La naissance d’un père

LACROIX-la-naissance-dun-pere  RL2020

En deux mots:
Il y a d’abord eu Bastien, puis Andreano, Lucrezia et Giacomo et enfin Pietro. Alexandre Lacroix raconte ses paternités et ses compagnes successives et nous livre une réflexion intéressante sur la place du père au XXIe siècle.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Un, trois et cinq

Alexandre Lacroix raconte comment il est devenu père à cinq reprises avec des mères différentes. Un témoignage servi par une plume allègre qui n’omet aucun des aspects de la paternité.

C’est une histoire ordinaire et pourtant toujours exceptionnelle à laquelle nous convie Alexandre Lacroix, celle de la paternité. Pour le narrateur, qui n’est autre que l’auteur, cette paternité va se répéter cinq fois, ce qui n’est – avouons-le – peu ordinaire, d’autant que ces naissances n’ont rien de planifié. En revanche, cela confère, au fil de l’arrivée de ses enfants, une réelle expertise au géniteur.
Mais si les futurs pères peuvent trouver ici quelques conseils, c’est avant dans le style adopté par l’auteur que réside l’intérêt de ce témoignage. Voilà en effet la comédie humaine du XXIe siècle.
Bastien, son premier fils, naît le 22 octobre 2000 à Avignon. Un événement auquel le jeune père a pu se préparer pendant quelque neuf mois, mais qui le prend tout de même au dépourvu. Si à la maternité tout a l’air sous contrôle, les premières nuits sont difficiles à gérer «Nous nous sentions, l’un comme l’autre, abandonnés avec une tâche trop grande, trop grave pour nous. Nous allions nous faire aspirer, dévorer entièrement par cette si petite chose, cet angelot en pâte de Sèvres qui reposait sous sa couverture laineuse, car il avait besoin de soins constants, il ignorait la différence entre le jour et la nuit, il était indifférent à notre fatigue à nous…»
Comme pour la plupart des couples, après les premières angoisses, une routine quotidienne va se mettre en place, les tâches se partager. À la mère l’allaitement et au père les promenades. Si les ressources du couple sont limitées – il est écrivain et chroniqueur peu rémunéré, elle est prof de philo vacataire – il peut consacrer du temps à cet enfant. Bastien va ainsi grandir auprès d’un père très présent, qui arpente avec lui à peu près toutes les rues de la cité des papes et joue avec lui dans les bacs à sable, sous l’œil attendri des mères auxquelles ce rôle semble dévolu.
La vie sociale, notamment avec des voisins aussi particuliers qu’attachants, n’est pas abolie pour autant. Mais Mathilde, au bout de trois ans dans le Vaucluse, veut retourner en Bourgogne où une maison de famille leur permettra d’économiser le prix du loyer, une charge qui pèse lourd sur le budget du jeune ménage. L’auteur fait l’impasse sur la période qui a suivi et sa rupture avec Mathilde puisque le chapitre suivant s’ouvre dans un appartement de la rue de la Grange-aux-Belles, dans le Xe arrondissement de Paris, sans doute au moment où il conçoit son second fils avec Giulia, la belle italienne qui partage désormais sa vie. Elle donnera naissance à Andreano, Lucrezia et Giacomo. Autant d’expériences qui permettent à Alexandre Lacroix de creuser encore davantage le sillon de la paternité, d’approfondir les thèmes déjà abordés sur l’éducation et la place du père et d’ouvrir de nouvelles pistes comme la famille recomposée, les différences culturelles entre l’Italie et la France ou encore la famille nombreuse, aujourd’hui considérée comme une bizarrerie. Le tout est servi par une plume allègre qui n’oublie ni les délicieux mots d’enfant, ni les rituels qui se mettent en place, ni les lectures ou les jeux, de Tintin aux échecs, ni les vacances, comme celles à Capriata d’Orba dans le Piémont italien, «l’endroit idéal pour parler de Dieu et de théologie».
La naissance en janvier 2017 de Pietro Stelio Lacroix servant en quelque sorte de point d’orgue à ce beau roman de la paternité dans lequel on avance «à pas lents, avec un sentiment de gratitude et d’effroi» en découvrant «les pièces l’une après l’autre, les circulations, les étages et les cours intérieures.» À conseiller aux futurs pères – pour les encourager – à ceux qui ont connu cette expérience – qui retrouveront beaucoup de leur vécu – et aux mères qui seront curieuses de découvrir comment les hommes vivent une naissance.

