Irréfutable essai de successologie

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En deux mots
Dans cet essai pétillant de malice, Lydie Salvayre nous donne les recettes pour avoir du succès. Avec des portraits au vitriol de l’influenceuse à l’homme influent, de différentes catégories d’écrivains à l’homme politique, elle illustre son propos. Ce vrai-faux manuel de développement personnel est un bonheur de lecture.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Les mœurs de ce siècle

Tout à la fois pamphlet et pastiche, cet essai de Lydie Salvayre nous propose toutes les recettes pour avoir du succès. Né d’une saine colère, ce petit bijou d’ironie vacharde est admirablement bien ciselé.

Il serait bien dommage de suivre l’ultime conseil de Lydie Salvayre, «jetez au loin ce livre», tant sa lecture est réjouissante. Avec son humour vachard, sa grande érudition et son sens de la formule, son essai vaut vraiment le détour.
S’il ne faut pas hésiter à se plonger dans cet Irréfutable essai de successologie, c’est d’abord parce que nous avons affaire à un ouvrage littéraire, à un style inimitable, à des phrases ciselées.
Ensuite, parce que ce panorama de notre société, qui fait la part belle au superficiel et à la course à la notoriété, est une mise en garde qu’il ne faut pas négliger. Car qui peut affirmer qu’il n’a jamais vu son visage se refléter dans ce miroir aux alouettes? N’a jamais cédé à la facilité en s’abrutissant devant une émission de télé racoleuse ou en se noyant dans les réseaux sociaux avec une belle collection d’émojis à la clé.
En forçant le trait et en nous encourageant à pousser le bouchon encore plus loin, Lydie Salvayre nous suggère qu’il y a sûrement mieux à faire, même si les miettes butinées sur les réseaux sont «bien plus faciles à digérer qu’un pavé de 600 pages».
Construit comme un vrai-faux manuel de développement personnel, le livre nous propose ses recettes en intertitres et en caractères gras, nous offre la conduite à tenir, le tout complété de quelques remarques très loin d’être anodines.
Bien entendu, ce guide est accompagné de portraits bien sentis de ces champions toutes catégories du succès, à commencer par l’influenceuse qui fait son miel des réseaux sociaux. Suivront le capitaine d’industrie en homme influent, toute une série d’écrivains – un milieu que Lydie Salvayre connaît fort bien, des débutants aux tueurs – les critiques et bien entendu, l’homme politique qui n’est pas avare lui non plus de flagornerie et de compromissions.
On pense bien entendu aux moralistes qui depuis Horace en passant par Rabelais et La Bruyère ont su railler avec talent les mœurs de leurs confrères et de la Cour qui se pressait autour des monarques. On y ajoutera Jonathan Swift qui a soufflé à Lydie son titre en proposant en 1699 un Irréfutable essai sur les facultés de l’âme.
Du coup, comme l’a si bien écrit Frédéric Beigbeder dans le Figaro, «le retour de Lydie Salvayre à la satire est une bonne nouvelle: si elle a envie de stigmatiser le milieu littéraire, cela prouve qu’il existe encore. (…) Son Irréfutable essai de successologie est absolument réjouissant de bout en bout. On en prend tous plein la gueule.» Dans la bibliographie de l’écrivaine, il vient se placer dans la lignée de Quelques conseils utiles aux élèves huissiers (1997) et Portrait de l’écrivain en animal domestique (2007), mais aussi pour la vivacité du style à Rêver debout (2021).
Alors non, il ne faut vraiment pas jeter au loin ce livre à la langue si férocement chatoyante, aux citations habilement semées, à la mauvaise foi si brillamment mise en scène. Il faut le lire et le relire. Car alors nous ferons partie d’une caste bien particulière, celle des «lecteurs véritables», infime partie de la population «qui n’a pas le cerveau saturé d’informations incessantes et sans lien les unes avec les autres» mais garde «un contact intime, direct, charnel, avec les œuvres littéraires».

Signalons qu’au printemps prochain, Lydie Salvayre sera en résidence avec Chloé Delaume (prix Médicis 2020 avec Le Cœur synthétique), à la Villa Valmont pour une création commune. Cette «Maison des écritures et des paysages», premier site entièrement dédié à l’écriture et à l’accompagnement des auteurs dans l’agglomération bordelaise, sera inaugurée fin avril.

Irréfutable essai de successologie
Lydie Salvayre
Éditions du Seuil
Roman
176 p., 17,50 €
EAN 9782021516678
Paru le 2/01/2023

Ce qu’en dit l’éditeur
Comment se faire un nom ?
Comment émerger de la masse ?
Comment s’arracher à son insignifiance ?
Comment s’acheter une notoriété ?
Comment intriguer, abuser, écraser, challenger ?
Comment mentir sans le paraître ? Comment obtenir la faveur des puissants et leur passer discrètement de la pommade ? Comment évincer les rivaux, embobiner les foules, enfumer les naïfs, amadouer les rogues, écraser les méchants et rabattre leur morgue ? Comment se servir, mine de rien, de ses meilleurs amis ? Par quels savants stratagèmes, par quelles souplesses d’anguille, par quelles supercheries et quels roucoulements gagner la renommée et devenir objet d’adulation ?

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
En attendant Nadeau (Norbert Czarny)
Madame Figaro (Minh Tran Huy)
Diacritik (Christine Marcandier)
Europe 1 (Philippe Vandel – L’invité culture)
Sud-Ouest (Isabelle Bunisset)
Lire (Alexis Brocas)
Lettres capitales (Dan Burcea)

Nonfiction (Jean Bastien)
Blog Baz’Art
Blog Culture 31


Lydie Salvayre, la littérature doit-elle être un lieu d’engagement ? © Production France Culture

Les premières pages du livre
1
Nos esprits les plus hautement spéculatifs ont découvert l’existence de milliers d’exoplanètes, identifié les traces d’un ankylosaure vieux de 168 millions d’années, établi que la vitesse de la lumière était de 299 792 458 mètres par seconde, mis au point des parapluies biplaces, des perruques pour chien, des protège-moustache, des masques antigloutons, des porte-glace à piles, et mille autres merveilles.
Mais nul encore n’a tenté de se lancer dans l’analyse sérieuse et approfondie des meilleurs moyens pour parvenir au succès !
Pourquoi tant d’intelligence gaspillée par des cerveaux admirables pour élucider des choses de bien moindre importance ?

Pourquoi un tel domaine, dont les lois déterminent le bonheur des hommes (ainsi que leur fortune), n’a-t-il pas été traité avec le sérieux qui convient ?
Pourquoi un aussi scandaleux mutisme ? Pourquoi une telle inconséquence ?
Pourquoi, pourquoi ?
Allons-nous plus longtemps demeurer dans cette coupable ignorance qui a réduit à la misère les individus les plus méritants ?
Non, non et non ! Cela est proprement inadmissible.
Je me propose donc de remédier à cette grave lacune en me lançant, avec l’audace d’un Christophe Colomb, dans l’exploration de ce continent ignoré, afin de répondre à ces hautes questions qui tourmentent le genre humain depuis que le monde est monde :
Comment se faire un nom ?
Comment émerger de la masse ?
Comment s’arracher à son insignifiance ?
Comment s’acheter une notoriété ?
Comment intriguer, abuser, écraser, challenger ? Comment mentir sans le paraître ? Comment obtenir la faveur des puissants et leur passer discrètement de la pommade ? Comment évincer les rivaux, embobiner les foules, enfumer les naïfs, amadouer les rogues, écraser les méchants et rabattre leur morgue ? Comment se servir, mine de rien, de ses meilleurs amis ?
Par quels savants stratagèmes, par quelles souplesses d’anguille, par quelles supercheries et quels roucoulements gagner la renommée et devenir objet d’adulation ?
Car se distinguer du reste des humains, être quelqu’un, quelque chose, apparaître au JT de 20 heures, avoir sa photo dans le journal, rêver de devenir une star, convoiter les honneurs et les applaudissements, bref désirer de briller aux yeux du plus grand nombre constitue la passion la plus archaïque et la plus universelle qui soit en ce bas monde.

