Milwaukee Blues

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  RL-automne-2021 coup_de_coeur

Lauréat du Prix littéraire Patrimoines de la Banque Privée BPE
Finaliste du prix Landerneau des lecteurs et du Prix FNAC 2021
En lice pour le Prix Goncourt et le Goncourt des Lycéens 2021

En deux mots
Si l’épicier pakistanais avait su qu’ il condamnait à mort le jeune homme qu’il avait cru voir avec un faux billet, il n’aurait jamais composé le 9-1-1. Emmett est appréhendé quelques minutes plus tard par la police de Milwaukee et mourra étouffé. Ses proches vont alors tour à tour prendre la parole pour retracer son parcours.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Combien faudra-t-il de morts… ?

Au lieu de devenir un symbole du rêve américain, Emmett va devenir la victime d’un système ségrégationniste et raciste. En s’emparant d’une histoire à la George Floyd, Louis-Philippe Dalembert raconte l’Amérique déchirée qu’il a rencontré à Milwaukee.

Après Mur Méditerranée qui traitait de la question des migrants à travers le parcours de trois femmes, Louis-Philippe Dalembert continue à s’appuyer sur l’actualité la plus brûlante pour construire ses romans. Dans Milwaukee Blues il est question d’un homme noir appréhendé par la police et qui mourra étouffé malgré ses appels à l’aide. Si le décès de George Floyd est encore présent dans toutes les mémoires, le romancier transpose l’histoire à Milwaukee, ville moyenne du Wisconsin, à 150 kilomètres de Chicago.
Le premier personnage à prendre la parole dans ce roman choral est l’épicier pakistanais qui a pris contact avec la police après avoir cru voir un faux billet dans les mains de l’homme qui, quelques minutes plus tard, sera la victime d’une interpellation musclée qui lui coûtera la vie. Est-il encore utile d’ajouter qu’il regrette amèrement son geste et que désormais un sentiment de culpabilité l’habite.
Construit autour de ce choc initial qui, comme le souffle d’une explosion, va se propager et frapper au fur et à mesure des zones concentriques de plus en plus larges, le roman va nous faire connaître au fil des chapitres les relations qu’entretenaient les différents protagonistes et la façon dont ils ont reçu l’annonce de du décès d’Emmett.
Après l’épicier, c’est à sa mère de prendre la parole, celle qui lui conseillait de raser les murs pour éviter les ennuis, puis à son amie d’enfance, son épouse, son coach sportif qui entendait en faire un footballeur professionnel, son institutrice qui, en découvrant le fait divers se demande «ça ne s’arrêtera donc jamais?», sa fiancée, son ami dealer ou encore la pasteure de son quartier qui organisera une marche en son hommage et qui finira par dégénérer.
Autant de témoignages qui permettent de reconstituer la vie de ce jeune noir, de cette énième victime d’un système qui, même s’il ne veut pas l’avouer, comporte en son sein des racistes avérés. Et ce depuis des décennies. Le prénom d’Emmett, choisi par l’auteur, fait d’ailleurs référence à Emmett Till, un jeune noir lynché à mort en 1955 et qui tend à prouver que depuis des décennies rien n’a vraiment changé.
Car l’histoire aurait pu être bien différente. Né dans le quartier noir de Franklin Heights, il aurait même pu être le symbole du rêve américain, réussir à sortir de la misère sociale et s’élever au rang de héros. Car cette grande tige s’est vite avérée douée pour le football américain. Repéré par un coach, il réussira à intégrer une équipe universitaire avec l’ambition de se faire remarquer par les équipes professionnelles et de faire drafter. Mais ce challenge va le pousser à vouloir en faire toujours plus, jusqu’à ce que son rêve se brise.
Louis-Philippe Dalembert, qui a enseigné à l’Université Wisconsin-Milwaukee, met la littérature au service d’une réalité qu’il a pu côtoyer de près. L’Amérique qu’il dépeint, à l’ère Trump, est un pays qui reste marqué par la discrimination, la ségrégation et le racisme. Mais son message va bien au-delà de cette époque et de ce pays. Les images qu’il convoque sont autant de piqûres de rappel, autant d’appels à la raison, au vivre ensemble, à la tolérance, à l’humanité qui devrait être le fondement de toute société.

Calendrier des rencontres avec l’auteur

Milwaukee Blues
Louis-Philippe Dalembert
Sabine Wespieser Éditeur
Roman
276 p., 21 €
EAN 9782848054131
Paru le 26/08/2021

Où?
Le roman est situé aux États-Unis, principalement à Milwaukee dans le Wisconsin.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Depuis qu’il a composé le nine one one, le gérant pakistanais de la supérette de Franklin Heights, un quartier au nord de Milwaukee, ne dort plus : ses cauchemars sont habités de visages noirs hurlant « Je ne peux plus respirer ». Jamais il n’aurait dû appeler le numéro d’urgence pour un billet de banque suspect. Mais il est trop tard, et les médias du monde entier ne cessent de lui rappeler la mort effroyable de son client de passage, étouffé par le genou d’un policier.
Le meurtre de George Floyd en mai 2020 a inspiré à Louis-Philippe Dalembert l’écriture de cet ample et bouleversant roman. Mais c’est la vie de son héros, une figure imaginaire prénommée Emmett – comme Emmett Till, un adolescent assassiné par des racistes du Sud en 1955 –, qu’il va mettre en scène, la vie d’un gamin des ghettos noirs que son talent pour le football américain promettait à un riche avenir.
Son ancienne institutrice et ses amis d’enfance se souviennent d’un bon petit élevé seul par une mère très pieuse, et qui filait droit, tout à sa passion pour le ballon ovale. Plus tard, son coach à l’université où il a obtenu une bourse, de même que sa fiancée de l’époque, sont frappés par le manque d’assurance de ce grand garçon timide, pourtant devenu la star du campus. Tout lui sourit, jusqu’à un accident qui l’immobilise quelques mois… Son coach, qui le traite comme un fils, lui conseille de redoubler, mais Emmett préfère tenter la Draft, la sélection par une franchise professionnelle. L’échec fait alors basculer son destin, et c’est un homme voué à collectionner les petits boulots, toujours harassé, qui des années plus tard reviendra dans sa ville natale, jusqu’au drame sur lequel s’ouvre le roman.
La force de ce livre, c’est de brosser de façon poignante et tendre le portrait d’un homme ordinaire que sa mort terrifiante a sorti du lot. Avec la verve et l’humour qui lui sont coutumiers, l’écrivain nous le rend aimable et familier, tout en affirmant, par la voix de Ma Robinson, l’ex-gardienne de prison devenue pasteure, sa foi dans une humanité meilleure.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Goodbook.fr
Actualitté (Victor de Sepausy)
Blog Mediapart (Fréderic L’Helgoualch)
Benzinemag (Alain Marciano)
Reforme.net (Isabelle Wagner)
Blog Pamolico
Revue de presse proposée par les éditions Sabine Wespieser


Louis-Philippe Dalembert présente Milwaukee Blues © Production Librairie Mollat

Les premières pages du livre
« FRANKLIN, LES ANNÉES D’ENFANCE

NINE-ONE-ONE
Je n’aurais jamais dû composer ce foutu numéro. Si je pouvais, je supprimerais définitivement le 9 et le 1 du cadran de mon smartphone. Comme un cyclone, ou une inondation, raye du jour au lendemain un village entier de la carte du monde. J’aurais une application spéciale avec un clavier sans ces chiffres. Je suis prêt à la payer un bras, s’il le faut. Cela dit, si c’était possible, ça le serait partout ailleurs, sauf ici. Pour les résidents de ce pays, le « nine-one-one » est une référence incontournable. Un peu à l’image de notre supérette pour les habitants de ce bout de Franklin Heights. Le prolongement naturel des doigts, au moindre pet de travers : une prise de bec entre conjoints, un gosse qui en a marre de ses parents, un passant inconnu qui marche tête baissée ou rase trop les murs, un clochard qui confond une bouche d’incendie avec une pissotière, le type bodybuildé qui a oublié de ramasser la crotte de son caniche… sans évoquer des problèmes beaucoup plus graves, genre le mec bourré ou « cracké » qui tabasse sa gonzesse – parfois, c’est l’inverse, mais c’est plus rare –, avant qu’elle ne se mette à crier sa peine aux oreilles des voisins ; ou le prédateur pervers qui course un enfant en plein jour… Toutes ces choses dont on cause à longueur de journée à la télé ou sur le Net. Qui te forcent à espionner tes gosses, à fouiller dans leur téléphone, à être sur leur dos H 24, de peur qu’ils ne se fassent violer puis massacrer, ou l’inverse. Bref, à leur pomper l’air et à faire d’eux les névrosés de demain, dont une grosse part du salaire atterrira en liquide et sans facture dans la poche d’un psy.
Dieu seul sait pourtant s’il y en a, des problèmes, dans cette ville. Elle a beau être la plus grande de l’État, elle n’en est pas moins paumée. Même si ceux qui ont un peu de blé se la pètent avec leurs clubs privés, leur opéra… et leur fichu accent du Wisconsin, qu’ils peinent à cacher aux oreilles du reste du pays. Suffit qu’ils soient fatigués ou qu’ils aient un petit coup de champagne dans le nez, et ils perdent leurs grands airs, te bouffent une voyelle dans un mot, « M’waukee », traînent trop sur une autre, « baygel » au lieu de « baggle ». J’aurais mieux fait de me barrer depuis longtemps. Quand mes potes, après le lycée, ont voulu monter à Chicago, la métropole la plus proche, pour y poursuivre leurs études. Les universités de là-bas sont bien meilleures que celles d’ici, en tout cas mieux cotées sur le marché du travail. Pour la plupart des copains, c’était juste un prétexte car, au bout du compte, ils n’ont jamais mis ne serait-ce que la pointe d’un orteil à l’université. Faute de thune, peut-être. Dans ce foutu pays d’Amérique, même quand c’est une fac publique, ça n’a jamais de « public » que le nom. À la sortie, tu peux te retrouver endetté pour une, voire deux générations. Comme si t’avais acheté une putain de baraque.
Aux dernières nouvelles, tous ces potes, ou presque, vivotent de job en job. À quoi bon partir si c’est pour aller faire ailleurs le même boulot de chiottes qu’en restant chez toi ? Comme ce cousin qui a fini par monter une supérette à Evanston, dans la banlieue nord de Chicago, où un habitant sur trois est haïtien, enfin presque, alors qu’il aurait suffi de reprendre celle de ses parents ici. Au fond, ces mecs avaient juste envie de changer d’horizon. Respirer un autre air, où tout semble possible. Où les rêves les plus fous sont permis, voire encouragés. C’est la grande force de ce pays. C’est pas comme au Pakistan où, enfant puis adolescent, j’ai passé deux étés avec mes vieux. Ici, il y a toujours un endroit où aller planter sa tente pour essayer de changer son rêve en réalité. Même si, à l’arrivée, tu te fais carotter par plus malin que toi, que tu crèves la gueule ouverte, sans jamais y parvenir. Au moins, tu meurs avec l’espoir en étendard. Il n’y a pas pire que crever sans espoir.

C’est sûr, j’aurais dû mettre les voiles avec mes potes. Pousser même une tête jusqu’à New York, comme les plus entreprenants du groupe. Histoire de bien creuser la distance avec tout ça, laisser les choses derrière soi. Ça peut être salutaire, parfois, de tirer une croix franche sur le passé. Enfin, façon de parler, car les croix et nous, vous savez. Au final, je suis resté enterré dans ce trou. Sans un diplôme en poche, j’ai échoué à la supérette de mon oncle, à la place du cousin parti à Chicago. Qu’est-ce que j’aurais pu faire d’autre ? À part crever la dalle, ou vivre aux crochets de mes vieux, avec cette fille qui est tombée tout de suite en cloque et qui n’a rien trouvé de mieux que de me pondre deux mioches coup sur coup. Elle refuse de prendre la pilule, comme toutes ces femmes incapables d’aligner deux mots sans se mettre à parler de religion. Du coup, le soir, dans le lit, t’as beau avoir la trique, eh bien, tu as peur de l’approcher. Quand enfin tu prends ton courage en main, tu y vas en tremblant. Des fois qu’elle retombe enceinte. Ça ferait une bouche de plus à nourrir, et toutes les dépenses que ça implique jusqu’à la fin du lycée, si le gosse ne s’est pas perdu en route. L’Oncle Sam ne fait pas de cadeau. Je ne veux pas d’une flopée de mômes, moi, comme on voit chez les Noirs et les Hispaniques. Ça multiplie les problèmes pour les gens comme nous, qui n’ont pas un crédit illimité à la banque.
J’aurais dû écouter mon cousin, monter à Chicago avec lui et notre bande de potes. Je n’aurais pas eu à composer ce foutu « nine-one-one ». Je n’aurais pas passé toutes ces nuits sans sommeil. Après la première, je croyais que je n’y aurais plus repensé. Du moins, ça se serait atténué, quitte à revenir une fois de temps en temps ; et j’aurais dormi huit heures d’affilée, quitte à être réveillé par mes propres ronflements, comme ça pouvait m’arriver avant. Mais non. C’est même plutôt le contraire. Ça empire au fil des nuits. J’en suis arrivé à ne plus pouvoir fermer l’œil du tout. Je peux me casser le cul au boulot toute la journée, la nuit venue, je ne m’écroule pas au lit pour autant. Les rares fois où j’y arrive, c’est pour me précipiter dans un trou sans fond, sans aucune saillie dans la paroi où m’agripper. En vrai, ça dure quelques minutes. Dans le sommeil, ça paraît une éternité. Et tout le long, une meute de visages noirs accompagne ma chute, en hurlant : « Je ne peux pas respirer ! Je ne peux pas respirer ! Je ne peux pas… » Je me réveille en sursaut et en sueur. Je manque d’air. J’étouffe moi aussi. Je me précipite vers la fenêtre, je l’ouvre à toute volée sans pouvoir néanmoins respirer. Il faut plusieurs minutes avant que mon cœur ne retrouve un rythme à peu près supportable pour quelqu’un de normal comme moi.
L’imam à qui j’en ai parlé, en quête d’un peu de réconfort, m’a dit que j’avais fait le bon choix. « The right thing. C’est la loi. » Tu es obligé d’appeler la police quand tu suspectes un client de t’avoir fourgué un billet contrefait. Autrement, c’est toi qui trinques. Ça peut t’amener à la case prison. Il l’a dit avec d’autres mots, précieux et contrôlés, qui sont ceux des hommes de foi, mais ça revient au même. N’empêche, c’est moi qui ai composé ce foutu numéro. Par réflexe. Le prolongement de nos doigts, je vous dis. Un peu par lâcheté aussi. Par les temps qui courent, il ne fait pas bon pour un musulman d’avoir affaire aux flics. Même pour une histoire de faux billets. Ils auront vite fait de t’accuser de blanchir de l’argent pour financer des activités terroristes, Daech et autres organisations pas en odeur de sainteté, dont tu ignorais jusqu’au nom avant qu’ils ne te gueulent dessus, voire pire, en garde à vue et te foutent la trouille de ta vie. Alors, j’ai composé le « nine-one-one ». D’ailleurs, je ne sais toujours pas si ce foutu billet était faux pour de vrai, ou pas. Les flics l’ont embarqué avec le type. Comme pièce à conviction, qu’ils ont dit. Et personne n’a payé le paquet de cigarettes que l’autre a acheté.

