L’été en poche (52)

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Une forêt d’arbres creux

En 2 mots
Une famille des déportés arrive à Terezin. Le père, employé au bureau d’architecture va résister par le dessin. La culture comme porte de sortie de ce court roman. Poignant.

Ma note
etoileetoileetoileetoile (j’ai adoré)

Si vous voulez en savoir plus…
Ma chronique complète publiée lors de la parution du roman en grand format

Les premières lignes (epub)

L’avis de… Delphine Peras (Lire)
« Antoine Choplin restitue avec une immense sobriété les conditions de vie éprouvantes, la faim, la maladie, la promiscuité, les humiliations. Son talent d’écriture n’est pas en reste pour faire sentir la pointe du crayon gras sur la feuille et l’art comme ultime échappatoire. »

Vidéo
Olivier Barrot présente «Une forêt d’arbres creux» dans son émission Un livre, un jour. » © Production France Télévisions

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Légende d’un dormeur éveillé

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En deux mots:
De 1928 à 1945, sur les pas Robert Desnos nous découvrons un homme, son œuvre, ses amis et une époque extraordinaire de création artistique avant l’épisode sombre de la Seconde guerre mondiale. Un roman magnifique, à la fois lumineux et sombre.

Ma note:
★★★★★ (coup de cœur, livre indispensable)

Légende d’un dormeur éveillé
Gaëlle Nohant
Éditions Héloïse d’Ormesson
Roman
550 p., 23 €
EAN : 9782350874197
Paru en août 2017

Où?
Si la vie de Robert Desnos s’est principalement déroulée à Paris, le poète a aussi beaucoup voyagé en France et à l’étranger. Le roman évoque notamment La Havane, la Bourgogne, Montfort sur Chalosse, Belle-Île, Cerisy, Molay-Littry, Ville-Evrard, Madrid, Compiègne et s’achève avec la déportation qui passe par Auschwitz, Buchenwald, Flossenbürg, Flöha, Liebotchau et Terezin (Theresienstadt).

Quand?
L’action se situe de 1928 à 1945.

Ce qu’en dit l’éditeur
Robert Desnos a vécu mille vies – écrivain, critique de cinéma, chroniqueur radio, résistant de la première heure -, sans jamais se départir de sa soif de liberté et d’amour. Pour révéler cette vie, aussi héroïque qu’engagée, Gaëlle Nohant a épousé les pas du poète, des Halles à Montparnasse, non sans quelques détours, à Cuba ou à Belle Ile. Comme si elle avait écouté les battements de son cœur dans l’atelier de la rue Blomet, s’était assise aux terrasses du Select ou du Flore en compagnie d’Antonin Artaud, de Prévert et d’Aragon ; avait tressailli en écoutant les anathèmes d’André Breton, fumé l’opium avec la chanteuse Yvonne George, et dansé des nuits entières aux côtés de Kiki et de Man Ray.
Pour ce voyage avec Desnos, elle puise dans son œuvre, sondant les âmes en medium, et comme lui, « parle surréaliste ». S’identifiant à Youki, le grand amour de Robert, elle l’accompagne jusqu’au bout du voyage, au camp de Terezín.
Fabuleuse investigation littéraire, Légende d’un dormeur éveillé ressuscite quinze ans d’histoire, des années 1930 à l’Occupation. Une traversée du XXe siècle, vivante et tumultueuse, sur les traces d’un héros dont on ne peut que tomber amoureux.