Grâce à cet irréfutable essai qui, je le présume en toute modestie, licenciera définitivement l’ancienne politique, réinventera les lois de la morale, et m’assurera une admiration universelle, grâce à cet irréfutable essai, disais-je, je donnerai à cette passion la place qu’elle mérite : la première.
Je défricherai pour vous, mes agneaux, les voies encombrées et semées d’embûches qui mènent à la réussite, et vous prodiguerai les conseils nécessaires pour vous empêcher de tomber dans les nombreuses chausse-trapes qui guettent tous les jeunes aspirants à la gloire, et vous aider à être au top, très important ça, d’être au top.
Mais avant que d’aller plus loin dans mon projet que je n’hésite pas à qualifier de salvateur, il me semble important de vous donner une définition précise du succès tel que je le conçois.

2
Définition du succès
Le succès est le remède universel longuement recherché pour guérir du malheur.
Si je place cette définition en tête du présent chapitre, c’est que trois raisons m’ont conduite à cette formulation que j’estime très vraie et très incontestable.

1. La première, tirée d’un grand nombre d’observations, me permet d’avancer que :
le succès embellit,
le succès anoblit,
le succès bonifie,
le succès enhardit,
le succès purifie,
et vous lave des bassesses, mesquineries et saloperies commises par le passé, car :
Le succès possède d’excellentes facultés détergentes.
Le succès vous confère l’estime, la considération et le respect, et fait de vous l’ornement de votre famille, son joyau, son trésor, son magot.
Le succès, de surcroît, vous confère indéniablement du sex-appeal, ce qui m’amène à affirmer que :
Le succès est aphrodisiaque.
Le succès, en accordant de la valeur et du brillant à tous vos gestes et paroles, en vous apportant la consistance dont vous étiez privé, en vous faisant apparaître sous un jour plus avantageux, vous dote, par là même, d’une haute idée de vous-même, satisfait exquisément votre ego, congédie du même coup vos soucis parasites, et décuple ainsi les facultés de votre esprit.
Le succès a aussi ce pouvoir, injustement ignoré, de vous rendre bon, serviable et même charitable. Parfaitement !
Le succès, en enrageant la concurrence, vous vaut un certain nombre d’ennemis dont l’existence, c’est attesté par nos plus brillants neurologues, constitue un excitant remarquable pour vos facultés mentales, qu’il fouette et revigore tout à votre avantage.
Enfin et surtout, le succès immunise contre la mort.

En résumé, le succès, par un phénomène que je n’hésiterai pas à qualifier de transsubstantiation, fait passer pour intelligent l’individu le plus con, pour séduisant le plus moche, pour aimable le plus odieux, pour honnête le plus malhonnête et pour immortel le plus piètrement mortel.
Autant de prodiges qui me permettent d’inférer que ce ne sont plus désormais ni l’art, ni la politique, ni les anciennes croyances qui déterminent notre présent.
C’est, sans contredit, le succès.
Le succès est la nouvelle religion.

2. La deuxième raison, et non la moindre, est que le succès, infailliblement, enrichit.
D’où il s’ensuit que, dans cette nouvelle religion, c’est aux riches, mes anges, que le ciel est promis.

Nous savions depuis longtemps que l’argent gouvernait le monde, et que :
Seuls les imbéciles créent pour une autre raison que l’argent,
ainsi que l’affirma le très pertinent Samuel Johnson dans son Art de l’insulte et autres effronteries.
Mais il est tout à fait nouveau que, loin de s’opposer à son règne ou de coupablement s’y résoudre, le genre humain, avec une unanimité et une ferveur sans égales, s’y plie désormais avec délice, exaltant ses bienfaits et claironnant ses vertus.
Le monde a beau changer, les désirs des humains demeurent invariables et limités à cinq, écrivait Euryloque. Pour ma part, je place au premier rang ce désir religieux d’être riche et célèbre.

Il suffit, du reste, de visionner quelques clips de rappeurs américains mondialement connus, pour constater que l’époque n’est plus aux pudeurs virginales devant la suprématie de l’argent et les money makers.
Si tu m’parles fric, j’suis toujours en déclic, chante Pussy Dundee.
Et son refrain fameux J’veux prendre d’l’oseille jusqu’à l’infini, ouais ouais, est devenu le cri de ralliement de la plupart d’entre eux.
Quant à l’expression de leur douleur mâtinée de révolte, elle se marie admirablement yeah yeah avec les bagouses en diamant qu’ils exhibent à chaque doigt, et les grosses chaînes en or qui ornent leur poitrine.

Je ne donnerai qu’un exemple : la fortune d’Ultra Love évaluée à ce jour à 1 milliard de dollars. Tu mesures frérot ! de la beuh à la pelle ! une Rolex pour chaqu’ jour ! une Ferrari qui fonce ! et une pute à gros luc qui t’suce sur ordre ! le paradis sur terre !

Cette transformation copernicienne des esprits qui s’est opérée depuis peu, et dont l’humanité n’avait encore donné aucun exemple, ne souffre aujourd’hui nulle contestation.
Et l’on peut affirmer sans ambages que :
Il n’y a d’heureux que les gens à succès.
Avec son corollaire :
Ne laissez pas l’argent aux mains des seuls champions de la finance et autres voleurs qualifiés.
Vous y avez droit tout autant qu’eux.

3. La troisième raison enfin découle du constat mille fois reconduit que nul créateur, serait-il un prodige de sensibilité, d’intelligence et d’invention, ne peut être applaudi s’il ne se plie à un certain nombre de règles que j’exposerai ci-après.

Mais avant de vous les faire connaître, je me dois de vous éclairer sur les personnes que vous serez amené à rencontrer et qu’il vous faudra fuir ou au contraire ménager, amadouer, bichonner, aguicher, racoler, flagorner, entuber, ou séduire, si vous voulez obtenir d’elles leurs bonnes grâces et parvenir jusqu’au sommet.

Voici donc quelques portraits de ces spécimens auxquels une jeune femme ou un jeune homme cherchant célébrité sera forcément confronté.
Portraits tracés, je le confesse, sommairement, et souffrant sans doute d’outrance et de simplisme. Mais qui ont le mérite de vous laisser, mes chers lecteurs qui avez la chance inestimable de me lire, de vous laisser, disais-je, toute licence pour introduire la complexité, la nuance, et les ombres nécessaires en ceux de ces archétypes que vous aurez identifiés.

3
L’influenceuse bookstagrameuse
Lila (YouTube 2 millions d’abonnés, Instagram 2,5 millions d’abonnés, TikTok 1,2 million d’abonnés)
Tout un chacun a pu le constater : il est aisé autant que délicieux de gloser sur la bêtise des autres.
Quant à moi, je m’abstiens, autant qu’il m’est possible, de tomber dans ce travers, animée que je suis d’une profonde et sincère philanthropie.
Je m’en dispense d’autant plus aisément que je ne suis pas sans savoir que le plus sot est souvent celui-là même qui désigne la sottise de l’autre et ne voit pas celle qui resplendit en lui.
Cependant, l’inintelligence de notre bookstagrameuse est si prodigieuse, si étourdissante, et d’un niveau si supérieur ; elle opère sur les autres un tel pouvoir fascinatoire que je ferai, pour elle, exception à la règle.

Portrait

Le regard velouté, fort mamelue après une intervention chirurgicale à Dubaï (destination tendance), avantageusement nantie d’un derrière houleux dont les dimensions sont inversement proportionnelles à celles de son esprit, elle dispose d’un potentiel érotique hors du commun, sans doute accentué par une moue boudeuse qu’elle cultive à souhait.
S’évertuant à plaquer sur son visage la profondeur qui manque à son cerveau, elle laisse glisser, de ses lèvres refaites, de grandes déclarations fertiles en évidences, ou se lance, avec l’apparence de la plus grande affliction, dans des discours vibrants de sentiments compassionnels et de propositions réconfortantes (concernant les pauvres qui ont faim, les Ouïghours qui ont froid, les Somaliens qui ont chaud, les Sahraouis qui ont soif, les
Afghanes qui ont peur, les Ukrainiens qui ont mal… elle en possède un jeu entier) grâce auxquels, pense-t-elle, son marché de la compassion gagnera en surface, et son petit capital : en euros.
Elle va jusqu’à défendre le Bien contre le Mal – ce dont nous ne saurions trop l’en féliciter – tout en faisant la publicité du rouge à lèvres repulpant rouge framboise de la marque Fastel. Le sourire qu’elle esquisse alors et qui projette sur son visage une aura d’heureuse niaiserie, constitue une véritable consolation, une exaltante raison d’espérer pour les adolescentes vivant dans des HLM de Créteil, lesquelles représentent son marché porteur. Celles-ci, en effet, depuis qu’elles la suivent sur TikTok et Instagram, ne regardent plus du même œil le hall d’entrée de leur immeuble jonché d’ordures et empestant l’urine, car elles savent désormais que ce hall peut s’ouvrir sur d’exaltantes perspectives. »

