Les déraisonnables

AUROY_les_deraisonnables  RL_hiver_2021

En deux mots
Quatre histoires qui mettent en scène une cadre supérieure licenciée de son entreprise, un producteur d’olives qui combat la maladie de ses arbres et celle de son épouse, un homme qui assiste à ses propres obsèques et un homme qui vient d’être abandonné par son épouse et va rencontrer une septuagénaire plein d’allant.

Ma note
★★★ (bien aimé)

Ma chronique

Quatre vies et un enterrement

Quatre récits pour le prix d’un dans ce nouveau livre d’Olivier Auroy. Quatre récits qui auraient pu faire pour chacun d’entre eux un excellent roman. Quatre récits qui montrent combien la vie peut réserver de surprises…

Quatre longues nouvelles, quatre courts romans ou tout simplement quatre histoires d’hommes et de femmes qui vont choisir de changer leur destin, de ne pas accepter le déclin sans un dernier bal. À commencer par Madeleine, à laquelle son ami et collègue Pascal vient annoncer son licenciement. Le fonds de pension américain qui a racheté leur entreprise cherchant à faire des économies en visant notamment les gros salaires. Désemparée, elle se rend à la boulangerie du village, reprise par un lillois qui s’est installé là avec sa fille après une rupture. Une fille, Camille, qui a de la peine à s’intégrer et qui passe son temps à jouer à Fortnite sur son PC.
Mais elle ne manque pas de répartie et suggère à Madeleine de créer son entreprise, de lui confier ses pots de confiture – elle qui aime beaucoup cuisiner – et de voir si elle arrivera à les vendre. Le résultat s’avérant positif, le boulanger, décide de l’emmener au marché de Marly-le-Roi où elle ne tarde pas à se faire une place, soutenue par les autres vendeurs ambulants. « Sa réputation va grandissante, On apprécie ses classiques, la fraise-rhubarbe, la framboise-figue, la pêche-mûre, savamment équilibrés, qui ne laissent jamais les fruits de ces mariages se disputer leurs arômes, On loue ses audacieuses combinaisons, mangue-menthe, abricot-cardamome. »
Le second récit nous mène en Italie, à Nardò, où vivent Pietro et Marcello, producteurs d’huile d’olive. Après avoir fait fortune, ils ont été confrontés à Xylella fastidiosa, la maladie qui décime leurs oliviers et qui a causé leur séparation. Pietro a alors vendu sa demeure et habite désormais dans la maison plus modeste de sa femme Luisa. Cette dernière présente des troubles de la mémoire de plus en plus alarmants que Pietro refuse de voir avant d’élaborer un plan. Il emmène Luisa en voyage…
La troisième histoire est un brin plus cynique. On y croise Jean-Paul, qui s’est affublé de grandes lunettes noires, venu assister à des funérailles célébrées par son ami le père Kervenn qui a été le témoin de tous les événements qui ont jalonné sa vie. Son mariage avec Viviane, sa première femme, puis l’enterrement de celle-ci, dix ans plus tard, le baptême de leur fils Eliott et le mariage avec sa deuxième femme, Sophie. Il ne se doute pas de la farce qui se joue en célébrant les obsèques de… Jean-Paul.
La dernière histoire se situe à Paris où vivent François et son fils Gabin. Après son divorce avec l’héritière d’une maison de cognac, il a pu conserver son appartement dans le VIIIe arrondissement. C’est en recherchant une nouvelle compagne sur les applications de rencontre qu’il se fait piéger par une septuagénaire qui a besoin d’un coup de main pour se débarrasser d’un meuble. Alma Furiosa, pour reprendre son nom de scène lorsqu’elle dansait sur la scène du Crazy Horse, va réussir à réenchanter sa vie et celle de Gabin.
Olivier Auroy nous aura laissé un peu sur notre faim. En refermant ce recueil, on se dit que l’on aurait volontiers partagé encore davantage la vie de ces personnages devenus très vite attachants. Et que l’on aura laissé au bord du chemin avec leur déraison.

Les déraisonnables
Olivier Auroy
Éditions Anne Carrière
304 p., 18 €
EAN 9782380821352
Paru le 7/04/2021

Où?
Les récits sont situés en France, d’abord en région parisienne, à Rueil-Malmaison, Fourqueux, Saint-Cyr-l’École, Marly-le-Roi. Puis on part en Italie, à Nardò et Lecce dans le Salento ainsi qu’à Rome, Turin, Ostuni. De retour en France, on part en Bretagne, à Saint-Pierre-Quiberon et sur la Côte d’Azur, du côté de Nice et Marseille, puis à Paris. On y évoque aussi Lille et Marrakech.

Quand?
L’action se déroule de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Ce qu’il faut d’audace pour changer le cours de son existence!
Comment Madeleine, paisible sexagénaire brutalement licenciée, et Camille, une jeune geek un peu paumée, un peu rebelle, vont-elles nouer une amitié improbable et s’offrir un nouvel élan?
Jusqu’où Pietro, retraité, est-il prêt à aller pour ranimer la mémoire défaillante de sa femme? Ce voyage sur les traces d’un fantôme dans le sud de l’Italie ne risque-t-il pas de lui faire perdre son grand amour s’il parvient à ses fins?
Pourquoi Jean-Paul prend-il le risque d’orchestrer ses obsèques et de se fâcher avec les personnes qu’il aime le plus au monde? Par révolte, par orgueil ou pour reconquérir son épouse, l’ardente Sophie?
Et par quel enchantement François, jeune père divorcé, se rapproche-t-il d’Alma, la vieille dame fantasque, l’ancienne danseuse de cabaret qui lui redonnera le goût de la famille?
Ce qu’il faut… c’est un petit grain de folie et le goût des autres.
Dans ces quatre histoires inspirées de faits réels, Olivier Auroy réconcilie les générations. Avec tendresse, il montre qu’en des temps incertains la vie peut encore réserver de belles surprises.

