Châteaux de sable

LA_ROCHEFOUCAULD-chateaux_de_sable

  RL-automne-2021

Sélectionné pour le prix littéraire Maison Rouge

En deux mots
Louis Robinson est ravi de faire la connaissance du narrateur, descendant d’une famille aristocratique qui aura beaucoup soutenu le monarque à l’heure de la Révolution française. Le fantôme de Louis XVI va l’engager pour écrire sa «vraie» vie. Après tout, le roman national est d’abord un roman.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

Les confidences de Louis XVI

En imaginant sa rencontre avec le fantôme de Louis XVI dans la France des gilets jaunes, Louis-Henri de la Rochefoucauld va tout à la fois déconstruire le roman national et remettre en perspective son histoire familiale. Avec humour et érudition.

On le sait, l’aristocratie aura payé un lourd tribut à la Révolution française qui, pour asseoir son autorité, guillotinait à tour de bras tous ceux qui portaient une particule. La famille de La Rochefoucauld détient le triste record du nombre de morts durant cette période. À la suite de cette dispersion façon puzzle ne subsisteront que quelques beaux rêves de restauration. Plus prosaïquement, les descendants de la noblesse se classent aujourd’hui en affairistes « qui avaient froidement suivi l’évolution des espèces en s’assimilant à la haute-bourgeoisie friquée, les irréductibles « qui tournaient en rond dans les pièces mal chauffées de châteaux angevins » et les précurseurs amnésiques qui se métissaient. Quant à Louis-Henri, il se sent « condamné à vivre de façon parodique » et trouve refuge dans le journalisme et la littérature. Des piges et des entretiens qui lui permettent d’entretenir une famille, même s’il aimerait offrir un avenir plus flamboyant à sa petite fille Isaure.
C’est lors d’un mariage joyeusement arrosé qu’il va faire LA rencontre qui va bousculer sa vie. Louis Robinson va lui proposer d’être son nègre, de raconter la « vraie histoire » de sa vie, car il n’est autre que le fantôme de Louis XVI. Intrigué mais aussi séduit, le narrateur s’achète carnets et stylo et se rend quai de Bourbon pour recueillir les confidences du monarque déchu et de son épouse. Une Marie-Antoinette qui n’a rien à voir non plus avec la femme frivole entrée dans la postérité.
L’opération réhabilitation est lancée!
Grâce au dispositif narratif choisi par l’auteur, on va se régaler des télescopages entre l’actualité du moment et les «souvenirs» de ce couple qui a traversé le temps. Ainsi, toutes proportions gardées, Antoinette voit un parallèle entre la vie recluse à Versailles et l’actuel président qui, bien des siècles plus tard n’a pas vu venir les gilets jaunes. Ces «Gaulois réfractaires» vont même finir par donner des idées à Georges Lemoine. L’homme tient un bar clandestin où se réunissent les fidèles de Louis XVI et rêve de s’appuyer sur ces révoltés pour faire tomber le régime.
Se basant sur une solide documentation, l’auteur va raconter à sa manière les jours qui ont fait basculer le régime et la dernière tentative de restaurer un pouvoir désormais honni. On retrouve aussi ici l’ambiance et certains thèmes croisés dans Le Club des vieux garçons. On y cherchait tout autant un espace de liberté en s’accrochant à des principes un peu surannés et folkloriques, mais en y mettant du panache et de l’audace. Car comme disait Danton, cet ennemi juré, «Pour vaincre, il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace» !

Châteaux de sable
Louis-Henri de La Rochefoucauld
Éditions Robert Laffont
Roman
244 p., 19 €
EAN 9782221256091
Paru le 26/08/2021

Où?
Le roman est situé en France, principalement à Paris, mais également en Franche-Comté et en Champagne, notamment à Pargny-les-Reims.

Quand?
L’action se déroule de nos jours, avec des retours en arrière, notamment autour de 1789-1793.

Ce qu’en dit l’éditeur
«J’avais mis beaucoup de temps à m’intéresser à la Révolution, et plus encore à la comprendre. Puis, j’y étais revenu, et la période m’avait semblé capiteuse. Malgré l’atrocité des faits, tout y était beau : les lieux, les vêtements, les noms des bons, des brutes et des truands. Mon déphasage trouvait un écho dans la figure de Louis XVI. J’avais le goût des causes perdues et le plus grand des guillotinés était indéfendable. Quand aurait-il enfin un bon avocat?»
Tour à tour mélancolique et drolatique, ce roman met en scène un héritier de la noblesse d’épée qui ne sait plus à quel saint se vouer.
Jeune père un peu paumé, précaire dans la presse, le narrateur vit dans un monde en voie d’extinction. Rien de grave : issu d’une famille décimée sous la Révolution, il a appris le détachement. Trop à l’ouest pour avoir des convictions politiques, il n’est pas royaliste, mais ne croit pas non plus au mythe d’une France nouvelle née en 1789… jusqu’au jour où Louis XVI lui apparaît! Et s’il s’amusait à réhabiliter ce grand dadais mal-aimé, émouvant malgré lui?
« Quand on n’a plus de château à transmettre, on peut au moins tenter d’aménager pour ses enfants une mémoire habitable. »

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Goodbook.fr
Page des Libraires (Murielle Gobert Librairie Passerelles à Vienne)


De quoi parle votre roman Louis-Henri de la Rochefoucauld ? © Production Éditions Robert Laffont

Les premières pages du livre
« 1. « Je crois aux forces de l’esprit… »
L’épisode eut lieu il y a quelques années au château de ma grand-mère. Une jeune fille engagée pour l’été était venue trouver mon père. Le plus souvent, elle tapait à sa porte parce qu’elle avait surpris une chauve-souris dans une chambre et avait besoin de lui pour s’en débarrasser. Mon père s’en chargeait d’un coup de fouet de chasse bien ajusté. Dans ce noble art, c’était un champion. Cette fois-ci, la situation était plus préoccupante : « Monsieur le comte, pardon de vous déranger… Je suis très embêtée d’avoir à vous annoncer ça, mais je ne veux plus faire le ménage au dernier étage. J’ai trop peur. » Allons bon ! Peur de quoi ? Embarrassée, la jeune fille avait poursuivi : « Il y a des bruits étranges en haut, quelque chose de bizarre… Ça va vous paraître fou, tant pis : je pense que la maison est hantée. » D’ordinaire flegmatique derrière sa cravate, qu’il n’enlevait que pour dormir, mon père en avait bondi de son fauteuil : « Des fantômes ? Formidable ! Extra ! Si vous en croisez à nouveau, prévenez-moi, je serai ravi de les rencontrer : ils ne peuvent être que mes ancêtres ! »
Dans la galerie de portraits, à elle seule une histoire de la mode à travers les âges, certains anciens ne demandaient qu’à sortir du mur pour se dégourdir les jambes. Communiquer avec ses aïeux, faire tourner les tables de la mémoire : ainsi avais-je été élevé. Au cours des repas, mon père nous expliquait comment nous descendions des rois de France – leur sang coulait dans nos veines. Il nous arrivait de franchir la Manche. J’avais été frappé d’apprendre que je descendais de Charles Ier, le roi d’Angleterre qui fut décapité en 1649, et donc de sa grand-mère, Marie Stuart, raccourcie pour sa part en 1587. Petit, déjà, ces têtes coupées me montaient au cerveau.

À la naissance de mes dernières sœurs, des jumelles, ma mère n’arrivait plus à s’occuper de ses cinq enfants. Elle avait demandé à mon père de nous sortir, mon frère et moi. Nous emmenait-il au stade ? Il n’aimait pas le sport. Je me souviens de nos fous rires devant les glaces déformantes du Jardin d’acclimatation, de promenades dans la forêt de Rambouillet, d’une visite des Grandes Écuries du château de Chantilly. J’avais cinq ans. Savais-je que ces écuries avaient été construites au XXVIIIe siècle par Louis-Henri de Bourbon, septième prince de Condé ? Ce Louis-Henri croyait à la métempsycose et aimait les chevaux à un point tel qu’il pensait se réincarner en canasson. Cette branche illustre des Bourbons s’était éteinte deux générations après lui, en 1830, le jour où son petit-fils, lui aussi prénommé Louis-Henri, neuvième prince de Condé et plus grande fortune de France, avait été retrouvé pendu à l’espagnolette d’une fenêtre de sa chambre. Sur ces explications, nous remontions dans la voiture. Mon père réajustait son nœud de cravate en se regardant dans le rétroviseur intérieur. « Tu portes décidément un très joli prénom », me disait-il sur le chemin du retour.
Quand j’avais atteint l’âge de six ou sept ans, il m’avait estimé assez mûr pour retourner au berceau – c’est-à-dire découvrir le château de La Rochefoucauld, tenu par une de nos tantes. Une fois encore, nous étions entre hommes, assis mon frère et moi sur la banquette arrière, direction la Charente. Après un tour de la maison millénaire, nous avions assisté depuis les gradins au son et lumière qui se donnait le soir. Il y avait un vrai tournoi. Puis un acteur jouait le rôle du roi Charles VII. À voix basse, mon père assurait les commentaires : « Charles VII était notre invité au château quand il a appris la fin de la guerre de Cent Ans, en 1453. » Je n’avais bien sûr aucune idée de ce qu’était la guerre de Cent Ans, mais restais sidéré par cet étrange spectacle, l’histoire mise à la portée d’un enfant, un Puy du Fou personnalisé. Le problème, c’est que, avec mon goût pour les distorsions drolatiques, les différents tableaux du son et lumière se mêlaient dans mon esprit aux glaces déformantes du Jardin d’acclimatation – je peinais à y voir autre chose que de la poudre aux yeux.

À vingt et un ans, vaguement inscrit à la Sorbonne, j’avais commencé à collaborer à Technikart, magazine branché dont les bureaux bordéliques se trouvaient place de la Bastille. Nous n’étions pas toujours payés, mais la liberté de ton qu’on y avait valait tous les salaires. Je pensais naïvement m’échapper de mon milieu. Même là, j’étais tombé sur un cousin éloigné. Le fondateur, Fabrice de Rohan Chabot, grand hurluberlu hirsute et grisonnant, portait des pantalons de couleur rapiécés et des vestes Old England piquées dans l’armoire de son père, qui vivait villa Montmorency. Avec ses bottes usées et sa façon de parler si frappante, grivoise et seigneuriale à la fois, Fabrice semblait tout droit sorti de la cour de François Ier. Il descendait du chevalier de Rohan, celui qui avait judicieusement corrigé Voltaire en 1726 – ses laquais avaient rossé le philosophe à coups de gourdin. « Arouet ? Voltaire ? Enfin, avez-vous un nom ? » lui avait lancé Rohan. Ce à quoi l’autre avait répondu : « Voltaire ! Je commence mon nom et vous finissez le vôtre. »
Finissais-je le mien ? Venant de ce monde à part où l’on vous donne le prénom des princes de Condé, j’avais quelque chose de spectral. J’avais essayé de vivre ma vie, n’avais pas franchement réussi. Dans la réalité, je n’avais pas percé. Titulaire d’une modeste licence de philo, n’ayant jamais connu le salariat, écrivain sans lecteurs et pigiste précaire, homme d’intérieur avec au compteur sept échecs au permis de conduire, je flottais dans une dimension parallèle. Découvrirais-je un jour un ou deux trucs intéressants ? N’étais-je bon qu’à prendre la poussière ? À vingt-deux ans, âge auquel on se lance dans le monde du travail, le suicide d’un ami d’adolescence m’avait fait prendre encore un peu plus de distance avec le cours des choses. Il avait retourné contre lui le fusil de son grand-père. Cette image me hantait, elle me hantera toujours. Puis un événement aussi insondable que nos séances de spiritisme généalogique avait achevé de faire de moi un vieux machin dépassé : le 26 novembre 2016, année de mes trente et un ans, j’avais eu une fille. La paternité détraque votre rapport au temps ; du jour au lendemain, vous déléguez le futur à quelqu’un d’autre. Le présent étant par définition invivable, il ne vous reste plus que le passé à habiter.
Lorsque s’ouvre ce deuxième acte de votre existence, mieux vaut vous lever du bon pied. À la naissance d’Isaure, j’avais mis à la poubelle mes baskets trouées et commencé à collectionner les chaussures anglaises. J’avais acheté deux paires de mocassins à glands et repris un manteau de loden de mon grand-père maternel, lequel m’avait aussi légué une calvitie qui ne cessait de s’épanouir au sommet de mon crâne. Ainsi vêtu et dégarni, myope et migraineux, j’arpentais les rues du XVIe arrondissement. En allant chercher le pain, je croisais parfois Édouard Balladur et son épouse, qui habitaient à côté de chez moi, boulevard Delessert. Oublié de tous, l’ancien Premier ministre avait l’air empaillé dans ses beaux costumes d’un autre temps. Je n’étais pas sûr de paraître plus jeune que lui. M’ayant considéré dès notre premier verre comme un bibelot à revendre un jour à une brocante de quartier, mon épouse ne s’en faisait pas, du moins le croyais-je ; mes trois petites sœurs, en revanche, s’inquiétaient de mon évolution.

