Tenir sa langue

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En lice pour le Prix Médicis
En lice pour le Prix Femina 2022
En lice pour le Prix Wepler 2022

En deux mots
Paulina aimerait bien récupérer son prénom russe, Polina. Mais les autorités françaises s’y opposent. En suivant le parcours de l’immigrée, on découvre l’histoire de sa famille et cette double culture, russe et française, si difficile à faire cohabiter.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Le prénom

Si ce premier roman est signé Polina Panassenko, c’est que son autrice a réussi à faire changer son prénom. L’histoire de Paulina-Polina est un jeu de saute-culture entre la Russie et la France, à l’image des nombreux allers-retours effectués entre ces deux pays.

Le courrier a beau être rédigé en jargon administratif, il ne laisse aucun doute quant à la décision prise: l’administration refuse que Paulina retrouve son prénom d’origine, Polina, francisé lors de son arrivée sur le territoire français. Alors Paulina doit à nouveau se lancer dans le dédale administratif, les instances judiciaires et espérer qu’à la fois suivante, elle sera entendue.
Car l’histoire de Polina-Paulina mérite d’être entendue. Prenant sa plus belle plume, la jeune femme va tenter de la résumer à l’intention de la procureure :
« Je suis née à Moscou, en URSS. Mes parents m’ont appelée Polina. C’est le prénom de ma grand mère paternelle. Juive. Sa famille a fui les pogroms d’Ukraine et de Lituanie. Quand ma grand mère est née, ses parents l’ont appelée Pessah. Ça veut dire «le passage». C’est le jour de célébration de l’Exode.
À la naissance de mon père, ma grand mère a changé son prénom. Elle l’a russisé. Pour protéger ses enfants. Pour ne pas gâcher leur avenir. Pour leur donner une chance de vivre un peu plus libres dans un pays qui ne l’était pas. Sur l’acte de naissance de mon père, Pessah est devenue Polina.
En 1993, mes parents ont émigré en France avec ma sœur et moi. Quand j’ai obtenu la nationalité française, mon père a fait franciser mon prénom. Lui aussi voulait protéger. Faire pour sa fille ce que sa mère avait fait pour lui.
Ce que je veux moi, c’est porter le prénom que j’ai reçu à la naissance. Sans le cacher, sans le maquiller, sans le modifier. Sans en avoir peur. Faire en France ce que ma grand mère n’a pas pu faire en Union soviétique.
Je n’ai pas d’enfants mais je désire en avoir un jour. Sur l’acte de naissance, en face de «nom de la mère» je veux écrire «Polina».
C’est un héritage. Savoir que sa mère était libre de porter son prénom de naissance. C’est celui là que je veux transmettre, pas celui de la peur. Je veux croire qu’en France je suis libre de porter mon prénom de naissance.
Je veux prendre ce risque là.
Je m’appelle Polina. »
Pour le lecteur, Polina va détailler ce scénario, depuis ses jeunes années au lendemain de la chute du mur et de la fin de l’Union soviétique, au moment où elle vivait dans un appartement communautaire de Moscou. Bien que de taille modeste, il abritait les trois générations de la famille, ses grands-parents, ses parents, ainsi que sa sœur et elle. Dans ce moment de bascule, on a droit à quelques souvenirs marquants de la vie dans l’ex-URSS, comme cette visite à la vendeuse en bas de l’immeuble. «On doit lui dire ce qu’on veut en fonction de ce qu’il reste. Elle pèse tout sur une grande balance bleue avec une flèche qui oscille. Sur un plateau elle pose ce qu’on achète, sur l’autre elle met des cylindres, quand la flèche du cadran est au centre, elle s’arrête. Ensuite elle fait claquer les perles en bois sur les tiges du boulier et annonce un chiffre. Ma mère tend les papiers carrés qui donnent le droit d’acheter et ensuite les roubles. Sans les papiers carrés, les roubles ne servent à rien.»
Mais la grande affaire du moment, c’est le grand départ. Alors que les tanks occupent l’écran de TV, Polina prépare ses bagages pour rejoindre son père en France. Nous sommes en Octobre 1993. «On ne peut pas prendre tout ce qu’on veut, il faut choisir ce qu’on laisse et ce qu’on emporte. Ma mère passe en revue et sélectionne selon des critères qu’elle seule connaît. Moi je veux un chat en tissu jadis blanc devenu gris qui s’appelle Tobik. Lui et rien d’autre. Ma mère tranche. C’est non, il est trop gros. Si on a trop de bagages, on devra payer très cher.»
Arrive alors la partie la plus savoureuse, même si on imagine toute la difficulté, tous les efforts nécessaires à la jeune fille dans un monde si étranger. Polina est devenue Paulina et a rejoint Saint-Etienne. C’est dans le Forez qu’elle va apprendre le français, aidée notamment par la télévision et l’autre élève boudé par les autres, Philippe. Cette alliance du bègue et de la russe va faire des merveilles, tout comme le déchiffrage des publicités pour brioches ou encore les dialogues des Minikeums.
Polina Panassenko réussit à merveille à retracer ce parcours et à cacher derrière l’humour ses blessures d’enfance, sa peine à tenir l’injonction de s’intégrer et d’oublier le russe pour le français, la famille restée «là-bas» et les nouvelles relations qui se nouent «ici», dans ce pays qui ne veut pas lui rendre son passé.
Entre les rires et les larmes, Polina va écrire son premier roman dans une langue qu’elle maîtrise désormais au point d’en jouer. Et parvient à nous éblouir, à l’instar de Maria Larrea, l’autre primo-romancière de cette rentrée en quête de ses origines avec Les gens de Bilbao naissent où ils veulent.

