L’inventeur

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En lice pour le Prix Femina 2022
Finaliste du Prix Patrimoine 2022

En deux mots
Né en 1825, Augustin Mouchot a connu cette malchance d’arriver au mauvais moment avec son capteur d’énergie solaire, une invention qu’il a développé avec obstination. À l’âge du charbon-roi, lui et sa machine solaire vont intéresser scientifiques, militaires, l’Empereur Napoléon III et le grand public avant de tomber dans l’oubli.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

L’homme, la machine et l’oubli

Miguel Bonnefoy a reconstitué l’histoire d’Augustin Mouchot, ingénieur ayant mis au point une machine solaire durant le Second Empire. Un destin oublié qui est aussi l’occasion de restituer une époque, servie par un style toujours aussi flamboyant.

L’histoire d’Augustin Mouchot pourrait se résumer à une succession de miracles, à commencer par celui de sa longévité. Né en 1825 à Semur-en-Auxois, il aura vécu jusqu’en 1912 alors que dès sa première année et à la suite d’un accident, «il attira vers lui toutes les maladies que la Bourgogne avait accumulées au fil des siècles, si bien qu’il n’existât pas une bactérie, pas un virus, pas un germe qui ne se soit logé en 1826 dans le corps de l’enfant Mouchot. Il attrapa la variole, la scarlatine, la diphtérie, la fièvre, une diarrhée qui dura quatorze jours, une forme rare de chlorose…» Cette liste, loin d’être exhaustive, ne cessera de s’allonger au fil des ans, mais pendant très longtemps elle ne pourra avoir raison de sa belle résistance.
Malingre et peu adroit, il trouvera une issue dans les livres et le savoir, s’intéressant aux mathématiques et à la science. Ce qui lui permettra de trouver un poste d’enseignant et le conduira jusqu’à Alençon. C’est en Normandie, au hasard de ses lectures, qu’en 1860 il découvre les principes de l’énergie solaire et se lance dans la construction d’une machine capable de l’exploiter. Après plusieurs échecs et alors qu’il est prêt à renoncer, il entend «le couvercle de son récipient émettre un bruit impatient. Des bulles tapotaient les parois, montaient fiévreusement et crevaient la surface. Il souleva la cloche de verre. Un énorme nuage de vapeur lui couvrit le visage. En quelques minutes la chaudière était parvenue à ébullition. (…) La concentration pratique de l’énergie solaire venait d’être découverte.» Après avoir déposé un premier brevet, notre homme ne doute pas de la richesse de son invention et entrevoit déjà de multiples applications. Las, après avoir convaincu scientifiques et militaires sa démonstration devant un parterre de sommités accompagnant l’empereur lui-même va virer au fiasco.
Mais Augustin n’est pas homme à renoncer. Et sa seconde tentative sera la bonne. À Biarritz, sous un soleil radieux, il a droit à des exclamations enflammées. «Il se tourna vers l’empereur, comme emporté par la fièvre collective et, au bruit des ovations, les membres de l’Académie et les industriels se levèrent. Au bout de dix minutes, toute la côte était debout, applaudissant, en regardant Mouchot, et l’empereur tendit sa canne vers le ciel: « Vive le soleil, vive Mouchot ». Mouchot vécut là son jour de triomphe. Il descendit de l’estrade comme s’il quittait le monde d’hier pour entrer dans celui de demain.»
Pour l’exposition universelle, on lui commande un prototype qu’il baptisera Octave et qui, il en est persuadé, lui apportera gloire et fortune. Mais une fois encore, le sort s’acharnera sur lui. Grandeur et décadence!
De sa plume alerte et après une recherche documentaire fructueuse, Miguel Bonnefoy transforme en épopée cette biographie romancée. Il accompagne les rêves de l’inventeur d’une galerie de personnages hauts-en-couleur, tantôt admirateurs et tantôt profiteurs, tantôt complices et tantôt détracteurs, le tout prenant presque une dimension mythique après une expédition en Algérie et le projet de faire «fleurir le désert».
Après nous avoir régalé avec la saga des Lonsonnier dans Héritage, le romancier franco-vénézuelien nous offre cette fois l’occasion de réfléchir aux chemins tortueux qu’empruntent les progrès scientifiques. Mouchot était-il un pionnier victime de l’aveuglement de ses pairs qui ne juraient que par le charbon? A-t-il été aveuglé par son ambition comme le suggère l’auteur en proposant un épisode proche de la légende d’Icare? Toujours est-il qu’il faudra attendre plus d’un siècle pour que les énergies renouvelables, dont le solaire, ne soient considérées comme la solution à notre approvisionnement énergique. Un conte cruel, une belle leçon!