Ce que j’en pense
« Il n’y aura pas de connaissance véritable de Desnos tant qu’on n’en aura pas établi la légende. (il est bien entendu, en ce qui le concerne, que tout ce qui est légendaire est vrai) » Raymond Queneau, Revue Simoun

Un mille-feuille. Je ne vois pas meilleure image que ce grand classique de la pâtisserie française pour décrire ce délicieux roman, si riche et si magnifiquement construit, offrant des couches successives de lecture pour nous régaler.
La couche de base est celle consacrée à Robert Desnos. Par la magie de sa plume, Gaëlle Nohant va nous faire découvrir la vie de ce poète et nous prouver que s’il est un peu oublié de nos jours, c’est bien à tort. Le récit commence en 1928 au moment où Desnos revient en France, après avoir assisté à La Havane au Congrès de la presse latine. Dans ses bagages, il ramène un passager clandestin, Alejo Carpentier. Grâce à son nouvel ami, il va non seulement réussir à fuir le régime du dictateur Machado, mais trouver à Paris un refuge, un emploi et une communauté d’artistes en pleine effervescence. Les compositeurs travaillent avec les peintres, les écrivains avec les cinéastes, les photographes avec les musiciens. Sans oublier leurs muses, modèles, épouses, inspiratrices. La fièvre créatrice s’empare de chacun d’eux, l’émulation est permanente, les rendez-vous presque quotidiens…
« Tandis qu’il marche vers l’atelier de Man Ray, Robert repense à la soirée d’adieux que Man et Kiki ont donnée pour lui avant son départ pour Cuba. Comme elle lui semble loin! Yvonne était la, ils ont bu des vins délicieux, son amour riait, Kiki a chanté et il a récité des vers de Victor Hugo. Oui c’est ça, il s’en rappelle maintenant, parce que Kiki a fini par lui réclamer gentiment: « Du Desnos, du Desnos! » Alors il a sorti une feuille froissée de sa poche, dépliant le récit en forme de poème qu’il avait écrit à une table du Dôme. En lisant, il les sentait suspendus à sa voix, il entendait la densité du silence de Man Ray, son excitation. Quand il a terminé, le photographe lui a dit avec son accent inimitable:
– Robert, ton poème c’est un film, tu sais? just the script I was looking for. Nothing to change.
Se levant pour finir son verre, d’une démarche que l’ivresse rendait chancelante, l’Américain a demandé à Robert s’il l’autorisait à mettre ses mors en images. Kiki applaudissait, ravie :
– Quelle idée merveilleuse! Je veux participer, Man. Laisse-moi jouer la femme fatale.
Man a hoché la tête en souriant, et Yvonne a souligné qu’avec Kiki la brune, il fallait un blond, pourquoi pas André de la Rivière ? Et pour jouer l’intrus qui enlève Kiki au héros, qui mieux que Robert lui-même ?
¬– On va tourner la dernière scène après Cuba, Bob, a réfléchi Man Ray. Better this way. Je promets, le film est prêt quand tu reviens.
Ce projet euphorise le poète. Depuis toujours, les écrans de cinéma sont le prolongement de ses rêves. »
De cette manière, on voit L’Étoile de mer naître et le rôle moteur qu’y joue la passion amoureuse.

Grâce à un travail documentaire exceptionnel, les femmes qui ont traversé sa vie son ici incarnées, à commencer par Yvonne George pour laquelle il brûle d’une passion d’autant plus intense qu’elle n’est que fantasmée et que la chanteuse et comédienne belge sera emportée dans la mort dès 1930. L’ironie du hasard veut que ce soit lors de son ultime gala qu’il rencontre Foujita et son épouse Lucie Badoud, que le peintre japonais appelle Youki. Desnos s’éprend presque instantanément d’elle.

DESNOS_Youki2© Bibliothèque littéraire Jacques Doucet

Commence alors une sorte de ballet amoureux à trois avant que Foujita ne regagne définitivement le Japon et que Youki n’emménage chez Robert Desnos, ne devienne sa femme et ne l’accompagne jusqu’à ce moment tragique où il partira pour Auschwitz. « Quand il eut passé le pont, les Fantômes vinrent à sa rencontre. »
On n’oubliera pas non plus la courte apparition de la chanteuse de la Nouvelle-Orléans, Bessie de Saussure, qui séduira aussi le poète sensible aux belles voix.