Voyons le bon côté des choses : quand on est un fantôme, on ne prend plus rien au tragique. Le problème, naturellement, c’est qu’on a du mal à se vendre sur le marché de l’emploi – nul ne confie un travail qualifié à un type qui s’en fout. Deux ou trois rédacteurs en chef aussi inconscients que Rohan Chabot m’avaient donné ma chance. À défaut d’exister vraiment, j’écrivais dans la presse des portraits d’artistes plus ou moins valables derrière lesquels je m’effaçais. Je n’avais pas les moyens de mon oisiveté, et pourtant mon quotidien n’était qu’un incessant bavardage, comme ce livre le montrera assez.
Parfois, tel ou tel interlocuteur me retournait la question. J’y avais eu droit avec l’écrivain Andreï Makine, de l’Académie française. Il parlait tellement vite, avec ses restes d’accent russe, que je ne comprenais pas tout ce qu’il me racontait, d’autant que l’ambiance de la brasserie Wepler, où nous étions installés, n’aidait pas à la concentration. En cette heure creuse de l’après-midi, quelques vieux messieurs lisaient le journal en digérant leurs rognons. La lumière orangée et le cuir ramolli des banquettes étaient propices à la sieste. Quant à Makine, académicien atypique à la carrure d’ancien du KGB et à la belle gueule anguleuse de statue soviétique, avec son regard d’acier qui vous transperçait, il semblait vouloir vous hypnotiser, vous endormir – et pourquoi pas jeter votre corps dans la Volga.
Une fois ses réponses dans la boîte, nous avions repris un café et inversé les rôles : il m’avait interrogé sur ma famille, surpris d’apprendre que, avec quatorze victimes, les La Rochefoucauld détenaient le record du nombre de morts sous la Révolution française, toutes compétitions confondues. La liste donnait le tournis. Pierre-Louis et François-Joseph avaient donné le coup d’envoi le 2 septembre 1792 : frères, tous deux évêques, ils avaient été assassinés à la prison des Carmes. Deux jours plus tard, le 4 septembre, Louis-Alexandre tombait dans un guet-apens à Gisors : molesté, lapidé, achevé d’une trentaine de coups de gourdin et de pique. Au printemps 1793, Marie-Françoise, Charlotte-Louise et Louise-Charlotte avaient été exécutées « pour être nées aristocrates et porter le nom de La Rochefoucauld ». Ce fut ensuite le tour d’Adélaïde-Marguerite, de Gabrielle-Françoise et de Françoise-Perrine (quels prénoms !), noyées à Nantes sur ordre de l’impitoyable Carrier. L’amazone Marie-Adélaïde, qui combattait avec ses paysans en Vendée, fut guillotinée le 24 janvier 1794. Suzanne, qui à soixante-huit ans guerroyait elle aussi, l’avait précédée sur l’échafaud. Ses deux fils, Alexandre-Marie et René-Claude, connaîtraient le même sort, l’un guillotiné, l’autre fusillé. Anne, enfin, fut guillotinée le 8 mars 1794 place de la Révolution, à Paris.
Nous avions payé cher le prix de l’agitation populaire. Le jacobinisme était-il un humanisme ? Vous avez quatre heures. À l’école, les manuels de l’Éducation nationale ne m’avaient pas convaincu des bienfaits de la Terreur. Makine n’avait pas l’air d’accorder plus de crédit que moi à la démocratie représentative ni aux sacro-saintes institutions républicaines, tout ce fumeux charabia auquel plus personne ne croyait. À ses yeux, seule la littérature comptait. Jusqu’ici imperturbable dans son étrange manteau trop grand pour lui, le charmeur de serpents slave avait cédé au naturel : « Mais ma parooole, Louis-Henriii ! Il faut en faire un romaaan ! Et de toute urgence ! “Je viens de la famille dont le sang a le plus coulé sous la Révolution” : quelle incroyaaable première phraaase ! » J’avais déjà consacré un livre à ce sujet, et ça n’avait pas été un tube. Il faut dire que, au lieu de crier au génocide et de demander réparation à l’État, bref, de pleurnicher, j’avais choisi de m’exprimer sur le mode comique. La victimisation était tendance, mais le sanglot de l’aristo ne m’avait pas semblé un créneau porteur pour s’attirer les faveurs des médias. Aurais-je dû faire du lobbying nobiliaire ? Réunir les cent mille derniers représentants du second ordre ? Lancer la Particule Pride, une marche des fiertés d’un nouveau genre et d’une autre tenue, un défilé de perruques poudrées dans les rues de ce qu’on appelait jadis le faubourg Saint-Germain ? Je divaguais. Makine et moi, nous ne nous écoutions plus. Deux cinglés face à face. Alors que nous nous séparions, il m’avait serré la main à m’en écraser les os, me répétant une dernière fois avec des intonations illuminées de prophète dostoïevskien : « Réfléchissez-y, La Rochefoucauld ! Aucun autre thème n’est intéressant pour vous. Vous ne pouvez qu’y revenir. La Révolution, c’est voootre sujeeet ! »

Nous étions en 2018, j’avais atteint l’âge du Christ et j’étais à la ramasse. Un an plus tôt, un jeune banquier d’affaires qui se prenait pour Bonaparte avait été élu président de la République. Durant sa campagne, il avait publié un livre intitulé Révolution. Il aurait mieux fait de ne pas jouer au plus malin : le complotisme et la contestation ne cessaient de monter en France. On sentait que ça clochait. Par ailleurs, avec les islamistes, la décapitation était redevenue à la mode. Je ne faisais pas encore le lien, mais tout cela ne me disait rien qui vaille.
Sans cesse réveillé par les cauchemars de ma fille, je ne fermais plus l’œil de la nuit ; dormant debout, je rêvassais à longueur de journée. Dans les rues comme en moi, tout était devenu flou, brouillé, brumeux. Un coaltar complet. En septembre, des valises sous les yeux, j’attendais le métro en bâillant. Tout autour, sur le quai, des cadres du secteur tertiaire se penchaient sur leur téléphone portable. J’ai levé la tête et vu cette affiche publicitaire :

« Mais c’est une révolte ?
— Non, Sire, c’est une révolution ! »
Réponse du duc de La Rochefoucauld-Liancourt à Louis XVI le 14 juillet 1789

Il s’agissait d’une pub pour un mascara de chez Chanel, le modèle Révolution – décidément. On y voyait une photo du produit, très à son avantage sur un joli fond noir ; et, au-dessus, en guise de slogan, ce dialogue entre Louis XVI et mon aïeul. Comment mon ancêtre se retrouvait-il, post mortem et sans droits d’auteur, concepteur-rédacteur pour un cosmétique ? Mais d’abord : qui était ce La Rochefoucauld-Liancourt, qu’on peut appeler Liancourt pour aller plus vite ? Je dois ici me fendre d’une brève digression à destination des équipes marketing de Chanel.

Né en 1747, Liancourt avait hérité la charge de grand maître de la garde-robe du roi, passe-temps qui aurait plu à Yves Saint Laurent, mais qui paraît fastidieux en notre ère du survêtement pour tous. Responsable d’une partie des diamants de la Couronne, il devait surtout veiller à l’allure de Sa Majesté et s’occupait de ses fournisseurs et tailleurs. Chaque matin, à son réveil, il tirait la chemise de nuit royale par la manche droite – le premier valet s’occupait de la manche gauche. Puis il bouclait les souliers du monarque, lui attachait son épée, l’aidait à passer son habit et le cordon bleu de l’ordre du Saint-Esprit… De son propre aveu, Liancourt n’avait pas été un aigle dans ses études. Bègue, il ne pouvait briller dans la conversation par des reparties piquantes ; il était néanmoins curieux, fin, caustique, et sa longue amitié avec Talleyrand prouve qu’il avait l’estime des gens d’esprit. Très bien en cour sous le ministre Choiseul, qui le considérait comme un fils, ou quasi, il avait été chez lui à Versailles, « pays du déguisement » dont il ne raffolait pas, même s’il y avait ses appartements.
L’arrivée de la du Barry dans la couche de Louis XV avait précipité, en 1770, la disgrâce de Choiseul, et donc la sienne, ce qui ne lui avait pas déplu. « Notre famille a toujours eu un égal éloignement et pour l’état de domesticité, et pour celui d’intrigue », écrivait ce descendant d’un des leaders de la Fronde. Marié à dix-sept ans, comme c’était l’usage, Liancourt prétendait ne pas avoir cédé « à la douce facilité des mœurs d’alors ». Appartenant à la jeunesse dorée, il avait voyagé en Angleterre et ailleurs. Rue de Seine, à l’hôtel de La Rochefoucauld, où sa tante tenait salon, la décoration était correcte (œuvres du Titien, de Véronèse, Poussin, Raphaël et Léonard de Vinci). On y rencontrait tous les savants et économistes en vue à l’époque, deux futurs présidents américains (John Adams et Thomas Jefferson), des troubadours prometteurs – le jeune Mozart était venu jouer quelques airs en 1778. Dans son propre hôtel particulier, au 58, rue de Varenne, en face de Matignon, Liancourt menait grand train : des domestiques à tous les étages, un millier de bouteilles à la cave, deux diligences à ses armes, des armoires remplies de vêtements découpés dans des velours, satins et gourgourans achetés chez Lenormand, rue Saint-Honoré. Grand fumeur de cigare, il n’était pas un minet, un fils à papa ne pensant qu’à claquer ses louis d’or dans les cafés du Palais-Royal : il avait servi dans son régiment de dragons ; et, sur ses terres, en seigneur éclairé, il luttait contre la mendicité, cherchait à moderniser l’agriculture et l’industrie.
Quelle belle année que 1774 pour tous ceux qui avaient encore un cerveau au Royaume de France : grâce à la petite vérole, Louis XV enfin cassait sa pipe ! Dans un texte tordant, Liancourt raconte les dix nuits qu’il avait passées au chevet du satyre agonisant en robe de chambre dans son lit de parade. Une partie de plaisir que de voir ce grand douillet de Louis XV au pieu, en train de geindre, avec six médecins, trois chirurgiens et trois apothicaires lui tâtant le pouls à tour de rôle. Les vils vautours qui s’étaient invités à Versailles dans le sillage de la du Barry sentaient que le vent tournait. Ces goujats avaient essayé de le faire sortir de la pièce, mais Liancourt n’avait rien voulu entendre – on ne dégageait pas un duc comme un manant. Les saignées n’ayant pas donné de résultats probants, Louis XV avait reçu un lavement. Le visage enfoncé dans son oreiller, les fesses à l’air : quelle fin glorieuse pour l’héritier de Saint Louis… À la grande satisfaction des honnêtes gens et au grand chagrin des faquins, le roi se mourait, le roi était mort. La du Barry, ses bijoux et toute sa clique de mauvais plaisants avaient été foutus dehors. Louis XVI avait été appelé à régner, avec, jamais loin de lui, Liancourt, qui resterait toute sa vie « attaché par sentiment à ses qualités et à ses vertus ». Fréquentant la frange libérale de l’aristocratie, Liancourt avait compris très tôt que les temps changeaient. Il avait tenté d’intégrer le roi à cette révolution en cours. Les choses, on le sait, ne se passèrent pas comme prévu. Le 14 juillet, pour aller de Paris à Versailles, laquelle de ses voitures avait-il fait atteler par son fidèle écuyer, François Le Soindre ? Son cabriolet, l’une de ses deux berlines ou l’une de ses diligences ? Et quand avait-il prévenu Louis XVI de la prise de la Bastille ? Les sources ne concordent pas. Dans des écrits qu’il a laissés, Liancourt affirme que c’est pendant la nuit, vers une heure du matin, qu’il était entré dans la chambre du roi pour lui apprendre que le premier domino était tombé.

Tout m’est revenu d’un coup, sur ce quai de métro, ce matin de septembre, face à une pub pour le mascara Révolution de chez Chanel… J’avais l’impression que Liancourt était là, à côté de moi, à regarder lui aussi l’affiche. Je sentais sa présence, repensais à sa vie mille fois racontée par mon père, aux menaces de mort qui avaient pesé sur lui, à son exil en Amérique, à son retour tardif d’émigration et tout le toutim. Le sort des vieilles familles de ce temps. J’ai raté un premier train.
En m’ouvrant les yeux, ce mascara m’a renvoyé à Makine, à sa poignée de main qui m’avait fait si mal. J’ai raté un second métro. Après l’Académie française, voilà que l’industrie du luxe me renvoyait à son tour à la Révolution française. Fallait-il y voir un signe ? Comme François Mitterrand, je croyais aux « forces de l’esprit ». Je n’ignorais pas que, en privé, le monarque socialiste affirmait que la mort de Louis XVI avait été « le drame de la France ». Inutile de se cacher plus longtemps derrière son maquillage : tout me rappelait auprès du roi ! J’avais assez perdu de temps dans des voies sans issue.