Quand j’ai composé ce fichu numéro, je n’ai pas cafté tout de suite que le type était noir. J’ai juste dit qu’il était grand et baraqué. Avec un début de calvitie au sommet du crâne. Je m’en suis rendu compte quand il s’est baissé pour ramasser le billet qui était tombé par terre. Il aurait été blanc, ou comme nous, il l’aurait peut-être camouflée avec un rabat de mèche. C’est le type de calvitie qu’on peut masquer facile, sauf si on a les cheveux en laine crépue comme lui. J’ai aussi signalé la couleur des vêtements. Un tee-shirt noir, qu’il portait ample, et un jean délavé. Pas ceux à la mode, qu’on te vend une blinde, avec des trous partout. Celui-ci, ça se voyait, s’était délavé avec le temps. Il avait dû en faire, des guerres. Ou son propriétaire y tenait beaucoup. Ou il n’avait pas les moyens de s’offrir un pantalon neuf. Allez savoir. Il chaussait aussi des bottines mastoc beiges, pareilles à celles que les ouvriers portent sur les chantiers, avec un embout renforcé pour se protéger les orteils de la chute d’objets lourds. Il devait avoir entre quarante et cinquante piges. Difficile pour moi d’être plus précis. Je ne sais jamais dire l’âge pour les Noirs et les Asiatiques. Les Blancs, c’est facile : la trentaine à peine passée, ils en paraissent cinquante. Le gars aurait été pakistanais, ç’aurait été plus simple. J’ai grandi avec, vous comprenez ?
La dame à l’autre bout de la ligne avait une voix plus stressante que rassurante. Elle a insisté. De quel type était l’homme ? J’ai très bien compris ce qu’elle voulait savoir, mais j’ai fait semblant de ne pas comprendre. J’ai pris d’instinct l’accent paki. Je suis imbattable à ce jeu. Avec les potes, on charriait souvent les parents, venus de là-bas comme les miens, pour se venger de leurs punitions. J’ai donc pris l’accent paki, alors que je suis né ici. C’est pour ne pas avoir d’ennuis, si vous voyez ce que je veux dire. Ni avec les flics, ni avec les gars du quartier, qui m’auraient traité de balance et gratifié, après, du traitement qui va avec. C’était une porte de sortie. On n’est jamais trop prudent. Je pourrais toujours dire que je n’avais pas bien compris. Pourtant, j’avais capté, et comment. Mais j’ai fait semblant que non. Je lui ai donné d’autres détails. La taille, la corpulence. Le type et la couleur des vêtements, des trucs comme ça. Je crois même lui avoir refilé la marque du jean. Les godasses d’ouvrier du bâtiment. Mais elle a insisté, en me brusquant. Elle n’avait pas que ça à fiche. Avec mon accent, elle n’a plus pris de gants. Elle a commencé à me menacer, et tout. Il s’agissait d’un délit grave, passible de poursuites judiciaires. Je risquais au minimum une lourde amende pour dérangement intempestif de la police, il y a d’autres administrés en danger qui ont vraiment besoin d’aide, quelque chose dans le genre, vous voyez ?
En tant qu’Oriental, musulman qui pis est, on n’est pas dupe de ce qui se passe entre la police et les Noirs. Quand tu vois la barbe de ton copain en feu, mieux vaut prendre les devants et mettre la tienne à la trempe. C’est un proverbe que j’ai ramené de la bouche des Haïtiens de Chicago, le temps que je suis resté là-bas, dans leur quartier. Mais tant que ça ne te touche pas, tu la fermes, pour ne pas t’attirer d’emmerdes. Vous voyez ce que je veux dire ? Je n’allais pas leur livrer le gars pieds et poings liés. C’est la loi du quartier : ne jamais balancer aux flics. Celle-là, pour le coup, elle n’est pas écrite. Alors, quand la dame a insisté à l’autre bout du fil, en m’engueulant presque, avec cette intonation criarde du parler d’ici qui t’amène à gueuler sans même t’en rendre compte, j’ai pris la tangente une nouvelle fois. J’ai dit que le type semblait un peu éméché, mais qu’il n’était pas agressif. Il était même souriant. Il avait échangé quelques mots avec une cliente présente à la supérette, comme s’ils se connaissaient depuis toujours.
Personnellement, c’est la première fois que je le voyais. Je connais pourtant la plupart des clients, ils habitent tous le quartier. Comme personne ne s’aventure ici, à moins d’être un touriste, il n’y en a pas d’autres. À force, j’ai fini par connaître la plupart d’entre eux, et aussi la famille : la mère, le père, quand il y en a, les enfants… On commente souvent la météo et l’actualité sportive : les Bucks, les Brewers, même les Packers de Green Bay. Il nous arrive de rigoler ensemble. Celle qui me fait le plus marrer, c’est Ma Robinson, une ex-matonne devenue pasteure, à la retraite. Elle a une de ces dégaines. Ce que j’aime, mais grave, c’est quand l’ancienne gardienne de prison reprend le dessus sur la révérende. Elle te sort alors de ces mots salés, qui ne doivent pas figurer beaucoup dans la Bible. Enfin, j’imagine. Car je n’ai pas lu d’autres livres sacrés, à part le Coran. Et encore, quelques passages quand, adolescent, il fallait faire plaisir à l’imam et à mes vieux. Bref, elle a dû en apprendre de bonnes en taule. À propos de prison, j’ai aussi bavardé quelques fois avec Stokely, une autre figure historique du quartier, avec Ma Robinson et Authie. Dix ans de cabane derrière lui. Depuis, il s’est rangé et tente d’apprendre aux jeunes comment y échapper. Avec Authie, vaut mieux pas qu’ils se croisent, ces deux-là. Ils se tirent la tronche en permanence ; ça dure depuis un bail, à ce qu’il paraît. Si l’un se trouve déjà dans la supérette, l’autre reste à l’extérieur tant qu’il n’est pas sorti, avant de rentrer à son tour.

Tout ça pour dire que le gars, je ne l’avais jamais vu. Je n’ai même pas fait le lien avec sa mère, que j’avais dû croiser une ou deux fois. Lui, n’avait pas mis les pieds à la supérette avant. Je m’en serais souvenu sinon. C’est peut-être à cause des deux années que j’ai passées chez les Haïtiens, à Chicago. J’avais fini par partir, en fait. Avec ma femme et les deux gosses. C’était trop tentant, … »

À propos de l’auteur
DALEMBERT_Louis-Philippe_DRLouis-Philippe Dalembert © Photo DR

Louis-Philippe Dalembert est né à Port-au-Prince et vit à Paris. Depuis 1993, il publie chez divers éditeurs, en France et en Haïti, des nouvelles, de la poésie – notamment aux éditions Bruno Doucey –, des essais et des romans. Ses romans paraissent désormais chez Sabine Wespieser éditeur: Avant que les ombres s’effacent (2017) a remporté le prix Orange du Livre et le prix France Bleu/Page des libraires; Mur Méditerranée, paru en août 2019, a été lauréat du prix de la Langue française, des prix Goncourt de la Suisse et de la Pologne et finaliste du prix Goncourt des lycéens. Son nouveau roman, Milwaukee Blues, a paru pour la rentrée littéraire 2021.
Pensionnaire de la Villa Médicis (1994-1995), écrivain en résidence à Jérusalem et à Berlin, l’auteur a été professeur invité dans de nombreuses universités américaines, notamment à l’université Wisconsin-Milwaukee. Pour y séjourner régulièrement depuis les années 1980, il connaît bien les États-Unis où, comme nombre de Haïtiens, vit une partie de sa famille. Il a été titulaire de la Chaire d’écrivain en résidence du Centre d’écriture et de rhétorique de Sciences Po pour le premier semestre 2021. (Source: Éditions Sabine Wespieser)

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La fièvre

SPITZER_la_fievre  RL2020  coup_de_coeur

En deux mots:
Un homme qui s’effondre en pleine rue, un bateau mis en quarantaine, une épidémie dont on ne connaît pas l’origine va frapper des milliers de personnes, provoquant un vaste mouvement de panique. Cela se passait en 1878 sur les bords du Mississipi.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Les ravages de l’épidémie

C’est avant la pandémie que Sébastien Spitzer s’est mis à l’écriture de La fièvre, qui raconte l’épidémie qui a frappé le Sud des États-Unis en 1878. Le parallèle avec la pandémie de 2020 est saisissant et prouve une fois de plus la capacité des romanciers à saisir l’air du temps.

Si Sébastien Spitzer n’aime rien tant que varier les plaisirs et les époques, il sait aussi plonger dans l’Histoire pour se rapprocher des thématiques très actuelles. Ces rêves qu’on piétine, son premier roman couronné de plusieurs prix, dressait un portrait saisissant de Magda Goebbels et posait tout à la fois la question du mal, de la maternité et du devoir de mémoire. Le cœur battant du monde, en retraçant la rencontre entre Karl Marx et Friedrich Engels dans un Londres qui s’industrialisait à grande vitesse, était aussi une réflexion sur l’éthique et le capitalisme. Avec ce troisième roman, il nous entraine aux États-Unis au sortir de la Guerre de Sécession. Les chapitres initiaux vont nous présenter un esclave affranchi rattrapé par des membres du Ku Klux Klan et pendu en raison de sa couleur de peau, Emmy une jeune fille qui fête ses treize un jour de fête nationale et qui espère le plus beau des cadeaux, que son père qui vient de sortir de prison regagne le domicile familial. Mais à bord du Natchez qui vient d’accoster au ponton, elle ne peut l’apercevoir. Enfin, l’auteur nous invite à Mansion House, l’un des bordels les mieux soignés de Memphis où les douze pensionnaires jouissent d’un peu de liberté mais restent sous la surveillance attentive d’Anne Scott, la tenancière française de cette maison des bords du Mississipi. Ce matin, au réveil, alors qu’elle entend fêter le 4 juillet par un bal costumé, ses plans sont contrariés par la découverte d’un client mal en point. Et les premiers soins qu’elle prodigue ne semblent guère le soulager.
Puis nous faisons la connaissance de Keathing, le patron du Memphis Daily, qui entend profiter de la fête nationale pour imprimer son plus gros tirage. Il espère que dans l’attente du feu d’artifice on passera le temps à lire son édition du 4 juillet 1878.
C’est alors que deux drames se produisent quasi simultanément. Emmy constate une agitation inhabituelle autour du Natchez censé transporter son père. Les passagers sont sommés de regagner le navire tandis qu’un homme est évacué sur une civière. C’est alors que le malade de Mansion House est pris de folie. Il se précipite tout nu vers la rivière avant de s’écrouler en pleine rue. Deux cadavres et un même diagnostic: la fièvre.
Pour les autorités, la nouvelle ne pouvait tomber à pire moment, car la récolte de coton s’annonce exceptionnelle. Et alors que l’on tergiverse, des nouvelles alarmantes de la Nouvelle Orléans font état d’une épidémie et de morts par dizaines. Keathing ne peut plus reculer la parution de son article. Il doit informer la population. En fait, il va provoquer un vaste mouvement de panique aux conséquences économiques et humaines aussi imprévisibles que terribles.
Si le parallèle avec la pandémie qui a frappé le monde en 2020 est facile à faire, c’est bien davantage la manière de réagir face à ce drame qui est au cœur du roman. Qui va rester en ville et qui va fuir? Qui des sœurs dans leur couvent ou des prostituées dans leur bordel vont se montrer les plus courageuses et les plus solidaires? Comment va réagir le sympathisant du Ku Klux Klan face à la détresse de la communauté noire, plus durement frappée par ce mal insidieux? Qui va se dresser face aux pillards qui entendent profiter du chaos? Les situations de crise ont le pouvoir de révéler certaines personnes, de faire basculer leur destin. C’est ce que montre avec force la plume inspirée de Sébastien Spitzer.

SPITZER_yellow-fever1878Les sœurs de la charité étaient-elles aussi charitables que l’imagerie populaire le laisse entende? © Public Library of America

SPITZER_Martyrs_Park_MemphisLe «Parc des martyrs» de Memphis, dédié aux victimes de l’épidémie. © Tennessee Historical Commission

Pour ceux qui habitent Mulhouse et la région, signalons que Sébastien Spitzer participera à une conférence-rencontre le mercredi 14 Octobre 2020 à 20h à la Librairie 47° Nord. Inscriptions par mail ou par téléphone:
librairie@47degresnord.com 03 89 36 80 00

La fièvre
Sébastien Spitzer
Éditions Albin Michel
Roman
320 p., 19,90 €
EAN 9782226441638
Paru le 19/08/2020

Où?
Le roman se déroule aux États-Unis, principalement à Memphis mais aussi tout au long du Mississipi jusqu’à la Nouvelle Orléans. On y évoque aussi New York.

Quand?
L’action se situe en 1878.

Ce qu’en dit l’éditeur
Memphis, juillet 1878. En pleine rue, pris d’un mal fulgurant, un homme s’écroule et meurt. Il est la première victime d’une étrange maladie, qui va faire des milliers de morts en quelques jours.
Anne Cook tient la maison close la plus luxueuse de la ville et l’homme qui vient de mourir sortait de son établissement. Keathing dirige le journal local. Raciste, proche du Ku Klux Klan, il découvre la fièvre qui sème la terreur et le chaos dans Memphis. Raphael T. Brown est un ancien esclave, qui se bat depuis des années pour que ses habitants reconnaissent son statut d’homme libre. Quand les premiers pillards débarquent, c’est lui qui, le premier, va prendre les armes et défendre cette ville qui ne voulait pas de lui.
Trois personnages exceptionnels. Trois destins révélés par une même tragédie.
Dans ce roman inspiré d’une histoire vraie, Sébastien Spitzer, prix Stanislas pour Ces rêves qu’on piétine, sonde l’âme humaine aux prises avec des circonstances extraordinaires. Par-delà le bien et le mal, il interroge les fondements de la morale et du racisme, dévoilant de surprenants héros autant que d’insoupçonnables lâches.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
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Journal de Montréal (Karine Vilder)
Blog Les chroniques de Koryfée (Karine Fléjo)
Blog Domi C Lire
Blog Valmyvoyou lit
Blog T Livres T Arts 
Blog Le coin lecture de Nath 