La naissance d’un père
Alexandre Lacroix
Allary Éditions
Roman
407 p., 20,90 €
EAN 9782370733382
Paru le 27/08/2020

Où?
Le roman se déroule en France, à Avignon, en Bourgogne puis à Paris. On y voyage aussi En Grèce, à Santorin et Aoia, en Italie à Capriata d’Orba dans le Piémont et Verezzi et Pietra en Ligurie. On y évoque aussi Nice, le Mâconnais et la Saône-et-Loire.

Quand?
L’action se situe de 2000 à 2018.

Ce qu’en dit l’éditeur
« La paternité est la grande affaire de ma vie adulte. Elle a occupé une large partie de mon temps. Mon premier enfant est né quand j’avais vingt-cinq ans ; mon cinquième quand j’en avais quarante-deux. Quatre garçons, une fille. De deux mères différentes.
J’ai attendu que le cycle des naissances s’achève pour raconter cette expérience. J’en ressentais le désir depuis longtemps. Les romanciers, les intellectuels, s’ils évoquent souvent leurs pères, restent très discrets sur leur propre paternité. En un sens, je les comprends. Écrire sur ses enfants, c’est prendre le risque de la partialité. Et puis, comment alimenter le romanesque avec des petits pots ?
À mesure que j’avançais dans l’écriture, j’ai pourtant eu la sensation de relater une épopée. Dans les romans de chevalerie, il y a des duels, des moments lumineux et violents où l’on joue sa peau – comme lors d’un accouchement. Il y a des épreuves aussi – et s’occuper de ses enfants, c’est en affronter sans cesse. Il faut écarter les dangers autour d’eux, en traçant une route.
Si la filiation est une expérience épique, c’est encore qu’elle nous confronte à notre propre mort. Nos enfants sont ce que nous laissons sur Terre après nous. Dans la logique des choses, ils se trouveront réunis autour de notre cercueil. Mais cela n’a rien de triste. À mesure que nous vieillissons, nous transférons sur eux notre amour de la vie. » Alexandre Lacroix

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Blog Vagabondage autour de soi
Page des libraires (Entretien avec l’auteur mené par Murielle Gobert Librairie Passerelles à Vienne)
Madame Figaro (Marie Huret – entretien avec l’auteur)
Philosophie magazine (Catherine Portevin)
Podcast Ausha
Blog Les lectures de Maman Nature 