Extraits
« Remarque
D’une manière générale, fuyez comme le diable les revêches, les hargneux, les amers, les aigris, les navrés, les meurtris et tous ces mécontents aux rêves avortés qui n’ont pas réussi à convertir en forces leurs frustrations et leurs rancunes.
Il n’est pas contagion plus nocive que celle de ces rabat-joie.
Ils sont tous, de surcroît, affligés d’une haleine fétide probablement liée aux aigreurs d’estomac où se loge leur âme.
Si vous ne parvenez pas à vous en défaire, désignez-leur un bouc émissaire sur lequel ils pourront reporter toutes leurs frayeurs et amertumes: l’un de vos ennemis personnels, par exemple un certain P., une ordure.
Je reprendrai demain mon catalogue d’écrivains, si mon humeur m’y porte. C’est-à-dire si aucune nouvelle sombre ne vient obscurcir mon ciel et paralyser mon esprit.
Précaution: m’abstenir impérativement de regarder la chaîne NewsNews, bien plus nocive pour ma santé psychique qu’un abus de whisky ou de Zolpidem. p. 63

Il est devenu, aujourd’hui,
tout à fait superflu de lire,

je puis vous l’affirmer sans la moindre nostalgie.
Nos cerveaux saturés d’informations incessantes et sans lien les unes avec les autres, ne disposent, en effet, que d’une part réduite d’attention aux œuvres littéraires. Et le nombre de lecteurs véritables, je veux dire de lecteurs ayant un contact intime, direct, charnel, avec elles, ne représente plus qu’une infime partie de la population.
Tous les autres dont vous êtes, j’ose l’espérer, se satisfont fort raisonnablement des miettes qu’ils butinent sur les réseaux, bien plus faciles à digérer qu’un pavé de 600 pages.
Ce qui ne les empêche pas d’exhiber, comme on le fait d’un trophée, l’ouvrage qu’ils ont commandé sur Amazon sans avoir pris la peine de l’ouvrir.
Cela, mes amis, représente un progrès vertigineux dans l’histoire des hommes. » p. 140

À propos de l’auteur
SALVAYRE_lydie_©joel_sagetLydie Salvayre © Photo Joël Saget

Lydie Salvayre a écrit une douzaine de romans, traduits dans de nombreuses langues, parmi lesquels La Compagnie des spectres (prix Novembre), BW (prix François-Billetdoux), Pas pleurer (prix Goncourt 2014) et Rêver debout (2021). (Source: Éditions du Seuil)

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Jouissance

ZAMIR_jouissance

En deux mots
C’est l’histoire d’un livre raconté par lui-même, lu par tant de personnes, aimé et rejeté, délaissé et chéri. C’est aussi l’histoire d’un observateur impitoyable de ses lecteurs, de leurs manies et de leurs désirs. C’est enfin une phrase qui vous entraîne dans la jouissance… du verbe.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

Le livre qui vous observe

Dans son quatrième roman, Ali Zamir donne la parole au livre. C’est cet objet tour à tour aimé et détesté qui va détailler son parcours et nous livrer en miroir de savoureux portraits de lecteurs. Laissez-vous emporter par cette Jouissance !

Quel plaisir de retrouver le style inimitable d’Ali Zamir. Cet auteur comorien, découvert avec Anguille sous roche en 2016, n’a pas son pareil pour faire danser la langue, pour parfumer son style de senteurs enivrantes, pour inventer un verbe précocement éjaculé qui vous emporte comme un torrent.
En entrant dans ce roman, ne vous posez pas la question dans les termes proposés page 16: «mais bon Dieu, qu’est-ce que ce livre me raconte comme salades au juste, qu’il accouche enfin ou qu’il me laisse tranquille», mais laisser les images vous envelopper, la musique des mots vous transporter. Et «si vous aimez votre pauvre petite vie de lecteur satisfait de lui-même et de tout ce qu’il a lu jusqu’ici, arrêtez votre lecture dès maintenant, inutile de vous crever les yeux, oui, vous feriez mieux de mettre d’emblée fin à ce déshabillage insolent».
Voilà donc un livre qui parle de lui-même, du livre, de son envie de trouver sa place et d’être respecté, aimé. Un livre qui ne supporte pas les lecteurs qui le délaissent, un livre qui va passer de mains en mains, finir à la poubelle avant d’être à nouveau lu et apprécié, puis honni en passant du lecteur en herbe à celui en gerbe.
En passant ainsi de mains en mains, il ne va pas se gêner de donner son avis, de juger son lecteur, voire de l’invectiver. Car la principale qualité de ce livre narrateur, c’est sa liberté de ton, sa verve intarissable, sa phrase qui n’en finit pas de nous entraîner vers de nouveaux rivages en racontant comment chacun de ceux qui l’ont parcouru ont en fait une autre histoire.
Tout en rendant par la même occasion un bel hommage aux bibliothécaires, il dit aussi les menaces qui pèsent sur cet objet imprimé dont le statut n’a cessé de se dégrader.
Porté par cette langue aussi inimitable que poétique, Jouissance apporte à lui seul la preuve que la littérature est pourtant plus que jamais indispensable, capable de vous offrir le monde, d’aiguiser votre réflexion et même de changer votre vie. Un roman qui ne devrait pas finir immobile sur une étagère mais être partagé encore et toujours.

Jouissance
Ali Zamir
Éditions Le Tripode
Roman
256 p., 17 €
EAN 9782370553249
Paru le 12/05/2022

Ce qu’en dit l’éditeur
C’est l’histoire d’un roman qui se raconte lui-même. C’est l’histoire d’un roman qui n’a pas de chance. C’est l’histoire d’un roman témoin d’un coït en bibliothèque, complice d’une arnaque sur un millionnaire, confesseur d’un fait divers digne du Nouveau Détective, victime collatérale d’un remake improbable de Shining… Accumulant les propriétaires, jeté de poubelle en poubelle, ce roman parvient à se coller autant de problèmes sur le dos que de rencontres inattendues. Spectateur involontaire des actes les plus hilarants comme des plus cruels, des plus vertueux comme des plus tordus, il nous raconte la malice, le désir et la folie qui habitent chacun de ses lecteurs.
Dans une langue tempétueuse et d’une verve insatiable, Ali Zamir rend ici hommage au Grand Guignol, tradition théâtrale inspirée des faits divers. C’est improbable et c’est réjouissant, nom d’un verbe précocement éjaculé !

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
France Culture (La salle des machines)
RTS (entretien mené par Nicolas Julliard)
Les Notes
Blog d’Alain Raimbault

Les premières pages du livre
« Mais qui êtes-vous, lecteur, un être en herbe ou en gerbe ? Je n’en crois pas mes lettres, vous avez donc mordu, savez-vous dans quelle drôle de galère vous vous embarquez ? C’est un coup tordu, vous vous êtes laissé entraîner par un titre sommaire, sans avoir pris le temps de tout calculer. Mais enfin, enfant d’Adam et d’Eve, que faites-vous ici, dans le corps d’un verbe précocement éjaculé ?