L’inventeur
Miguel Bonnefoy
Éditions Rivages
Roman
200 p., 19,50 €
EAN 9782743657031
Paru le 17/08/2022

Où?
Le roman est situé en France, en Bourgogne, à Semur-en-Auxois, Arnay-le-Duc, Autun, Dijon et dans le Morvan puis en Normandie, à Alençon, à Paris et en région parisienne, ainsi qu’à Biarritz et en Algérie.

Quand?
L’action se déroule des années 1860 à 1912.

Ce qu’en dit l’éditeur
Voici l’extraordinaire destin d’Augustin Mouchot, fils de serrurier, professeur de mathématiques, qui, au milieu du XIXe siècle, découvre l’énergie solaire.
La machine qu’il construit, surnommée Octave, finit par séduire Napoléon III. Présentée plus tard à l’Exposition universelle de Paris en 1878, elle parviendra pour la première fois, entre autres prodiges, à fabriquer un bloc de glace par la seule force du soleil.
Mais l’avènement de l’ère du charbon ruine le projet de Mouchot que l’on juge trop coûteux. Dans un ultime élan, il tentera de faire revivre le feu de son invention en faisant « fleurir le désert » sous le soleil d’Algérie.
Avec la verve savoureuse qu’on lui connaît, Miguel Bonnefoy livre dans ce roman l’éblouissant portrait d’un génie oublié.

Les critiques
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Les Échos (Philippe Chevilley)
Ouest-France (Frédérique Bréhaut)
France TV info (Laurence Houot)
RTS (entretien avec Nicolas Julliard)
Le Soleil (Léa Harvey)

Le Devoir (Christian Desmeules)
RTBF (Déclic – La Première)
RFI (Catherine Fruchon-Toussaint)
Le pavillon de la littérature (Apolline Elter)
Le Blog de Caroline Doudet
L’Or des livres, le blog d’Emmanuelle Caminade
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Miguel Bonnefoy durant la présentation de la rentrée littéraire  © Production Éditions Rivages