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« simplement, c’est arrivé
Cinq. J’ai cinq enfants et je ne l’ai même pas fait exprès. Ces naissances ne correspondent en rien à un plan de vie, à un programme que je me serais fixé d’avance. Jeune, je ne m’imaginais pas en père de famille nombreuse, pour moi c’était un état trop conformiste, domestique, ç’aurait été comme rêver de posséder un canapé cuir ou d’avoir de la bedaine. Mais le fait est là : mon premier enfant est né quand j’avais vingt-cinq ans, j’en ai aujourd’hui quarante-deux et il y a dix-sept ans que, presque sans interruption, j’ai eu des couches à changer, entendu des pleurs la nuit, fait réchauffer des petits pots, trimballé des poussettes dans les rues – et toujours eu, qui se recroqueville spontanément autour de l’index, une main de bébé dont la petitesse et l’aspect délicat ont de quoi faire monter les larmes aux yeux. Comment ai-je employé mon temps ? Si je regarde en arrière, l’une de mes premières et plus constantes occupations aura été d’être père. Et je ne l’ai même pas voulu. Simplement, c’est arrivé.
Or, la vie est surtout l’ensemble des événements qui nous tombent dessus sans que nous les ayons choisis ni prémédités, par inadvertance. Chacun peut décider, sur un coup de tête, de traverser l’Amérique du Sud en stop ou d’aller passer six mois dans une cabane au bord d’un lac en Sibérie. Pourtant rien n’est aussi éloigné de la vraie vie que de telles aventures, qui répondent à nos rêves et connaissent le même sort qu’eux, qui nous bercent de leurs couleurs chatoyantes mais seront oubliées au réveil, car elles n’ont pas la consistance du réel. Avoir une vie, c’est se prendre le monde sur le coin de la gueule. La vraie vie à la densité de nos séparations et de nos deuils, des naissances et des désirs contre lesquels les raisonnements ne pèsent rien, des maladies qui nous guettent à notre insu, de ce sur quoi nous n’exerçons aucun contrôle. Comme nous sommes devenus trop ambitieux, ou trop imbus de nous-mêmes, nous avons perdu le goût ancien du destin. Nous n’en tenons plus compte mais il est toujours là, en coulisses, de même que le nombre d’années qui nous reste à vivre est scellé, hors d’atteinte. Au sens le plus exact du terme, mes enfants auront été ma vie d’adulte, la paternité mon destin. Je l’ai subi et je lui ai fait confiance, il m’a terrassé et il m’a agrandi.
Récemment, un homme qui n’a jamais été père, et qui approche de la soixantaine, me demandait :
«Ça te fait combien d’enfants, maintenant?
– Cinq.»
Cet homme fin ajouta d’une très belle voix, dans un souffle qui ressemblait à une prière, sans chercher à me blesser:
«Mais… Pourquoi ?»
J’ai laissé un silence. Si je lui avais répondu que je n’en savais rien, que j’étais incapable de lui fournir un début d’explication, sa consternation aurait été totale. Ne devrions-nous pas savoir ce que nous faisons, être au moins capables de le justifier?
L’année dernière, dans un gymnase où j’accompagnais l’un de mes fils à une compétition, j’ai recroisé Gabriel. Gabriel, c’était un compagnon d’armes de mon adolescence. Je ne compte plus les bêtises que nous avons faites ensemble. Nous nous sommes introduits la nuit dans un parking où nous avons volé une voiture, juste pour rouler sur trois cents mètres, pour la beauté du geste, et nous l’avons laissée au coin de la rue – c’était le défi qui nous intéressait : casser le bloque volant, sectionner les fils, mettre le contact… Nous nous sommes battus dans un jardin public jusqu’à ce qu’une brigade de la police intervienne et braque des torches sur nous. Mais nous nous sommes relevés en nous époussetant dans leurs cercles lumineux: «C’était pour rigoler!» Gabriel, ce n’est pas quelqu’un que je peux recroiser avec indifférence. C’est pourquoi, dans ce gymnase près de la porte d’Ivry où nous nous retrouvions par hasard – son fils participait au même tournoi d’échecs que le mien – nous avons renoué la conversation interrompue comme si de rien n’était. En nous situant volontairement sur un terrain presque neutre, superficiel. Quand sa question est arrivée:
«Au fait, tu as eu d’autres enfants, depuis le temps?
– Oui, j’en ai cinq maintenant.
– Quoi !»
Gabriel connaissait mon grand, Bastien, et il avait sans doute entendu parler de la seconde naissance, celle d’Andrea, puis il n’avait plus reçu les mises à jour. Nous avons continué à discutailler de sujets anodins, ma femme Giulia était là mais non la sienne. Cependant, dès que Giulia a eu le dos tourné, qu’elle s’est éloignée de quelques pas pour aller voir où Andrea en était de ses parties, il n’a pas résisté, il m’a interrogé en chuchotant avec des yeux effarés:
«Qu’est-ce qui t’est arrivé? C’est elle?» Il montrait Giulia du doigt. «Elle t’a obligé à lui faire quatre gosses? Elle t’a forcé? Tu peux encore tout me dire, tu sais…»
Je me demandai, intérieurement, si la remarque était plus désobligeante pour Giulia – à laquelle mon vieux pote prêtait d’emblée l’instinct reproductif insatiable de la femelle – ou pour moi. Est-ce que je serais devenu si veule, si faible de caractère avec l’âge que je serais désormais le hochet d’une épouse autoritaire?
«Non, non, je t’assure. Personne ne m’a obligé à quoi que ce soit.»
Si le sens des expériences les plus profondes n’apparaît qu’après coup, c’est qu’il nous faut d’abord les vivre et qu’elles bouleversent nos préjugés, déplacent nos pensées, pour être capables de poser des mots sur elles. La paternité est une demeure où, une fois la porte franchie, on s’établit pour toujours. Et rien n’y ressemble à ce que nous anticipions tant que nous nous trouvions au-dehors. Nous n’avons d’autre possibilité que d’y avancer à pas lents, avec un sentiment de gratitude et d’effroi, et de visiter les pièces l’une après l’autre, de découvrir progressivement les circulations, les étages et les cours intérieures. Cela ne se résume pas facilement, c’est trop vaste pour être condensé en quelques formules de circonstance, et le temps manquait de toute façon, je n’allais pas devant Gabriel me lancer dans un roman. »