Attention, verbe non apprivoisé
Vous voilà qui, de vos grands yeux affamés, commencez à me lécher après m’avoir ouvert d’un geste impérieux, moi qui sur l’espace pur de ces pages demeure perché, épuisant toutes les tempêtes de plaisirs inépuisables, mordant sur la moindre souveraineté de grain de papier, telle la lave d’un volcan en pleine éruption éhontée, je coule en torrent, bouillonnant, je coule encore, déréglé, dépravé, j’avale le silence des esprits arides, les ténèbres des langues de vipère, le néant qui ronge, le chagrin qui mord, je sème des passions aveugles et parfois tumultueuses dans l’âme, je broie la pureté, la pudeur, la honte, et, ah, dans cet embuissonnement verbal où il est impossible de m’interrompre, effaré, écumant, je claque des dents, allons, je vais aller droit au but et vous fais cet aveu fugitif, je demeure un pauvre verbe fiévreux, sans domicile, à respiration stertoreuse, un petit voyou qui, dans sa misérable petite vie de vagabond, de va-nu-pieds, de moulin à paroles, se sait traqué régulièrement comme un gibier de pages, capturé, pris au piège de ces feuilles où, comme dans un linceul, je me couche matin, midi, soir, dos à la ligne, oui, dos à la ligne, dans ces pages si coquines que, lorsque nous faisons l’amour, moi et elles, l’œil qui nous contemple s’offre un orgasme de tonnerre et commence à abuser de moi, à abuser visuellement, expressivement, sexuellement, de mon être, pardi, je demeure sur la page, crucifié, et nous voici face à face, moi et vous, en cette heure cruciale, comme dans un rendez-vous galant, votre rétine est si vorace que j’en ressens l’empreinte sur chaque lettre de mes mots, ces grains de ma peau verbale, malepeste, juste ciel, vous me déshabillez, l’œil fiévreux, oui, votre insolent regard de gendarme en veut à mon corps défendant, vous prenez du plaisir à cela, n’est-ce pas, pensez-vous diable que c’est vivable, cette gymnophorie cuisante qui m’habite, me tourmente et me désarme, tressaillant de tout, et frissonnant quand vous m’empoignez sans soin, et que vous vous léchez chaque goutte de mon encre, mon pauvre cul rugissant dans le creux de votre main, cette main que voilà, rude et semblable à une machine de guerre, prête à tout, les bouts de mes fesses tremblotants entre vos doigts crasseux et secs, résolus à commettre l’irréparable, n’est-ce pas, camarade, tenant ce dos de ma couverture où est écrit un seul mot, unique et fallacieux, un mot à sonorités poétiques et qui ne veut pourtant absolument rien dire, jouissance, ce minuscule groupe de sons et de lettres effarant presque vos organes sensoriels, ma foi, ne me dites pas que ce traître et sinistre titre ne vous fascine pas, mais ce bel appât, camarade, c’est un miroir aux alouettes pour vous capturer, comme une mouette, c’est ça, y a-t-il un humain capable de me nommer sans défaillir, il ferait bien voir, car ce mot que voilà, «jouissance», qui est pour vous un abîme et une promesse de plaisirs sombres et orageux, n’est pour moi qu’un vaste champ de misère verbale, un mot insondable, voilà tout, privé que je suis de lecteur digne de ce nom, et je trouve insultant encore qu’un être de votre intelligence ose me parcourir sans mettre du cœur dans son regard, maintenant que vous me tenez entre vos mains, au lieu de penser à me déshabiller sauvagement, faites-le plutôt par consentement, faites la preuve d’un chef-d’œuvre comportemental, vous verriez alors d’un œil ébahi que mon verbe, blasé de caresses sincères, est capable de vous amener visiter les morts,
de découvrir le tréfonds du cœur et de tous les mystères avalés par la poussière, maintenant que vous vous êtes décidé à m’avoir dans votre filet, faites-moi la charité de m’écouter, sachez que la chance ne vous sourira pas à chaque fois, car je suis un verbe sauvage, à vrai dire, j’aimerais, moi aussi, m’enfourner à ma guise dans votre cœur comme dans une vieille armoire abandonnée, y fouiller à loisir, fourgonner, encore et toujours, jusqu’à déverser et à mettre sens dessus dessous tout ce qui se trouve dedans, vous déshabiller l’esprit, vous violer en somme, sur-le-champ, matin et soir, jusqu’à vous faire éjaculer précocement vos cachotteries endormies, c’est ça, jusqu’à vous faire vomir tous les secrets engouffrés dans le ventre de la vieille armoire que vous êtes, oui, j’aimerais, en définitive, depuis mes pages solaires, écouter d’un demi-verbe vos cris nocturnes, assister au déchaînement et au crépitement de gouttelettes dans vos yeux, avant même qu’elles commencent à perler, à ruisseler, ou à défigurer vos joues de poupée, et me dire en mon for intérieur que c’est moi qui vous possède, que c’est moi qui décide si vous êtes réussi comme genre humain ou non, qui vous façonne, vous refaçonne selon mon imagination, et que c’est moi qui peux selon mon bon plaisir décider quelle place vous méritez, s’il faut vous ranger, vous défaire, vous arracher un poil, vous couper un bras ou une jambe, vous froisser comme un chiffon, vous flanquer dans une poubelle, vous brûler ou encore vous envoyer au pilon, parce que vous m’avez assez désennuyé ou m’ennuyez encore, parce que vous me faites passer le temps agréablement ou péniblement, et que vous n’y pouvez rien du tout, nom d’un verbe précocement éjaculé, regardez-moi cette tête que vous faites, ce regard qui piaffe d’impatience et qui dit, «mais bon Dieu, qu’est-ce que ce livre me raconte comme salades au juste, qu’il accouche enfin ou qu’il me laisse tranquille », n’est-ce pas, vous n’accordez foi à quoi que ce soit, j’en suis certain, que je parle de quelque chose qui vous concerne, de moi ou de quelqu’un d’autre, vous vous en battez complètement l’œil, je vois bien, mais savez-vous diable quel genre d’ouvrage vous tenez entre vos mains molles, et dans quel genre d’affaires vous vous engagez en parcourant de vos yeux voraces mon maudit verbe, camarade, il ne faut pas s’embarquer sans biscuit, oui, retenez bien ceci, il ne faut point se lancer trop légèrement, si vous aimez votre pauvre petite vie de lecteur satisfait de lui-même et de tout ce qu’il a lu jusqu’ici, arrêtez votre lecture dès maintenant, inutile de vous crever les yeux, oui, vous feriez mieux de mettre d’emblée fin à ce déshabillage insolent, et de garder vos distances, faites-moi la charité de m’écouter, et je repose donc avec entêtement ma question sans plus gaspiller de ma précieuse encre écumeuse, et j’ose espérer une réponse de votre part, »

À propos de l’auteur
ZAMIR_Ali_©DRAli Zamir © Photo DR

Ali Zamir est né en 1987 aux Comores. Il vit actuellement à Montpellier. Il est l’auteur au Tripode de Anguille sous roche (2016 ; récompensé notamment de la mention spéciale du prix Wepler et du prix Senghor) et de Mon Étincelle (2017). Après Dérangé que je suis (prix Roman France Télévisions), il a fait paraître Jouissance en 2022.

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Partout le feu

LAURAIN_partout_le_feu  RL_Hiver_2022  Logo_premier_roman  coup_de_coeur

Roman en lice pour le Prix Régine Deforges du premier roman 2022

En deux mots
Militante antinucléaire, Laetitia n’hésite pas à mener des actions spectaculaires avec son groupe de militants. Mais dans une Lorraine polluée et désindustrialisée, son message a du mal à passer, y compris au sein de sa famille. Du coup, son moral est en berne.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Les combats de la génération Tchernobyl

Dans un roman à l’écriture très originale, Hélène Laurain met en scène une militante écologiste dans une Lorraine polluée. Elle mène un combat difficile sur une planète qui brûle alors que le monde regarde ailleurs.

