. Giada, qui n’avait rien perdu de son enthousiasme, me répondit aussitôt :

— Il doit bien y avoir une solution, sinon comment expliques-tu une telle circulation ?

— Quelle circulation ?

— Tu es aveugle, tu ne vois pas tous ces véhicules qui passent ? Je compris alors qu’un voile obscur allait nous envelopper, nous enfermer chacun de notre côté. C’est pourquoi, ce matin-là, après le petit déjeuner, et une nuit d’hésitations à la recherche de la bonne formulation, j’avais osé le lui annoncer sans trop de fioritures. Elle me tournait alors le dos, debout devant le lavabo, dans la pénombre de la salle de bains.

— On est quasiment obligés d’y renoncer ! dis-je. Elle cessa de se brosser les dents, pivota et, immobile, me foudroya du regard. Je battis en retraite dans la chambre pour me soustraire à ses yeux écarquillés, riboulants. Un silence envahit l’espace, avant qu’elle ne riposte :

— Pas question, je veux faire ce voyage ! Elle apparut dans l’embrasure de la porte, visiblement très agacée. J’aurais voulu l’amener à reconnaître qu’elle faisait preuve d’un optimisme exagéré, mais cette envie butait contre ma culpabilité. Ne lui avais-je pas déjà imposé notre déménagement ? Je tentai de lui présenter mon plan B, avec un enthousiasme qui s’avéra aussitôt insuffisant.

— Nous pourrions retraverser la frontière, faire un périple en Zambie…

— On y était l’an dernier, protesta-t-elle.

— On n’a pas tout vu… Elle retourna dans l’obscurité de la salle de bains. Je l’entendis se rincer la bouche, cracher à plusieurs reprises et marmonner des mots dont je ne compris pas le sens. Puis, comme accrochée à un ressort qui vient de se détendre, elle resurgit pour me lancer :

— Tu es un dégonflé ! Je reculai de quelques pas. Elle s’avança dans ma direction, menaçante. Elle respirait bruyamment, haletait.

— Je veux visiter ce pays ! tonna-t-elle. Et elle sortit en me poussant de côté, comme si je lui bloquais le passage. Elle alla se poster sur la terrasse face au lac Kariba, les bras croisés, les jambes rigides, dans une attitude de bouderie évidente. Je sentis les tendons de mon cou se crisper. Je m’essuyai le visage en soufflant un grand coup, et répétai :

— Franchement, je ne vois pas comment nous pourrions nous en sortir ! Impossible de faire taire cette anxiété qui grandissait en moi. J’aspirais à des vacances faciles, fluides et sans embûches. Giada, silencieuse, semblait très distante. Sans doute ruminait elle d’anciennes rancœurs. Dehors, seuls les oiseaux bougeaient. J’aurais dû la rejoindre avant qu’elle n’agisse. Au lieu de cela, immobile, je laissai la situation se figer.

— J’ai besoin de prendre l’air, dit-elle enfin. J’avais posé la clé du quatre quatre sur ma table de nuit. Elle la prit sans un mot ni un regard et sortit de la pièce en levant un bras en guise d’au revoir. Surpris, stupéfait, incapable de bouger, je parvins tout juste à prononcer son nom.

— Giada ! Elle avait quitté le lodge vers 10 heures du matin. J’étais seul dans cette prison suspendue au-dessus du lac, isolée sur la colline, à plusieurs kilomètres de la ville. Je ne pouvais pas partir à sa recherche. D’abord certain qu’elle ne tarderait pas à revenir, j’attendis calmement. Mais les minutes et les heures s’écoulaient, et je commençais à craindre qu’elle n’ait eu un accident. Elle ne mesurait vraisemblablement pas l’ampleur du tourment que me causait son absence prolongée.

Toute la journée, je guettai les bruits de moteur en approche, épiai les véhicules dans les lacets de la route en contrebas. Je crus, ou je voulus croire, à plusieurs reprises que c’était Giada. Les quatre quatre sont souvent blancs. Je réussis tout de même à lire quelques chapitres du guide sur le Zimbabwe, histoire de me convaincre que ce pays était passionnant. Je devais me préparer à affronter mon angoisse. Giada ne céderait pas, cette fois, me disais-je en repensant au déménagement.

Depuis son départ, j’éprouvais un horrible sentiment d’abandon, de trahison, et une envie profonde de me révolter, mais j’eus le temps de comprendre que cela ne ferait qu’envenimer la situation. Il me faudrait rester calme à son retour. Si seulement je pouvais lui prouver l’invraisemblance d’un circuit au Zimbabwe. Si seulement j’avais pu l’appeler ! Mais son téléphone trônait sur sa table de nuit.

Lorsqu’elle rentra, à 16h 30, elle était rayonnante. Elle ne semblait aucunement gênée de m’avoir abandonné tout ce temps. Je la trouvais impudente, irresponsable. Elle s’approcha de moi, voulut même me donner un baiser. Je me montrai glacial et détournai la tête. J’attendais d’abord des excuses, mais elle fit une deuxième tentative avec l’empressement de quelqu’un qui a un irrépressible besoin d’affection. Aurait-elle connu le même calvaire que moi ?

— Je suis désolée, me susurra-t-elle enfin.

Je lui accordai mes lèvres. Le fait qu’elle prolonge le contact me dérangea. Je voulais des explications, entendre que des circonstances indépendantes de sa volonté l’avaient empêchée de rentrer plus tôt. Mais elle me raconta tout autre chose.

— Je me suis renseignée. Je sais où trouver de l’essence. Et de reculer d’un pas, comme effectuant un pas de danse, certainement pour mieux observer ma réaction. Elle était toujours aussi rayonnante. Je restai impassible. Je ne croyais pas trop à ce genre de miracles. Elle se répéta en haussant un peu le ton. Puis elle gagna la terrasse de la chambre. Se retournant, elle perçut de toute évidence mon scepticisme. Elle fit une moue, sans doute prête à me donner de nouvelles explications. Je m’avançai jusqu’au rideau – qui faisait office de porte entre la chambre et la terrasse –, le fermai pour lui faire comprendre ma contrariété mais, bien entendu, elle en était très consciente. Sa voix transperça la toile :

— Il y a un chantier naval au bord du lac. Ils pourraient nous vendre de l’essence. Je voyais sa silhouette se dessiner derrière le tissu qu’une petite brise silencieuse faisait trembler. Quant à elle, sans doute ne me voyait-elle pas, car je me tenais dans l’obscurité de la chambre. S’il y avait eu une sortie derrière moi, j’aurais pu partir et la laisser parler dans le vide.

