Le cabaret des mémoires

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En deux mots
Samuel est désormais père. Avant le retour de son épouse et de son bébé de la maternité, il comble sa solitude en convoquant ses souvenirs d’enfance et en cherchant comment il pourra lui transmettre ce lourd héritage, cette Shoah qui a décimé sa famille.

Ma note
★★★★ (j’ai adoré)

Ma chronique

Une naissance et tant d’absents

Dans ce court roman Joachim Schnerf cherche à relier son enfance à Rosa, la dernière survivante d’Auschwitz, et son fils qui vient de naître à la Shoah. Les affres d’un père face au devoir de mémoire.

«Par tous les moyens, je dois raconter à mon fils, je dois lui parler d’Auschwitz et de Rosa avant qu’elle s’éteigne. Qu’il entende son nom en la sachant en vie. Sinon, comment nous croiront-ils?» Samuel est seul chez lui. Son épouse Léna est encore à la maternité avec son fils. Une attente qui angoisse le jeune père. Sera-t-il à la hauteur de ce nouveau rôle? Pourra-t-il faire mieux que son propre père qui a longtemps choisi de ne pas le traumatiser avec le lourd passé familial avant d’évoquer sa sœur Rosa, partie s’installer au Texas où, tous les soirs, elle racontait son histoire dans le saloon de Shtetl City.
La tante d’Amérique qui a alors habité l’imaginaire de Samuel au point d’en faire l’héroïne de ses vacances dans les Vosges. Avec sa sœur Tania et son cousin Michaël, ils traversaient le désert et bravaient mille dangers pour parvenir à ce cabaret jusqu’à Rosa. Car alors, il fallait le soutien de l’imaginaire pour construire un récit par trop parcellaire.
Mais avec les années, Samuel va apprendre l’horreur de la Shoah, le drame qui a frappé sa famille qui a réussi à quitter «la Pologne antisémite et son shtetl, pour la patrie des Lumières, avant d’être rattrapée par le nazisme et la collaboration.» Rafles, déportation, extermination. Une fin que connaîtront six millions de personnes et qui ne peut que marquer le jeune homme qui doit apprendre «à respirer pour transformer les angoisses en névroses.»
«C’est lors du camp d’été au cours duquel j’ai rencontré Léna que j’ai compris pour la première fois comment me détacher de moi – je me trouvais à ce moment dans mon petit bois, mon refuge.» Alors, il communie avec Rosa, car à des milliers de kilomètres c’est le même combat qu’elle mène. Elle aussi cherche comment dire l’indicible.
C’est à l’enterrement du grand-père qu’il fera sa connaissance. «Je ne la reverrais plus jamais, mais ses yeux familiers et son tatouage continuent pourtant de me hanter. Comme un souvenir associé à la mort de mon grand-père, comme l’unique maillon me liant au génocide juif de ce côté de la famille.»
Joachim Schnerf, qui dédie ce roman à ses enfants, aura peut-être réussi à exorciser ses fantômes avec ce roman. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il aura réussi à poser sa pierre sur la tombe de Rosa.

Le cabaret des mémoires
Joachim Schnerf
Éditions Grasset
Roman
140 p., 16 €
EAN 9782246828921
Paru le 24/08/2022

Ce qu’en dit l’éditeur
Demain matin, Samuel ira chercher sa femme et leur premier né à la maternité. Alors, en cette dernière nuit de solitude, à l’aube d’une vie qui ne sera plus jamais la même, Samuel veille. Partagé entre exaltation et angoisse, il se souvient du passé, songe à l’avenir, tente d’endosser son nouveau rôle de père.
Cette nuit est hantée par de nombreuses histoires. Celle de ses aînés, et d’abord celle de sa grand-tante, la fabuleuse Rosa, installée après la Seconde Guerre mondiale au Texas où elle a monté un cabaret extraordinaire. Celles que Samuel se racontait enfant, lorsqu’avec ses cousins il se déguisait en cow-boy et jouait à chercher sa grand-tante dans le désert d’une Amérique fantasmée, face à des ennemis imaginaires. Celles que Rosa, désormais ultime survivante d’Auschwitz, raconte chaque soir sur les planches. Toutes ces histoires, Samuel les partagera avec son fils, l’enfant de la quatrième génération qui naît alors que Rosa fait ses adieux à la scène.
Il n’y aura bientôt plus aucun témoin pour transmettre, mais il restera le récit, la fiction, capables de dévoiler ce qu’on croyait disparu, d’évoquer l’indicible, d’empêcher les falsificateurs de dénaturer le passé. Au Cabaret des mémoires, il s’agit de ne pas oublier, jamais. Et pour Samuel, de comprendre que l’enfant qu’il a été doit passer le relais à celui qu’il s’apprête à accueillir. Roman intimiste, conte moderne, Le cabaret des mémoires entrelace les fils de la transmission au cours d’une bouleversante nuit initiatique à la puissance universelle.

Les critiques
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Joachim Schnerf présente son livre Le cabaret des mémoires © Production éditions Grasset