Tenir sa langue
Polina Panassenko
Éditions de l’Olivier
Premier roman
186 p., 18 €
EAN 9782823619591
Paru le 19/08/2022

Où?
Le roman est situé principalement à Paris et en région parisienne, à Montreuil et Bobigny ainsi qu’à Saint-Etienne. On y évoque aussi beaucoup la Russie et Moscou et le village où se trouve une Datcha à la campagne.

Quand?
L’action se déroule de la fin des 1980 à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
« Ce que je veux moi, c’est porter le prénom que j’ai reçu à la naissance. Sans le cacher, sans le maquiller, sans le modifier. Sans en avoir peur. »
Elle est née Polina, en France elle devient Pauline. Quelques lettres et tout change.
À son arrivée, enfant, à Saint-Étienne, au lendemain de la chute de l’URSS, elle se dédouble : Polina à la maison, Pauline à l’école. Vingt ans plus tard, elle vit à Montreuil. Elle a rendez-vous au tribunal de Bobigny pour tenter de récupérer son prénom.
Ce premier roman est construit autour d’une vie entre deux langues et deux pays. D’un côté, la Russie de l’enfance, celle de la datcha, de l’appartement communautaire où les générations se mélangent, celle des grands-parents inoubliables et de Tiotia Nina. De l’autre, la France, celle de la materneltchik, des mots qu’il faut conquérir et des Minikeums.
Drôle, tendre, frondeur, Tenir sa langue révèle une voix hors du commun.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
A Voir A Lire (Cécile Peronnet)
Diacritik (Christine Marcandier)
Diacritik (Johan Faerber)
En Attendant Nadeau (Jeanne Bacharach)
RTBF (Christine Pinchart)
RTBF (Sophie Creuz)
Untitled magazine
RTS (entretien avec Layla Shlonsky)
L’echo.be
Addict-Culture
Le blog de Gilles Pudlowski
Le blog littéraire de Pierre Ahnne
Blog froggy’s delight
Blog Aline a lu
Blog La bibliothèque de Delphine-Olympe
Blog Alex mot à mots


Polina Panassenko est l’invitée d’Augustin Trapenard pour y parler de son roman Tenir la langue © Production France Télévisions – La Grande Librairie