Les critiques
Babelio 
Lecteurs.com
Actualitté (Victor de Sepausy)

Les premières pages du livre
« Déconfiture
Madeleine s’impatiente dans une salle de réunion surchauffée. Les constructions des années quatre-vingt ne tiennent pas compte des brusques variations de température, et encore moins du dérèglement climatique. La chaudière centrale se déclenche dès que le thermomètre descend sous les dix degrés.
La vue dégagée sur l’autoroute A86 est déprimante. La nuit prend ses quartiers. Si l’entretien n’excède pas une heure, elle devrait pouvoir attraper le RER de 18 h 08.
Pascal, le DRH, est un ami de longue date. Ils ont été recrutés la même année par la multinationale Arrogate et, ensemble, ils ont gravi les échelons d’une entreprise réputée pour sa tendance à promouvoir les besogneux et les marathoniens. Depuis trois mois, Pascal montre des signes de nervosité. Il économise ses sourires, raréfie ses attentions, ne s’attarde plus à la machine à café. Il en avait pourtant fait une philosophie de management : « Il faut aller à la rencontre des gens, sans motif apparent. C’est la gratuité du geste qui lui donne sa valeur. » Pascal ne propose même plus à Madeleine de la raccompagner chez elle alors qu’ils habitent le même coin. Il a justifié son changement d’attitude par les heures supplémentaires que la Direction lui impose. « Le rachat les rend tous dingues », lui a-t-il dit.
Il y a trois mois, Arrogate a été cédée à un fonds de pension américain. Depuis, les spéculations vont bon train. Les salariés qui bénéficient de la plus grande ancienneté se croient immunisés parce qu’ils sont chers à virer. Madeleine ne s’inquiète pas. Quoi qu’il arrive, Pascal plaidera sa cause. Ils ont juré de se soutenir en toutes circonstances, comme le jour où Madeleine a témoigné en sa faveur, après les accusations de harcèlement d’une collaboratrice ambitieuse. Madeleine est d’autant plus sereine qu’elle a cru lire la mention « VA » sur le dos d’un rapport la concernant que Pascal avait oublié sur son bureau. « VA » comme « Valeur ajoutée ». C’est du moins ce qu’elle en a déduit.
Pascal a du retard. Ça ne lui ressemble pas, lui qui met un point d’honneur à rester ponctuel. Une marque de politesse qu’il revendique, en des temps où le respect du prochain est devenu optionnel. Il accuse réception des e-mails, remercie chaleureusement, s’excuse avec élégance, utilise des formules surannées que ses collègues trouvent aussi ringardes que son nœud papillon et les bretelles de son pantalon. Pascal n’est pas susceptible, il est DRH. Il a été dressé à prendre des coups des deux côtés de la barrière patronale. « Ça fait de moi un masochiste et un schizophrène, mais je me soigne. » Madeleine a oublié de lui demander comment il se soignait.
Pascal arrive enfin. Il est blanc comme le linge de l’enrouleur automatique des toilettes de l’étage. Son nœud papillon a vrillé. Il a des auréoles de sueur sous les aisselles. Il s’est assis sans la regarder. Madeleine prend les devants.
— Pascal? Tu vas bien?
— Madeleine, ça fait combien de temps qu’on se connaît, toi et moi?
— Quinze ans la semaine prochaine. Nous avons un anniversaire à fêter.
— Est-ce que tu me fais confiance? poursuit Pascal, ignorant son allusion.
Madeleine a un mauvais pressentiment. Elle trouve Pascal trop solennel. Il avait la même voix triste et résignée quand il est venu lui annoncer le décès de son mari.
— Qu’est-ce qui se passe?
Les images se bousculent dans son cerveau en alerte. « Est-ce que tu me fais confiance? » On pose cette question dans des situations extrêmes. Quand il faut sauter d’une falaise ou partager un parachute, quand l’imminence du danger proscrit les palabres et pousse à l’action.
— Je ne suis pas responsable de ce que je vais t’annoncer.
— M’annoncer quoi, Pascal?
— Tu vas devoir nous quitter, Madeleine. Le fonds de pension qui nous a rachetés réduit les coûts fixes pour augmenter la rentabilité de l’entreprise. Tu fais partie du plan social que j’ai la lourde tâche de mettre à exécution.
— Pascal, j’ai soixante-deux ans, je suis proche de la retraite! Tu avais promis que tu me protégerais…
— Je n’ai rien pu faire. J’ai les mains liées. Je suis les instructions de la Direction.
— Tu peux leur parler, bon sang! J’ai d’excellents résultats, et une très bonne évaluation par-dessus le marché, ça n’a pas de sens!
— La Direction est impuissante. Les ordres viennent du fonds de pension.
Madeleine a deux possibilités. Soit elle éclate, si violemment que d’ici quelques minutes tout le monde se souviendra des accusations de harcèlement dont Pascal a été la cible. Soit elle se mure dans son silence. Pascal n’est pas responsable, la Direction n’est pas responsable et, si elle interrogeait les dirigeants du fonds de pension, ils répondraient qu’eux non plus ne sont pas responsables, qu’ils se contentent de servir les intérêts de leurs actionnaires. Elle se demande si le patron de Microsoft ou le président des États-Unis se réfèrent à Dieu quand ils prennent une grave décision.
