Le bonheur est au fond du couloir à gauche

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En deux mots:
La belle histoire d’amour entre Michel et Bérénice prend fin brutalement après trois semaines. Et l’opération reconquête s’avère bien délicate. Pas davantage les psys que les marabouts ne peuvent l’aider. Alors peut-être que le suicide… À moins que la solution ne se trouve dans les livres de développement personnel.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

La vie ne vaut d’être vécue que du bon côté

J.M. Erre nous revient avec un roman chargé d’humour qui raconte la tentative de reconquête d’un homme éconduit. Michel parviendra-t-il à faire revenir Bérénice? Sa liste de recettes mérite le détour!

On dira que Michel n’a pas eu de chance. Mais il est vrai qu’il n’a pas demandé à naître. Pendant 25 ans, jusqu’à ce moment où Bérénice décide de le quitter, il aura été «un enfant triste, un adolescent cafardeux avant de devenir un adulte neurasthénique». Il faut dire que la marche de l’Histoire ne l’a pas gâté. Il est né le jour du déclenchement du génocide rwandais et a été baptisé la veille du massacre de Srebrenica. Et ce n’est pas son déménagement rue de la Gaîté qui a arrangé les choses. Il a la mélancolie solidement ancrée en lui. Sa fréquentation assidue des psys ne va pas non plus lui être d’un très grand secours. Pour ces professionnels, il est un «obsessionnel compulsif bipolaire gravement dépressif, franchement hypocondriaque, volontiers paranoïaque et fortement inhibé à cause d’un rapport pathologique à la mère.»
La solution serait donc le suicide. Mais après consultation des statistiques en la matière et le visionnage d’un discours d’Emmanuel Macron, il doit bien se rendre à l’évidence: le suicide, c’est dangereux! L’objectif de reconquérir le cœur de Bérénice semble davantage à sa portée, d’autant que Google n’est pas avare en solutions, de la méthode du psy canadien à celle du marabout burkinabé. Sauf que ces dernières brillent par leur inefficacité. Heureusement, il reste les blogs, eux aussi très suivis et pas avares en bons conseils. Pourquoi ne pas suivre celui de Martine de Gaillac et «irradier de bonheur pour rendre les autres heureux»? Mais là encore, c’est plus vite dit que fait.
Restent les livres. Ceux que Bérénice lui a laissé, ces ouvrages consacrés au bonheur et aux moyens de l’atteindre, de le conserver, voire de l’accroître. Oui, Le bonheur est au fond du couloir à gauche!
J.M. Erre, avec son humour pince-sans-rire, fait une fois de plus la démonstration que la vie ne vaut d’être vécue que si on la prend du bon côté (encore faut-il savoir où est le bon côté). En s’amusant avec les recettes toutes faites et les manuels de développement personnel qui ne développent fort souvent que le tiroir-caisse de leurs auteurs, il fait œuvre salutaire. Et nous en fait voir de toutes les couleurs: sous couvert de fantaisie bien noire, il nous offre un moment de vie en rose. De quoi effacer quelques bleus à l’âme…

Le bonheur est au fond du couloir à gauche
J.M. Erre
Éditions Buchet-Chastel
Roman
192 p., 15 €
EAN 9782283033807
Paru le 7/01/2021

Où?
Le roman est situé en France, principalement à Paris.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Enfant morose, adolescent cafardeux et adulte neurasthénique, Michel H. aura toujours montré une fidélité remarquable à la mélancolie. Mais le jour où sa compagne le quitte, Michel décide de se révolter contre son destin chagrin. Il se donne douze heures pour atteindre le bien-être intérieur et récupérer sa bien-aimée dans la foulée. Pour cela, il va avoir recours aux pires extrémités: la lecture des traités de développement personnel qui fleurissent en librairie pour nous vendre les recettes du bonheur…
Quête échevelée de la félicité dans un 32m² cerné par des voisins intrusifs, portrait attendri des délices de la société contemporaine, plongée en apnée dans les abysses de la littérature feel-good, Le bonheur est au fond du couloir à gauche est un roman qui vous aidera à supporter le poids de l’existence plus efficacement qu’un anti-dépresseur.

Les critiques
Babelio 
Lecteurs.com
France Télévisions Rédaction Culture (Carine Azzopardi)
L’Espadon https://www.lespadon.info/2021/01/le-bonheur-est-au-fond-du-couloir.html
L’Essor 42 (Jacques Plaine)
Blog Sans connivence
Blog Cathulu


Présentation du nouveau de J.M. Erre, Le bonheur est au fond du couloir à gauche © Production France Info

Les premières pages du livre
« Au début de mon histoire, il y a une NDE.
NDE est l’acronyme de Near Death Experience. En français: une expérience de mort imminente. De nombreuses personnes rapportent le même épisode troublant. Elles parlent d’un long tunnel sombre avec une lumière blanche au bout. Elles mentionnent des voix célestes qui les appellent, des créatures angéliques qui les invitent à les rejoindre. Elles évoquent un passage vers un autre territoire, un autre monde, une autre vie.
Moi aussi, j’ai connu tout ça. Le tunnel obscur, la lumière blanche, les voix de l’au-delà, l’attraction irrésistible vers l’inconnu… À vrai dire, j’ai longtemps hésité avant de passer de l’autre côté. Ce n’est pas que je regrettais ma vie d’avant – avais-je seulement vécu ? –, mais je me méfiais. Un mauvais pressentiment. Je sentais que quelque chose clochait. Je flairais le piège. Je soupçonnais que c’était un aller sans retour et que j’allais le regretter.
Finalement, je n’ai pas eu à faire de choix, car on m’a poussé vers la lumière. Impossible de résister. J’ai longé le tunnel, j’ai franchi le seuil, j’ai fait le grand plongeon dans l’éblouissante clarté.
Et je suis né.
C’était il y a vingt-cinq ans. Je ne m’en suis jamais remis.

Notre naissance est une expérience de mort imminente. Reste juste à connaître la durée de l’imminence.
J’ouvre les yeux et je vois Bérénice. Quoi de plus beau que le doux visage de l’Amour penché sur soi au réveil après une bonne nuit de treize heures sous Stilnox ? Elle est divine dans sa doudoune rouge, avec son bonnet sur la tête et son gros carton dans les bras. Elle me dit : « Michel, je te laisse mes bouquins. »
Bérénice m’offre un cadeau dès le réveil. J’ai une femme merveilleuse. Prévenante, cultivée, niveau 7 au sudoku, je ne la mérite pas. Si je pouvais, je lui mettrais cinq étoiles sur TripAdvisor. Elle ajoute : « C’est grâce à eux que j’ai trouvé la force de te quitter. Ils pourront t’être utiles, espèce de taré. »
Bérénice laisse tomber le carton de livres, m’écrase trois métatarsiens, empoigne sa valise et sort de la chambre. Je ne suis pas sûr qu’elle ait dit « taré ». C’était peut-être « connard » ou « salaud ». Qu’importe, c’est l’intention qui compte : Bérénice me fait un cadeau.
La porte claque. Quand l’Amour s’en va, on ne réfléchit pas, on agit. Pas une seconde d’hésitation : je prends un Lexomil.
La porte s’ouvre. L’Amour revient, c’est magique. Bérénice avait besoin d’une petite pause pour faire le point, ça arrive dans tous les couples. Nous allons nous réconcilier sous la couette dans un déchaînement sulfureux de nos sens et une extase de nos fluides qui…
« Par contre, je récupère mon Camus ! »
Bérénice s’accroupit dans un mouvement d’un érotisme échevelé, pousse un ahanement d’invitation au plaisir, puis se relève en brandissant L’Étranger, notre livre de chevet.
La porte claque. Bérénice disparaît. La table de chevet penche dangereusement sur la droite. Sans littérature pour caler l’existence, tout menace de s’écrouler. Je pleure.
Mes troubles de l’humeur sont apparus assez tôt, environ une demi-heure après ma naissance, lors de la première tétée. Il paraît que je refusais obstinément de prendre le sein, sans doute par volonté de boycotter l’hypocrite pot de bienvenue offert après mon expulsion sauvage.
Suite à neuf mois paradisiaques dans un bain d’Éden amniotique thermostat 2, j’ai été brutalement mis à la porte sans préavis. Expulsé dans le froid, nu et sans défense : on ne ferait même pas subir ça à des punks à chien squatteurs d’immeubles.
Ah, elle est belle, la patrie des droits de l’homme.
J’hésite à me lever, car Pascal a écrit : « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. » Je l’ai appris à Bérénice qui m’a répondu que je n’avais qu’à m’installer en couple avec Pascal. J’ai bien conscience que la probabilité d’un arrière-plan ironique dans la répartie de ma bien-aimée n’est pas nulle, mais qui suis-je pour contredire un philosophe inscrit au programme de l’Éducation nationale ?
Je me souviens soudain que les accidents domestiques sont la troisième cause de décès en France. D’après les statistiques officielles, vingt mille personnes meurent chaque année chez elles, bien plus que les victimes d’accidents de la route ou d’homicides. Pascal n’avait pas accès aux chiffres de l’Insee. En réalité, il n’existe pas d’endroit plus dangereux que notre logement. Donc, je me lève.
On sonne. Bérénice est de retour. Regret d’une vie à deux pleine de moments complices devant Netflix ? Hantise de devoir trouver un nouvel appartement quand le prix du mètre carré parisien pulvérise l’indécence ? Perspective angoissante d’une vie en solo dans le désert sentimental des métropoles occidentales ? Prise de conscience que l’horloge biologique tourne inexorablement et qu’une rupture avant conception de progéniture est une folie ? Oubli d’un parapluie ?
J’ouvre. C’est mon voisin, M. Patusse. Il me demande de ne pas claquer les portes, surtout un dimanche matin quand chacun profite d’un repos bien mérité après une dure semaine de travail. Il ajoute : « Pour ceux qui travaillent, bien sûr », avec une grimace symptomatique de l’abcès dentaire.
Je saisis le pudique sous-entendu et remercie M. Patusse de son inquiétude toute paternelle vis-à-vis de ma situation professionnelle. Je lui confirme que je n’exerce pour l’heure nulle activité salariée destinée à m’épanouir socialement trente-cinq heures par semaine, à rentabiliser l’investissement locatif loi Pinel de mon propriétaire et à cotiser cent soixante-douze trimestres avant de mourir à taux plein, mais je tiens à rassurer mon voisin : cet état n’est que provisoire.
M. Patusse souhaite que je précise ma définition du provisoire avec un rictus confirmant la gravité de sa gingivite. Je réponds que selon Albert Einstein, le temps est une notion relative. J’ajoute qu’en se plaçant au niveau le plus fondamental de la réalité physique, on pourrait même poser l’hypothèse que le temps n’existe pas.
Un tremblement compulsif de la paupière gauche de M. Patusse laisse craindre l’imminence d’un AVC. Je rassure mon voisin : ma sortie du cercle vicieux de l’assistanat est proche. C’est promis, il sera le premier informé de ma réinsertion dans un secteur d’activité florissant qui me permettra d’assumer enfin mes devoirs citoyens, à savoir aider mon pays à maintenir les déficits publics en dessous de la barre des 3 % et rembourser mes années de RSA par une surconsommation à fort taux de TVA.
En attendant l’avènement de cette heureuse perspective, M. Patusse m’invite au silence afin de respecter le bien-être des résidents de l’immeuble comme cela est prescrit dans l’article 1 du règlement de copropriété. Il m’en a d’ailleurs apporté un exemplaire qu’il a imprimé spécialement pour moi sur un papier de qualité supérieure. C’est la journée des cadeaux.
Je tranquillise mon voisin : les portes ne claqueront plus, car ma femme m’a quitté. M. Patusse n’est pas homme à se payer de mots. Puis-je lui garantir que Bérénice ne reviendra pas ? Je suis désolé, mais je ne peux pas le lui certifier à 100 %. Cependant, si l’on se fie à la description que fait Michel Houellebecq dans ses œuvres de l’impossibilité ontologique d’une relation de couple satisfaisante et pérenne, on peut estimer les chances d’un retour de Bérénice entre le peu probable et le carrément foutu.

J’ouvre les yeux et je vois Bérénice. Quoi de plus beau que le doux visage de l’Amour penché sur soi au réveil après une bonne nuit de treize heures sous Stilnox ? Elle est divine dans sa doudoune rouge, avec son bonnet sur la tête et son gros carton dans les bras. Elle me dit : « Michel, je te laisse mes bouquins. »
Bérénice m’offre un cadeau dès le réveil. J’ai une femme merveilleuse. Prévenante, cultivée, niveau 7 au sudoku, je ne la mérite pas. Si je pouvais, je lui mettrais cinq étoiles sur TripAdvisor. Elle ajoute : « C’est grâce à eux que j’ai trouvé la force de te quitter. Ils pourront t’être utiles, espèce de taré. »
Bérénice laisse tomber le carton de livres, m’écrase trois métatarsiens, empoigne sa valise et sort de la chambre. Je ne suis pas sûr qu’elle ait dit « taré ». C’était peut-être « connard » ou « salaud ». Qu’importe, c’est l’intention qui compte : Bérénice me fait un cadeau.
La porte claque. Quand l’Amour s’en va, on ne réfléchit pas, on agit. Pas une seconde d’hésitation : je prends un Lexomil.
La porte s’ouvre. L’Amour revient, c’est magique. Bérénice avait besoin d’une petite pause pour faire le point, ça arrive dans tous les couples. Nous allons nous réconcilier sous la couette dans un déchaînement sulfureux de nos sens et une extase de nos fluides qui…
« Par contre, je récupère mon Camus ! »
Bérénice s’accroupit dans un mouvement d’un érotisme échevelé, pousse un ahanement d’invitation au plaisir, puis se relève en brandissant L’Étranger, notre livre de chevet.
La porte claque. Bérénice disparaît. La table de chevet penche dangereusement sur la droite. Sans littérature pour caler l’existence, tout menace de s’écrouler. Je pleure.