Les premières pages du livre
« Mon audience a lieu au tribunal de Bobigny. Convocation à 9 heures. Je n’y suis jamais allée, je pars en avance. En descendant dans le métro, je tape Comment parler à un juge ? dans la barre de recherche de mon téléphone. Après trois stations, je me demande s’il va vraiment falloir commencer chaque phrase par votre honneur, monsieur le président ou madame la juge. Je me demande si au tribunal ils font comme certains parents. Si on leur répond juste oui, ils disent oui qui ? Tant que tu n’as pas dit oui madame la juge, ils t’ignorent.
Arrivée au tribunal, j’attends mon avocate devant la salle d’audience. Des petits groupes anxieux s’agglutinent de part et d’autre de la porte. Une femme se demande à voix haute pourquoi certains avocats ont de la fourrure au bout de la cravate et d’autres non. Elle a l’angoisse bavarde. J’aperçois mon avocate qui passe la porte tambour et presse le pas. À la sécurité elle ouvre son sac, sort une grosse boule de tissu noir qu’elle coince sous son bras. Quand elle me voit, elle dit Ah vous voilà. Pendant qu’elle enfile sa robe sur ses vêtements de ville, on annonce l’ordre des audiences. La mienne est classée quatrième sur seize.
On appelle Pauline Panassenko. Salle 2, il y a trois femmes assises sur l’estrade. Deux côte à côte, une un peu à l’écart. Je ne sais pas qui est qui. Procureure, magistrate, greffière, dit mon avocate puis elle commence : Ma cliente a demandé à reprendre son prénom de naissance à la place de son prénom francisé. Cela lui a été refusé. Elle a pourtant prouvé qu’elle utilisait son prénom de naissance dans le cadre familial, amical, administratif et professionnel, et ce depuis plusieurs années. Elle veut simplement que son prénom de naissance soit de nouveau sur ses papiers d’identité français. La demande a été rejetée car jugée « dénuée de fondement ». Il doit s’agir d’une erreur…
Elle plaide, mais elle plaide pour rien. La procureure l’écoute comme une mention légale. Mon avocate se trompe sur le postulat de base. Elle pense que la procureure a refusé ma demande à cause d’un flou administratif. Une case que j’aurais mal remplie, mal cochée, une inversion. Mais non. Pas du tout. Il n’y a pas de vice de forme. La procureure a refusé parce qu’elle ne voit pas pourquoi un enfant dont le prénom a été francisé peut vouloir reprendre son prénom de naissance une fois devenu adulte. Elle ne voit pas pourquoi on voudrait porter le prénom qu’on a reçu de ses parents plutôt que celui offert par la République. Elle ne voit pas de fondement à ce que, sur mes papiers d’identité, il soit de nouveau écrit Polina au lieu de Pauline. Elle dit Mais maître, votre cliente est française maintenant. Puis à moi : Si tous vos papiers sont à Polina, eh bien vous pouvez les changer.
Les mettre à Pauline. Vous le savez très bien, ça, madame, vous le savez très bien. Vous savez bien, madame, que si votre nom a été francisé, c’est pour faciliter votre intégration dans la société française. Bien sûr que je le sais. C’est écrit sur demarches.interieur. gouv. « Afin de faciliter votre intégration, vous pouvez demander la francisation de votre nom de famille et/ou de vos prénoms. » Il y a même des exemples :
Ahmed devient Alain.
Giovanni devient Charles.
Antonia devient Adrienne.
Kouassi devient Paul.
Je regarde la procureure et je me demande si mon intégration dans la société française peut être considérée comme réussie. Je regarde la procureure et je me demande ce que ça peut lui faire que mon prénom fasse bifurquer sa langue d’une voyelle.
Ça l’écorche ? Ça lui fait une saignée ? Ou alors elle a peur que je me glisse dans sa langue de procureure. Le prénom comme cheval de Troie. Et une fois à l’intérieur, shlick. Un jaune d’œuf qui coule. Poc. Une fusée dans l’œil. Elle a peur que je la féconde, ouais. Elle a peur que je lui mette ma langue dans la sienne et de ce que ça ferait. Elle a peur de ses propres enfants en fait. Franchement si on se léchait les langues, ça serait tellement mieux. Un bon baisodrome de langues ça détendrait tout le monde. Dans ma tête, il y a de la baise linguistique sur le banc de la salle d’audience du tribunal de Bobigny. La procureure dit J’ai une dernière question pour votre cliente, maître. Mon avocate s’écarte. Je m’avance. Pensez-vous que c’est dans votre intérêt d’avoir un prénom russe dans la société française ?
Je pense à mon père, à son calme, et à la génétique. J’ai la même tête que lui, la moustache en moins, mais je n’ai pas son calme. Le calme de mon père, je l’admire. Je l’admire et je ne le comprends pas. Ses copains français qui lui expliquent au dîner que la collectivisation c’est super. Qui l’appellent « camarade » en roulant le r et parlent d’unité de production. Je lui dis Mais ça te gêne pas ? T’as pas envie de leur dire « Ta gueule pour voir » ? Non, dit mon père, pas du tout, ce sont des gens bien. Je ne sais pas comment il fait, mon père. Ses potes et leur fantasme de kolkhoze, là, je ne sais pas comment il fait pour les supporter. Quand enfin les potes s’en vont, je lui demande Mais comment tu fais ? Il dit Tu es maximaliste, ma fille. Il faut être plus tolérante.
Il a raison, mon père, je ne suis pas tolérante. J’ai arrêté d’aller chez une copine qui a accroché sur son mur l’image Battre les Blancs avec le coin rouge de Lissitzky. Celle avec le triangle qui pénètre le rond blanc. J’ai arrêté d’aller chez elle d’abord puis j’ai fait le lien ensuite. Il faudrait que je lui dise, peut être. Il faudrait que je lui dise, à ma pote, que mon pays en sang accroché sur son mur, ça me gêne. Ça me gêne sa petite affiche de propagande dans le salon. Ma guerre civile en toile de fond pendant qu’on bouffe des apéricubes, ça me dérange. Il y a très longtemps, on avait déjà parlé de la révolution d’Octobre. C’était parti en vrille : Non mais attends t’as pas le monopole de la révolution d’Octobre c’est un événement mondial il est à tout le monde attends t’as un problème avec la révolution d’Octobre t’aimes pas Avrora ou quoi eh les gars elle aime pas Avrora non mais en fait t’es de droite vas y dis le que t’es de droite franchement t’aimes pas Lénine t’aimes pas Trotski t’as un problème avec le communisme c’est obligé là tu lis Le Figaro eh les gars elle lit Le Figaro ou alors t’es une Russe blanche t’es une Russe blanche et t’oses pas le dire ah mais c’est ça t’es une Romanov en fait eh c’est une Romanov vas y tu t’appelles Anastasia en fait t’es la fille du tsar et t’aimes pas la Révolution parce qu’on t’a pris tes bijoux eh on lui a pris ses bijoux alors elle est pas contente non mais il y a pas eu que des bonnes choses mais ça n’a rien à voir rien à voir faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain faut pas mélanger les torchons et les serviettes les mouches et les kotlets ça n’a rien à voir une poule c’est pas un oiseau Lénine c’est pas Staline c’est pas Trotski bonjour les amalgames bonjour.
La procureure répète sa question. Le problème avec la rage, chez moi, c’est que pour agir c’est bien mais pour parler c’est horrible. Il faut que ça redescende sinon je fais juste une sorte de vocalise. Un angry yodel. Je me concentre sur ma respiration. Au conservatoire de théâtre, j’avais un prof de yoga qui s’appelait Gaourang. Son vrai nom c’était Jean Luc mais il se faisait appeler Gaourang. Et Gaourang, en cours de yoga, il nous disait toujours : Sentez l’air frais qui rentre dans les narines et l’air chaud qui ressort. Je regarde la procureure, je pense à Gaourang mais je sens pas d’air frais. J’ouvre la bouche, je produis des sons. Je dis URSS, je dis juive, je dis cacher son nom. Je n’entends pas ce que je dis mais j’entends ma voix. Une octave plus grave qu’à la normale. Quand je me tais ça fait pas comme dans les films américains où il y a un court silence puis une per sonne au loin qui applaudit et toute l’assemblée qui se lève. Ça fait pas ça. Ça fait juste la procureure qui dit à la magistrate : C’est intéressant, on a bien fait de la convoquer en audience. Puis elle dit Mettez moi ça par écrit. En témoignage. Et joignez le au dossier, maître. Mon avocate lui propose de se prononcer tout de suite. Ne pas refaire un an de procédure, un autre renvoi, une autre audience. Non. Elle ne veut pas la procureure, elle veut son papier.
On sort. Mon avocate me regarde. Elle dit Ouh là, vous avez l’air blasée. Elle tempère. Essaie de. Elle dit On est d’accord, si vous vouliez changer Blanche pour Geneviève, ce dialogue n’aurait pas eu lieu, mais il faut voir le bon côté. Il y a une expression russe qui dit « Celui qui a servi à l’armée ne rit pas au cirque ». Je ne le vois pas le bon côté. Mon avocate dit Ne vous braquez pas. Si, je me braque. Ne vous braquez pas. Si, je dis. Bon. Envoyez-moi, dès que vous rentrez, votre témoignage pour la procureure. Formulaire Cerfa N ̊11527*03.
Je marche vers le métro, je me dis : surtout ne ressasse pas. Je m’assois dans la ligne 5. De Bobigny à Oberkampf, je ressasse. De Oberkampf à Croix de Chavaux, je ressasse encore plus. Est ce que c’est dans mon intérêt ? Est ce que c’est dans mon intérêt ? Pétasse. Avec ta face de vieux
hibou, là. Elle veut du Malraux au Panthéon ? Elle veut son appel du 18 juin ? Les Américains sur les chars qui entrent à Auschwitz. Bim ! Point Godwin ? Rien à foutre. Elle veut du Jean Moulin à Bobigny ? Je vais te les cuire moi tes carottes. Connasse. Bon, faut que je me calme.