Sébastien Spitzer parle de son roman La Fièvre © Production Albin Michel

INCIPIT (Les premières pages du livre)
– Par pitié, laissez-moi !
Il est face contre terre, comprimé par un homme à genoux sur sa nuque. Sa pommette et son front tassent le sable du sentier. Un filet de sang dégoutte sous lui comme la poisse. Combien sont-ils ? Quatre ? Cinq ? Tous portent des toges blanches.
L’un d’eux pèse sur son dos et lui déboîte les bras, coudes aux reins, pognes au dos.
– Ahhh ! Pour l’amour de Dieu, je vous en prie. J’ai rien fait.
Un autre lui lie les chevilles si fort qu’il entrave ses artères. Son pouls bute contre le chanvre. Il a la bouche dans le sable et son cri s’y enterre parmi la bave et ce branle-bas d’effroi qui coagule. Un homme rôde en retrait, chasseur tapi dans l’ombre. C’est lui le chef de ces mauvais génies en toge qui hantent les campagnes depuis des mois maintenant, semant les cadavres, éparpillant le drame et ravivant l’idée que naître noir est une malédiction.
Quand on est né esclave, mourir est un fait comme un autre, une douleur de plus, un mauvais jour de trop. Son père l’a vécu dans sa chair. Il est mort aux champs, épuisé de fatigue. Son grand-père succomba d’une balle dans la nuque. Il avait soixante ans et souffrait de partout. Mais pas lui. Plus maintenant. Il a été affranchi. Il est devenu libre. Un homme parmi les hommes. Il a le droit de vivre et de rêver sa vie sans penser à la mort. Il s’y est habitué depuis la fin de la guerre, la victoire de Lincoln et les lois votées pour libérer les Noirs, faire taire les fouets des maîtres, les coups des contremaîtres. Libres enfin ! Quel miracle ! Il s’est mis à rêver de lundis, de l’école pour ses enfants, d’un emploi dans le commerce, de dimanches en prières et de semaines qui se ressemblent.
– Pourquoi ? Pourquoi moi ?
Le pire des refrains s’est accroché à ses lèvres.
– Pourquoi ? Pourquoi moi ?
Les toges blanches le relèvent. Leurs visages sont cachés. La lune cruelle éclaire la scène d’un crime en cours.
Il voit son ombre au sol, pas plus noire que leurs ombres. Ils sont cinq contre lui. Cinq juges de mauvaise foi. Cinq silhouettes masquées et un nom murmuré :
– Keathing, viens m’aider !
Son instinct prend le pouvoir. Serrer les dents. Faire le dos rond. Attendre. Se taire. Pleurer un peu, puisque ça dure. Pleurer, ça fait du bien, c’est souffrir en silence. Tenir. Tenir bon.
Très jeune, avant la guerre, son père lui avait appris à cousiner la douleur, à débecter ses rages. Il lui avait dit que s’il s’abandonnait à cette douleur comme à ces rages, il ne ferait qu’attiser le drame noir.
Rien n’y fait.
Le mauvais sort s’acharne. Seul un chien se dévoile. Tel quel. Plein de crocs enfoncés dans le muscle de sa cuisse. Il souffre. Aveuglément face à cet animal, avec des yeux de nuit noire et une haleine sauvage. Le chien cesse de grogner et lève mollement la patte sur le poteau devant. Il marque son territoire de quelques gouttes d’urine pendant que l’ancien esclave implore ses bourreaux blancs :
– Pourquoi ? Pourquoi moi ?
En vain.
L’un d’eux serre sa trachée pour qu’il ouvre la bouche. Il fourre deux doigts dedans. Il enfonce un chiffon plein de flotte dans sa gueule. Lui tente de résister, secoue un peu le tronc et attire le chien. Il n’entend même plus ses grognements furieux. Il a pris le même muscle et mord.
– Faut pas traîner, murmure une voix.
Soudain, tout s’atrophie. La bête a lâché prise. Une chouette froisse l’air. Un coassement annonce l’accouplement de crapauds. Son cœur bat si fort qu’il pourrait exploser. Combien de temps encore ? Combien de temps avant de mourir ?
Une corde fend l’air et cogne contre un poteau. Les nœuds de chanvre crissent sur un rondin de bois. Il compte plusieurs brassées.
– Tu vas trop loin ! dit celui qu’il a pris pour leur chef. On devait simplement lui faire peur. Pas ça !
« Ça », c’est le mot qui l’achève. « Ça », c’est l’idée qui gomme tous les « pourquoi », les « par pitié ».
– T’es pas obligé de rester là.
Une main le pousse devant. Une autre le maintient droit, debout, calé contre ce poteau transformé en potence, comme un mât d’injustice dressé devant une lune bien blanche, bien complice.
Les hommes et le chien-loup s’activent dans son dos. Comme sa jambe se dérobe, il s’adosse au poteau, jette un dernier regard vers la grande ville au loin, la vallée qui serpente et les champs qui se déclinent, noir sur noir, jusqu’au bout de l’horizon. Il les connaît par cœur, chaque pousse, chaque travée. Cette vie est un boyau d’enfer, une fosse de Babel. Il y avait cru pourtant à ces lois, à ces mots. Il ne peut plus se défendre quand ils lui passent la corde au cou, et prie.
– Notre Père qui êtes aux cieux, que Votre nom soit sanctifié. Que Votre règne arrive.
Comme il n’a plus de prise, mais juste la honte de grommeler des mots qui finissent en charpie, il se résigne. Il ferme lentement les yeux. Il prend la mesure de l’instant qui le sépare de l’éternité.
– Amen.
Une pulsation cardiaque. Encore une. Un autre battement. Le dernier ? Sa vie à rebours sature sa mémoire. Toutes ces images passées surgissent en tornade. Il voudrait effacer la douleur qui l’empêche de se remémorer le visage de cette fille, dans la cabane d’en face. Elle préférait sourire au lieu de lui répondre. Elle avait de fines hanches et des épaules si droites que tout son corps semblait en équilibre en dessous, comme le fléau d’une balance. Elle avait le front suave. Un sourire à mille dents. Des yeux bruns, grands et vifs, qui guettaient la gaieté. Il aurait pu l’aimer. Lui faire plein d’enfants. Il tremble de regret. Elle serait devenue sa nouvelle femme et ils auraient élevé une tripotée de gosses. Si seulement il avait traversé la rue entre elle et lui.
Il sent le nœud qui serre. Il va finir sa vie au bout de cette fourche fruste, dans ce cercle formé par un bout de chanvre torsadé, les pieds ballottant vaguement, scruté par les corbeaux et ses cinq bourreaux. Le rituel est en cours. Il n’y a plus rien à faire.
La corde crisse et serre. Un papier sort d’une poche. Pendant que sa langue cogne contre le bout de tissu, des mots chargés d’absurde encrassent la nuit. Ils récitent :
– Au nom des Chevaliers Immortels protecteurs de la race,
Au nom du Grand Cyclope garant de notre avenir,
Au nom de la Cause perdue et de ses humiliés,
L’Empire de l’Invisible et le Soleil Invincible t’ont condamné à mort.
La suite s’est perdue au fond de son âme.
Demain, quand Memphis s’éveillera, la ville découvrira son corps bien vertical, bien aligné. Des gens passeront devant lui et feront des commentaires, gênés ou amusés. De longues heures s’écouleront avant que l’un d’eux estime que c’en était assez, qu’on en avait assez vu des Noirs suppliciés.
On fera une prière et on citera son nom. On chantera, un peu, à voix ténue et triste, comme on chante à chaque fois pour ceux qu’on a punis parce qu’ils avaient le tort de croire que même noir on pouvait être libre. On le mettra en terre et on parlera de lui au passé, comme des autres. C’est comme ça ! C’est le Sud.
Emmy dort encore. Rabougrie dans son lit. Ses bras adolescents agrippent le balluchon qui lui sert d’oreiller. Des soubresauts remontent le long de son échine, parfois jusqu’aux épaules, bifurquent vers son visage et impriment à sa bouche d’étranges balbutiements. Elle fait des bruits de succion, bave et grogne puis replonge dans son rêve.
Le jour s’est pointé charriant les bruits de la ville. Des rires. Des pas. Le couinement d’un essieu. Les sabots d’une mule butant sur un caillou qui éclate sous ses fers.
Une brise trimbale l’odeur d’une poudre lointaine, de celles dont on faisait les balles, autrefois, pendant la guerre, quand des Bleus tuaient des Gris par centaines de milliers. Emmy était presque là, dans le ventre de sa mère. Elle attendait que la paix soit signée pour montrer le bout de son nez.
Une explosion retentit.
– Papa ? demande-t-elle en sursaut, fouillant les coins de la pièce et tombant sur sa mère qui s’approche, lentement, de sa démarche peu sûre.
– T’as encore fait une crise, ma fille chérie ?
Emmy tarde à répondre, le temps de faire le tri entre ses attentes et ses rêves, le vrai et ce qu’elle voudrait.
– Non. Pas cette fois. Je ne crois pas, en tout cas. J’ai pas mal aux épaules, dit-elle en s’étirant. Ni à la nuque. Non, maman. C’était pas une crise nerveuse. Je crois que c’était plutôt une sorte de cauchemar. Je suis en retard ?
Sa mère lève le nez et estime l’heure du jour.
– Non. Pas encore. Je n’ai pas entendu la cloche du débarcadère.
Le visage de sa mère est teinté de brun sale. Ses yeux opalescents fixent toujours leur néant, mais elle sent et entend bien mieux que les voyants. Elle le saurait déjà si son père était là. Ses sens ne la trompent pas.
Emmy frotte ses paupières comme pour chasser ses mauvais songes. Mais des images s’accrochent. Le visage d’un homme.
Un paquet de bonbons dans un sachet de papier, bombé, comme rempli d’air. Emmy tendait les mains vers le cadeau de son père. Elle allait s’en saisir, mais il a éclaté comme une de ces baudruches que les gosses du quartier gonflent et font exploser lors de chaque carnaval. Et puis tout s’évanouit. Les bonbons et son père, ses attentes bernées. Depuis le temps qu’elle attend. Elle a tout un stock d’espoirs déçus à cause de lui. Sa tête en est farcie, et parfois elle se dit que ces crises étranges, ces spasmes épileptiques sont dus à ce trop-plein de dépits, à ces désillusions qui pourrissent au fond d’elle. Comme si elle les refoulait. C’est son père. C’est comme ça. Il a toujours été celui qui trompe son monde.
Dans les rues de Memphis, la grande fête s’annonce. Une partie de la ville va bientôt célébrer le jour de l’Indépendance. La pétarade commence. Des tas de déflagrations accompagnent les rires des gamins extasiés.
Emmy se penche par la lucarne. Les commerces sont fermés. Deux hommes endimanchés longent le trottoir d’en face. Un autre les salue. Emmy cherche les enfants et, en tendant le cou, voit une femme qui rabat un pan de sa longue jupe avant de traverser. Elle est jeune. Ses cheveux brun-roux tombent en guirlandes d’anglaises. Ses bottines sont couvertes de poussière et ses talons de bois battent les trottoirs de guingois, parfois mités, souvent branlants.
Au carrefour de Madison, en plissant les yeux pour contrer le soleil, elle distingue des fumerolles, des panaches d’explosifs et une bande de gamins accroupis dans un coin autour d’une allumette qui s’approche d’une mèche. Le feu prend. La mèche crépite et fume et les enfants éclatent plus vite que l’explosion, laissant dans leur sillage des crépitements de rire.
– Cessez ! lancent des vieilles barbes aux fenêtres.
Emmy se retourne.
– T’es sûre qu’il n’est pas arrivé ?
Sa mère lui tend la robe qu’elle avait mise de côté. Toujours au même endroit, sur la chaise près de leur lit. Elle l’aide à s’habiller.
– Tu es tout énervée, ma fille. Calme-toi ! Tu sais bien qu’avec lui…
– Cette fois j’y crois, maman. Je suis sûre qu’il va venir.
Emmy palpe la lettre dans sa poche. C’est sa seule lettre de lui. La première en treize ans. Elle ne l’a jamais vu ni même entendu. Mais ces mots sont de lui. Billy Evans. Il écrit qu’il viendra par le vapeur le jour de son anniversaire.
Elle n’a qu’une vague idée de lui, forgée année après année, comme les pièces d’un puzzle. Elle se l’est représenté par la grâce des mots, des souvenirs semés chez les uns et les autres. D’abord ceux de sa mère qui répète souvent qu’il était grand et beau. Parfois, elle ajoute qu’il était pareil au fleuve, obstiné, impétueux, comme s’il avait quelque chose à prouver au monde, une revanche à prendre sur les obstacles dressés en travers de sa route…
« Qui pourrait redresser ce que Dieu a fait courbe, ma fille ? Hein ? Dis-moi ? Qui a ce pouvoir-là ? On n’oblige pas les étoiles à suivre un chemin de balises. Ton père est né comme ça, avec ses courbures. Toutes les jetées cherchant à l’orienter, toutes les digues visant à le contraindre, les pieux, le rabotage sont restés sans effet. »
Ensuite, elle se taisait, gardant le reste pour elle. Emmy a dû puiser à d’autres sources pour savoir. Chez des voisins. Chez des gens de passage. Dans la rue. Dans les champs. N’importe où. L’image de son père a gagné en nuances. Tous disaient qu’il était beau, certes, mais qu’il avait surtout la beauté des escrocs, de quoi désarmer les doutes, et une faconde à rouler les sceptiques. Emmy serrait les poings, souvent. Elle voulait les faire taire, tous ceux qui s’acharnaient sur les mauvais côtés de son père. D’autres présentaient les choses autrement. Pour eux, son père avait un don. Il était plus habile que le caméléon et plus malin qu’un comédien de la côte.
« Ton père ! Ah ça, ton père ! C’était quelqu’un, celui-là ! Billy avait le don de soumettre les esprits le temps d’y glisser une idée un peu folle, son idée, et de l’y faire germer. Si bien que les autres, y croyaient qu’ils avaient une idée bien à eux, un beau projet, comme celui de l’hôtel, et y se mettaient à l’œuvre. Il avait ce don-là. On peut dire qu’il savait provoquer l’ambition. Il semait la confiance. Après, pour la récolte… c’était une autre affaire. »
C’est ainsi que sur Main Street, dans le quartier commerçant, surgirent des fondations. Un hôtel allait naître. Le charpentier œuvrait. Le maçon s’activait. Un étage fut dressé puis le chantier cessa. Il fallait de l’argent et le compte n’y était pas. Le promoteur s’efforçait de convaincre les banquiers que l’argent arriverait, qu’il avait une idée et que, la guerre finie, il ferait des bénéfices. Quand il se retourna, Billy n’était plus là. Il avait disparu, avec quelques dollars, une avance pour l’idée de ce projet farfelu. Le promoteur paya, fut ruiné et finit par grossir les rangs de ceux qui maudissaient le nom de son père.
« Billy ! Quel numéro ! Billy ! Billy Evans ! Mais Dieu qu’il était beau. Et cette beauté-là, elle n’était pas volée. Normal qu’il ait pris la plus belle de Memphis. Ta mère, Emmy. Ton père était si beau. »
Les yeux vert printemps. Des dents plein la bouche. Et le reste, Emmy le jette dans l’eau du fleuve avec les grandes gueules de ces alligators qui se repaissent du mal et ruminent tout le bon. Pourvu qu’ils s’en étouffent, qu’ils finissent ventre en l’air.
Billy.
Son père.
Imaginé par elle et condamné par eux. Plus malin que tous les autres. Puni de penser plus vite. Condamné à se taire. Purgeant une peine au loin, parce qu’il s’était fait prendre, une fois de plus, une fois de trop. Emmy mit des années à comprendre le vrai sens des mots « peine de prison ».
Elle se disait qu’elle aussi était condamnée, à la même peine que lui. La peine de ne pas le voir. Elle s’était persuadée qu’ils étaient tristes ensemble, tous les deux, loin l’un de l’autre. Pas besoin de se voir pour s’aimer. Sa mère le lui prouve chaque jour. Elle l’aime aveuglément.
Dans quelques heures, les rues de Memphis seront toutes noires de monde. Il y aura des couleurs accrochées aux fenêtres. Des fanions rouges, blancs, bleus. Des essaims d’inconnus échappés des hameaux situés en amont du grand fleuve ou de plus loin encore. Il y aura une fanfare, comme chaque année. Les anciens soldats noirs porteront l’uniforme des Zouaves avec leur gilet rouge et joueront de longues heures, en remontant Main Street jusqu’à l’embarcadère, comme tous les 4 Juillet depuis la fin de la guerre.
Emmy est impatiente. Le jour de l’Indépendance est aussi celui de son anniversaire. Elle a treize ans.
Elle voit la moue de sa bouche, qui ravale sa phrase pour ne pas briser le sort. Tout est dans le silence de sa mère et ses sourcils relevés en accent circonflexe comme une paire de mains jointes qui pointeraient vers le ciel. Elle espère. Sa mère prie pour qu’il vienne. Billy. Il n’était pas si mauvais. Il l’a vraiment aimée. Et elle, elle l’adorait. Son beau génie de père, chevalier d’industrie comme disent les pédants, ceux qui se payent de mots et crèvent la gueule ouverte de n’avoir rien osé. Son père a écrit qu’il allait revenir pour les sortir de là, de cette misère de peau, de cette cabane d’esclaves.
– Tu sais maman, j’ai réfléchi.
– Oui ma fille.
– En attendant qu’il achète une ferme, il pourrait dormir là. Je lui laisserais ma place.
– Ah oui ! Et tu dormiras où ?
– J’ai réfléchi. Je dormirai dehors. Et si la ferme est trop chère, il pourra toujours assembler quelques planches pour agrandir notre cabane.
– La nôtre ?
– Oui. La terre est assez dure du côté de la clôture. Je l’ai tâtée du pied hier. Elle est sèche et tassée. Y a pas de trace d’humidité. J’ai bien regardé sur le côté. Il y a assez de terrain pour soutenir des cloisons et un plancher épais.
– Et qui va payer ça ?
Le tintement de la cloche tombe opportunément.
– Vite ! Vite ! Je suis sûre que c’est papa !
Emmy agite ses longs bras. Elle est tout élancée comme le tronc de l’orme devant. Sa chevelure est un houppier. Pas le temps de se coiffer. Elle se met à quatre pattes pour dénicher ses souliers.
Une autre sonnerie retentit. Plus longue. Ça vient de l’embarcadère.
– Tant pis. J’ai pas le temps, dit-elle en sortant pieds nus.
Elle enjambe la clôture, traverse Madison et remonte vers le fleuve. Sa jupe enveloppe ses jambes et virevolte sous elle telle une méduse folle. Elle court comme les enfants, sans se soucier des regards en coin des femmes et des hommes sur ses longues cuisses fuselées. Elle court à perdre haleine, fixant les cheminées du bateau qui approche avec ses deux gaillards, l’un à la proue, l’autre à la poupe, et sa grande gueule béante comme celle d’un poisson-chat. Emmy ne cille même pas, de peur que si elle lâche sa cible des yeux elle fasse demi-tour, ou pire, disparaisse.
Ses pieds nus frappent le sable. Son cœur choque sa poitrine. Ses mains vont chercher loin devant comme si elle pouvait raccourcir la distance qui la sépare du quai. Elle a la bouche ouverte et le ventre vide depuis la veille. Légère ! Si légère ! C’est son anniversaire et son père va venir pour elle.
Des mouettes rasent le fleuve. Elles sont remontées de l’embouchure, en aval, à des centaines de miles. Il y a foule près du quai. Des dizaines de dos d’hommes et de femmes s’agglutinent.
Sur le pont du Natchez, le capitaine sonne trois coups secs. C’est le signal donné au machiniste en salle. Les deux cheminées crachent ce qui leur reste de fumée. La roue à aubes ralentit puis se cale en trouvant le point mort. L’équipage remonte les coursives. Il y a beaucoup de courant. Depuis la crue de juin, il a encore gagné et contrarie l’accostage.
Le visage barbouillé du mécanicien surgit d’un hublot de bâbord. Le navire vire lentement. Il a dépassé le pont. Sa proue pointe vers l’aval. Un sifflement retentit. Soudain, sa roue repart, mais à rebours cette fois, plus puissante, plus vaillante. Ses larges tambours brassent des mètres cubes d’eau, frappant de toutes leurs forces comme pour régler leurs comptes avec ce maudit fleuve. Les tambours cognent si fort que des éclats de racines valdinguent alentour.
Emmy en a déjà vu, des approches mal finir. L’an dernier, un triple pont bien plus gros que le Natchez a fini par le fond.
En haut de la passerelle, un matelot pivote et jette devant lui la glène de cordage. Un badaud sur le quai s’en empare et la noue. La passerelle se déploie. C’est bon ! Tout va bien. La foule s’avance. Emmy cherche sur le pont, parmi les passagers, le visage inconnu de son père, comme l’aimant cherche la paille. Elle guette l’évidence, armée de tous les indices qu’elle amasse depuis des années. Grand. Blond. Yeux clairs. Aujourd’hui la trentaine. Pourvu qu’il tienne parole. »

À propos de l’auteur
SPITZER_Sebastien_©Astrid-di-CrollalanzaSébastien Spitzer © Photo Astrid di Crollalanza

Sébastien Spitzer est traducteur et journaliste. Son premier roman Ces rêves qu’on piétine a reçu un formidable accueil critique et public. Il a été le lauréat de nombreux prix (prix Stanislas, Talents Cultura, Roblès). Avec Le Cœur battant du monde, il fut finaliste du Goncourt des Lycéens 2020. (Source: Éditions Albin Michel)

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Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur

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Sélectionné par les « 68 premières fois »
En deux mots:
Cette chronique de la vie dans l’Alabama à la fin des années 1930 est racontée par une fillette qui vit avec son frère aîné, Jem et son père, Atticus. Avocat dans une petite ville où chacun épie son voisin, il est chargé de défendre un Noir accusé de viol. Le procès va bouleverser toute la communauté.

Ma note:
★★★★★ (coup de cœur, livre indispensable)

Ma chronique:

Un pur bonheur de lecture

Ce roman signé Harper Lee devenu un classique qui résonne fortement dans l’actualité de cette année et du mouvement black lives matter. Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur raconte la vie dans un village d’Alabama à travers le regard d’une petite fille.