Impossible de ne pas commencer par parler de la forme de ce roman très original. Il est composé de lignes sans ponctuation, que l’on pourrait assimiler à des vers d’un long poème, mais qui donne surtout à Hélène Laurain une liberté de construire une œuvre à base de punchlines, de paroles de chansons, de SMS, de citations, de post-it, de formules qui font souvent mouche, sans pour autant empêcher la fluidité de la lecture.
Laetitia, la narratrice, est une militante écologiste qui, au début du livre, vient de se faire arrêter encore une fois par la police, après avoir pénétré illégalement sur un site nucléaire avec sa bande pour y déployer une banderole dénonçant les dangers de l’atome. Il semblerait du reste que dès sa naissance, elle était la prédestinée à endosser ce costume de militante:
«le 26 avril 1986
à minuit 44
je naissais à la maternité des Orangers
3 minutes avant La Sœur
39 minutes avant la libération
à 2 108 kilomètres de là
des 200 bombes d’Hiroshima
milliards de milliards de becquerel
C’est chouette
de fêter chaque année l’avènement
de la génération Tchernobyl.»
La région où elle a grandi aura aussi contribué à cristalliser son engagement. Car en Lorraine, outre la centrale nucléaire de Cattenom, se dessine le projet d’enfouissement de tous les déchets nucléaires. Le projet baptisé Cigéo vise à stocker en couche géologique profonde les «déchets radioactifs de haute activité et à vie longue produits par l’ensemble des installations nucléaires françaises, jusqu’à leur démantèlement». Pourquoi cet endroit? L’explication d’Hélène Laurain peut faire froid dans le dos, car il y a sans doute une part de vérité dans la décision des autorités:
«Vous la connaissez celle-là
c’est l’histoire de trois énarques et quatre polytechniciens
dans une salle de réunion
ils disent beaucoup de choses
en écrivent beaucoup moins
dans leur rapport aux N +2
Nous nous inscrirons dans une démarche
de revalorisation des territoires ruraux ils écrivent
On n’a plus de colonies alors on va fourrer la merde
dans le trou du cul de la métropole ils disent
ils se demandent
s’ils devaient choisir une région bien pourrie
pour y déverser un torrent de déchets laquelle ils choisiraient
après un top 3 rapide
Nord – Picardie – Lorraine
ils remarqueront
qu’ils ont tous un faible pour la Lorraine
une région
triste comme une salle de cinéma vide
en pleine projection
ils se diront
Avec la sidérurgie ils sont habitués à se faire bien polluer
ils sont endurants
à défaut d’être résilients
les hommes s’intéresseront à la Meuse
presque vide.»
Face aux risques encourus et face à une planète qui se dérègle un peu plus tous les jours, elle se devait d’agir, même si pendant longtemps, elle aura cherché une autre voie. Après des études brillantes, classe prépa puis ESC Reims, elle a travaillé dans la communication, puis dans les relations publiques, mais sans s’épanouir. «puis j’ai fait une dépression j’ai arrêté
maintenant je fais des petits boulots
et je milite
j’essaie de trouver du sens à ce que je fais voilà.»
Après avoir vu le film Wild plants de Nicolas Humbert, qui agira pour elle comme un mantra et dont des scènes jalonnent le roman, elle choisit d’oublier ses brillants plans de carrière et part grenouiller à Thermes-les-Bains, où un espace balnéaire essaie de faire illusion tout près des anciennes aciéries et se lance dans l’action militante avec sa bande, avec Fauteur, Taupe, Dédé et Thelma. Mais au fil du temps, ils comprennent l’immensité de leur tâche. Refaire le monde en buvant des bières, en s’attaquant aux SUV, en se réfugiant à La Cave pour écouter Nick Cave ou faire l’amour, c’est bien loin de leur objectif. Expédients vite expédiés. Feux vite éteints. À moins que…
Hélène Laurain réussit son entrée en littérature dans un style qui n’est pas sans rappeler À la ligne du regretté Joseph Ponthus. La force des mots, scandés et alignés comme des paroles de rap, fait naître une étonnante poésie, teintée à la fois d’humour et de désespoir. Le tout dans un rythme qui dit l’urgence. Comme une danse au bord du volcan.

Playlist


Grace de Jeff Buckley

Partout le feu
Hélène Laurain
Éditions Verdier
Premier roman
156 p., 16 €
EAN 9782378561284
Paru le 6/01/2022

Où?
Le roman est situé en France, principalement en Lorraine, dans la ville imaginaire de Thermes-les-Bains ainsi qu’en Meuse, du côté de Bure.

Quand?
L’action se déroule de 1986 à nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Laetitia est née trois minutes avant sa sœur jumelle Margaux et trente-sept minutes avant l’explosion de Tchernobyl. Malgré des études dans une grande école de commerce, elle grenouille au Snowhall de Thermes-les-Bains, au désespoir de ses parents. Elle vit à La Cave où elle écoute Nick Cave, obsédée par les SUV et la catastrophe climatique en cours.
Il faut dire que Laetitia vit en Lorraine où l’État, n’ayant désormais plus de colonie à saccager, a décidé d’enfouir tous les déchets radioactifs de France. Alors avec sa bande, Taupe, Fauteur, Thelma, Dédé, elle mène une première action spectaculaire qui n’est qu’un préambule au grand incendie final.
Dans ce premier roman haletant où l’oralité tient lieu de ponctuation, Hélène Laurain, née à Metz en 1988, nous immerge au cœur incandescent des activismes contemporains.

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
goodbook.fr
Diacritik (Johan Faerber)
Podcast En lisant En écrivant
La semaine (Pierre Théobald)
Le Blog du petit carré jaune
Blog Vivement l’école !
Blog Shangols

Les premières pages du livre
« souvent encore j’en rêve
je monte dans la camionnette blanche en dernier
quand nos regards se croisent on sourit nerveusement
Taupe a le visage jaune éclairé par son 3310
pianote pianote pianote
on l’appelle
la sonnerie c’est la symphonie de Mozart là
Taupe dit OK et raccroche
C’est bon l’appel a été passé dit Taupe à la cantonade
faut se grouiller
je nous regarde avec nos combis orange
des cosmonautes de Guantanamo
On est à une ou deux minutes dit Fauteur au volant
j’ai super envie de pisser
ça me fait tressauter le genou
Taupe me l’immobilise d’autorité
Ça va aller respire elle me dit
c’est un ordre c’est pas pour rassurer
je respire
personne dit rien
et on les voit au loin
les silhouettes
sales même la nuit
des tours de refroidissement
sabliers doux
et la fumée
toujours
déjà Taupe qui me dit plus fort
Tiens-toi prête
prends l’échelle prends l’échelle
tout le monde a dans la main son outil
elle la disqueuse
Dédé la pince à coupe rase
Thelma la pince multifonctions
Jona la moquette
Fauteur la bannière sur le siège à côté de lui
il freine en dérapant

Sors sors on me crie
j’ouvre la portière arrière saute fais glisser l’échelle
le sac de Taupe tombe au passage Fais gaffe putain
je m’enfonce les ongles dans le pouce ça saigne
on a quelques minutes pour entrer
Thelma commence à paniquer
C’est ça le bâtiment on est d’accord hein c’est ça hein elle dit
le premier grillage on le passe à l’échelle comme prévu
on essaie de stabiliser la moquette sur les barbelés
on glisse dessus
comme ça
on se ramasse comme des merdes de l’autre côté
à part Dédé qui galère à se relever ça marche ça fonctionne
on est tous passés en environ une minute
le deuxième grillage
faut l’ouvrir
la disqueuse de Taupe et de chaque côté les pinces
agrandissent le trou
c’est comme dans du beurre
désormais
chaque geste est limpide
Vite vite vite Taupe dit on entend la sirène de la police
on plaque la moquette à l’intérieur du trou
on y passe
y’a Taupe qui dit Putain et qui se tient l’oreille mais pas le temps
Bannière la bannière grouille
on se met en place comme prévu moi en deuxième entre Taupe et Fauteur
et on la déroule pour notre drone
F U R I E V E R T E
TCHERNOBYL, FUKUSHIMA… FICKANGE ?
derrière y’a Thelma et Dédé qui sortent les feux des sacs à dos
Thelma a une tête d’on-devrait-pas-être-là
Jona la face bourrée de tics

les copains ont même pas capté les flics qui sont sortis
de leur voiture dérapante
les flics savent que c’est nous
Olivier a appelé pour prévenir
normalement ils savent
ils ont ouvert le premier grillage
on est à trois mètres d’eux avec notre banderole
et ça commence à péter au-dessus de nos têtes
bombes prune
bouquets mer
embrasements pers
cascades
soleils
paillettes
doré doré doré
ça fait
un ascenseur de couleurs sur la façade crade
et tout ça
juste à côté de la piscine à combustibles
les explosions croustillantes puis les aigus en enfilade
les bruits qu’on connaît par cœur
ceux de la barbe à papa et des desperados
ça rappelle
l’été
la nuit
même aux flics
et toutes ces étoiles
se reflètent sur l’uniforme
et le bruit couvre leurs voix
leurs gestes
moi je ris
jusqu’à la claque de Taupe derrière mon crâne
Laeti oh
les flics finissent par ouvrir le premier portail
je pisse un peu quand je vois qu’ils ouvrent déjà le deuxième
adrénaline
on se rend les mains en l’air