— Tu m’as entendue ? me lança-t-elle comme si elle voulait, en effet, s’assurer de ma présence. Pour moi, ses paroles étaient des sornettes destinées à ne pas m’avouer ce qu’elle avait réellement fait. Je voulais plus d’informations sur sa journée, qu’elle parvienne à me rassurer. Comment pourrait-on nous proposer de l’essence alors que la population locale n’arrivait plus à s’en procurer ? Un coup de vent plus intense froissa le rideau. Le contour de Giada, de l’autre côté de la toile, se lézarda. Les mots qui traversèrent le rideau me parvinrent déformés :

— Tout est une question de moyens ! Soudain, le dessin de son corps changea d’aspect. Giada marchait, sa silhouette grandissait, s’approchait du rideau. Je battis en retraite derrière les lits. Une main apparut au bord de l’étoffe, qu’elle écarta juste au moment où je fuyais vers la salle de bains.

— Où es-tu ? Ne fais pas l’idiot ! J’aurais aimé disparaître, histoire de la déstabiliser, de lui rendre la pareille.

— Tu ferais mieux de m’écouter, ajouta Giada. J’étais conscient du ridicule de ma fuite, mais ce petit jeu atténuait mes frustrations. Le silence se fit, et je craignis que Giada ne soit repartie. De longues secondes s’égrenèrent avant qu’elle reprenne la parole.

— Viens, il faut qu’on parle. Je sais, je t’ai abandonné. Je suis désolée. Je ne voulais pas perdre la face. Aussi trouvai je une excuse puérile.

— Laisse-moi une seconde. J’attendis encore un court laps de temps, puis je tirai la chasse, ouvris le robinet, fis semblant de me laver les mains. Je retournai dans la chambre.

— C’est quoi, cette histoire d’essence ?

— Si on paie le prix fort, on pourra en avoir.

— Qui te l’a dit ? Giada s’embourba dans des explications confuses à propos d’un Italien qu’elle disait avoir rencontré à l’église dans l’après-midi.

— Quelle église ?

— Un sanctuaire au sommet de la colline, bâti par des Italiens.

— Par des Italiens ? Qu’est-ce qu’ils sont venus faire à Kariba ?

— Ils ont construit le barrage sur le Zambèze. J’eus alors droit à un petit exposé sur l’édifice. Il avait été érigé dans les années 1950 par l’entreprise Umberto Girola. Giada fut tout excitée de me révéler ce détail, parce que cette entreprise avait son siège à Domodossola, d’où elle était originaire.

— L’Italien que j’ai rencontré est aussi de Domodossola, m’annonça-t-elle. Par quel étrange concours de circonstances Giada avait-elle croisé quelqu’un de cette petite ville d’Italie du Nord ? Elle me rapporta la poignante histoire de cet individu d’une manière étrange, comme si elle évoquait ses propres souvenirs. Il était le fils d’un ouvrier décédé lors de la construction du barrage.

— Il a aussi perdu sa mère en bas âge, c’est un orphelin, ajouta-t-elle, visiblement émue. Il lui avait raconté qu’il venait régulièrement au Zimbabwe, à la recherche d’un lien avec son père. Je trouvai étrange qu’un homme qui devait approcher la soixantaine fasse encore ce voyage. Qui était ce type ? Avait-il tenté de séduire ma Giada ? Giada, toujours aussi agitée, me relata sa descente jusqu’au chantier naval avec cet homme qu’elle appelait par son prénom, Alessio. Elle tournait autour de moi comme pour me désorienter, brouiller la logique de mes pensées. Cherchait-elle à me convaincre du bien-fondé de sa longue absence ? Me cachait elle autre chose ? Elle testait mon attention par des regards furtifs. Je sentais qu’elle voulait me dire : « Je ne pouvais tout de même pas abandonner ce type ! J’ai dû écouter son histoire jusqu’au bout. » J’aurais aussi aimé savoir ce qu’elle avait fait avant de rouler jusqu’à cette église au sommet de la colline. J’interrompis sa déambulation. Je voulais endiguer ce flot de mots sur l’Italien. Ils m’étourdissaient. Je la saisis par un bras. Elle me regarda avec surprise.

— Qu’as-tu fait avant de te rendre dans cette église ?

— J’étais contrariée, furieuse. Tu es tellement peureux ! Elle évoqua une crique, où elle avait fait une longue halte pour réfléchir.

— Je ne voulais pas revenir au lodge avant d’être certaine qu’on n’avait pas le choix. Je tiens vraiment à visiter ce pays. Je la retenais encore par le bras, elle se libéra en grimaçant. Elle se remit à déambuler nerveusement, sans me quitter des yeux.

— De toute façon, maintenant que j’ai trouvé de l’essence… Je tentai d’entamer son assurance.

— Notre voyage sera long. Il n’y aura pas des Italiens pour nous aider à chaque difficulté. Mais cet Alessio lui avait, paraît-il, fait comprendre qu’en y mettant le prix il y aurait toujours une solution pour remplir le réservoir : il suffisait de demander. J’avais de sérieux doutes.

— Et l’argent liquide ? Giada plongea la main dans la poche de son jean. Elle en sortit une petite liasse de billets de la monnaie locale.

— Où te les es-tu procurés ?

— Au marché noir… Giada semblait avoir surmonté toutes les difficultés. Je me sentis minable et, pour ne plus la voir, je m’échappai sur la terrasse et m’enfonçai dans le fauteuil en cuir tourné vers le large. J’entendais sa voix derrière ma nuque : avec Alessio, ils étaient passés à la station-service Total et n’avaient pas eu besoin d’attendre longtemps. Quelqu’un s’était approché, attiré par notre Toyota immatriculée en Zambie.

— Le taux est un peu usurier… six bonds pour un dollar, au lieu de neuf au change officiel ! précisa-t-elle. Je regardais le lac, honteux de ne pas avoir moi-même découvert toutes ces combines. Mais quelle initiative pouvais-je prendre, enfermé dans ce lodge ? J’en voulais à Giada. Elle mit une main sur mon épaule, certainement pour me témoigner son affection. Je le ressentis comme un geste de domination et lui lançai, d’une voix sèche :

— À cause de toi, je suis resté coincé ici toute la journée ! Giada ne répondit pas. Elle comprenait l’humiliation que je pouvais éprouver. Un martin pêcheur vint se poser sur un pieu de la palissade au fond du pré. Giada ramassa les jumelles que j’avais laissées sur les dalles en granit, à côté du fauteuil. Elle fit la mise au point et s’exclama:

— Magnifique ! Je compris à cet instant que nous allions faire le tour complet du Zimbabwe, malgré mes angoisses qui étaient toujours là. »

Extrait
« Les émeraudes avaient cristallisé le long d’un filon d’une vingtaine de kilomètres où s’échelonnaient cinq à six exploitations. Des Shonas creusaient inlassablement à ciel ouvert, tandis que d’autres triaient le minerai pour en extraire les pierres précieuses. Elles étaient petites, leur poids souvent inférieur à un carat, mais si riches en chrome que leur couleur verte était splendide, inimitable. De temps à autre, comme par magie, de grosses gemmes sortaient aussi de la gangue. »