Mes troubles de l’humeur sont apparus assez tôt, environ une demi-heure après ma naissance, lors de la première tétée. Il paraît que je refusais obstinément de prendre le sein, sans doute par volonté de boycotter l’hypocrite pot de bienvenue offert après mon expulsion sauvage.
Suite à neuf mois paradisiaques dans un bain d’Éden amniotique thermostat 2, j’ai été brutalement mis à la porte sans préavis. Expulsé dans le froid, nu et sans défense : on ne ferait même pas subir ça à des punks à chien squatteurs d’immeubles.
Ah, elle est belle, la patrie des droits de l’homme.

J’hésite à me lever, car Pascal a écrit : « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. » Je l’ai appris à Bérénice qui m’a répondu que je n’avais qu’à m’installer en couple avec Pascal. J’ai bien conscience que la probabilité d’un arrière-plan ironique dans la répartie de ma bien-aimée n’est pas nulle, mais qui suis-je pour contredire un philosophe inscrit au programme de l’Éducation nationale ?
Je me souviens soudain que les accidents domestiques sont la troisième cause de décès en France. D’après les statistiques officielles, vingt mille personnes meurent chaque année chez elles, bien plus que les victimes d’accidents de la route ou d’homicides. Pascal n’avait pas accès aux chiffres de l’Insee. En réalité, il n’existe pas d’endroit plus dangereux que notre logement. Donc, je me lève.
On sonne. Bérénice est de retour. Regret d’une vie à deux pleine de moments complices devant Netflix ? Hantise de devoir trouver un nouvel appartement quand le prix du mètre carré parisien pulvérise l’indécence ? Perspective angoissante d’une vie en solo dans le désert sentimental des métropoles occidentales ? Prise de conscience que l’horloge biologique tourne inexorablement et qu’une rupture avant conception de progéniture est une folie ? Oubli d’un parapluie ?
J’ouvre. C’est mon voisin, M. Patusse. Il me demande de ne pas claquer les portes, surtout un dimanche matin quand chacun profite d’un repos bien mérité après une dure semaine de travail. Il ajoute : « Pour ceux qui travaillent, bien sûr », avec une grimace symptomatique de l’abcès dentaire.
Je saisis le pudique sous-entendu et remercie M. Patusse de son inquiétude toute paternelle vis-à-vis de ma situation professionnelle. Je lui confirme que je n’exerce pour l’heure nulle activité salariée destinée à m’épanouir socialement trente-cinq heures par semaine, à rentabiliser l’investissement locatif loi Pinel de mon propriétaire et à cotiser cent soixante-douze trimestres avant de mourir à taux plein, mais je tiens à rassurer mon voisin : cet état n’est que provisoire.
M. Patusse souhaite que je précise ma définition du provisoire avec un rictus confirmant la gravité de sa gingivite. Je réponds que selon Albert Einstein, le temps est une notion relative. J’ajoute qu’en se plaçant au niveau le plus fondamental de la réalité physique, on pourrait même poser l’hypothèse que le temps n’existe pas.
Un tremblement compulsif de la paupière gauche de M. Patusse laisse craindre l’imminence d’un AVC. Je rassure mon voisin : ma sortie du cercle vicieux de l’assistanat est proche. C’est promis, il sera le premier informé de ma réinsertion dans un secteur d’activité florissant qui me permettra d’assumer enfin mes devoirs citoyens, à savoir aider mon pays à maintenir les déficits publics en dessous de la barre des 3 % et rembourser mes années de RSA par une surconsommation à fort taux de TVA.
En attendant l’avènement de cette heureuse perspective, M. Patusse m’invite au silence afin de respecter le bien-être des résidents de l’immeuble comme cela est prescrit dans l’article 1 du règlement de copropriété. Il m’en a d’ailleurs apporté un exemplaire qu’il a imprimé spécialement pour moi sur un papier de qualité supérieure. C’est la journée des cadeaux.
Je tranquillise mon voisin : les portes ne claqueront plus, car ma femme m’a quitté. M. Patusse n’est pas homme à se payer de mots. Puis-je lui garantir que Bérénice ne reviendra pas ? Je suis désolé, mais je ne peux pas le lui certifier à 100 %. Cependant, si l’on se fie à la description que fait Michel Houellebecq dans ses œuvres de l’impossibilité ontologique d’une relation de couple satisfaisante et pérenne, on peut estimer les chances d’un retour de Bérénice entre le peu probable et le carrément foutu.

J’ai mis cinq étoiles sur Amazon à tous les romans de Michel Houellebecq. Ce que j’aime, chez lui, c’est qu’il montre qu’il y a quelque chose au-delà du constat désespéré d’un monde sans amour et sans bonté, quelque chose au-delà de la tristesse infinie de l’homme seul face à sa misère, quelque chose au-delà de la déception inhérente à toute activité humaine : la possibilité de transformer cette noirceur en éclairs de drôlerie et d’intelligence par la magie de l’écriture.
J’aime Michel Houellebecq, car il me donne de l’espoir.
Moi aussi, un jour, quand j’aurais atteint le stade ultime de la dépression, je deviendrai un grand écrivain humoristique. Comme Michel.
À l’évocation de notre plus grand romancier (plus ou moins) vivant, je lis dans les yeux de M. Patusse qu’il frôle sa deuxième attaque cérébrale de la matinée. Dans un souci de rapprochement amical propice au bon voisinage, je lui demande si son mariage avec Mme Patusse résulte d’une passion amoureuse doublée d’une communion d’âmes, ou bien de la volonté pragmatique de combler une solitude existentielle trop douloureuse à porter au quotidien, ou encore d’un simple souci de conformisme social fiscalement avantageux.
M. Patusse laisse pendre une lippe rosâtre semée de quelques miettes de biscotte, puis tourne les talons afin d’aller échanger avec son épouse au sujet des motivations ayant conduit à leur union.
Je reste sur mon paillasson, car j’ai entendu du bruit dans la cage d’escalier.
Bérénice ?
Béré, c’est toi ?
Chaton ?
Je vais attendre un moment sur le palier. Mon amour étant très joueuse, peut-on raisonnablement écarter l’hypothèse qu’elle me fasse une blague ?
Mon portable sonne alors que j’attends Bérénice la blagueuse devant ma porte. Je décroche. C’est elle ! Ma bien-aimée me demande si je suis bien moi-même. Je ris de bon cœur et je la félicite pour son humour. Bérénice me répond qu’elle s’appelle Sarah. Mon amour est impayable. Belle, intelligente et facétieuse. Je ne la mérite pas.
Bérénice insiste. Elle s’appelle Sarah et travaille pour l’institut de sondage Ipsos. Je lui réponds que je l’aime et que je suis sûr qu’elle avait de bonnes raisons de me dissimuler son vrai nom et sa véritable activité professionnelle. Je comprends qu’elle soit partie parce qu’elle ne supportait plus de vivre dans le mensonge. Je suis heureux qu’elle m’ouvre enfin son cœur, je ne lui en veux pas du tout. Je l’attends pour le petit déjeuner. Croissant ou apfelstrudel ?
Au ton professionnel que garde Bérénice, je prends conscience qu’elle travaille dans un centre d’appels et doit être écoutée à cet instant par un superviseur soumis à l’idéologie néolibérale, adepte de la pression psychologique. Je ne veux pas nuire à ma bien-aimée, je décide de jouer le jeu. Bérénice veut que je participe à la grande enquête de l’institut Ipsos, je ne demande qu’à lui rendre service. Il s’agit d’un sondage sur le bonheur. Ça tombe bien, c’est ma spécialité.
Mes parents m’ont dit que je n’avais pas pleuré à la naissance, ce qui les avait beaucoup surpris. En revanche, j’ai pleuré tous les autres jours de mon existence, ce qui peut aussi étonner. J’ai été un enfant triste et un adolescent cafardeux avant de devenir un adulte neurasthénique. À l’heure de la civilisation zapping qui change d’avis, de conjoint ou de Smartphone comme de chaussettes, ma fidélité à la mélancolie est assez rare pour être signalée.
Je suis né le jour du déclenchement du génocide rwandais. J’ai été baptisé la veille du massacre de Srebrenica. Mon premier mot, prononcé alors qu’on annonçait la mort de François Mitterrand à la télévision, a été « Prozac ». J’ai eu mon premier chagrin d’amour le 11 septembre 2001. J’ai fait ma scolarité à l’école primaire Anne-Frank, au collège Guy-Môquet et au lycée Jean-Moulin.
Pour compenser, j’ai emménagé il y a quelques années rue de la Gaîté. Pour l’instant, ça ne marche pas trop.
L’institut Ipsos fait une grande enquête sur le bonheur des Français. C’est une excellente initiative : j’en informe Bérénice et j’en profite pour lui dire qu’elle est une formidable opératrice téléphonique afin qu’elle soit bien notée par son superviseur.
Première question : vous considérez-vous comme heureux ? Oui, non ? Je rappelle à Bérénice qu’elle peut me tutoyer. Elle reste professionnelle. Vous considérez-vous comme heureux ? Oui, non ? Je réponds : « Ça dépend. » Bérénice me dit qu’il n’y a pas de case « ça dépend ». Vous considérez-vous comme heureux ? Oui, non ? Je réponds : « Oui et non. » Bérénice me dit que c’est oui ou non. Je réponds : « Oui quand tu es près de moi, non quand tu es loin de moi, et entre les deux quand on est au téléphone. » J’ajoute qu’elle est la meilleure opératrice téléphonique que j’aie jamais rencontrée de ma vie et qu’elle mérite une promotion salariale et des avantages sociaux conséquents eu égard à ses remarquables compétences qui serviront sans nul doute un jour prochain à l’instruction des novices de l’école des opérateurs de centre d’appels.
Bérénice bredouille un « euh » d’émotion devant une déclaration d’amour aussi sincère et spontanée, puis elle se tait pendant plusieurs secondes. Que j’aime nos silences complices !
Bérénice se racle la gorge puis, soumise à la pression psychologique de son superviseur inféodé au grand capital, elle dissimule son émoi derrière une diction mécanique afin de m’adresser ses sincères remerciements au nom de l’institut Ipsos. Je l’embrasse tendrement et je lui rappelle qu’elle a des droits en tant que salariée obligée de travailler un dimanche, qu’elle reste un être humain qu’aucun superviseur au monde ne pourra empêcher d’exprimer ses sentiments, que la monstrueuse mécanique du travail ne saurait broyer la singularité émotionnelle qui fait de chacun de nous un… Bérénice ?
Béré ??
Chaton ???
Mon amour a dû raccrocher pour ne pas perdre pied dans la course féroce à la productivité, impitoyable machine à frustration qui engendre une déshumanisation du management. D’odieux individus rendent ma bien-aimée malheureuse en l’obligeant à faire des sondages sur le bonheur. La perversité à son comble. »

Extraits
« J’aime la publicité parce qu’elle a de formidables vertus pédagogiques. Grâce à elle, on apprend que l’alcool se consomme avec modération, qu’il faut ingérer cinq fruits et légumes par jour, ou encore qu’il est nécessaire de manger et bouger (ce qu’on ne nous dit jamais à l’école où, au contraire, on nous répète sans arrêt de ne pas bouger). Il est grand temps de remercier les annonceurs pour leur rôle primordial en termes de santé publique. En 1968, quand la télévision française diffuse ses premiers spots publicitaires, l’espérance de vie est de 75 ans pour les femmes et de 67,6 ans pour les hommes. En 2018, elle est de 85,3 ans pour les femmes et de 79,2 ans pour les hommes. Merci qui?
L’autre merveilleuse fonction de la publicité, c’est de vous faire toucher du doigt le bonheur. Exactement comme les discours des campagnes électorales. Un bonheur simple et accessible à tout le monde. Vous achetez un camembert et hop, vous avez plein de chouettes amis qui rigolent dans un pré en le partageant avec vous. » p. 37

« Pour reconquérir Bérénice, je dois d’abord comprendre pourquoi elle m’a quitté. Procédons avec méthode, car on sait depuis quatre cents ans, grâce à René Descartes, que rien de grand ne peut se faire sans méthode. Opérons donc étape par étape:
1) Je prends une bière pour m’aider à réfléchir.
2) Je prends une deuxième bière.
3) Je prends un Martini parce que je n’aime pas la monotonie.
4) Je prends une troisième bière parce que je n’aime pas le Martini.
5) Je ne comprends toujours pas pourquoi Bérénice m’a quitté.
6) Il faut que je trouve une autre méthode.
7) Y a-t-il une méthode pour trouver une bonne méthode ?
8) René ?
Je mets en œuvre la procédure d’urgence en situation de crise : je regarde une vidéo du président-prophète. Quand il me parle de sa voix douce et pédagogique en articulant lentement chaque syllabe, ça m’apaise. Bérénice l’aime beaucoup parce qu’il est jeune, moderne et disruptif.
Je liste mes atouts. Moi aussi, je suis jeune (j’ai seize ans de moins que le président. En fait, il est vieux!). Moi aussi, je suis moderne (j’ai un iPhone et des crédits Cetelem). Problème: suis-je assez disruptif? Problème n°2: que signifie « disruptif »?
Je demande la définition à Chierie, mon assistant personnel Apple. DISRUPTIF – VE, adj. Terme littéraire rare. Qui tend à une rupture. Voilà où le bât blesse. Je ne
tends absolument pas à une rupture. Je ne suis pas du tout disruptif. » p. 58-59

« J’ai la solution en main. Ce livre est un best-seller international écrit par une home organizer japonaise, c’est certifié sur la couverture. Il a été vu à la télé, il a été lu et approuvé par une présentatrice météo botoxée, il a reçu les éloges de Télé Poche, c’est une valeur sûre. Titre: Le rangement, c’est maintenant.
L’idée consiste à se débarrasser des objets qui encombrent nos vies, car chercher le bonheur dans les biens matériels est absurde. La satisfaction procurée par un achat qui vient combler un désir est vite effacée par le phénomène de l’«adaptation hédonique»: nous nous habituons à vitesse grand V à toute amélioration de notre situation et nous revenons à notre point de départ, insatisfaits, tendus vers un nouveau désir et une nouvelle frustration. » p. 149

À propos de l’auteur
ERRE_JM_©France_InfoJ.M. Erre © Photo France Info

J.M. Erre est né à Perpignan en 1971. Il vit à Montpellier et enseigne le français et le cinéma dans un lycée de Sète. Il écrit des romans publiés par Buchet/Chastel depuis 2006, écrit aussi des romans jeunesse édités chez Rageot. Il tient également une chronique hebdomadaire pour Groland. (Source: Éditions Buchet-Chastel)

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Une fille de passage

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  RL2020 68_premieres_fois_logo_2019

Sélectionné par les « 68 premières fois »

En deux mots:
Cécile Balavoine rencontre Serge Doubrovsky à New York. Entre le professeur-écrivain et l’étudiante une relation privilégiée s’installe, de plus en plus intime. La future romancière raconte ses années de formation et ses sentiments ambivalents.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

«Parce que c’était lui, parce que c’était moi»

En dévoilant la relation qu’elle a entretenue avec Serge Doubrovsky, le «pape de l’autofiction», Cécile Balavoine fait bien plus que mettre les pas dans ceux de cet écrivain. Cette plongée dans la création littéraire et le pouvoir des mots est fascinante.