Les premières pages du livre
« Le long du couloir qui mène à la loge, se succèdent des coupures de presse et des photos jaunies. Des portraits de célébrités venues se produire dans le cabaret, des paysages polonais, le Mur des Lamentations enneigé, de vieilles femmes à Haïfa concourant pour l’élection de Miss Survivante de la Shoah. Certaines encadrées, d’autres non, ces images annoncent le cabinet de curiosités qui se cache au fond de la loge de Rosa et qu’elle détaille, grâce au miroir de sa coiffeuse, avant et après chaque représentation – elle regarde rarement en face ces souvenirs de douleur.
Derrière la porte rouge qui s’ouvre sur son sanctuaire, parmi les statuettes, les habits en lambeaux et les pierres couleur brique, se trouvent deux gamelles de métal. La sienne, qui lui a permis de s’accrocher au jour, marquée d’une infinie culpabilité. D’avoir volé, de n’avoir pas partagé, d’avoir piétiné des corps pour survivre. Rosa se souvient du nom de chaque femme tombée au seuil de la nuit, de leur visage creusé, elle se souvient de s’être nourrie au détriment de tant d’autres, humiliée par ses propres instincts. Et puis la gamelle de Jania.
Rosa tirera sa révérence demain, elle sent que la fin approche. La vieille femme a longtemps réfléchi à ce qu’elle ferait de ses biens, se demandant si elle devait léguer ces souvenirs à sa famille française, à un musée ou à un mémorial débordant déjà de pyjamas rayés et d’étoiles jaunes râpées. Non, elle restera fidèle à son cabaret et à ses spectacles, rien ne sortira de Shtetl City après cette nuit. Elle a préparé un inventaire des objets qu’elle léguera à l’éternité et le reste brûlera. Rosa a pris sa décision, rien ne l’empêchera de mettre le feu aux vestiges qui la rattachent à ses démons, elle veut se débarrasser d’eux avant son départ.
Rosa, qui a perdu son humanité pour revenir d’entre les morts. Rosa, la dernière rescapée d’Auschwitz encore vivante.
Quand demain reviendra la lumière, notre bébé sera là. Dans ce lit à barreaux que je fixe en pensant à mon enfance, lorsque très jeune déjà le nom de Rosa m’obsédait. À table, les histoires de famille nous conduisaient immanquablement vers elle. Mon grand-père racontait cette figure mystérieuse, cette sœur qui hantait les images floues de sa jeunesse et qui avait disparu, après guerre, vers l’Amérique. On ne parlait jamais d’Auschwitz, mais le nom de Rosa faisait jaillir les fours crématoires à l’heure du dessert.
Puis, quand le déjeuner traînait, lors de ces après-midi d’août dans notre maison de campagne au milieu des montagnes vosgiennes, nous nous échappions ma grande sœur, mon cousin et moi. Fuyant la surveillance de nos grands-parents, nous rejouions l’histoire familiale dans le jardin, en haut des marches faites de rochers gris, bruts. Lorsque les nuits étaient douces, nous dormions même à la belle étoile sur l’herbe assombrie. La maison n’était qu’à quelques pas mais nous pressentions que cette liberté nouvelle, cette autonomie chimérique, nous marquerait jusqu’à l’âge adulte.
Je peux sentir le vent qui nous caressa au petit matin, ce jour-là ; je me souviens des regards ensommeillés qui, en un instant, s’illuminèrent face aux promesses de l’aventure. Nous n’avions jamais vu Rosa mais elle nous fascinait. Notre Américaine installée en plein désert, celle qui avait conquis l’Ouest pour bâtir son cabaret. Nous ne savions pas très bien ce qu’était un cabaret, mais nous étions certains de la trouver au milieu du sable texan, tous trois parés de nos costumes de cow-boys dont je me rappelle la moindre frange. Les images et les sensations rejaillissent lorsque je m’y attends le moins, je m’y réfugie comme on se love dans la nostalgie et me laisse glisser en plein songe.
C’était l’été de mes neuf ans.