— Alors, tu ne t’es pas battu pour moi? lui demande-t-elle calmement.
— Ce sont les analystes financiers qui ont mis ton nom sur la liste, Madeleine. Tu touches un gros salaire, c’était une raison suffisante pour te désigner. Tu ne partiras pas sans rien, je te le promets. Je suivrai ton dossier personnellement. Il y a les indemnités, les congés payés, les primes à la reconversion… Ça te donnera le temps de réfléchir à ce que tu feras par la suite… Je sais que tu ne t’y attendais pas…
Madeleine ne dit plus rien. Elle se laisse hypnotiser par le va-et-vient des voitures sur l’autoroute A86.
— Pense à ta nouvelle vie. Tu te plains de ne pas avoir assez de temps pour lire, qu’il y a trop peu d’arrêts entre Rueil et Saint-Germain, que tu rêves de passer un week-end entier à bouquiner…
Madeleine est sonnée. Pascal se rend-il compte de l’indécence de son argumentation? Elle aurait préféré qu’il garde une posture officielle, qu’il feigne de ne pas la connaître et qu’il écourte ce pénible entretien. Elle ne lit pas le week-end parce qu’elle boucle les dossiers que ses collègues lui refilent le vendredi soir. Naïve, elle a toujours cru que l’effort et l’esprit de sacrifice constituaient les piliers du mérite. Elle s’est mis en tête qu’il existe une sorte de paradis des salariés, un endroit où les plus bosseurs et les plus dévoués sont enfin récompensés. Voilà où ça vous mène une éducation judéo-chrétienne, à se convaincre qu’une force supérieure rétablira un jour la justice et que, par conséquent, il n’y a aucune raison de se révolter contre le traitement inégalitaire qu’on vous inflige ici-bas. C’est avec ce genre de pensée toxique qu’on s’interdit de demander une augmentation de salaire, parce qu’on ne s’en croit pas digne.
— Si tu savais ce qu’ils exigent de moi! Je n’en dors pas la nuit. On peut s’attendre au pire avec ces types, ils n’ont aucun scrupule, aucune considération pour le personnel. Ils ne parlent que de chiffres. Il est probable que je fasse partie de la prochaine charrette.
Et voilà qu’il s’apitoie sur son sort! Qu’attend-il? Qu’elle le console? Qu’elle le rassure? C’est le monde à l’envers. Elle le laisse vider son sac.
— Je ne pensais pas que ce serait si difficile. J’ai déjà licencié des gens. Ça fait partie de mon boulot. Mais à cette échelle… je n’y étais pas préparé! Il n’y a pas que toi, Madeleine, il y a tous les autres, tous ces braves gens que je croise le matin… Je ne peux plus les regarder en face, j’ai l’impression de les trahir. Je t’ai dit que je prenais des somnifères? Trop de café, trop de soucis, c’est ce que le médecin du travail a diagnostiqué. Il m’a dit aussi que pratiquer en même temps la méditation et le tir à la carabine, c’est contradictoire et que je devrais en parler à mon psy. Je n’ai pas de psy. Madeleine, tu m’écoutes?
Madeleine est prostrée. Le flux des voitures s’est densifié sur l’A86. Sa vue se brouille et se dilue dans deux fleuves de lumière floue, l’un rouge, l’autre blanc. La voix de Pascal la tire de sa contemplation.
— Madeleine? Tu ne dis rien?
— Hein? Ah oui, pardon… Avec un peu de chance, j’aurai le RER de 17 h 43.
Madeleine quitte la salle de réunion sans un mot. Tel un automate, elle longe un couloir lugubre, appelle l’ascenseur, appuie sur le bouton du troisième étage, rejoint son bureau, ramasse ses affaires à la hâte, retourne à l’ascenseur, descend au rez-de-chaussée, badge la borne automatique du portillon, sort du bâtiment, se place dans la file des banlieusards qui s’étire jusqu’à la gare, fait biper son passe Navigo, rejoint le quai, se positionne au premier tiers du convoi, regarde sa montre alors que le train s’engouffre dans la gare. Il est 17 h 42. Madeleine soupire et sourit. Elle n’en revient pas. C’est la première fois en quinze ans qu’elle sera chez elle aussi tôt. Elle en éprouve une joie intense. Une joie amnésique.
Elle ne réfléchit plus. Elle est cet animal conditionné par la mise en éveil de ses sens, la sonnerie traînante du départ, les effluves mazoutés des rails, le visage fermé des passagers. Elle accrédite les thèses de Pavlov. Madeleine n’a qu’une angoisse, ne pas trouver la quiétude nécessaire à sa lecture quotidienne. Les ennemis du lecteur sont légion, les collègues de bureau qui jacassent, l’insidieuse sourdine d’un casque audio, l’homme d’affaires qui confond wagon public et salon privé, les enfants capricieux qui hurlent, la jeune fille qui chantonne ou le mendiant qui fait l’aumône. Dans ces conditions, lire tient de l’exploit. Mais ce soir, les dieux des lettres ont signé un pacte de non-agression avec ceux des transports en commun. Ses voisins sont silencieux, proches du recueillement, l’un perdu dans ses mots fléchés, l’une plongée dans un roman à l’eau de rose ou l’autre encore se gavant de friandises sur Candy Crush.