Lecteur admiratif des moralistes du XVIIe siècle et aspirant à une vie ascétique dont j’étais bien incapable, je n’étais pas mécontent de mon sort plus que dérisoire. En 2018, j’occupais la charge de grand maître de la garde-robe de ma fille. Quand j’habillais Isaure le matin, je ne réglais pas que la question épineuse de la manche droite : les caisses de mon ménage étant ce qu’elles étaient, je n’avais pas les moyens d’engager un premier valet pour la manche gauche. J’avais beau manquer d’ambition sociale, je pouvais quand même viser plus haut ; d’autant que, un jour prochain, ma fille enfilerait seule ses vêtements.
J’aurais préféré travailler pour Louis XVI. Il m’inspirait une profonde affection. L’historiographie avait accablé de noms d’oiseau le poussah pusillanime, considéré comme un fils à papa à silhouette de sumo, un soliveau soumis aux caprices de sa femme, un bricoleur de serrures impuissant et parjure… Léon Bloy, taquin, parlait de « citrouille creuse ». N’en jetez plus ! Je pensais tout le contraire de Sa Majesté. Il avait poussé à son paroxysme cette qualité souveraine : le détachement. Sous ses bourrelets bonhommes, je voyais un fakir qui avait remarquablement su serrer les dents sur la planche à clous de la Révolution. Derrière son rire d’adolescent bébête qui, paraît-il, mettait mal à l’aise, j’entendais autre chose qu’un « débile cerveau » (Bloy, encore) : Louis XVI n’était pas un intellectuel mais un poète, et l’un des plus accomplis que la Terre eût portés. Aucun artiste n’égalera jamais la performance définitive que fut sa décapitation – il faisait lui-même ses cascades. Son bon naturel valait mieux que ses idées. Même de son courage il ne tirait pas de vanité. Quant à sa clownerie, elle n’était pas comprise. Cet homme secret, pudique et dépressif avait caché son jeu. Sans partir dans des trémolos ultraroyalistes gênants pour tout le monde, ne pouvait-on pas dire que le roi très chrétien était tombé en martyr ? Il avait donné sa vie, il était mort pour la France – et, depuis, son peuple n’avait cessé de cracher sur sa tombe. Le stoïcien dodu avait pourtant incarné un certain génie de chez nous, versant perdant magnifique. Être un Vercingétorix christique, pardon, mais c’était autre chose que présider la Ve République avant de mourir de vieillesse…

À la fin tu es las de ce monde moderne… Je n’avais pas toujours tenu l’exécution du roi pour le péché originel de la France, ni l’Ancien Régime pour un paradis perdu. Ignare, j’avais mis beaucoup de temps à m’intéresser à la Révolution, et plus encore à la comprendre un peu. En vieillissant, j’y étais revenu, et la période m’avait semblé capiteuse. J’en aimais profondément la couleur, les personnages et le climat. Malgré l’atrocité des faits, tout y était beau : les lieux, les vêtements, les noms des bons, des brutes et des truands. Mon déphasage trouvait un écho dans la figure de Louis XVI. J’avais le goût des causes perdues, et, de même que le malaise aristocratique était inaudible, le plus grand des guillotinés était indéfendable. Quand aurait-il enfin un bon avocat ? Sa condamnation à mort ainsi que celle de Marie-Antoinette avaient été expéditives. Il était temps de rouvrir leurs dossiers et de réécrire l’histoire.
Faites entrer l’accusé ! Décrocher en exclusivité un grand entretien de Louis XVI : telle était ma nouvelle raison de vivre. Par mes activités dans divers journaux, je connaissais quelques attachées de presse, certaines étaient des amies, mais aucune n’avait la ligne directe de cette célébrité en quête d’un second souffle. Depuis longtemps déjà, me répondait-on, il n’assurait plus la promo. À la place, on me proposait de rencontrer des comédiens à gros sabots, des chanteuses à frange, des romancières tout en jambes, des éditorialistes avec implants capillaires. Aucun de ces profils ne me faisait vibrer. J’avais des principes : désormais, ce serait Louis XVI ou rien. Je ne transigerais pas. J’aurais dû modifier mon répondeur : « Vous êtes bien sur le portable de Louis-Henri de La Rochefoucauld. Si vous avez mis la main sur le numéro de Louis XVI, laissez-moi un message ; sinon, vous pouvez raccrocher. »
Pour meubler mes insomnies, j’ai lu d’une traite les mille pages de la biographie de référence de Louis XVI, plusieurs essais, les maigres souvenirs de son dernier confesseur, Edgeworth de Firmont… Je voulais moi aussi lui en arracher, des confessions. Avec ce bon client, j’aurais tiré un papier fleuve mettant fin à plus de deux siècles de contre-vérités.
Ce projet n’était peut-être pas très rationnel ni très sérieux, mais, grâce à Chateaubriand, je gardais l’espoir de le retrouver. Vers la fin de ses Mémoires d’outre-tombe, dans un passage lyrique où il revient sur le « monarque immolé », le petit vicomte breton écrit : « Un échafaud élevé entre un peuple et un roi les empêche de se voir : il y a des tombes qui ne se referment jamais. » J’avais saisi que c’était une image des deux France irréconciliables et de la fin de la Monarchie au pays de Clovis. Mais si on jouait à prendre cette phrase au sens strict ? Et si la tombe de Louis XVI ne s’était vraiment jamais refermée ? Alors, il pouvait s’en échapper – et, sur ce doux rêve, je reposais ma lecture en cours et m’endormais, rasséréné.
Un mois a passé ainsi. Fin septembre, j’étais toujours dans cet état d’esprit quand, aussi démentiel que cela puisse paraître, j’ai sympathisé avec le fantôme de Louis XVI.

2. Louis XVI revient parmi les siens
Ce jour-là, Alexandre, mon cousin issu de germain, prenait femme. Le futur duc d’Estissac vivait à Zurich depuis quinze ans, et nous ne nous voyions presque plus, mais nous étions liés à vie par un arrière-pays qui, avec la fuite des années, nous rendait rêveurs : les étés de notre enfance passés dans le château peuplé de gentils fantômes que se partageaient nos grands-mères, sœurs jumelles ayant épousé deux frères – un temps que les moins de cent ans ne peuvent pas connaître.
Les frangines assuraient la régence dans ce coin de Franche-Comté ; maire de la commune depuis 1977, mon père attendait son tour sans piaffer. Quand j’étais enfant et qu’après cinq heures de voiture j’apercevais enfin, entre les sapins, un petit pan de mur blanc, c’était la délivrance, le début des grandes vacances. Des fenêtres du château, on ne voyait aucune trace de pollution urbaine – juste une étendue infinie de forêts, de fermes et de prés aux mille nuances de vert… Les jours de grand beau temps, le mont Blanc apparaissait, majestueux, au fond d’un ciel rose. Je passais là-bas trois semaines chaque été avec mes sœurs, mon frère Jean, nos cousins Alexandre et Charles-Henri et les nombreuses vaches du coin, élégantes montbéliardes qui venaient brouter jusqu’aux abords de la maison. Elles étaient tolérées ; les touristes, non. Inutile de faire la police : les hivers, rudes, écartaient les gêneurs – nous étions à une quarantaine de kilomètres de Mouthe, lieu le plus froid de France. En juillet, nous n’étions pas plus dérangés. Qui, depuis Gustave Courbet, a compris la beauté de ces paysages ? Pas besoin d’aller faire un tour dans le Montana quand on a couru en culotte courte dans une telle réserve naturelle. Du Saut du Doubs à la croix de Reugney et de la source de la Loue au point de vue du Moine, tout semblait protégé, à l’abri des ravages du progrès. C’était l’endroit où se désintoxiquer de la vie citadine. Des traitements de choc y étaient prodigués. À la table des adultes, où la cravate était de rigueur, le vin d’Arbois déliait les langues et remontait les malades. Pasteur n’a-t-il pas dit que cette boisson était le meilleur remède connu ? Nous, les enfants, étions soignés par les plats du terroir de Mme Bichet, robuste cuisinière qui eut la chance de mourir avant d’avoir entendu parler de recettes au quinoa et d’allergies au gluten. Après ces solides repas, c’était parti pour de longues soirées de ping-pong ou de jeux de société dans ce dernier étage aux chauves-souris qui faisait peur aux jeunes filles. Avec les cousins, nous parlions parfois de ce que nous ferions de nos vies vingt ans après, et puis plus tard, quand Alexandre serait duc – perspective qui nous faisait beaucoup rire. L’âge adulte nous paraissait loin.

En ce samedi 29 septembre, revenons-en au fait, mon cousin se mariait ! Qui est encore sensible au patois suranné de la vieille noblesse d’épée ? Mon frère, garçon fantasque derrière ses airs sages, était très excité par les noces de « notre prochain chef de branche ».
La messe a été célébrée par un abbé de Habsbourg à Notre-Dame du Val-de-Grâce. Sur le parvis, des trompes de chasse ont accueilli les jeunes mariés. Sous le grand ciel bleu qui surplombait Paris, nous nous sommes rendus à pied à la réception. Marcher dans ce quartier perdu où nous avions longtemps été chez nous et où nous ne l’étions plus, c’était emprunter les couloirs du temps. L’oxygène, tout à coup, faisait l’effet de l’éther. Rue Saint-Dominique, nous sommes passés devant Latham & Watkins et le Boston Consulting Group, ces grosses boîtes américaines où plusieurs de mes amis avaient cramé leur jeunesse contre des rémunérations à rendre jaloux Crésus. Mon père, que l’argent intéressait si peu, a préféré s’arrêter devant les grilles de l’imposante Maison de la Chimie. Me souvenais-je que cet hôtel avait été le nôtre de 1820 à 1929 ? La propriété, avec son jardin intérieur, s’étendait jusqu’à la rue de l’Université. Après avoir soupé, notre ancêtre Roger de La Rochefoucauld, le duc d’Estissac de l’époque, avait coutume d’enfiler sa robe de chambre pour traverser la pelouse et rejoindre son frère Arthur, qui habitait de l’autre côté du gazon. Ensemble, ils fumaient la pipe en discutant de l’actualité brûlante des années 1870.
D’un hôtel l’autre, nous sommes arrivés au 1, rue Saint-Dominique, actuelle ambassade du Paraguay et partie de la Maison de l’Amérique latine où se tenait le cocktail. On n’y avait pas toujours parlé espagnol. En 1767, les parents et la grand-mère du jeune Talleyrand y avaient posé leurs malles – ils y louaient des appartements. Plus tard, au début du XXe siècle, l’immeuble avait appartenu au duc de Mortemart, frère d’une trisaïeule. De celui-là on causait encore dans la famille. Les Mortemart avaient la passion des singes. Ma trisaïeule en voulait un comme animal de compagnie dans son château. Bien qu’il fût ami des bêtes, son mari avait mis le holà. Le frère de cette originale, lui, n’avait pas été empêché de donner libre cours à leur marotte. À la mort de sa femme, il l’avait remplacée par une guenon. Le soir, à l’heure du dîner, ils s’installaient ensemble au salon. Parlaient-ils de Darwin ? Je l’ignore, en tout cas ça papotait jusqu’à l’annonce du maître d’hôtel : « Monsieur le duc est servi. » En habit, le duc de Mortemart donnait le bras à sa guenon, et ils passaient à table – elle prenait ses repas en face de lui. Les singes étant mal classés au palmarès des grandes fortunes, au moins ne pouvait-on le suspecter d’en vouloir à sa dot. On n’était pas si regardant, alors, avec les secondes épouses. La guenon avait égayé les vieux jours de ce grand-oncle, jusqu’à ce qu’il manifeste des signes de délire et décède en 1926, sans doute de la syphilis.
Quelle rue chargée de souvenirs ! Cette histoire de singe faisait partie des bonnes anecdotes de mon père, de ses classiques que j’aimais lui faire répéter. Mon père, je regrettais de l’avoir malmené dans mes premiers livres – j’étais jeune. J’avais mis du temps à comprendre que ce que je prenais pour une éducation austère et stricte cachait autant de principes précieux que de fantaisie. »