En refermant ce magnifique roman, je ne peux que donner raison à Jean-Baptiste Andrea quand il écrit «Il y a quelque chose d’insaisissable dans ses pages, une humanité qui le rend universel, d’innocence et de gravité». Nous sommes à Maycomb, une bourgade imaginaire d’Alabama, au sein d’une famille Finch composée par Atticus, le père et de ses deux enfants, l’aîné Jeremy, dit Jem (13 ans) et la cadette, Jean Louise Finch (9 ans), qui préfère qu’on l’appelle Scout. C’est elle que choisit Harper Lee pour nous raconter la vie dans le Sud des États-Unis et c’est sans doute là ce qui rend le livre aussi fort. Avec le regard innocent et plein d’insouciance de la jeunesse, le récit est allègre, voire drôle, alors même que les thèmes abordés vont gagner en intensité dramatique. Mais au début du roman, le principal centre d’intérêt de Scout est le petit microcosme qu’elle croise sur les bancs de l’école où elle s’ennuie car elle sait déjà lire, ce qui a le don d’agacer sa maîtresse. Alors, elle observe ses congénères, se bagarre à l’occasion et se précipite sur les gâteaux de Calpurnia, leur cuisinière noire. Et organise des expéditions autour de la maison de Radley, ce voisin qui ne sort jamais, sauf peut-être la nuit. Encore un mystère à élucider pour l’intrépide Scout!
Avec Dill, son ami de vacances, elle explore tous les recoins de Maycomb et cherche à comprendre comment fonctionne ce monde aux règles parfois bien déroutantes dont son père est le garant.
Le roman d’initiation va alors trouver son point d’orgue lorsque l’on charge Atticus de défendre Tom Robinson, un noir accusé de viol. Le procès, dont l’issue ne fait guère de doute dans ce sud ségrégationniste où les «nègres» continuent d’être considérés comme des citoyens de seconde zone, va rassembler toute la communauté. Après le témoignage de Bob Ewell, le père de Mayella, la victime supposée de Tom Robinson, la chose semble être entendue. Mais Harper Lee, et c’est sans doute là son autre coup de génie, va déconstruire témoignage après témoignage une version trop parfaite pour être vraie. Restent les préjugés racistes, le pouvoir de la communauté blanche qui ne saurait être remis en cause. Il va falloir choisir entre la vérité et l’ordre établi, entre le maintien des inégalités – qui arrange bien les notables – et la justice.
Ce roman a été publié au moment où le combat pour les droits civiques s’intensifiait aux États-Unis et malheureusement, il n’a rien perdu de sa force et de son actualité aujourd’hui. Tom Robinson et George Floyd, même combat!
Lisez et faites lire ce livre qui est une ode à la tolérance mais aussi au courage et à l’intégrité, mais surtout parce qu’il vous offrira un bonheur de lecture rare.

Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur
Harper Lee
Éditions Le Livre de poche
Roman
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Isabelle Stoianov
446 p., 6,90 €
EAN 9782253115847
Paru le 23/08/2006
Édition originale parue en 1959 chez De Fallois

Où?
Le roman se déroule aux États-Unis, principalement en Alabama.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Dans une petite ville d’Alabama, à l’époque de la Grande Dépression, Atticus Finch élève seul ses deux enfants, Jem et Scout. Avocat intègre et rigoureux, il est commis d’office pour défendre un Noir accusé d’avoir violé une Blanche. Ce bref résumé peut expliquer pourquoi ce livre, publié en 1960 – au cœur de la lutte pour les droits civiques des Noirs aux États-Unis -, a connu un tel succès. Mais comment est-il devenu un livre culte dans le monde entier? C’est que, tout en situant son sujet en Alabama dans les années 1930, Harper Lee a écrit un roman universel sur l’enfance. Racontée par Scout avec beaucoup de drôlerie, cette histoire tient du conte, de la short story américaine et du roman initiatique.
Couronné par le prix Pulitzer en 1961, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur s’est vendu à plus de 30 millions d’exemplaires dans le monde entier.

68 premières fois
Sélection anniversaire: le choix de Jean-Baptiste Andrea

Jean-Baptiste Andrea. Editions L'Iconoclaste. © vinciane verguethen/voyez-vous
Jean-Baptiste Andrea. Editions L’Iconoclaste. © vinciane verguethen/voyez-vous

Jean-Baptiste Andrea est né en 1971. Scénariste et réalisateur, il s’est révélé en tant qu’écrivain avec Ma reine (paru en 2017), qui a obtenu douze prix littéraires, dont le prix Femina des lycéens et le prix du Premier Roman. Avec Cent millions d’années et un jour, il a confirmé en 2019 son talent de prosateur hors-pair. (Source: Éditions L’Iconoclaste)

«Je ne sais pas quoi en dire, à part que ce livre m’a profondément marqué quand je l’ai lu. Il y a quelque chose d’insaisissable dans ses pages, une humanité qui le rend universel, d’innocence et de gravité. Accessoirement, j’adore l’idée d’une autrice qui n’a produit qu’un roman (j’ignore volontairement celui sorti à sa mort). Je me dis toujours qu’un écrivain a un certain nombre de livres en lui/elle et qu’il est inutile de se forcer à en faire plus. J’admire qu’elle ait su l’accepter. Mais tout ça, c’est du blabla, c’est un classique, c’est émouvant, c’est à lire!»

Les autres critiques
Babelio
Lecteurs.com
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MAZE Magazine (Anaïs Dinarque)
Télérama (Nathalie Crom)
France Inter (Ça peut pas faire de mal – Guillaume Gallienne)
ELLE 
L’influx
Le livre de poche 
Le blog de passion de lecteur 
Blog Tenseki
Blog Chapitre 11
Blog Oubli mon ami 
Blog Des pages pour s’envoler 

Bande-annonce du film Du silence et des ombres – To Kill a Mockingbird, adaptation du roman Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur de Harper Lee réalisée par Robert Mulligan, Oscar du meilleur scénario.

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« Mon frère Jem allait sur ses treize ans quand il se fit une vilaine fracture au coude mais, aussitôt sa blessure cicatrisée et apaisées ses craintes de ne jamais pouvoir jouer au football, il ne s’en préoccupa plus guère. Son bras gauche en resta un peu plus court que le droit ; quand il se tenait debout ou qu’il marchait, le dos de sa main formait un angle droit avec son corps, le pouce parallèle à la cuisse. Cependant, il s’en moquait, du moment qu’il pouvait faire une passe et renvoyer un ballon.
Bien des années plus tard, il nous arriva de discuter des événements qui avaient conduit à cet accident. Je maintenais que les Ewell en étaient entièrement responsables, mais Jem, de quatre ans mon aîné, prétendait que tout avait commencé avant, l’été où Dill se joignit à nous et nous mit en tête l’idée de faire sortir Boo Radley.
À quoi je répondais que s’il tenait à remonter aux origines de l’événement, tout avait vraiment commencé avec le général Andrew Jackson. Si celui-ci n’avait pas croqué les Creeks dans leurs criques, Simon Finch n’aurait jamais remonté l’Alabama et, dans ce cas, où serions-nous ? Beaucoup trop grands pour régler ce différend à coups de poing, nous consultions Atticus, et notre père disait que nous avions tous les deux raison.
En bons Sudistes, certains membres de notre famille déploraient de ne compter d’ancêtre officiel dans aucun des deux camps de la bataille d’Hastings. Nous devions nous rabattre sur Simon Finch, apothicaire de Cornouailles, trappeur à ses heures, dont la piété n’avait d’égale que l’avarice. Irrité par les persécutions qu’en Angleterre leurs frères plus libéraux faisaient subir à ceux qui se nommaient « méthodistes », dont lui-même se réclamait, Simon traversa l’Atlantique en direction de Philadelphie, pour continuer ensuite sur la Jamaïque puis remonter vers Mobile et, de là, jusqu’à St Stephens. Respectueux des critiques de John Wesley contre le flot de paroles suscitées par le commerce, il fit fortune en tant que médecin, finissant, néanmoins, par céder à la tentation de ne plus travailler pour la gloire de Dieu mais pour l’accumulation d’or et de coûteux équipages. Ayant aussi oublié les préceptes de son maître sur la possession de biens humains, il acheta trois esclaves et, avec leur aide, créa une propriété sur les rives de l’Alabama, à quelque soixante kilomètres en amont de St Stephens. Il ne remit les pieds qu’une fois dans cette ville, pour y trouver une femme, avec laquelle il fonda une lignée où le nombre des filles prédominait nettement. Il atteignit un âge canonique et mourut riche.
De père en fils, les hommes de la famille habitèrent la propriété, Finch’s Landing, et vécurent de la culture du coton. De dimensions modestes comparée aux petits empires qui l’entouraient, la plantation se suffisait pourtant à elle-même en produisant tous les ingrédients nécessaires à une vie autonome, à l’exception de la glace, de la farine de blé et des coupons de tissu, apportés par des péniches remontant de Mobile.
Simon eût considéré avec une fureur impuissante les troubles entre le Nord et le Sud qui dépouillèrent ses descendants de tous leurs biens à l’exception des terres. Néanmoins ils continuèrent à vivre de la terre jusqu’au XXe siècle, époque où mon père, Atticus Finch, se rendit à Montgomery pour y faire son droit, et son jeune frère à Boston pour y étudier la médecine. Leur sœur, Alexandra, fut la seule Finch à rester dans la plantation : elle épousa un homme taciturne qui passait le plus clair de son temps dans un hamac au bord de la rivière, à guetter les touches de ses lignes.
Lorsque mon père fut reçu au barreau, il installa son cabinet à Maycomb, chef-lieu du comté du même nom, à environ trente kilomètres à l’est de Finch’s Landing. Il occupait un bureau tellement petit, à l’intérieur du tribunal, qu’il put à peine y loger un porte-chapeaux, un crachoir, un échiquier et un code de l’Alabama flambant neuf. Ses deux premiers clients furent les deux derniers condamnés à la pendaison de la prison du comté. Atticus leur avait conseillé d’accepter la générosité de l’État qui leur permettait de plaider coupables de meurtre au second degré et de sauver ainsi leur tête, mais c’étaient des Haverford, nom devenu synonyme de crétin dans le comté de Maycomb. À cause d’un malentendu provoqué par la détention a priori injustifiée d’une jument, ils avaient commis l’imprudence de descendre le meilleur maréchal-ferrant de la ville devant trois témoins, et ils crurent pouvoir se défendre en affirmant que « ce salaud ne l’avait pas volé ». Ils persistèrent à plaider non coupables de meurtre au premier degré, aussi Atticus ne put-il faire grand-chose pour eux, si ce n’est d’assister à leur exécution, événement sans doute à l’origine de la profonde aversion de mon père envers le droit pénal.
Durant ses cinq premières années à Maycomb, il réduisit ses dépenses ; ensuite, pendant plusieurs années, il consacra ses économies aux études de son frère. John Hale Finch avait dix ans de moins que lui et opta pour la médecine en un temps où le coton ne rapportait plus assez pour valoir la peine d’être cultivé ; mais, après avoir placé oncle Jack sur les rails, Atticus tira des revenus convenables de la pratique du droit. Il se plaisait à Maycomb, chef-lieu du comté qui l’avait vu naître et grandir ; il en connaissait les habitants qui le connaissaient eux aussi et devait à Simon Finch de se retrouver lié, par le sang ou par mariage, avec à peu près toutes les familles de la ville.
Quand je vins au monde, Maycomb était déjà une vieille ville sur le déclin. Par temps de pluie, ses rues se transformaient en bourbiers rouges ; l’herbe poussait sur les trottoirs, le tribunal s’affaissait. Curieusement, il faisait plus chaud à l’époque : les chiens supportaient mal les journées d’été ; les mules efflanquées, attelées aux carrioles Hoover, chassaient les mouches à coups de queue à l’ombre étouffante des chênes verts sur la place. Les cols durs des hommes se ramollissaient dès neuf heures du matin. Les dames étaient en nage dès midi, après leur sieste de trois heures et, à la tombée de la nuit, ressemblaient à des gâteaux pour le thé, glacés de poudre et de transpiration.
Les gens se déplaçaient lentement alors. Ils traversaient la place d’un pas pesant, traînaient dans les magasins et devant les vitrines, prenaient leur temps pour tout. La journée semblait durer plus de vingt-quatre heures. On ne se pressait pas, car on n’avait nulle part où aller, rien à acheter et pas d’argent à dépenser, rien à voir au-delà des limites du comté de Maycomb. Pourtant, c’était une période de vague optimisme pour certains : le comté venait d’apprendre qu’il n’avait à avoir peur que de la peur elle-même.
Nous habitions la principale rue résidentielle, Atticus, Jem et moi, ainsi que Calpurnia, notre cuisinière. Jem et moi étions très satisfaits de notre père : il jouait avec nous, nous faisait la lecture et nous traitait avec un détachement courtois.
Calpurnia, c’était une autre histoire : toute en angles et en os, elle était myope et louchait, elle avait les mains larges comme des battoirs et deux fois plus dures. Elle passait son temps à me chasser de la cuisine, à me demander pourquoi j’étais incapable de me conduire aussi bien que Jem, alors qu’elle savait pertinemment qu’il était plus âgé que moi, à m’appeler pour rentrer à la maison quand je n’en avais pas envie. Nos algarades épiques s’achevaient toujours de la même manière : elle gagnait, parce qu’Atticus prenait toujours sa défense. Elle travaillait chez nous depuis la naissance de Jem et, d’aussi loin que je me souvienne, j’avais senti peser sur moi sa présence tyrannique.
J’avais deux ans à la mort de notre mère, aussi ne me manquait-elle pas. C’était une Graham, de Montgomery ; Atticus l’avait rencontrée lorsqu’il avait été élu pour la première fois à la Chambre des représentants de l’État. Il approchait la cinquantaine, il avait quinze ans de plus qu’elle. Jem fut le fruit de leur première année de mariage. Je naquis quatre ans plus tard et notre mère mourut d’une crise cardiaque deux ans après. Il paraît que c’était fréquent dans sa famille. Contrairement à moi, Jem en a souffert, je crois. Il se souvenait bien d’elle et parfois, en plein jeu, il poussait un long soupir et s’en allait jouer tout seul derrière le garage. Dans ces moments-là, je préférais ne pas l’ennuyer. »

Extraits
« Deux ères géologiques plus tard, nous entendîmes les chaussures d’Atticus racler les marches de la véranda. La porte grillagée claqua, il y eut une pause – il s’arrêta devant le porte-chapeaux dans l’entrée – et nous l’entendîmes appeler : « Jem ! », d’une voix glacée comme le vent d’hiver.
Il alluma le lustre du salon et nous trouva là, pétrifiés. Dans une main, il tenait mon bâton, dont le pompon jaune et sale traînait sur le tapis. Il tendait l’autre main, elle était pleine de boutons de camélias. Jem ! C’est toi qui as fait ça ?
– Oui, père.
– Pourquoi ?
– Parce que, répondit Jem doucement, elle a dit que tu défendais les nègres et la racaille.
– Et c’est pour cette raison que tu t’es conduit de la sorte ?
Jem remua les lèvres mais son « oui, père » fut inaudible.
– Mon garçon, je ne doute pas que tu sois agacé par les remarques des gens de ton âge sur le fait que, comme tu dis, je défende les nègres, mais faire une chose pareille à une vieille dame malade est inexcusable. Je te conseille fortement d’aller voir immédiatement Mrs Dubose et de lui parler. Reviens directement à la maison après.
Jem ne bougea pas.
– Je t’ai dit d’y aller !
Je suivis Jem quand il sortit.
– Reviens ici, toi ! me dit Atticus.
Je revins.
Atticus prit The Mobile Press et s’assit dans le fauteuil à bascule que Jem venait d’abandonner. Je ne comprenais absolument pas comment il pouvait rester là, à lire tranquillement le journal alors que son fils unique courait le risque d’être abattu par une relique de l’armée confédérée. (…)
– Ne te fais donc pas de souci pour lui. Je n’aurais jamais cru que ce serait Jem qui perdrait ainsi son calme pour cette affaire. Je pensais que ce serait toi qui me causerais le plus de souci.
Je dis que je ne voyais pas pourquoi nous devions absolument conserver notre sang-froid ; personne à l’école n’y était tenu. (…)
– Atticus, tu dois te tromper… ?
– Comment cela ?
– Eh bien, la plupart des gens semblent penser qu’ils ont raison et toi non…
– Ils ont tout à fait le droit de le penser et leurs opinions méritent le plus grand respect, dit Atticus, mais avant de vivre en paix avec les autres, je dois vivre en paix avec moi-même. La seule chose qui ne doive pas céder à la loi de la majorité est la conscience de l’individu. »

« Avant de vivre avec les autres, je dois vivre avec moi-même. La conscience est la seule chose qui ne doit pas s’adapter au vouloir de la majorité. »

« Je voudrais que tu comprennes ce qu’est le vrai courage. C’est savoir que tu pars battu d’avance, et malgré cela, agir quand même et tenir jusqu’au bout. »

« Vous ne comprenez jamais vraiment une personne tant que vous n’aurez pas considéré les choses de son point de vue… Jusqu’à ce que vous ayez grimpé à l’intérieur de sa peau et que vous y marchiez. »

« Atticus avait raison. Il avait dit un jour qu’on ne connaissait vraiment un homme que lorsqu’on se mettait dans sa peau. Nous eûmes la confirmation que l’imprévu pouvait surgir de partout. »

« (Mr Underwood) se contentait de dire que c’était un péché de tuer des infirmes, qu’ils soient debout, assis ou en train de s’évader. Il comparait la mort de Tom au massacre absurde des oiseaux chanteurs par les chasseurs et les enfants… »

« Atticus disait parfois que le meilleur moyen de vérifier si un témoin mentait ou disait la vérité consistait à l’écouter au lieu de le regarder. »

« Tirez sur tous les geais bleus que vous voudrez, si vous arrivez à les toucher, mas souvenez-vous que c’est un péché de tuer un oiseau moqueur. »

« Notre père ne faisait rien. Il n’était pas fermier ni garagiste ni quoi que ce soit susceptible de soulever l’admiration. Il ne faisait pas ce que faisaient les pères de nos camarades : il n’allait jamais à la chasse ni à la pêche, il ne jouait pas au poker, ne buvait pas, ne fumait pas. Il restait à lire au salon. Pour autant, il ne passait pas aussi aperçu que nous le souhaitions : cette année-là, l’école bourdonnait de discussions sur le fait qu’il allait défendre Tom Robinson et ce n’était jamais pour en dire du bien. On se donnait le mot: «Finch est l’ami des nègres! »