Un jour de septembre 1997 Cécile Balavoine fait la connaissance du professeur qui donne un cours sur Molière à l’université de New York. Ou plutôt elle rencontre l’auteur du Livre brisé qui l’a tant marquée. Car, comme l’écrit Clémentine Baron dans sa nécrologie du désormais défunt Nouveau Magazine littéraire, dans ce livre de 1989 Serge Doubrovsky raconte sa hantise «d’avoir peut-être contribué, par ses livres mêmes, au suicide de sa compagne».
L’écrivain est alors «un homme fatigué, vieilli, dont le visage était parsemé de taches brunes, le tour de taille épaissi, les épaules visiblement voûtées.» Mais son charisme et l’émotion ressentie à la lecture de son roman attisent la curiosité de l’étudiante. Un intérêt qui va devenir réciproque: «J’avais remarqué qu’il se confiait plus volontiers depuis qu’il avait découvert que j’avais lu quelques-uns de ses livres. Au printemps, avant son retour à Paris, à la suite de son cours sur Molière, je m’étais inscrite à son séminaire sur l’autofiction, terme qu’il avait inventé vers la fin des années 70 pour désigner le fait d’écrire sur soi quand on n’était personne. Il était fier de ce mot qui avait fait florès, comme il disait. Et il aurait voulu que sa mère, qui l’avait d’abord rêvé en violoniste puis finalement en écrivain, voie ce succès. Malheureusement, elle était morte trop tôt pour en être témoin.»
Un autre événement va sans doute être décisif dans la relation qui se noue. Quand le professeur repart pour Paris, il sous-loue son appartement à ses étudiants. Cécile, Liv et Adrian prennent possession de l’appartement qui «était encore imprégné de sa présence.» L’extrême sensibilité – pur ne pas dire fragilité – de Cécile va alors lui faire percevoir ce que ses camarades ne voient pas. Peu à peu, elle va être hantée , par l’histoire sombre qui s’était déroulée entre les murs de cet appartement, allant même jusqu’à faire à son tour une tentative de suicide, s’imaginant devenir folle.
Après un séjour à la clinique psychiatrique du Bellevue Hospital, oui celle de Vol au-dessus d’un nid de coucou – on lui diagnostique une crise de panique, un choc émotionnel. Son thérapeute, le Docteur Wozniack, va alors l’aider à surmonter ce cap difficile. Son professeur va lui devenir son confident. Leurs conversations prendre un ton plus intime, poussant Serge Doubrovsky à une déclaration enflammée lorsqu’elle vient lui rendre visite à l’hôpital où il a été transporté: «Je t’aime, mais j’aurais préféré que tu ne me voies pas dans cet état!» Plus tard, il lui demandera même de l’épouser, aura un geste déplacé. Puis, devant son refus, se vengera en s’éloignant d’elle, en invitant d’autres étudiants à partager son intimité: «En les invitant, il me semblait qu’il me chassait un peu, que Marguerite, qui trônait devant lui, me destituait. Je n’avais plus ma place.»
La fascinante imbrication de la vie et de l’œuvre, de l’écriture et du poids des mots vont alors se dévoiler dans toute leur force et dans toute leur intensité. Serge a compris que Cécile avait un talent d’écrivain, Cécile a compris la leçon du maître de l’autofiction, allant jusqu’à faire mal avec ses mots.
Le poids de l’Histoire – l’étoile jaune que portait le jeune Serge – venant s’ajouter aux drames successifs vécus par l’écrivain et la disparition successive de ses compagnes, sans oublier la maladie qui va peu à peu le ronger formant ici le terreau d’une œuvre que Cécile Balavoine nous donne envie de (re)découvrir.
Avant de nous livrer un jour son «héritage», le livre sur Freud qu’il préparait et dont il a confié les notes à l’une de ses plus proches élèves…

Playlist du livre


Portishead Humming


Us3 Cantaloop


Portishead Give me a reason to love you

Une fille de passage
Cécile Balavoine
Éditions du Mercure de France
Roman
240 p., 19,50 €
EAN 9782715254411
Paru le 5/03/2020

Où?
Le roman se déroule principalement aux États-Unis, à New York, mais aussi à Houston et Dallas et en France, à Paris. On y évoque aussi l’Autriche et notamment Linz, Salzbourg et Graz, l’Allemagne avec Munich, sans oublier les voyages de la Chine aux États-Unis, de l’Espagne à la Pologne, de Singapour à Seattle.

Quand?
L’action se situe de 1997 à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Puis il s’était penché. Je m’étais approchée pour lui offrir ma joue. Mais il s’était penché encore. Et soudain, dans le choc des visages, j’avais senti l’humidité de sa bouche s’échouer au coin de mes lèvres. Je n’avais eu que le temps d’esquisser un mouvement de recul. Il avait refermé la portière, me faisant un signe de la main en me souriant tandis que la voiture démarrait et que je m’effondrais sur le dossier, essuyant mon visage avec dégoût sur la manche de ma veste en jean, le cœur battant, en retenant mes larmes.
New York, septembre 1997. La jeune Cécile est étudiante. L’un de ses professeurs est un écrivain célèbre : Serge Doubrovsky, pape de l’autofiction. Entre elle et lui s’installe une relation très forte. Les années passant, la jeune femme et l’écrivain se voient, à Paris ou à New York, ils dînent ensemble, apprennent à se connaître toujours plus intimement, échangent sur la littérature et sur la vie. Bientôt, ils n’ont plus de secret l’un pour l’autre, une confiance absolue les lie. Pygmalion ou père de substitution, Doubrovsky n’est pour Cécile ni l’un ni l’autre. Du moins se plaît-elle à le croire et à le lui faire croire.

68 premières fois
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Les autres critiques
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De pure fiction (entretien avec Cécile Balavoine)
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Rencontre en ligne avec Cécile Balavoine, interrogée par Charlotte Milandri, fondatrice de l’association des 68 premières fois. © Production 1 Endroit où aller

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« L’inquiétante étrangeté
C’était la première fois qu’il m’invitait. J’avais sonné, les bras chargés de soleils. Sa voix s’était aussitôt fait entendre. Il me priait d’entrer. J’avais trouvé la porte entrebâillée et lui assis sur le grand canapé du salon, pliant le New York Times. Il s’était levé, s’était saisi des fleurs, un peu surpris, les avait disposées dans le vase en cristal qu’il était allé chercher dans un placard de la cuisine, ce que j’avais pu observer puisque ladite cuisine n’avait pas de porte et qu’une large ouverture, sorte de bar, la reliait au salon. Puis, posant le bouquet sur une vieille table en chêne, placée sous un lustre en étain, il m’avait demandé quelle chambre je comptais choisir. La question m’avait semblé tout à fait naturelle, même si je n’étais jamais venue chez lui. Les lieux ne m’étaient pas inconnus, il le savait, tout comme moi je savais que je ne choisirais pas la chambre bleue, avec les lits jumeaux et les vestiges de sa vie conjugale. Ni non plus celle, proche du salon, où il lisait et travaillait. Il m’avait conduite à travers les pièces et quand nous étions arrivés devant un cagibi, dans le couloir, juste avant la grande chambre du fond, celle qui lui servait de bureau, la plus grande, avec sa salle de bains et son dressing, il m’avait déclaré que, s’il venait à mourir, il me faudrait en briser le cadenas afin de rassembler ses manuscrits et les remettre à l’institut dont j’ignorais alors le nom, qu’il m’avait aussitôt noté sur un morceau de papier. Il aurait pu tout simplement me dire où se trouvait la clé du cadenas à briser. Mais il ne m’en avait rien dit et j’avais, dans une sorte de panique, pensé que je risquais de ne pas savoir comment m’y prendre, n’ayant jamais brisé de cadenas.
Je m’étais rassurée en me répétant que je n’aurais pas à le faire. Il reviendrait. Bien sûr qu’il reviendrait. Pourquoi, de quoi serait-il mort à Paris ? Il n’était pas si vieux. Du moins avais-je conscience qu’il n’était vieux que de manière relative à mon âge. Il était vieux parce que moi j’étais jeune. Je venais tout juste de fêter mes vingt-cinq ans. Lui, bientôt, en aurait soixante-dix. Nous étions tous les deux nés en mai, lui à la fin, moi au début. Il n’était pas si vieux, je le savais. Mais il parlait souvent de sa mort, lorsque nous conversions parfois, dans l’ascenseur, le jeudi soir, avant de nous quitter sur University Place ou devant la bibliothèque de New York University, massif bâtiment rouge face à Washington Square. Il me parlait de la mort qui le guettait et de la mort qui l’avait déjà guetté, autrefois, étoile jaune au revers de sa veste. J’étais cependant certaine qu’il lui restait au moins deux décennies, peut-être trois s’il avait un peu de chance. Il reviendrait. Et quand il reviendrait, le parquet de la chambre que j’aurais choisie serait briqué à la cire ; sur son bureau, il y aurait un bouquet dans le vase en cristal où baignaient maintenant mes soleils ; la cuisine, récurée, sentirait le vinaigre blanc.
Nous étions finalement entrés dans la chambre du fond, avec ses étagères de livres qui recouvraient les deux pans de murs latéraux, avec l’immense fenêtre qui ouvrait sur Soho et sur les Twin Towers, avec le grand bureau auquel il écrivait. J’avais fini par décréter que c’était là, dans cette chambre, que j’allais m’installer. Et aussitôt, de sa voix caverneuse, qui m’était devenue familière au fil des mois, il m’avait rétorqué, sans aucun embarras, Nous coucherons donc ensemble par chambre interposée ! Il avait ri, cette fois d’une voix de fausset, aiguë, malgré son timbre autrement très profond. J’étais restée un instant sans bouger, figée, honteuse. Peut-être un peu flattée au fond.
Pourtant, en quelques secondes, je m’étais imaginé ce qui se serait passé si j’avais joué l’outrée : je serais partie sur-le-champ, claquant la porte pour qu’il me coure après, pour qu’il s’excuse, pour qu’il m’implore devant les ascenseurs du douzième étage, dans le corridor éclairé aux néons. Pourquoi m’étais-je imaginé cette scène alors que je me tenais là, sans intention de m’en aller, heureuse dans sa grande chambre qui serait bientôt la mienne, détournant le visage pour éviter qu’il ne remarque que sa muflerie me faisait sourire, et même plaisir ? J’avais honte, j’aurais dû avoir honte, mais je savais très bien, il était impossible de me mentir à moi-même sur ce point, que je n’avais peut-être rien attendu, cette année-là, d’autre que cela : QU’IL ME VOIE.
Nous avions finalement quitté la pièce, nous marchions l’un derrière l’autre sur le parquet fait de petits carreaux de bois pour retourner au salon. Je m’étais installée sous un portrait de Proust pâle, catleya à la boutonnière, sur l’immense canapé fleuri, fané, affaissé par les ans, dont le velours restait pourtant très doux et pelucheux. Il s’était éclipsé, était revenu avec deux verres, m’avait servi du vin, s’était assis en face de moi, était demeuré silencieux un instant. Puis, lentement, presque grave, articulant chaque mot, il m’avait dit :
— J’aimerais vous demander un service.
Je ne sais plus ce que j’avais répondu, sans doute que j’étais ravie de pouvoir l’aider mais en quoi ? J’avais sûrement accompagné ma réponse d’un geste séducteur, passant une main dans mes cheveux ou souriant tête penchée.
Derrière les vitres du salon, la pointe de Manhattan piquait un ciel torrentueux, gavé de roses, de mandarines et de violettes qui fusionnaient comme sous l’effet d’un doigt. Les Twin Towers s’allumaient peu à peu, et l’on devinait, au tout dernier étage de la tour nord, une lumière rouge montant comme en un trait, peut-être un escalier roulant bordé d’un éclairage.
J’attendais. Qu’allait-il me demander ? Il hésitait, prenait son temps, son souffle. Il paraissait troublé, comme s’il n’était pas sûr que je puisse accepter.
— J’aimerais vous demander, avait-il fini par me dire, s’interrompant à mi-phrase. J’aimerais vous demander de me renvoyer mon courrier à Paris. »

Extraits
« J’avais remarqué qu’il se confiait plus volontiers depuis qu’il avait découvert que j’avais lu quelques-uns de ses livres. Au printemps, avant son retour à Paris, à la suite de son cours sur Molière, je m’étais inscrite à son séminaire sur l’autofiction, terme qu’il avait inventé vers la fin des années 70 pour désigner le fait d’écrire sur soi quand on n’était personne. Il était fier de ce mot qui avait fait florès, comme il disait. Et il aurait voulu que sa mère, qui l’avait d’abord rêvé en violoniste puis finalement en écrivain, voie ce succès. Malheureusement, elle était morte trop tôt pour en être témoin. » p. 36