Extrait
« Nous nous sentions, l’un comme l’autre, abandonnés avec une tâche trop grande, trop grave pour nous. Nous allions nous faire aspirer, dévorer entièrement par cette si petite chose, cet angelot en pâte de Sèvres qui reposait sous sa couverture laineuse, car il avait besoin de soins constants, il ignorait la différence entre le jour et la nuit, il était indifférent à notre fatigue à nous… »

À propos de l’auteur

LACROIX_Alexandre_©Olivier_MartyAlexandre Lacroix © Photo Olivier Marty

Né en 1975, Alexandre Lacroix est écrivain, directeur de la rédaction de Philosophie Magazine et président d’une école d’écriture, Les Mots. Il a publié dix-huit essais et romans traduits dans une dizaine de langues, dont Ce qui nous relie, Devant la beauté de la nature et Microréflexions. (Source: Allary Éditions)

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L’été en poche (7): Une immense sensation de calme

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Prix Révélation de la Société des Gens de Lettre 2018

En 2 mots:
Dans un premier roman qui sonde les âmes dans une nature hostile, Laurine Roux nous livre un superbe conte où la brutalité et l’instinct de survie se mêlent à la poésie et aux légendes. La narratrice y suit Igor confronté à la guerre, la maladie et la noirceur des âmes.

Si vous voulez en savoir plus…
Ma chronique complète publiée lors de la parution du roman en grand format

Une immense sensation de calme
Laurine Roux
Folio Gallimard
144 p., 6,90 €
EAN 9782072858208
Paru le 19/08/2020

Les premières lignes
« À présent il faut que je raconte comment Igor est entré dans ma vie. C’était la fin de la saison froide, j’avais passé l’hiver dans la maison des frères Illiakov.
Un matin, un homme arrive près du lac où je ramasse les nasses. C’est lui. À une centaine de pas de moi, il s’immobilise. Un oiseau aux ailes larges traverse le ciel, Igor sourit. Mille ans de solitude et de détermination frémissent à ses lèvres. Il se tient au bas de la falaise et regarde là où les hommes ne peuvent aller. Je le vois se plaquer à la paroi. Sa main est grise comme le caillou, son esprit dur comme le calcaire. J’ai l’impression qu’il va être avalé par la montagne, appelé par ses rondeurs de femme. Lui la comprend avec ses doigts. Bientôt ils évoluent ensemble, amants sauvages que la nature réunit clandestinement.
Igor n’est pas un homme. Il répond à des instincts. De même qu’on ne demande pas à un renard pourquoi il creuse un terrier, on ne peut exiger d’Igor qu’il explique pourquoi courir dans cette direction plutôt qu’une autre. Il en est incapable. C’est un animal. J’aurais pu le deviner dès ce premier jour. Tout était déjà inscrit dans ce corps-à-corps avec la roche. J’aurais également pu me douter que beaucoup de mes questions resteraient sans réponse.
Il grimpe le long de la falaise. Ne regarde pas en bas. Son esprit se disperse dans chacune de ses cellules, condensé dans l’effort, sans aucun autre but que celui de former le geste pur. Bientôt mon corps est secoué, aspiré vers le sien. Mais Igor continue à monter sans se préoccuper de moi. Alors je sais. Il faudra attendre. Je ne serai pas seule. Il y aura les algues et le vent. Les cristaux, la glace et le sang. La terre est sa couche, la pierre sa maîtresse. À l’image des animaux qui n’ont pas de partenaire d’élection, Igor fait feu de tout bois. Pour lui, l’amour est partout. Quand il passe une journée à couper des bûches, son corps entier tend vers la matière. On peut parler d’amour. Mais je crois, après tant d’années, que le mot n’est pas complètement juste. Dans son cas, le désir provoque des arrêts et des observations. Il examine, explore. Son amour est pareil à la glace qui brûle à force de froid. »

L’avis de… Jacques josse (remue.net)
« L’écriture de Laurine Roux, qui signe avec Une immense sensation de calme un premier roman plus que convaincant, est discrètement ciselée. Ses personnages, en adéquation constante avec la force tellurique des paysages qu’elle décrit, nous emportent dans un territoire qui semble hors du monde mais où la transmission, le partage et l’entraide existent bel et bien. »