À propos de l’auteur
Nelle Harper Lee dite Harper Lee est une écrivaine américaine née le 28 avril 1926 à Monroeville dans l’Alabama et morte le 19 février 2016 dans la même ville.
Après ses études secondaires au lycée de Monroeville, Harper entre à la Faculté Huntingdon de Montgomery (Alabama) où elle reste un an avant d’entrer en Faculté de Droit. C’est là qu’elle commence à écrire pour quelques journaux étudiants, et qu’elle est pendant une année éditeur du journal satirique du campus Rammer-Jammer. Bien qu’elle n’obtienne pas de diplôme, elle part ensuite pour Oxford, puis revient s’installer à New York en 1950.Lee Harper travaille quelque temps à New York comme employée de bureau d’une compagnie aérienne, où elle se charge des réservations.
Mais bientôt elle décide de se lancer dans une carrière d’écrivain, avec le soutien moral et financier de ses amis. Truman Capote l’entraîne en 1959 dans l’écriture d’un roman sur un quadruple meurtre, qui va devenir De sang-froid. Elle l’accompagne à Holcomb (Kansas) pour l’aider dans ses recherches. Elle l’assiste pendant les entretiens, jouant notamment un rôle apaisant auprès de ceux qui étaient surpris de la personnalité excentrique de Capote. Capote la cite en la remerciant pour son « travail de secrétaire » et lui dédie le roman, ainsi qu’à son amant Jack Dunphy.
Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, paru en 1959, est un succès immédiat, et il est couronné par le Prix Pulitzer en 1961. Plaidoyer pour la justice, le roman paraît à l’époque où la reconnaissance des droits civiques des afro-américains, et notamment l’abolition de la discrimination de facto dans des établissements d’enseignement provoque des manifestations conservatrices violentes. Le roman est adapté au cinéma sous le titre Du Silence et des Ombres en 1962.
Lee Harper cesse ensuite de publier des romans. Quelques articles et essais paraissent sous sa signature, entre autres dans Vogue. Son silence et sa très grande discrétion depuis la parution de son unique livre alimentent les rumeurs, d’autant qu’elle aurait déclaré s’être mise à la rédaction d’un second roman, peu après Ne tirez pas sur l’oiseau-moqueur. Les bruits courent parmi ses admirateurs qu’elle aurait écrit plusieurs romans, sans en publier aucun, ou qu’elle aurait continué à publier sous un pseudonyme. (Source: Babelio)

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L’île aux enfants

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Prix littéraire des jeunes européens 2020

En deux mots:
En 1963 deux filles sont enlevées à La Réunion, victimes d’un trafic d’enfants à grande échelle. Près de 35 ans après, la fille de l’une d’elle décide d’enquêter pour connaître la vérité sur ses origines.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Pour Pauline, Clémence, et les autres…

Ariane Bois nous montre qu’un arbre généalogique peut receler bien des arrangements avec la vérité. Caroline, qui enquête sur les origines de sa grand-mère, va retrouver L’île aux enfants. Émouvant et révoltant!

Pauline et Clémence sont chez leur grand-mère à La Réunion, attendant de pouvoir retrouver leur mère hospitalisée. Elles sont bien loin de se douter qu’elles ne la reverront plus jamais. En ce jour funeste de 1963 une voiture rouge déboule, des hommes en sortent qui ceinturent les deux filles de 6 et 4 ans et les conduisent dans un pensionnat où elles vont passer quelques jours avant de prendre un avion pour la France.
Après un voyage en car les deux sœurs sont séparées et confiées à différentes familles. Pauline se retrouve chez un couple d’agriculteurs du côté de Guéret. Dans son malheur, elle trouve un peu de réconfort auprès de Gaëtan, un autre enfant déplacé et traité comme un esclave. Mais son séjour ne sera que de courte durée car l’assistante sociale choisit ses «nouveaux parents», Martine et Jean-Paul Gervais ainsi que son «nouveau frère», Aymeric, neuf ans. Une famille qu’elle a failli ne pas connaître puisqu’elle est hospitalisée dès son arrivée pour une encéphalite qui manque de l’emporter. Mais elle va s’en sortir et s’adapter sans vraiment comprendre, devenant Isabelle, la bonne élève victime de quolibets racistes.
Les années passent, paisibles jusqu’à ce jour de 1974 où elle trouve les papiers d’adoption et cette vérité qu’on lui avait soigneusement cachée. À la colère va succéder la dépression. Puis la fuite.
Ariane Bois confie la suite de l’histoire à Caroline, la fille d’Isabelle, désormais installée à Clermont-Ferrand où, après des études en journalisme, elle est stagiaire à La Montagne. Cette nouvelle narratrice veut en savoir davantage sur sa famille et sur ses grands-parents biologiques, intriguée par une l’émission de radio qui raconte qu’ «Entre 1963 et 1982, plus de mille six cents enfants ont été arrachés à leur île, La Réunion, à leurs familles, à leurs racines. Ces mineurs, dont certains n’étaient que des bébés, furent transférés dans notre région, la Creuse. Devenus adultes, certains s’interrogent aujourd’hui sur ce qui a pu motiver un tel exil forcé.»
Commence alors une enquête difficile pour essayer de comprendre ce qui s’est passé, pour retrouver cette histoire soigneusement cachée. Une exploration où se mêle incompréhension, indignation et culpabilité, à la fois pour la fille et la mère: «En grattant la couche de passé, n’ai-je pas ouvert un gouffre où nous allons glisser toutes les deux?»
Ariane Bois, que je découvre avec ce roman, conduit son récit de manière dynamique, sans temps morts. Elle reste au plus près de ses personnages, sans fioritures et sans verser dans le larmoyant. Les faits, rien que les faits, qui sont déjà tellement forts pour qu’il ne faille pas en rajouter. En creusant cette histoire familiale, elle met à jour des pratiques que l’on imaginait d’un autre temps. Son roman entre fortement en résonnance avec le mouvement black lives matter et nous rappelle que la discrimination entre citoyens d’un même pays – notamment du fait de leur couleur de peau – n’est pas l’apanage des Américains. Malheureusement!

L’île aux enfants
Ariane Bois
Éditions Charleston poche
Roman
220 p., 7,50 €
EAN 9782368125229
Paru le 27/05/2020

Où?
Le roman se déroule en France, d’abord à la Réunion, vers Le Tampon et Saint-Denis, puis en métropole après des escales à Madagascar et Djibouti. On y parcourt la région de La Brionne, Guéret, Limoges et Montluçon. Les promenades dominicales passent par Saint-Léger-le-Guérétois, Saint-Silvain, Montaigut, Gartempe, Saint-Vaury. On y évoque aussi des vacances à la Grande-Motte.

Quand?
L’action se situe de 1963 à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Pauline, six ans, et sa petite sœur Clémence coulent des jours heureux sur l’île qui les a vues naître, la Réunion. Un matin de 1963, elles sont kidnappées au bord de la route et embarquent de force dans un avion pour la métropole, à neuf mille kilomètres de leurs parents. À Guéret, dans la Creuse, elles sont séparées.
1998 : quelques phrases à la radio rouvrent de vieilles blessures. Frappée par le silence dans lequel est murée sa mère, Caroline, jeune journaliste, décide d’enquêter et s’envole pour la Réunion, où elle découvre peu à peu les détails d’un mensonge d’État.
À travers l’évocation de l’enlèvement méconnu d’au moins deux mille enfants réunionnais entre 1963 et 1982, dans le but de repeupler des départements sinistrés de la métropole, Ariane Bois raconte le destin de deux générations de femmes victimes de l’arbitraire et du secret. L’histoire d’une quête des origines et d’une résilience, portée par un grand souffle romanesque.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Page des libraires (Maria Ferragu, Librairie Le Passeur de l’Isle, L’Isle-sur-la-Sorgue)
La Cause littéraire (Patryck Froissart)
RFI(Sylvie Koffi)
Blog My pretty books 
Blog Cousines de lectures
Blog Miscellanées 


Entretien avec Ariane Bois à l’occasion de la rencontre entre l’auteur et les lecteurs de Babelio.com le 7 juin 2019 à propos de L’île aux enfants © Production Babelio

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« 3 novembre 1963
— Ah non ! À mon tour de jouer avec la toupie, proteste Clémence.
La petite tend une main impérieuse vers le jouet que sa sœur a fabriqué avec une graine de litchi et une allumette.
— Avance, plutôt : cette fois, je ne te porterai pas, répond celle-ci d’un air faussement sévère.
Pauline ne peut rien refuser à Clémence, c’est ainsi depuis sa naissance.
Comme chaque jour, les fillettes cheminent vers la rivière du Mât avec leurs seaux vides. Aller chercher l’eau, la rapporter sans renverser une goutte, voilà leur tâche. À la case, tout le monde travaille. Leur père coupe la canne à sucre à grands coups de sabre partout dans l’île, ne revenant que le dimanche, et en pleine saison seulement une fois par mois. À chacun de ses retours, ses mains calleuses chatouillent les filles en guise de bonjour ; et le soir, à la lueur de la lampe à pétrole, leur mère veille tard à ôter les échardes et les dards qui s’y sont nichés. Papa parle fort, aime son « rhum arrangé» et dévore son assiette avant d’en réclamer une autre. C’est en tout cas l’impression des filles, qui adorent jouer sur ses genoux ou grimper sur son dos en le suppliant de « faire le cheval ».
Leur mère s’emploie comme blanchisseuse chez les riches, quand sa santé le lui permet. « Monmon », comme on l’appelle, respire mal, reste souvent couchée dans le noir, si frêle que son corps bosselle à peine la nasse lui servant de lit. Même ici, dans les Hauts, où l’air est plus frais, plus sain, elle cherche l’oxygène tel un poisson échoué au bord de la rivière. Elle se trouve à l’hôpital depuis deux semaines. Quand elle s’était plainte de maux de ventre, Pauline et Clémence avaient espéré qu’elle reviendrait avec un bébé, comme les voisines, mais le médecin avait tordu le nez, prononcé un drôle de mot, « péritonite », avant d’aller chercher une ambulance. Depuis, les filles attendent leur mère.
Par chance, il y a Gramoune, leur grand-mère, avec son visage altier raviné de rides, sa tête auréolée d’une opale noueuse qu’elle relève sur son cou, et l’odeur de beignets dont elle semble se parfumer. En cette heure, elle doit trier le riz, composer les marmites du repas du soir dans la cour, le cœur de la maison. Ce cœur s’étend au potager, où des poules et des chèvres vivent en gentils serviteurs. Aux rares moments où leur Gramoune ne s’affaire pas, elle emmène les gamines prier saint Expédit. La Réunion fourmille de petits oratoires rouges édifiés en son honneur, garnis de fleurs artificielles et d’ex-voto. On vient demander au saint un mari, un travail, un bébé ou qu’une mère époumonée retrouve la santé et revienne à la maison.
Aujourd’hui, Pauline et Clémence vont veiller à rapporter assez d’eau. Hier soir, quand la nuit s’est abattue avec sa rapidité d’ici, la famille Rivière s’est rendue à un bal-mariage. Une invitation attendue par tous. On avait dansé en rond, même Mémé Gramoune au son du sega et du maloya. Les adultes avaient beaucoup bu, s’étaient frottés les uns aux autres avec ce qui ressemblait à de la férocité. Les enfants n’en perdaient pas une miette de beignets de banane. On fêtait la fin de la pluie, un prétexte, mais c’est un fait, il avait plu une semaine d’affilée et, même en ces premiers jours de novembre, c’est-à-dire en plein été, c’était inhabituel. Au début, les averses diluviennes étaient les bienvenues, les enfants couraient joyeusement, se lavaient sous les gouttières, jouaient avec les grosses gouttes d’argent, mais quand les nuages explosaient dans le ciel, un déluge s’abattait sur les maisons, s’infiltrait sous les toits, inondait les pièces, et la malédiction commençait. La pluie formait un mur, une masse qui cognait inlassablement contre le toit de la case. La terre entière semblait hurler de terreur. La famille se retranchait à l’intérieur, épouvantée par ce fracas ruisselant, à l’affût du moindre craquement suspect. Quand la case tremblait, on craignait un phénomène pareil aux coulées de lave : on avait vu des maisons s’effondrer d’un coup. Et pourtant, tout cela n’était rien comparé aux cyclones. Ceux-ci étaient chez eux sur l’île et, quand ils s’invitaient, il fallait se cacher, s’agripper au lit et affronter l’ogre. Sous le choc, les arbres s’arrachaient à la terre dans un vacarme atroce. Chaque cyclone, disait-on par ici, cachait un esprit malveillant envoyé pour punir les hommes.
La dernière fois, la case avait tenu par miracle au milieu des citronniers et des bananiers. Quand ils étaient sortis, le sol fumait à cause de l’humidité. Le manguier dans la cour paraissait nu, déshabillé de ses feuilles, de ses fruits, qui la veille encore semblaient supplier qu’on les cueille pour soulager les branches qui pliaient sous leur poids.

— Dis, on la voit quand, Monmon ?
— Bientôt, ne t’inquiète pas.
En réalité, Pauline n’en sait rien, c’est une affaire de grands. Mais elle rassure sa cadette et la distrait comme elle peut. À la rivière, la plus large de l’île, où d’autres enfants s’éclaboussent dans l’eau si claire, c’est facile. On pêche avec un clou en guise d’hameçon, on s’amuse à faire des ricochets ou à titiller les sensitives, ces plantes timides, d’un rose pâle, qui poussent au bord des routes et se rétractent sous les doigts. Quand la faim les tenaille, les filles se jettent sur les litchis. Leur chair tendre et doucereuse dégouline alors sur le menton, délice à renouveler jusqu’à ce que le ventre crie grâce. Aujourd’hui, Pauline en a avalé une trentaine, son record. Elle l’ignore, mais il lui faudra attendre des décennies avant de sentir à nouveau la pulpe de ce fruit tapisser son palais. Car de ce 3 novembre 1963 date leur dernier moment d’innocence, le « temps d’avant ».
— Allez, on doit vraiment y aller, s’énerve Pauline. Soulève ton seau et fais bien attention!
Le retour est toujours plus pénible, avec l’anse en fer qui blesse les paumes et le soleil blanc qui brûle les épaules. Dans l’après-midi phosphorescent, les cheveux de Pauline semblent crépiter. On la remarque de loin, cette cafrine, noire d’origine, mais héritière d’une peau pain d’épice ambrée léguée par quelque ancêtre blanc, avec son sourire en étendard, ses yeux à l’iris vert mousse moiré et d’invraisemblables cheveux crépus aux boucles couleur maïs tressautant à chaque mouvement. « La fille Rivière, elle ira loin », murmurait-on sur son passage. Clémence, à la peau cuivrée, au visage rond et poupin, à la chevelure semblable à de la laine emmêlée, laissait plus indifférent.
Soudain, sur la route bordée d’hibiscus rouges, Pauline perçoit un bruit de moteur caractéristique qui se rapproche. Elle crie à sa sœur de se cacher, mais devant elle Clémence poursuit sa route, chantonne sans l’entendre. Dissimulée derrière un arbre, pétrifiée, Pauline se met alors à trembler. Cette voiture, c’est la 2 CV camionnette rouge, dite loto rouz, celle dont tout le monde dans l’île sait qu’il ne faut pas s’approcher, comme si elle était hantée.
— Clémence !
La camionnette ralentit à hauteur de la petite, une portière s’ouvre, un bras musclé l’arrache à la terre, en faisant valser son seau dans une gerbe d’eau. Un homme sort de l’habitacle et jette sa proie à l’arrière du véhicule.
Effrayée mais prête à tout pour sauver sa sœur, Pauline quitte son abri. Une femme, une zoreille à en juger par ses habits impeccables, l’interpelle :
— Bonjour, toi, koman i lé?
Tiens, l’inconnue sait le créole, mais les sonorités paraissent différentes, les lettres roulent dans la gorge de façon bizarre.
Elle fait un pas, puis deux, et le garde-chasse – c’est lui, elle le reconnaît – la saisit aux épaules, la pousse à l’intérieur, en refermant presque la portière sur elle. Piégée comme libellule dans un bocal. En pleurs, Clémence s’accroche à sa sœur, effrayée par la brutalité du type et les rugissements poussifs de la camionnette – c’est leur premier voyage en voiture. Derrière la vitre latérale, Pauline voit des cases défiler, mais aussi des maisons blanches ou pastel, aussi élégantes que leurs varangues. Elle crierait si sa gorge n’était pas si sèche. À un moment, l’automobile ralentit, stoppe, sa portière arrière s’ouvre, et l’homme enfourne à l’intérieur un autre enfant tenant un cerf-volant en feuille de coco. Tétanisé, le petit malbar se blottit contre elles. Bientôt, une odeur de pipi émane de lui. Écœurée par ce remugle, chahutée par les virages de la route, Pauline sent la nausée l’envahir. À côté d’elle, le petit corps de Clémence vibre et son haleine tiède lui souffle au visage.
Où les emmène-t-on ?
Jamais, paraît-il, on ne revoit les enfants capturés par la voiture rouge… »

Extraits
« — Réveillez-vous, allez, debout. Aujourd’hui, nous avons une surprise !
Pauline ouvre les yeux à regret, quitte ce rêve où elle accompagnait son père à un combat de coqs. Les hommes, surexcités, hurlaient le nom de leur champion, et les animaux, encouragés ou affolés par les voix humaines, se jetaient l’un sur l’autre dans une fureur de plumes, de becs, de crêtes ensanglantées. Gramoune désapprouvait un tel spectacle pour une enfant, mais Pauline était subjuguée par la peur, la sauvagerie de la scène, mêlées à la joie d’accaparer son père, l’espace d’un moment.
— C’est une grande nouvelle, les enfants, vous avez de la chance. Vous allez partir en vacances en France !
Les enfants rassemblés dans le réfectoire se regardent, stupéfaits.
— Vous verrez la tour Eiffel, vous vous rendez compte ?
Clémence tire la manche de sa sœur.
— Dis, c’est où, la France ?
Pauline songe aux murs de la case où leur mère avait scotché des photos de monuments parisiens, l’Arc de triomphe, le Panthéon, les quais de Seine, à côté de publicités récupérées dans des vieux magazines, gondolées par le soleil ou la pluie, montrant des femmes à la peau pâle si maquillées qu’on les aurait dites peintes, évadées de quelque tableau de maître.
Pauline partage l’excitation générale, s’y coule, même si tout cela lui échappe, lui paraît irréel : qu’en diront Papa et Maman ? Pourquoi ne partent-ils pas tous ensemble ? Le monde semble soudain incompréhensible, sorti de ses gonds. Elle oscille entre un abattement qu’elle s’efforce de cacher à sa sœur et des accès de nervosité qui lui vrillent l’estomac. Autour d’elle, les enfants hurlent de joie. »

« Est-ce ma faute? Suis-je responsable de son état? En grattant la couche de passé, n’ai-je pas ouvert un gouffre où nous allons glisser toutes les deux? La culpabilité palpite au rythme de mon cœur. Alors je parle trop, papillonnant d‘un sujet à l’autre, tentant de lui arracher un sourire, un éclair, l’obligeant à manger un peu, dans l‘espoir qu’elle se remplume. » p. 106

À propos de l’auteur
Ariane Bois est romancière, grand reporter et critique littéraire. Elle est l’auteur récompensée par sept prix littéraires de: Et le jour pour eux sera comme la nuit (Ramsay, 2009), Le Monde d’Hannah (Robert Laffont, 2011), Sans oublier (Belfond, 2014), Le Gardien de nos frères (Belfond, 2015). Après Dakota song (Belfond, 2017), L’île aux enfants est son sixième roman. (Source: Éditions Belfond)

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San Perdido

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En deux mots:
Un petit garçon trie des ordures dans une décharge de San Perdido au Panama. Sa force et sa volonté peu communes vont le conduire à devenir le défenseur du peuple, le vengeur des turpitudes et trafics des dirigeants d’un pays dont la corruption est un sport national.