Les premières pages du livre
« Son visage n’est sur aucun tableau, sur aucune gravure, dans aucun livre d’histoire. Personne n’est présent dans ses défaites, rares sont ceux qui assistent à ses victoires. De toutes les archives de son siècle, la France ne conserve de lui qu’une seule photographie. Son existence n’intéresse ni le poète, ni le biographe, ni l’académicien. Personne n’entoure de légende sa discrétion ni de grandeur sa maladie. Sa maison n’est pas un musée, ses machines sont à peine exposées, le lycée où il fit ses premières démonstrations ne porte pas son nom. Toute sa vie, ce guerrier triste se dresse seul face à lui-même et, malgré cette solitude qui pourrait avoir la trempe et l’acier des génies de l’ombre, son destin n’est même pas celui d’un héros déchu. À le voir, il n’appartient pas à cette race d’immortels sans mémoire, aux noms interdits. Si Augustin Mouchot est un des grands oubliés de la science, ce n’est pas qu’il ait été moins persévérant dans ses explorations, moins brillant dans ses découvertes, c’est que la folie créatrice de ce savant têtu, froid et sévère, s’est acharnée à conquérir le seul royaume qu’aucun homme n’a jamais pu occuper : le soleil.
Or, à cette époque, au début du XIXe siècle, personne ne s’intéressait au soleil. La France, tournant le dos au ciel, s’affairait à fouiller les entrailles de la terre pour y extraire, tous les jours, des milliers de tonnes de charbon. Les villes étaient éclairées au charbon, les lits étaient chauffés au charbon, l’encre était fabriquée avec du charbon, la poudre à fusil était à base de charbon, les pieds de cochon étaient cuits au charbon, les cordonniers faisaient leurs semelles avec du charbon, les lazarets étaient nettoyés au charbon, les romanciers écrivaient sur le charbon, et, tous les soirs, dans sa chambre du palais, vêtu d’une chemise de nuit boutonnée de fleurs de lys, le roi s’endormait en pensant à un énorme bloc de charbon. Ainsi, au début du siècle, bien qu’il ait été cher, épuisable et salissant, il n’existait pas une entreprise, pas une profession, pas un art, pas un domaine qui n’ait eu recours, d’une manière ou d’une autre, au charbon.
Et parmi toutes ces activités, il y en avait une qui en consommait en grande quantité, car elle consistait à produire une chaleur suffisante pour tordre le fer : la serrurerie. En ces temps, les serrureries conservaient encore la rusticité médiévale des vieilles forges où l’on battait le bronze pour faire des rampes d’escalier et où l’on bâtissait des grilles en métal pour les jardins des villages, mais elles s’étaient développées avec plus de finesse le jour où Louis XVI, avant d’être guillotiné sur la place de la Révolution, avait ouvert un atelier aux étages supérieurs de Versailles. Pendant trente ans, dans la plus grande clandestinité, le dernier roi de France s’était amusé à reproduire à l’identique les fermetures des portes de son château, les loquets et les systèmes de sûreté, et on disait qu’il avait lui-même conçu la serrure de l’Armoire de fer qui cachait les lettres volées des monarques, dont il gardait la clé attachée à un collier autour de son cou. Ce n’est que bien des années plus tard, devant une foule en délire, lorsque sa tête roula sur l’échafaud, qu’un jeune Bourguignon nommé Jean Roussin, assistant au spectacle, trouva une clé en argent dans la boue, cachée dans une touffe de cheveux, et la vendit rue Saint-Denis pour quelques sous, sans imaginer qu’il tenait entre ses mains le secret le mieux gardé du royaume.
Avec cet argent, il ouvrit une serrurerie en Côte-d’Or, à Semur-en-Auxois, dans un village de trois mille âmes et de deux clochers. Il s’installa dans une maison sur les berges de la rivière Amance, où il se maria et eut cinq filles. Quinze ans plus tard, la dernière, Marie Roussin, une jeune fille silencieuse et mélancolique, tomba amoureuse d’un des apprentis de son père, un certain Saturnin Mouchot, et passa le reste de sa vie à accoucher de six enfants dans une ruelle voisine.
Ainsi naquit, le 7 avril 1825, à l’ombre des rues du Pont-Joly et de Varenne, à l’endroit le plus éloigné de la lumière, dans l’arrière-salle d’un atelier de serrurerie, l’homme qui devait inventer l’application industrielle de la chaleur solaire. Ce jour-là, bien qu’on fût au printemps, il faisait encore froid. Des brises glacées tapaient sur les carreaux des fenêtres quand Marie Mouchot, réfugiée près de la chaudière où l’on avait entassé de vieilles clés étiquetées, sentit brusquement une douleur intense au bas du ventre. Dans la solitude de l’atelier, elle s’accroupit en levant les pans de sa robe et accoucha derrière l’établi sans un cri, avec un discret bruit d’os, au centre d’un anonymat si complet, d’un silence si austère, qu’elle eut l’impression qu’on ouvrait entre ses jambes un palastre de serrure. L’enfant atterrit au fond d’un sac de burins et de verrous, plein de sang et de graisse, et lorsque Saturnin Mouchot, alerté par les pleurs du nouveau-né, fit irruption dans l’atelier, il attrapa une pince arrache-clou et coupa le cordon comme il l’aurait fait d’un câble de fer.
Le lendemain, on nomma l’enfant Augustin Mouchot. On ajouta Bernard en deuxième prénom, en hommage à un vieil ancêtre ferronnier. Mais comme, à cette époque, il était courant qu’un nourrisson meure avant sa première année, comme l’école n’était pas obligatoire et qu’on faisait travailler les enfants dès qu’ils pouvaient marcher, personne ne remarqua véritablement sa naissance et, dès ses premières heures, on le soupçonna d’avoir toujours été là.