Je rentre chez moi. J’imprime le formulaire Cerfa. Je témoigne.
Madame la Procureure de la République,
Je suis née à Moscou, en URSS. Mes parents m’ont appelée Polina. C’est le prénom de ma grand mère paternelle. Juive. Sa famille a fui les pogroms d’Ukraine et de Lituanie. Quand ma grand mère est née, ses parents l’ont appelée Pessah. Ça veut dire « le passage ». C’est le jour de célébration de l’Exode.
À la naissance de mon père, ma grand mère a changé son prénom. Elle l’a russisé. Pour protéger ses enfants. Pour ne pas gâcher leur avenir. Pour leur donner une chance de vivre un peu plus libres dans un pays qui ne l’était pas. Sur l’acte de naissance de mon père, Pessah est devenue Polina.
En 1993, mes parents ont émigré en France avec ma sœur et moi. Quand j’ai obtenu la nationalité française, mon père a fait franciser mon prénom. Lui aussi voulait protéger. Faire pour sa fille ce que sa mère avait fait pour lui.
Ce que je veux moi, c’est porter le prénom que j’ai reçu à la naissance. Sans le cacher, sans le maquiller, sans le modifier. Sans en avoir peur. Faire en France ce que ma grand mère n’a pas pu faire en Union soviétique.
Je n’ai pas d’enfants mais je désire en avoir un jour. Sur l’acte de naissance, en face de « nom de la mère » je veux écrire « Polina ».
C’est un héritage. Savoir que sa mère était libre de porter son prénom de naissance. C’est celui là que je veux transmettre, pas celui de la peur.
Je veux croire qu’en France je suis libre de porter mon prénom de naissance.
Je veux prendre ce risque là.
Je m’appelle Polina. »