Mais revenons à notre mille-feuille. La seconde couche, tout aussi riche et intense nous plonge au cœur de la création artistique avec une impressionnante liste d’artistes qui se côtoient, s’aiment avant de se détester cordialement, mais sentent combien ils sont complémentaires. De Montmartre on passe à Montparnasse et, nonobstant quelques excès, on essaie sans cesse d’explorer de nouveaux domaines. Ainsi « Robert n‘entend pas limiter sa poésie à un seul support. Pour lui, l’écriture est ce territoire mouvant qui doit se réinventer sans cesse, demeurer une insurrection permanente, une fontaine de lave, des corps joints dans la danse ou l’amour, une voix qui descelle les pierres tombales et proclame que la mort n’existe pas, une expérience sensorielle. » Les surréalistes sont alors au faîte de leur carrière. Un groupe qu’André Breton entend régenter, quitte à attaquer tous ceux qui n’entendent pas suivre le dogme qu’il a édicté. Pour l’auteur de Nadja, Robert « a renié le surréalisme, il s’est vendu à la presse bourgeoise, il a démenti les espoirs placés en lui et stagne désormais dans sa poésie rétrograde et ses alexandrins boiteux, par faiblesse de caractère et auto-complaisance. Pour faire bon poids, André a crû bon d’ajouter une anecdote pleine de sel qui dépeint Robert comme le poivrot de service. Et puis il y a cette phrase si blessante : « Depuis lors, Desnos, grandement desservi dans ce domaine par les puissances mêmes qui l’avaient quelque temps soulevé et dont il paraît ignorer encore qu’elles étaient des puissances de ténèbres, s’avisa malheureusement d’agir sur le plan réel où il n’était qu’un homme plus seul et plus pauvre qu’un autre, comme ceux qui ont vu, je dis : vu, ce que les autres craignent de voir et qui, plutôt qu’à vivre ce qui est, sont condamnés à vivre ce qui “fut” et ce qui “sera”. »
Robert sort en claquant la porte. Marcher, c’est la seule chose à faire quand il n’est que rage. Marcher, tandis que son esprit martèle au rythme de ses pas les mots auxquels plus tard il lâchera la bride. Sa colère est un miroir traversé d’un poing sanglant qui l’étoile en milliers d’éclats meurtriers. Il y a des mois qu’il s’est éloigné du groupe surréaliste, et il sait que la survie du clan repose sur le rejet des individus qui cessent de croire en lui. Mais il n’a pas mérité un tel rejet.
Dans quelques heures, comme presque tous les soirs, il ira retrouver Prévert, Bataille, Masson, Queneau et les autres excommuniés aux Deux Magots. Ils décideront quelle forme donner à cette fureur, comment la pétrifier sous forme d’arme blanche, d’arme de poing, de poing serré. » Là encore, on aimerait raconter tous les épisodes qui vont suivre, les affinités électives, le rôle de la presse et des revues, mais aussi de la radio qui permet à Robert Desnos d’offrir aux Français quelques grands moments de poésie et quelques souvenirs mémorables tels que cette journée Fantômas. Si le bouillonnement intellectuel est quelquefois noyé dans l’alcool et les paradis artificiels, c’est que constamment on cherche les limites et comment les franchir. On aimerait aussi retracer les samedis dans le nouvel appartement qui ont été érigés en rituel par Robert et Youki et qui accueillent semaine après semaine les amis, les frères Prévert, les Fraenkel, les Jeanson et Alejo et les amis des amis, on aimerait aussi revenir sur la création des Artistes Révolutionnaires, sur les belles rencontres comme celle avec Garcia Lorca, par exemple. C’est peut-être à ce moment que Robert pressent sans doute que les poètes doivent s’insurger face aux périls qui montent, s’engager dans le combat politique.

DESNOS_ernst_surrealistesLe tableau de Max Ernst «Au rendez-vous des amis» (1922). © Musée de Cologne 
Le groupe surréaliste est représenté entourant Fédor Dostoïevski. On reconnaît René Crevel, Philippe Soupault, Hans Arp, Max Ernst, Max Morice, Theodor Fraenkel, Paul Éluard, Jean Paulhan, Benjamin Péret, Louis Aragon, Johannes Baargeld, Giorgio de Chirico, Gala Éluard, future épouse de Salvador Dali, et Robert Desnos.