À propos de l’auteur
VENTURELLI_Adelmo_DRAdelmo Venturelli © Photo DR

Adelmo Venturelli est né en 1955. Il est lycéen lorsqu’il compose ses premiers récits. Il s’oriente ensuite vers la biologie et la protection de l’environnement, sans délaisser pour autant l’écriture. Un premier roman est édité en 1987. Les hasards de l’existence le plongent ensuite dans l’univers de la sculpture. Pour donner vie à son monde imaginaire, il modèle, taille pendant de nombreuses années, travail qui donnera lieu à plusieurs expositions. À la cinquantaine, il retrouve l’écriture. Des romans naissent, son style s’affine, et il se découvre un penchant pour le thriller. En 2019 paraît La Sterne et en 2022 Kariba ou le secret du barrage. (Source: PEARLBOOKSEDITION)

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L’heure des oiseaux

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  RL_ete_2022 Logo_second_roman  coup_de_coeur

Finaliste du Prix Jean Giono 2022
En lice pour Le Prix Le Temps Retrouvé

En deux mots
À la fin des années 1950 deux orphelins sont confiés à un orphelinat situé à Jersey. Comme tous les autres pensionnaires, ils vont être maltraités et victimes de sévices sexuels. Plus d’un demi-siècle a passé quand la narratrice débarque sur l’île pour enquêter à la demande de son père qui y fut pensionnaire. Elle devra franchir bien des obstacles pour entrevoir la vérité.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

L’enquêtrice et les deux orphelins

Maud Simonnot confirme son talent avec ce second roman qui revient sur l’affaire de l’orphelinat de Jersey. On y suit d’une part Simon et Lily, deux des pensionnaires qui essaient de ses soustraire aux mauvais traitements et d’autre part une enquêtrice cherchant à reconstituer leur parcours plus d’un demi-siècle plus tard.

La jeune femme qui débarque à Saint-Hélier sur l’île anglo-normande de Jersey n’est pas venue pour ouvrir un compte bancaire et profiter des largesses de ce paradis fiscal, mais pour enquêter sur une affaire bien plus douloureuse. En 2008, à la suite de découverte de plusieurs cadavres autour de l’orphelinat, une «immense bâtisse victorienne en granit, rendue plus lugubre encore par son histoire», les langues ont commencé à se délier dans ce pays qui cultive le secret comme personne. Le scandale provoqué par la découverte des mauvais traitements et des sévices subis par les enfants a été retentissant. Mais depuis l’affaire s’est tassée. Alors pourquoi remuer à nouveau ce douloureux dossier? Parce que, comme on le découvrira plus tard, son père était l’un des pensionnaires de l’établissement.
C’est à la fin des années 1950, il n’avait alors que trois ans, qu’il a débarqué en compagnie de Lily. La fratrie a longtemps partagé son infortune, mais seul Simon a réussi à prendre la fuite. Désormais, il veut savoir ce qui s’est passé sur l’île maudite, ce qu’il est advenu de ce petit ange qui avait cherché dans la nature environnante de quoi se préserver du mal. Il avait en particulier trouvé le réconfort au petit matin (et la romancière son titre): « C’est son heure préférée, celle où la forêt devenue bleue renaît. Cette heure merveilleuse, suspendue avant l’aube, où tous les chagrins s’effacent, où tous les espoirs semblent permis. L’heure des oiseaux. »
Mais leur projet de fuite va prendre une forme plus concrète après leur rencontre avec un ermite. Ils sont persuadés que le «roi des Écréhou» pourrait les aider à fuir l’enfer qu’ils vivent au quotidien.
On l’a compris, Maud Simonnot a choisi de faire alterner l’enquête menée par la narratrice et le récit de la vie de Lily et de Simon quelques 60 années plus tôt. Un contraste saisissant entre une brutale réalité et un silence pesant, entre l’abjecte violence infligée et la douceur autoproclamée d’un territoire qui vit par et pour la discrétion, entre la cruauté et la poésie.
Ce roman, qui est basé sur des faits réels, s’appuie notamment sur deux témoignages glaçants Personne n’est venu de Robbie Garner ainsi que Ils ont volé mon innocence de Toni Maguire (disponibles au Livre de poche) ainsi que sur le drame vécu par Alphonse Le Gastelois (l’ermite), accusé à tort d’agressions sexuelles. Il s’inscrit également dans la lignée de L’enfant céleste, qui déjà explorait le monde de l’enfance, un monde où tout est encore possible mais aussi un monde où l’innocence bafouée laisse de profonds traumatismes. On retrouve aussi l’île dans L’heure des oiseaux. Mais ici le territoire est une prison, alors que dans le premier roman il constituait d’abord un refuge. En filigrane, on y ajoutera aussi la dimension socio-politique que Maud Simonnot parvient parfaitement à rendre sans attaquer frontalement ces autorités de tous ordres qui ont failli et continuent de privilégier le silence ou, à l’inverse, qui s’acharnent sur le premier bouc-émissaire trouvé.
Un roman bouleversant, qui marque durablement.

L’heure des oiseaux
Maud Simonnot
Éditions de l’Observatoire
Roman
160 p., 17 €
EAN 9791032923146
Paru le 24/08/2022

Où?
Le roman est situé sur l’île de Jersey, principalement à Saint-Hélier.

Quand?
L’action se déroule à la fin des années 1950 et de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Île de Jersey, 1959. Pour survivre à la cruauté et à la tristesse de l’orphelinat, Lily puise tout son courage dans le chant des oiseaux, l’étrange amitié partagée avec un ermite du fond des bois et l’amour inconditionnel qui la lie au Petit.
Soixante ans plus tard, une jeune femme se rend à Jersey afin d’enquêter sur le passé de son père. Les îliens éludent les questions que pose cette étrangère sur la sordide affaire qui a secoué le paradis marin. Derrière ce décor de rêve pour surfeurs et botanistes se dévoilent enfin les drames tenus si longtemps secrets.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
20 minutes
Page des Libraires (Chronique de Victoire Vidal-Vivier, Librairie La Manufacture à Romans-sur-Isère)
Zone critique (Thomas de Just)
Culture 31 (Sylvie V.)
C News (Anne Fulda)
The Unamed Bookshelf


Maud Simonnot présente son roman L’heure des oiseaux © Production Librairie Mollat