Extraits
« En bas de notre immeuble, à côté du mur de la chaufferie, il y a une fenêtre avec une vendeuse derrière. On doit lui dire ce qu’on veut en fonction de ce qu’il reste. Elle pèse tout sur une grande balance bleue avec une flèche qui oscille. Sur un plateau elle pose ce qu’on achète, sur l’autre elle met des cylindres, quand la flèche du cadran est au centre, elle s’arrête. Ensuite elle fait claquer les perles en bois sur les tiges du boulier et annonce un chiffre. Ma mère tend les papiers carrés qui donnent le droit d’acheter et ensuite les roubles. Sans les papiers carrés, les roubles ne servent à rien. » p. 39

Octobre 1993. À Moscou, ma mère fait les valises. Mon père nous attend à l’endroit qui s’appelle la France. On ne peut pas prendre tout ce qu’on veut, il faut choisir ce qu’on laisse et ce qu’on emporte. Ma mère passe en revue et sélectionne selon des critères qu’elle seule connaît. Moi je veux un chat en tissu jadis blanc devenu gris qui s’appelle Tobik. Lui et rien d’autre. Ma mère tranche. C’est non, il est trop gros. Si on a trop de bagages, on devra payer très cher. J’apporte Tobik dans la chambre avec balcon, là où sont les sacs. La TV est allumée en fond mais personne ne la regarde. Les grosses boîtes kaki à kaléidoscope sont réapparues. Maintenant, je sais que ce sont elles les «tanks». p. 46

À propos de l’auteur
PANASSENKO_Polina_©Patrice_NormandPolina Panassenko © Photo Patrice Normand

Polina Panassenko est née à Moscou. Elle est auteure, traductrice et comédienne. Après des études à Sciences-Po Paris elle suit une formation en art dramatique à la Comédie de Saint-Étienne et à l’École-studio du Théâtre d’Art de Moscou (MKhAT).
En 2015, elle a publié Polina Grigorievna, une enquête parue aux éditions Objet Livre. Tenir sa langue est son premier roman. (Source: Éditions de L’Olivier)

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Le nom secret des choses

RINKEL_le-nom-secret-des-choses
  RL_automne-2019

En deux mots:
Bac en poche, Océane quitte sa Bretagne natale pour aller étudier à Paris. Dans cette capitale de tous les possibles, elle va faire une rencontre déterminante. Avec Elia l’amitié devient fusionnelle. Les deux jeunes filles rêvent alors de se construire une nouvelle vie

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Comment Océane est devenue Blandine

Dans une nouvelle version de l’histoire de la provinciale qui découvre Paris, Blandine Rinkel confirme les espoirs suscités par «L’abandon des prétentions». Et nous raconte comment elle est devenue Blandine.