À six mois, Mouchot était déjà épuisé de vivre. Il n’avait pas la rondeur bouffie des nourrissons en bonne santé ni l’éclat inattendu des prédestinés, mais semblait toujours à quelques minutes d’une apoplexie, tout fripé et décharné, comme un crapaud malade dont la couleur de la peau, même nourrie au lait épais des vaches de Montbard, gardait encore l’aspect d’une auge de pierre. Il mangeait mal, dormait mal, voyait mal. Il n’ouvrit les yeux qu’au bout du cinquième mois et sa mère, avec une muette inquiétude, s’aperçut qu’il ne distinguait rien à plus de dix centimètres. Un après-midi, alors qu’il n’avait qu’un an, il ne put éviter un pied de table et fit tomber sur lui, juste au-dessus de sa tête, une boîte à outils si lourde qu’on dut lui recoudre le front avec une aiguille de tanneur. On crut que le coup l’avait rendu idiot. S’il ne l’abrutit pas tout à fait, cet accident provoqua dans son corps une anémie précoce. Il attira vers lui toutes les maladies que la Bourgogne avait accumulées au fil des siècles, si bien qu’il n’existât pas une bactérie, pas un virus, pas un germe qui ne se soit logé en 1826 dans le corps de l’enfant Mouchot. Il attrapa la variole, la scarlatine, la diphtérie, la fièvre, une diarrhée qui dura quatorze jours, une forme rare de chlorose qu’on disait réservée aux jeunes filles de la haute société et, longtemps, le voisinage se demanda comment cet être sans force ni résistance avait pu survivre à une telle tempête d’infections.
Il resta ses trois premières années au lit. Jamais il ne vit la lumière du jour, muré dans l’ombre de sa chambre, veillé par sa mère à la torche. Cette carence de vitamines s’accentua par la venue de l’été et couvrit sa peau d’une constellation de boutons rouges, de squames sèches, de fétides inflammations en plaques arrondies. On appela des guérisseurs et des rebouteux qui lui appliquèrent de l’huile de chaulmoogra et lui attachèrent une cloche autour du cou, persuadés qu’il était atteint de lèpre. Ce fut un médecin de Dijon qui, entrant par hasard dans la serrurerie, l’examina avec plus d’attention et déclara qu’il ne s’agissait pas de lèpre, mais d’un trouble épidermique dû au manque de soleil. Selon ses conseils, on assit le petit Augustin au milieu de la place, à trois heures de l’après-midi, en pleine canicule, pour faire sécher ses plaques, mais l’excès soudain de chaleur lui provoqua une insolation brutale, ses boutons grossirent, et il dut passer sa quatrième année le corps badigeonné de miel et de potions de serpolet. À cinq ans, il ressemblait à une momie lugubre, immobile et livide, ravagée par les remèdes. Lorsqu’il faisait une sieste trop longue, il craignait qu’on ne l’enterre vivant. C’est pourquoi, dès qu’il sut écrire, il prit une habitude qu’il ne quitta jamais et laissa toujours, avant de s’endormir, une note prudente sur sa table de chevet :

Bien que j’en aie l’air, je ne suis pas mort.