La troisième couche du mille-feuille, celle qui nous dépeint l’histoire du monde, la montée des périls et cette guerre qui arrive peut à priori vous sembler indigeste. Rassurez-vous, il n’en est rien. Ce sont mêmes les plus belles pages du livre. Car nous sommes alors confrontés au combat essentiel, celui où l’on peut – on doit? – mourir pour des idées, celui où les sentiments sont transcendés par l’urgence, celui où la colère face à l’injustice vous remue corps et âme. « La poésie, le théâtre, la peinture et la musique peuvent triompher de la peur et de la haine, créer des ponts entre les hommes. Même si le temps presse, il est encore temps.
Insiste, persiste, essaye encore.
Tu la dompteras cette bête aveugle qui se pelotonne. »
Depuis 1933, on suit la montée du nazisme avec l’édiction des lois qui déchoit les juifs de leur nationalité et de leurs droits civiques, la montée du fascisme et l’envahissement de l’Éthiopie par Mussolini, la Guerre d’Espagne et ce combat inégal entre une armée organisée et des partisans aussi désarmés que novices, la montée de l’extrême-droite en France qui ne va pas hésiter à s’en prendre physiquement à Léon Blum après l’avoir copieusement insulté et va refermer la parenthèse du Front populaire et préparer le terrain aux troupes allemandes.
L’évidence s’impose alors très vite à Desnos: il faut résister. Après sa mobilisation, il part au front, est fait prisonnier puis libéré. Une fois encore, il entend mettre ses mots au service des valeurs universelles dans les colonnes d’Aujourd’hui fondé par Henri Jeanson. Même après la mise sous tutelle par les autorités allemandes, il essaiera de conserver une liberté de parole. Mais l’ennemi aura le dernier mot. Sauf que l’ennemi est à chercher dans les rangs des aigris, des jaloux, des revanchards et non dans ceux des envahisseurs allemands. Une histoire française qui fait tant de mal. Dramatique, terrible, bouleversante. Dont le journal de Youki retrace les ultimes épisodes…
« De toi, je n’ai rien oublié. Ce geste, quand tu te penches et enlèves tes lunettes pour m’embrasser. L’odeur de tes cheveux, le goût de ta salive, la brûlure de tes mains. Le désir qui te change imperceptiblement, donnant un éclat fauve à tes prunelles. La ferveur. Tes yeux traversés d’orages et de tendresse après la jouissance. Le poids de ton corps sur le mien.
Pardonne-moi de m’arrêter là, c’est trop douloureux. »

DESNOS_Dernière_photoDernière photo de Robert Desnos à Terezin

Entre les couches de pâte feuilletée, notre mille-feuille tient grâce à la crème pâtissière, à l’écriture de Gaëlle Nohant. Au moins depuis La part des flammes, on sait avec quel talent elle parvient à dépeindre une atmosphère, à camper des personnages, à entraîner le lecteur dans une histoire. En suivant Robert Desnos, elle devient magicienne, parvient à nous hypnotiser et à nous transformer en dormeurs éveillés. Je prends le pari qu’en refermant cet extraordinaire roman vous serez tous devenus des inconditionnels de Robert Desnos et que vous aurez envie de (re)découvrir son œuvre dont les plus beaux vers parsèment le livre. Peut-être même voudrez-vous adhérer à l’association des Amis de Robert Desnos? Mais vous serez aussi devenus des inconditionnels de Gaëlle Nohant et irez courir chez votre libraire acheter ces deux autres romans disponibles en livre de poche.