Océane n’est plus la même depuis son arrivée à Paris. Bac en poche et toute la vie devant elle, elle est fascinée par la capitale et ses habitants. Même si elle est encore bien loin d’en apprivoiser tous les codes, elle sent la vibration, l’énergie et les opportunités qui s’offrent à elle: «Les premiers mois, tu habites dans le quartier d’Odéon. Dix mètres carrés, dégotés sur un coup de chance grâce au bagout de ton père. Tu n’as aucune idée de la portée symbolique de ce quartier. Tu n’es pas au fait de l’ancienne rivalité entre rive gauche et rive droite. Tu n’as pas même conscience d’être chanceuse de loger là. Tu trouves ça tout simplement beau.»
Même «la fosse de Tolbiac» ne lui fait pas peur, cette fac où pourtant elle doit se préparer un avenir. Il s’agit, consciemment ou non, de faire quelque chose de cette nouvelle vie, de se transformer, de se métamorphoser. Et pour cela toutes les expériences comptent, y compris sexuelles. «Tu suçais sans y penser. Le sexe te semblant être un moyen comme un autre de te changer en quelqu’un d’autre. Une façon d’accélérer ta métamorphose. C’était comme un processus chimique de transformation de soi. Se faire pénétrer, comme la pâte à laquelle on ajoute un ingrédient, deux cerises, du beurre fondu.»
La route d’Océane va alors croiser une jeune fille qu’elle n’avait jusqu’alors pas vraiment considérée, même si cette collègue semblait venir de loin, comme son regard vairon, le même que David Bowie. Une rencontre comme une évidence, une découverte et la naissance d’une amitié fusionnelle, presque télépathique.
De la seconde personne du singulier, le récit passe alors à la seconde personne du pluriel : «Vous partagiez une amitié incandescente qui, tout extatique qu’elle fût, n’était en rien sexuelle, ne l’avait pas été, ne le serait jamais, et cette impossibilité de toucher, cet interdit tacite entre vous, rendait votre relation d’autant plus dérangeante.»
C’est à ce moment du roman que la romancière nous offre ce moment où tout bascule, ce rite de passage qui fait que toute la vie d’avant se fige et que désormais l’autre vie prend la place. Ce moment, c’est celui où on transforme la réalité pour qu’elle soit conforme à ce que l’on voudrait qu’elle soit. Un mensonge, une imposture dont Blandine Rinkel nous cite les exemples les plus emblématiques comme par exemple avec Jean-Claude Romand. «La mise en branle de l’imposture, c’est une tâche indélébile qu’on étale de plus belle en espérant la résorber. Et l’imposteur ajoute en permanence, de l’eau au moulin de son propre naufrage.»
Pour Elia et Océane, ce dédoublement de leur personnalité doit trouver sa légitimité dans un changement de prénom. Un petit jeu aux conséquences loin d’être anodines, comme vous vous en rendrez compte.
Voilà comment Océane est devenue Blandine. Et voilà comment, après L’abandon des prétentions, Blandine Rinkel confirme son talent.

Le nom secret des choses
Blandine Rinkel
Éditions Fayard
Roman
304 p., 19 €
EAN 9782213712901
Paru le 21/08/2019

Où?
Le roman se déroule en France, à Paris à Rennes, à Saint-Jean-des-Oies. On y évoque aussi Fresnes, le Jura, Pantin et Coignières, la Roche-sur-Yon, Arles, Nantes.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Et si ce que Paris a de plus désirable pour une jeune fille de province, sa culture, était en même temps l’outil de la violence sociale la plus dure? Et jusqu’où cette jeune fille sera-t-elle prête à aller pour se faire accepter dans cette ville où elle n’est pas sûre d’avoir sa place?
Tu avais l’âge de quitter ton enfance, l’âge où on se sent libre et où, dans le train pour Paris, on s’assoit dans le sens de la marche.
Dès ton arrivée, tu t’es sentie obligée de devenir quelqu’un d’autre. Quelqu’un qui n’oserait plus dire «je ne sais pas». C’était la ville qui t’imposait ça, dans ce qu’elle avait à tes yeux de violent et de désirable: sa culture.
Puis tu as rencontré Elsa. Elle avait le goût des métamorphoses.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
France TV info (Manon Botticelli)