Les premières pages du livre
« La buanderie est une étuve décrépie, entourée de longs bancs‬ et de hublots sales par lesquels même les jours radieux ne filtre qu’une grisaille diffuse, mais c’est la pièce préférée de Lily. Car‬ ici on l’oublie parfois pendant des heures à la tâche, ici la fillette est enfin tranquille.‬
‪Cachée derrière une pile de linge, elle aperçoit dans l’encadrement de la porte l’intendante et le surveillant en chef en‬ train de s’embrasser. Si la jeune femme blonde a un visage‬ ‪disgracieux, le surveillant est bien plus repoussant avec ses‬ manières grossières et l’éclair mauvais qui anime son regard.‬ Lily, comme tous les enfants de l’orphelinat, le déteste et le‬ craint.‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬
‪D’abord surprise par cette scène inattendue, la fillette sourit. Tant que ces deux‑là s’occuperont de leurs affaires, ils ne‬ seront pas derrière elle.‬‬‬‬‬‬‬‬‬

‪Le jour où je suis arrivée sur l’île, il neigeait.‬‬‬‬‬‬‬‬‬
‪J’avais rêvé d’azur, de voiliers et de soleils couchants qui‬ brûlent en silence, j’ai débarqué en pleine tempête dans un‬ endroit où personne ne m’attendait.‬‬‬‬‬‬‬‬‬
‪Par facilité j’avais choisi un vieil hôtel dans un port du sud de‬ l’île, près de la capitale, Saint‑Hélier, à quelques kilomètres du‬ lieu des crimes. Comme tous les villages bordant cette côte,‬ celui‑ci était bâti au creux d’une baie abritée des tempêtes.‬‬‬‬‬‬‬‬‬
‪Mon guide précisait : « une superbe baie dessinée par des chaos‬ de roches se perdant dans le bleu intense de la Manche ».‬‬‬‬‬‬‬‬‬
‪D’ordinaire le soir on pouvait voir, ajouta le patron de l’hôtel,‬ le demi‑cercle scintillant d’une guirlande qui ourlait la côte sur‬ des kilomètres. J’étais prête à croire le guide et cet homme‬ enthousiaste mais ce jour‑là on ne distinguait pas son chien‬ au bout de la laisse, et tout était d’un blanc triste, le ciel comme‬ la mer.‬‬‬‬‬‬‬‬‬
‪Dans mon esprit se superposaient aussi des images d’archives : j’avais vu un documentaire sur la Seconde Guerre mondiale dans les îles Anglo Normandes et je savais qu’une attaque navale terrible avait illuminé autrement cette jolie anse, les fusées repeignant le ciel en vert et rouge, aux couleurs de l’enfer. Le grondement des canons avait retenti pendant des heures tandis que les sirènes du port hurlaient, recouvertes à leur tour par les cris, les bruits des bottes, les balles traçantes sur la plage…
*
Une fois dans ma chambre, j’ai laissé glisser le lourd sac de toile de mon épaule et passé l’appel téléphonique promis: « Oui, ça y est, je suis à Jersey. »‬‬‬‬‬‬‬‬‬
‪Lily voit que le Petit a encore pleuré. Parce qu’il a eu peur, parce qu’on lui a dit quelque chose d’effrayant, ou qu’on l’a grondé pour une faute inconnue. Sous la frange trop courte, mal coupée, de ses cheveux fins, les yeux clairs sont cernés.
Elle a une idée. C’est dimanche ; les adultes, après la messe, vaquent à leurs occupations à l’extérieur, l’orphelinat est vide.
Elle court à la cuisine et revient avec quelques légumes dérobés dans un panier du marché.
Il y aura la reine Rutabaga ceinte d’un chiffon blanc. Un œuf de caille trouvé au pied d’un mur, que Lily garde précieusement avec d’autres trésors sous son lit, sera parfait pour représenter l’enfant sur l’autel. Les reflets céladon de la coquille émerveillent le Petit qui n’en a jamais vu de semblables. Lily aligne les carottes comme des soldats de chaque côté et bâtit pour ses autres créatures un mobilier miniature à partir de branchettes.
‬‬‬‬‬‬‬‬
Le spectacle commence. Le Petit oublie ses larmes, béat devant l’histoire qui se matérialise sous ses yeux. Lily a transformé l’atmosphère autour d’eux avec cette manière si particulière des enfants souverains, capable de réenchanter l’endroit le plus sordide et de créer un monde plus heureux.
Un instant.
Dès le lendemain, j’ai voulu voir l’orphelinat. Face à moi s’élevait une immense bâtisse victorienne en granit, rendue plus lugubre encore par son histoire et le fait que depuis des années elle soit abandonnée aux vents et aux dégâts du temps. Un brouillard marin épais rejoignait un ciel cendré : le décor naturel était en harmonie.
Un des orphelins, parmi les témoins les plus importants du procès, avait déclaré qu’il souhaitait voir démolir cet endroit, symbole de son traumatisme. Dans ce sombre bâtiment bordant la forêt à la sortie du village, des dizaines d’enfants placés par l’Assistance publique avaient subi l’inavouable.
Maltraitances physiques, humiliations, privations, punitions. Et, d’après plusieurs victimes qui avaient enfin parlé, sévices sexuels.
Tout avait débuté en 2008 lorsqu’on avait dégagé les restes d’un corps enterré dans une cave de l’orphelinat sous une dalle de béton. Un appel téléphonique anonyme avait précisé au commissariat l’emplacement des ossements. À partir de là, l’enquête était enclenchée : le chef de la police arriva sur les lieux et fit venir le médecin légiste, la route qui mène au pensionnat fut barrée – elle le resterait des années. Les premières constatations ne permirent pas de trouver le moindre indice supplémentaire, mis à part l’entrée dissimulée d’une autre cave, identique, dans laquelle des prélèvements furent effectués. Il s’avéra rapidement que les ossements provenaient d’animaux, c’était une fausse alerte. L’affaire aurait donc pu s’arrêter là
mais, après la macabre découverte, les langues s’étaient déliées.
La presse locale évoqua des caves secrètes dans lesquelles des enfants auraient été attachés et enfermés sans rien à manger ni à boire, à l’isolement complet. Des journalistes de grandes rédactions anglo saxonnes prirent le relais, tout s’emballa et le scandale médiatique entraîna une bien plus vaste investigation. Des lettres et des appels affluèrent de l’Europe entière.
Au total cent soixante anciens pensionnaires racontèrent les violences infligées par des membres du personnel et certains visiteurs à partir de l’après guerre. L’accumulation des témoignages et leur concordance ne permirent pas sur le moment de remettre en question leur parole.
Les policiers tentèrent de dresser la liste des personnes impliquées et celle des victimes. L’une comme l’autre furent difficiles à établir : l’orphelinat avait été fermé en 1986, on n’avait conservé aucun registre des employés ni des enfants.
Dans l’enquête menée par la Jersey Child Abuse Investigation, une douzaine de spécialistes de la police scientifique furent chargés de la recherche et de l’identification de traces humaines qui pourraient raconter une histoire vieille de plus d’un demi siècle. Car d’autres témoignages signalaient aussi des disparitions d’enfants. La terre brune de l’île fut entièrement retournée aux alentours de l’orphelinat et les enquêteurs furent aidés par les plus fameux limiers du Royaume, deux épagneuls renifleurs déjà utilisés lors de la disparition de la petite Maddie. Mais on ne retrouva pas d’ossements, juste quelques objets tachés de sang, impossibles à identifier.
Et puis plus rien. Dans les médias, le doute sur ce qui s’était véritablement passé dans l’orphelinat s’était peu à peu installé, faute de preuves. La police locale, qui se divisait entre une police dite « officielle » et une police « honorifique » constituée de connétables, centeniers et vingteniers – des citoyens élus depuis le XIVe siècle par les paroissiens pour « le maintien de l’ordre » –, était débordée par une si grosse affaire, rien n’avait pu être fait dans les règles. Des preuves avaient été égarées, les analyses et les témoignages se contredisaient, des informations censées rester confidentielles avaient circulé, certains témoins avaient été intimidés et étaient revenus sur leur déposition… Parmi les suspects encore vivants, trois seulement
furent un temps inquiétés. On conclut à des « défaillances » dans la gestion de l’enquête, le chef de la police, dont l’intégrité gênait les notables locaux, servit de fusible et fut limogé. Last but not least, des experts en relations publiques furent engagés pour redorer l’image du paradis fiscal. Dans l’île britannique, à vingt kilomètres des côtes françaises, l’onde de choc s’éteignit aussi vite qu’elle s’était levée et le bailliage de Jersey put recouvrer sa tranquillité légendaire, ses banques et son bocage verdoyant. »