on n’est pas des cow-boys
ils se jettent sur nous quand même
bam la tête par terre je finis de me pisser dessus
la dernière fusée est lancée par l’un l’une ou l’autre
BOUM le saule pleureur
les épaules des policiers absorbent le choc sonore
en même temps
ils dansent
la lumière dessine quelque chose sur leurs visages
ils me soulèvent à quatre
Ma chaussure je crie
putain
il me manque une chaussure
par terre ma chaussure je crie
une claque bouche/nez
Ma chaussure je chuchote
ils me jettent dans le fourgon Ta gueule ils disent je suis assise comme un tas tout mal fait
et les autres copains en tas tout mal faits à côté je les sens trembler
à l’intérieur ça jubile bien
en silence
compliqué de se sentir plus vivant que ça
Thelma a le visage de c’était-pas-une-partie-de-plaisir
Fauteur est en face de moi cette fois
d’une camionnette à l’autre
on se regarde
son visage à lui m’encourage
je pense
ils ont la police
on a la peau dure
je lui souris
j’ai peur
en route pour la garde à vue
c’était un beau feu d’artifice
*
eczéma : main gauche jusqu’au majeur
aujourd’hui je suis du matin à La Crasse
en arrivant j’ai écrasé
un pigeon
j’ai rêvé ou son aile tressaillait encore
Balec fait son interview
avec la journaliste de terrepourtous.fr
il est avec elle
à l’extérieur
il pointe fièrement l’enseigne
la commente content
Snowhall de Thermes-les-Bains
Tout schuss vers le fun
on s’était tapé des heures de brainstorming
pour cette enseigne
à la fin on avait dû choisir
la première idée de Balec
ils entrent dans le hall
Balec y reste pour que tout le monde le voie
il a dû travailler toute la nuit sur ses éléments de langage
je fais l’accueil
par la vitre je vois la piste
vide
secouée de neige artificielle
je l’observe
agiter son corps arqué
j’entends des bribes
Très select
accueillant une piste de ski indoor
d’Auckland Dubai Madrid La Haye Shanghai Barcelone
de 620 mètres de long aussi
heureux d’avoir construit les
crassiers des hauts fourneaux

sous la neige
de la revalorisation de l’image de la région dans la
démarche de proximité visionnaire de
la part belle également
à l’équipe de France de ski alpin qui passe
malgré les faux procès dont nous sommes
moins polluant qu’une grosse piscine
de l’avenir de la discipline
il serre la main à la journaliste
nous rejoint les joues rouges
s’accoude l’air de rien au comptoir de l’accueil
détaché
Et l’arsenic l’amiante et le plomb
l’air pourri qu’on respire
t’en parleras la prochaine fois je lui demande
il renifle
Laetitia
ah Laetitia
avec son monosourcil froncé là
ça fait presque des frisottis
arrête avec tes conneries un peu
c’est des rumeurs pour bosser moins ça
tu crois qu’ils nous laisseraient travailler ici si y’avait de l’arsenic
c’est toi l’arsenic
bon allez il dit en se mettant en chemin
à la sortie du boulot
le pigeon à côté de ma portière
n’est désormais plus qu’une crêpe
maximum 5 millimètres d’épaisseur
*
de retour dans La Cave
à écouter Nick Cave
C’est pour le jeu de mots Fauteur m’avait demandé sur Signal
Même pas j’écoute que Nick Cave
en ce moment
et je regarde qu’un film
Wild Plants de Nicolas Humbert
encore et encore et encore je lui avais écrit
je lui avais pas dit que tout ça
tout ça c’était de la beauté safe
à chaque fois ces images me font
entendre Mémou
et sa phrase sur la beauté
dans la merde y’a Pépou qui lave sa bagnole
tous les soirs 18 h 30
je lui gueule par le soupirail
C’est arrosage interdit t’as entendu parler de la canicule déjà
il sait tellement bien ne pas écouter
on dirait qu’il entend pas
il frotte avec son éponge chamois comme ça
il a vieilli ça se voit aux tempes »

Extraits
« le 26 avril 1986
à minuit 44
je naissais à la maternité des Orangers
3 minutes avant La Sœur
39 minutes avant la libération
à 2 108 kilomètres de là
des 200 bombes d’Hiroshima
milliards de milliards de becquerel
C’est chouette
de fêter chaque année l’avènement
de la génération Tchernobyl
j’ai dit à Pépou juste avant
que tout le monde n’arrive »
p. 46

« S’ils croient que la lutte se cantonne aux centrales
Ils sont encore plus cons qu’ils en ont l’air
j’aurais commencé par leur demander aux policiers
Vous la connaissez celle-là
c’est l’histoire de trois énarques et quatre polytechniciens
dans une salle de réunion
ils disent beaucoup de choses
en écrivent beaucoup moins
dans leur rapport aux N +2
Nous nous inscrirons dans une démarche
de revalorisation des territoires ruraux ils écrivent
On n’a plus de colonies alors on va fourrer la merde
dans le trou du cul de la métropole ils disent
ils se demandent
s’ils devaient choisir une région bien pourrie
pour y déverser un torrent de déchets laquelle ils choisiraient
après un top 3 rapide
Nord – Picardie – Lorraine
ils remarqueront
qu’ils ont tous un faible pour la Lorraine
une région
triste comme une salle de cinéma vide
en pleine projection
ils se diront
Avec la sidérurgie ils sont habitués à se faire bien polluer
ils sont endurants
à défaut d’être résilients
les hommes s’intéresseront à la Meuse
presque vide » p. 50

« post-it n° 19
disparition de la biodiversité
1000 x > taux naturel d’extinction des animaux
crise actuelle = 100 x + rapide que dernière extinction naturelle (dinosaures)
75 % environnement terrestre
40 % environnement marin
50 % cours d’eau: signes importants de dégradation
sur 105 732 espèces étudiées :
28 338 classées menacées »
P. 76

« Tu sais moi aussi j’ai changé mes habitudes dans le sens-où éructe
madame je bouffe de l’humus et des fanes
j’achète des fringues produites en France quitte à y mettre le prix
je mange de la viande plus que quatre fois par semaine
je fais mon compost j’achète à l’Amap
je fais ce que je peux
C’est trop tard pour faire ce qu’on peut je dis
c’est l’heure de faire le nécessaire
Tu parles en banderoles toi maintenant Dans-le-Sens-où la ramène
c’est pas notre système qui s’effondre c’est juste toi il enchaîne
Ouh t’as travaillé tes répliques bravo j’applaudis
Toi et tes petits airs supérieurs
tu nous as toujours pris de haut il me répond
vu d’où je viens personne aurait parié sur moi
alors ouais je suis fier de ma grosse montre
et de ma grosse bagnole
j’ai pas le luxe de me la jouer
retour aux sources et la vie dans les forêts moi je peux pas retourner chez papa maman si je perds mon boulot
et j’hériterai pas d’une villa six pièces dans le centre-ville
alors à partir de dorénavant
tes leçons tu peux bien te les foutre dans le »
p. 94

« Bonjour
comment allez-vous depuis le temps
C’est Madame Mueller bonjour
Ah vous êtes mariée félicitations
Non
un silence
Alors qu’est-ce que ça a donné après la prépa
vers quoi vous êtes-vous dirigée
J’ai fait l’ESC Reims
c’était un cauchemar
après j’ai travaillé dans la communication un peu par dépit
c’était pas mieux
d’abord marketing digital
je ne sais pas ce qui ma pris
puis communication culturelle
un passage malheureux par les public relations à Luxembourg
puis j’ai fait une dépression j’ai arrêté maintenant je fais des petits boulots
et je milite
j’essaie de trouver du sens à ce que je fais voilà
Ah
très bien
je vois
eh bien
bon courage alors mademoiselle
silence
Vous n’avez pas changé en tout cas »
p. 130-131

À propos de l’auteur
LAURAIN_Helene_©Sophie_BassoulsHélène Laurain © Photo Sophie Bassouls

Née à Metz en 1988, Hélène Laurain a étudié les sciences politiques ainsi que l’arabe en France et en Allemagne, puis la création littéraire à Paris-VIII. Elle vit dans le Grand Est avec sa famille et y travaille en tant que traductrice de l’allemand. Elle anime actuellement un groupe de lecture au Fonds régional d’art contemporain de Lorraine autour du thème de l’émancipation. Elle s’intéresse notamment à ce qui a trait au vivant, au féminisme, à la maternité, et s’attache à trouver des formes qui disent le contemporain. Partout le feu est son premier roman (Source: Éditions Verdier)

Compte instagram de l’auteur https://www.instagram.com/helene_laurain/

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Les belles ambitieuses

HOFFMANN_Les_belles_ambitieuses

coup_de_coeur

En deux mots:
Amblard Blamont-Chauvry n’entend rien faire d’autre de sa vie que de profiter des plaisirs qu’elle peut lui octroyer. Mais, dans les années 70, les femmes sont ambitieuses et ne l’entendent pas de cette oreille. Même pas Coquelicot, la plus délicieuse d’entre elles…

Ma note:
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique:

Amblard le Bienheureux

Le nouveau roman de Stéphane Hoffmann est un régal de joyeuse ironie centrée sur un homme qui décide de ne rien faire, sinon de profiter de la vie. Dans son milieu, la chose n’est guère aisée, surtout quand quatre femmes ambitieuses vous entourent.