Les yeux ouverts mais le reste du corps endormi, je retenais ma respiration en restant attentif aux bruits du jardin encore bien calme à cette heure-là. Dans mon sac de couchage, je profitais de la chaleur préservée par le duvet alors que la rosée avait refroidi mes lèvres, que ma langue commençait machinalement à détailler, assoiffée, les perles d’eau. Combien de temps avions-nous dormi ? Tania et Michaël étaient à mes côtés, leur costume marqué par l’herbe humide. Près d’eux leur chapeau, leur lampe de poche, et le cercle de pierres qui protégeait un feu de camp imaginaire. Ma grande sœur avait fêté ses onze ans deux mois plus tôt, mon cousin était son aîné de dix mois – douze ans, l’âge de Rosa quand elle avait été raflée. Je les admirais pour leur assurance et leur courage, eux qui s’endormaient les premiers car à l’époque, les étoiles m’effrayaient. Elles m’obsédaient, me forçaient à les observer sans détourner le regard, pendant une heure, parfois deux, jusqu’à ce que mon corps s’abandonne et cède au sommeil. Une angoisse sans doute née des histoires que l’on raconte sur les morts montés au ciel. Ou peut-être l’idée qu’elles brillaient également au-dessus d’Auschwitz.
La veille, autour des brindilles éclairées à la lampe torche, nous avions chanté en attendant que la nuit s’installe. Nous étions bien loin déjà, transportés dans le désert américain avec ses soirées fraîches et ingrates, un désert sans pitié pour les étrangers de passage lorsque la brune gagne enfin l’horizon. Chacun connaissait son rôle, le jeu avait déjà commencé. « Les réserves d’eau ont atteint un seuil critique, avait solennellement lancé Tania en s’allongeant, le prochain village est à une dizaine d’heures de marche. » Nous partirions le lendemain à la quête d’une âme charitable, l’aventure commençait à se compliquer lorsque le sommeil avait finalement gagné la bataille.
Un peu plus loin, d’autres paupières s’étiraient. Ma sœur, la dure à cuire de la bande, se réveillait à son tour. Tania se disait aguerrie aux arts martiaux, elle affirmait être prête à nous protéger en cas d’attaque et cela me rassurait d’avoir une brute de notre côté. Nous étions partis depuis deux jours à la recherche du cabaret de Rosa, mais faute du moindre indice notre confiance commençait à s’effriter. Et la nuit, notre sang se glaçait lorsque des hurlements étranges perçaient le silence – des cris de coyote. Tania s’étirait lentement, me cherchait du regard. Michaël dormait encore et nous n’osions pas parler de peur de le réveiller. Elle me sourit, comme pour me dire que cette journée serait belle et que nous emporterions les heures à venir avec nous jusqu’à l’âge adulte. Ou peut-être me disait-elle qu’elle serait toujours là, qu’elle m’aimait, que près d’elle rien ne pourrait m’arriver. Nous étions pudiques et n’échangions pas de mots d’amour à cette époque, mais je me souviens de ce réveil comme de l’une de ses plus belles déclarations.
Quand demain reviendra la lumière, les souvenirs seront là ; dans le tiroir que je repousse en silence, le bout des doigts figé contre le bois, un instant encore. Nous sommes des milliers, des centaines de milliers, à conserver ces pages de l’enfer, l’histoire des membres de nos familles marquée à l’encre de douleur. Et pendant ce temps nos aînés s’éteignent. Mes grands-parents n’avaient pas souhaité écrire alors c’est moi qui ai retranscrit avec acharnement leur cachette en zone libre, la peur des dénonciateurs, des regards sur leur nez dont ils craignaient qu’il les trahisse. L’Histoire engloutissait leurs frères et sœurs à l’Est, pendant qu’eux répétaient jusqu’à la nausée les détails de leur nouvelle identité. Puis la guerre prit fin, l’humanité aussi, et le travail de mémoire débuta.
Mes grands-parents paternels avaient été orphelins jusqu’à leur rencontre, disaient-ils. Leurs parents n’avaient pas survécu, ils n’étaient plus là pour les conduire à l’autel lors du mariage qui fut célébré à la Grande Shoule de Strasbourg. Les rangs de la synagogue étaient vides, quelques amis bien sûr, mais la Shoah avait considérablement réduit le nombre de convives à rassasier après la cérémonie – c’étaient les mots de mon grand-père. Sous la houpa, le dais nuptial qui trônait au fond de la synagogue, se trouvait une seule personne de la famille, une inconnue venue des États-Unis pour l’occasion. Mon grand-père n’était pas proche de sa sœur aînée, elle qui n’avait pu être cachée à temps avant la rafle. Quelques lettres échangées lors de l’immédiat après-guerre pour expliquer les raisons de son départ vers l’Amérique, puis le silence. Elle n’avait plus donné de nouvelles au seul proche qui lui restait mais qu’elle ne connaissait plus vraiment, ce frère lui évoquant l’Europe dont elle écrivait ne plus vouloir entendre parler. Il incarnait ce continent associé au bruit des bottes, aux aboiements des bergers allemands, aux cris des gardiens du camp qui avaient émietté toutes ses madeleines. Pour Rosa, le présent était la seule saveur apaisante, le reste avait un goût de mort.
Je la rencontrai lors de l’enterrement de mon grand-père. Une dernière fois, elle avait traversé l’Atlantique, probablement avec un sentiment de devoir familial, lorsque mon père l’avait appelée pour lui annoncer la nouvelle. Jamais mon grand-père n’aurait pu imaginer que cette vieille dame résidant au Texas arriverait à Strasbourg moins de vingt-quatre heures après sa mort. J’étais en train de me laver les mains avant de quitter le cimetière, comme la loi juive l’exige, quand elle se plaça près de moi, face au robinet rouillé. Michaël soutenait ma sœur un peu plus loin, Tania avait quitté sa colocation londonienne pour les funérailles et avait failli s’évanouir au son de la terre frappant le cercueil en bois. Aucun d’eux ne sut à côté de qui je me tenais alors, cette silhouette que nous avions poursuivie toute notre enfance, fuyante, évanescente, une ombre dont je reconnus les traits, même si je les voyais pour la première fois. Rosa était très maquillée, ses yeux noisette me rappelaient ceux de mon grand-père. Elle releva ses manches, se rinça méticuleusement chaque phalange avant de couper l’eau et de me tendre une main encore humide. Je serrai les doigts gelés et aperçus son tatouage. De honte je relevai le visage, comme un enfant surpris en train de fixer avec envie les formes d’un corps adulte, et elle me lança, d’une voix rauque : « Je suis Rosa. » Elle était grande, fine, avec de très larges épaules. Cette ligne horizontale qui allait d’un côté à l’autre de son corps m’avait frappé, une ligne prête à soutenir l’humanité autant qu’à se rompre. Je n’eus pas le temps de lui répondre qu’elle avait déjà franchi le portail du cimetière, rejoint le taxi qui l’attendait.