Extrait
« — Quand on vous chasse par la porte, vous entrez par la fenêtre… Ne paniquez pas: j’ai peut-être mieux à vous proposer. Si vous m’aidiez à mettre de l’ordre dans ma bibliothèque, pour commencer?»
Celle-ci explosait, débordant de livres reliés à son chiffre, de journaux et de libelles, avec du pour et du contre: des numéros de L’Ami du peuple et du Père Duchesne, Réflexions sur le procès de la reine de Mme de Staël et Réflexions sur le jugement de Louis Capet de Joseph Fouché, Éloge historique et funèbre de Louis XVI de Galart de Montjoie et Louis XVI et ses vertus aux prises avec la perversité de son siècle de l’abbé Proyart, Les Pamphlets libertins contre Marie-Antoinette d’Hector Fleischmann, et même des mangas à la gloire de la reine. On trouvait aussi d’épais traités de géographie, des textes de Montesquieu, des récits de voyage du capitaine Cook, tout le théâtre de Molière, pas celui de Beaumarchais (faut pas rêver), plusieurs éditions de L’Imitation de Jésus-Christ, beaucoup d’auteurs latins (Horace, Virgile, Tacite, Tite-Live, Ovide, Sénèque, Suétone), Histoire de Marie-Antoinette des frères Goncourt, L’Autrichienne en goguettes de Mayeur de Saint-Paul, Un épisode sous la Terreur de Balzac, deux livres de l’avocat Maurice Garçon (Louis XVII ou la fausse énigme et Plaidoyer contre Naundorf) et l’intégrale de Paul et Pierrette Girault de Coursac.
«Ce sont vos plus grands fans, les Girault de Coursac?
— Des obsessionnels. Tous les deux historiens, mariés l’un à l’autre, ils n’ont travaillé que sur moi. Rendez-vous compte que, de 1950 à 1999, ils ont publié en duo une vingtaine de livres me concernant! Leur cas relève de la psychiatrie. Ils avaient même prénommé leur fils Louis-Auguste en mon hommage. C’est trop de dévotion, j’en suis presque gêné…»
Arrivais-je après la bataille? Paul et Pierrette Girault de Coursac avaient-ils tout dit sur Louis XVI? Ils étaient morts, n’avaient pas le monopole du monarque, et plus personne ne les lisait… p. 55-56

À propos de l’auteur
LA_ROCHEFOUCAULD_Louis-Henri©FranceTVLouis-Henri de La Rochefoucauld © Photo DR – France Télévisions

Louis-Henri de La Rochefoucauld est critique littéraire et romancier. Il est notamment l’auteur de La Révolution française et du Club des vieux garçons. (Source: Éditions Robert Laffont)

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Le Printemps des Maudits

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En deux mots
Par un soir d’orage un cavalier est recueilli par une famille de métayers. Ce messager du roi arrive à la veille du massacre des vaudois, ces exilés venus repeupler le Luberon et considérés comme hérétiques. Il va assister, impuissant, à la semaine sanglante.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

La semaine qui ensanglanta le Luberon

Jean Contrucci a retrouvé un épisode oublié de notre Histoire, le massacre des «hérétiques» installés dans le Luberon après la Guerre de cent ans. L’occasion d’un formidable roman, mais aussi d’une réflexion sur les guerres menées au nom de la religion.

Il serait aisé de résumer ce roman en soulignant qu’il retrace l’un des épisodes les plus sanglants de notre histoire, le massacre des vaudois installés dans le Luberon durant la semaine sanglante d’avril 1545. Un quasi-génocide menée conjointement par les forces royales, l’armée du pape et les troupes provençales menées par Jean Maynier, baron d’Oppède et qui fera 3000 morts parmi ses «hérétiques» qui avaient choisi la Réforme.
Sauf qu’un tel résumé ne reflète pas le plaisir que l’on prend à lire Le Printemps des Maudits, sa trame romanesque parfaitement construite, le bruit et la fureur, le sang et les larmes sur lesquels repose cette histoire, à l’image de la scène d’ouverture, dantesque. Une nuit d’orage, alors que la famille rassemblée dans une petite masure est déjà sur les nerfs, une ombre se profile et des coups sont assenés sur la porte. L’homme qui a bravé les intempéries vient s’effondrer sur le sol, blessé au front.
Recueilli et soigné, il va se présenter et expliquer sa présence en Luberon. Arnaud de Montignac, capitaine aux gardes de Marguerite de Navarre, et chargé d’un message à l’intention du seigneur d’Allen, message que son valet transporte et qu’il lui faut retrouver. Après quelques péripéties, il parviendra à remplir sa mission. Mais ce qu’il apprend alors va l’inquiéter au plus haut point. La clémence jusque-là accordée aux vaudois par François Ier était remise en cause par le baron d’Oppède
qui s’était juré «de guérir ce pays infecté d’hérésie à la façon des chirurgiens quand ils curent une plaie». Et la convocation du Parlement par ce dernier ajoutait encore à la tension. Arnaud aurait volontiers conté fleurette à Isabelle, la fille de Martin Jaume, le métayer qui l’avait soigné qu’il avait retrouvé lorsque cette dernière livrait le linge du seigneur d’Allen, mais le jeune capitaine philosophe a compris que «la vie des hommes n’était faite que de brefs moments de grâce, bien vite effacés par d’inévitables tragédies». Une tragédie que l’édit de Mérindol va sceller.
Arnaud va alors tenter de sauver les vaudois, leur conseillant de fuir au plus vite. Mais ces derniers, fiers de leur foi et des terres qu’ils ont mis en valeur, refusent ce conseil. Jaume, sa femme et sa fille, comme les autres, croient que leur honnêteté et leur droiture les protègent. Mais dès le lendemain la tuerie commence, au grand désespoir d’Arnaud et du seigneur d’Allen.
Jean Contrucci s’est beaucoup documenté pour retracer ces massacres. Aux personnages de fiction, il a pris soin de mêler véritables acteurs de cette tragédie, retrouvant faits et lieux, dénichant des documents qu’il a habilement intégré au roman (voir ci-dessous la liste des personnages). Dans la même veine que ses romans historiques, à commencer par La Ville des tempêtes, qui se déroule en 1595, on retrouve aussi ici le sens de l’intrigue qui a fait le succès de sa série des Nouveaux mystères de Marseille et cette façon propre à l’auteur de ferrer son lecteur.
N’oublions pas non plus la belle leçon qui nous est ici offerte en constatant que jusqu’à notre XXIe siècle, avec la tentative d’instauration d’un état islamique, les guerres de religion se sont poursuivies. Les pessimistes diront que c’est bien la preuve que l’humanité n’a rien appris et que la permanence de ces combats est désespérer du genre humain. Les optimistes y verront au contraire la lumière dans les ténèbres, l’émergence d’hommes de bonne volonté et le besoin impératif de combattre l’obscurantisme. C’est de leur côté que je me range et que je vous encourage à lire et faire lire Le Printemps des Maudits !

La liste des personnages
Personnages de fiction
Arnaud de Montignac, jeune capitaine gascon aux gardes de la reine Marguerite de Navarre, sœur aînée du roi
François Ier, venu en Provence sur ses ordres pour enquêter sur la répression qui se prépare contre des paysans suspects d’hérésie vaudoise et luthérienne.
Jacquet, valet du capitaine.
Jacques II de Renaud, seigneur d’Allen (aujourd’hui Alleins, commune au nord-est de Salon-de-Provence), mentor et informateur d’Arnaud de Montignac. L’existence de ce gentilhomme est historiquement attestée, mais il est traité ici comme un personnage romanesque.
Blanche d’Urre de Saint-Martin, jeune épouse du seigneur d’Allen.
Margaux, cuisinière au château d’Allen.
Martin Jaume et sa femme Élise, paysans vaudois, métayers sur le fief du seigneur d’Allen.
Isabelle Jaume, seize ans, leur fille unique, amoureuse d’Arnaud de Montignac.
Claudius, leur valet.
Henri Chabert et sa femme Marthe, paysans catholiques voisins de Martin Jaume.
Michel de Nostredame, médecin et devin.
Boumian, chien berger de Crau appartenant à Martin Jaume ;
Artus, cheval navarrin du capitaine de Montignac ; Pernette, mule du valet Jacquet ; Clopin, mulet de Martin Jaume ; Chardon (et sa charrette), âne d’Isabelle Jaume.

Personnages historiques
Pierre Valdo (ou Vaudès), ancien bourgeois lyonnais, fondateur vers les années 1200 de la secte des Pauvres de Lyon, qui entendait revenir à la pureté évangélique en réaction aux dérives de l’Église. Condamné pour hérésie par le pape Innocent II au concile de Latran (1215). Ses disciples furent appelés « vaudois ».
*
Jean Maynier, baron d’Oppède, président du Parlement de Provence depuis 1543 et lieutenant général du roi en 1545 en l’absence du comte de Grignan, gouverneur de Provence, ce qui donne à ce magistrat un pouvoir militaire pour conduire la répression de l’hérésie vaudoise.
Famille d’Oppède
Anne Maynier d’Oppède, fille aînée du baron, épouse de François de Pérussis, seigneur de Lauris.
Claire Maynier d’Oppède, fille cadette du baron, épouse d’Antoine de Glandevès, seigneur de Pourrières.
Mérite de Trivulce, dame de Cental, farouche adversaire du baron d’Oppède, elle parviendra à le faire traîner en justice. Fille unique du condottiere italien Gian Giacomo Trivulzio. Au service de François Ier, celui-ci conduisait l’avant-garde française lors de la victoire de Marignan. Par son mariage avec Louis de Bouliers (Bollieri, en Piémont), Mérite devint dame (équivalent féminin de seigneur) de
Demonte et Centallo, en Piémont. En Provence on l’appelle simplement la dame de Cental. À la mort de son fils Antoine (1537), elle devint tutrice de son petit-fils, Jean-Louis Nicolas de Bouliers (treize ans à l’époque) seigneur de La Tour-d’Aigues et de la vallée d’Aigues.
Blanche de Lévis, dame de Lourmarin, veuve de Louis d’Agoult, mère de François d’Agoult, baron de Sault.
*
Les seigneurs et leurs fiefs
Louis Adhémar de Grignan, gouverneur de Provence de 1541 à 1547 (en mission dans le Saint-Empire romain germanique durant la semaine de répression de l’hérésie).
Pierre de Sazo, seigneur de Goult.
François de Simiane, seigneur de Lacoste.
Jean d’Ancézune, seigneur de Cabrières-du-Comtat (aujourd’hui Cabrières-d’Avignon).
Gaspard de Forbin, seigneur de Villelaure, La Roqued’Anthéron et Genson (aujourd’hui Saint-Estève-Janson), neveu du baron d’Oppède.
François de Pérussis, seigneur de Lauris, gendre du baron d’Oppède.
Antoine de Glandevès, seigneur de Pourrières, gendre du baron d’Oppède.
Pierre du Pont, seigneur de Goult, tué par Eustache Marron (voir ce nom).
*
Les prélats
Paul III, Farnèse, pape de 1534 à 1549.
Cardinal François de Tournon, ex-évêque d’Embrun, très impliqué dans la persécution de l’hérésie vaudoise, devenu le principal conseiller de François Ier en matière de politique religieuse, notamment.
Mgr Antoine Philholi (ou Filholi), archevêque d’Aix.
Mgr Jean Ferrier, archevêque d’Arles.
Mgr Pierre Ghinucci, évêque de Cavaillon.
Mgr Jacques Sadolet, évêque de Carpentras.
Mgr Antonio Trivulzio, vice-légat du pape en Avignon.
Jean de Roma, inquisiteur de l’ordre des jacobins (dominicains), connu pour sa cruauté envers les vaudois.
*
Les hommes de guerre
Antoine Escalin des Aimars, baron de La Garde-Adhémar, dit capitaine Polin, amiral de l’armée de mer du Levant du roi, commandant les forces royales surnommées les vieilles bandes du Piémont, après la victoire de Cérisoles sur les troupes de Charles Quint (avril 1544), qui mit fin aux guerres d’Italie.
Capitaine Vaujouine (ou Vaugines), très actif dans la répression de l’hérésie vaudoise.
Capitaine de Redortiers, commandant les troupes de Provence au siège de Cabrières.
Capitaine de Miolans, commandant les troupes pontificales au siège de Cabrières.
Pierre Strozzi, chef d’escadre des galères royales à Marseille.
*
Les rebelles
Colin Pellenc, meunier au Plan d’Apt, brûlé vif pour hérésie en 1540.
Eustache Serre, dit Marron (ou Marrò), chef des insurgés de Cabrières-du-Comtat. Ses compagnons avaient pour noms ou surnoms Chausses de Cuir, Guillaume Serre, Gambi de la Bouraque, Colin Bouch, Colin Cuiller, Roland de Ménerbes, Maistre Arnould.
*
Les hommes de loi et de justice
Barthélémy de Chassanée, président du Parlement de Provence au moment de la publication de l’édit de Mérindol (1540).
Guillaume Garçonnet, président du Parlement de Provence de 1541 à 1543.
François de La Font, Bernard de Badet, Honoré de Tributiis, commissaires chargés du procès-verbal de l’exécution de l’arrêt de Mérindol durant la répression de l’hérésie vaudoise en Luberon (12-18 avril 1545).
Philippe Courtin, huissier au Parlement de Provence.
*
Jean Coctel, président du tribunal au procès de 1551.
Jacques Aubéry, avocat au Parlement de Paris, avocat général au procès (1551) intenté aux responsables de la répression de l’hérésie vaudoise en Luberon.
*
Les manants et les gueux
André Maynard, bayle de Mérindol.
Jenon Romane, syndic de Mérindol.
Michelin Maynard, syndic de Mérindol.
Maurice Blanc, valet du bayle de Mérindol, fusillé à l’arquebuse.
Louis de Pierre, bayle de Lourmarin.
Monet Rey, syndic de Lourmarin.
Jean Cavalier, dit Compier, habitant de Lourmarin.
Barthélémy Millard, habitant de Lourmarin.
*
À la cour du roi de France
Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre, sœur aînée de François Ier, veuve d’Henri d’Albret, roi de Navarre, grand-mère d’Henri IV.
François de Tournon (voir Les prélats), diplomate et homme d’État, farouche contempteur des vaudois, le cardinal avait négocié la libération de François Ier auprès de Charles Quint après le désastre de Pavie (1525). C’est lui qui conseilla au roi de «laver ses péchés dans le sang des vaudois».
Anne de Pisseleu, duchesse d’Étampes, favorite de François Ier.
Diane de Poitiers, favorite du roi Henri II, fils de François Ier.
Piero Gelido, trésorier du Comtat Venaissin, représentant du légat du pape en Avignon.
*
Charles, duc d’Orléans, poète, grand-oncle de François Ier.