À propos de l’auteur
Née en 1978, Laurine Roux vit dans les Hautes-Alpes où elle est professeur de lettres modernes. Après Une immense sensation de calme en 2018 paraîtra, le 13 août, son second roman Le Sanctuaire (Source : Éditions du Sonneur)

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Une immense sensation de calme

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En deux mots:
La narratrice de ce roman aussi rude que poétique, va tenter de survivre dans une nature hostile. En suivant Igor, elle va tenter de conjurer la guerre, la maladie et la noirceur des âmes.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

«Le jeu des feuilles a traversé l’oubli»

Dans un premier roman qui sonde les âmes dans une nature hostile, Laurine Roux nous livre un superbe conte où la brutalité et l’instinct de survie se mêlent à la poésie et aux légendes.

Pour cette chronique, je souhaite commencer par rendre hommage à un auteur que je n’ai pas lu, mais qui est à l’origine d’une très belle initiative, le blog intitulé Le Off des auteurs et qui s’attache à demander aux auteurs en tous genres de raconter la genèse de leur livre. Cédric Porte a ainsi demandé à Laurine Roux de se prêter à l’exercice. Elle nous apprend ainsi que des amis de Sofia l’ont entraînée dans une équipée vers la Mer Noire, plus précisément à Irakli Beach. « On dort dans les bois, passe la journée sur la plage. Le temps ralentit, à l’image des pas dans le sable. Petit à petit, un état d’abandon me gagne. Une perméabilité aux éléments, jusqu’à ce bain de minuit au milieu du plancton luminescent. Le ciel se confond à la mer, le pelagos aux étoiles, et la nudité du corps dans cette immensité brute, magique et primordiale fait de ce moment une épiphanie. Le lendemain, l’instant continue d’irradier. Kyro, l’un des amis, reste longtemps face à la mer. Ses cheveux forment des figures géométriques variables avec le vent. Il semble s’effacer. Rentrée en France, cette image ne me quitte pas. Elle contient une puissance et un hors-champ dont je ne sais que faire. Je perçois qu’il est question de porosité entre la vie et la mort, l’homme et la nature, mais surtout que cette silhouette augure la possibilité d’une disparition sereine. J’écris une trentaine de pages, uniquement descriptives. Petit à petit, les contours de Kyro s’estompent. Un personnage prend chair, un espace s’ouvre. Igor et la taïga. »
Et effectivement ce qui frappe d’abord en lisant ce livre, c’est que la nature y joue les premiers rôles, personnage à part entière comme dans les livres de nature writing, comme disent les américains. Ici la nature est rude, le climat difficile, les éléments hostiles. Mais en même temps, c’est cette même nature qui livre les clés pour survivre et qui sert de grand ordonnateur. C’est ainsi qu’à la sortie de la saison froide la chasse et la pêche reprennent leurs droits. Quand la narratrice – dont on ne saura pas le nom – va relever ses nasses, elle croise un Igor. « Il répond à des instincts. De même qu’on ne demande pas à un renard pourquoi il creuse un terrier, on ne peut exiger d’Igor qu’il explique pourquoi courir dans cette direction plutôt qu’une autre. Il en est incapable. C’est un animal. J’aurais pu le deviner dès ce premier jour. » Presque sans échanger un