Je ne la reverrais plus jamais, mais ses yeux familiers et son tatouage continuent pourtant de me hanter. Comme un souvenir associé à la mort de mon grand-père, comme l’unique maillon me liant au génocide juif de ce côté de la famille. J’aurais pu essayer de la contacter, j’aurais peut-être dû, mais les années avaient passé. Jusqu’au jour où j’entendis son nom à la radio, lors d’une émission Quand demain reviendra la lumière, les souvenirs seront là ; dans le tiroir que je repousse en silence, le bout des doigts figé contre le bois, un instant encore. Nous sommes des milliers, des centaines de milliers, à conserver ces pages de l’enfer, l’histoire des membres de nos familles marquée à l’encre de douleur. Et pendant ce temps nos aînés s’éteignent. Mes grands-parents n’avaient pas souhaité écrire alors c’est moi qui ai retranscrit avec acharnement leur cachette en zone libre, la peur des dénonciateurs, des regards sur leur nez dont ils craignaient qu’il les trahisse. L’Histoire engloutissait leurs frères et sœurs à l’Est, pendant qu’eux répétaient jusqu’à la nausée les détails de leur nouvelle identité. Puis la guerre prit fin, l’humanité aussi, et le travail de mémoire débuta.
Mes grands-parents paternels avaient été orphelins jusqu’à leur rencontre, disaient-ils. Leurs parents n’avaient pas survécu, ils n’étaient plus là pour les conduire à l’autel lors du mariage qui fut célébré à la Grande Shoule de Strasbourg. Les rangs de la synagogue étaient vides, quelques amis bien sûr, mais la Shoah avait considérablement réduit le nombre de convives à rassasier après la cérémonie – c’étaient les mots de mon grand-père. Sous la houpa, le dais nuptial qui trônait au fond de la synagogue, se trouvait une seule personne de la famille, une inconnue venue des États-Unis pour l’occasion. Mon grand-père n’était pas proche de sa sœur aînée, elle qui n’avait pu être cachée à temps avant la rafle. Quelques lettres échangées lors de l’immédiat après-guerre pour expliquer les raisons de son départ vers l’Amérique, puis le silence. Elle n’avait plus donné de nouvelles au seul proche qui lui restait mais qu’elle ne connaissait plus vraiment, ce frère lui évoquant l’Europe dont elle écrivait ne plus vouloir entendre parler. Il incarnait ce continent associé au bruit des bottes, aux aboiements des bergers allemands, aux cris des gardiens du camp qui avaient émietté toutes ses madeleines. Pour Rosa, le présent était la seule saveur apaisante, le reste avait un goût de mort.
Je la rencontrai lors de l’enterrement de mon grand-père. Une dernière fois, elle avait traversé l’Atlantique, probablement avec un sentiment de devoir familial, lorsque mon père l’avait appelée pour lui annoncer la nouvelle. Jamais mon grand-père n’aurait pu imaginer que cette vieille dame résidant au Texas arriverait à Strasbourg moins de vingt-quatre heures après sa mort. J’étais en train de me laver les mains avant de quitter le cimetière, comme la loi juive l’exige, quand elle se plaça près de moi, face au robinet rouillé. Michaël soutenait ma sœur un peu plus loin, Tania avait quitté sa colocation londonienne pour les funérailles et avait failli s’évanouir au son de la terre frappant le cercueil en bois. Aucun d’eux ne sut à côté de qui je me tenais alors, cette silhouette que nous avions poursuivie toute notre enfance, fuyante, évanescente, une ombre dont je reconnus les traits, même si je les voyais pour la première fois. Rosa était très maquillée, ses yeux noisette me rappelaient ceux de mon grand-père. Elle releva ses manches, se rinça méticuleusement chaque phalange avant de couper l’eau et de me tendre une main encore humide. Je serrai les doigts gelés et aperçus son tatouage. De honte je relevai le visage, comme un enfant surpris en train de fixer avec envie les formes d’un corps adulte, et elle me lança, d’une voix rauque : « Je suis Rosa. » Elle était grande, fine, avec de très larges épaules. Cette ligne horizontale qui allait d’un côté à l’autre de son corps m’avait frappé, une ligne prête à soutenir l’humanité autant qu’à se rompre. Je n’eus pas le temps de lui répondre qu’elle avait déjà franchi le portail du cimetière, rejoint le taxi qui l’attendait.
Je ne la reverrais plus jamais, mais ses yeux familiers et son tatouage continuent pourtant de me hanter. Comme un souvenir associé à la mort de mon grand-père, comme l’unique maillon me liant au génocide juif de ce côté de la famille. J’aurais pu essayer de la contacter, j’aurais peut-être dû, mais les années avaient passé. Jusqu’au jour où j’entendis son nom à la radio, lors d’une émission consacrée à l’anniversaire de la libération d’Auschwitz. Rosa, la dernière rescapée du camp encore en vie, ne mentionna pas mon grand-père, pas son neveu, pas son petit-neveu français – moi, Samuel. Elle ne dit presque rien, déclina son identité, résuma son histoire, la déportation et sa vie dans le camp en moins de deux minutes. Puis elle parla de son départ aux États-Unis, et du cabaret « Camp Camp » qu’elle avait fondé quelque part au Texas. Sa voix était la même que dans mon souvenir, j’eus l’impression que sa main humide était encore contre la mienne. Je décidai de lui envoyer une lettre.
Depuis quelques mois, on entendait des rumeurs sur l’identité de la dernière rescapée d’Auschwitz encore vivante, alors même qu’on pensait les ultimes témoins de ce camp décédés. Selon les historiens, il s’agissait d’une survivante dont on avait perdu la trace peu après l’arrivée des Soviétiques, lorsqu’elle avait pris la mer pour rejoindre les États-Unis, loin du Vieux Continent où chacun cherchait alors à trouver sa place entre résistants de la dernière heure et collaborateurs de la première. Rosa, ma grande-tante. Elle aurait changé de nom de famille en arrivant sur les côtes américaines, elle se serait inventé un nouveau passé pour repousser les regards compatissants et les coups de main communautaires, mais dans ma famille personne ne l’avait oubliée. Certains racontaient qu’elle s’était installée dans le désert texan après avoir fait fortune dans la bonneterie à Brooklyn. D’autres croyaient que, ruinée, elle s’était mis en tête de rejoindre le Mexique et avait dû s’arrêter en chemin. Cette fois, le mythe avait dépassé le cercle familial et nos jeux d’enfants pour gagner l’Europe tout entière.
En entendant le nom de Rosa à la radio, ma jeunesse dans notre maison vosgienne avait ressurgi ; et avec elle mes angoisses. Je ferme les yeux et revois le rose familier du grès des montagnes. Je m’enfonce dans mon oreiller, la nausée me gagne, comme si ces tentatives désespérées de trouver le sommeil me déchiraient l’estomac. Je me souviens de l’été passé aux côtés de Tania et Michaël, en vacances avec nos grands-parents. Je me souviens de notre quête imaginaire pour retrouver notre grande-tante. Mais soudain c’est à ma femme que j’ai envie de penser, elle que j’ai envie d’appeler même si je sais qu’elle ne répondra pas. Les visages dansent, mon corps résiste. Léna sortira demain de la maternité avec notre bébé, c’est cette image que j’essaie de protéger à présent.
Lorsque j’étais enfant, je rêvais de me rendre dans le cabaret de Rosa. Aujourd’hui il me hante. »