Blandine Rinkel présente Le Nom secret des choses © Production Hachette France

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Tu gardes de ton premier voyage à Paris le souvenir d’un bruit infernal et ivre. En toi tout se télescope : les rugissements de camions-poubelles et les bavardages de gare, bruits de pelles et souffleries diverses ; les claquements des talons sur le pavé et le cliquetis des clés ; les klaxons des voitures bloquées en enfilade et la vaisselle du Sorbon cognant dans les éviers ; les sirènes de pompiers sur lesquelles vous aimiez tant improviser des harmonies, monologues ou percussions ; les coups de feu nocturnes, pétards ou balles dont on ne connaîtrait jamais l’origine ; les rideaux de fer qu’on relève et qu’on abaisse le matin, le soir ; la nuit, les sonnettes de vélos dans les rues, les disputes et la musique émanant d’appartements bleus et blêmes, rose électrique, et les hurlements de joie, les chants, les orgasmes et les pleurs – tu gardes de ton arrivée à Paris le souvenir d’un feu d’artifice sonore.
Le plus marquant furent les cris parsemant tes premières nuits. Des hurlements sans émetteurs identifiés qui remontaient, aléatoirement, aux fenêtres de ton appartement. Jamais, avant ça, tu n’avais entendu de telles manifestations de soi. C’étaient des sortes de brames tenant à la fois du cerf et de l’alcoolique, d’Edward Munch et du nouveau-né – c’étaient des sons inhumains et trop humains, qui jaillissaient dans l’obscurité comme l’inconscient funèbre de la Ville lumière. Son double obscur. Parfois, en écoutant filer ces comètes désastreuses, tu donnais aux cris les visages des derniers clochards que tu avais croisés, à qui tu avais cédé le peu de monnaie qu’il te restait et que tu t’étais sentie coupable de ne pouvoir soulager davantage. La culpabilité resterait, dans les années à venir, le sentiment que tu associerais le plus volontiers à la ville de Paris – cette capitale qu’on sait de misère et d’or, obscène jusque dans ses failles – et les étranges cris pénétrant les appartements à minuit révélaient cette déchirure invisible.
Tu as dix-huit ans. Tu vis pour la toute première fois sans ton père, sans tes amis, sans la mer. Tu es partie brutalement, laissant ton enfance derrière toi.
Dans le train, tu t’es installée dans le sens de la marche : tu y tenais. T’efforçant de chasser l’image du regard de ton père sur le quai de gare – lui et ses mains imposantes, que tu avais surprises à trembler –, t’efforçant de t’en foutre, tu as regardé défiler la France derrière la vitre, toutes les nuances de vert et tous les kilomètres. Tu as gardé les yeux grands ouverts et ton cœur s’est changé en grenade. Dans ta bouche, ta langue heurtait ton palais : tu avais soif. À tes côtés, une jeune femme possédait une gourde de métal alors, n’y tenant plus, tu lui as demandé si tu pouvais y boire. Tu en as éprouvé une honte inédite, en même temps qu’une envie de rire. Tu te sentais libre.
En arrivant, ta traversée de la gare Montparnasse fut aussi ta première visite d’un parc d’attractions. Jamais ton père ne t’avait emmenée dans un tel lieu, mais c’est comme ça que tu les imaginais : vertigineux et saccadés, avec des milliers de gens grouillant de toutes parts – des solitaires, des familles, des animaux, des amoureux. Une fois le portique du métro passé – celui qui, pareil à un piège pour nuisibles, menace de se refermer brutalement sur les hommes les plus lents –, les couloirs de la station te firent tout de suite grande impression. Une impression incandescente, renforcée par ta découverte du Trottoir Roulant Rapide, encore en fonction à l’époque, entre les lignes de métro 6/13 et leurs adversaires 4/12.
Conçu par la Construction industrielle de la Méditerranée et décrit comme un « tapis roulant expérimental », le TRR transportait en 2010 les passagers en ligne droite sur 180 m à hauteur de 11 km/h, soit 3 m/s – une vitesse jamais vue. Avec ses rampes lumineuses, sous la voûte souterraine du métro, il ressemblait au couloir d’un vaisseau spatial, pareil à ceux qu’on voit dans 2001: l’Odyssée de l’espace ou Star Strek, à ceci près qu’il luisait d’une lumière jaunâtre et incertaine lui donnant comme un air sépia. Une visite dans les zones passées du futur. Pourquoi la science-fiction représente-t-elle si souvent l’avenir propre,