Le Printemps des Maudits
Jean Contrucci
Éditions Hervé Chopin
Roman
348 p., 19 €
EAN 9782357205949
Paru le 4/03/2021

Où?
Le roman est situé en France, principalement au pied du massif du Luberon.

Quand?
L’action se déroule en 1545.

Ce qu’en dit l’éditeur
Avril 1545, quinze ans avant les guerres de religion, l’enfer en Luberon.
Par un soir de tempête, un jeune homme épuisé et blessé surgit dans la bastide d’un paysan. C’est Arnaud de Montignac, capitaine aux gardes de Marguerite de Navarre. La sœur de François Ier l’envoie auprès d’un seigneur ami pour s’informer de ce qui se trame sur les bords de Durance. Trois armées en ordre de bataille, celle du roi de France, les troupes pontificales et les forces provençales, s’apprêtent à fondre sur le pays pour en chasser des paysans condamnés pour hérésie. Les «vaudois» du Luberon, disciples de Pierre Valdo, à qui ils doivent leur nom, vont subir une véritable croisade, quinze ans avant les guerres de Religion. Au terme d’une semaine sanglante, neuf villages seront détruits, dix-huit autres pillés, trois mille paysans massacrés ou envoyés aux galères, leurs femmes violées et leurs enfants vendus, le pays dévasté pour longtemps.
Sur cet épisode tragique délaissé par la grande Histoire, Le Printemps des maudits, avec son lot d’intrigues, de combats, de chevauchées et d’amours en péril, retrouve la saveur des romans de cape et d’épée chers à Alexandre Dumas.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
RCF (Christophe Robert reçoit Jean Contrucci)
Blog Fiches livres
Podcast Radio Judaica
Blog Le Dit des Mots (François Cardinali)

Les premières pages du livre
Voyez la grande offense
Faite par les meschans
Au pays de Provence
Contre les innocens
Car ils ont mis à mort
Les chrétiens à grand tort

Entrés dans Cabrières
Pour la prendre et piller
Fille, femme et chambrière
Pour forcer et violer
Et meurtrir les enfans
Qui n’avaient pas trois ans

À mainte femme enceinte
Le ventre ils ont fendu
Sans avoir de Dieu crainte
Les enfans ont pendu
Qui n’avaient par trois mois
Au bout de leurs harnois

Ces malheureux infâmes
Plus que chiens enragez
Les hommes et les femmes,
Tant les jeunes qu’âgéz
Ils les ont tous défaicts
Ces malheureux infaicts
Complainte anonyme

Avertissement au lecteur, pour y voir clair dans une histoire compliquée.
Du 12 au 18 avril 1545, l’armée royale descendue du Piémont, les forces de Provence rameutées par le Parlement d’Aix et les troupes papales venues du Comtat Venaissin s’accordèrent pour déferler « en ordre de bataille et à enseignes déployées » sur les villages au pied du massif du Luberon et y massacrer des milliers de paysans qui étaient venus jadis – avec l’accord des seigneurs désireux d’accroître leurs revenus – repeupler ces terres, en rebâtir les villages et remettre en culture les fiefs ravagés par la guerre de Cent Ans.
Cette croisade génocidaire, conduite durant une semaine avec une violence et une cruauté inouïes, qui mobilisa cinq mille hommes et fit trois mille morts, annonce avec presque vingt ans d’avance les guerres de Religion qui ensanglanteront durablement le royaume.
La raison? Nombre de ces paysans, arrivés le plus souvent des Alpes, du Piémont et du Dauphiné, étaient porteurs de ce que l’Église qualifiait depuis trois siècles d’hérésie vaudoise. Ils étaient les lointains disciples d’un certain Pierre Valdo, riche bourgeois lyonnais qui, vers les années 1200, s’était dépouillé de tous ses biens pour revenir à la pureté du message évangélique. Il prônait la pauvreté et contestait les dérives et les abus de l’Église romaine. Les Pauvres de Lyon (premier nom de la secte vaudoise) persécutés et déclarés hérétiques par le pape Innocent II, avaient essaimé notamment dans les Alpes françaises et italiennes. En revenant s’installer dans la plaine de Durance au pied du massif du Luberon et dans le Comtat, ces montagnards devenus agriculteurs « importèrent » l’hérésie vaudoise en Provence. Ils y suivaient dans la discrétion leur foi et ses principes : refus du purgatoire, du culte des saints et de la Vierge Marie, prétention à lire l’Évangile en langue vulgaire sans le secours des clercs et rejet des sacrements administrés par des prêtres jugés indignes de leur sacerdoce. Pour cela, ils recouraient à leur propre clergé de prêcheurs itinérants venant les visiter «à domicile».
Cette obstination leur avait valu, dès leur arrivée en Provence, les foudres de l’Inquisition, mais «l’hérésie» était plus ou moins tolérée dès qu’il ne s’agissait que de paysans jugés «dévoyés de la vraie foi». On en brûlait quelques-uns, de temps à autre, pour le principe et l’exemple, mais on appréciait leur force de travail et les taxes qu’ils rapportaient à leurs seigneurs.
Les choses se gâtèrent quand, las d’être persécutés, les vaudois, croyant se mettre à l’abri, adhérèrent aux idées de la Réforme initiée par Luther. Alors, pour l’Église et ses servants clercs ou laïcs, il ne s’agissait plus de quelques paysans égarés «malsentants de la foi», mais d’une dissidence menaçant l’unité religieuse et physique du royaume en raison de leurs relations avec le monde protestant et ses princes.
Le 18 novembre 1540, en réaction à la rébellion de paysans suspectés d’hérésie – suite à la condamnation au bûcher de deux d’entre eux – le Parlement de Provence publia un édit condamnant « ceux de Mérindol » (une vingtaine de personnes), « tenant sectes vaudoises et luthériennes » qui ne s’étaient pas présentés devant lui pour abjurer, à être «brûsléz et ars tout vifs».
Pourtant, pendant cinq années, suite aux errements de François Ier qui ne cessa d’annuler ses lettres d’exécution par des lettres de grâce, l’édit de Mérindol resta lettre morte.
Que s’est-il donc passé en avril 1545 pour que tout à coup l’apocalypse s’abatte sur le Luberon et le Comtat? Une convergence de causes politico-religieuses qu’il serait fastidieux de détailler ici, mais que concentre entre ses mains celui qui fut le bourreau des vaudois du Luberon: Jean Maynier, baron d’Oppède. Il détient alors le pouvoir judiciaire, en tant que premier président du Parlement de Provence. En l’absence du gouverneur de Provence, en mission à l’étranger, il détient aussi le pouvoir militaire, ce qui lui permet d’avoir l’appui de l’armée royale, l’autorise à convoquer le ban et l’arrière-ban des forces provençales, et il a suffisamment d’alliés à la cour de France et dans le Comtat pour organiser une opération militaire d’envergure, conjointe avec les forces papales, visant à « la totale extirpation desdits vaudois et luthériens de ces lieux infectés d’hérésie ». D’autant que le baron d’Oppède a obtenu de l’ordre d’exécution signé par le roi que l’édit de Mérindol soit considérablement aggravé et étendu « aux lieux circonvoisins ».
C’est cette histoire tragique et forte que vous allez découvrir ici, par les yeux du jeune capitaine gascon Arnaud de Montignac venu enquêter sur place, qui en est le témoin principal.