Extraits
« Ils connaissent par cœur la prestation hypnotisante de Rosa, l’histoire de son enfance et puis celle qu’elle tait. La grande histoire qu’elle énumère sans raconter, la Shoah et la tentative d’extermination des Juifs, là-bas en Europe. Et pourtant, c’est comme s’ils redécouvrent chaque soir ce terrible passé. »

« Ses cauchemars ne sont pas peuplés que de cadavres. Rosa est hantée par la vie, par les décisions qui lui ont permis de revenir parmi les vivants. »

« Quand demain reviendra la lumière, ce voyage se prolongera sur la route qui relie mon enfance à Rosa, mon fils à la Shoah. Avec les années, j’ai appris à respirer pour transformer les angoisses en névroses. Alors je prends une grande inspiration pour calmer mon corps et me réfugie dans le passé. C’est lors du camp d’été au cours duquel j’ai rencontré Léna que j’ai compris pour la première fois comment me détacher de moi – je me trouvais à ce moment dans mon petit bois, mon refuge. »

« Vous saurez toute l’histoire d’une famille juive ayant fui la Pologne antisémite et son shtetl, ayant tout quitté pour la patrie des Lumières, avant d’être rattrapée par le nazisme et la collaboration. Vous saurez tout de l’avant. »

« Je ne la reverrais plus jamais, mais ses yeux familiers et son tatouage continuent pourtant de me hanter. Comme un souvenir associé à la mort de mon grand-père, comme l’unique maillon me liant au génocide juif de ce côté de la famille. J’aurais pu essayer de la contacter, j’aurais peut-être dû, mais les années avaient passé. Jusqu’au jour où j’entendis son nom à la radio, lors d’une émission consacrée à l’anniversaire de la libération d’Auschwitz. Rosa, la dernière rescapée du camp encore en vie. »

« Quand demain reviendra la lumière, les souvenirs seront là ; dans le tiroir que je repousse en silence, le bout des doigts figé contre le bois, un instant encore. Nous sommes des milliers, des centaines de milliers, à conserver ces pages de l’enfer, l’histoire des membres de nos familles marquée à l’encre de douleur. Et pendant ce temps nos aînés s’éteignent. Mes grands-parents n’avaient pas souhaité écrire alors c’est moi qui ai retranscrit avec acharnement leur cachette en zone libre, la peur des dénonciateurs, des regards sur leur nez dont ils craignaient qu’il les trahisse. L’Histoire engloutissait leurs frères et sœurs à l’Est, pendant qu’eux répétaient jusqu’à la nausée les détails de leur nouvelle identité. Puis la guerre prit fin, l’humanité aussi, et le travail de mémoire débuta. »

« Mes grands-parents paternels avaient été orphelins jusqu’à leur rencontre, disaient-ils. Leurs parents n’avaient pas survécu, ils n’étaient plus là pour les conduire à l’autel lors du mariage qui fut célébré à la Grande Shoule de Strasbourg. Les rangs de la synagogue étaient vides, quelques amis bien sûr, mais la Shoah avait considérablement réduit le nombre de convives à rassasier après la cérémonie – c’étaient les mots de mon grand-père. Sous la houpa, le dais nuptial qui trônait au fond de la synagogue, se trouvait une seule personne de la famille, une inconnue venue des États-Unis pour l’occasion. Mon grand-père n’était pas proche de sa sœur aînée, elle qui n’avait pu être cachée à temps avant la rafle. Quelques lettres échangées lors de l’immédiat après-guerre pour expliquer les raisons de son départ vers l’Amérique, puis le silence. Elle n’avait plus donné de nouvelles au seul proche qui lui restait mais qu’elle ne connaissait plus vraiment, ce frère lui évoquant l’Europe dont elle écrivait ne plus vouloir entendre parler. Il incarnait ce continent associé au bruit des bottes, aux aboiements des bergers allemands, aux cris des gardiens du camp qui avaient émietté toutes ses madeleines. Pour Rosa, le présent était la seule saveur apaisante, le reste avait un goût de mort. »

« Je la rencontrai lors de l’enterrement de mon grand-père. Une dernière fois, elle avait traversé l’Atlantique, probablement avec un sentiment de devoir familial, lorsque mon père l’avait appelée pour lui annoncer la nouvelle. Jamais mon grand-père n’aurait pu imaginer que cette vieille dame résidant au Texas arriverait à Strasbourg moins de vingt-quatre heures après sa mort. J’étais en train de me laver les mains avant de quitter le cimetière, comme la loi juive l’exige, quand elle se plaça près de moi, face au robinet rouillé. Michaël soutenait ma sœur un peu plus loin, Tania avait quitté sa colocation londonienne pour les funérailles et avait failli s’évanouir au son de la terre frappant le cercueil en bois. Aucun d’eux ne sut à côté de qui je me tenais alors, cette silhouette que nous avions poursuivie toute notre enfance, fuyante, évanescente, une ombre dont je reconnus les traits, même si je les voyais pour la première fois. Rosa était très maquillée, ses yeux noisette me rappelaient ceux de mon grand-père. Elle releva ses manches, se rinça méticuleusement chaque phalange avant de couper l’eau et de me tendre une main encore humide. Je serrai les doigts gelés et aperçus son tatouage. De honte je relevai le visage, comme un enfant surpris en train de fixer avec envie les formes d’un corps adulte, et elle me lança, d’une voix rauque : « Je suis Rosa. » Elle était grande, fine, avec de très larges épaules. Cette ligne horizontale qui allait d’un côté à l’autre de son corps m’avait frappé, une ligne prête à soutenir l’humanité autant qu’à se rompre. Je n’eus pas le temps de lui répondre qu’elle avait déjà franchi le portail du cimetière, rejoint le taxi qui l’attendait. »