À propos de l’auteur
SIMONNOT_maud_©olivier-dionMaud Simonnot © Photo Cyril Dion

Maud Simonnot a passé sa jeunesse dans le Morvan et plusieurs années en Norvège qui l’ont inspirée pour ce livre. Sa biographie de Robert McAlmon, La Nuit pour adresse (Gallimard, 2017) a reçu le prix Larbaud et a été finaliste du prix Médicis essai. L’enfant céleste (L’Observatoire, 2020) a été dans la sélection Goncourt 2020, finaliste du Goncourt des lycéens et choix Goncourt de l’Italie.

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La race des orphelins

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En deux mots:
C’est à une tâche très particulière que s’attelle le «scribe» convoqué par une vieille dame: écrire sa biographie «irracontable». Hildegard Müller est née en 1943 dans un Lebensborn, ces établissements créés par les nazis pour faire prospérer la race aryenne. Une témoignage saisissant.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Coupable d’être née

C’est sans doute l’un des programmes les plus secrets des nazis qu’Oscar Lalo explore dans ce roman, celui des Lebensborn, où des femmes spécialement sélectionnées mettaient au monde des enfants de type aryen.

Pour son second roman, Oscar Lalo n’a pas cherché la facilité. La race des orphelins s’attaque à un dossier sensible, celui des Lebensborn, dont Wikipédia nous apprend qu’il s’agissait de centres conçus par Himmler où «des femmes considérées comme aryennes pouvaient concevoir des enfants avec des SS inconnus, puis accoucher anonymement dans le plus grand secret et remettre leur nouveau-né à la SS en vue de constituer l’élite du futur « Empire de mille ans »».
Hildegard Müller est née en 1943 dans l’un de ces centres. Elle éprouve aujourd’hui le besoin de «cracher sa vie irracontable» et convoque pour ce faire un «scribe» chargé de recueillir et mettre en forme son témoignage. Une tâche des plus ardues, car son dossier est surtout constitué de trous béants. Hildegard Müller ne sait pas grand chose de ses origines, sinon une date de naissance. «Issus de parents interdits, on est orphelins. On naît orphelins. Frappés du sceau de la trahison. Je suis une orpheline dont les parents sont restés lettre morte. Les mots ne peuvent pas vivre avec des lettres mortes.»
Car l’Allemagne, au sortir de la Guerre, a pris soin de faire disparaître les traces de cette folie eugéniste pour laquelle tout avait été pensé et planifié: «On avait droit aux meilleurs soins. Les meilleurs soins selon Himmler, c’est une infirmière après qu’on nous a arraché notre mère. Un plat protéiné dont il composait lui-même le menu. L’industrialisation de notre éducation. La rationalisation de cette industrie du bébé parfait. De l’amour mesurable, quantifiable, identifiable. Un amour théorique. Un oxymore.»
Ce qui fait la force et sans doute la réussite de ce roman, c’est son rythme, son découpage. Construit sur les réflexions d’Hildegard, il est fait de courts chapitres, la plupart n’excédant pas une page et reflétant la difficulté, le tragique de cette histoire: «Peu de lignes par page. Déjà un miracle qu’il y ait ces mots sur ces pages que vous tenez entre vos mains. Vous auriez pu tenir du vide. Mon histoire n’a pas de début. Pas de chapitres non plus. J’ai perdu mon enfance. Ma vie, ce vide.»
Et pourtant il faut bien vivre, essayer de remplir ce vide. Alors Hildegard choisit un mari, un Français qui partage avec elle un passé indéchiffrable. «Savoir que son conjoint n’en sait pas plus que soi est un réconfort. Nous savions notre enfance sans substance. Ensemble, notre passé nous tenait moins froid.» Mais ce passé, à l’heure où la mort rôde, ne peut pas se dissoudre dans un oubli qui signifierait que les bourreaux avaient gagné la partie. Comment dire «plus jamais ça» s’il n’y a pas eu de «ça»? Alors faute de pouvoir retracer le parcours d’Hildegard Müller, on peut essayer de trouver les traces de ses compagnons d’infortune, essayer de savoir ce que sont devenus les autres enfants des Lebensborn. Et tous les autres enfants victimes de guerres
Avec beaucoup de sensibilité et de pudeur, Oscar Lalo nous offre un livre poignant et percutant, un témoignage glaçant.

La race des orphelins
Oscar Lalo
Éditions Belfond
Roman
288 p., 18 €
EAN 9782714493484
Paru le 20/08/2020

Où?
Le roman se déroule en Allemagne

Quand?
L’action se situe durant la Seconde Guerre mondiale et les années qui ont suivi.

Ce qu’en dit l’éditeur
«J’ai longtemps rêvé que l’histoire de ma naissance exhibe ses entrailles. Quelle que soit l’odeur qui en surgisse. La pire des puanteurs, c’est le silence.»
Je m’appelle Hildegard Müller. Ceci est mon journal.
Je m’appelle Hildegard Müller. En fait, je crois que je ne m’appelle pas.
J’ai soixante-seize ans. Je sais à peine lire et écrire. Je devais être la gloire de l’humanité. J’en suis la lie.
Qui est Hildegard Müller? Le jour où il la rencontre, l’homme engagé pour écrire son journal comprend que sa vie est irracontable, mais vraie.
J’ai besoin, avant de mourir, de dire à mes enfants d’où ils viennent, même s’ils viennent de nulle part.
Oscar Lalo poursuit son hommage à la mémoire gênante, ignorée, insultée parfois, toujours inaccessible. Il nous plonge ici dans la solitude et la clandestinité d’un des secrets les mieux gardés de la Seconde Guerre mondiale.