Pour aller un peu plus loin:
Le site de l’association des Amis de Robert Desnos
L’Étoile de mer Robert Desnos et la Guerre 1939-1945 Dossier, témoignages et hommages inédits (Cahier Robert Desnos n°6)


Gaëlle Nohant présente «Légende d’un dormeur éveillé» © PAGE des libraires

Autres critiques
Babelio 
Culturebox (Anne Brigaudeau)
Page des libraires (entretien avec l’auteur)
Amis de Robert Desnos (Jacques Fraenkel)
Blog de Nicolas Houguet
ernestmag.fr
Blog Entre les lignes (Bénédicte Junger)
Blog Parenthèse de caractère(s) 
Blog Carobookine
Blog Cathulu 
Blog Lecturissime 
Avis des lecteurs du livre sur lecteurs.com
Blog Le boudoir de Nath 

Les premières pages du livre

Extrait
« L’été 1930 est reparti comme un voleur, emportant sur son dos un sac de mauvais présages. Robert, Youki et Foujita ont regardé les files s’allonger aux portes des soupes populaires, entendu les clameurs montant des ventres affamés. Cette rage qui tourne comme un fauve à la recherche d’un défoulement, fût-il brutal et aveugle. Occuper des journées blêmes, sans horizon. La valse sans fin de gouvernements interchangeables, dont on ricane pour ne pas en pleurer. L’impuissance devant ces marionnettes qui n’ont que patrie et morale à la bouche. Réarmer ou pas, dévaluer le franc ou pas. Faire confiance à l’Allemagne ou redouter cette ennemie de toujours. Fermer les frontières de décrets en motions et en quotas, ou demeurer fidèles à une tradition d’accueil vieille de plusieurs siècles. Un jeu d’échecs où le peuple des crève-la faim est toujours mat, quelle que soit la stratégie retenue. »

À propos de l’auteur
Née à Paris en 1973, Gaëlle Nohant vit aujourd’hui à Lyon. Après L’Ancre des rêves, 2007 chez Robert Laffont, récompensé par le prix Encre Marine, elle publié  La Part des flammes. Légende d’un dormeur éveillé est son troisième roman. Elle est également l’auteur d’un document sur le Rugby et d’un recueil de nouvelles, L’homme dérouté. (Source : Site de Gaëlle Nohant)

Page Wikipédia de l’auteur 
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Une forêt d’arbres creux

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Une forêt d’arbres creux
Antoine Choplin
La fosse aux ours
Roman
116 p., 16,00 €
ISBN: 9782357070653
Paru en mai 2015

Où?
Le roman se déroule à Terezin, ex Theresinestadt, aujourd’hui en République Tchèque.

Quand?
Le récit commence en décembre 1941 et se poursuit sur les mois suivants.

Ce qu’en dit l’éditeur
TEREZIN, RÉPUBLIQUE TCHÈQUE, décembre 1941.
Bedrich arrive dans la ville-ghetto avec femme et enfant. Il intègre le bureau des dessins.
Il faut essayer de trouver chaque matin un peu de satisfaction en attrapant un crayon, jouir de la lumière sur sa table à dessin, pour enfin s’échapper du dortoir étouffant, oublier la faim, la fatigue et l’angoisse.
Chaque jour se succèdent commandes obligatoires, plans, aménagements de bâtiments. Chaque nuit, le groupe se retrouve, crayon en main, mais en cachette cette fois. Il s’agit de représenter la réalité de Terezin sans consigne d’aucune sorte.
Et alors surgissent sur les feuilles visages hallucinés, caricatures. Tout est capté et mémorisé la nuit puis dissimulé précieusement derrière cette latte de bois du bureau des dessins.