« Je ne la reverrais plus jamais, mais ses yeux familiers et son tatouage continuent pourtant de me hanter. Comme un souvenir associé à la mort de mon grand-père, comme l’unique maillon me liant au génocide juif de ce côté de la famille. J’aurais pu essayer de la contacter, j’aurais peut-être dû, mais les années avaient passé. Jusqu’au jour où j’entendis son nom à la radio, lors d’une émission consacrée à l’anniversaire de la libération d’Auschwitz. Rosa, la dernière rescapée du camp encore en vie, ne mentionna pas mon grand-père, pas son neveu, pas son petit-neveu français – moi, Samuel. Elle ne dit presque rien, déclina son identité, résuma son histoire, la déportation et sa vie dans le camp en moins de deux minutes. Puis elle parla de son départ aux États-Unis, et du cabaret « Camp Camp » qu’elle avait fondé quelque part au Texas. Sa voix était la même que dans mon souvenir, j’eus l’impression que sa main humide était encore contre la mienne. Je décidai de lui envoyer une lettre. »

« Par tous les moyens, je dois raconter à mon fils, je dois lui parler d’Auschwitz et de Rosa avant qu’elle s’éteigne. Qu’il entende son nom en la sachant en vie. Sinon, comment nous croiront-ils? »

À propos de l’auteur
SCHNERF-Joachim_©Jean-Francois_PagaJoachim Schnerf © Photo Jean-François Paga

Joachim Schnerf est né en 1987 à Strasbourg. Éditeur et écrivain, il a notamment publié Cette nuit (Zulma, 2018), récompensé par le Prix Orange du Livre. Le cabaret des mémoires est son troisième roman. (Source: Éditions Grasset)

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Ma note
etoileetoileetoile (beaucoup aimé)

Si vous voulez en savoir plus…
Ma chronique complète publiée lors de la parution du roman en grand format

Les premières lignes

L’avis de… Fabienne Pascaud (Télérama)
« Sous ses apparences classiques de roman familial et psychologique, Parmi les dix milliers choses rayonne de mille éclats, mille inachèvements, mille brisures, à l’image de ces courts chapitres imbriqués dans un temps étrangement illusoire… Il y a quelque chose du brio et de l’insolence très new-yorkaise qu’on aime tant chez Woody Allen dans ce lancinant premier roman… »

Ainsi fleurit le mal

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Ainsi fleurit le mal
Julia Heaberlin
Presses de la Cité
Thriller
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Cécile Leclere
560 p., 23 €
EAN : 978-2258135307
Paru en septembre 2016

Où?
Le roman se déroule aux Etats-Unis, principalement au Texas

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
« J’ai toujours pensé que la mort avait quelque compte à régler avec moi. »
À seize ans, Tessa est retrouvée agonisante sur un tas d’ossements humains et au côté d’un cadavre, dans une fosse jonchée de milliers de marguerites jaunes aux yeux noirs. Partiellement amnésique, seule survivante des « Marguerite » – surnom que les journalistes ont donné aux victimes du tueur en série –, elle a contribué, en témoignant, à envoyer un homme dans le couloir de la mort. Terrell Darcy Goodwin, afro-américain, le coupable parfait pour la juridiction texane.
Presque vingt ans ont passé. Aujourd’hui, Tessa est une artiste et mère célibataire épanouie. Si elle entend parfois des voix – celles des Marguerite qui n’ont pas eu sa chance –, elle est toutefois parvenue à retrouver une vie à peu près normale. Alors, le jour où elle découvre un parterre de marguerites jaunes aux yeux noirs planté devant sa fenêtre, le doute l’assaille… Son « monstre » serait-il toujours en cavale ? La narguerait-il ?
« Une intrigue formidable, portée par la qualité de l’écriture et par la tension superbement rythmée. »The Times

Ce que j’en pense
***
Deux histoires vont se dérouler en parallèle tout au long de ce thriller haletant. Tout d’abord celle de Tessa, retrouvée en 1995 quasi morte au fond d’un trou avec un autre cadavre, des ossements d’autres personnes, une cheville cassée et la manière dont va être menée l’enquête qui conduira à la condamnation d’un présumé coupable: Terrell Darcy Goodwin.
Les chapitres retraçant cette époque vont alterner avec ceux qui nous parlent de la Tessa d’aujourd’hui confrontée à un terrible dilemme. Les agissements dont elle et sa fille Charlie sont victimes, des menaces voilées et l’apparition de marguerites noires dans six différents endroits sont-ils le fait de personnes dérangées ou du tueur qui court toujours. Faut-il dans ce cas essayer de sauver Terrell du couloir de la mort ?
Entre les pièces à conviction égarées, les analyses pseudo-scientifiques à un moment où les recherches de traces ADN n’en étaient qu’à leurs balbutiements et une veste élimée trouvée à un kilomètre des lieux du crime, il y effectivement de quoi se poser des questions sur le jugement prononcé.
On est bien loin d’en avoir fini avec ce «cold case». Grâce aux progrès de la police scientifique et à l’acharnement d’enquêteurs qui ne supportent pas de se voir rappeler année après année qu’ils ne sont toujours pas capables de retrouver des personnes disparues ou encore pire, de laisser courir des tueurs en série, le dossier est réouvert. L’analyse des os trouvés aux côtés de Tessa dans la « tombe » permet d’identifier une première victime : Hannah Stein, 20 ans, disparue de son poste de serveuse à Georgetown et dont le frère est flic à Houston.
Même si le temps a passé, les plaies sont restent béantes et nombreuses sont les personnes qui restent traumatisées par ce drame, comme on va le découvrir au fil des pages.
Un bon thriller, tel que celui-ci, laisse le lecteur établir ses hypothèses et ne révèle que dans les dernières pages la clef de l’énigme. Disons simplement à ce propos que Julia Heaberlin a parfaitement travaillé la psychologie des personnages et qu’on ne saurait avoir de doute sur la crédibilité de son scénario. Raison suffisante pour se mettre ses pas dans ceux de Tessa.