« Un jour, peu après sa sortie de l’hôpital, il avait demandé à notre groupe d’écriture de le retrouver chez lui plutôt que dans la salle de conférences à l’université. Il était encore trop faible pour quitter son appartement. J’étais donc arrivée en compagnie des autres, Hassen, Chris, Marguerite, Jean-Philippe, un peu gênée tout de même. La porte était fermée, il avait mis un certain temps à venir nous ouvrir. Nous avions disposé quelques chaises autour du canapé. Je m’étais installée en retrait avec Chris tandis que Marguerite avait trouvé sa place en face de lui, sous le portrait de Proust. Nous avions lu nos textes; lui commentait, corrigeait, suggérait, pérorait dans son antre en souriant, tandis que moi, je me sentais dessaisie, abandonnée, dépossédée, leurs présences m’oblitérant, je les regardais dans ce décor qui m’était si intime, que tous, ou presque, connaissaient car nous y avions dansé ensemble, dans ces soirées qui s’achevaient au petit matin, mais ça n’était plus moi, la maîtresse de céans. En les invitant, il me semblait qu’il me chassait un peu, que Marguerite, qui trônait devant lui, me destituait. Je n’avais plus ma place. » p. 124

« C’était la première fois que je sentais vraiment, je veux dire dans mon corps, dans mes fibres, l’impact que pouvait avoir le fait d‘écrire sur soi et ceux qui nous entourent. À celui même qui non seulement pratiquait l’autofiction mais qui l’avait pensée, théorisée, j’étais parvenue à faire mal par mes mots. Dans Le livre brisé, il avait écrit, Si on avait un crâne en verre, si on pouvait se lire mutuellement dans les pensées, pas un couple qui n’éclaterait au bout d’une heure. Je lui avais sans doute montré, sans pudeur, l’intérieur de mon crâne, du moins la part qui éprouvait encore de la colère et un léger dégoût. » p. 166

À propos de l’auteur
Après Maestro, Une fille de passage est le deuxième roman de Cécile Balavoine. (Source: Éditions du Mercure de France)

Page Wikipédia de l’auteur

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Rhapsodie des oubliés

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Sélectionné par les « 68 premières fois »
Sélectionné pour le Prix du style 2019

En deux mots:
Il s’en passe de belles rue Léon, dans le quartier de la Goutte-d’Or à Paris. C’est au milieu d’une population immigrée que grandit Abad, 13 ans, observateur des mœurs de ces oubliés qui se désintègrent et parmi lesquels il veut tout de même croire à un avenir meilleur.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Abad, le poulbot de la Goutte-d’Or

Sofia Aouine fait des débuts fracassants avec sa Rhapsodie des oubliés. Elle met en scène Abad, un adolescent plein de gouaille et de rêves, qui entend sortir du destin misérable qui lui est promis.

«Ma rue raconte l’histoire du monde avec une odeur de poubelles. Elle s’appelle rue Léon, un nom de bon Français avec que des métèques et des visages bruns dedans.» Dès l’incipit, le ton est donné, le style est là, quelque part entre un naturalisme baroque et un air de rap, entre Zazie dans le métro et La vie devant soi. C’est du reste sous l’exergue de Romain Gary / Émile Ajar que ce premier roman – logiquement sélectionné pour le Prix du style 2019 – s’inscrit. Cette gouaille, ce sens aigu de l’observation est celui d’Abad, 13 ans, qui va nous faire découvrir sa rue, ce quartier du Nord-Ouest de Paris qui est aussi présent dans Après la fête de Lola Nicolle. Outre les descriptions des faits – et surtout des méfaits – qui font le quotidien de ce microcosme cosmopolite, nous aurons aussi droit à des portraits croqués avec la même force d’évocation, la même fausse naïveté du regard de l’enfant qui perd son innocence face à la dureté du monde qu’il côtoie jour après jour. Il y a d’abord ses parents, qui ont surtout appris à se taire pour se fondre dans la masse, à jamais orphelin de ce Liban qu’ils ont dû fuir. Puis viennent une jeune fille aperçue derrière la fenêtre d’une tour voisine et qui est retenue par son salafiste de père, Ethel Futterman la psy chez qui on l’envoie pour tenter de la remettre dans ce droit chemin dont chacun a pourtant bien compris qu’il n’existe qu’en rêve et qui est une rescapée des rafles de juifs durant l’Occupation ou encore Gervaise, la pute qui espère pouvoir revoir sa fille restée au Cameroun selon le schéma détaillée par Karine Miermont dans Grace l’intrépide, sans oublier Odette, sa voisine, qui va finir en EPHAD, rongée par la maladie d’Alzheimer.
Oscillant entre comédie loufoque comme le camp d’entrainement des Femen qu’il découvre de sa fenêtre et qui va donner lieu à une belle empoignade entre féministes, intégristes – les barbapapas – et forces de l’ordre ou encore ce trafic mis en place avec un camarade de jeu dans le vestiaire et qui permettait de reluquer les filles tout en se masturbant. Une activité beaucoup pratiquée tout au long du roman et que l’on pourra interpréter comme une preuve de vitalité soit comme qui va mal finir, comme à peu près toutes les initiatives prises par Abad et qui vont finir par le séparer de sa famille pour se retrouver au milieu d’autres «cassos» dans une famille d’accueil en baie de Somme.
Mais avant cela, il aura beaucoup appris et beaucoup mûri. Compris comment on tenait les prostituées, comment on parvenait à radicaliser les musulmans, comment on éloignait tous les gêneurs qui entendaient ne pas se soumettre aux règles des intégristes. Et décidé de résister, de ne pas se laisser avoir à son tour et continuer à faire les 400 coups.
Avec les livres et avec les mots. Avec Marguerite Duras et avec le petit carnet noir que lui a donné sa psy. C’est ainsi que Sofia Aouine est devenue grande et qu’elle réussit à nous enchanter. À suivre de près !

Rhapsodie des oubliés
Sofia Aouine
Éditions de la Martinière
Premier roman
256 pages, 19 €
EAN 9782732487960
Paru le 29/08/2019

Où?
Le roman se déroule en France, à Paris, principalement rue Léon dans le quartier de la Goutte d’Or (XVIIIe arrondissement).

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
«Ma rue raconte l’histoire du monde avec une odeur de poubelles. Elle s’appelle rue Léon, un nom de bon Français avec que des métèques et des visages bruns dedans.»
Abad, treize ans, vit dans le quartier de Barbès, la Goutte d’Or, Paris XVIIIe. C’est l’âge des possibles: la sève coule, le cœur est plein de ronces, l’amour et le sexe torturent la tête. Pour arracher ses désirs au destin, Abad devra briser les règles. À la manière d’un Antoine Doinel, qui veut réaliser ses 400 coups à lui.
Rhapsodie des oubliés raconte sans concession le quotidien d’un quartier et l’odyssée de ses habitants. Derrière les clichés, le crack, les putes, la violence, le désir de vie, l’amour et l’enfance ne sont jamais loin.
Dans une langue explosive, influencée par le roman noir, la littérature naturaliste, le hip-hop et la soul music, Sofia Aouine nous livre un premier roman éblouissant.

68 premières fois
Le blog du petit carré jaune (Sabine Faulmeyer)
Les Dream Dream d’une Bouquineuse (Enora Pagnoux)
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Les autres critiques
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INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Rue Léon
«Quand je serai grand j’écrirai moi aussi les misérables parce que c’est ce qu’on écrit toujours quand on a quelque chose à dire.»
Momo, La Vie devant soi,
Romain Gary (Émile Ajar)

Ma rue raconte l’histoire du monde avec une odeur de poubelles. Elle s’appelle rue Léon, un nom de bon Français avec que des métèques et des visages bruns dedans. C’est mon père qui a choisi qu’on débarque ici. Je me dis souvent que ce vieux doit aimer la misère, comme si c’était la femme de sa vie. Une espèce de seconde peau
que tu aurais beau laver. Inscrite dans tes gènes, à jamais. Ici, c’est Barbès, Goutte-d’Or, Paris XVIIIe, une planète de martiens, un refuge d’éclopés, de cassos, d’âmes fragiles, de «ceux qui ont réussi à dépasser Lampedusa», de vieux Arabes d’avant avec des turbans sur la tête et des têtes d’avant, de grosses mamans avec leurs gros culs et leurs gros chariots qui te bloquent le passage quand tu veux traverser le boulevard. Des gens honnêtes qui ont toujours l’air de voleurs et qui rasent les murs pour pas qu’on les voie. Une rue où il n’y a pas de femmes qui marchent toutes seules. Une ville dans la ville, monstrueuse et géante, une verrue pourrie sur la carte. La première fois que j’y ai foutu les pieds, ça ne me changeait pas beaucoup de ma rue, petit, au Liban. Ici ou là-bas, quand tu arrives, les immeubles t’écrasent comme si tu étais un insecte. Quand tu entres dedans, ils t’avalent et te recrachent comme les pépins des premières grenades d’été, juteuses, que tu manges avec le plaisir d’un gosse. Ma rue a la gueule d’une ville bombardée, une gueule de décharge à ciel ouvert, une rue qui ne dort jamais, où les murs ressemblent à des visages qui pleurent. Des murs qui n’ont jamais été blancs et qui semblent hurler sur toi quand tu passes devant. Je suis arrivé dans ce bordel il y a à peine trois ans et j’ai déjà l’impression d’avoir vieilli de dix piges, rien qu’en me posant sur le banc du square Léon. Juste à regarder les gens. Les enfants ont l’air de centenaires. Des yeux de vieux, sur des gueules d’anges. Surtout les petits Noirs. On dirait qu’à force de vivre les uns sur les autres, ils ont une âme pour cinq. Ce n’est pas de leur faute, je sais, c’est vrai. Mais avant de vivre ici, j’en avais jamais vu. Mon nouveau pote de l’école, le fils du marabout de la mosquée Poulet, dit toujours au prof de français: «Ta France, garde-la, c’est pas à
nous!» Tu vas te demander pourquoi un blédard comme moi, pardon, un primo-arrivant, comme dit la grosse du service social, sait tout ça. Je te dirai juste que je suis un esquiveur: je fais croire que je sais rien, comme ça ceux qui savent savent que je sais. T’as pas compris, c’est pas grave, tu pigeras plus tard. La mère dit toujours qu’on est des Arabes pas comme les autres, et même si on vit au milieu des Arabes, on n’est pas comme eux, on leur ressemble pas. Va savoir ce qu’elle veut dire par là, faudra m’expliquer. De toute façon, dans cette ville, un Arabe ça reste un Arabe, surtout si tu viens de Barbès. T’auras beau te laver et te mettre tous les parfums du monde pour choper toutes les filles du monde et faire le beau gosse,
tu sentiras toujours l’Arabe de Barbès. C’est la vie, faut s’y faire. Ici, t’es à Paris et pas à Paris. Ici, c’est une rue de sauvages. Les valeurs c’est fini.
Même les barbus de la mosquée se baisent entre eux. Chacun pour soi et un seul bon Dieu pour tous. Moi, je fais semblant d’y croire pour faire plaisir à maman. Mais j’ai déjà vu trop de morts chez moi, je veux plus en parler, plus jamais. Dans
ma rue, t’as pas le droit d’être un faible, les faibles ça finit sur un trottoir comme les putes de Porte de Clichy et les crackers de Porte de la Chapelle.
Au fond, Barbès, c’est pas différent de Baabda. Les mêmes têtes de mercenaires qui en ont déjà trop vu, la même odeur de fleur d’oranger mêlée à la crasse, la même musique entre les cris des mômes et les hurlements des alcoolos du café d’en bas, les mêmes visages de vieilles mères fatiguées, la même merde dont tout le monde se fout royalement.
Surtout Léon, qui à mon avis s’en bat les couilles de là où il est. Voilà comment je voyais ma rue – avant elle. »

Extraits
« Tu étais sortie sur le balcon. Je suis resté immobile en priant pour pas que tu partes. Mes yeux ont attrapé les tiens et tu m’as regardé avec gentillesse. On flottait ensemble. Ton regard me disait que tout allait bien et de ne pas m’inquiéter.
Par miracle, depuis deux ans que je n’y arrivais plus, je me suis mis à pleurer. J’ai chialé, juste parce que j’étais heureux d’être là. J’ai fermé les yeux super fort pour t’imaginer contre moi, pas de cul, juste de l’amour. C’est comme ça qu’on
fait avec ton genre de fille. Le temps que j’ouvre les yeux, les trois trouillards étaient sortis de leur cachette et te regardaient avec moi. Derrière toi, un mec avec une barbe et une gueule de mollah Omar est sorti de nulle part, t’a attrapée par le
voile avec le doigt pointé vers nous en gueulant un truc en arabe. J’avais peur.
– C’est qui ?
– La sœur d’Omar le Salaf, m’a répondu Sékou.
– T’approche jamais de cet appart, Abad.
– Ouais, t’inquiète, de toute manière c’est une voilée, elle suce pas. »

«Cette ville nous entasse les uns sur les autres comme dans un grand bain d’amour mais personne ne se parle. On additionne les vies, sous du béton et dans des boîtes à 15 K le mètre carré pour avoir l’air d’exister.»

« Adossé à la cheminée, je regarde les grosses lettres qui clignotent…Tati…Tati…Le magasin préféré des daronnes et des blédards, notre tour Eiffel à nous. Un truc que le monde entier nous envie et qui est connu au fin fond de l’Afrique et de la Papouasie. Tati or, Tati maison, Tati chaussures, Tati slips, Tati mariage : la Mecque des jeunes pucelles prêtes à se marier et des mères hystériques qui aimeraient redevenir pucelles le temps d’une nuit de noces. La plus grande salle de jeu du monde, caverne d’Ali Baba des pauvres où tu trouves de tout Tu peux te marier, manger, vivre et peut-être même mourir un jour. Je suis sûr qu’ils finiront par y vendre des cercueils en vichy rose et bleu.»