Ce que j’en pense
****
Les hasards de mes lectures (mais y-a-t-il vraiment un hasard) m’ont fait découvrir Antoine Choplin après avoir terminé La zone d’intérêt de Martin Amis. Les deux livres ont été pour moi un même choc, même s’ils sont stylistiquement parlant à des années-lumière.
Ici, pas de provocation, pas d’ironie. Antoine Choplin choisit une écriture très classique, une phrase poétique pour rendre compte de l’horreur des camps. Ce choix rend du reste encore plus fort le contraste entre la dureté des conditions de vie et l’horreur de ce camp de transit où périrent quelque 33000 personnes et la beauté formelle du récit.
Nous suivons Bedrich, Johanna et Tomi à leur arrivée en décembre 1941. La mère et l’enfant sont placés dans le quartier des femmes, le père dans un braquement insalubre avec ses compagnons d’infortune. Son savoir-faire l’amène à intégrer le bureau des dessinateurs où il est notamment chargé des plans du crématorium. « Bedrich s’emploie à l’harmonie des façades, à l’équilibre visuel de la construction dont la funeste vocation, par de longues intermittences, disparaît de son esprit. »
Assez vite, avec ses collègues, il entend profiter de son statut un peu privilégié et entreprend de résister à sa manière. Sa mission et celle de quelques autres du bureau des dessins, consiste à élaborer pour les visiteurs « un album, florilège brillant, témoin du bien-vivre et des harmonies de Terezin ». On assiste notamment à des travaux surréalistes d’embellissement du camp avant la venue d’une délégation de la Croix-Rouge.
Mais Bedrich veut que le monde sache la vérité « sensible et nue ». Avec ses amis, ils font ce qu’ils savent le mieux faire et dessinent, racontent ce que subissent les déportés et racontent leur quotidien par l’image.
«Il lève les yeux vers Ungar, comprend ce à quoi s’emploie sa main alerte, les files d’attente devant les dépôts de nourriture ; de l’autre côté Bloch en termine avec l’esquisse de plusieurs figures humaines hallucinées, rassemblées en d’étranges postures…» Bien entendu, il leur faut cacher soigneusement leurs œuvres afin d’éviter les représailles, mais surtout pour que leur acte de résistance soit utile. Car très vite on comprend que face à la barbarie, la culture est un vrai rempart. C’est du reste le message qu’il entend transmettre à ses congénères et à son épouse : « Il lui disait combien les livres et les choses du savoir, c’était important. Le calcul, la poésie. Même ici, à Terezin, ça comptait. Surtout ici, il a ajouté, ici et maintenant, à Terezin. »
Un combat poignant, à l’issue incertaine, mais qui offre aussi par sa dimension artistique une porte de sortie : « Enfin, peut-être qu’un surplus de finesse ferait sourdre cette chose minuscule et que trahirait à leurs visages un je-ne-sais-quoi d’étincelant et de dérisoire : un peu d’espoir, voilà, ravivé par les propos d’Ungar mais maintenant endossé par chacun d’eux. Après tout – c’est ce à quoi pense Bedrich -, on pourrait bien finir par échapper aux convois vers l’Est, et il faudrait bien qu’un de ces jours tous ces murs s’effondrent. »
Un court roman qui est aussi un grand livre !

Autres critiques
Babelio
L’Express
Un livre, un jour (Olivier Barrot)
Blog Le Grenier à livres
Blog Addict Culture
Blog Sur la route de Jostein
Blog D’une berge à l’autre
Blog Les livres de Joëlle
Blog Cannibales lecteurs

Extrait
« Décembre de l’année 1941. Bedrich arrive à Terezin, avec sa femme Johanna et son fils Tomi qui n’a pas encore un an. La musette qu’il s’est pendue autour du cou bat contre le haut de ses cuisses et son poids lui brûle la nuque. Au bout du bras replié jusqu’à l’épaule, il tient un sac de grande taille qui roule d’un flanc à l’autre au rythme de ses pas. De son autre main, il tire un ballot en toile robuste qui traîne au sol. Tomi est dans les bras de sa mère, protégé par une couverture qu’elle maintient rabattue tout autour de lui.
Ils marchent face au vent hivernal. À l’unisson, tous les corps s’inclinent à son encontre, formant un amas gris et homogène, à la flèche univoque et que souligne d’autant le lest des bagages. Quelques arbres isolés, de ceux que l’on peut remarquer tandis que l’on s’approche des remparts et que les bois s’estompent, dessinent des obliques prononcées elles aussi, tendues à la rencontre des hommes. » (p. 12-13)

A propos de l’auteur
Antoine Choplin est l’auteur de Radeau, du Héron de Guernica et de La Nuit tombée (prix France Télévisions 2012). (Source : Editions La fosse aux ours)

Site Wikipédia de l’auteur

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