mot, elle va le suivre comme une évidence. Jusqu’à l’Invisible, jusqu’à l’hiver. Jusqu’à cette nuit où il part dans l’obscurité avec son ami Tochko. « Lors de cette nuit, je découvre l’importance du renoncement. Je comprends qu’il faudra oublier l’inquiétude et les explications. Les minutes qui passeront seront mes compagnes. Les heures et les jours, des frères d’attente. Je les remplirai de jeux en attendant son retour. Car à chaque fois il reviendra. À cela non plus il n’y aura pas d’explication. Alors je me rendors dans la vapeur d’os et de viande. »
Alors que le froid commence à percer les vêtements, on va découvrir petit à petit le passé de ce petit groupe de personnes, comprendre qu’une guerre a laissé des traces indélébiles depuis un demi-siècle, que ceux qui vivent là sont des survivants qui ne peuvent que se rattacher à la nature et aux légendes. Ces histoires qui parsèment le récit et lui confère une dimension aussi poétique que mystique : « Chaque deuxième lune de l’automne, au moment où les arbres décharnés tapissaient le sol de feuilles orange et rouges, elle allumait un feu dans la cheminée, posait le pot de sel à ses pieds et se mettait à chanter. Elle s’adressait aux esprits du Grand-Sommeil et leur demandait de venir écouter ce qu’elle avait à leur dire. Elle chantait jusqu’à ce qu’ils arrivent. Alors elle s’arrêtait et fermait ses paupières, sa voix devenait profonde et basse. Elle leur demandait de prendre soin d’Ama qui avait disparu trop tôt; de lui apporter un peu de joie car elle n’en avait pas suffisamment eu; ensuite, elle chargeait les esprits de lui transmettre de nos nouvelles. Quand elle était sûre qu’ils écoutaient, elle racontait l’année qui venait de s’écouler. Le travail de la terre, les récoltes, les maladies. Puis elle rassurait Ama à mon sujet, se réjouissait que je devienne une robuste et honnête jeune fille. Elle n’oubliait jamais de rapporter les naissances, les morts et les mariages. Cela durait jusque tard dans la nuit. Baba ne voulait omettre aucun détail. Enfin, quand elle estimait que c’était assez, elle prenait une poignée de sel et la jetait dans le feu. Si les grains devenaient étincelles, les esprits acceptaient de transmettre le message. Elle en jetait encore une. Chaque grain contenait l’un des mots qu’elle avait prononcés. Ainsi, les messagers pouvaient les faire passer dans le monde du Grand-Sommeil. De minuscules langues de lumière crépitaient dans la nuit avant de se volatiliser dans l’au-delà. Lorsqu’elle avait fini, elle me faisait venir à côté d’elle et me caressait la tête. Il me semblait que sa paume, constellée de résidus de sel, contenait toute la voûte céleste. J’étais dedans et dehors à la fois. »
Avec une plume ciselée dans le bois et le sang, dans la neige et la cendre, Laurine Roux va nous offrir le passé des personnages nés dans un monde cruel, celui d’Igor mais aussi celui de la narratrice et de ses parents. Et comme tout ce beau roman est construit sur les contradictions, les antagonismes, on ne sera pas étonné de voir la nature qui ne pardonne rien offrir de quoi guérir les maux. Ni de constater que dans un univers aussi oppressant des valeurs telles que la transmission et la solidarité vont aussi trouver leur place. Parce que le désespoir n’est jamais sûr…