À propos de l’auteur
Née en 1978, Sofia Aouine est autodidacte. Aujourd’hui journaliste radio et documentariste, elle publie son premier roman, Rhapsodie des oubliés. (Source: Éditions de la Martinière)

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Les Enténébrés

CHICHE_les_entenebres

En deux mots:
Le dérèglement climatique et l’adultère, les réfugiés et la Shoah, une mère déprimée, l’œuvre de Pessoa et les expériences médicales menées par les nazis, la jouissance et la famille : autant de pièces d’un puzzle vont s’assembler au fil de la confession de Sarah.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Le puzzle reconstitué

Dans son nouveau roman Sarah Chiche explore les failles de l’intime et celles du monde. Une plongée vertigineuse de l’écologie terrestre à l’écologie psychique qui se lit comme l’assemblage d’un puzzle. Fascinant!

Au moment d’écrire «quel extraordinaire roman», je me prends à douter. Peut-on vraiment parler de roman? S’agit-il plus précisément d’autofiction? Mais dans ce cas alors Sarah Chiche ne nous cacherait rien de sa vie la plus intime… À moins que finalement la romancière ne vienne prendre le pas sur la biographe pour transcender le réel, l’enrichir, le nourrir de fantasmes, de lectures. C’est cette variante que je crois la plus proche de la vérité, notamment après avoir entendu Sarah Chiche parler de ce roman lors d’une rencontre en librairie.
Sarah mène une vie de famille assez ordinaire, entourée d’un mari qu’elle aime et d’une petite fille adorable. Elle travaille comme psy dans un hôpital et aime se plonger dans les livres et écrire. Elle se passionne notamment pour l’œuvre de Fernando Pessoa. Seulement voilà, ce bel équilibre va soudain être remis en question par les soubresauts de l’Histoire. Quand l’intranquillité, pour reprendre un terme cher à Pessoa, vient bousculer «l’écologie terrestre et l’écologie psychique».
Le choc a lieu en Autriche le 28 septembre 2015: «La gare centrale de Vienne, où je me trouvais cette nuit-là, cette gare n’était plus une gare. C’était le ventre débondé, crevé, excrémentiel de la route des Balkans, recrachant sans cesse, sur ces quais balayés par le vent, des milliers de gens qui descendaient des trains et titubaient hagards, tels des automates, leurs enfants dans les bras, sous les applaudissements des Viennois venus les accueillir, leur porter à manger dans des cantines de métal, ou des plats enveloppés dans du papier d’aluminium, leur distribuer des vêtements, des brosses à dents et des couvertures. Leur bonté, comme l’éclaircie dans l’orage, comme un souffle frais et paradoxal dans le brasier qui s’écroule sur lui- même, ne dura qu’un temps.»
Dans la construction de son roman, Sarah Chiche a choisi de nous livrer les pièces d’un puzzle qui, au fil du récit, vont s’assembler pour nous donner une vision d’ensemble, mais aussi pour démontrer combien une vie s’imbrique dans celle des autres, au fil des rencontres et au fil des événements, des émotions qu’ils suscitent, des failles qu’ils mettent à jour ou, au contraire, qu’ils cicatrisent. Une manière aussi de reprendre la théorie du chaos chère à Edward Lorenz et son effet papillon. Et de l’illustrer. Car si en 2010 le climat de la planète n’avait pas commencé à se dérégler, Sarah ne se serait pas retrouvée dans une chambre d’hôtel à tromper son mari avec Richard, un célèbre violoncelliste. La voici prise au piège, la voici affublée d’une part d’ombre, la voici «enténébrée» à son tour. La romancière a eu jolie formule pour résumer cette liaison: «Sarah et Richard, c’est la rencontre de deux fantômes et de deux fantasmes».
Car ce roman-gigogne nous l’indique dès son titre: tous les personnages que nous allons croiser ici sont des enténébrés qui mènent une double-vie, qui derrière leur façade respectable, ont leur part d’ombre, de souffrance, quand ce ne sont pas des pulsions plus morbides. On voit alors les réfugiés d’aujourd’hui se télescoper avec les déportés d’hier, l’Histoire broyer les destins individuels et laisser des marques indélébiles de génération en génération. Oui les fantômes sont bien présents. Ceux qui viennent hanter la mère de Sarah qui a perdu son mari trop jeune et n’a jamais pu se guérir de cette perte, ceux de ces centaines de victimes ayant servi à des expériences menées par les nazis et qui ont fini dans les sous-sols d’un hôpital, ceux imaginés par Elfriede Jelinek et Robert Musil…
Sarah Chiche réussit un roman d’une rare densité. À la manière d’une équilibriste sur une corde raide, elle nous fait partager la peur, nous laisse imaginer que le prochain pas pourrait être fatal. La tension est extrême, mais la «fin heureuse» reste aussi une option.

Les Enténébrés
Sarah Chiche
Éditions du Seuil
Roman
368 p., 21 €
EAN: 9782021399479
Paru le 03/01/2019

Où?
Le roman se déroule principalement à Vienne et à Paris.

Quand?
L’action se situe de septembre 2015 à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Automne 2015. Alors qu’une chaleur inhabituelle s’attarde sur l’Europe, une femme se rend en Autriche pour écrire un article sur les conditions d’accueil des réfugiés. Elle se prénomme Sarah. Elle est aussi psychologue, vit à Paris avec Paul, un intellectuel connu pour ses écrits sur la fin du monde, avec qui elle a un enfant. À Vienne, elle rencontre Richard, un musicien mondialement célébré. Ils se voient. Ils s’aiment. Elle le fuit puis lui écrit, de retour en France. Il vient la retrouver. Pour Sarah, c’est l’épreuve du secret, de deux vies tout aussi intenses menées de front, qui se répondent et s’opposent, jusqu’au point de rupture intérieur : à l’occasion d’une autre enquête, sur une extermination d’enfants dans un hôpital psychiatrique autrichien, ses fantômes vont ressurgir. S’ouvre alors une fresque puissante et sombre sur l’amour fou, où le mal familial côtoie celui de l’Histoire en marche, de la fin du XIXe siècle aux décombres de la Deuxième Guerre mondiale, de l’Afrique des indépendances à la catastrophe climatique de ce début de millénaire.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
La Croix (Stéphanie Janicot)
En attendant Nadeau (Éric Loret)
Putsch (Emmanuelle de Boysson)
Charybde 27, le blog 
Blog de Marc Villemain
Blog Les Livres de Joëlle
Blog lectures du mouton (Virginie Vertigo)

INCIPIT (Les premières pages du livre)
À l’été 2010, un anticyclone d’une ampleur anormale s’installa au-dessus de la Russie ; il s’étendit vers l’est, sur des milliers de kilomètres, paralysant la circulation atmosphérique depuis Moscou jusqu’à l’Oural et au Kazakhstan. Venue de Turquie et du Moyen- Orient et remontant au même moment vers le nord, une masse d’air torride fit alors déferler une vague de chaleur exceptionnelle, la plus forte – dirent après coup certains experts – depuis mille ans. Des bouleaux et des mélèzes plusieurs fois centenaires se mirent à flamber comme de l’étoupe sous la flamme
du briquet. L’azur du ciel se drapa de gris. Moscou fut recouvert d’une épaisse fumée sombre de cendres, étouffante, qu’aucun souffle ne dissipait plus et qui stagna un nombre interminable de semaines. Des particules fines produites par la combustion des arbres polluèrent les terres noires, grasses et fertiles d’Ukraine, au moment de la récolte des céréales. Les sols, sous la brûlure, se crevassèrent. Le maïs prit feu à son tour. Les tournesols se fanèrent. Les marchés agricoles s’affolèrent face à cette calamité extraordinaire ; en peu de jours, la valeur du quintal de blé fut multipliée par trois. Il fut décidé d’un embargo sur les exportations de blé russe. Mais la sécheresse gagna bientôt la Chine – d’autres évoqueraient, plus tard, des températures anormalement hautes au Canada, d’autres encore diraient que tout avait peut- être aussi commencé en Australie. Malgré les gouvernements, les cours explosèrent partout. Le prix du pain monta en flèche. Le tourbillon cendreux s’étendait toujours. Affamée, une foule immense, que nul ne pouvait compter, quitta, sous un soleil noir comme un sac de crin, les campagnes d’Égypte, de Tunisie, du Maroc, de Jordanie, du Yémen et de Syrie, pour gagner les villes. Des enfants déscolarisés, faméliques, erraient dans les rues. Les fragiles économies du Croissant fertile et du Maghreb commencèrent à se disloquer. Une multitude de jeunes gens se retrouvèrent sans emploi. Et puis, humilié par la police, un jeune vendeur ambulant de fruits et légumes, à qui l’on refusait, faute de bakchich, un quelconque permis, s’aspergea
d’essence, craqua une allumette et s’immola devant la préfecture.
Métamorphosé en esprit vengeur, le vent souffla alors plus fort, plus rageusement. La vague de contestation partie de la région agricole de Sidi Bouzid gagna Kasserine, s’abattit sur les villes de l’Atlas, enfla dans Tunis – le président Zine el-Abidine Ben Ali s’enfuit –, elle déferla sur le Caire – emportant le président Moubarak –, Marrakech, Casablanca, Alger, Manama, Mossoul, Bagdad et Ramallah, puis le Yémen – incapable de mater les troubles, le président Saleh quitta le pays –, suscita au passage une rébellion touarègue contre le Mali, avant que les émeutes de la faim et de la misère ne finissent écrasées dans le sang en Syrie par le gouvernement de Bachar al-Assad. L’obscurité s’épaissit une ultime fois. Et le ciel se retira comme un livre qu’on roule. Des navires de guerre russes firent mouvement près des côtes de Tartous et Lattaquié. Le sang coula, encore, dans les rues d’Alep devenues ruines. L’esclavage, la mendicité, les mariages forcés par le désespoir et le cynisme augmentèrent dans des proportions abominables. Épouvantés, des centaines de milliers de Syriens se mirent en route, vers la Turquie, le Liban, la Jordanie, l’Irak, l’Égypte, l’Autriche, l’Allemagne, la France ou l’Angleterre, grossissant le flot des migrants d’Irak, d’Afghanistan, du Mali ou du Soudan. Des rafiots bondés avec, à leur bord, des enfants, des femmes et des hommes qui avaient été torturés, violés, spoliés, persécutés de toutes sortes de façons, ou qui avaient dû, pour se défendre, tuer à leur tour, surgirent, au large de la Grèce, de toutes parts, nuit après nuit,
glissant lentement sur les eaux couleur d’ébène. Et la mer devint leur tombeau. Des bateaux chavirèrent. Des femmes jetèrent leurs enfants malades par- dessus bord pour ne pas contaminer le reste de l’équipage – peut- être pour n’être pas elles- mêmes poussées par-dessus bord. Des pêcheurs remontèrent dans leurs filets des
corps par centaines. Certains les ramenaient à terre. D’autres, épouvantés, les rejetaient dans l’ourlet des vagues sans lune.
Mais d’autres cadavres éventrés, rongés, déchiquetés, finirent par s’échouer sur les rivages. On les enterra à la hâte, dans des sépultures nues. Il se disait dans les îles que bientôt, sur terre, on ne trouverait plus de place – ni pour les accueillir, ni pour les inhumer. Le vent du diable souffla de plus belle. D’Afghanistan, d’Iran, d’Irak, d’Érythrée, du Soudan, du Kurdistan, du Darfour, une écume bouillonnante et informe de fuyards se massa, dans les environs de Calais, dans une jungle de cabanes et de tentes, dans l’espoir halluciné de pouvoir, un jour, gagner l’Angleterre.
On posa à l’entrée du tunnel sous la Manche des rouleaux de fil de fer barbelé et de hautes clôtures, dont on inonda les abords, pour qu’ils s’y noient. On découvrit, en bordure d’une autoroute autrichienne, au niveau de la ville de Parndorf, dans un camion frigorifique immatriculé en Hongrie, mais au nom d’une entreprise de volaille slovaque, soixante et onze corps de réfugiés empilés, dont certains dans un état de décomposition avancée.
Des liquides pestilentiels sortaient de la remorque. Un côté du véhicule avait été enfoncé de l’intérieur. Les victimes enfermées avaient tenté de s’échapper en poussant les tôles – en vain. La photo d’un cadavre d’enfant échoué sur une plage turque fit le tour de la planète. Le père de l’enfant appela le monde à ouvrir ses portes. L’Autriche et l’Allemagne, dans un de ces moments fugitifs où la tempête trompe le marin par une accalmie, ouvrirent leurs frontières. Mais on prétendit bien vite qu’il s’agissait de la part du père de l’enfant d’une mise en scène macabre. On l’accusa de ne lui avoir pas passé de gilet de sauvetage. On raconta qu’il voulait se rendre en Europe pour se refaire les dents et qu’il avait lui- même organisé la traversée qui avait tourné au drame.
Autrement dit, et si l’on ne craint pas de recourir à une formule peu optimiste, mais parfaitement exacte: ce 28 septembre 2015 était une nuit affreuse. La gare centrale de Vienne, où je me trouvais cette nuit- là, cette gare n’était plus une gare. C’était le ventre débondé, crevé, excrémentiel de la route des Balkans, recrachant sans cesse, sur ces quais balayés par le vent, des milliers de gens qui descendaient des trains et titubaient hagards, tels des automates, leurs enfants dans les bras, sous les applaudissements des Viennois venus les accueillir, leur porter à manger dans des cantines de métal, ou des plats enveloppés dans du papier d’aluminium, leur distribuer des vêtements, des brosses à dents et des couvertures. Leur bonté, comme l’éclaircie dans l’orage, comme un souffle frais et paradoxal dans le brasier qui s’écroule sur lui- même, ne dura qu’un temps. »

Extrait
« Je m’allonge. Le sang coule. De plus en plus fort. La douleur monte. Le jour tombe.
La douleur, atroce, me poignarde le ventre puis le dos, comme si mes os étaient comprimés dans un étau. Je me précipite dans la salle de bains, pliée en deux. Je saisis une serviette. Je mords dedans pour ne pas hurler. Je colle mon front contre l’émail froid de la baignoire. J’attrape le petit sac luisant qui vient de tomber de mon ventre. Je crois deviner l’esquisse d’une tête, la forme d’une main. Je le tiens serré contre moi. Longtemps. Je le remercie pour les six semaines passées ensemble où j’ai cru de toutes mes forces à la possibilité de son sourire. Mais cette chanson que je lui ai chantée avant de tirer la chasse d’eau, aujourd’hui encore je ne peux plus l’entendre, car malgré la merveilleuse petite fille qui est arrivée plus tard, il n’y aura jamais de mots pour dire cette horreur-là. »


Sarah Chiche présente «Les Enténébrés» dans La Grande Librairie de François Busnel © Production France Télévisions

À propos de l’auteur
Sarah Chiche est écrivain, psychologue clinicienne et psychanalyste. Elle est l’auteur de deux romans : L’inachevée (Grasset, 2008) et L’Emprise (Grasset, 2010), et de trois essais : Personne(s), d’après Le Livre de l’Intranquillité de Fernando Pessoa (Éditions Cécile Defaut, 2013), Éthique du mikado, essai sur le cinéma de Michael Haneke (PUF, 2015), Une histoire érotique de la psychanalyse : de la nourrice de Freud aux amants d’aujourd’hui (Payot, 2018). (Source: Éditions du Seuil)

Page Wikipédia de l’auteur 

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Trancher

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En deux mots:
Une femme insultée par son mari a décidé de lui pardonner ses écarts de langage. Mais après sept années, le voilà qui recommence. Une violence verbale qui frappe aussi leurs deux enfants. Se pose alors la seule qui vaille: faut-il supporter plus longtemps ces agressions à répétition?