« Vous aurez beau vous agiter en tous sens, vous n’aurez qu’une expérience résuite à vous-mêmes. Les livres, eux, vous enrichissent de dix mille Existences. » Avouez-le, cette unique phrase suffit déjà à vous faire aimer le nouvel opus de Stéphane Hoffmann. L’auteur de Un enfant plein d’angoisse et très sage va vous convier à une fête de l’esprit ou le trait d’esprit – qu’on appelle aujourd’hui plus volontiers la «punchline» – est servi par une langue classique et élégante, où l’ironie cinglante voisine avec un humour pétillant.
Je ne sais si son «héros», Amblard Blamont-Chauvry, énarque et polytechnicien, aime l’opéra-comique. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il a décidé de vivre selon la formule de Jules Barbier et Michel Carré dans «Galathée» : « Ah ! qu’il est doux De ne rien faire Quand tout s’agite autour de nous. »
Car on s’agite beaucoup autour du jeune homme, énarque et polytechnicien de «bonne famille». Quatre femmes, Les belles ambitieuses du titre, vont essayer de (re)mettre le jeune homme dans le droit chemin. La comtesse de Florensac, sa marraine, est la plus expérimentée. À l’image de la Marquise de Merteuil dans les Liaisons dangereuses elle veut tout savoir des intrigues de cour – elle accueille chez elle et quelquefois dans son lit les ministres en exercice. Aussi manipulatrice qu’orgueilleuse, elle entend bien marier son protégé, quitte à la laisser ensuite folâtrer à sa guise. « Si un homme est doué pour l’amour, il doit faire profiter de ses qualités les autres femmes, si souvent délaissées. Et s’il n’est pas doué, il doit apprendre. Il s’améliore avec des maîtresses, l’épouse en profite, tu vois. »
Amblard va suivre ce conseil et épouser Isabelle Surgères, la seconde ambitieuse. Plus que pour avoir la paix que par amour. De fait, il ne se fait guère d’illusions : « Si on n’y prend pas garde, on se retrouve marié quand on prend juste plaisir à être ensemble. Mal assorti, le mariage est un crime parfait: deux morts. Le criminel – la société – n’est jamais punie. Il arrive même que ce double meurtre lui profite. »
En revanche pour elle, ce mariage doit être un tremplin pour atteindre les hautes sphères, celles qui décident, celles qui changent la vie. Sans doute plus par souci de sortir du rang et de se différencier que par conviction, elle s’affiche de gauche. Après tout, c’est «très tendance». Après des débuts en fanfare, il est nommé à Washington et elle peut parader au bras de son mari dans les dîners de l’ambassadeur Jacques Kosciusko-Morizet, les choses ne vont pas tarder à se gâcher.
Quelques années plus tard viendra le tour de sa filleule, Maxime d’Audignon. La jeune fille a le projet de construire un haras sur les terres familiales et vient demander l’aider d’Amblard, car elle se heurte au refus de son père. Et comme elle lui plaît bien…
Mais ma préférée est incontestablement Coquelicot qui doit ce surnom au jour de sa rencontre avec Amblard. Il faisait alors son service militaire et son régiment avait été choisi pour accueillir la reine d’Angleterre qui avait répondu à l’invitation du président Pompidou. Coquelicot, comme la couleur de la robe qu’elle portait, était l’une des hôtesses d’accueil dépêchées sur place. Très vite, ils vont se retrouver dans les bras l’un de l’autre et très vite ils vont s’amuser. Une complicité qui ne sera pas démentie par le temps, pétillante comme le champagne qui accompagne leurs retrouvailles. Un bonheur simple : « Je suis heureuse avec toi, tu es heureux avec moi. Laissons la société à Isabelle Surgères qui, elle, ne sera jamais heureuse parce que ce qu’elle n’a pas encore est plus important pour elle que ce qu’elle a. »
J’imagine qu’il y a un peu de Stéphane Hoffmann dans ce souvenir de jeunesse d’Amblard quand il raconte qu’il préférait se plonger dans Homère, Chateaubriand, Déon ou Lacarrière que dans la grande bleue. C’est ce qui nous vaut aujourd’hui ce magnifique roman.

Les belles ambitieuses
Stéphane Hoffmann
Éditions Albin Michel
Roman
272 p., 32,40 €
EAN : 9782226437334
Paru le 22 août 2018

Où?
Le roman se déroule en France, principalement à Paris et Versailles, mais aussi à Orly, à Bougival, à Louveciennes, à Rambouillet, à Condé-sur-Vesgre, à Vichy, dans les Alpes italiennes et aux États-Unis, à Washington.

Quand?
L’action se situe du 15 mai 1972 jusqu’à la fin du XXe siècle.

Ce qu’en dit l’éditeur
« Traîner au lit avec une dame aimable est une sagesse : on n’y a besoin de rien ni de personne d’autre. C’est aussi une plénitude, c’est-à-dire un paradis. »
Paris, années 70.
La comtesse de Florensac veut avoir le salon le plus influent de Paris.
La jeune Isabelle Surgères veut changer la vie.
La douce Coquelicot veut faire plaisir à ceux qu’elle aime.
Ce sont les belles ambitieuses.
Elles s’activent autour d’Amblard Blamont-Chauvry qui, bien que polytechnicien, énarque, et promis à une brillante carrière, a décidé de s’adonner à la paresse, l’oisiveté, la luxure, la gourmandise et autres plaisirs.
Que faire de sa vie ? Comment s’épanouir ? Doit-on être utile ? Peut-on être libre ? Faut-il être ambitieux ?
À ces questions, chacun des personnages, entre Paris, Versailles et les États-Unis, à la ville comme à la campagne, répond à sa façon, et de manière parfois surprenante.
On retrouve l’élégance et l’humour mélancolique de Stéphane Hoffmann, prix Roger Nimier pour Château Bougon, dans ce roman éblouissant de finesse. »

Les critiques
Babelio
Lecteurs.com
Le blog de Gilles Pudlowski 

Stéphane Hoffmann présente Les belles ambitieuses © Production Albin Michel

Les premières pages du livre
« Je la rencontre dans les jardins de Trianon pendant une visite de la reine d’Angleterre. Je fais alors mon service militaire au 76e régiment d’infanterie. Comme Proust, soit dit en passant. Et je suis du détachement accompagnant le président de la République et Mme Pompidou à Orly pour y accueillir la reine et le duc d’Édimbourg.
Tous se la jouent Grand Vent de l’Histoire. Le Royaume-Uni va entrer dans l’Europe. On annonce un référendum pour l’année suivante. Je me donne des airs de m’en foutre et, de fait, je m’en fous. Je n’y crois pas. L’Histoire ne se joue pas à la coupée d’Orly, avec un Léon Zitrone imbattable sur les couleurs de manteaux, châtaigne pour la reine, abricot pour Mme Pompidou.
Elle est une des hôtesses engagées pour l’occasion. Elle sourit au Grand Trianon, où la reine a pris ses quartiers et où aurait lieu le fla-fla. J’ai vite repéré, entre femmes de ministres et d’ambassadeurs, cette jolie brune à peau mate au bout des regards du duc d’Édimbourg et du ministre français de l’Économie et des Finances. Ces fins chasseurs l’avaient remarquée.
Mais c’est moi qui, le soir venu, l’emmène faire un tour dans les jardins de Trianon.
Elle hésite pourtant un peu :
– Je ne sais pas si je peux quitter le péristyle. On peut avoir besoin de moi à tout instant.
– Quel est votre rôle ?
Elle a une moue un peu vague, et qui me fait rire. Mais déjà elle me suit à pas lents, sans plus d’hésitation ni avoir demandé la permission à personne, ni regardé derrière elle. Bien sûr, je ne doute pas de moi. Nous marchons dans une allée si bien ratissée que les graviers semblent collés au sol. Je bombe le torse. Cet air tiède de tilleuls en fleur et de miel. Nous allons tranquillement vers le Grand Canal sur lequel, pendant des années, j’ai fait de l’aviron. Nous nous taisons. Si le silence se prolonge, il deviendra gênant. Je ne peux tout de même pas lui parler d’aviron.
– Qu’avez-vous fait depuis ce matin ? lui dis-je enfin.
Son petit rire. Spontané, clair et discret. Un rire d’enfant qui ne veut pas qu’on lui demande ce qui l’amuse.
– J’ai attendu, dit-elle enfin.
La voix est gaie, encore rieuse. Elle soupire, presse le pas. Je m’inquiète. Est-ce que je marche trop vite ? Mes grandes jambes. Et ces bottes. Mais elle reprend :
– Il a fallu arriver tôt. Trop tôt. On nous a coiffées. Puis habillées. C’est ma deuxième robe de la journée, explique-t-elle en tournant sur elle-même, dans un mouvement qui m’enchante. Je ne sais pas trop à quoi la première a servi. Vous aimez ?
C’est un fourreau de crêpe d’un rouge assez violent, avec un col Claudine en lamé argent.
– Cette couleur, c’est co-que-li-cot, m’explique-t-elle en détachant lentement les syllabes, comme si elle parlait à un demeuré. Joli, non ? Coquelicot, coquelicot, on dirait une chanson. C’est léger, c’est vif, c’est fragile, ajoute-t-elle. C’est violent, aussi ; et tenace. Comme moi. Dans cette robe, je me sens à la fois nue et protégée. C’est à la fois une peau et une armure, vous voyez ?
Elle éclate encore de rire devant mon air ahuri.
– Non, vous ne voyez pas. Les hommes comme vous ne voient rien aux femmes. Allons, je vous taquine. Bon, je reprends. Depuis ce matin, nous avons donc accueilli les invités. Nous les avons placés. Il a fallu garder le sourire en toutes circonstances. J’ai un peu mal à la mâchoire. Je pourrais vous raconter des choses pas jolies jolies sur certaines personnalités, mais nous dépendons de M. Senard, à qui nous avons promis le silence. J’aime beaucoup M. Senard. C’est le chef du protocole, vous savez, précise-t-elle comme si ça devait m’éblouir.
Je ris à mon tour. Cette fille me plaît.
– Oh ! gardez vos secrets, que voulez-vous que j’en fasse ? Croyez-vous que cela m’intéresse ?
Craignant de l’avoir froissée, je lui pose la main sur le bras. Elle ne frissonne pas.
– Pardon, je ne voulais pas dire ça. Ou, du moins, pas comme ça.
Elle continue à sourire mais, soudain, elle s’arrête net.
– Cette voix ! murmure-t-elle. »