5 avril 1545, en début de soirée
Dehors, la tempête redoublait.
Avril est souvent cruel en Provence. On croit le printemps installé, les arbres se poudrent de fleurs, la campagne enfile sa tunique vert tendre, mais que la chavane ouvre les cataractes du ciel et on a un avant-goût du Déluge. En quelques heures, elle gâte les récoltes et les fruits attendus, gâche des mois de travail acharné et ruine tout espoir d’arracher son pain à la terre avare.
À chaque coup de tonnerre le cœur d’Isabelle s’emballait. Allongée sur sa couche dans la pièce obscure qui lui servait de chambre, au premier étage de la bastide, la jeune fille pelotonnée sous sa couverture de laine grossière fermait les yeux à s’en faire mal. L’éclair, passé par la lucarne à la tête du lit, lui transperçait les paupières de son éclat, précédant de peu le fracas du tonnerre venu des cieux déchaînés.
Comme si le Bon Dieu avait décidé ce soir d’ensevelir les hommes sous les décombres de son paradis.
Cela durait depuis la tombée du jour, sans une seconde de répit. Des hauts du Luberon, décapités par les nuées noires, cascadaient des torrents furibonds venus grossir les flots boueux chargés des bois morts arrachés à ses rives par la Durance, lancée comme une folle vers ses épousailles avec le Rhône.
Perchée sur une butte à l’entrée du vallon de Fenouillet, entre La Roque-d’Anthéron et Valbonnette, La Crémade tremblait sur ses fondations. Les vagues de pluie mêlées de grêle crépitaient sur les tuiles rondes de la vieille bastide.
Le bruit était assourdissant. Sous les assauts furieux du vent, les poutres faîtières de la charpente craquaient comme les mâtures d’un voilier dans la tempête.
Dans la remise, à droite du bâtiment principal, les bêtes affolées bêlaient, meuglaient, bottaient contre les cloisons de bois de l’étable. Même Boumian – un grand berger de Crau noir et hirsute, capable de briser l’échine du loup quand il rôdait trop près du troupeau – n’en menait pas large, le museau entre les pattes, allongé aux pieds de son maître.
Dans la grande cuisine où fumait une flambée mourante, Martin Jaume, qu’on appelait Le Mestre, avait rallumé les trois chandelles posées sur la table encore encombrée des reliefs du repas. Planté au milieu de la pièce commune, tel un capitaine debout sur le pont balayé par les lames, son visage embroussaillé de poils gris levé vers le plafond, il écoutait gémir sa maison, les sens en alerte, attentif à tous les bruits qui en provenaient.
Dès les premiers signes de la tourmente à venir, le métayer avait quitté sa couche. Il avait remis ses chausses et ses grosses galoches aux semelles cloutées, avait fait trembler de son pas lourd les marches de bois qui menaient au rez-de-chaussée et gagné la vaste salle où se dressait la table familiale, flanquée de ses bancs et de ses coffres à linge ou à vaisselle. Depuis, droit comme un cyprès, il n’avait plus bougé : il écoutait la colère divine et tentait d’en déchiffrer la raison. Par sa seule présence, il voulait rassurer tout son monde, bêtes et gens, et même les pierres de la maison sortie de ses grosses mains de paysan. Il montrait à l’orage qu’il ne craignait pas de l’affronter face à face. L’air de dire à chacun: «Tenez bon. Vous ne risquez rien,
puisque je suis là.»
Avant de descendre, Jaume avait contemplé Élise, sa femme, agenouillée dans sa longue chemise de nuit. Sans reprendre souffle, elle marmonnait des patenôtres au pied du lit conjugal. Il l’avait rembarrée avec un haussement d’épaule:
— Cesse donc, avec ces bêtises de papiste ! Tu crois que le Bon Dieu ne sait pas ce qu’il fait ? As-tu oublié la promesse de l’Éternel à Moïse devant la Terre promise? «Je donnerai à votre pays la pluie en son temps et tu
recueilleras ton blé.»
Ce rappel ne rassurait pas la malheureuse Élise. Un œuf à la main, consacré le jour de la Sainte-Claire par le curé de Lauris, elle enchaînait en bredouillant ses invocations à la bienheureuse, réputée pour savoir chasser les nuages. Sainte Claire, éloigne le tonnerre et calme les éclairs, Amen.
Rien à faire: ni le défi du Mestre, ni les invocations de sa femme ne faisaient reculer la pluie. Dieu semblait devenu insensible aux plaintes de Sa créature. Jaume jura sourdement entre ses dents. Il pensait aux jeunes pousses de seigle à peine sorties de terre et déjà hachées par les grêlons, ensevelies sous la boue, et aux jeunes fleurs fragiles de ses oliviers qui venaient d’apparaître à l’aisselle des feuilles. Avec quoi payer la tasque, cette redevance au seigneur, qui la calcule en fonction de la récolte? Le seigneur Renaud d’Allen, qui lui louait ses terres, avait beau être l’un des plus généreux, des plus compréhensifs aux peines de ses métayers parmi les seigneurs du val de Durance, il faudrait multiplier les corvées pour compenser la dette à venir. Avec quels bras ? Dieu lui avait repris ses trois fils, lui faisant la grâce de n’épargner que sa fille…
À la lueur de l’éclair qui révéla le paysage comme en plein jour, Le Mestre jeta un coup d’œil par la fenêtre vers le champ en contrebas de la bastide, ruisselant à gros
bouillons vers la rivière. Les peupliers en bordure du cours d’eau s’agitaient comme une procession de possédés frappés par la danse de Saint-Guy. Il lui sembla voir quelque chose bouger, dans l’ombre des arbres. Une forme sombre se déplaçait avec peine, en zigzaguant. Un animal affolé sans doute, aucun être humain doué de raison ne se serait risqué dehors par un temps pareil.
La nuit noire retomba comme un rideau, laissant Jaume ébloui. Le Mestre avait fermé les yeux par réflexe en détournant son regard vers la table. Quand il les rouvrit, il fut surpris par une forme blanche, dressée immobile au pied de l’escalier venant de l’étage, une chandelle à la main. Boumian était à ses pieds, tremblant comme un chiot de l’année.
— Que fais-tu là, fille ? gronda le paysan en forçant la voix pour dominer le tintamarre des éléments déchaînés. Isabelle, dans sa longue chemise de nuit fermée au col par une aiguillette, un bonnet rond noué au menton sur ses cheveux dorés qui cascadaient jusqu’aux épaules, avec ses bras croisés sur sa poitrine, ressemblait à une statue de sainte dans sa niche. À ceci près qu’elle grelotait des pieds à la tête.
— J’ai peur, père. Et j’ai froid. Des tuiles ont bougé. L’eau vient jusque sur le pied de ma couche.
— J’irai voir ça demain, grogna Le Mestre. Ce temps-là dure pas, ici. Dieu ne va pas gaspiller toute Son eau rien qu’avec nous autres. Il Lui en faut pour ailleurs. Partout où les hommes travaillent la terre. Remonte te coucher, Isa. Comme elle n’avait pas l’air de vouloir bouger, le père haussa le ton :
— Allez, zou ! Que tu vas m’attraper froid pour de bon, à pieds nus, comme ça ! Fourre-toi sous ton lit, l’orage viendra pas t’y chercher.
Comme pour contredire le métayer, une série d’éclairs fulgurèrent, illuminant longuement la pièce, aussitôt suivis d’une formidable détonation : la foudre était tombée tout près de La Crémade. Isabelle, lâchant sa chandelle, poussa un cri d’horreur. Ses yeux sombres exorbités, ses traits figés, sa bouche ouverte disaient autant que sa voix sa frayeur. Jaume s’avança vers sa fille. Il cherchait son regard pour la rassurer. Mais ce n’était pas son père qu’Isabelle fixait avec autant d’intensité. Son buste était penché sur la gauche et elle semblait observer quelque chose que la silhouette paternelle massive lui masquait. Cette chose était derrière Jaume. Le Mestre pivota d’un bloc vers la fenêtre et, derrière la vitre dégoulinante qui en déformait l’image, il crut deviner une tête ruisselante et échevelée dont la bouche grimaçait, et deux mains crispées sur les gros barreaux de fer qui la protégeaient.
L’apparition avait été fugace. À l’éclair suivant, l’encadrement était vide.
Isabelle, au comble de la terreur, cria d’une voix qui se brisa :
— C’est un masque, père ! Le diable nous l’envoie !
Des coups furent frappés sur le bois de la porte. Jaume, un instant ébranlé, se reprit:
— Tais-toi, fille ! Le diable ne fait rien à l’affaire.
Il se saisit de la grosse fourche qu’il tenait en permanence dressée contre le mur, à droite de la porte d’entrée, pour être toujours en mesure de repousser un rôdeur. De sa main gauche, il entreprit d’ôter la barre de bois qui la barricadait. Isabelle, livide, s’était jetée à genoux et les doigts de ses mains crispées entrelacés, les yeux levés au ciel, elle disait une prière dont on n’entendait pas les mots.
La porte débarrée s’ouvrit en grand sous une poussée violente du vent, Jaume recula, le manche de sa fourche solidement empoigné à deux mains et, bien campé sur ses jambes à la manière d’un soldat maniant sa lance pour embrocher l’ennemi, il attendit, l’œil fixé sur le rectangle sombre qui s’ouvrait sur la nuit.
Boumian, surmontant sa terreur, s’était dressé, babines retroussées, et grondait tous crocs dehors. Sur le seuil inondé se tenait une silhouette d’homme que la lueur d’un éclair en arrière-plan rendait opaque:
— Qui tu es ? hurla Jaume. Un trèvo?
Pour toute réponse le fantôme fit un pas en avant et s’abattit tout d’une pièce, face contre terre, ses traits masqués par ses cheveux noirs rabattus vers le front, pareils à un paquet d’algues qu’on vient de tirer de l’eau. Déjà le chien était sur lui, ses deux pattes avant posées sur le dos du corps abattu, son mufle sur sa nuque, prêt à la briser. Le Mestre saisit la bête par son collier et tira violemment en arrière :
— Couché Boumian !
À la voix de son maître, le molosse redevint doux comme un agneau et alla se blottir aux pieds d’Isabelle. Le pourpoint détrempé de l’homme, aux larges manches à revers, était déchiré, son haut-de-chausse bouffant maculé. Il portait une épée au côté et des bottes cavalières à éperons. Que faisait-il dehors par cette nuit d’apocalypse?»

Extrait
« Qui donc avait conseillé à ces paysans d’abandonner la terre qu’ils avaient repeuplée, puis fécondée par leur travail? Avaient-ils pris au mot le baron d’Oppède qui s’était juré, lors d’une séance de la cour souveraine du Parlement de Provence, «de guérir ce pays infecté d’hérésie à la façon des chirurgiens quand ils curent une plaie»? » p. 89

À propos de l’auteur
CONTRUCCI_Jean_©Theo_OrengoJean Contrucci © Photo Theo Orengo

Jean Contrucci est né à Marseille en 1939, journaliste pour Le Provençal et Le Soir, critique littéraire pour La Provence, il est le correspondant du Monde pendant vingt ans. Auteur de polars plusieurs fois primé, il démarre sa série Les Mystères de Marseille chez Lattès en 2002, dont il a signé le dernier en 2018. Figure culturelle de Marseille, il est très reconnu pour ses romans historiques. N’oublie pas de te souvenir (Éditions Hervé Chopin, 2019) et La Ville des Tempêtes (Éditions Hervé Chopin, 2016) ont connu un beau succès en librairie. (Source: Éditions Hervé Chopin)

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Une année folle

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 En deux mots:
Charles et Antoine, qui ont soutenu Napoléon lors des Cent jours, sont arrêtés et traduits en justice. Deux destins, deux vies qui illustrent non seulement cette année folle de 1815 mais aussi l’honneur, la fidélité et… la trahison.

Ma note:
★★★ (bien aimé)

Ma chronique:

Fusillé pour l’exemple

Après Mousseline la Sérieuse, Sylvie Yvert fait un bond de quelques années pour nous conter Une année folle, celle de1815 à travers le destin de Charles, qui sera fusillé et d’Antoine qui va réussir une évasion spectaculaire.

Imaginez un roman qui raconterait les soubresauts politiques d’un pays qui en un an verrait passer trois régimes différents, enregistrerait l’une des plus humiliantes défaite militaire de son histoire, verrait un roi remplacé par un ex-Empereur, puis ce même roi revenir au pouvoir sans vraiment avoir pour autant l’adhésion de son peuple. Peut-être vous direz-vous alors que l’imagination doit avoir des limites et que le vraisemblable doit toujours présider le romanesque.
Seulement voilà Sylvie Yvert apporte la preuve qu’une fois de plus la réalité dépasse la fiction. Même si la formule peut paraître éculée, elle est tout ce qu’il y a de plus juste. Quand, le premier mars 1815 Napoléon débarque à Golfe-Juan, la France est dirigée par Louis XVIII. Un Monarque qui entend faire respecter son pouvoir et, en apprenant la nouvelle, envoie le Maréchal Ney qui s’était rallié à lui, arrêter ce petit caporal fauteur de troubles. Mais on sait aussi que le retournement de veste va devenir une habitude, non seulement pour lui mais pour de nombreux militaires et politiques. Parmi ceux qui rejoignent Napoléon, on trouve notamment Charles Angélique François Huchet de La Bédoyère et Antoine Marie Chamans de Lavalette.
La belle idée de Sylvie Yvert est de nous raconter cette année si particulière à travers le destin de ces deux hommes qui, s’ils n’ont pas joué les premiers rôles, symbolisent à la fois le tragique et le romanesque de la situation.
Lorsque s’ouvre le roman, la fête est finie. Nous sommes à l’heure du procès de ces aristocrates qui ont accueilli l’ex-empereur à bras ouverts. Charles dirigeait alors un régiment à Grenoble et fera allégeance à l’Empereur lorsque ce dernier croisera son chemin en remontant vers Paris.
Antoine se distingue quant à lui par son rôle d’agent double, en aidant notamment les fidèles à Napoléon à gagner l’étranger, en signant de faux passeports. Ont-ils été des fidèle sou des traîtres. Les chefs d’accusation de conspiration contre l’état et d’usurpation de fonctions sont-ils légitimes?
La suite de l’histoire a beau être connue, elle n’en demeure pas moins passionnante à lire. On y voit deux destinées, deux hommes bien nés se mettant au service de l’État et se retrouvant condamnés à mort pour cela. Des Cent-Jours à Waterloo, du retour de Louis XVIII avec La Seconde Restauration à l’exil à Saint-Hélène, des compromis aux compromissions, il y a dans cette année des rebondissements extraordinaires, des drames déchirants, de la comédie la plus désopilante. On y voit Chateaubriand, Benjamin Constant ou encore le grand Hugo commenter la tempête et avec eux la presse se déchaîner dans un sens puis dans l’autre.
Nous voilà finalement en résonnance avec l’actualité. Car l’autre grande vertu de ce roman est de nous apprendre à la prudence et à la modération plutôt qu’aux emballements trop intempestifs. 1815 nous apprend aussi à être un peu plus lucides face au tourbillon médiatique. Ce n’est pas là la moindre de ses vertus.

