Tout le pouvoir aux soviets

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En deux mots:
Un jeune banquier en voyage d’affaires à Moscou va tomber amoureux, reproduisant ainsi à quarante ans d’intervalle l’histoire de son père communiste. Mais «sa» Tania est bien différente de sa mère. Les temps ont bien changé.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

L’Amour est un fleuve russe

À quarante ans de distance, le fils d’un communiste français revient à Moscou et tombe lui aussi amoureux d’une Tania. Historique, ironique, cocasse.

S’il n’y a pas de crime, il y a beaucoup de châtiments dans le nouvel opus de Patrick Besson. On y parle de guerre et paix, pas seulement d’un idiot, mais de nombreux communistes à visage humain, ceux qui ont un nez, ceux qui cachent des choses sous le manteau. Sans oublier le capital qui y joue un rôle non négligeable. Pas celui dont rêvait Karl Marx, mais celui qui permet au banquier Marc Martouret de se pavaner à Moscou.
Il faut dire que la capitale russe a bien changé depuis le premier voyage de son père en 1967. Le communisme s’est sans doute dissout dans la vodka, laissant au capitalisme le plus sauvage le soin de poursuivre le travail commencé par Lénine, c’est-à-dire l’égalité du peuple… dans la misère.
Mais autant son père René voulait y croire, autant son fils ne se fait plus d’illusions sur les lendemains qui chantent. Il a pour cela non seulement le recul historique – l’occasion est belle pour faire quelques digressions sur l’utopie communiste et pour survoler un siècle assez fou de 1917 à 2017 – mais aussi une mère qui a fui l’URSS en connaissance de cause. Outre sa connaissance de la langue de Voltaire, cette belle traductrice a très vite compris que le plus beau rêve que pourrait lui offrir le système soviétique serait de le fuir. René et Tania rejoignent la France avec leurs illusions respectives que la naissance du petit Marc ne va pas faire s’évaporer. Et alors que près d’un quart des électeurs français suit la ligne du PCF, entend faire vaincre le prolétariat et entonne à plein poumons l’Internationale, la nomenklatura soviétique entend verrouiller son pouvoir par des purges, l’exil au goulag et des services de renseignements paranoïques. Il faudra du temps pour que les fidèles du marteau et de la faucille ouvrent les yeux… De même, il faudra des années pour que l’histoire secrète de la rencontre de ses parents ne soit dévoilée.
Reste l’âme russe, les fameux yeux noirs, les yeux passionés, les yeux ardents et magnifiques qui font fondre même un banquier désabusé. D’une Tania à l’autre, c’est une histoire mouvementée de la Russie qui défile, à l’image de ces matriochkas s’emboîtant les unes dans les autres, mais aussi cette permanence de l’âme russe qu’il nous est donné à comprendre.
Bien entendu, c’est avec une plume particulièrement acérée et le sens de la formule qu’on lui connaît – Ne mets pas de glace sur un cœur vide – que Patrick besson construit son roman. On se régale de ces petits détails qui «font vrai», de ces notations assassines, des formules qui rendent sa plume inimitable.

Tout le pouvoir aux soviets
Patrick Besson
Éditions Stock
Roman
256 p., 19 €
EAN : 9782234084308
Paru le 17 janvier 2018

Où?
Le roman se déroule en Russie, à Moscou et dans les environs, notamment à Peredelkino ainsi qu’en France, principalement à Paris.

Quand?
L’action se situe de nos jours, avec des retours en arrière en 1967 et plus largement sur tout le XXe siècle.

Ce qu’en dit l’éditeur
Marc Martouret, jeune banquier né d’une mère russe antisoviétique et d’un père communiste français, porte en lui ces deux personnes énigmatiques dont on découvrira les secrets tout au long du roman qui nous emmène du Paris de Lénine en 1908 au Moscou de Poutine en 2015, ainsi que dans l’URSS de Brejnev pour le cinquantième anniversaire d’octobre 17. L’épopée révolutionnaire, ses héros et ses martyrs, ses exploits et ses crimes, ses nombreuses ambiguïtés, sont ressuscités au fil des pages. Trois histoires d’amour se croiseront et seule la plus improbable d’entre elles réussira. Tout le pouvoir aux soviets est aussi une réflexion, chère à l’auteur, sur les rapports entre le pouvoir politique quel qu’il soit et la littérature. Le titre est de Lénine et on doit la construction aux célèbres poupées russes.