Saturnin Mouchot, en revanche, aperçut dans cette fragilité une force à exploiter. Il voyait bien que son fils était trop fluet, trop menu, pour exercer un métier aussi dur que celui de serrurier, mais il avait cependant noté chez lui des petites mains agiles et des doigts fins, … »

Extraits
« Un après-midi, alors qu’il n’avait qu’un an, il ne put éviter un pied de table et fit tomber sur lui, juste au-dessus de sa tête, une boîte à outils si lourde qu’on dut lui recoudre le front avec une aiguille de tanneur. On crut que le coup l’avait rendu idiot. S’il ne l’abrutit pas tout à fait, cet accident provoqua dans son corps une anémie précoce. Il attira vers lui toutes les maladies que la Bourgogne avait accumulées au fil des siècles, si bien qu’il n’existât pas une bactérie, pas un virus, pas un germe qui ne se soit logé en 1826 dans le corps de l’enfant Mouchot. Il attrapa la variole, la scarlatine, la diphtérie, la fièvre, une diarrhée qui dura quatorze jours, une forme rare de chlorose qu’on disait réservée aux jeunes filles de la haute société et, longtemps, le voisinage se demanda comment cet être sans force ni résistance avait pu survivre à une telle tempête d’infections.
Il resta ses trois premières années au lit. Jamais il ne vit la lumière du jour, muré dans l’ombre de sa chambre, veillé par sa mère à la torche. Cette carence de vitamines s’accentua par la venue de l’été et couvrit sa peau d’une constellation de boutons rouges, de squames sèches, de fétides inflammations en plaques arrondies. » p. 16

« Voilà l’avenir que Mouchot s’était tracé quand au milieu de ses pensées, il entendit derrière lui le couvercle de son récipient émettre un bruit impatient. Des bulles tapotaient les parois, montaient fiévreusement et crevaient la surface. Il souleva la cloche de verre. Un énorme nuage de vapeur lui couvrit le visage. En quelques minutes la chaudière était parvenue à ébullition. Le soleil avait traversé la surface de verre de la ventouse, mais la vapeur était restée bloquée à l’intérieur. Il avait accumulé de la chaleur dans un point, grâce à un instrument de médecine, et l’avait empêchée de se perdre au-dehors. La concentration pratique de l’énergie solaire venait d’être découverte.
Mouchot bondit de sa chaise. Il avait sorti du néant un appareil pouvant chauffer sans bois ni charbon, sans huile ni gaz, uniquement mû par la lumière d’une étoile. En le déclinant, en superposant les cloches de verre, il pourrait peut-être y faire bouillir une marmite, y distiller une liqueur, ou y faire rôtir une volaille. Mieux encore, s’il pouvait faire de la vapeur sans feu, il pouvait actionner une machine à vapeur: tout le marché de la révolution industrielle s’ouvrait à lui.
Une excitation, mêlée de crainte, gonfla son cœur. Il ouvrit les fenêtres et les volets, leva le poing et le tendit vers le ciel, comme s’il voulait provoquer le soleil en duel. Il prit sa veste et son chapeau et se rendit d’un pas triomphant au registre des brevets, à la Chambre de commerce, avec une naïve insolence, pour informer l’Académie qu’un nouveau savant venait de faire irruption dans la science. » p. 34-35

« Il n’y avait plus de doute sur l’utilité de cet étrange abat-jour, fait de bouts de verre et de métal. Mouchot entendit un éclat de célébration, des exclamations enflammées. Il se tourna vers l’empereur, comme emporté par la fièvre collective et, au bruit des ovations, les membres de l’Académie et les industriels se levèrent. Au bout de dix minutes, toute la côte était debout, applaudissant, en regardant Mouchot, et l’empereur tendit sa canne vers le ciel: «Vive le soleil, vive Mouchot.»
Mouchot vécut là son jour de triomphe. Il descendit de l’estrade comme s’il quittait le monde d’hier pour entrer dans celui de demain. L’empereur lui posa la main sur l’épaule, les enfants voulurent le toucher, l’impératrice lui donna son bras, Verchère de Reffye ne le lâcha pas une seconde et le présenta à tout le monde.
Un groupe de savants, réunis dans le cercle privé de Napoléon III, l’invita à monter au salon de réception où les attendait un accueil mondain, et ils laissèrent derrière eux sa machine sous le soleil, souveraine et victorieuse, avec sa chaudière crachant de la vapeur, dans la journée flamboyante de Biarritz. » p. 81