Une année folle
Sylvie Yvert
Éditions Héloïse d’Ormesson
Roman
336 p., 19 €
EAN : 978xxx
Paru le 14 février 2019

Où?
Le roman se déroule en France, principalement à Paris, mais aussi en Bourgogne, en Savoie, à Chambéry et surtout Grenoble. On y évoque des voyages en Suisse, à Genève, en Égypte, au Caire

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Entrez dans la danse : une des plus sidérantes années de l’histoire de France commence. Fraîchement débarqué de l’île d’Elbe, Napoléon déloge Louis XVIII pour remonter sur son trône. « Son » trône? Après Waterloo, le voilà à son tour bouté hors des Tuileries. Le roi et l’Empereur se disputent un fauteuil pour deux, chacun jurant incarner la liberté, la paix et la légitimité.
Sur la scène de ce théâtre méconnu des Cent-Jours, deux fidèles de « l’Aigle » sont dans la tourmente. Deux héros oubliés liés par un sens de l’honneur et une loyauté hors du commun qu’ils vont payer cher…
Au bal du pouvoir la valse des courtisans bat la mesure face à un peuple médusé. Chorégraphe d’une tragi-comédie en cinq actes, Sylvie Yvert tisse avec une savoureuse habileté ces destins contrariés. Une fable intemporelle, enjouée et amorale.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Wukali (Émile Cougut)

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« La parole est à l’accusé.
« Messieurs », commence Charles avec résolution.
Son regard droit et ardent s’adresse, tout comme sa voix, aux jurés qui l’écoutent avec sévérité, visages fermés, sourcils froncés.
« Si dans cette journée importante ma vie seule était en cause, j’espère avec raison que celui qui, quelquefois, a su conduire de braves gens à la mort saura s’y conduire lui-même en brave homme. Je ne vous retiendrai pas longtemps… Mais ce n’est point devant vous, messieurs, que je dois appuyer sur le sentiment. Elle passera dans vos cœurs, messieurs, cette conviction intérieure que j’ai, que je proclame hautement, dans ma pensée, dans mon action : l’honneur est intact. »
Ses yeux clairs et francs se perdent maintenant vers les murs de cette salle comble, dont le grain se floute. Puis fixent de nouveau avec gravité ceux qui lui font face, assis sur une estrade semi-circulaire : « Je n’ai ni l’intention, ni la possibilité de nier des faits publics et notoires ; mais je proteste que je n’ai trempé dans aucun complot qui ait précédé le retour de Bonaparte ; je suis même convaincu qu’il n’a point existé de conspiration pour ramener Bonaparte de l’île d’Elbe. »
L’infortuné jeune homme de vingt-neuf ans, à la tournure élégante, est doté d’une physionomie fine et agréable. À peine plus pâle qu’à l’accoutumée, il est vêtu d’une longue redingote verte, conforme à sa haute taille, celle qu’il portait le jour de son arrestation. Belle allure, cheveux blonds implantés à la Chateaubriand, favoris, front haut, petite bouche finement ourlée, nez long et fin, yeux bleus, teint clair, il apparaît dépouillé de ses décorations puisqu’on vient de lui retirer sa Légion d’honneur. Celui qui déclamait naguère sur scène des vers avec fougue veut cette fois donner avec le calme de l’honnêteté les raisons qui ont déterminé sa conduite. Mais à peine a-t-il commencé son plaidoyer qu’il se voit déjà interrompu par un juré redoutant, à juste titre, une défense propre – qui sait ? – à prétendre le sauver. Voici donc ce colonel (ou bien est-il général ?) traduit au conseil de guerre. Il s’est rendu coupable, dit-on, de rébellion et de trahison, après avoir succombé à des sentiments mal éteints. Comprenant qu’il est condamné par avance, Charles ignore les feuillets volants qu’il tient à la main pour passer aux dernières lignes de son exposé, sans se départir de son attitude mêlant douceur et fermeté : « Une grande erreur que je reconnais, que j’avoue avec douleur, a été commise par l’ignorance des intentions du roi ; aujourd’hui les promesses royales sont exécutées, un peuple, se pressant à l’envi autour de son souverain, reconnaît que lui seul est digne de régner et peut faire son bonheur… Peut-être ne suis-je pas appelé à jouir de ce spectacle, ajoute-t-il avec noblesse, mais j’ai versé mon sang pour la patrie, et j’aime à me persuader que ma mort, précédée de l’abjuration de mes erreurs, sera de quelque utilité. »
Sa réparation tardive à l’endroit du monarque impressionne l’assemblée. Ne vient-il pas de nommer l’ex-empereur « Bonaparte », et non Napoléon, comme ces royalistes sincères pour qui Louis XVIII règne depuis la mort du jeune Louis XVII ? Sa sincérité ne fait aucun doute, mais le jury a décidé de faire d’un être d’exception, modeste et droit, un ambitieux vil et déloyal. Qu’on ne s’y trompe pas : malgré les apparences, cet officier voué au service de la France n’a rien d’un courtisan. Il serait aujourd’hui un impeccable serviteur de l’État dans une haute administration en principe apolitique. Rejeton d’une vieille famille de la noblesse bretonne, il appartient à un milieu dont il ne partage pas les idées. Et répond aussi, malgré lui, à cette caractéristique si française qui, depuis la Révolution, regarde tomber les régimes sans jamais éprouver de satisfaction durable. Mais comme son cœur ressemble à son esprit, purs l’un et l’autre, sa destinée ne peut se calquer sur la trajectoire d’un Talleyrand, girouette aux serments successifs, insubmersible Phénix.
L’avocat, qui déclare n’avoir trouvé que grandeur et noblesse dans l’âme de son client, a préféré le laisser parler et demande à ses juges d’offrir à l’accusé la liberté de lire l’entièreté de sa défense. Essuyant un refus, Charles reprend une dernière fois la parole : « Je puis prouver que les faits dont on m’accuse ne sont pas de nature à me faire perdre l’honneur, et du moment où vous m’empêchez de me défendre, je suis exposé à perdre à la fois la vie et l’honneur. »

Extraits
« Baptisé à l’église Saint-Sulpice, Charles est né trois ans avant la Révolution. Ce Breton fier de ses ancêtres venus d’Irlande quatre siècles plus tôt tient-il d’eux son sang bouillonnant? En tout cas, la devise de sa famille lui va comme un gant: Honneur et bienfaisance. Son père était capitaine des dragons auprès de Monsieur, frère de Louis XVI et futur Louis XVIII. Le jeune Charles est élevé entre la rue de la Planche à Paris, le château de Nogent-l ’Artaud dans l’Aisne et le château de Raray dans le Valois, posé près de Senlis, où sera tourné La Belle et la Bête de Cocteau. Ses balustrades offrent de spectaculaires sculptures cynégétiques du XVIIe siècle, uniques au monde, évoquant la chasse au cerf par le truchement de quarante-quatre chiens représentés dans des positions différentes. Souffrant, son père renonce à émigrer mais quitte Raray pour se retrancher à Nogent, château fort sécurisant malgré sa vétusté. De solides principes sont inculqués à l’enfant, dont l’apparente froideur cache mal une vive sensibilité, presque farouche, encore exaltée par ses lectures sur Rome ou la Grèce antique dans lesquelles il puise son culte des héros et le goût de la gloire. Ses auteurs favoris ? Boileau et surtout Racine. Comment ce caractère né entier ne pourrait-il vibrer avec Achille qui accepte la mort par sacrifice pour la patrie dans Iphigénie ?
Charles n’a que six ans lorsque Louis XVI est décapité et ne se souvient pas, adulte, du « jour affreux de sa mort ». Il ajoute cependant qu’il n’a pas éprouvé d’envie de vengeance, que le joug de Robespierre n’a pas pesé sur lui – sa jeunesse l’ayant tenu ignorant « pendant longtemps des crimes de la France ». »

« S’il y a eu un soleil à Austerlitz, c’est aussi parce que, en rentrant de l’expédition d’Égypte, Antoine a aidé Bonaparte à devenir Napoléon. Peu après son mariage de raison, il a quitté provisoirement Émilie pour rejoindre son maître au Caire. La ville poussiéreuse aux étroites ruelles encombrées de chameaux surchargés de ballots, la lumière dorée et la chaleur étouffante le surprennent, comme tout voyageur plongé dans ce mirage oriental qui inspire les poètes. Du bas des pyramides, il contemple ces quarante siècles qui ont précédé le nouvel Alexandre. Sa faveur naissante se confirme lorsque ce dernier lui offre le sabre recourbé du chef ennemi – Mourad Bey – qui vient d’être défait. Antoine se révèle bientôt un compagnon plein de franchise, de gaieté, lyrique à ses heures. C’est ainsi qu’il devient un intime du jeune prodige, tantôt pour suppléer son secrétaire – sa plume et sa subtilité ont été remarquées en sus de ses talents militaires –, tantôt, quand il cesse de parler politique, pour lui faire la lecture, privilégiant les histoires de fantômes dont il est paraît-il friand : « Voyons, monsieur l’enthousiaste, lisez-moi cette fameuse lettre de Lameillerie », demande Bonaparte abrité sous une mousseline pour se protéger des insectes. »

À propos de l’auteur
Née à Paris, Sylvie Yvert a été chargée de mission au Quai d’Orsay puis au ministère de l’Intérieur avant de se consacrer à la photographie. En 2008, elle publie Ceci n’est pas de la littérature, recueil de critiques littéraires, aux éditions du Rocher. Son premier roman, Mousseline la Sérieuse, paru en 2016 aux Éditions Héloïse d’Ormesson, a reçu le prix littéraire des Princes et le prix d’Histoire du Cercle de l’Union interalliée. (Source : Éditions Héloïse d’Ormesson)

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Deux hommes de bien

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coup_de_coeurEn deux mots :
A la fin du XVIIIe siècle, eux membres de l’Académie royale d’Espagne partent pour Paris afin d’acquérir une Encyclopédie complète. Mais cette mission est semée d’embûches

Ma note :
★★★★★ (coup de cœur, livre indispensable)

Deux hommes de bien
Arturo Pérez-Reverte
Éditions du Seuil
Roman
traduit de l’espagnol par Gabriel Iaculli
512 p., 22,50 €
EAN : 9782021288049
Paru en avril 2017

Où?
Le roman se déroule en Espagne, principalement à Madrid, puis sur les routes qui relient la capitale espagnole à Paris. La partie principale du livre est située dans la capitale française et ses environs avant le voyage retour vers Madrid.

Quand?
L’action se situe à la fin du XVIIIe siècle.

Ce qu’en dit l’éditeur
À la fin du XVIIIe siècle, deux membres de l’Académie royale d’Espagne sont mandatés par leurs collègues pour se rendre à Paris et en rapporter les 28 tomes de l’Encyclopédie, alors interdite dans leur pays. Le bibliothécaire don Hermógenes Molina et l’amiral don Pedro Zárate, hommes de bien intègres et courageux, entreprennent alors de Madrid à Paris un long voyage semé de difficultés et de dangers. Par des routes infestées de brigands, faisant halte dans des auberges inconfortables, les deux académiciens arrivent à Paris, où ils découvrent avec étonnement les rues de la capitale française, ses salons, ses cafés, ses librairies, ses mœurs libertines et ses agitations politiques. Mais très vite, leur quête de l’Encyclopédie se révèle d’autant plus difficile que l’édition originale est épuisée et qu’une partie de l’Académie espagnole, opposée à l’esprit des Lumières, a lancé à leurs trousses un espion chargé de faire échouer l’entreprise.
Nourri de réalité et de fiction, habité par des personnages ayant existé ou nés de l’imagination de l’auteur, Deux hommes de bien est un merveilleux roman d’aventures et un éloge de ce qui fut la plus grande entreprise intellectuelle du XVIIIe siècle. Mais c’est aussi, dans la reconstitution minutieuse et passionnante d’un Paris prérévolutionnaire plus vivant que jamais, un hymne à l’amitié et un bel hommage à Don Quichotte d’un écrivain profondément épris de la France.

Ce que j’en pense
Quel bonheur de lecture! Il y a tout ce que j’aime dans ce roman : une trame historique véridique, un clin d’œil appuyé à quelques monuments de la littérature, de l’aventure et du suspense, l’arrivée du romancier dans son roman et quelques pistes de réflexion sur l’évolution actuelle de notre vieille Europe.
C’est un régal de suivre les émissaires de l’Académie royale d’Espagne de Madrid à Paris. Un voyage commandé afin de ramener un exemplaire de l’Encyclopédie. Mission périlleuse pour don Hermógenes Molina et l’amiral don Pedro Zárate, à la fois pour des raisons logistiques – le trajet et long et les routes ne sont pas très sûres – et pour des raisons politiques. Car dans l’Espagne de l’Inquisition tous les membres de la prestigieuse Académie n’apprécient pas cette décision et cet ouvrage qui remet en cause un certain nombre de dogmes, le poids de la religion catholique et le pouvoir absolu: « Il n’y a en Espagne ni penseurs ni philosophes originaux. L’omniprésente religion empêche leur épanouissement. Il n’y a pas de liberté… Quand elle nous vient de l’extérieur, c’est à peine si nous la touchons du doigt, de peur de nous brûler. (…) Ici, en terre d’Espagne, c’est une folie de suggérer à un peuple inculte et violent qu’il peut disposer de lui-même comme il l’entend. De telles extrémités menacent le sort des rois. »
Face à la dimension sacrilège de l’entreprise, Manuel Higueruela et Justo Sánchez Terrón chargent un bandit sans scrupules d’empêcher le succès de l’expédition par tous les moyens qu’il jugera utile. Le redoutable Pascual Raposo va suivre le carrosse qui emmène les deux hommes jusqu’au moment le plus adéquat pour mettre fin à leur mandat. Toutefois, il se rend vite compte que sa mission pourrait se transformer en un voyage d’agrément. Car à Paris nos deux hommes vont se heurter à un gros problème: il n’existe quasiment plus d’édition originale de l’Encyclopédie, interdite, tout juste des copies incomplètes. Mais le bibliothécaire et le militaire retraité n’entendent pas baisser les bras et cherchent de l’aide dans les cafés et les cercles littéraires. Un peu déroutés par les mœurs parisiennes, ils vont se voir tour à tour confrontés à un épisode des Liaisons dangereuses (comment résister à une entreprise de séduction menée dès potron-minet dans une alcôve entièrement dédiée à l’amour) puis à un autre des Trois Mousquetaires (clin d’œil dans le clin d’œil, c’est Choderlos de Laclos qui est témoin du duel organisé un peu à l’écart des Champs-Elysées). Sans oublier le grand Cervantès que l’auteur célèbre tout au long du livre en faisant de son amiral une sorte de Don Quichotte qui se battra jusqu’au bout pour son rêve et de son bibliothécaire un Sancho Panza aussi fidèle et naïf que son modèle. Voilà comment on finit par mettre la main, après moult péripéties, sur la «vraie» Encyclopédie.
Comme toujours avec Arturo Pérez-Reverte, on se retrouve immergé dès les premières lignes dans les lieux et dans l’époque. Grâce à un travail considérable de documentation qui pousse quelquefois le romancier à prendre lui-même la route pour vérifier un itinéraire ou la plausibilité d’une rencontre, il est aisé de lire ce livre comme si l’on était devant un film. Mieux même, aux images et aux sons viennent quelquefois s’ajouter les odeurs.
Une autre trouvaille complète cette belle épopée, dont il serait dommage de révéler la fin, l’arrivée du narrateur-écrivain en train d’écrire le livre. Dans un entretien accordé au magazine Lire en mai dernier, l’auteur du Capitaine Alatriste a expliqué comment lui est venu cette idée: «J’ai d‘abord conçu le roman de façon linéaire, mais j’ai vite remarqué que la matière était parfois trop aride, trop complexe. Au bout de soixante-dix pages, j’ai compris qu’il fallait changer la structure pour pouvoir opérer des ruptures, des sauts temporels. L’introduction du narrateur était alors nécessaire. Après, on pourrait bien sûr croire que ce narrateur est Arturo Pérez-Reverte, mais comme pour le reste, la plupart de œ qu’il dit est entièrement faux».
L’effet est saisissant, «Le lecteur a l’impression gratifiante qu’il est en train d’assister â la création du roman, mais ce n’est qu’un autre roman!» Un roman brillant qui, j’en prends le pari, vous emportera…