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Dans les pas du superman du Panama

Le souffle de l’épopée, une thématique actuelle, un héros hors du commun: le voyage au Panama que nous propose David Zukerman avec son premier roman ne se refuse pas!

« À San Perdido, tout le monde connaît Yerbo Kwinton. Son nom est désormais légendaire. Les enfants qui jouent au milieu des rues à s’éclabousser dans les canalisations crevées peuvent réciter des fragments entiers de sa vie et reproduisent partout sa marque en appliquant leur paume humide sur les murs lézardés. » Dès les premières lignes de ce magnifique premier roman David Zukerman ne nous cache du destin de Yerbo Kwinton. Ce faisant, il parvient à ferrer son lecteur, avide de savoir comment ce petit garçon qui débarque un jour sur un tas d’ordures va devenir le super-héros de tous les sans-grades de ce petit port du Panama.
Felicia, qui a installé sa cabane à même la décharge est la première à être envoûtée par le regard du gamin, par sa force, par ses mains larges et musculeuses qui lui permettent de travailler vite et bien. Elle va le surnommer La Langosta «car ses mains sont comme des pinces». La ténacité et le culot de La Langosta vont aussi impressionner Tonino qui pourtant en en va bien d’autres. Le ferrailleur finira par accepter les conditions de l’enfant, d’autant plus habile négociateur qu’il est muet.
Felicia va le voir grandir, devenir un adolescent d’un mètre quatre-vingts. «En 1952, La Langosta a seize ans. «Son calme et la profondeur de son regard trop clair le vieillissent. Son silence le pare d’une auréole de sagesse, son sérieux est le gage d’un caractère mûr.»
Lui qui disparaît quelquefois pour rejoindre la baie de Port Sangre a déjà un premier fait d’armes à son actif. Il a puni Benito, un petit malfrat qui entendait le priver d’une partie de ses gains et déjà gagné le respect de toute une bande de jeunes.
Très vite, il va se placer du côté des sans-grades, de ceux qui jour après jour luttent pour quelques balboas, la monnaie panaméenne. Il quitte la décharge comme il est venu, travaille sur les docks et sur les chantiers où il doit aussi se battre contre les injustices et les traitements dégradants. Sa forte poigne fait plier les petits chefs avides de pouvoir. «C’est au cours des mois suivants que va apparaître le jeu de la «Mano». Il se répand sur les quais, puis dans les bars de Port-Sangre. Plus simple encore que le bras de fer que pratiquent les marins du monde entier, il devient rapidement une des attractions de San Perdido.»
En 1955 La Langosta étrenne le nom de Yerbo Kwinton et impressionne tous ceux qu’il croise. Il a déjà réglé son compte à un violeur et assassin d’une fillette et croisé le regard de Hissa, adolescente vendue à la tenancière d’une maison close. Il va aussi se frotter aux trafiquants et aux politiques corrompus.
Dans cette seconde partie du livre David Zukerman ne nous cache rien des ravages d’un pouvoir autocratique, d’une corruption généralisée, des exactions d’une caste bien décidée à conserver privilèges et gains.
Au sommet de cette pyramide le gouverneur Lamberto peut à peu près tout se permettre, notamment assouvir son appétit sexuel avec toutes les femmes qu’il juge digne d’accueillir son membre turgescent. Une frénésie qu’il va toutefois devoir réfréner, après le diagnostic du docteur Portillo-Lopez: sa blennorragie touche les actrices, les chanteuses, les cuisinières, les secrétaires et autres professionnelles et s’étend ainsi de manière galopante.
C’est sous le regard intéressé de son conseiller Carlos Hierro que le gouverneur va modifier ses pratiques sexuelles et découvrir la belle Hissa, provoquant la fureur de Yumna, son amante régulière installée au Palais et qui déployait avec ardeur tout son potentiel érotique. Fureur qui ne se calmera qu’une fois sa soif de vengeance assouvie.
Comme autant de rivières souterraines qui finissent par se rejoindre pour former un fleuve qui va jaillir et tout emporter, Yerbo va retrouver Hissa dans un final éblouissant consacrant d’emblée David Zukerman comme un conteur hors pair.

San Perdido
David Zukerman
Éditions Calmann-Lévy
Roman
450 p., 19,90 €
EAN 9782702163696
Paru le 02/01/2019

Où?
Le roman se déroule au Panama, dans une petite ville portuaire baptisée San Perdido

Quand?
L’action se situe de 1943 à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Qu’est-ce qu’un héros, sinon un homme
qui réalise un jour les rêves secrets
de tout un peuple?
Un matin de printemps, dans la décharge à ciel ouvert de San Perdido, petite ville côtière du Panama aussi impitoyable que colorée, apparaît un enfant noir aux yeux bleus. Un orphelin muet qui n’a pour seul talent apparent qu’une force singulière dans les mains.
Il va pourtant survivre et devenir une légende. Venu de nulle part, cet enfant mystérieux au regard magnétique endossera le rôle de justicier silencieux au service des femmes et des opprimés et deviendra le héros d’une population jusque-là oubliée de Dieu.

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PAGE des libraires (Béatrice Putégnat)

INCIPIT (Les premières pages du livre)
« À San Perdido, tout le monde connaît Yerbo Kwinton. Son nom est désormais légendaire. Les enfants qui jouent au milieu des rues à s’éclabousser dans les canalisations crevées peuvent réciter des fragments entiers de sa vie et reproduisent partout sa marque en appliquant leur paume humide sur les murs lézardés. « La Mano ! » crient-ils de leurs voix claires, et les petits vendeurs ambulants qui proposent des cassettes de Bob Marley ou de Tito Ramon reprennent le même appel. « La Mano ! La Mano ! » Pour quelques balboas, ils peuvent fournir également des enregistrements du poète Manuel Diaz déclamant l’odyssée de Kwinton, longue de mille vers libres.
Les marchandes de fleurs qui sillonnent le front de mer chaque matin avec leurs paniers emplis de jasmin et d’œillets noirs savent aussi l’histoire. La nuit venue, elles s’agenouillent dans les bordels de la place Dorée, excitant les clients en leur racontant comment Kwinton croisa un jour leur propre mère, la brûlant avec la glace de ses yeux. « Oui, mon amour, tu as le même regard. Tue pour moi ! Tue et je t’aimerai ! » chantent-elles lorsque les hommes s’accroupissent sur elles, rêvant qu’ils sont Kwinton. Et dans les bars louches du port, il y a toujours un tenancier complaisant capable de vous installer à la table que La Mano occupa jadis. « Mon père lui apportait un verre de porto blanc bien frais. »
Et c’est sans compter sur les chauffeurs de taxi qui proposent tous le même itinéraire lorsqu’ils chargent les touristes en mal de sensations fortes. Ils l’appellent « la route de Kwinton ». Elle passe par le boulevard Salvación, tourne devant la statue de Carlos Hierra, seizième gouverneur, qui croisa un jour le chemin de Kwinton, puis elle rejoint la rue des Pleureuses et sort de la ville par le boulevard des Négriers qui serpente à flanc de montagne.
Bientôt, les touristes enfouissent leur nez dans leur mouchoir et plissent les yeux de dégoût. Devant eux, s’étend la décharge publique qui coupe San Perdido en deux, comme une plaie humide et purulente. On dit que les pauvres l’ont placée là pour ne pas sentir la mauvaise odeur des riches qui vivent au-dessus d’eux. C’est ici que Kwinton passa une partie de sa vie, avec la Ghanéenne qui surveillait la décharge, classant les ordures, veillant à ce que les enfants affamés fouillent chacun leur tour parmi les fruits pourris et les viandes déjà vertes, leur interdisant d’éventrer les sacs de l’hôpital San Liguori à la recherche de médicaments périmés, de flacons d’éther ou de seringues usagées.
Puis les taxis empruntent la voie Palatina, que les pauvres surnomment « Ton Élégance pourrie », pour accéder au plateau Del Sol où se dressent les villas que dissimulent les bougainvilliers, les eucalyptus et les palmiers. Ils passent lentement devant les éclairs de marbre rose, de stuc et de granit qui percent çà et là la végétation de jardins si haut perchés que les effluves de la décharge ne peuvent les atteindre. Oui, c’est contre eux que se dressait La Mano, ces riches désespérément repus qui se dépêchaient d’oublier qu’ils l’avaient croisé, tellement ils redoutaient son pas silencieux.
Les taxis redescendent ensuite vers la place Dorée où Kwinton rôdait chaque nuit, hantant le coin le plus sombre des salles enfumées, derrière les rideaux de perles ou les tentures cramoisies des bordels qui, déjà à l’époque, ne désemplissaient pas, là où il croisa la belle H, celle qui dans son sommeil rêvait de son sourire.
Oui, pour quinze balboas, les touristes ont droit à l’autre histoire de San Perdido, celle dont les attachés d’ambassade rient avec condescendance lorsqu’au cours d’un dîner officiel un porte-parole américain ou anglais évoque La Mano en ouvrant de grands yeux avides. Les attachés racontent comment le gouverneur Hierra fit tuer, il y a quarante ans, un petit assassin des bas quartiers nommé Yerbo Kwinton. Puis ils haussent les épaules et sourient en serrant leur mâchoire sur de délicieux cigares portant une main gravée sur leur étui d’aluminium.
Car il en va ainsi des légendes : elles sont chargées de mensonges plus vrais que la vérité, elles font sourire les sceptiques et applaudir les naïfs. Le cortège d’anecdotes qui retracent la vie de Kwinton a circulé à travers la ville, enflant d’année en année, s’alourdissant de la salive intéressée de ceux qui gagnent leur pain en parlant. Aujourd’hui, l’histoire est devenue aussi bigarrée que le marché qui se tient chaque samedi sur la place Dorée. Pas un commerçant n’oublie de vendre une anecdote avec sa marchandise. Il crache par terre et se signe, attestant ainsi que sa parole est pure. Puis il ajoute qu’elle est tombée de la bouche d’un père ou d’une grand-mère ayant vécu l’époque de Kwinton à San Perdido la bien nommée, dont les GI qui la quittèrent en 1999 disaient déjà qu’elle était le trou du cul du monde. Et c’est tellement vrai, qu’hormis les putes et les cigares, rien n’attire ici les touristes.
Mais pour Rafat, qui regarde chaque soir la lave du soleil couler dans l’océan en écoutant l’arthrite faire grincer ses doigts, cette exagération révèle l’enthousiasme d’une ville qui jusqu’alors n’avait pas enfanté de héros. Et qu’est-ce qu’un héros, sinon un homme qui réalise un jour le rêve secret de tout un peuple ?
Si on prête à Kwinton des pouvoirs qu’il n’eut jamais, Rafat peut attester qu’il en possédait d’autres, effrayants, dont le commun des mortels est entièrement dépourvu. L’utilisation qu’il en fit est affaire de morale. Mais peut-on avoir une morale lorsqu’on vit à San Perdido, ville oubliée de Dieu, royaume du marché noir et de la prostitution ? Ici, on dit souvent qu’une journée, si belle soit-elle, finit toujours par s’obscurcir.
Depuis quatre-vingt-dix ans que Rafat observe le phénomène, chaque soir il crache par terre pour conjurer le sort et vivre un jour de plus. Parfois, au cœur de la nuit, il a la sensation que quelque chose le frôle, une caresse glacée fait tressaillir son vieux cuir engourdi. Il se dresse brusquement dans son lit, écoutant le silence avec une intensité douloureuse, persuadé que Kwinton va apparaître, laissant l’une de ses mains glisser hors de l’ombre pour lui signaler sa présence.
Mais rien.
Rafat retombe en soupirant sur l’oreiller tandis qu’en lui tournent ces mots: « C’est fini, maintenant. » »

À propos de l’auteur
Né en 1960 à Créteil, David Zukerman a été successivement ouvrier spécialisé, homme de ménage, plongeur, contrôleur dans un cinéma, membre d’un groupe de rock, comédien et metteur en scène. Pendant toutes ces années, il a également écrit une quinzaine de pièces de théâtre, dont certaines furent diffusées sur France Culture, et quatre romans qu’il n’a jamais voulu envoyer à des éditeurs. San Perdido est sa première publication. (Source : Éditions Calmann-Lévy)

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Underground Railroad

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Voici cinq bonnes raisons de lire ce livre:
1. Parce que Colson Whitehead a non seulement été couronné par le prix Pulitzer de littérature 2017 pour Underground Railroad, mais aussi par ce que son roman a été désigné «roman de l’année 2016» par la presse américaine (42 journaux et magazines) et qu’il s’est d’ores et déjà vendu à plus de 750 000 exemplaires hors France.

2. Parce que, comme le souligne Livres Hebdo, Colson Whitehead dispose d’un exceptionnel talent «à inventer des machines romanesques hautement séduisantes, irriguées en profondeur par une méditation sur les mythologies américaines telles que les a véhiculées la culture populaire, mais aussi par une réflexion très politique sur la question raciale, la place de l’homme noir dans la société, son invisibilité.»

3. Parce que le roman, outre le fait qu’il s’attache à la vérité historique de ce que fût l’esclavage, loin des clichés hollywoodiens, nous raconte ce chemin de fer clandestin Underground Railroad qui permit à près de 100000 esclaves de se réfugier au-delà de la ligne Mason-Dixon et trouver ainsi le chemin vers la liberté. Le réseau de routes clandestines fut formé au début du XIXe siècle et connut son apogée entre 1850 et 1860. Colson Whitehead à l’idée d’en faire un vrai chemin de fer.

4. Parce que ce roman est un coup de poing. Finis les gentils blancs, finie aussi la solidarité de classe. Ceux qui aident les noirs à s’enfuir ne sont pas tous habités de bonnes intentions. Quant aux esclaves eux-mêmes, ils ne dorment pas tous du sommeil du juste. Colson Whitehead a l’art de peindre les nuances, allant jusqu’à faire de Cora, son héroïne en fuite vers le Nord, un caractère bien trempé aux aspérités tranchantes.