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

La femme parfaite est une connasse

Le premier roman d’Amélie Cordonnier va sonder la psychologie d’une femme qui subit jour après jour les agressions verbales de son mari. Après un premier répit, il reprend ses insultes. Faut-il dès lors Trancher?

« Alors ça sort, sans prévenir. Personne ne s’y attend. Ni toi ni les enfants qui se figent instantanément. Je suis chez moi, quand même, alors ferme ta gueule, une bonne fois pour toutes, connasse, si tu veux pas que je la réduise en miettes. Uppercut. Souffle coupé. Tu baisses la tête sous l’effet du coup. Quand tu la relèves, tu vois, sur la table, les miettes du petit déjeuner que tu n’as pas encore débarrassé. La porte claque aussi fort que sa menace. La honte cuit tes joues. Tu ne sais que dire, alors tu te tais. C’est un silence atterré qui vous accable tout à coup. Dans les yeux horrifiés de Romane, la surprise le dispute à l’effroi. Vadim ronge ses ongles, son frein aussi, tu le vois bien. » Un épisode parmi d’autres. Des dérapages qui s’accumulent. Mais pourquoi Aurélien se laisse-t-il aller? N’avait-il pas demandé pardon, ne s’était-il pas promis d’arrêter? Et pourquoi les vieux démons se réveillent-ils? Après le choc, la sidération vient la phase de honte, de culpabilisation. Qu’a-t-elle à se reprocher? Parce qu’après tout cela ne vient pas forcément de lui. Lui qui suivait des séances chez le psy…
Amélie Cordonnier déroule avec habileté le fil des sentiments et des émotions. Quand l’épouse comprend dans le regard de ses enfants combien elle est victime, quand elle doit faire bonne figure lors des repas de famille, mais surtout comment le poison s’installe insidieusement, transformant le quotidien en un enfer. La peur d’un nouveau dérapage s’ancrant littéralement dans les tripes. Au propre autant qu’au figuré. Un épisode, lors d’un déplacement en voiture, viendra du reste illustrer de manière spectaculaire ce mal insidieux.
Pour s’en sortir, elle va employer plusieurs stratégies. Par exemple minimiser «Allez, c’est bon, maintenant. Arrête de pleurnicher comme ça, ton père n’est pas mort au Bataclan !». Ou alors essayer l’évitement, la fuite. Ou encore essayer de le confronter au drame qu’elle et ses enfants affrontent en lui montrant des films plus ou moins explicites pour le faire réagir comme Une séparation, Le Client d’Asghar Farhadi, L’économie du couple de Joachim Lafosse ou encore Nahid d’Ida Panahandeh. Et, en désespoir de cause, utiliser la méthode Coué «à cause de Proust et de son fichu Temps retrouvé».
Mais les «tirades incendiaires d’Aurélien» reprennent vite le pas sur les promesses de rédemption, sur les jours de rémission, sur les tentatives – maladroites il est vrai – de regagner les faveurs d’une épouse de plus en plus malheureuse.
Et qui réussit à se persuader qu’elle n’est pas «la gourde, la bonne à rien, la fille incapable et médiocre qu’il décrit.»
Vient alors le temps de l’action. De prendre l’air, de se confier à son amie Marie, voire même de s’offrir une séance de sexe à l’impromptu.
Je ne dirai pas une ligne de l’épilogue de ce livre, sinon qu’il vous réserve encore une belle salve d’émotions. Refermant ce roman choc, je me dis que nous serons nombreux à nous précipiter sur son prochain opus.

Trancher
Amélie Cordonnier
Éditions Flammarion
Roman
176 p., 17 €
EAN : 9782081439535
Paru le 29 août 2018

Où?
Le roman se déroule en France, à Paris et Vincennes ainsi qu’en Normandie, à Cabourg, Trouville et Dives, dans les Alpes, à Vars. On y évoque aussi un voyage en Croatie.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
« Des pages et des pages de notes. Tu as noirci des centaines de lignes de ses mots à lui. Pour garder une trace, tenter de les désamorcer, avec le pathétique espoir qu’ils aillent s’incruster ailleurs qu’en toi. »
Cela faisait des années qu’elle croyait Aurélien guéri de sa violence, des années que ses paroles lancées comme des couteaux n’avaient plus déchiré leur quotidien. Mais un matin de septembre, devant leurs enfants ahuris, il a rechuté : il l’a de nouveau insultée. Malgré lui, plaide-t-il. Pourra-t-elle encore supporter tout ça ? Elle va avoir quarante ans le 3 janvier. Elle se promet d’avoir décidé pour son anniversaire.
D’une plume alerte et imagée, Amélie Cordonnier met en scène une femme dans la tourmente et nous livre le roman d’un amour ravagé par les mots.

68 premières fois
Blog motspourmots.fr (Nicole Grundlinger)
Blog Les livres de Joëlle
Blog Quand Sy lit
Blog Mes écrits d’un jour (Héliéna Gas)
Blog À bride abattue

Les critiques
Babelio 
Lecteurs.com
L’Express (David Foenkinos)
Actualitté (Clémence Holstein)
Publik’Art (Bénédicte de Loriol)
Blog La Rousse bouquine 
Blog Kroniques


Amélie Cordonnier présente son premier roman, Trancher, à la Grande Librairie de François Busnel © Production France Télévisions

Incipit
(les premières pages du livre)
« Prologue
Tu as toujours fait des listes. Petite, tu notais le nom de tes poupées, des copains à inviter, des poneys que tu voulais monter, les mots inconnus à chercher dans le dictionnaire et tous les cadeaux d’anniversaire dont rêvait Anna. Tu griffonnais aussi le titre des Bibliothèque Verte à commander, Alice et les Faux-Monnayeurs, Alice et le Pick-Pocket, Une cavalière pour l’Étalon noir, puis Jonathan Livingston le Goéland ou Le Petit Lord Fauntleroy. La liste des romans à lire en priorité n’a jamais quitté ton sac, mais un jour, il y eut aussi celle des garçons qui te souriaient à la sortie du lycée, puis rencontrés le samedi en boîte de nuit. Quand les enfants sont nés, d’autres listes se sont ajoutées. Celles de la semaine et du week-end, celles des corvées et des réjouissances à venir. Les horaires de biberons, puis ceux de la danse, du tennis et du judo, les légumes à acheter, les purées à préparer, les activités à programmer, les dates de vacances, le menu du dîner avec les plats à réchauffer que tu continues de rédiger chaque matin pour la baby-sitter avant de partir travailler à la médiathèque, les films, les spectacles et les expos à ne pas manquer, les fêtes à ne pas oublier : toutes ces listes-là, tu les as faites. Souvent avec plaisir, parfois en grognant, mais toujours de ton plein gré. Des listes d’insultes, en revanche, ça jamais tu n’en avais fait.
Première partie
C’est revenu sans prévenir. C’était un de ces week-ends de septembre que tu préfères. Vous aviez décidé de le passer tous les quatre à Cabourg, dans la petite maison héritée de Josette, la grand-mère d’Aurélien. L’adorable vieille dame, un peu foutraque, l’avait baptisée « La bicoque ». À sa mort, Aurélien t’avait proposé de repousser les avances des agents immobiliers et de tout refaire. Tu avais dit oui, évidemment. Il y avait du pain sur la planche car la chaumière n’avait jamais été rénovée en quarante ans. Il avait fallu trier et beaucoup jeter. Josette avait engrangé un nombre incalculable de figurines en tous genres, recouvertes de poussière. La collection de bateaux, celle de chats en porcelaine, de cœurs, de canards en bois, de poupées anciennes et de boules de neige. Il a fallu des litres d’huile de coude et près de quatre-vingts sacs-poubelle pour faire place nette. Un vrai crève-cœur de devoir se séparer de tout ça. Tu avais suggéré à Aurélien de garder un exemplaire, mais pas plus, de chacune des collec’ de Josette. Pour la famille des nains de jardin, vous aviez toléré une entorse à la règle. Trois d’entre eux trônent aujourd’hui encore dans la cuisine ouverte sur le salon. C’est sous leur œil goguenard et leur mine renfrognée que tout a éclaté.
Il est 10 heures, ce matin-là. Le soleil darde à travers les larges baies vitrées qui remplacent les fenêtres vétustes de Josette. Le décor n’a rien à envier à celui de la famille Ricoré. À l’exception des carreaux, sales comme jamais. « Dégueu ! » s’exclame Romane, dans un sourire impertinent, en les pointant du doigt, avant d’expliquer à son frère : « Dégueu, on a le droit de le dire, mais pas dégueulasse. » Tu ris. Peu importe la crasse, tu t’es promis de ne pas passer le dimanche à faire le ménage. Ta tasse de thé refroidit devant le jeu des différences. Il en reste trois à trouver et Romane se désespère, tandis que Vadim, installé en face de vous, peine à résumer La Fortune des Rougon. Il y a bien assez de place pour que tout le monde s’étale. Livres cornés, gommes, cahiers, feuilles, fiches, feutres, classeurs, effaceurs et crayons de couleur s’amoncellent sur la longue table de ferme où tu ne t’assois jamais sans une pensée pour Josette qui y enchaînait jadis les grilles de mots croisés, emmitouflée dans son châle rose. C’est le seul meuble que vous avez gardé, avec le lourd banc de chêne sur lequel Vadim s’est souvent cogné, petit. Il règne un calme aussi joyeux que studieux, qui te réjouit. Tu as éteint la musique, une fois les pains au chocolat dévorés, histoire que ton lycéen de quinze ans puisse mieux se concentrer. Il a déjà assez de mal comme ça à tenir en place sans faire trembler sa cuisse ni tourner son Bic comme une toupie. Tu as toujours affectionné ces moments-là, où rien ne s’agite, où chacun cogite dans un silence entrecoupé de soupirs et parfois de râleries. Romane dessine un arbre avec un oiseau, Vadim cherche ses mots en croquant son stylo, toi tu as ouvert ton roman et tu aimes lire comme ça, même si tu n’avances pas. Tu tournes laborieusement la page 100 quand Vadim décrète que la maison de Josette ressemble pas mal à celle où vivent Silvère et sa grand-mère. De guerre lasse, tu refermes ton bouquin. Si tu ne lui donnes pas un coup de main pour sa dissert, on y sera encore demain. C’est à ce moment-là qu’Aurélien déboule dans la cuisine. Tu remarques l’air agacé qu’il affiche ostensiblement. Il allume la baffle et met la musique à fond. « Mais non, t’exclames-tu en baissant le son, on ne peut pas travailler dans ces conditions. » Alors ça sort, sans prévenir. Personne ne s’y attend. Ni toi ni les enfants, qui se figent instantanément. « Je suis chez moi, quand même, alors ferme ta gueule une bonne fois pour toutes, connasse, si tu veux pas que je la réduise en miettes. » Uppercut. Souffle coupé. Tu baisses la tête sous l’effet du coup. Quand tu la relèves, tu vois, sur la table, les miettes du petit déjeuner que tu n’as pas encore débarrassé.
La porte claque aussi fort que sa menace. La honte cuit tes joues. Tu ne sais que dire, alors tu te tais. C’est un silence atterré qui vous accable tout à coup. Dans les yeux horrifiés de Romane, la surprise le dispute à l’effroi. Vadim ronge ses ongles, son frein aussi, tu le vois bien. Après un long moment, le pli qui barre son front finit par disparaître, il relève la tête, te regarde avec une douceur infinie et, tout fier de lui, déclare : « Ça nous fait donc un deuxième point commun avec Silvère puisque son amoureuse s’appelle Miette. » Sa blague vous sauve tous les trois. »

Extrait
« Dans le bus ou le métro, à la médiathèque ou au parc, pendant que Vadim tape dans son ballon de foot avec les copains et que Romane fait le cochon pendu ou joue à la petite marchande sous le toboggan, tu égrènes ses mots partout. Des pages et des pages de notes. Tu as noirci des centaines de lignes de ses mots à lui. Pour garder une trace, tenter de les désamorcer, avec le pathétique espoir qu’ils aillent s’incruster ailleurs qu’en toi. »

À propos de l’auteur
Amélie Cordonnier, 38 ans, est journaliste depuis 2002. Après avoir travaillé pour Europe1, La Tribune ou encore Le journal du dimanche, Amélie Cordonnier est chef de rubrique Culture à Femme Actuelle depuis 2014 ainsi qu’à Prima. Trancher est son premier roman. (Source: Livres Hebdo)

Compte Twitter de l’auteur 

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Les complicités involontaires

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Voici trois bonnes raisons de lire ce livre:
1. Parce que Nathalie Bauer nous avait offert avec Les indomptées, son précédent roman, «une œuvre magistrale dont le projet rappelle ceux de Faulkner ou de Garcia Marquez» comme l’écrivait alors Le Figaro littéraire.