Madeleine pioche dans sa sacoche le roman policier qui la tient en haleine depuis des semaines. Il lui reste dix pages avant le dénouement. Les quatre stations qui la séparent de Saint-Germain-en-Laye y suffiront-elles? Pascal a raison, le trajet n’est pas assez long. Il lui faudrait traverser des continents. L’évocation de son ami aurait dû la ramener à la triste réalité mais son esprit entretient le déni. Le suspense est à son comble, dans quelques paragraphes l’identité de l’assassin sera révélée. Dans quelques gares, elle arrivera à destination.
Le RER passe au-dessus de la Seine, Madeleine en admire les méandres sages et ordonnés. Elle accélère le rythme de sa lecture. L’auteur du thriller s’est joué de son intuition. Qui aurait pu imaginer que le meurtrier était le meilleur ami de l’héroïne assassinée? Cette dernière n’a rien vu. Madeleine non plus. Certaines personnes sont prêtes aux pires extrémités quand leur confort et leur réputation en dépendent.
Madeleine relève la tête. Terminus Saint-Germain-en-Laye. En français, en anglais et en allemand, la voix du haut-parleur demande aux passagers de ne rien oublier dans le train. Pourquoi l’allemand, et pas l’italien ou l’espagnol? Le mot vergessen associé à la foule qui piétine l’indispose, à cause de son grand-père prisonnier durant la Seconde Guerre mondiale et de tous les ouvrages sur le IIIe Reich qu’elle a ingurgités sur ses conseils et avec une curiosité scolastique devenue obsessionnelle, sinon malsaine.
Elle n’a pas envie de jouer des coudes. Elle attend que le gros de la foule se disperse. Un spleen familier l’envahit : elle a fini son livre, elle est à nouveau orpheline. Elle est vexée de ne pas avoir deviné l’identité du meurtrier, aveuglée par la tendresse qu’il lui inspirait. Elle fouille les éléments de l’intrigue, à la recherche d’un indice caché, d’un détail qui lui aurait échappé. En vain. En vieillissant, elle perd son sixième sens.
Elle est parmi les derniers voyageurs à sortir de la gare. Au pied de l’escalator, deux clochards avachis lui souhaitent une bonne soirée. Ils font la manche sans conviction, le geste las, la diction compromise par l’alcool. À leur gauche, un type hirsute massacre un standard des Pink Floyd. Une odeur de vomi et de café mélangés la prend à la gorge. Elle enfouit son visage dans son écharpe. À mesure que l’escalier mécanique s’élève, un courant d’air frais la soulage. Les façades rénovées du château apparaissent. Un spectacle anachronique dont elle apprécie l’arrogante beauté.
Elle marche le long des grilles du parc jusqu’à la gare routière où trépigne le bus R5, moteur et tous phares allumés. Il est plein comme un œuf. Il faudra trois arrêts pour qu’il se vide et redevienne une coquille apaisante et protectrice. À mi-parcours, Madeleine remarque une adolescente recroquevillée à l’arrière. Elle se contorsionne sur son siège, se ronge compulsivement les ongles, s’énerve chaque fois qu’elle consulte son smartphone. Comme toutes les filles de son âge, elle porte un jean fuseau qui lui affine les jambes, des baskets blanches à la mode, une veste courte dite « mouton » et une casquette qui masque le haut de son visage. Le chauffeur du bus pile devant un piéton imprudent qu’il injurie avec d’autant plus de fureur qu’il a failli l’écraser. Projetée violemment vers l’avant, la jeune fille se redresse. Des larmes souillées de mascara ont laissé dans leur sillage des traînées grisâtres qui lui donnent un air de clown triste.
Le bus a repris sa vitesse de croisière. La jeune fille s’est repliée sur elle-même, tel un mollusque inquiété par des vibrations inconnues. Madeleine ne peut détacher son regard de cette petite créature sauvage et craintive. Son attitude horripilante cache mal sa détresse. Madeleine en est certaine, c’est la première fois qu’elle la rencontre sur cette ligne.
Ils ne sont plus que trois dans le bus. À l’approche du terminus, la jeune fille se lève péniblement, accompagne les secousses du véhicule pour accentuer sa démarche nonchalante et chaloupée. Elles attendent côte à côte sur le marchepied. Le chauffeur les salue respectueusement. Seule Madeleine lui renvoie la politesse. Elle laisse la gamine prendre de l’avance, avec l’intention de la filer discrètement. Hors de question de l’abandonner dans cet état.
La jeune fille suit une trajectoire confuse, s’arrête pour examiner son smartphone et reprend sa course en maugréant. Elle se désintéresse des passants qu’elle bouscule, du roquet qui frôle ses mollets, du motard disgracieux qui l’apostrophe. Elle se réfugie au fond de l’abribus construit sur un ancien lavoir, tout près de la boulangerie qui vient de changer de propriétaire. Madeleine s’en approche, titillée par la curiosité.