Autres critiques
Babelio 
Blog Au bordel culturel 
Blog De livres & d’épice 

Les premières pages du livre 

A propos de l’auteur
Originaire d’une petite ville du Texas, Julia Heaberlin a quitté son travail de rédactrice au sein d’un journal pour se consacrer à l’écriture de Qui es-tu ?, son premier roman. Avec son nouvel ouvrage, Ainsi fleurit le mal, elle s’impose sur la scène du thriller psychologique. (Source : Presses de la Cité)

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Parmi les dix milliers de choses

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Parmi les dix milliers de choses
Julia Pierpont
Editions Stock
Roman
traduit de l’anglais (États-Unis) par Aline Azoulay-Pacvo
324 p., 21,50 €
ISBN: 9782234075573
Paru en janvier 2016

Où?
Le roman se déroule principalement aux Etats-Unis, à New-York et dans les environs. D’autres épisodes se passent à Houston, Atlanta, Washington, Phoenix, Tempe, Saratoga, Rhode Island, Jamestown.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Dans la famille Shanley : Jack, charmeur impénitent, est un artiste reconnu ; Deb a renoncé quant à elle, avec une certaine allégresse, à une carrière de danseuse de ballet pour élever leurs deux enfants. Un appartement à Manhattan, une famille presque heureuse tant Deb s’applique à fermer les yeux sur les infidélités de son mari. Jusqu’au jour où un paquet anonyme ébranle le foyer : une simple boîte en carton, remplie d’emails chroniquant sans pudeur la vie secrète de Jack. Le paquet, adressé à Deb, tombe malencontreusement entre les mains des enfants. Rien ne sera plus comme avant…
Roman d’une famille en déconstruction, Parmi les dix milliers de choses
est une comédie humaine à quatre voix, saisissante d’audace et de justesse.

Ce que j’en pense
***
«C’est de Jack que je veux vous parler. J’ai commencé à coucher avec votre mari en juin dernier. C’est juste que parfois il avait besoin de moi.» Le paquet de lettres on ne peut plus explicites déposé au domicile newyorkais de la famille Shanley donne à Julia Pierpont l’occasion de faire tout à la fois une entrée remarquée en littérature et de revisiter un genre déjà beaucoup abordé, celui de l’adultère et de ses conséquences.
Car ici, Kay et Simon, les enfants de la famille, sont confrontés à ces écrits. Du coup, il devient impossible de faire comme si rien ne s’était passé. Mieux, l’auteur va nous offrir un roman choral en donnant au fil des chapitres la parole aux différents protagonistes, à leur façon de se situer par rapport à cet événement. L’humiliation de Deborah, dite Deb, qui avait jusque là essayé de faire bonne figure face à ce qu’elle aurait pu considérer comme des incartades liées à son statut d’artiste plasticien en soif d’inspiration, mais qui se retrouve à soigner son mari grâce à ses dons de physiothérapeute parce qu’il se fait mal après quelques galipettes sauvages. Pour elle, qui a abandonné sa carrière de danseuse pour s’occuper de ses enfants, la ligne rouge est maintenant dépassée. D’autant que son infortune est devant ses yeux, noir sur blanc. «Les passages salaces la dérangeaient moins que les mots tendres – un sentiment sans doute légitime.»
Jack ne prend, quant à lui, pas les choses au tragique : «Tout finirait par s’arranger. Il s’en était toujours sorti ; il n’y a avait pas de raison qu’il ne s’en sorte pas cette fois encore.» D’autant qu’il n’était pas vraiment responsable. Il n’avait pas su résister, voilà tout. En attendant que passe l’orage, il allait passer davantage de temps dans son atelier, se consacrer à son travail et à ses expositions. Mais la cohabitation va s’avérer de plus en plus compliquée. Et il ne se rendra pas compte que les vacances de Deb avec les enfants dans leur villa de Jamestown sonnera comme une rupture définitive.
Simon, l’adolescent boutonneux, est sans doute le plus perturbé de tous. Au moment où il se cherche, où son avenir est encore écrit en pointillés, comment réagir autrement que par une colère froide alors que ses seules certitudes, son cocon familial s’effondre ? Et l’épisode de son dépucelage qui va tourner au fiasco lors des vacances loin de son père ne va pas arranger les choses.
Peut-être que Kay, la plus jeune représentante de cette famille qui se déconstruit, a la réaction la plus saine. «Deb n’avait j’avais vu Kay rester longtemps en colère contre son père, ni lui refuser quoi que ce soit. Et elle ne pouvait lui en tenir rigueur ; c’était pareil entre elle et son père. Si la mère pansait ses blessures, c’était son père qui les embrassait pour les apaiser.» Aussi, elle espérera longtemps une issue paisible. Qui ne viendra pas. Car comme le dit le poème de Galway Kinnell qui donne son titre au livre «Nous marcherons ensemble parmi les dix milliers de choses, pénétrés trop tard par cette découverte, l’amour est le salaire de la mort.»
Un premier roman prometteur.

Autres critiques
Babelio
Télérama
Paris New-York tv
Blog Blablablamia
Blog Meelly lit

Extrait
« C’était lui qui avait déraillé ou le monde. Ces dernières années, lui semblait-il. C’était lié à internet, au djihad et à toutes ces catastrophes naturelles qui leur tombent dessus : cet étrange bourdonnement dans l’air qui entravait votre progression, ce sentiment de vivre à une époque sans avenir. Et voilà que cette fille avait débarqué, avec ses corsages transparents et, dessous, ses seins doux, pointant comme de drôles de petites bestioles. Ses lèvres pleines, son cul rebondi, cette rondeur permanente quand tout le reste paraissait si dégonflé, quand… »

A propos de l’auteur
Julia Pierpont est diplômée de la New York University, où elle a reçu la bourse de la Rona Jaffe Foundation. Née à Manhattan, elle collabore au New Yorker.
À 28 ans, Julia Pierpont fait une entrée remarquée sur la scène littéraire américaine, saluée par ses pairs et par une critique unanime. (Source : Editions Stock)

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Duane est amoureux

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Duane est amoureux
Larry McMurtry
Sonatine
Roman
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sophie Aslanides
233 p., 18 €
ISBN: 9782355842795
Paru en mars 2015

Où?