Les critiques
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Lecteurs.com
Blog Passion lectrice
Blog Thé toi et lis 

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Je m’appelle Hildegard Müller. Ceci est mon journal. Mon journal a de particulier que ça n’est pas moi qui l’écris. J’ai engagé un écrivain, un scribe ; un traducteur en quelque sorte. Il traduit ma vie en mots. Je parle, il écrit. J’espère qu’il est fidèle. Je me force à l’imaginer car ma vie m’a appris que les hommes ne sont pas fidèles. Alors je vérifie, le soir, quand il me lit ma vie. Si je ne comprends pas, on change. L’idée de ce journal est de comprendre. Je l’ai engagé parce qu’on m’a dit qu’il savait trouver les phrases pour expliquer ceux dont l’enfance s’est coincée très tôt, trop tôt. Pour l’instant, il pose les bonnes questions, c’est-à-dire qu’il n’en pose pas. Moi, je n’ai rien à déclarer. Je n’ai pas encore de bouche. J’ai juste besoin d’une main qui écoute. Une main qui saura écrire ce qu’elle a entendu. Même quand je ne dis rien. Une main qui sache écrire vite aussi, pour ne pas avoir à me faire répéter si les mots sortent. Une main courante. Pour témoigner.

Mon corps n’a pas de voix. Il a tout vécu mais je n’y ai pas accès. Mon corps me sait mais mon corps se tait. Lui aussi me traite comme une enfant. Toutes ces choses qu’il ne dit pas devant moi. Il les dit quand je dors. Parfois, ça me réveille. Alors, il fait semblant de dormir. Et je reste coincée dans ce rêve muet.

J’ai longtemps rêvé que l’histoire de ma naissance exhibe ses entrailles. Quelle que soit l’odeur qui en surgisse. La pire des puanteurs, c’est le silence. Il a fait de moi la figurante de ma vie. Même pas de la figuration intelligente, où l’actrice prononce au moins un ou deux mots. Non, figurante bête. Témoin muette. Cloîtrée dans les cellules de mon corps qui emprisonnent ma mémoire.

Je m’appelle Hildegard Müller. En fait, je crois que je ne m’appelle pas. Ce dont je suis certaine, c’est que mes parents biologiques ne m’ont pas donné ce prénom et que ce nom n’est pas le leur. À vrai dire, c’est tout ce que je sais d’eux.
J’ai soixante-seize ans. Je sais à peine lire et écrire. Je devais être la gloire de l’humanité. J’en suis la lie.

J’ai besoin, avant de mourir, de dire à mes enfants d’où ils viennent, même s’ils viennent de nulle part. Je me dois de leur raconter leur père et leur mère qui sont peut-être frère et sœur. Il paraît que non. Mais je ne crois plus personne. Personne ne m’a jamais crue.

Mon enquête est singulière. Elle patine et me piétine. À chaque fois que je trouve un indice, au lieu de progresser vers la lumière, je m’enfonce dans une nouvelle obscurité. À chaque fois que je crois avoir enfin compris comment j’ai vu le jour, je me prends une succession de nuits. Mes mille et une nuits, c’est pas un conte. Pourtant, j’ai besoin de cracher ma vie irracontable. Je l’ai en travers de la gorge.

J’ai demandé à un libraire le nom d’un écrivain qui sache traduire les silences et les nuits. Il m’a parlé d’un Suisse. Un conteur. Manque de pot : c’est un Suisse romand. Moi qui croyais que tous les Suisses parlaient allemand. Lui, le parle mal. Ça m’a énervée au début. Après, j’étais contente. Pendant qu’il cherche ses mots, moi j’ai du temps pour aller chercher les miens. Ils viennent de tellement loin.

J’appelle mon Scribe Suisse mon SS. J’ai besoin qu’il soit un monstre froid. Une machine. J’appuie sur PLAY et sa main bouge. Un piano mécanique. Sans musique. Un piano à mots. Je mélodise. Il harmonise. Il accompagne mon filet de voix. Il me fait résonner.

J’appelle mon Scribe Suisse mon SS. J’ai besoin de le redire. Pour ne pas m’attacher. Je ne veux pas m’attacher. Je pourrais. Il me respecte. Il me sourit parfois. Comme de la lumière dans ma cave. Je n’ai pas l’habitude.

Je m’appelle Hildegard Müller. Ceci est mon journal. Il y a eu le journal d’Anne Frank et maintenant il y a le journal d’Hildegard Müller. On me l’a lu, le sien. Nous parlons de la même chose. Nous sommes toutes les deux des enfants victimes du Troisième Reich.

Anne Frank écrivait en hollandais. Mon scribe écrit en français. Il y a quelque chose d’insoutenable à écrire en allemand. Je dois m’accoucher ailleurs. Le suisse romand, c’est bien. Du français plus neutre. Mon scribe est là pour me traduire. Pas pour m’écrire. Je ne veux pas être son personnage. Surtout pas un personnage de fiction. Un personnage de fiction est là pour faire rêver ou pour faire peur. J’ai eu trop peur dans ma langue paternelle. Je ne veux plus rêver en allemand. Je veux que mon scribe me traduise en vous. Qu’à un moment donné, vous vous disiez : j’aurais pu être elle.

J’ai fait le choix du français pour me désincarcérer de l’allemand. L’allemand est une langue qui a été torturée par les nazis. L’allemand est la langue des ordres, dont celui d’exterminer et celui de procréer. Beaucoup d’Allemands ont obéi aux deux. Comment, après ça, écrire en allemand la procréation et son cortège d’orphelins ? Comment, après ça, écrire en allemand l’extermination et son cimetière d’orphelins ? Mon scribe me lit « Todesfuge » (« Fugue de la mort »), de Paul Celan. Chaque mot me transperce. Il parle de moi, il parle de nous. Margarete, c’est moi. Sulamith, c’est Anne Frank.
Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit
te buvons à midi et le matin nous te buvons le soir
nous buvons et buvons
un homme habite la maison Margarete tes cheveux d’or
tes cheveux cendre Sulamith il joue avec les serpents
Il crie jouez plus douce la mort la mort est un maître
[d’Allemagne
il crie plus sombres les archets et votre fumée montera
[vers le ciel
vous aurez une tombe alors dans les nuages où l’on
[n’est pas serré

Ma petite enfance est un nuage de cendres qui me cache le soleil. La blancheur de mon nuage ne sera jamais blanche. Elle sera toujours vert-de-gris. Sa consistance jamais cotonneuse. Elle sera toujours fumée. Le vert-de-gris est toxique. Mon nuage vert-de-gris plane au-dessus de ma tête où que je sois. Il est gonflé de toutes les larmes de ceux que j’étais censée remplacer. Mon nuage n’a jamais cessé de pleurer sur moi. Ses six millions de larmes ne cessent de me noyer.