Les critiques
Babelio
Paris-Match (Gilles-Martin Chauffier)


Tout le pouvoir aux soviets de Patrick Besson, extraits lus par Grégory Protche

Les premières pages du livre 
« Ma dernière nuit à Moscou, capitale de la Russie lubrique et poétique. La ville où les piétons sont dans les escaliers des passages souterrains et les automobilistes au-dessus d’eux dans les embouteillages. Avenues larges et longues comme des pistes d’atterrissage. Retrouver la chambre 5515 du Métropole ou aller boire un verre ailleurs? J’aime sortir, mais aussi rentrer. Il y a ce club libertin sur Tverskaïa, où mes clients étaient sans moi hier soir, après la signature de notre contrat. Jamais dans un club libertin avec des clients, même après la signature d’un contrat : photos, puis photos sur les réseaux sociaux. Je travaille dans l’argent, et l’argent, c’est la prudence.
Va pour le club. Dans le goulet d’étranglement de l’entrée, un distributeur de billets qui annonce la couleur : celle de l’argent. L’air mélancolique des deux gros videurs. À droite le bar, à gauche des seins. Il y a aussi des seins au bar. Je compte – c’est mon métier – quatorze filles nues ou en sous-vêtements pornographiques. Peaux d’enfant, visages d’anges. Elles me dansent dessus à tour de rôle. Obligé d’en choisir une pour échapper aux autres. Je prends la plus habillée, ça doit être la moins timide. Et j’aurai une occupation : la déshabiller. C’est une Kazakh ne parlant ni anglais ni français, dans une courte robe qui, dans la pénombre, semble bleue. On discute du prix à l’aide de nos doigts. Je l’emmène dans une chambre aux murs noirs et sans fenêtres qui se loue à la demi-heure. Le cachot du plaisir. Le point faible de la prostitution moderne : l’immobilier. Les bordels de nos grands-pères avaient des fenêtres. Et parfois des balcons.
Au cours des trente minutes suivantes, m’amuserai à soulever puis à rabaisser la robe de la Kazakh sur ses fesses rondes et fraîches. Je veux bien payer une femme à condition de ne pas coucher avec elle. La fille m’interroge, par petits gestes inquiets, sur ce que je veux. Étonnée d’échapper à l’habituel viol. Je ne lui ai pas dit que je parle russe. Tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir un papa communiste. S’il s’était douté que la langue de Lénine me servirait autant dans la finance, mon père m’aurait obligé à en apprendre une autre. C’était juste après la mort de maman qui m’a toujours parlé français par haine de sa terre natale soviétique.
Sonnerie. Ce n’est pas un réveil, mais une minuterie. Les trente minutes de la location de la chambre et de la prostituée sont écoulées. La Kazakh me demande, toujours par gestes, si je veux la prendre une demi-heure de plus, puisque je ne l’ai pas prise. Je réponds en russe: niet. Dehors, je me dirige vers la place des Théâtres qui fut le théâtre de la version moscovite d’octobre 17. J’entre dans un long restaurant bicolore – chaises blanches, tables noires – presque vide. L’effet des sanctions économiques de l’UE et des USA contre le botoxé Poutine, idole des expatriés français en Russie? Ou d’une mauvaise cuisine? Le maître d’hôtel est assorti au restaurant: son corps bien proportionné est moulé dans une robe blanche à pois noirs. C’est une grande brune de type asiatique, sans doute une Sibérienne. Les Sibériennes sont des Thaïs qui n’ont pas besoin de danser sur les tables, ayant des jambes. Avec elle, je ne me contenterai pas de parler mon russe littéraire: le déploierai comme un drapeau sexuel. Qu’y a-t-il de plus rapide qu’un financier ? Peut-être un footballeur. Une négociation est un soufflé au fromage: ne doit pas retomber. Je fais ma première offre à la Sibérienne: un verre après son service. Tania – les femmes russes n’ont, depuis des siècles, qu’une dizaine de prénoms à leur disposition, c’est pourquoi Tania s’appelle comme ma défunte mère – ne sourit pas. Elle me regarde avec une insistance étonnée. Elle dit qu’elle n’a pas soif. A-t-elle sommeil? Si oui, je l’emmène à mon hôtel. Il faut d’abord, me dit-elle, qu’elle appelle son mari pour obtenir son accord. Je lui dis que je peux l’appeler moi-même. Entre hommes cultivés, nous finirons par trouver un arrangement. Qu’est-ce qui me fait croire que son mari est cultivé ? demande-t-elle. Elle entre dans mon jeu, c’est bien: on progresse vers le lit. Je ne réponds pas car ce n’est pas une question, juste un revers lifté. Elle dit que, bien sûr, elle n’est pas mariée, sinon j’aurais déjà reçu une claque, bientôt suivie d’une balle dans la tête administrée par ledit époux. Je propose que nous allions nous promener autour de l’étang du Patriarche. Elle me demande si je suis romantique. Non: boulgakovien. Le numéro deux dans le cœur sec de maman, après Pouchkine. »