À propos de l’auteur

BONNEFOY_Miguel_©joel_saget

Miguel Bonnefoy © Photo Joël Saget – AFP

Miguel Bonnefoy est l’auteur de plusieurs romans très remarqués, dont Le Voyage d’Octavio (prix de la Vocation), Sucre noir et Héritage (prix des Libraires 2021). Son œuvre est traduite dans une vingtaine de langues.

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Victor Hugo vient de mourir

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Victor Hugo vient de mourir
Judith Perrignon
L’Iconoclaste
Roman
256 p., 18 €
ISBN: 9782913366916
Paru en août 2015

Où?
L’action se déroule à Paris, avec quelques réminiscences à l’exil d’Hugo à Guernesey, ainsi que des voyages à Bruxelles.

Quand?
Le roman se déroule en 1885, année de la mort de Victor Hugo.

Ce qu’en dit l’éditeur
« La nouvelle court les rues, les pas de porte et les métiers, on entend l’autre dire qu’il est mort le poète. Vient alors cette étrange collision des mots et de la vie, qui produit du silence puis des gestes ralentis au travail. L’homme qui leur a tendu un miroir n’est plus là. Tout s’amplifie, tout s’accélère. On dirait qu’en mourant, qu’en glissant vers l’abîme, il creuse un grand trou et y aspire son temps, sa ville… »
La mort de Victor Hugo puis les funérailles d’État qui s’annoncent déclenchent une véritable bataille. Paris est pris de fièvre.
D’un événement historique naît une fable moderne, un texte intime et épique où tout est vrai, tout est roman.

Ce que j’en pense
*****
La mort de Victor Hugo survient le 22 mai 1885 à son domicile «au 50 de son avenue». Outre le fait que l’écrivain est sans doute le seul de nos auteurs à pouvoir habiter une avenue qui porte son nom, un seul chiffre permet de se rendre compte de l’ampleur de l’événement que Judith Perrignon a choisi de nous retracer : deux millions de personnes suivront son cercueil jusqu’au Panthéon.
Voici donc le journal de l’agonie, de la mort et des funérailles de ce monument de notre littérature.
Grâce à un travail de documentation impressionnant, on vit intensément ces journées. La plume de l’auteur restitue aussi bien l’intimité des proches, le chagrin des petits-enfants, le souci du gendre qui ne veut préserver les intérêts de la famille, mais aussi l’embarras du gouvernement ou encore les prises de position des anarchistes. Aux descriptions factuelles, le choix du roman permet de donner vraiment chair à la secousse qui a traversé tout le pays. Grâce à la précision des descriptions, le lecteur est très vite happé par l’intensité, la force, l’émotion qui submerge tout : « Paris est un corps fiévreux tandis que le poète lutte contre l’attraction de la terre. On dirait qu’en mourant, qu’en glissant vers l’abîme, il creuse un grand trou et y aspire son temps, sa ville. Comme dans ses livres. »
Au sommet de l’Etat, la police politique est sur les dents. Tous les agents de renseignements sont chargés d’infiltrer les représentants de l’opposition, afin d’éviter que les funérailles ne se transforment en un défilé de protestation rouge et noir. L’enterrement est fixé au lundi, afin que les ouvriers ne puissent accompagner le cercueil. Les drapeaux rouges et les banderoles sont interdits. Gauchistes et anarchistes voient leurs beaux idéaux et leurs propositions être étouffées dans l’œuf. Pourtant, leurs revendications sont bien légitimes : « Appelons à nous tous les gens en guenilles pour suivre le convoi et frapper la bourgeoisie d’épouvante ! Nous pourrions avoir une bannière et y inscrire « Les Misérables », nous la donnerions à porter par les individus en haillons qui crieraient « du travail ou du pain  » ! Il s’appelle danger celui qui a parlé. Ça ne s’invente pas un nom pareil. »
Même mort, Hugo continuera d’influer sur la politique. Lui qui a toujours proclamé ne pas vouloir d’obsèques religieuses, donnera au panthéon son actuelle vocation. La «proposition de loi relative au chapitre métropolitain des chapelains de sainte-Geneviève et au Panthéon» présentée en 1881 à l’Assemblée sera mise en œuvre à cette occasion. Au petit jour, les ouvriers sont chargés de démonter la croix qui orne l’édifice. La fièvre continue toutefois de monter. Du coup la stratégie change : « On va rassembler tout le monde derrière Hugo, dresser tant de couronnes, de discours, de lauriers, qu’il étouffera sous l’hommage. On va enterrer le songe avec le songeur.» Du moins, c’est ce que l’on imagine alors dans les hautes sphères de la IIIe République.
Car la ferveur, telle une immense vague, va tout emporter. «Paris s’épanche tous les dix ou vingt ans, s’offre de grandes émotions, politique, funéraire, littéraire, révolutionnaire. Paris se prend pour le centre du monde, le cerveau de l’Europe, Paris se prépare à une longue nuit de veille qui sera suivie d’un grand jour, Paris enterre celui qui l’a aimé et réciproquement, alors il y a de la peine, mais aussi la joie secrète d’avoir aimé. Paris offre au poète le culte d’ordinaire dévolu aux despotes, aux empereurs et aux rois, il était le souverain des mots, de l’imaginaire. »
On ne remerciera jamais assez Judith Perrignon de nous offrir de revivre ce grand moment. Si vous avez – comme moi – manqué ce roman à sa sortie, il serait vraiment dommage de passer à côté.