— Est-ce que ça va, mademoiselle?
La jeune fille marque un léger mouvement de recul.
— Qu’est-ce que ça peut vous faire?
L’insolence de la jeune fille doit plus à l’embarras d’avoir été débusquée dans son repaire qu’à la volonté d’offenser Madeleine.
— Je vous ai vue pleurer, dans le bus. Je suis inquiète pour vous.
— Et alors, c’est la première fois que vous voyez quelqu’un chialer?
— Non, mais… Peu importe. Je m’appelle Madeleine.
La jeune fille l’observe, tendue, concentrée, frémissante comme une chatte qui s’apprête à bondir sur sa proie. Madeleine sait qu’en sortant indemne de ce silence, elle conserve une chance de prolonger la conversation.
— Madeleine, comme dans la chanson de Brel?
— Vous connaissez Jacques Brel?
— Ça vous surprend?
— Ce n’est pas trop votre génération, je pensais que les jeunes de votre âge…
— Ne vous fatiguez pas, j’vais tuer le suspense… C’est mon daron qui écoute du Brel quand il bosse au fournil, moi, je suis pas trop fan. Ses chansons ne parlent que de lose, de femmes qui sont trop bien pour lui…
— C’était un grand romantique.
— C’est juste un boloss… Moi, c’est Camille.
Elle tend une main toute molle, comme si elle s’attendait à ce que Madeleine s’incline pour l’embrasser. Elle a quand même le don d’agacer son prochain, cette gamine, mais Madeleine lui serre la main sans hésiter, satisfaite d’avoir passé l’épreuve des présentations.
— Vous avez mentionné un fournil. Votre père est boulanger?
— On est arrivés y a trois mois, vous n’avez pas remarqué? C’est nous, la nouvelle boulangerie. Je traverse la rue et j’suis chez moi.
Madeleine a bien vu que la boulangerie avait changé de propriétaire mais son emploi du temps ne lui a pas encore permis d’y passer. Elle achète son pain à la va-vite, dans la petite boulangerie qui jouxte la gare de Rueil-Malmaison. Elle se tait un instant, consciente qu’elle commettrait une erreur en posant d’autres questions à Camille, que ça la rendrait méfiante.
— Bon, Camille, je vous laisse. Peut-être qu’on se verra dans le bus ou… à la boulangerie.
— Ouais… Eh, Madeleine!
— Oui.
— C’était sympa de me demander pourquoi j’pleurais.
Madeleine lui sourit avec moins d’entrain qu’elle l’aurait voulu. Elle ne s’attendait pas à cet ultime élan de reconnaissance.
Elle pousse avec difficulté la porte blindée de la petite maison en meulière achetée avec son mari. Ils ont fini d’en payer les traites avant qu’un vicieux cancer ne le terrasse. Pléonasme, le cancer est vicieux par nature, il est prédisposé à la métastase. Le salon est bondé de souvenirs de leur vie passée, des bibelots rapportés de voyages, des photos, des tableaux, des objets qu’ils ont entassés au fil du temps et dont elle ne supporte plus la morbide compagnie. Elle a bien essayé de s’en débarrasser. Elle a empilé des tas de trucs dans l’entrée et puis, au moment de les fourrer dans le sac poubelle, elle a renoncé. « J’ai eu l’impression de tuer mon mari une seconde fois », avait-elle confié à Pascal. Il avait répondu qu’il comprenait ses hésitations, qu’elle n’avait pas fini son deuil, que le temps résorbe les plus grandes douleurs. Pascal trouve toujours les mots.
Madeleine s’effondre. Son licenciement vient de heurter violemment sa mémoire à la façon d’un boomerang lancé très loin, si loin qu’on l’avait oublié. Les larmes ruissellent en abondance sur son visage. Elle a beau les essuyer du revers de la main dans l’espoir de colmater la brèche, rien n’y fait, elles s’écoulent sans discontinuer. Du chagrin pur, à l’état liquide.
Le salon surchargé lui paraît immensément vide. Dans son cadre, le portrait de son défunt mari devient le miroir de sa solitude. Hier encore, à la cafétéria, avec ses collègues, elle devisait sur une petite mémé qui avait appelé les pompiers parce qu’elle n’avait personne à qui parler. Ce soir, c’est elle la mémé. Elle balance quelques bouteilles à la mer sur Internet, à des amis compréhensifs qui, à défaut de la réconforter, auront les mots pour s’apitoyer sur son sort. Madeleine a juste besoin qu’on la plaigne. Son smartphone vibre, elle a reçu un message de Pascal. Il est désolé, sincèrement désolé. Si elle ne vient pas au bureau demain, ça n’a aucune importance, on sera vendredi, bientôt le week-end. Son message se termine par « Bon courage ». Elle estime que fracasser son smartphone contre le mur du salon n’avancerait à rien.
Madeleine avale son hachis Parmentier devant un reportage animalier à la télévision. Pendant que les gazelles échappent in extremis aux alligators, son smartphone vibre impatiemment. Elle préfère l’ignorer. Elle va se chercher un verre d’eau et avale des somnifères. Elle n’en avait plus pris depuis la mort de son mari.