Extraits
« Les premiers mois, tu habites dans le quartier d’Odéon. Dix mètres carrés, dégotés sur un coup de chance grâce au bagout de ton père. Tu n’as aucune idée de la portée symbolique de ce quartier. Tu n’es pas au fait de l’ancienne rivalité entre rive gauche et rive droite. Tu n’as pas même conscience d’être chanceuse de loger là. Tu trouves ça tout simplement beau. Dans cet étrange et vieil appartement, de la moquette recouvre sol et murs, une matière vert forêt dont l’allure romantique – l’excès de kitsch – te ravit. Tu l’associes volontiers aux romans de Stendhal ou à la poésie de Baudelaire, que tu connais d’ailleurs mal, que tu ne connais pour ainsi dire pas, mais que tu imagines moquettée, tapissée, et tout cela te plaît. Tu ignores encore que ce décor ne relève pas du bon goût mais d’une sorte de maniérisme risible, dont tu riras. »

« D’Elia, tu ne connais pas encore le prénom mais remarques aussitôt la moue solaire et la combinaison verte. C’est une combinaison qu’on achète moins qu’on ne la déniche – et chez cette fille tout te semble venir de loin. De loin ses gestes virils pour allumer sa clope, de loin la soie de ses cheveux et leur couleur de nuit persane, de loin aussi son regard, qui te trouble aussitôt sans que tu puisses identifier pourquoi – et il te faudrait plusieurs apparitions pour réaliser que ses yeux sont comme ceux de David Bowie, de couleurs légèrement différentes. À cause de ce trouble vairon, peut-être, ta sympathie, bien qu’immédiate, ne se manifeste par aucun sourire. Ton propre regard, comme saisi d’un spasme, se détourne. Il y a trouble, il faut fuir. »

« Tu suçais sans y penser. Le sexe te semblant être un moyen comme un autre de te changer en quelqu’un d’autre. Une façon d’accélérer ta métamorphose. C’était comme un processus chimique de transformation de soi. Se faire pénétrer, comme la pâte à laquelle on ajoute un ingrédient, deux cerises, du beurre fondu. Bien des fois tu n’avais aucune envie de baiser mais t’y résignais pourtant, pour être sympathique – «pour être sympathique» ! –, vérifier que tu étais désirable, cocher des sortes de cases. »

« Vous partagiez une amitié incandescente qui, tout extatique qu’elle fût, n’était en rien sexuelle, ne l’avait pas été, ne le serait jamais, et cette impossibilité de toucher, cet interdit tacite entre vous, rendait votre relation d’autant plus dérangeante.
Votre intimité était d’un ordre psychique très étrange. Vous pratiquiez, sans vous le dire, une sorte de télépathie. Les idées vous venaient simultanément. »

« La mise en branle de l’imposture, c’est une tâche indélébile qu’on étale de plus belle en espérant la résorber. Et l’imposteur ajoute en permanence, de l’eau au moulin de son propre naufrage. »

« Un matin on se réveille, et l’on est fatigué de soi-même.
On a plus envie de revêtir, ce jour-là, le visage qu’on portait la veille. On aimerait tout recommencer, alors on commence quelque chose. En sous-vêtements, l’haleine ridée, sans avoir bu ni mangé, on se saisit de son téléphone et on compose le numéro d’une mairie lointaine et qui pourtant est la nôtre. »

« Comment nos vies parallèles infléchissent-elles la principale ? Comment la déforment-elles subtilement – pareilles à ces batteries de smartphones usées auxquelles il arrive, gonflant dans l’obscurité, de finir par soulever l’écran de la machine ?
Sans doute y a-t-il des parts de nous soumises à d’autres lois de la gravité, d’une autre gravité, lois tordues et inconscientes dont nous ne connaissons rien mais sentons la puissance par à-coups – des accords de piano plaqués dans le vide –, et nous éprouvons parfois, en nous-même, la trace d’une intensité qui, si nous la prenions au sérieux, pourrait modifier durablement nos vies. Puis, généralement, nous oublions.
Mais tout le monde n’oublie pas. Et chacun des gestes d’Elia, chacune de ses intonations, étaient en ce sens comme les indices d’un système moral alternatif qu’on devinait cohérent et tenu, mais auquel personne ne pouvait tout à fait accéder.
Batterie secrète qui la faisait enfler. »

À propos de l’auteur
Blandine Rinkel a fait une entrée en littérature très remarquée avec L’abandon des prétentions, paru chez Fayard en 2017. Le nom secret des choses est son deuxième roman. (Source: Éditions Fayard)

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