À propos de l’auteur
Patrick Besson, depuis plus de quatre décennies, construit une œuvre diverse et multiforme, parmi laquelle il faut citer Dara (grand prix du roman de l’Académie française en 1985) et Les Braban (Prix Renaudot en 1995). Il poursuit par ailleurs une carrière de journaliste et de polémiste engagé, à la verve parfois meurtrière mais toujours pleine d’humour et de tendresse humaine. (Source : Éditions Stock & Plon)

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Les Romanov 1613-1918

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Les Romanov 1613 – 1918
Simon Sebag Montefiore
Éditions Calmann-Lévy
Récit historique
traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Tilman Chazal, Prune Le Bourdon-Brécourt et Caroline Lee
660 p., 27,90 €
EAN : 9782702157091
Paru en octobre 2016

Ce qu’en dit l’éditeur
Voici l’histoire de la dynastie des Romanov, avec ses tsars et tsarines, personnages tonitruants, autocrates-nés touchés par le génie ou la folie.
Cette captivante épopée, foisonnante d’anecdotes, raconte comment les Romanov ont construit leur empire de manière impitoyable, au gré de conspirations, de rivalités familiales et d’extravagances sexuelles. De Pierre le Grand, fêtard despotique, bâtisseur de l’autocratie russe qui exigeait l’ivresse permanente de sa cour, à Nicolas II, dernier empereur de Russie au destin tragique, dépeint comme un tsar réactionnaire et médiocre ayant précipité la chute de l’Empire, en passant par Catherine II, la plus grande des tsarines, qui multiplia les amants, ce livre dévoile leur monde secret et leur destinée hors du commun.
La plume vivante et inimitable de Simon Sebag Montefiore entremêle petite et grande histoire, et nous fait revivre avec une intensité remarquable les grands moments qui ont ponctué la légende des Romanov, pour qui gouverner la Russie fut à la fois une mission sacrée et un cadeau empoisonné.