Camille se lève tous les matins à 7 heures. Officiellement pour ne pas rater son bus, officieusement pour aider son père, Gilles, à préparer la boutique avant l’arrivée de la vendeuse. C’est son premier emploi, mais la demoiselle fait preuve d’une imagination débordante pour justifier ses retards. Le père de Camille se retient de l’engueuler parce qu’il a besoin d’un coup de main et qu’il préfère la médiocrité au néant. Pour l’instant.
Gilles a la soixantaine bien tapée. Il envoie valser tous ceux qui lui parlent de prendre sa retraite. Il n’est jamais entré dans les schémas. Devenu boulanger sur le tard, il a rencontré sa femme à plus de quarante ans ; quant à Camille, le jour du baptême, le curé de la paroisse l’avait qualifiée de « cadeau de Dieu ».
Sur des chariots à pâtisserie, Gilles apporte les viennoiseries toutes fumantes que Camille place dans la vitrine embuée, en commençant par les croissants, suivis des pains au chocolat et des pains aux raisins. Elle aligne ensuite les ficelles et les baguettes sur les étagères en bois derrière la caisse avec soin et précision, comme si elle approvisionnait une armurerie à la veille des hostilités. Son père est un maniaque de l’ordre et de la propreté. Il ne veut pas voir un croûton dépasser, une miette traîner, un présentoir flancher. Camille ne donne pas deux mois à la vendeuse. Son insouciance, si elle augure de sa paresse, lui coûtera la place. Son père ne respecte que les gens qui bossent. Il appartient à cette génération qui a indexé le bonheur sur le travail et que tous les articles sur la fin des « jobs de merde » font amèrement rigoler. Sa philosophie est très simple : bosser permet de gagner sa vie. Point barre.
Camille l’a bien compris. À défaut d’être brillante, elle ne se ménage pas, veillant à ce que ses notes se situent dans des moyennes acceptables. Elle veut que son père soit fier d’elle, mais surtout qu’il la laisse tranquille. Tant qu’elle lui donne un petit coup de main à la boulangerie et que ses résultats scolaires sont potables, elle pourra se consacrer à son unique passion : Fortnite. Le jour où ses notes dégringolent, il lui confisque son PC.
L’installation de la boulangerie est terminée. Les portes ouvriront à 8 heures, si la vendeuse n’a pas eu de dégâts des eaux, de panne de réveil, de soucis en rechargeant son passe Navigo ou si sa grand-mère n’est pas décédée la veille. « Il faudra lui expliquer qu’elle n’a droit qu’à deux grands-mères », avait pesté son père en prenant connaissance de son dernier mensonge.
Camille fonce dans la salle de bains, elle n’a plus que dix minutes à consacrer à sa toilette. Elle enfile à toute vitesse son jean moulant, son tee-shirt de la veille, sa veste peau de mouton et ses baskets blanches qu’elle astique tous les jours pour préserver leur éclat d’origine. Au lycée, elles ont gueulé comme des moufettes quand le ministre de l’Éducation nationale a évoqué la généralisation de l’uniforme et, pourtant, elles s’habillent toutes de manière identique.
Pour la jeune fille, entrer dans le moule était la condition nécessaire de son intégration. Non pas que le décalage soit insurmontable. Grâce à Instagram, il lui a été facile de ressembler aux autres filles. Mais, fringuée comme il faut ou pas, elles ne lui ont rien épargné. Son léger accent, le vocabulaire qu’elle ignorait, les films qu’elle avait ratés, les codes qu’elle n’avait pas. Elles ont eu tôt fait de lui tailler un costume de paria. T’as pas mis ta doudoune de clodo? Tu nous ramènes des gaufres de ta boulangerie? Et dire qu’à Lille, dans son ancien collège, elle était celle qui avait le plus de swag.
Camille en veut à l’ex de son père. Elle l’a quitté parce qu’il passait trop de temps dans son fournil. Si elle voulait danser jusqu’au petit matin, elle n’avait qu’à sortir avec le patron de la boîte de nuit, pas avec le mec chargé de nourrir le centre-ville. Son père a mal vécu la séparation. Il commençait à y croire, à leur histoire.
Lille n’est pas une ville tentaculaire. Le risque d’y croiser son ex était élevé, il le supportait de moins en moins. Camille, elle, ne voulait pas quitter son lycée, ses amies, le quartier où elle avait l’habitude de se promener avec sa mère. Les relations avec son père se dégradaient à mesure que le projet de déménagement se concrétisait.
Camille a fini par céder. Gilles a quitté les Hauts-de-France sur les conseils d’un ami, Patrick, placier sur le marché de Marly-le-Roi. Patrick avait appris que le locataire de la boulangerie de la commune voisine, Fourqueux, allait prendre sa retraite et que le bailleur désespérait de lui trouver un successeur. Si, au lycée de Camille, venir de Lille était considéré comme une tare, à la mairie de Fourqueux, en revanche, on s’était félicité d’accueillir un artisan d’expérience venu d’une grande ville. Tout est une question de perspective.
Quand elle entendit le nom du patelin où ils allaient déménager, Camille crut que son père se moquait d’elle. Fourqueux n’est pas un toponyme des plus distingués. De source sûre – le salon de coiffure –, des petits malins s’étaient amusés à écrire « Garajabite » sur tous les panneaux indicateurs du village. Le maire, qui n’appréciait guère l’humour potache et encore moins les fautes d’orthographe, avait songé à équiper la voirie principale de caméras de surveillance mais, jugeant la mesure liberticide, les élus du parti adverse s’y étaient farouchement opposés. « Ça fait surtout beaucoup de pognon pour ce trou à rats », avait conclu la doyenne qui, nonobstant son amour démesuré pour le village, n’avait rien perdu de son à-propos.
Camille prend une douzaine de croissants qu’elle distribuera à ses camarades de classe. À moins qu’on les lui chaparde dans la cour. Tout finit en racket dans son lycée privé. Son père lui dépose un baiser sur le front, et ajoute des chaussons aux pommes dans le sac de viennoiseries déjà plein à ras bord. La vendeuse fait son apparition ; 8 heures pile, c’est inespéré. Les premiers clients déboulent, des habitués, des employés du CRPHM, le centre de réinsertion des personnes ayant un léger handicap mental que Camille appelle affectueusement les « neuneus ». On ne comprend que la moitié de ce qu’ils racontent mais comme ils achètent toujours la même chose, ça simplifie les transactions. Ils ont adopté Camille et la saluent en bégayant son prénom à l’infini, comme s’ils s’entraînaient à en parfaire la prononciation. Ça donne des « Ca-ca » et des « Mi-mi » qui les font hurler de rire.