Ma petite enfance est un nuage de cendres qui me cache le soleil. Le mur du silence aussi. Il continue de pousser autour de moi. Il justifie ma part d’ombre. Me plonge dans l’obscurité de ma naissance. M’empêche de voir le jour où j’ai vu le jour. Me fige dans le béton de mon éternelle culpabilité. Un béton armé par le Reich. Son armature m’étouffe. J’ai vu tomber le mur de Berlin. Mais mon mur du silence, il est toujours debout.

Sur le mur du silence, l’écriture est ma nécessité. Mais je sais à peine écrire. D’où mon scribe. Le premier jour : Racontez-moi votre vie. Je lui réponds je peux vous raconter ma non-vie. Alors on ne suivra aucun plan. Pour une Allemande, un plan c’est rassurant. Comment on va s’y prendre ? Il me répond c’est un état. Il cite Louis Jouvet : « Une phrase, c’est avant tout un état à atteindre. » Sans cela, il est impossible d’écrire l’enfance volée, violée et, dans votre cas, étouffée. C’est cela, me répète-t-il : votre enfance a été étouffée. Votre enfance est une flamme étouffée mais jamais éteinte. C’est pour ça qu’elle vous brûle encore.

Mon scribe s’est installé chez moi. Il a deux valises de livres. Il croit à la lecture pour ranimer ma mémoire. J’ai de quoi lire jusqu’à la fin de ma vie. Ça me rend heureuse. Même si le sujet de ses livres est plutôt sombre. Il dit que les livres sombres sont souvent lumineux. Il dit que la bibliothérapie et la luminothérapie c’est la même chose : une lampe frontale pour fouiller sa vie. Mais à la vitesse à laquelle je lis, il me faudra plusieurs vies. Ça tombe bien. J’ai envie d’en vivre plein d’autres.

Ma vie est un nœud qu’on ne voit pas. Je suis une détenue laissée en liberté. Une prévenue qu’on ne prévient de rien. Une accusée sans instruction, dans tous les sens du mot « instruction ». On me ressort toujours le même chef d’inculpation : fille de boche. Mais quand je hurle « Prouvez-le ! », on me répond : « La preuve, c’est vous ! » Je suis un élément à charge. Née coupable. Coupable d’avoir été conçue et abandonnée par un fantôme. Son drap serait noir. Toutes les pièces de mon dossier se conjuguent au conditionnel. Ma vie, c’est l’histoire du type qui aurait vu le type, qui aurait vu le type, qui aurait vu le type… Seule certitude : personne n’a vu le type au commencement de cette chaîne infernale. Le type que personne n’a vu était mon père. Au commencement était l’absence. Ma vie, c’est l’absence de début.

La vie, c’est les autres. Pas moi. On m’a souvent interdit leur accès. Sinon pour les surveiller et les trahir, mais ça j’y reviendrai. Ou pas. Je me suis toujours sentie du mauvais côté du rideau de fer. Cette paroi glacée m’entoure où que je sois. Ma vie est jonchée de totalitarismes. Les totalitarismes se suivent. Avec leurs certitudes en béton. Les certitudes des totalitarismes sont le terreau sur lequel poussent les orphelins.

Je suis une orpheline de guerre. J’ai besoin de faire la paix avec mon enfance. La petite. Qui aura duré trop longtemps. Qui dure toujours. Qui est dure toujours. Une orpheline aura toujours l’âge auquel elle a perdu ses parents. Je les ai perdus avant de naître.

Je ne suis pas la seule orpheline. Otto Frank, le père d’Anne, est orphelin de fille. De filles, avec deux s. Fille SS. Margot aussi a été assassinée. Orphelin de femme. Édith aussi. Assassinée. Orphelin d’amis. Hermann, Petronella, Peter et Albert. Tous assassinés. Il se remariera avec Fritzi, une déportée d’Auschwitz, orpheline de mari et de fils. Les orphelins s’unissent, parfois. Ils s’agrippent le cœur. Imbibés de leur solitude que personne ne comprend, ils se savent, les orphelins, ils se boivent. Ils se gouttent à gouttent. C’est leur bouche-à-bouche. Leur survie. La rosée de l’amour quand on n’y croyait plus.

L’amour entre ennemis, ça donne des bébés sales. Comme l’argent sale, après il faut les blanchir. À chaque guerre ses enfants traîtres. Wehrmachtskinder en Allemagne. Krigsbarn (enfants de guerre), Tyskbarna (nés d’Allemands), ou Tyskungar (enfants de boches) en Norvège. Bui Doi (poussières de vie) au Vietnam. Mal vu de donner la vie par temps de mort. Inexcusable de naître traître. Mortel d’aimer son ennemi. Issus de parents interdits, on est orphelins. On naît orphelins. Frappés du sceau de la trahison. Je suis une orpheline dont les parents sont restés lettre morte. Les mots ne peuvent pas vivre avec des lettres mortes.

Accident de la route, cancer, mauvaise chute. Je veux bien être orpheline à cause de ça. Orpheline comme tout le monde. Orpheline par malchance, par hasard, par maladie. Un malheur se serait abattu sur mes parents, et on me plaindrait. Un malheur cohérent. Ça fait du bien, la cohérence. Même dans le malheur. Surtout dans le malheur. Être orpheline de parents vivants, c’est pas cohérent.

Pas cohérent d’avoir été pouponnée par des bourreaux. Je l’ai été. Par le pire d’entre eux : Himmler. On avait droit aux meilleurs soins. Les meilleurs soins selon Himmler, c’est une infirmière après qu’on nous a arraché notre mère. Un plat protéiné dont il composait lui-même le menu. L’industrialisation de notre éducation. La rationalisation de cette industrie du bébé parfait. De l’amour mesurable, quantifiable, identifiable. Un amour théorique. Un oxymore.

Peu de lignes par page. Déjà un miracle qu’il y ait ces mots sur ces pages que vous tenez entre vos mains. Vous auriez pu tenir du vide. Mon histoire n’a pas de début. Pas de chapitres non plus. J’ai perdu mon enfance. Ma vie, ce vide.

Quand mes juges m’ouvrent, ils ne voient pas le blanc de ma page. Ils voient du gris, du vert-de-gris. Ils voient les pages les plus sombres de l’Histoire. Peu de lignes par pages pour aérer cette Histoire qui m’étouffe. Pour qu’on arrête de me regarder avec des lunettes teintées. Enlevez-les, et vous verrez que je n’ai jamais porté l’uniforme de mon père. Je n’ai porté que son absence.

Alors qui écrit ce livre ? Quand je le lui demande, mon scribe ne répond pas c’est vous, il dit juste ça n’est pas moi. Je sais que ça n’est pas moi non plus. Seule certitude : mon histoire est une histoire dont l’absence est le personnage principal. À tous les étages. Son narrateur est d’une nouvelle espèce. Omniscient mais silencieux. Omniprésent mais invisible. Comme mon père.