5. Parce que cette œuvre est en résonnance directe avec l’actualité. Comme le raconte l’auteur lui-même: «Je pensais écrire sur le Harlem des années 1950, mais l’élection de Trump m’a fait changer d’époque: au final, je m’attaque au racisme et à la gouvernance politique dans la Floride des années 1960, proches de ce que nous connaissons à l’heure actuelle. »

Underground Railroad
Colson Whitehead
Éditions Albin Michel
Roman
traduit de l’anglais (États-Unis) par Serge Chauvin
416 p., 22,90 €
EAN : 9782226393197
Paru en août 2017

Ce qu’en dit l’éditeur
Cora, seize ans, est esclave sur une plantation de coton dans la Géorgie d’avant la guerre de Sécession. Abandonnée par sa mère lorsqu’elle était enfant, elle survit tant bien que mal à la violence de sa condition. Lorsque Caesar, un esclave récemment arrivé de Virginie, lui propose de s’enfuir, elle accepte et tente, au péril de sa vie, de gagner avec lui les États libres du Nord.
De la Caroline du Sud à l’Indiana en passant par le Tennessee, Cora va vivre une incroyable odyssée. Traquée comme une bête par un impitoyable chasseur d’esclaves qui l’oblige à fuir, sans cesse, le « misérable cœur palpitant » des villes, elle fera tout pour conquérir sa liberté.
L’une des prouesses de Colson Whitehead est de matérialiser l’« Underground Railroad », le célèbre réseau clandestin d’aide aux esclaves en fuite qui devient ici une véritable voie ferrée souterraine, pour explorer, avec une originalité et une maîtrise époustouflantes, les fondements et la mécanique du racisme.
À la fois récit d’un combat poignant et réflexion saisissante sur la lecture de l’Histoire, ce roman, couronné par le prix Pulitzer, est une œuvre politique aujourd’hui plus que jamais nécessaire.
« Un roman puissant et presque hallucinatoire. Une histoire essentielle pour comprendre les Américains d’hier et d’aujourd’hui. » The New York Times

Les critiques
Babelio
Le Figaro (Bruno Corty)
ActuaLitté (Cécile Pellerin)
L’Express (Hubert Artus)
Les Echos (Philippe Chevilley)
Le Journal de Montréal (Karine Vilder)
Blog Tombée du ciel 
Blog A sauts et à gambades

Colson Whitehead présente «Underground Railroad» © Production Les Editions Albin Michel

Les premières pages du livre

Extrait
« Après la disparition de Mabel, Cora ne fut plus qu’une enfant perdue. Onze ans, dix ans, dans ces eaux-là – il n’y avait plus personne pour le savoir précisément. Sous l’effet du choc, elle vit le monde s’assécher autour d’elle, réduit à des impressions grises. La première couleur qui revint fut le rouge-brun bouillonnant de la terre du lopin familial. Il la réveilla aux choses et aux êtres, et elle décida de se cramponner à son domaine, quoique jeune, frêle et sans personne pour s’occuper d’elle. Mabel était trop discrète et têtue pour être populaire, mais les gens avaient toujours respecté Ajarry. Son ombre avait été protectrice. La plupart des premiers esclaves de Randall étaient six pieds sous terre ou revendus, disparus d’une façon ou d’une autre. Restait-il encore une âme loyale envers sa grand-mère ? Cora sonda le village : pas une seule. Ils étaient tous morts. »

À propos de l’auteur
Né à New York, en 1969, Colson Whitehead est l’un des auteurs américains les plus passionnants de sa génération, découvert en France par la traduction de son premier roman virtuose, L’Intuitionniste (Gallimard, 2003). Ont suivi notamment, toujours chez Gallimard, Ballade pour John Henry (2005), Le Colosse de New York et Apex ou le cache-blessure (2008), plus récemment le futuriste Zone 1 et Sag Harbor (2014), roman d’essence autobiographique. (Source : livreshebdo.fr)

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La porte du ciel

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En deux mots
La fille d’un médecin de Louisiane se voit offrir une esclave en cadeau. Eleanor et Ève vont grandir ensemble et partager l’expérience de la Guerre de Sécession. Deux destins croisés, deux combats vers l’émancipation.

Ma note
etoileetoileetoile (beaucoup aimé)

La porte du ciel
Dominique Fortier
Éditions Les Escales
Roman
256 p., 19,90 €
EAN : 9782365692915
Paru en janvier 2017

Où?
Le roman se déroule au cœur de l’Amérique ségrégationniste entre Louisiane et Alabama, notamment du côté de Gee’s Bend et Mobile.

Quand?
L’action se situe au XIXe siècle, plus particulièrement dans les années 1860.

Ce qu’en dit l’éditeur
Alors que la Guerre de Sécession fait rage, deux fillettes que tout oppose, deux destins, vont se croiser.
Au cœur de la Louisiane et de ses plantations de coton, deux fillettes grandissent ensemble. Tout les oppose. Eleanor est blanche, fille de médecin; Eve est mulâtre, fille d’esclave. Elles sont l’ombre l’une de l’autre, soumises à un destin qu’aucune des deux n’a choisi. Dans leur vie, il y aura des murmures, des désirs interdits, des chemins de traverse. Tout près, surtout, il y aura la clameur d’une guerre où des hommes affrontent leurs frères sous deux bannières étoilées.
Plus loin, dans l’Alabama, des femmes passent leur vie à coudre. Elles assemblent des bouts de tissu, Pénélopes modernes qui attendent le retour des maris, des pères, des fils partis combattre. Leurs courtepointes sont à l’image des Etats-Unis : un ensemble de morceaux tenus par un fil – celui de la couture, celui de l’écriture.
Entre rêve et histoire, Dominique Fortier dépeint une Amérique de légende qui se déchire pour mieux s’inventer et pose avec force la question de la liberté.

Ce que j’en pense

C’est avec son troisième roman que je découvre la canadienne Dominique Fortier. Et autant l’avouer d’emblée, en refermant La Porte du ciel, j’ai bien envie de découvrir les deux précédents tant son style est envoûtant, tant sa façon de relater les événements est particulière, cherchant une symbolique, voire une poésie dans un monde d’abord régi par la violence et l’arbitraire.
Nous sommes au Sud des Etats-Unis au tournant des années 1860. Le commerce des esclaves bat son plein. Parmi la «marchandise» qui est échangée ce jour figure une jeune diablesse mulâtre dont plus personne ne veut et qui finit par échouer chez un médecin, parce qu’il imagine qu’elle sera un joli cadeau pour sa fille Eleanor. Une fois lavée, débarrassée de ses lentes et habillée, la jeune fille va finir par trouver sa place dans cette famille plutôt conciliante dans cette Louisiane ségrégationniste. Eleanor choisit de l’appeler Guenièvre, comme la princesse du livre qu’elle est en train de découvrir. Un prénom qui va vite être simplifié en Èvre puis, en Ève.
Le lecteur est invité à suivre les années qu’elles vont passer ensemble. Un peu comme les deux faces d’une même médaille, on les voit grandir dans un monde qui leur est hostile. Car le destin d’Eleanor, s’il est plus enviable que celui de son esclave, n’est guère plus libre. D’autant que, depuis la bataille du Fort Sumter en avril 1861, une guerre fratricide s’est engagée avec son lot de drames. C’est dans ce contexte que Michael, fils du propriétaire d’une grande plantation, demande la main de la jeune fille. « Nous avons été mariés le 15 mai 1864, trois semaines après mon dix-huitième anniversaire, alors que les magnolias embaumaient l’air dans le salon de la maison où j’avais grandi et que je laisserais moins d’une heure plus tard. J’avais du chagrin à l’idée de quitter la seule demeure que j’eusse jamais connue, mais on m’avait promis que je pourrais amener Ève avec moi, et que ma nouvelle maison serait plus grande et plus belle encore.»
Après quelques années plutôt paisibles, on bascule alors dans une période troublée : « La guerre avant de s’apaiser s’était démultipliée en luttes sans nombre. Partout le territoire était traversé de frontières où s’affrontaient le Nord et le Sud, larges déchirures dans le paysage où venaient s’engouffrer par dizaines de milliers des hommes dont certains étaient à peine sortis de l’enfance. »
Eleanor et Ève sont en quelque sorte des témoins privilégiés de ce monde qui bascule. On sent la première envieuse de s’émanciper, de goûter à d’autres émotions, on voit la seconde se risquer dans l’inconnu en prenant un matin la route vers son destin. Tout comme d’autres jeunes esclaves désormais affranchis. « Ce mot de « liberté » et ses frères – « égalité », « émancipation », « union » – étaient des osselets qu’on secoue dans sa main avant de les jeter par terre, où ils forment des amoncellements précaires. La bouche qui y mordait n’était point rassasiée; ils ne protégeaient ni de la pluie, ni du soleil, ni à plus forte raison du fouet ou de la guerre. »
Dominique Fortier fait davantage un travail de romancière et de sociologue que d’historienne en choisissant notamment d’agrémenter son récit de descriptions de courtepointes, ces quilts réalisés notamment à Gee’s Bend, qui racontent aussi à leur manière ce que furent ces années : « Ce n’était pas un pays en guerre, ni même deux pays dont l’un cherchait à se détacher de l’autre : c’étaient trente pays tenant ensemble par des liens plus ou moins lâches, qui tantôt se défaisaient et tantôt se renouaient, comme si les pièces d’une courtepointe tout à coup prenaient vie et s’avisaient de changer de place et de couleur, arrachant les coutures au passage, traînant derrière elles des bouts de fils inutiles. » Entre les prêtres qui défendent l’esclavagisme et l’arrivée du Ku Klux Klan, on se rend aussi compte que les mentalités ne vont pas changer aussi vite que peuvent le laisser croire la paix revenue. L’actualité venant du reste montrer combien les Noirs sont toujours en lutte. L’auteur pose du reste avec beaucoup d’à-propos la question suivante : «puisque nul traité de paix n’est venu marquer la fin de cette étrange guerre fratricide, comment prétendez-vous savoir qu’elle est bien finie ?»

Autres critiques
Babelio 
Jeune Afrique (Julie Gonnet)
Le Devoir (Danielle Laurin)
La Presse (Josée Lapointe)
Voir.ca (Venise Landry)
Blog Brèves littéraires 
Blog L’ourse bibliophile
Blog Un jour, un livre 
Blog BettieRose Books 


TV5 Monde – Entretien avec Caroline Laurent – Directrice littéraire aux éditions Les Escales

Extrait
« « Johnson, le docteur McCoy souhaite savoir combien il en coûterait pour cette petite sauvagesse que vous n’en finissez pas de pourchasser. »
L’homme dévisage le médecin, enlève son chapeau, se gratte le front où coulent de fines gouttelettes de sueur. Il a les yeux de la couleur de l’acier.
« Sauf votre respect, docteur, pourquoi vous encombrer de cette petite bonne à rien ? dit-il. Elle n’est pas assez forte pour travailler aux champs, et elle est trop jeune pour être utile à la cuisine. Ce n’est qu’une bouche à nourrir. Si vous cherchez de l’aide à la maison, vous devriez plutôt vous adresser à Mr. Allen. J’ai entendu dire qu’il attendait bientôt une demi-douzaine de nouveaux esclaves. » »

A propos de l’auteur
Dominique Fortier est née à Québec et vit aujourd’hui à Outremont (Montréal). Après un doctorat en littérature française à l’Université McGill, elle exerce notamment le métier de traductrice. Son premier roman, Du bon usage des étoiles (2008), a remporté le prix Gens de mer du festival Étonnants voyageurs de Saint-Malo. Elle a depuis publié Les Larmes de saint Laurent et, en compagnie de Nicolas Dickner, Révolutions. La Porte du ciel est son troisième roman. (Source : Éditions Les Escales)

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Yaa Gyasi
Éditions Calmann-Lévy
Roman
traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Damour
450 p., 21,90 €
EAN : 9782702159637
Paru en janvier 2017

Où?
Le roman se déroule d’une part en Afrique, en Côte de l’Or (l’actuel Ghana) : Cape Coast, Accra et d’autre part aux États-Unis, de l’Alabama à la Californie, en passant par Baltimore, New York, Birmingham et les mines de Pratt City.

Quand?
L’action se situe du XVIIIe siècle à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Un voyage époustouflant dans trois siècles d’histoire du peuple africain.
Maama, esclave Ashanti, s’enfuit de la maison de ses maîtres Fantis durant un incendie, laissant derrière elle son bébé, Effia. Plus tard, elle épouse un Ashanti, et donne naissance à une autre fille, Esi. Ainsi commence l’histoire de ces deux demi-sœurs, Effia et Esi, nées dans deux villages du Ghana à l’époque du commerce triangulaire au XVIIIe siècle. Effia épouse un Anglais et mène une existence confortable dans le fort de Cape Coast, sans savoir que Esi, qu’elle n’a jamais connue, est emprisonnée dans les cachots du fort, vendue avec des centaines d’autres victimes d’un commerce d’esclaves florissant avant d’être expédiée en Amérique où ses enfants et petits-enfants seront eux aussi esclaves. Grâce à un collier transmis de génération en génération, l’histoire se tisse d’un chapitre à l’autre : un fil suit les descendants d’Effia au Ghana à travers les siècles, l’autre suit Esi et ses enfants en Amérique.
En Afrique comme en Amérique, No Home saisit et traduit, avec une étonnante immédiateté, combien la mémoire de la captivité est restée inscrite dans l’âme d’une nation. Navigant avec talent entre histoire et fiction, nuit et lumière, avec une plume qui varie d’un continent à l’autre, d’une société à une autre, d’une génération à la suivante, Yaa Gyasi écrit le destin de l’individu pris dans les mouvements destructeurs du temps, offrant une galerie de personnages aux fortes personnalités dont les vies ont été façonnées par la loi du destin.

Ce que j’en pense
****
La clé de ce roman nous est livrée avant même qu’il ne commence, par l’arbre généalogique imprimé en ouverture du livre et auquel on pourra toujours se référer si, de chapitre en chapitre, on perd le fil du récit. Maame, esclave Ashanti, donnera naissance à deux demi-sœurs Effia et Esi. Deux sœurs qui ne se connaîtront jamais et qui formeront chacune une lignée de cet arbre, l’une ghanéenne et l’autre américaine.
Nous sommes au milieu du XVIIIe siècle, au moment où la traite des esclaves n’est plus seulement l’affaire des colonisateurs britanniques, mais participe aussi du jeu de pouvoir entre les tribus qui peuplent La Côte de l’Or (qui deviendra le Ghana). Les Ashanti étendent leur domination et font payer leur expansion territoriale en esclaves. Car ils ont compris, après les Fanti, que de cette façon ils s’attireront les bonnes grâces des Anglais. Voilà le premier choc de ce roman qui va balayer plus de deux siècles d’Histoire : les Noirs ont activement participé à la traite de leurs semblables et n’avaient rien à envier aux colonisateurs quant à la cruauté de leurs pratiques. Esi va pouvoir le constater après sa capture, durant son séjour dans les geôles de Cape Coast, au bord du Golfe de Guinée, et la traversée vers le Sud des Etats-Unis.
Sa demi-sœur Effia aurait pu la croiser, puisqu’elle demeure dans la même ville. Remarquée par James Collins, le nouveau gouverneur britannique, elle est achetée pour 30 livres et amenée dans son hôtel particulier à Cape Coast.
Les chapitres vont alors alterner, suivant tour à tour le parcours de l’une et de l’autre, le mariage d’Effia avec un Anglais et la naissance de leurs enfants d’une part, la vie dans le sud de l’Amérique d’autre part. Le chapitre intitulé Kojo retrace la peur des esclaves qui avaient réussi à fuir. En vertu de la loi statuant sur les modalités de leur capture et leur renvoi à leur propriétaire, le fils d’Esi – qui comme nombre de ses congénères s’appelle désormais Freeman – ne vit que dans la hantise d’être capturé. Une épée de Damoclès qui est aussi accrochée au-dessus de tous les membres de sa famille. Il se verra aussi confronté aux lois de ségrégation qui ont officiellement pris la suite de l’esclavage. Rappelons que les lois dites Jim Crow, nouveau choc, resteront en vigueur jusqu’en 1964 !
Génération après génération, jusqu’au «pèlerinage» au Ghana de la narratrice, on va découvrir que les enfants d’Effia n’auront pas une vie plus enviable que ceux d’Esi. Car les métisses sont rejetés par les Blancs autant que par les Noirs. C’est le cas du fils d’Effia qui ne pourra revendiquer ni la blancheur de son père, ni la noirceur de sa mère. Ni l’Angleterre ni la Côte d’or. Ajoutons que son homosexualité ne va pas arranger les choses.
Côté américain les enfants de ces Noirs qui ont émigré par milliers pour fuir les lois Jim Crow, se retrouvent dans des ghettos, comme ce quartier de Harlem à New York.
No Home s’inscrit dans la lignée de Racines d’Alex Haley, d’Amistad, le film de Steven Spielberg ou encore de Beloved de Toni Morrison en y ajoutant le rôle joué par les Africains eux-mêmes dans l’asservissement de leurs compatriotes. Le fruit de recherches menées à la fois au Ghana et dans son pays permet en effet à Yaa Gyasi (qui a immigré aux États-Unis avec sa famille à l’âge de 2 ans) de briser bien des tabous et de rebattre les cartes du bien et du mal. Oui, il y avait des Anglais et des Américains progressistes, oui, il y avait des Noirs qui ont su, avec cynisme et sans aucune morale, profiter d’un trafic qui malheureusement perdure sous une autre forme aujourd’hui. Mais, comme en d’autres temps, la question de l’allégeance aux troupes occupantes reste posée. Face aux fusils et à la puissance, y compris du point de vue technologique, le choix de la résistance valait sans doute à un suicide.
On saluera donc la performance de Yaa Gyasi qui, a 26 ans, réussit le tour de force de construire un roman formidablement bien documenté sans jamais tomber dans le jugement de valeur et à nous proposer une galerie de personnages que nous ne sommes pas prêts d’oublier !