Extraits
« Coquelicot s’arrête et, soudain, tout s’ordonne autour d’elle. Tout est neuf dans ces jardins que je connais depuis l’enfance, et qui partout invitent à l’amour parmi ces tilleuls aux parfums sucrés fuyant dans la perspective du Grand Quinconce. Les insectes tournoient dans la lumière poussiéreuse et dorée de juin. Les promeneurs, insoucieux de la présence de la reine, parlent doucement de leurs affaires. Tout cela pourtant tremble et s’estompe devant Coquelicot qui, seule, semble vraie. Elle s’est arrêtée et, en riant :
– Vous m’entraînez dans les jardins, je ne sais même pas qui vous êtes. Comment vous appelez-vous ? me demande-t-elle. Amblard Blamont-Chauvry ? C’est bien votre nom ? Le vrai ? Vous vous moquez de moi, c’est un pseudonyme, n’est-ce pas ? Savez-vous que Sacha Guitry avait un figurant nommé « Labite » et que c’était un pseudonyme ? (Elle rit encore ; plus longtemps, ça deviendrait vexant.) Mon Dieu ! vous avez un nom plus ridicule encore que le mien, que je ne vous dirai pas.
– Que je ne vous demande pas.
Elle hausse les épaules :
– Que voulez-vous faire, dans la France d’aujourd’hui, avec des noms pareils ? Autant porter des bois. »

« Dire que nous nous sommes amusés tous les deux, c’est ne rien dire. Nous nous sommes amusés, oui, mais surtout nous nous sommes trouvés.
L’amour avec Coquelicot ne va bien sûr pas très loin, dans la charmille, derrière le Buffet d’eau. Nous nous effleurons. Juste mes lèvres contre sa peau, « ne me décoiffez pas, je vous prie, que dirait M. Senard ? », son souffle dans mon souffle, son cœur palpitant, mes mains qui frôlent, une lumière qui naît. Une porte qui s’ouvre ; façon de parler, hélas.
De cette frustration, naît en moi un élan que je ne veux plus jamais perdre. Une frénésie que je veux ne jamais voir finir. Une évidence que je cherchais et que je viens de trouver. Et la certitude, à vingt-cinq ans, que ma vie sera merveilleuse.
D’une certaine manière, je suis né le lundi 15 mai 1972 à Versailles. Comme Archimède dans son bain, Paul de Tarse à Damas, Jeanne d’Arc dans le jardin de son père, entendant sainte Catherine, sainte Marguerite et saint Michel, Isaac Newton dans son verger de Woolsthorpe, Bernadette Soubirous à Massabielle ou Paul Claudel derrière son pilier de Notre-Dame. J’ai trouvé auprès de Coquelicot ma place dans le monde, ce qui engagerait ma vie entière : ma place est auprès de Coquelicot, par elle, avec elle et en elle. » p. 25-26

« Si on n’y prend pas garde, on se retrouve marié quand on prend juste plaisir à être ensemble. Mal assorti, le mariage est un crime parfait: deux morts. Le criminel – la société – n’est jamais punie. Il arrive même que ce double meurtre lui profite. » p. 32

« Depuis l’enfance, d’Audignon et moi nous mettons en garde contre les dangers que nous risquons et les bêtises que nous nous proposons de faire. Nous faisons toujours ces bêtises la prudence n’est pas notre fort -, nous évitons parfois ces dangers, mais avec le soutien d’un ami qui, quoi qu’on fasse, ne nous juge pas et prendra notre défense. .
Aujourd’hui, tout de même, quelque chose change. Pour la première fois, lui et moi nous présentons en même temps sur ce champ de tir aux pigeons qu’est le mariage. Thierry ne peut plus rien pour moi, je ne peux plus rien pour lui. » p.75

« « Je ne sais rien de toi, tu ne sais n’en de moi. » Nous avons trouvé la vérité de notre relation : l’amour physique. On me dit que j’ai une vie de chatte de gouttière. C’est curieux comme on condamne ceux qui font du bien. Je suis heureuse avec toi, tu es heureux avec moi. Laissons la société à Isabelle Surgères qui, elle, ne sera jamais heureuse parce que ce qu’elle n’a pas encore est plus important pour elle que ce qu’elle a. Pourtant, loin d’être frivole, Coquelicot est appliquée, réfléchie, studieuse, pieuse même : ne fait-elle pas une petite prière avant l’amour? Elle met du sérieux dans tout, surtout dans les jeux du lit.
Il est vrai que ce sont les seuls jeux que je lui connaisse. » p. 80

« Nous sentons que nous avons, l’un sur l’autre, du pouvoir et nous décidons de ne pas l’utiliser. Pas encore. Nous nous ménageons, ce qui est normal puisque nous sommes destinés à être un ménage. Nous ressemblons à des chatons pour calendrier des postes.
Ce mariage avec Isabelle serait une catastrophe? Peut-être, et alors? C’est amusant, les catastrophes qui ne concernent que deux personnes et font plaisir à tant de monde. Vivre, n’est-ce pas faire des bêtises ? Ce qu’on appelle : avoir des aventures.
Sinon, quel ennui ! » p. 87

« Je vais te dire ce que je pense, Amblard, poursuit Marraine en prenant la coupe de Dom Ruinart 1966 que lui tend l’hôtesse. Merci, mademoiselle. Je pense qu’un homme fidèle est un vicieux, un égoïste et un goujat. Ou alors, qu’il n’a pas de santé. Parfaitement. À ta santé, justement. (Elle cligne de l’œil.) Et à tes amours, hu! hu! hu! Comprends-moi bien. Si un homme est doué pour l’amour, il doit faire profiter de ses qualités les autres femmes, si souvent délaissées. Et s’il n’est pas doué, il doit apprendre. Il s’améliore avec des maîtresses, l’épouse en profite, tu vois. » p. 124

À propos de l’auteur
Journaliste et critique littéraire, Stéphane Hoffmann publie Le Gouverneur distrait en 1989 et obtient le prix Nimier pour Château Bougon en 1991. Des filles qui dansent (2007) et Des garçons qui tremblent (2008) le consacrent comme un de nos plus brillants romanciers. Les autos tamponneuses, en 2011, confirment son succès. En 2016, il obtient le prix Jean Freustié pour Un enfant plein d’angoisse et très sage. (Source : Éditions Albin Michel)

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