2. Parce que, après les beaux livres d’Isabelle Minière, Au pied de la la lettre et de Dominique Dyens, Cet autre amour, voici un troisième roman de cette rentrée mettant en scène une psy. Baptisée cette fois Corinne, elle va se voir confrontée à un problème d’éthique car sa patiente est une amie d’enfance. Une situation qui devrait la conduire à refuser de traiter son cas. Sauf qu’elle passe outre et va se plonger dans l’histoire familiale. Une enquête de plus en plus captivante et… risquée.

3. Parce que, comme l’écrit Cécile Desbrun sur le site Culturellement vôtre « Les complicités involontaires s’avère être une œuvre prenante et intrigante, qui nous suit bien après avoir tourné la dernière page. Nathalie Bauer sonde une histoire familiale crédible et une jeunesse oubliée qui pourrait être la nôtre, en un sens, et elle le fait à travers une écriture fine et méthodique qui emprunte à la minutie obsessionnelle de Zoé, qui souhaite trouver la vérité (si tant est qu’elle existe) afin de trouver la paix et se sentir maîtresse de sa destinée. »

Les complicités involontaires
Nathalie Bauer
Éditions Philippe Rey
Roman
288 p., 19 €
EAN : 9782848766058
Paru en août 2017

Ce qu’en dit l’éditeur
Par un jour d’avril, Corinne V., psychiatre, reçoit dans son cabinet une quinquagénaire, Zoé B., désireuse d’entreprendre une analyse. Reconnaissant en elle une ancienne amie, elle s’apprête à l’adresser à un confrère, quand Zoé lui révèle qu’elle souffre d’une amnésie ayant effacé ses souvenirs de jeunesse. Et qu’elle est atteinte depuis toujours d’une «mélancolie» dont la cause, elle en est persuadée, réside dans la mystérieuse histoire de sa famille paternelle – histoire dont son père ne lui a transmis qu’une infime partie.
La curiosité est la plus forte : enfreignant les règles de sa profession, Corinne décide d’ignorer leur lointaine et brève amitié, et accède à la demande de Zoé. Elle ne peut imaginer les conséquences qu’une telle résolution aura sur leurs existences respectives. Car, tandis que l’analysante déroule son « enquête » en assemblant, telles les pièces d’un puzzle, les quelques éléments dont elle dispose – bribes de vieilles conversations, documents et photos –, l’analyste se voit confrontée, par un plongeon dans le passé, à un jeu de miroirs pour le moins inattendu.
Dans ce roman de la transgression, Nathalie Bauer raconte l’odyssée d’une famille ballottée par le chaos de l’histoire du XXe siècle, la recherche obsédante d’une femme qui en subit les soubresauts, et explore les multiples complicités qui unissent les êtres à leur insu pour mieux se jouer de leur destin.

Les critiques
Babelio
Culturellement vôtre (Cécile Desbrun)
Fragments de lecture… Les chroniques littéraires de Virginie Neufville
La Montagne (Blandine Hutin-Mercier)
Blog Froggy’s delight 
Blog Books moods and more

Les premières pages du livre
« La première fois que j’entendis la voix de Zoé B., le mois d’avril jetait des éclaboussures de lumière sur le téléphone, le divan et la bibliothèque de mon cabinet. En réalité, ce n’était pas la première fois: je l’avais découverte trente ans plus tôt dans le lycée parisien où nous étions censées préparer le concours d’entrée à une grande école, mais, au moment où elle retentit dans le combiné, ce jour d’avril, je l’avais oubliée, même si le nom qu’elle chuchota au terme d’une conversation réduite à l’essentiel – une simple prise de rendez-vous – me troubla, l’espace de quelques secondes, avant d’être ravalé au rang de coïncidence et balayé. Contrairement à moi, elle avait conservé son patronyme, tout comme le tic qui consistait à frotter contre ses lèvres la phalangine d’un index, ainsi que je le constatai quelques jours plus tard: elle s’était assise de l’autre côté de mon bureau, prête à entamer l’une des deux séances préliminaires au cours desquelles il était rare, en effet, que le nouveau venu s’allongeât. Je n’eus aucune peine à la reconnaître: malgré son visage émacié, sa coupe de cheveux courte et les quelques mèches qui grisonnaient à la hauteur des tempes, elle n’avait guère changé, et en cela aussi elle différait de moi, remarquai-je encore, songeant à mon carré teint en roux, à mes lunettes et aux rondeurs que je me résignais désormais à dissimuler sous d’amples vêtements de soie plissée, à la mode – des changements peut-être trop importants pour qu’elle me reconnût, elle. Et puis, comme tous ceux qui faisaient appel à moi, elle devait être trop enfermée dans son mal-être, trop tournée sur elle-même pour me regarder seulement.

Extrait
« Je ne m’étais pas trompée : nous nous revîmes rarement au cours des mois qui suivirent mon inscription à la faculté de médecine, tant nous avions de notions à apprendre et à emmagasiner pour nous présenter à nos concours respectifs. De plus, j’avais quitté le foyer d’étudiantes où résidait encore Agathe et emménagé dans un studio dont mes parents, enfin satisfaits de mon choix, me payaient le loyer. Contrairement à moi dans ma matière, Agathe et Zoé échouèrent en fin d’année, obtenant des rangs qui ne leur permettaient même pas d’être admissibles, ce qui ne dissuada pas la seconde d’opter pour le redoublement, tandis que la première décidait de continuer ses études à la Sorbonne.
Nous étions donc toutes trois dispersées quand, un après-midi de novembre, je reçus un appel de Zoé qui m’invitait à l’accompagner le soir même à un concert de jazz dans un club de Saint-Germain des Prés. »

À propos de l’auteur
Traductrice de l’italien, docteur en histoire, Nathalie Bauer a publié quatre romans : Zena (JC Lattès, 2000), Le feu, la vie (Philippe Rey, 2007), Des garçons d’avenir (Philippe Rey, 2011) et Les Indomptées (Philippe Rey, 2014). (Source : Éditions Philippe Rey)

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Cet autre amour

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En deux mots:
La psychanalyse illustrée. Séance après séance, une l’analyse est détaillée, du trouble né avec le transfert à l’incompréhension des proches. Un «roman» devenu nécessaire pour l’auteur et éclairant pour le lecteur.

Ma note:
★★★ (beaucoup aimé)

Cet autre amour
Dominique Dyens
Éditions Robert Laffont
Roman
234 p., 18 €
EAN : 9782221197453
Paru en août 2017

Où?
Le roman se déroule en France, principalement à Paris. Un voyage en Suisse, à Morges est également évoqué.

Quand?
L’action se situe de nos jours, de 2013 à 2016.

Ce qu’en dit l’éditeur
Tu crois que c’est normal d’être amoureuse de son psy ?
« L’histoire que je m’apprête à raconter est une histoire d’amour. Une vraie, une incroyable histoire d’amour, qui m’a saisie par surprise et à laquelle il m’a été impossible de résister. Pendant deux longues années, peut-être davantage, j’ai mené une double vie. Je parlerais plutôt d’une vie double, c’est-à-dire fragmentée, divisée entre une vie conjugale heureuse, ouverte au regard des autres, et une vie intime, secrète, qui a puisé son inspiration dans les profondeurs de mon inconscient. »
Quel est ce lien d’«amour» unique qui unit un(e) patient(e) à son (sa) psychanalyste? C’est donc ça, le transfert? Telle est la question que tente de cerner la narratrice de Cet autre amour lorsque, amenée à entreprendre une thérapie à la suite d’un choc émotionnel violent, elle tombe amoureuse de son analyste. Ce récit à la fois pudique et cru d’un amour hors du commun rend un vibrant hommage à la fascinante aventure affective et intellectuelle qu’est la psychanalyse.

Ce que j’en pense
« L’histoire que je m’apprête à raconter est une histoire d’amour. Une vraie, une incroyable histoire d’amour, qui m’a saisie par surprise et à laquelle il m’a été impossible de résister. Pendant deux longues années, peut-être davantage, j’ai mené une double vie. Non pas dans le sens où on l’entend généralement, car je n’ai pas eu d’amant. Je parlerais plutôt d’une vie double, c’est-à-dire fragmentée, divisée entre une vie conjugale heureuse, ouverte au regard des autres, et une vie intime, secrète, qui a puisé son inspiration dans les profondeurs de mon inconscient.
Tout a commencé avec la fausse mort de M. Sans elle, sans cet événement qui m’a proprement désagrégée, rien ne serait jamais arrivé. Nous sommes le 8 février 2013. C’est le milieu de la matinée. À cette heure notre petit immeuble parisien a retrouvé son calme, l’appartement est silencieux, notre fille cadette est au lycée, les deux aînés n’habitent plus la maison. » Dès les premières lignes, tout est dit, ou presque. Si ce nouveau livre de Dominique Dyens se revendique comme un roman, il s’agit d’abord d’une confession, d’un témoignage d’autant plus fort qu’il s’est quasiment imposé. Car, comme l’explique la narratrice, Cet autre amour a phagocyté tout autre projet littéraire. Il n’était alors plus possible de poursuivre l’écriture d’un roman déjà commencé, no même de se lancer dans un nouveau projet tant ses séances lui «prenaient la tête».
Tout avait pourtant commencé sans à priori, simplement dans l’idée que la consultation d’un psychanalyste pourrait la soulager après le choc subi suite à la découverte de son mari inanimé dans l’appartement et la prise de conscience qu’il était passé près de la mort. Une issue «impensable». Voici donc la narratrice au seuil d’une aventure inédite: «C’est étrange, cette impression de me retrouver dans une situation presque analogue à celle d’une consultation médicale, sans toutefois parler d’autre chose que des douleurs de l’âme. Je lève les yeux vers l’homme assis en face de moi. Je ne décèle sur son visage aucune trace d’ennui ni d’ironie. Il m’écoute au contraire avec attention. Et sa sollicitude me touche. » Voilà comment ce fameux transfert se met en place. Le praticien instaure une relation de confiance, la patient commence à se laisser aller. Très vite, les confidences affleurent, y compris celles qu’on avait promis de ne pas dire. En l’occurrence, ne pas dire qu’on est écrivain. Une mission impossible, tant la création littéraire est indissociable de son existence, de son quotidien et vient brouiller l’analyse en cours.
« À force d’inventer des vies, je ne suis plus capable de penser la mienne. Je peux m’immiscer dans la tête de mes personnages, les faire parler, pleurer, rire, mais dès qu’il s’agit de moi, j’éprouve une sensation de vide. J’ai effectivement l’impression de ne plus savoir ordonner et structurer mes pensées, encore moins les formuler.
La solution va finir par s’imposer d’elle-même, évidente. Il faut traiter ces séances comme le ferait un écrivain. Il fait prendre des notes, dresser der compte-rendus des séances, essayer de comprendre ce qui a été dit – et ce qui n’a pas été dit – et les raisons de ce choix. Une analyse de l’analyse en quelque sorte. Exercice salutaire, mais aussi terreau très fertile du livre qui prend ainsi forme.
« C’est dans ce café, sur les notes de mon iPhone, que je consigne mes séances. L’écriture me sert d’exutoire et m’aide à classer et clarifier mes pensées. Et ce n’est qu’une fois la séance couchée sur le papier et mes émotions calmées que je peux m’en aller, avec l’impression d’avoir laissé sur la banquette un autre de ces anciens vêtements dont le poids m’encombrait. Que la séance ait été douloureuse ou joyeuse, que j’en ressorte frustrée ou au contraire emplie de satisfaction, entre le moment où je descends les escaliers du cabinet de mon psychanalyste et celui où je pénètre dans ce café, je ne suis liée à personne, ni affectivement ni socialement, mais ne suis définie que par mon vécu et mes émotions. Et cela aussi est une nouvelle plage de liberté intemporelle que je découvre et savoure. »
Reste que ces rendez-vous permanents chez le psychanalyste commencent à intriguer. Aux interrogations de la fille viennent s’ajouter les méfiances, voire la jalousie du mari. Cet «M» qui a tout déclenché et qui ne sera pas davantage nommé tout au long du livre. Pourtant le lecteur attentif le retrouvera dans les remerciements et comprendra combien le récit qu’il vient de lire est autobiographique, bien davantage que pour toute l’œuvre de Dominique Dyens et quand bien même elle se rendra compte que La femme éclaboussée contient beaucoup plus d’elle qu’elle ne se l’était imaginée. De découvertes en surprises, comme ce traumatisme durant l’adolescence, voici la narratrice en train de se (re)découvrir, en train de se (re)construire et en train de tomber à nouveau amoureuse. C’est bien entendu là le point central du livre que le titre résume clairement. Et qui sera lui aussi résolu par la littérature, par les «Fictions de la psychanalyse» et notamment par la lecture de Stefan Zweig, suivi de celle de sa correspondance avec Freud. Le tout s’achevant en apothéose lors d’un salon du livre, celui qui se déroule au bord du lac Léman, à Morges.
Si le livre est aujourd’hui bouclé et nous offre une plongée saisissante dans un cabinet de psychanalyse, l’auteur reste très discrète sur la suite des événements. Mais qu’importe, on comprend que désormais elle est prête à reprendre la plume et à poursuivre sa belle carrière.