Madeleine émerge vers 11 heures. Elle n’en a pas immédiatement conscience. C’est quand elle voit « vendredi » inscrit sur son smartphone qu’elle est prise d’un accès de panique. Elle n’interrompt ses préparatifs qu’au moment de boutonner son chemisier devant la glace. Elle n’aime pas ce qu’elle y voit, une femme aux cheveux blanchis et aux yeux cernés. Elle a un beau visage pourtant. Il semble que ses traits ont été atténués pour faire ressortir ses yeux très clairs et très bleus. Son mari disait que ses yeux l’effrayaient tellement ils étaient bleus. Elle a un nez fin, des joues légèrement creusées, un front large et une bouche parfaitement dessinée. « Tu as un visage de poupée en mamie », lui a dit la fille d’une amie. Une manière innocente de lui suggérer de figurer dans des publicités pour les viagers ou les retraites par capitalisation.
Des bribes du monologue de Pascal lui reviennent. Elle prend acte de son nouveau statut de chômeuse et ça ne lui plaît pas du tout. En trente-cinq ans, elle n’a jamais cessé de travailler. Qu’est-ce qui s’est passé, bon sang? Pascal n’est pas un hypocrite ; un froussard tout au plus. Leur pacte de sang n’a pas tenu longtemps, il aurait fait un piètre chevalier. L’affection qu’elle lui porte l’empêche de le maudire, mais son sens du devoir l’incite à l’accabler. Il aurait dû s’insurger. Où est-il passé, le champion de la cause des salariés? Un pleutre, un poltron, une lavette, un couard, un dégonflé, un froussard… C’est fou comme la langue française a enrichi le vocabulaire de la lâcheté. La messagerie de son smartphone dégouline de compassion. Elle n’a pas la force de répondre. Elle enfile son imperméable et sort.
Le soleil peine à transpercer les nuages. Madeleine en savoure la timide chaleur. La place du village de Fourqueux est déserte, encadrée par la Poste, la salle des fêtes, le bar et la boulangerie. Le carré d’as de la rurbanisation. D’où elle se trouve, Madeleine aperçoit la vendeuse de la boulangerie, immobile derrière sa caisse enregistreuse, probablement en train de regarder des vidéos de chats sur son téléphone portable. Parce qu’elle n’a aucune lettre à poster, qu’elle ne boit jamais avant 18 heures et que la salle des fêtes est fermée pour travaux, Madeleine entre dans la boulangerie. La vendeuse range son smartphone dans son tablier et ajuste sa queue-de-cheval pour se donner une contenance. La décoration est encore balbutiante. Il y a une jolie gravure du beffroi de Lille, un certificat de provenance des farines bio et la photo en noir et blanc de Fourqueux que l’ancien locataire leur a cédée parce que les clients aiment à penser que rien n’a changé depuis cent ans. Comme dans n’importe quelle boulangerie de France et de Navarre, la voix de la vendeuse est plus traînante, plus aiguë sur les syllabes finales. À croire qu’elles sont aussi recrutées sur ce critère.
— Bonjoooour… Qu’est-ce que je peux vous serviiiiiiir?
— Une tradition.
— Il vous fallait autre chose?
— Pourriez-vous laisser un message à Camille?
La vendeuse marque un temps d’hésitation. Madeleine en profite pour écrire sur un bout de papier son numéro de téléphone ainsi qu’une invitation à la rejoindre, samedi en huit, à 15 heures, au salon de thé qui jouxte la bibliothèque.
En sortant de la boulangerie, Madeleine a un flash. VA ne voulait pas dire « Valeur ajoutée », mais « Variable d’ajustement ». Elle sourit de sa méprise. Elle n’est pas du genre à se laisser abattre mais elle aura besoin de quelques semaines pour s’en remettre. Ses pensées la ramènent à Pascal et à l’une de ses formules favorites : « On a toujours le choix. » Ils s’étaient engueulés à ce sujet lors d’un dîner trop arrosé entre collègues. C’est l’adverbe « toujours » que Madeleine n’avait pas supporté. Non, Pascal, nous ne sommes pas « toujours » maîtres de nos décisions. S’il se présentait devant elle, là, maintenant, elle le pourfendrait. Il avait le choix de ne pas l’inscrire sur la liste des gens à licencier, et pourtant il a obéi aux ordres, alors, sa jolie petite formule…
Madeleine ne va pas au restaurant d’entreprise aujourd’hui. Elle ouvre le réfrigérateur à la recherche d’une substance à étaler sur son bout de baguette. Elle ne trouve rien, à part les confitures qu’elle a confectionnées le week-end précédent. D’aucuns jardinent, d’autres bricolent. Madeleine, elle, cuisine, mais sa vraie passion ce sont les confitures. C’est très compatible avec la lecture, il faut patienter le temps que ça mijote. Lectures et confitures, ses deux grandes amours. Son mari la charriait tout en s’empiffrant de ses douceurs, preuve d’une absence totale d’éthique personnelle.
Il faut qu’elle franchisse le pas, qu’elle vide sa maison. Elle interroge le portrait de son mari. « Aide-moi, bon Dieu », lui dit-elle à haute voix. Deux ans avant sa mort, ils s’étaient offert un voyage en Italie, entre Assise et Pérouse. Un moine défroqué mais compétent leur avait donné une conférence sur le parcours initiatique de saint François. Au dîner, frugal comme il se doit, ils s’étaient lancés dans une grande discussion sur la notion de superflu. Une question revenait régulièrement. De quoi avons-nous vraiment besoin? La réponse théorique tenait en quatre mots : un lit, une bibliothèque, une douche et une cuisinière. De retour chez eux, loin des collines dépouillées de l’Ombrie, la mise en pratique s’était révélée plus compliquée. Après réflexion, le divan prenait une grande valeur sentimentale, les tableaux occupaient peu d’espace et l’abonnement à la chaîne sportive tout comme le lave-vaisselle devenaient indiscutables. Le dénuement extrême attendrait. Madeleine et son mari avaient clos les débats en débouchant une bouteille d’orvieto.
Le mari de Madeleine ne s’était pas éteint dans son sommeil, proprement et glorieusement, comme Aznavour ou d’Ormesson, héros du quatrième âge déclinant. La maladie l’avait foudroyé dans sa soixantième année. Il est mort jeune, comme disent les gens de quatre-vingt-dix ans. Au moins avait-il évité une trop longue agonie. Madeleine examine l’intérieur de sa maison. Où qu’elle regarde, l’image de son mari apparaît. Tout la ramène à lui. « Il faut que ça cesse! Avec ta permission », enjoint-elle au portrait. Madeleine allume son ordinateur et s’inscrit sur Le Bon Coin sous le pseudonyme de Bernardone, le véritable nom de saint François d’Assise. Pour la photo du profil, elle hésite, avant de jeter son dévolu sur un cliché réalisé par son mari.