L’action de déroule aux Etats-Unis, principalement au Texas, dans la région de Thalia, Wichita Falls, avec un voyage au Caire et un autre à Boston, pour finir à Patagonia en Arizona.

Quand?

Le roman se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur

Après Duane est dépressif, le héros culte de Larry McMurtry nous revient : il a vieilli, il a pris des coups, mais reste néanmoins ouvert à toute proposition, de préférence indécente.
Duane a 64 ans. Il a perdu sa femme dans un accident de voiture, et ne s’en remet pas. Réalisant un vieux rêve, il est parti en Égypte pour tenter de soulager son chagrin, mais le retour à Thalia, la petite ville texane où il a passé toute sa vie, s’avère bien difficile : ses amis sont partis (quand ils ne sont pas morts), son entreprise, désormais dirigée par son fils Dickie, se porte très bien sans lui, ses filles l’ennuient et son cœur est en train de le lâcher.
Heureusement, il y a l’amour… ou plus précisément la poitrine d’Annie Cameron, une jeune géologue particulièrement affriolante embauchée par son fils, et qui ne semble pas insensible aux charmes de notre héros. Il y a aussi Honor Carmichael, sa psychanalyste lesbienne, avec laquelle Duane s’est lancé dans une sorte de défi aux lois de l’attraction.
Jim Harrison a écrit à propos de Larry McMurtry : « Son talent est démesuré, aucun de ses romans ne peut vous laisser indifférent. » On comprendra pourquoi à la lecture de ce roman au style inimitable, débordant d’humour et d’une incroyable humanité.

Ce que j’en pense
***

Le nouvel opus de Larry McMurtry ravira non seulement tous ceux qui connaissent déjà le personnage de Duane, mais aussi tous ceux qui, comme moi, le découvriront avec ce roman. L’auteur du Secret de Brokeback Mountain a en effet déjà publié en 2013 dans sa version française un Duane est dépressif que l’on imagine volontiers aussi réussi.
Duane est un pétrolier texan de 64 ans qui, quand débute le roman, revient d’un voyage en Egypte où il y pu admirer les pyramides et essayer d’oublier la mort de sa femme. Sa société est aux mains de ses enfants, même s’il a conservé un bureau et n’hésite pas à rendre visite de temps à autre aux employés qu’il a, pour la plupart, engagés.
Cette fois la surprise s’appelle Annie Cameron, une nouvelle collaboratrice chargée d’évaluer le potentiel des anciens puits. Ce ne sont pourtant pas ses diplômes ni ses qualités professionnelles qui vont l’intéresser, mais ses seins. Le trouble que cette poitrine va provoquer chez lui va s’accroître encore quand il va entendre qu’Annie sera sa prochaine épouse.
Mais pour l’heure Duane doit plutôt composer avec son deuil, la chaleur des routes texanes – sur quand on décide de les emprunter à vélo – et la peur de retrouver sa maison, chargée de souvenirs.
Mais entre la gestion des caractères bien différents de ses enfants, ses séances chez sa psy, une attaque cardiaque et des nuits passés dans une cabane qu’il a fait construire en périphérie de la ville, il va tout de même parvenir à se rapprocher de la jeune géologue.
Ce qui fait le piment de ce roman, c’est d’abord son style. Duane raconte sa vie de sexagénaire avec de nombreux détails et avec une sorte de détachement sans doute dû à l’âge. On passe de la mécanique à la mécanique des sentiments, des grandes certitudes aux petits doutes, des relations compliquées à des rapports d’une simplicité enfantine. Bien entendu, ce jeu des contrastes fait merveille pour désamorcer les situations critiques. Si le drame couve tout au long des pages, c’est bien la légèreté des choses qui l’emporte. Et finit par emporter le lecteur.

Autres critiques
Babelio
Le Figaro (Chronique d’Eric Neuhoff)
Blog Miss Alfie
LeBerry.fr

Extrait
« Au fait, Ruth, qui est cette Anne Cameron qui semble diriger le bureau de Thalia, maintenant ?
– Elle ne dirige pas le bureau, dit Ruth. Elle est géologie – elle est diplômée du MIT et de Caltech aussi. Et à moins que je ne me trompe, elle sera aussi ta prochaine femme.
– Cette fille ? Pas question, dit Duane. Elle est plus jeune que mes filles, beaucoup plus jeune.
– Et alors ? fit Ruth. La plupart des hommes de ton âge épousent des femmes qui sont plus jeunes que leurs filles. C’est tout à fait normal.
– Même si c’est le cas, peut-être que je ne veux pas de prochaine femme, dit Duane un peu trop fort.
– Non, tu préfères prendre des douches chez moi plutôt que de regarder la situation en face, à savoir que Karla est morte et tes enfants sont grands et partis. Tes petits-enfants sont partis aussi, et ils sont presque adultes désormais. Tu es un père de famille régnant sur un nid vide. Ce qu’il te faut, c’est fonder une nouvelle famille avec une jeune géologue intelligente qui a deux ou trois diplômes. Et pas besoin de crier contre moi, lui rappela Ruth. »

A propos de l’auteur
Larry McMurtry est né en 1936 à Wichita Falls. Romancier, essayiste et scénariste, il a reçu un Oscar pour Le Secret de Brokeback Mountain. Son roman Lonesome Dove a obtenu le prix Pulitzer en 1986. Il vit à Archer City, au Texas, où il a ouvert une des plus grandes librairies indépendantes des États-Unis. Après La Dernière Séance, Texasville et Duane est dépressif, Duane est amoureux est son quatrième roman mettant en scène Duane Moore, interprété au cinéma par Jeff Bridges. (Source : Editions Sonatine)

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