NB. Pour les Suisses et ceux qui feront le déplacement sur les bords du Léman, Dominique Dyens sera (forcément) présente au livre sur les quais du 1er au 3 septembre à Morges.
Pour les Parisiens, signalons que Dominique Dyens présentera son livre à la Librairie Gallimard, 15 Boulevard Raspail, 75007 Paris le mardi 5 septembre à partir de 18h30.

Autres critiques
Babelio
Le littéraire (Jean-Paul Gavard-Perret)
Pluton magazine (avec entretien)
Blog A book is always a good idea
Blog Lis-moi si tu veux 
Blog Au pouvoir des mots


Dominique Dyens présente «Cet autre amour» © Production Librairie Mollat

Les premières pages du livre

Extrait
« Je rédige effectivement des sortes de comptes rendus de mes séances depuis que j’ai commencé ce travail, mais je m’autocensure et ne transcris jamais quoi que ce soit de mes sentiments. Est-ce ce jour-là que vous me suggérez de faire quelque chose de mes séances, de les écrire, de les transformer ? Je ne sais plus mais vous me parlez de dialogue, me dites de réfléchir à la forme, au nombre de personnages. Je vous fais remarquer qu’il n’y a jamais rien d’autobiographique dans mes romans. Cela vous fait sourire. Vous n’en croyez pas un mot. Je vous écoute poliment, persuadée du contraire. L’avenir vous donnera raison, quand, au détour de plusieurs séances et d’interprétation de rêves, je réaliserai que j’ai distillé quelque chose de ma vie dans mon premier roman, La Femme éclaboussée. Mais je n’en suis pas encore là. Pour l’heure, je me dis juste que vous ne savez pas que jamais je n’écrirai de livre aussi intime et cela me désole un peu. Cependant j’aime bien que vous me parliez d’écriture. Et si je n’écarte pas complètement la possibilité de commettre un jour un roman autobiographique, je suis bien loin d’imaginer alors que celui-ci pourrait revêtir la forme d’un récit sur le transfert amoureux. »

À propos de l’auteur
Écrivain, Dominique Dyens est notamment l’auteure de huit romans, parmi lesquels La Femme éclaboussée (Héloïse d’Ormesson 2000), Intuitions (Héloïse d’Ormesson 2011), Délit de fuite (Héloïse d’Ormesson 2008), Lundi noir (Héloïse d’Ormesson 2013) et Cet autre amour (Robert Laffont, 2017). (Source: Éditions Robert Laffont)

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  RLN2017   Livre_sur_les_quais_2017

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La revalorisation des déchets

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La revalorisation des déchets
Sébastien Gendron
Albin Michel
Thriller
384 p., 17 €
ISBN: 9782226314642
Paru en janvier 2015

Où?
Le roman se déroule en France, principalement à Bordeaux, Cestas, Saint-Julien-les-Graves, Saint-Macaire, Landiras et dans la région, mais aussi à Paris, Saint-Ouen, Clichy-la-Garenne, Gennevilliers, Pantin et Montreuil avec des escapades à Toulouse, Passa, Saint-Martin-de-Ré et la route vers l’Espagne passant par Dax, Bayonne, Biarritz, San Sebastian et Bilbao ainsi que Barcelone et Sant Galdric.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
DICK LAPELOUSE, grand spécialiste de l’assassinat sur commande et des techniques d’intimidation, diplômé du milieu niçois maintenant dans votre ville.
RÉAGISSEZ !
Il y a un million de façon de tuer une personne, mais un seul homme les connaît toutes.
DICK LAPELOUSE traite vos nuisibles, sans différenciation de sexe, ni d’âge : époux violents, banquiers véreux, maîtres-chanteurs, patrons indélicats, escrocs, maquereaux… les connards en tout genre ruinent votre existence ? N’hésitez plus.
DISCRÉTION ABSOLUE
RESULTATS GARANTIS
TARIFS IMBATTABLES
Après Road Tripes, un polar halluciné et décapant sur les traces de Dick Lapelouse, tueur à gages spécialisé dans le tri sélectif des ordures à prix discount. À la croisée de Donald Westlake, Frédéric Dard et Quentin Tarantino, Sébastien Gendron s’impose en dynamitant les codes du genre. Façon puzzle.

Ce que j’en pense
***
Le roman noir aura trouvé en Sébastien Gendron un créatif, capable de dépoussiérer un genre souvent confiné à un carcan très – voire trop – rigide. C’est ainsi qu’il a inventé un nouvel archétype, découvert dans Le Tri sélectif des ordures, (disponible en Pocket) le tueur à gages low-cost : « Je m’appelle Dick Lapelouse et je suis tueur à gages pour les gens de peu. Ça signifie que pour éliminer les nuisibles des pauvres, j’applique des tarifs largement en deçà de ceux pratiqués pour les nantis. » Voilà pour la présentation au début de livre. Les travaux pratiques vont pouvoir commencer sur la personne de Dominique Osmond, un chef d’entreprise sexagénaire qui a jeté son dévolu sur une assistante de secrétariat de quarante ans sa cadette. Après des allusions et des attouchements, le harcèlement va aller jusqu’au viol puis le viol à répétition. Sonia Van Veckt fait alors appel à Dick Lapelouse, qui règle rapidement son problème. Je vous laisse découvrir les autres contrats qui agrémentent ce roman autant noir que loufoque pour m’attarder un peu sur les personnages secondaires qui constituent l’autre tour de force de l’auteur. Ils sont en effet, chacun à leur manière, formidablement bien campés. Il y d’abord Camille, la secrétaire qu’il a choisi moche et grosse pour servir de rempart à une clientèle quelquefois très impulsive et qu’il partage avec Braun, son psychothérapeute auprès duquel il essaie de donner du sens à ses méfaits et à sa vie en explorant un Œdipe mal réglé. Et Dieu sait s’il en a besoin. Dionne est là pour en témoigner. Cette blonde sculpturale à la voix enchanteresse vient régulièrement lui rendre visite pour le consoler, le réprimander et l’aguicher.
C’est que Dick se pose des questions. Au fur et à mesure de ses missions, ce n’est plus le plaisir du travail accompli qui l’accompagne, mais une douloureuse introspection qui le fait douter de sa mission et, ce qui est bien pire pour lui, du caractère vraiment nuisible de ses victimes. Comme celui de cet ex-franquiste au passé pourtant des plus nauséabonds. Et si toute cette histoire n’était qu’un « putain de conte de fées pour orphelins de la pègre » ?
Si vous voulez le découvrir, vous savez ce qu’il vous reste à faire. Et croyez-moi, vous ne le regretterez pas !

Autres critiques
Babelio
Metronews
Blog Cannibales lecteurs
Blog Encore du noir
Blog Action-Suspense
Blog Au cœur de mes lectures et rêveries

Extrait
« c’est sans la moindre difficulté que j’accule cet homme dans l’angle de sa cuisine, sans le moindre problème que je le maîtrise et, lorsque je lui enfile un sac plastique sur la tête, il n’a même pas la force de se défendre.
Déjà époumoné par son footing de galérien, il suffoque moins de deux minutes avant de s’effondrer sur le carrelage. Aucune trace de lutte, pas d’intrusion suspecte dans les lieux, que je quitte à la nuit tombée en retirant mes gants en latex et mes surchaussures en coton.
Sur le chemin du retour, j’appelle Sonia Van Veckt. Elle pleure un peu, avant de murmurer un tout petit merci qu’elle s’en voudra peut-être toute sa vie d’avoir prononcé.
Ou pas.
Je n’en saurai jamais rien.. » (p. 16)

A propos de l’auteur
Né en 1970 à Talence, Sébastien Gendron a passé sa jeunesse dans le Bordelais. Après une licence d’études cinématographiques, il se retrouve tour à tour livreur de pizzas, manœuvre, télévendeur de listes de mariage avant de devenir assistant réalisateur puis réalisateur. En 2008, il publie Le Tri sélectif des ordures, premier opus des aventures de Dick Lapelouse (Pocket 2014), suivi chez Albin Michel en 2013 de Road Tripes. (Source : Editions Albin Michel

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Le Tabac Tresniek

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Le Tabac Tresniek
Robert Seethaler
Sabine Wespieser Editeur
Roman
256 p., 20 €
ISBN: 9782848051673
Paru en octobre 2014

Où?
Le roman est situé en Autriche, principalement à Vienne, avec des réminiscences à Nussdorf, le village natal du narrateur dans le Salzkammergut.

Quand?
L’action se déroule principalement de 1937 à 1939. Les dernières pages se situant dans l’immédiat après-guerre.

Ce qu’en dit l’éditeur

En août 1937, le jeune Franz Huchel quitte ses montagnes de Haute-Autriche pour venir travailler à Vienne avec Otto Tresniek, buraliste unijambiste, bienveillant et caustique, qui ne plaisante pas avec l’éthique de la profession. Au Tabac Tresniek, se mêlent classes populaires et bourgeoisie juive de la Vienne des années trente.
Si les rumeurs de la montée du national-socialisme et la lecture assidue de la presse font rapidement l’éducation politique du montagnard mal dégrossi, sa connaissance des femmes, elle, demeure très lacunaire. Ne sachant à quel saint se vouer avec Anezka, la jeune artiste de cabaret dont il est éperdument amoureux, il va chercher conseil auprès du « docteur des fous », Sigmund Freud en personne, client du tabac et grand fumeur de havanes, qui habite à deux pas. Bien qu’âgé et tourmenté par son cancer de la mâchoire, le professeur va finir par céder à l’intérêt tenace que lui témoigne ce garçon du peuple, vif et curieux.
Mais les temps ne sont guère propices aux purs et, dès mars 1938, l’Anschluss va mettre un terme brutal à l’apprentissage de Franz et à sa prestigieuse amitié. Otto Tresniek, peu disposé à boycotter sa clientèle juive, s’attire les foudres de la Gestapo, tandis que Freud se résigne à émigrer en Angleterre.
Par la grâce d’une langue jubilatoire, d’une intrigue où la tension ne se relâche pas, et de personnages forts et attachants, voici un roman qui se lit d’un trait. L’humour viennois d’Otto Tresniek et de Freud est la politesse du désespoir dans une société déboussolée où ils ne trouvent plus leur place. Pas plus que leur protégé, plein de vie et de poésie, qui tentera pourtant, fidèle à leur enseignement, de nager à contre-courant.

Ce que j’en pense
****

On pourrait résumer ce roman d’initiation à la rencontre entre un jeune Autrichien et Sigmund Freud à Vienne en 1937. Ce serait toutefois s’en tenir à l’anecdote et oublier l’incroyable densité dramatique de ce récit qui, comme le souligne l’éditeur, se lit d’un seul trait.
On s’attache en effet très vite au jeune Franz Huchel, orphelin de père et que sa mère décide d’envoyer à Vienne en apprentissage chez le buraliste juif Otto Tresniek. C’est au contact de ce vieil homme bourru qu’il va faire bien plus que l’apprentissage du métier de buraliste. Il va faire l’apprentissage de la vie, découvrir les plaisirs et les affres de l’amour. Mais, même au sommet de la grande roue du Prater, il ne pourra échapper aux soubresauts de l’Histoire. L’ex-peintre en bâtiment autrichien qui vient de conquérir la chancellerie allemande est de plus en plus menaçant et le pantin qui gouverne à Vienne ne fera rien de plus que de se coucher face à la montée des périls.
Quand la police vient arrêter son patron et que ce dernier succombe aux traitement que ses tortionnaires lui font subir, il va se retrouver d’un jour à l’autre en charge de l’établissement.
Quant au célèbre psychanalyste, client du tabac Tresniek, il va se prendre d’affection pour le jeune homme épris de découvertes et soucieux de comprendre comment fonctionne ce monde. Mais le vieil homme ne pourra l’accompagner que durant quelques mois, car la pression sur lui et sa famille se fait de plus en plus forte. Il n’aura vite guère d’autre choix que de fuir. Voilà à nouveau Franz seul face à son destin. A la lumière de sa correspondance avec sa mère, on suit les étapes de son développement intellectuel et on aimerait lui insuffler la phrase de Nietzche : « Tout ce qui ne tue pas rend plus fort » pour être sûr que son avenir sera heureux.
Avec beaucoup de brio Robert Seethaler parvient à peindre cette époque troublée et à rendre compte de la tension qui régnait alors et qui broyait les êtres dans une sorte d’indifférence. Un roman pour ne jamais oublier, mais surtout pour prendre conscience de la fragilité de nos démocraties.

Autres critiques
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Citations
« Un dimanche de la fin de l’été 1937, s’abattit sur le Salzkammergut un orage d’une violence inhabituelle, qui allait amener dans la petite vie tranquille de Franz Huchel un revirement aussi décisif qu’inattendu. Aux premiers grondements du tonnerre dans le lointain, Franz avait couru se réfugier dans la cabane de pêcheur qu’il occupait avec sa mère à Nussdorf, un village situé au bord de l’Attersee. Tapi dans la chaleur de la couette, il épiait du fond de son lit le vacarme terrifiant des éléments déchaînés. La tempête ébranlait la cabane de toute part. Les poutres gémissaient, les volets claquaient et les bardeaux moussus clapotaient bruyamment sur le toit. Les rafales de vent jetaient une pluie cinglante contre les vitres, devant lesquelles une poignée de géraniums décapités se noyait dans ses bacs. »

A propos de l’auteur
Robert Seethaler, 46 ans, également acteur et scénariste, vit entre Vienne et Berlin. Le Tabac Tresniek, son quatrième roman, a remporté dans les pays germanophones un grand succès. À l’automne paraîtra à Berlin son nouveau livre, Une vie entière, que publiera également Sabine Wespieser éditeur, à l’horizon 2015. (Source : Sabine Wespieser Editeur)

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