Autres critiques
Babelio 
Paris-Match (François Lestavel)
La Croix (Bruno Frappat)
Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie (Ramón Marti Solano)
Libération (Frédérique Roussel)
Le Temps (Mireille Descombes)
Journal de Montréal (Karine Vilder)
Blog Tête de lecture
Blog La Bibliothèque de Delphine-Olympe
Blog Enfin livre ! (Nicole Volle)


Arturo Pérez Reverte présente son livre dans «La Grande librairie» de François Busnel © France 5

Les premières pages du livre

Extrait
« – Je rappelle en toute cordialité à don Manuel Higueruela, intervient le directeur avec son tact habituel, que la permission d’apporter l’Encyclopédie dans cette Académie nous a été accordée par notre clergé grâce aux judicieuses démarches de don Joseph Ontiveros… Le Saint-Office a décidé en connaissance de cause que ces volumes, qu’il ne serait sans doute pas prudent de placer entre les mains de personnes non averties, peuvent être lus par messieurs les académiciens sans préjudice pour leur âme ni pour leur conscience… N’est-ce pas exact, don Joseph ?
– Rigoureusement, confirme l’interpellé.
– Poursuivons donc, dit le directeur en regardant la pendule murale. Si vous le voulez bien, monsieur le secrétaire ? Celui-ci cesse d’écrire, lève les yeux du livre des actes et les promène sur l’assemblée tout en réajustant ses lunettes sur son nez.
– Nous allons, dit-il, procéder au vote pour élire les deux académiciens qui iront à Paris afin d’en rapporter avec eux les vingt-huit volumes de l’Encyclopédie, conformément à la décision prise en séance plénière. »

À propos de l’auteur
Arturo Pérez Reverte est né à Carthagène, Espagne, en 1951. Il a été reporter de guerre pendant plus de vingt ans. Avec quinze millions de livres vendus dans le monde entier et traduits dans quarante langues, plusieurs de ses romans adaptés au cinéma et à la télévision, il est l’auteur espagnol le plus lu. Aujourd’hui il partage sa vie entre la littérature et la navigation. Il est membre de l’Académie royale d’Espagne. (Source : Éditions du Seuil)

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14 juillet

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14 juillet
Eric Vuillard
Actes Sud
Roman
208 p., 19 €
EAN : 9782330066512
Paru en août 2016

Où?
Le roman se déroule principalement à Paris, mais c’est de toute la France que viennent les signes de révolte, notamment de Besançon, Dax, Meaux, Pontoise, Cambray, Montlhéry, Rambouillet , Amiens.

Quand?
L’action se déroule en 1789.

Ce qu’en dit l’éditeur
La prise de la Bastille est l’un des évènements les plus célèbres de tous les temps. On nous récite son histoire telle qu’elle fut écrite par les notables, depuis l’Hôtel de ville, du point de vue de ceux qui n’y étaient pas. 14 Juillet raconte l’histoire de ceux qui y étaient. Un livre ardent et épiphanique, où notre fête nationale retrouve sa grandeur tumultueuse.
« De la Bastille, il ne reste rien. La démolition du bâtiment commença dès la nuit du 14 juillet 1789. De l’événement, nous avons les récits du temps. Les députations de notables qui se rendirent à la citadelle et les délibérations de l’Hôtel de Ville y prennent une importance démesurée. On nous raconte la prise de la Bastille du point de vue de ceux qui n’y étaient pas; et qui vont devenir nos représentants. Ils n’y étaient pas et ne souhaitaient d’ailleurs pas que la Bastille tombe. Ils firent même tout pour l’empêcher. Mais ils ont laissé des témoignages. Car ces gens-là savaient écrire.
Il fallait donc retrouver les relations des gens ordinaires, s’appuyer sur le récit personnel de leur participation à l’émeute du 14 Juillet. Il fallait éviter tout surplomb, afin de ne pas écrire un 14 Juillet vu du ciel. En m’en tenant aux récits méprisés, écartés, j’ai voulu me fondre dans la foule. Et puisque c’est bien le grand nombre anonyme qui fut victorieux ce jour-là, il fallait également fouiller les archives, celles de la police, où se trouve la mémoire des pauvres gens.
L’Histoire nous a laissé un compte et une liste : le compte est de 98 morts parmi les assaillants ; et la liste officielle des vainqueurs de la Bastille comporte 954 noms. Il m’a semblé que la littérature devait redonner vie à l’action, rendre l’événement à la foule et à ces hommes un visage.
À une époque où un peuple se cherche, où il apparaît sur certaines places de temps à autre, il n’est peut-être pas inutile de raconter comment le peuple a surgi brusquement, et pour la première fois, sur la scène du monde. » E. V.

Ce que j’en pense
Comment se fait-il qu’il ne soit jamais venu à l’idée de personne de s’emparer d’un tel sujet ? Avant Éric Vuillard, il semble en effet qu’aucun romancier ne se soit avancé sur le chemin de l’un des actes fondateurs de notre histoire puisqu’il est devenu notre fête nationale : la prise de la Bastille le 14 juillet 1789.
Rendons un triple hommage à l’auteur de Tristesse de la terre. D’abord celui d’avoir creusé les archives et, faisant œuvre d’historien, de nous détailler ce qui s’est vraiment passé ce jour historique ainsi que sa genèse.
Ensuite pour le ton avec lequel il nous restitue cet épisode aussi dramatique que glorieux. En accumulant les verbes et les adjectifs, il donne un mouvement incroyable à l’événement, si bien que l’on se sent littéralement entraîné par cette foule immense aux pieds de cet impressionnant monument.
Enfin, chapeau bas pour avoir redonné vie au peuple de France, à ces pauvres gens qui se sont improvisés en armée et qui ont fini par renverser la montagne qui se dressait face à eux. Pendant que les Robespierre et autre Mirabeau théorisaient la République une et indivisible, les sans-grade allaient au charbon. On serait presque tenté d’écrire allaient se faire tuer joyeusement tant ils mettaient d’entrain – ou d’inconscience – dans leur combat.
Tout a donc commencé par une grande famine. Comme les récoltes avaient été mauvaises, la population ne parvenait plus à se nourrir et attaquaient les greniers à grain et pillaient les magasins. De partout la colère grondait. À Paris, les gardes-françaises répriment les manifestations dans le sang avant de se rallier aux émeutiers.
Le peuple s’accapare la capitale aux cris de «Mort aux riches!». Les bourgeois, inquiets se réunissent à l’Hôtel de Ville. « Ils montent un comité et décident la création d’une milice armée. À la même heure, le roi part à la chasse. Son cheval galope dans les bois, ses gens rameutent les chiens, ça jappe, le cerf coure entre les fourrés. Seul le temps change les hommes, mais certaines distances semblent chargées de siècles; à vingt kilomètres de Paris, on vit dans un autre monde. La reine est au Trianon, elle cueille des capucines. »
Nous sommes le 14 juillet, au moment où près de la moitié de la population de Paris converge vers la forteresse de la Bastille. Il y a là les ouvriers, les petits commerçants, les artisans, les pauvres, les déserteurs, les brigands et même quelques bourgeois. Ils sont rassemblé tout ce qui de près ou de loin pouvaient servir comme armes, allant chercher des canons dans des musées, des épées dans des théâtres. « Il faut imaginer ça. Il faut imaginer un instant le gouverneur et les soldats de la citadelle jetant un œil par-dessus les créneaux. Il faut se figurer une foule qui est une ville, une ville qui est un peuple. Il faut imaginer leur stupeur. »
Humble, l’auteur reconnaît qu’au fond, on ignore ce qui se produisit vraiment. Mais cela lui donne la liberté d’imaginer et son récit n’en est que plus «authentique». Il énumère les noms de cette foule bigarrée, voit les jeunes hommes intrépides – ou inconscients – nous retrace des morceaux de leur biographie, le pays ou la région d’où ils viennent. Nous parle de Sassard le couillon, Scribot le cul-terreux, Servant, l’employé, Serusier, le marchand de légumes et puis Vattier, dit Picard, Cholet, dit le Bien-aimé et tous les autres, les pères et les fils. «C’est dingue ce qu’un faubourg contient de vies». Bien entendu, il n’oublie pas les femmes dont la détermination est tout aussi grande.
Les premiers coups de feu sur les assaillants donnent soudain à leur avancée une dimension plus dramatique. « Assassins ! Assassins ! » hurle la foule qui reprend sa marche en avant. Et voilà que la fronde et la colère se transforme en un opéra, une « grande guerre de gestes et de mots », que la fiction se transforme en réalité, que le 14 juillet est incarné. Place à la Fête Nationale!

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Extrait
« Jean-Armand Pannetier, c’est son nom, laissera une petite relation de sa journée, et retombera aussitôt dans le néant. Mais à ce moment, le mardi 14, il est l’étincelle qui met le feu aux poudres.
Comme il est de grande taille, il se plante contre la muraille et fait la courte échelle. Le charron Tournay monte le premier. Il porte un gilet bleu. Il a vingt ans. Huit à dix autres le suivent. Ils enjambent une échoppe qui sert de remise à un débitant de tabac. La foule les apostrophe, on rigole, on les encourage. Il y a un raffut inouï. Tournay grimpe sur le toit du corps de garde. Des copains le hèlent, le vent fait bouffer son gilet. Je désire, j’imagine, qu’à cet instant, le charron Louis Tournay ait été lui-même, seulement lui-même, vraiment, dans son intimité la plus parfaite, profonde, là, aux yeux de tous. Ce fut pour un court instant. Quelques pas de danse sur un toit de tuiles. Une série de déboulés, la tête libre, haute, puis un chapelet de battements, de piqués, de pirouettes même. Ou plutôt, non, ce furent des pas très lents, de petites glissades, des pas de chat. Soudain, Tournay, sous le grand ciel, dans le jour gris et bleu, oublie tout. Le temps meurt un instant en lui. Il vacille près d’une cheminée. Les gens craignent qu’il tombe. Oh ! Il s’accroupit sur la pente intérieure du toit, les tuiles lui brûlent les mains ; on ne le voit plus. Il est seul. La Cour du Gouvernement est vide, face à lui. Il est alors juste une ombre, une silhouette. Les soldats sur les tours le regardent. Il saute dans la cour.
Là, il est encore plus seul. » (p. 67-68)

A propos de l’auteur
Éric Vuillard, né en 1968 à Lyon, est écrivain et cinéaste. Il a réalisé deux films, L’homme qui marche et Mateo Falcone. Il est l’auteur de Conquistadors (Léo Scheer, 2009, Babel n°1330), récompensé par le Grand prix littéraire du Web – mention spéciale du jury 2009 et le prix Ignatius J. Reilly 2010. Il a reçu le prix Franz-Hessel 2012 et le prix Valery-Larbaud 2013 pour deux récits publiés chez Actes Sud, La bataille d’Occident et Congo ainsi que le prix Joseph-Kessel 2015 pour Tristesse de la terre (paru en 2014 dans la collection « un endroit où aller »). (Source : Éditions Actes Sud)

Site Wikipédia de l’auteur 

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