Une immense sensation de calme
Laurine Roux
Éditions du sonneur
Roman
128 p., 15 €
EAN : 9782373850765
Paru en janvier 2018

Ce qu’en dit l’éditeur
Alors qu’elle vient d’enterrer sa grand-mère, une jeune fille rencontre Igor. Cet être sauvage et magnétique, presque animal, livre du poisson séché à de vieilles femmes isolées dans la montagne, ultimes témoins d’une guerre qui, cinquante ans plus tôt, ne laissa aucun homme debout, hormis les «Invisibles», parias d’un monde que traversent les plus curieuses légendes.
Au plus noir du conte, Laurine Roux dit dans ce premier roman le sublime d’une nature souveraine et le merveilleux d’une vie qu’illumine le côtoiement permanent de la mort et de l’amour.

68 premières fois
Blog motspourmots.fr (Nicole Grundlinger)
Blog du petit carré jaune (Sabine Faulmeyer)
Blog Mes écrits d’un jour (Héliéna Gas)

Les autres critiques
Babelio 
Remue.net (Jacques Josse)
Causeur.fr (Jérôme Leroy)
Blog Les lectures du mouton (Virginie Vertigo)
Blog de Marc Villemain (éditeur de Laurine Roux)

Les premières pages du livre:
À présent il faut que je raconte comment Igor est entré dans ma vie. C’était la fin de la saison froide, j’avais passé l’hiver dans la maison des frères Illiakov.
Un matin, un homme arrive près du lac où je ramasse les nasses. C’est lui. À une centaine de pas de moi, il s’immobilise. Un oiseau aux ailes larges traverse le ciel, Igor sourit. Mille ans de solitude et de détermination frémissent à ses lèvres. Il se tient au bas de la falaise et regarde là où les hommes ne peuvent aller. Je le vois se plaquer à la paroi. Sa main est grise comme le caillou, son esprit dur comme le calcaire. J’ai l’impression qu’il va être avalé par la montagne, appelé par ses rondeurs de femme. Lui la comprend avec ses doigts. Bientôt ils évoluent ensemble, amants sauvages que la nature réunit clandestinement.
Igor n’est pas un homme. Il répond à des instincts. De même qu’on ne demande pas à un renard pourquoi il creuse un terrier, on ne peut exiger d’Igor qu’il explique pourquoi courir dans cette direction plutôt qu’une autre. Il en est incapable. C’est un animal. J’aurais pu le deviner dès ce premier jour. Tout était déjà inscrit dans ce corps-à-corps avec la roche. J’aurais également pu me douter que beaucoup de mes questions resteraient sans réponse.
Il grimpe le long de la falaise. Ne regarde pas en bas. Son esprit se disperse dans chacune de ses cellules, condensé dans l’effort, sans aucun autre but que celui de former le geste pur. Bientôt mon corps est secoué, aspiré vers le sien. Mais Igor continue à monter sans se préoccuper de moi. Alors je sais. Il faudra attendre. Je ne serai pas seule. Il y aura les algues et le vent. Les cristaux, la glace et le sang. La terre est sa couche, la pierre sa maîtresse. À l’image des animaux qui n’ont pas de partenaire d’élection, Igor fait feu de tout bois. Pour lui, l’amour est partout. Quand il passe une journée à couper des bûches, son corps entier tend vers la matière. On peut parler d’amour. Mais je crois, après tant d’années, que le mot n’est pas complètement juste. Dans son cas, le désir provoque des arrêts et des observations. Il examine, explore. Son amour est pareil à la glace qui brûle à force de froid. »

Extraits
« C’est à peu près à cette époque que je suis allée habiter chez Baba. Apa ne pouvait plus s’occuper de moi. Depuis que nous n’allions plus à l’hôpital, il avait les yeux de plus en plus rouges et mouillés. Petit à petit il s’était transformé en tas de feuilles mortes. Jusqu’à être complètement mort.
Cela fait longtemps que je n’ai pas pensé à Ama et Apa. Ils sont rangés dans ma tête comme de vieux habits d’un autre temps qu’on a fini par délaisser. Et un jour, sans trop savoir pourquoi, on les retrouve au fond de l’armoire. Le temps les a abîmés. Ils sentent le renfermé. Mais quelque chose reste intact à travers les ans. Le jeu des feuilles a traversé l’oubli. Si j’arrive à marcher uniquement sur les brunes, peut-être qu’Igor reviendra ? Mais je ne suis plus une petite fille. Il faut être raisonnable. Ama n’a pas guéri. Alors j’arrête de jouer. »

« Les deux femmes se jaugèrent. Puis Kolia déposa les fruits dans sa robe et, quand elle eut fini, attrapa une pomme. Lorsqu’elle mordit dedans, le jus coula le long de son menton, dégoulina dans son cou, sur son ventre et son sexe pour finir dans l’eau, traçant un chemin de désir qui disparut dans le courant. L’insolente beauté provoquait la vieillesse. Grisha continua à la dévisager avec froideur. Au début du troisième mois, l’aïeule attendit, à découvert devant le mélèze. Kolia remontait le cours de l’eau et s’arrêta au niveau du panier. Elle observa un moment la vieille qui n’était pas à sa place habituelle puis, après quelques secondes, prit les fruits et s’en alla. Cela dura trente jours. Le quatrième mois, la vieille Grisha resta à mi-chemin. Le cinquième, à quelques pas. Chaque mois elle se rapprochait, jusqu’au neuvième où elle se posta à côté du panier. Kolia finit par arriver, son ventre distendu par la grossesse aussi ferme que la peau des fruits.
Les deux femmes se trouvaient si proches qu’elles auraient pu se toucher. Mais ni l’une ni l’autre ne s’y risquèrent. Et chaque jour de ce dernier mois elles se contentèrent de rester l’une et l’autre à portée de main, s’examinant avec défiance. Kolia glougloutait en avalant les pommes et Grisha, dont le corps était devenu sec, contemplait sa voracité. Qui les eût aperçues de loin eût pu croire à une mère venant nourrir sa fille. Car au terme de ces neuf mois, on pouvait dire que les deux femmes s’étaient inextricablement liées, chacune ayant fini par apprivoiser l’autre. »

À propos de l’auteur
Née en 1978, Laurine Roux vit dans les Hautes-Alpes où elle est professeur de lettres modernes. (Source : Éditions du Sonneur)

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