J’ai essayé de dessiner mon père. J’ai commencé par l’uniforme pour faire le corps, et la casquette pour faire la tête. Mais quand j’ai voulu y glisser l’homme, aucun corps n’est venu s’y loger. Je n’ai ni père ni image de père. J’ai pris un scribe pour m’aider à travailler ma mémoire. Mais ma mémoire boude. Je crois qu’elle fait la gueule. La gueule de mon père. À jamais bouclée. Ce SS m’a laissée sans voix.

Il m’arrive, parfois, d’entendre l’écho du silence de ma voix. La voix de ma naissance. Elle ne pouvait être qu’un cri. Une animalité. Un génissement. L’écho du gémissement de ma mère quand on nous a disloquées.

Dans la vie, on met tout en œuvre pour réussir son avenir. Dans ce journal, je mets tout en œuvre pour réussir mon passé. Pour survivre à ma naissance. Je me dois d’écrire mon passé, de m’écrire au passé, sans que ce passé soit un conditionnel. Je m’inventerais bien un passé. On ne sait jamais. Comme tout est faux dans ma vie, tout pourrait être vrai. Je m’inventerais bien un passé mais à chaque fois que j’essaye, je tombe dans les trous de ma mémoire.

Vos trous de mémoire, me dit mon scribe, ne nous laissent pas d’autre choix qu’une écriture physique. Je dois labourer de ma plume le sillon de votre naissance dans une terre maternelle sans substrat. Dites ce qui vient. On va s’en remettre à vos mots. Si les mots se refusent, nous frotterons vos lettres pour en faire jaillir l’étincelle qui réchauffe et qui éclaire. À défaut de lettres, on ne fera rien. Votre naissance comme un objet perdu. On ne la retrouvera qu’en ne la cherchant plus.

Je suis née à. Phrase avortée. Ça commence mal. «Ça», c’est ma naissance. Je ne sais rien de ça. Enfin, ça n’est pas tout à fait exact. «Ça», c’est encore ma naissance. Rien dans ma vie n’est exact. À commencer par ma naissance. Un événement approximatif, incertain, planifié, étatique, absurde, honteux. Je serais née dans une maternité SS : un Lebensborn. Je ne sais pas lequel. Il en aurait existé trente-quatre pendant la Seconde Guerre mondiale. Dont neuf en Norvège. Où ma mère aurait accouché. On essaye de paraître savante quand on ne sait rien.

On a dû accuser ma mère de collaboration horizontale. Je me raccroche à une collaboration sentimentale. Des dizaines de milliers de femmes qui ont eu des enfants avec des Allemands ont été tondues. Publiquement. Trimballées. Cortège de la honte, ceux qui les insultaient, leur crachaient dessus, leur arrachaient leurs vêtements. Ils hurlaient ceux-là même qui s’étaient tus quand on déportait leurs voisins. Proies faciles, les femmes n’en finissent jamais de payer les conflits initiés par les hommes.

Ou alors, ma mère a été violée. Le viol est une arme de guerre comme une autre. Il laisse moins de traces. Il tue sans la tuer celle qui en est victime. Je suis peut-être une de ces traces. Sinon, on ne m’aurait pas brûlée administrativement. On m’aurait permis de retrouver ma mère. J’en suis convaincue. On a délibérément fait en sorte que je ne puisse jamais retrouver ma mère. On m’a réduite au silence pour m’empêcher d’entendre sa voix. Ce journal est ma tentative de naître par voie orale.

Mon journal me ressemble. Il est sans lieu ni date. Je ne sais ni où ni quand je suis née. Probablement en 1943. Le registre d’état civil où figurait cette information a été brûlé par les SS le 30 avril 1945. Le suicide d’Adolf Hitler tombe le jour de mon autodafé. Le jour de la mort d’Hitler, les SS ont détruit les informations relatives à ma naissance. Cette chorégraphie mort-vie prélude à mon inexistence.

Je suis la fille de. Autre phrase avortée. Ça aussi, je l’ignore. Je ne sais rien de mes parents biologiques. À part deux étiquettes : SS et collabo. Les SS recevaient d’Himmler l’ordre de procréer. « Pro-créer », ça doit vouloir dire créer professionnellement. Je suis un ordre et un devoir. Les SS obéissaient. Pléonasme. Ordre exécuté pendant une permission. Dans un foyer Lebensborn. À l’occasion d’une soirée organisée à cet effet. Le lendemain matin, ils retournaient tuer. Toujours ce ballet mort-vie. Vie-mort dans ce cas. C’est à peine si l’on communiquait le non du prince pas charmant. Son prénom, parfois. Inventé, souvent.

Extraits
« Ce projet justifiait tout le reste. Les millions de morts justifiaient ma naissance. Si on avait demandé à Himmler: Pourquoi toutes ces atrocités? Il aurait répondu: Pour elle. Ma naissance justifiait les millions de morts. Vous comprenez mieux pourquoi on ne veut pas entendre parler de moi. Pourquoi on n’a jamais voulu entendre parler de nous. On n’aime pas que les meurtriers se présentent en victimes. Même quand ils ne sont pas meurtriers. Même quand ils sont victimes. » p. 58

«J‘ai choisi Olaf comme mari. Un Français pour me taire. Ne pas avoir de langue pour communiquer a tout de suite été un soulagement. Je lui disais «Je t’aime», il me répondait «Ich liebe dich», et ça nous suffisait. Cette incursion dans la langue supposée maternelle de l’autre nous permettait de ne pas dire notre amour. Nous ne nous aimions pas. Mais nous partagions le même passé indéchiffrable. Savoir que son conjoint n’en sait pas plus que soi est un réconfort. Nous savions notre enfance sans substance. Ensemble, notre passé nous tenait moins froid. » p. 66

« Dans le cadre du plan Heu-Aktion, qui prévoyait de faire travailler les indésirables, des dizaines de milliers d’enfants furent déportés dans des industries d’armement. D‘autres indésirables servaient à expérimenter les effets de produits toxiques à Cieszyn ou au Medizinische Kinderheilanstalt à Lubliniec. D’autres étaient stérilisés. La plupart assassinés à Auschwitz ou dans les camps pour enfants de Dzierzaznia et Lódz. Une seule certitude: avec le Lebensborn Programm, quelle que soit l’issue de la sélection, on devenait indésirable. » p. 94

À propos de l’auteur
LALO_oscar_©DROscar Lalo © Photo DR

Oscar Lalo a passé sa vie à écrire: des plaidoiries, des cours de droit, des chansons, des scenarii. Après Les Contes défaits (Belfond, 2016), La Race des orphelins est son deuxième roman. (Source: Éditions Belfond)

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