Ce que j’en pense
****
Sur mon blog, il m’arrive très rarement de parler d’autres livres que des romans. Si je fais aujourd’hui une exception, c’est pour deux – bonnes – raisons. D’une part parce que Les Romanov se lit comme un roman, tant l’histoire mouvementée de cette famille est riche de rebondissements et les personnages hauts-en-couleur et d’autre part parce que ce gros volume servira également de guide pratique à tous ceux qui s’intéressent à la littérature russe. Ajoutons-y le fait que 2017 marquera les 100 ans de la fin des Romanov ou au choix de l’avènement de la Révolution et on aura une raison supplémentaire de se plonger dans ce fort volume.
La dynastie des Romanov prend naissance en 1613 avec Michel I et prend fin en 1762 avec la mort de Elisabeth I la Clémente. Si Simon Sebag Montefiore, comme de nombreux historiens, choisit de poursuivre jusqu’en 1917, c’est parce que la branche de Holstein-Gottorp qui prend la relève de 1762 à 1917 a choisi de perpétuer le nom de Romanov. Une branche qui par parenthèse n’est pas éteinte de nos jours, laissant deux prétendants au trône, Dimitri Romanov et la grande-duchesse Maria de Russie.
Mais revenons à Michel I. Le premier tsar à accéder au trône n’est guère représentatif de la dynastie. Il est plutôt effacé, vit au couvent dans les jupes de sa mère et sait à peine lire et écrire quand on vient le chercher pour le couronner. De fait, il va laisser le pouvoir au conseil qui l’a désigné, puis à son père de retour de captivité en Pologne et s’intéresser davantage à l’horlogerie ou à trouver une épouse qu’à régler des conflits nombreux qui minent le pays, notamment avec la Suède et la Pologne.
Son fils Alexis I, dit Le Paisible, ne fera guère mieux, ajoutant aux conflits internes une révolte intérieure qui faillit lui coûter sa place, les émeutiers étant parvenus à envahir le Kremlin. À sa suite viendront Fédor III puis Ivan V et Pierre Ier qui seront nommés conjointement, avant que le dernier nommé ne dirige seul pour devenir Pierre le Grand.
Voici venu le temps de l’âge d’or. Après l’ascension et avant le déclin, voici l’apogée. Une période qui n’en est pas moins que les autres marquée par des rivalités, du sang, des larmes et les principes autocratiques qui ne seront jamais battus en brèche. Entre le génie des uns et la folie des autres, la limite est ténue. Pierre fera indubitablement partie des génies, lui qui sera un grand bâtisseur, mettra fin à quelques conflits avant d’ouvrir son pays à l’Europe et de «construire» Saint-Pétersbourg. Comme nombre de ses prédécesseurs et successeurs, il n’en conservera pas moins un côté sombre, comme lorsqu’il n’hésite pas à torturer son fils, par exemple. Il faudra toutefois attendre très longtemps avant de retrouver une telle figure de proue avec Catherine II qui arrive en 1762 au pouvoir en renversant son mari. Digne représentante du siècle des Lumières, protectrice des arts et de la culture, elle va aussi défrayer la chronique par son appétit sexuel.
Si l’ouvrage de Simon Sebag Montefiore est aussi vivant, c’est qu’il regorge d’anecdotes et nous prouve une fois de plus que la petite histoire est souvent le moteur de la grande Histoire, que certaines alliances se sont nouées sur l’oreiller, que certaines décisions stratégiques sont plus le résultat de jalousies ou de désir de vengeance envers un cousin plus que de la haute stratégie, quitte à ce que des centaines de soldats soient sacrifiés sur le front de cette politique des émotions.
On en trouvera un bel exemple avec Alexandre II. Si le «Libérateur» a affranchi les serfs, il aura aussi joué un jeu dangereux avec Napoléon III, Bismarck ou Victoria. Après avoir échappé à plusieurs attentats, il finira assassiné, comme du reste la plupart de ses successeurs jusqu’à Nicolas II.
De la romance, on bascule alors dans le drame. Des maîtresses que l’on installe dans les appartements qui jouxtent ceux de son épouse, on en arrive aux conseillers occultes et aux intrigues de Palais, admirablement détaillées par un spécialiste de la Russie. Grâce à ses bonnes relations avec le Prince Charles, l’auteur a notamment eu accès à quelques documents inédits, comme des correspondances qui éclairent avec davantage de netteté, voire de cruauté, quelques (mes)alliances.
C’est passionnant de bout en bout !

Autres critiques
Babelio
L’Express (Benoît Yvert)
Noblesse & Royautés
Libération (D.K.)

Les premières pages du livre (comprenant l’arbre généalogique)

Extrait
« Les courtisans se déployèrent dans le royaume pour sélectionner des vierges adolescentes, principalement issues de familles de la petite noblesse, qui étaient ensuite envoyées à Moscou pour y vivre avec des membres de leur famille ou dans un manoir aménagé à cet effet. Au terme d’un long processus qui pouvait impliquer jusqu’à cinq cents candidates, six filles pomponnées et apprêtées par leurs familles étaient retenues.
Toutes les concurrentes paraissaient d’abord devant un jury de courtisans et de médecins qui éliminaient les plus faibles. L’on faisait ensuite parvenir au tsar et à ses conseillers des descriptions détaillant la beauté et la santé mais surtout les liens éventuels avec les clans du Kremlin. Pendant qu’elles attendaient nerveusement, leurs arbres généalogiques étaient abondamment épluchés.
Cette ancienne tradition suscitait la fascination des visiteurs étrangers, pour lesquels il s’agissait de la coutume moscovite la plus exotique. Expression d’une majesté mystérieuse, elle était en réalité surtout la réponse pratique à la difficulté que rencontraient les tsars pour attirer des femmes d’autres pays dans leur cour isolée et lointaine. »

A propos de l’auteur
Né en Angleterre en 1965, Simon Sebag Montefiore est diplômé d’histoire de l’université de Cambridge. Spécialiste de l’Histoire de la Russie, romancier et présentateur de télévision, il est membre de la Royal Society of Literature.
Il a reçu le prix Bruno Kreisky du livre politique, le Costa Biography Award et le prix de la Biographie du Los Angeles Times pour Le Jeune Staline (Calmann-Lévy, 2008). Ses ouvrages sont traduits dans plus de quarante langues. (Source : Éditions Calmann-Lévy)

Site internet de l’auteur (en anglais)

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