Autres critiques
Babelio 
Afrolivresque.com (présentation vidéo par l’auteur)
Blog La croisée des plumes
Blog Café Powell 

Extrait
« Depuis leur premier jour au fort, James n’avait jamais reparlé à Effia des esclaves qu’ils gardaient dans la prison, mais il lui parlait souvent d’animaux. Ils formaient l’essentiel du trafic des Ashantis. Des animaux. Des singes et des chimpanzés, voire quelques léopards. Des oiseaux, des oiseaux de paradis et des perroquets comme ceux que Fiifi et elle tentaient d’attraper quand ils étaient enfants, parcourant la forêt à la recherche de l’oiseau unique, l’oiseau qui avait des plumes si belles qu’on ne pouvait le confondre avec les autres. Ils passaient des heures à chercher cet oiseau-là, et la plupart du temps n’en trouvaient aucun.
Elle se demanda ce que pouvait valoir un tel oiseau, car au fort tous les animaux avaient un prix. Elle avait vu James examiner un oiseau de paradis apporté par l’un de leurs commerçants ashantis et déclarer qu’il valait quatre livres. Et s’agissant de l’animal humain ? Combien pouvait-il valoir ? Effia savait, bien sûr, qu’il y avait des gens dans les cachots. Des gens qui ne parlaient pas le même dialecte qu’elle, des gens qui avaient été faits prisonniers au cours de guerres tribales, et même qui avaient été volés, mais elle ne s’était jamais demandé où ils allaient ensuite. Elle n’avait jamais réfléchi à ce que James pouvait penser chaque fois qu’il les voyait. S’il allait dans les cachots et voyait des femmes qui lui faisaient penser à elle, qui lui ressemblaient et avaient la même odeur qu’elle. S’il revenait hanté par ce qu’il avait vu. »

A propos de l’auteur
Yaa Gyasi est née à Mampong, au Ghana. Elle a émigré aux États-Unis à l’âge de deux ans, pour suivre son père, alors étudiant en français à l’université d’État de l’Ohio. Lectrice précoce, elle dévore Charles Dickens et Charlotte Brontë comme Lurlene McDaniel et Toni Morrison. Diplômée d’un Bachelor of Arts en anglais de l’université de Stanford et d’un Master of Fine Arts obtenu aux prestigieux Iowa Writers Workshop, où elle a décroché une bourse d’études, elle vit désormais à Berkeley, en Californie. Elle s’est lancée dans l’écriture de son premier roman, No Home, après un voyage au Ghana. (Source : Éditions Calmann-Lévy)

Site Wikipédia de l’auteur 

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#nohome #RL2017 #roman #rentreelitteraire #calmannlevy #yaagyasi

Le parcours du combattant

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Le parcours du combattant
Michael Malone
Sonatine
Roman
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Caroline Nicolas
940 p., 23 €
ISBN: 9782355843280
Paru en avril 2015

Où?
Le roman se déroule aux Etats-Unis, d’abord dans la ville natale du héros, à Thermopyles en Caroline du Nord (peut-être inspirée par Hillsborough où vit l’auteur), puis le long d’un parcours qui le conduira jusqu’à la Nouvelle-Orléans en passant notamment par Myrtle Beach, Charleston, Atlanta et Stone Mountain, sans oublier une réminiscence de son séjour à Fribourg-en-Brisgau en Allemagne.

Quand?
L’action se déroule vers 1984.

Ce qu’en dit l’éditeur

Au terme de ce livre, la vie de Raleigh ne sera plus jamais la même. La vôtre non plus.
Milieu des années 1980, Thermopyles, petite ville de Caroline du Nord. Marié, deux enfants, Raleigh Wittier Hayes, 45 ans, est aux yeux de tous un citoyen modèle et un bon père de famille. Agent d’assurances prospère, il ne laisse rien au hasard, et sa retraite est aussi soigneusement planifiée que son existence. Le jour où il apprend que son père, Earley, a disparu de l’hôpital après avoir vidé ses comptes, pour prendre la route dans une Cadillac cabriolet jaune en compagnie d’une adolescente noire qu’il dit vouloir épouser, l’existence de Raleigh vole en éclats. À la recherche de son père, notre homme va devoir affronter des épreuves plus riches en rebondissements les unes que les autres. À l’issue de ce formidable périple initiatique, l’ennuyeux et routinier Raleigh Wittier Hayes ne sera plus jamais le même.
Dès les premières lignes, le lecteur est emporté par le souffle formidable d’un auteur qui lui impose un rythme tel qu’il est difficile, voire impossible d’en interrompre la lecture. Monument d’humour et de romanesque, proche du génie, ce livre, dans le droit fil des premiers romans de John Irving, est considéré aux États-Unis comme un chef-d’œuvre. Publié en 1986 et jusqu’aujourd’hui inédit en France, nous sommes ravis d’en offrir à nos lecteurs la première traduction.

Ce que j’en pense
****

Voilà un roman de plus de 900 pages qui tient ses promesses. On ne s’ennuie pas une seconde à suivre les pérégrinations de Raleigh W. Hayes. Cet assureur de 45 ans, vivant dans la petite ville de Thermopyles en Caroline du Nord, est un représentant typique de la middle-class. Marié et père de deux enfants, il vit une existence tranquille, entre ses obligations professionnelles, sa vie sociale, sa famille et ses amis. Jusqu’au jour où… il lui faudra tout remettre en cause.
L’auteur a le bon goût de nous prévenir dès le début de ce roman. Son héros va devoir sillonner tout le sud des Etats-Unis « pour sauver son héritage d’un père qui avait, une fois de plus, ostensiblement perdu la raison. »
Le septuagénaire a en effet quitté l’hôpital où il séjournait au volant de « la plus jolie des Cadillac El Dorado jaunes décapotables », accompagné d’une jeune fille noire. Il n’a toutefois pas oublié de signer sa fuite en laissant derrière lui des instructions sur une cassette : venir le rejoindre à la Nouvelle-Orléans en compagnie d’une connaissance et de son frère Gates et d’une grande malle. Mais auparavant il lui faudra aussi effectuer des recherches généalogiques et acheter une petite cabane au pied de laquelle il souhaite être inhumé.
Vaste programme qui permet au lecteur de plonger dans l’Amérique des années 80 et au-delà. A la manière d’un John Irving, Michael Malone raconte l’évolution des mœurs en creusant les secrets de famille, montre que les destins individuels sont souvent liés à la marche de l’histoire et surtout n’oublie jamais d’enrober le tout avec un humour dévastateur.
Au fil de pages on croisera ainsi un vrai faux crime, une équipe de truands, quelques excellents musiciens qui ne savent pas qu’ils finiront par jouer ensemble, une troupe de cirque, une jeune fille enceinte qui donnera naissance à son enfant dans des conditions rocambolesques, une visite du parc de Stone Mountain des plus mouvementées ou encore une nuit à l’hôtel durant laquelle il semble bien qu’aucun des clients ne se retrouve dans la chambre qui lui avait été impartie.
Un côté loufoque qui se double toutefois d’une vraie quête initiatique. Car si Raleigh « avait soigneusement empaqueté son enfance pour la mettre au grenier », il va se voir contraint de dépoussiérer son histoire et celle de sa famille afin de rassembler les pièces du puzzle jusqu’à un dénouement que je vous laisse découvrir, mais qui sera, à n’en pas douter, à la hauteur de vos attentes.
Paru en 1984 dans sa version originale, ce roman mérite toute votre attention !

Autres critiques
Babelio
Lalibrairie.com

Extrait
« Raleigh se hâta de décrocher son propre téléphone et s’annonça.
« C’est moi », répondit son épouse d’un ton essoufflé.
Elle se prénommait Aura, et cela, dans l’esprit d’autrui, auréolait ses remarques pleines de bon sens, bien qu’un peu sibyllines, d’un nimbe de mysticisme.
« Qu’est-ce qui se passe ?
— Ton père n’est plus…
— Il est mort. Seigneur. »
Mais Aura soupira bruyamment dans le combiné.
« Oh, Raleigh, non. Il s’est enfui de l’hôpital avant qu’ils aient terminé leurs analyses. Lorsqu’ils lui ont apporté son plateau déjeuner, ils n’ont trouvé que sa valise sur son lit ! Mon chéri, je suis désolée, mais je t’avais prévenu. »
Elle n’expliqua pas ce dont elle l’avait prévenu exactement, mais ce n’était certainement pas que son père allait se faire la belle de l’hôpital et disparaître sans laisser de traces.
Hayes s’assit sans même vérifier où était son fauteuil. Son coccyx heurta le bord de l’accoudoir et une douleur fulgurante remonta sa colonne vertébrale.
« Pourquoi n’en ai-je pas été informé ? demanda-t-il comme s’il était déjà en train de parler au personnel de l’hôpital, ce qui dans son esprit était le cas. Pourquoi a-t-on perdu tout ce temps ?
— Chéri, ne te défoule pas sur moi, si tu veux bien. L’infirmière a cru qu’il était parti en radiologie.
— Toute la matinée ? s’exclama-t-il en s’adressant au portrait de sa femme sur son bureau.
— Eh bien…
— Je vais à l’hôpital. Toi, reste à la maison et assure les arrières.
— C’est fascinant, la persistance de ces métaphores machistes.
— Au revoir, Aura. »
Mais Hayes avait à peine raccroché et hurlé « Bonnie Ellen ! » que le téléphone sonnait de nouveau, et qu’un homme lui riait dans l’oreille.
« Kek’tu dis, Raleigh ?
— Je peux savoir qui c’est ?
— Hé, me bouffe pas le nez. C’est ton cousin. »
C’était Jimmy Clay, fils de Lovie, sœur du père de Raleigh ; il était vendeur de voitures chez Carolina Cadillacs, en périphérie de la ville.
« Je voulais juste dire muchas gracias à un collègue des Civitans.
— Pour quoi ? »
Hayes était en train de tirer le cordon du téléphone vers la porte comme si s’en rapprocher pouvait lui permettre de raccrocher plus tôt.
« Pour la Grosse Ellie.
— Je ne sais même pas de quoi tu parles, Jimmy. »
Le cousin de Raleigh était un adepte de l’hermétisme conversationnel, et ce depuis toujours. À l’âge de six ans, il téléphonait à Raleigh après l’école pour jacasser sans discontinuer dans un charabia de son invention, débitant des inepties comme : « Amalé coba kétaba oumilé ». À quatorze ans, il faisait violemment claquer ses doigts sur les fesses de Raleigh en lançant : « J’t’ai eu ! Javétavévahu ! »
« Jimmy, je suis un peu pressé…
— Ton père, l’interrompit Clay. Il a acheté la Grosse Ellie. Ce matin à la première heure. Il m’a dit que c’était pour toi qu’il le faisait. Banzaï, appuie sur le champignon et brûle l’asphalte, mon colon !
— Attends deux secondes. » Hayes sentit une aigreur orientale lui remonter dans la bouche. « Tu es en train de me dire que mon père vient de t’acheter une voiture ? »
Jimmy Clay pouffa de rire.
 » Une voiture ? C’est bien plus que ça. C’est la plus grosse, la plus jolie des Cadillac El Dorado jaunes décapotables faites sur commande qui nous restait sur les bras depuis deux ans ! Non, pour ma part, j’appellerais cette beauté un attrape-nanas. Je paierais certainement pas 21 395,77 dollars pour un simple moyen de transport !  »
Raleigh sentit son cœur faire un bond à en soulever sa chemise.
 » Comment il a payé ? demanda-t-il d’une voix rauque.
— Hein ?
— Comment est-ce qu’il a payé ?
— Rubis sur l’ongle. Ravubavis savur l’avongle.  »
Dans son enthousiasme, Jimmy Clay était revenu à son jargon d’enfance.
 » En espèces ?!
— Par chèque. Pourquoi, je vais découvrir qu’il est en bois ? Je lui ai aussi repris sa vieille Chevy.  »
Raleigh s’adossa au mur, puis se laissa glisser jusqu’au sol. Cela faisait vingt ans qu’il ne s’était pas assis par terre. Son père, qui conduisait la même Chevrolet verte depuis dix ans avec la plus parfaite indifférence, venait de dépenser 21 395 dollars d’un argent qui revenait de droit à son fils, pour une voiture : quatre roues, un moteur et de la peinture jaune, sans même un toit par-dessus. Raleigh aurait pu rénover son sous-sol avec cet argent ; finir de payer l’orthodontiste de ses filles, acheter d’autres propriétés en bord de mer… Il aurait pu le mettre de côté, tout simplement.
T’es toujours là, Raleigh ?
— Il a dit l’avoir achetée pour moi ?
— Je lui ai demandé : “ Oncle Earley, t’es sûr de toi ? J’ai du mal à imaginer ce vieux maniaque de Raleigh au volant de ce bijou. ” Et il m’a répondu : “ J’ai dit que c’était pour lui que je l’achetais, pas que j’allais la lui donner ”. Tu sais comment est ton père !
— Non. » (p. 25, 26, 27, 28)

A propos de l’auteur
Michael Malone, né le 22 novembre 1942 à Durham en Caroline du Nord, est un écrivain américain, essentiellement de polars. Il est professeur de littérature anglaise et américaine à l’université de Pennsylvanie, il est également critique littéraire au New York Times. Il est très connu aux Etats-Unis pour avoir activement participé, dans les années 90, à l’écriture d’un soap-opera intitulé One Life to Live (diffusé en France sous le titre On ne vit qu’une fois). Auteur d’une dizaine de romans dont seuls trois polars ont été publiés en France: Enquête sous la neige, Juges et Assassins et First Lady au Seuil. (Source : Blog Ranatoad & Wikipedia)

Site Wikipédia de l’auteur

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L’invention des ailes

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L’invention des ailes
Sue Monk Kidd
Jean-Claude Lattès
Roman
450 p., 22 €
ISBN: 9782709646574
Paru en janvier 2015

Où?
L’action se situe aux Etats-Unis, à Charleston en Caroline du Sud, avec des escapades dans le Nord où les idées abolitionnistes gagnent du terrain.

Quand?
Le roman débute en 1803 pour se terminer à la fin des années trente.

Ce qu’en dit l’éditeur
Caroline du Sud, 1803. Fille d’une riche famille de Charleston, Sarah Grimké sait dès le plus jeune âge qu’elle veut faire de grandes choses dans sa vie. Lorsque pour ses onze ans sa mère lui offre la petite Handful comme esclave personnelle, Sarah se dresse contre les horribles pratiques de telles servilité et inégalité, convictions qu’elle va nourrir tout au long de sa vie. Mais les limites imposées aux femmes écrasent ses ambitions.
Une belle amitié nait entre les deux fillettes, Sarah et Handful, qui aspirent toutes deux à s’échapper de l’enceinte étouffante de la maison Grimké. À travers les années, à travers de nombreux obstacles, elles deviennent des jeunes femmes avides de liberté et d’indépendance, qui se battent pour affirmer leur droit de vivre et se faire une place dans le monde.
Une superbe ode à l’espoir et à l’audace, les destins entrecroisés de deux personnages inoubliables !

Ce que j’en pense
***

Après le succès de La Vie secrète des abeilles, qui traitait de la ségrégation raciale dans les Etats du Sud, Sue Monk Kidd revient avec un roman basé sur l’histoire vraie des sœurs Grimlé. Sarah (1792–1873) et sa sœur Angelina (1805–1879) furent parmi les premières féministes américaines, mais elles s’engagèrent surtout pour l’abolition de l’esclavage. Une position que relevait à l’époque dans le Sud des Etats-Unis pour un sacrilège, surtout venant de l’une des familles les plus en vue de Charleston, «possédant» de nombreux esclaves.
La construction du roman est particulièrement habile, car l’auteur a eu l’idée de donner tour à tour la parole à Sarah et à Handful, la jeune esclave qui lui est offerte pour son onzième anniversaire. Du coup, l’histoire que nous raconte la première – ses difficultés à se réaliser en tant que femme dans une société où on ne lui reconnaît guère d’autre rôle que celui de diriger la maison et de trouver un bon parti – et celle qui est proposée par la seconde – les brimades et les châtiments infligés à ceux que l’on considère comme des êtres corvéables à merci – vont se heurter et se compléter par la relation qu’entretiennent les deux narratrices. « Je n’aurais pas sur dire de façon certaine si les sentiments de Miss Sarah étaient de l’amour ou de la culpabilité. Je n’aurais pas non plus su dire si les miens venaient de l’amour ou d’un besoin de protection. Elle m’aimait et elle avait pitié de moi. Et moi je l’aimais et je me servais d’elle. Il n’y avait rien de simple dans cette histoire. »
Sarah aimerait suivre les traces de son père et devenir avocate. On lui interdira non seulement de suivre cette voie, mais aussi l’accès à la bibliothèque familiale. Puis on essaiera de lui trouver un mari et enfin on tentera de lui éradiquer ses idées émancipatrices. Du coup, le rapprochement avec sa compagne d’infortune est presque «naturel». Car Handful vit aussi dans une prison, avec la charge supplémentaire de porter la douloureuse histoire familiale, la séparation entre sa mère, alors qu’elle est enceinte, esclave à la ville et son père esclave à la plantation, qui mourra quelques temps plus tard sans voir sa fille. Et ce rêve d’émancipation qui se heurte à la violence et aux lois érigées par et pour les grandes familles de Charleston. On torture et on tue. Aussi faut-il bien du courage pour se rebeller et pour essayer de fuir…
Une page d’histoire américaine qui entre en résonance avec les débats actuels sur l’obscurantisme religieux. Une raison supplémentaire de se plonger dans ce roman très bien documenté et tout aussi émouvant.

Autres critiques

Babelio
Blog «A fleur de mots»
Blog «Au boudoir écarlate»

Extrait
« Je veux que tu le saches, ton papa il était bon comme le bon pain. Il s’appelait Shanney. Il travaillait dans la plantation de massa Grimké. Un jour Missus a dit qu’il fallait que je vienne coudre pour elle à Charleston. J’ai dit d’accord mais prenez Shanney, c’est mon mari. Elle a dit Shanney c’est un esclave des plantations et peut-être que je le reverrai quand je viendrai en visite. Tu étais déjà dans mon ventre et personne ne le savait. Shanney est mort d’une blessure à la jambe avant même que tu aies un an. Il a jamais vu à quoi tu ressembles. » (p. 76)

A propos de l’auteur
Née dans l’État de Géorgie, Sue Monk Kidd est l’auteur du best-seller La Vie secrète des abeilles, immense succès traduit dans trente-six langues. Elle a également écrit plus récits autobiographiques salués par la critique littéraire. Sue Monk Kidd vit aujourd’hui en Floride. (Source : Editions Jean-Claude Lattès)

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