Autres critiques
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Télérama (Fabienne Pascaud)
Culturebox (Anne Brigaudeau)
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Extrait
« Mais qu’importe où, quand, comment, la grippe ou les graves épidémies du moment, c’est la fin et c’est l’orage. Peuple et gouvernement s’unissent dans une même attente. Seules les guerres et les catastrophes ont cet effet. Bien sûr il est vieux et la vie n’a jamais rien promis d’autre que de s’en aller. La sienne a duré longtemps, quatre-vingt-trois ans, mais si longtemps, si intense, si vibrante, si enroulée sur son temps, son siècle, ce dix-neuvième qui a cru au progrès mécanique de l’Histoire, qu’on dirait qu’un astre va s’éteindre dans le ciel. La foule pressent le vide. Elle voudrait laisser planer encore la présence du poète, sa voix par-dessus et entre les hommes. Le poète a charge d’âmes. C’est lui qui l’a dit, et quelque chose d’électrique dans l’air montre qu’il y est parvenu. » (p. 12-13)

A propos de l’auteur
Judith Perrignon est une journaliste, écrivaine et essayiste. Entrée en 1991 au journal Libération comme journaliste politique, elle fera un détour par la page «Portraits» du journal, avant de le quitter en avril 2007. Elle s’adonne depuis au travail de l’écriture. Elle a notamment publié C’était mon frère (L’Iconoclaste, 2006), sur Vincent et Théo Van Gogh, qui a connu un succès public et critique.
Elle est l’auteur de l’ouvrage Lettre à une mère avec le Pr René Frydman (2008), de Mauvais génie (Stock, 2005) avec Marianne Denicourt, de L’intranquille, cosigné avec Gérard Garouste, (éditions l’Iconoclaste, 2009). Après le joli succès en 2010 du roman Les chagrins (éditions Stock), elle coécrit un roman policier Les yeux de Lira avec Eva Joly. Elle publie en 2012, toujours chez L’Iconoclaste, N’oubliez pas que je joue avec Sonia Rykel dans lequel la célèbre couturière témoigne de son combat contre la maladie de Parkinson. Victor Hugo vient de mourir est son dernier roman (L’iconoclaste, 2015). (Source : Editions L’Iconoclaste)

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