Camille a fait la grasse matinée. Elle a joué à Fortnite toute la nuit. Elle croise son père qui part se coucher après lui avoir recommandé de surveiller la vendeuse en son absence. Elle a été bien inspirée de ne pas parler de son rendez-vous avec Madeleine. Gilles ne se mêle pas de son emploi du temps, sauf quand le sien s’en trouve perturbé. Elle donne à la vendeuse la consigne de l’appeler sur son portable en cas d’urgence. Le salon de thé est à quelques enjambées de la boulangerie, hors de question de réveiller son père. C’est quoi, une urgence, dans une boulangerie? Une file d’attente qui s’allonge et s’impatiente. Peu probable. Le samedi, les Fourqueusiens paressent jusqu’en milieu d’après-midi. Ils ne réapparaîtront pas avant 16 h 30. Camille sera déjà rentrée.
Madeleine s’est installée au fond du salon de thé, certaine que Camille appréciera la discrétion. Sa semaine a été éprouvante. Elle a dû affronter la mine contrite de Pascal et les têtes d’enterrement de ses anciens collègues dont les paroles d’encouragement trahissaient la maladresse et l’embarras. « Tu en as vu d’autres, Madeleine » – est-ce une allusion au décès de son mari? « Tu es une battante, tu t’en sortiras » – ah bon, le chômage est une maladie? « Ils ne te méritaient pas » – n’est-ce pas la formule qu’on adresse à quelqu’un qui vient de se faire plaquer? « La retraite approchait de toute manière, n’aie aucun regret » – et toi, tu n’as aucun tact! Sans oublier cette formule pleine de poésie qu’elle n’avait pas tout de suite comprise, pensant qu’on faisait allusion à son léger embonpoint : « Tu vas rebondir. »
Toute la semaine, Madeleine s’est demandé pourquoi elle tenait tant à revoir Camille. Pour combler un manque affectif? Elle voit rarement son fils, qui vit à l’étranger. Son mari est mort et enterré. Son entreprise vient de la virer. Inconsciemment, Madeleine se cherche de nouveaux repères. Cette explication, trop simpliste, ne la convainc pas. Et si cette Camille n’avait pas surgi dans son existence par hasard? Mais Madeleine n’a jamais été adepte de la prédestination divine. Quelle piètre idée de l’homme se fait-on là!
Une jeune fille fait son apparition dans le salon de thé. Madeleine reconnaît son visage mutin et sa dégaine de lolita contrariée. Camille… qui badigeonne la salle de son regard noir, pour tout effacer. Toujours la méfiance. Elle fonce droit sur la table où Madeleine s’est installée.
— Comment ça va, Mad?
— Tiens, c’est un surnom qu’on ne m’avait pas encore donné. On se tutoie si je comprends bien?
— J’préfère, ouais.
Camille semble indisposée par le brouhaha venant des tables voisines. On y parle fort. En italien, en anglais, en allemand et dans une langue d’un pays scandinave qu’elles seraient incapables de situer sur une carte. Le salon de thé est le lieu de rendez-vous préféré des mères de famille qui ont des enfants au lycée international de Saint-Germain-en-Laye.
— Je suis désolée Camille, c’est un peu bruyant. J’ai choisi cet endroit parce qu’il n’est pas trop loin de la boulangerie. Tu es scolarisée au lycée international?
— Euh non, mon daron est chti… On vient du Nord… Je rentrais pas dans leurs critères. Et puis, même s’il avait été américain, ça n’aurait pas suffi. Mes notes sont trop basses. Les maths, le français, tout ça, c’est pas trop mon kif…
— C’est quoi ton… kif?
— Le sport.
— Laisse-moi deviner. Tu fais de l’équitation.
— Du e-sport.
— C’est quoi?
— Tu sais, Mad, j’ai un bon a priori sur toi mais je sens qu’il va falloir que j’t’apprenne des trucs.
— Je ne demande que ça.
Madeleine est d’une nature conciliante. Ses collègues de travail en ont souvent abusé. Si l’insolence de Camille ne l’irrite pas, c’est moins en raison de ce caractère accommodant que du vent de fraîcheur qu’elle souffle dans sa vie. La semaine passée ne fut qu’hypocrisie et faux-semblants. Camille parle sans filtre, sans arrière-pensée, avec une absence de retenue qui confine à la provocation. On y perd en élégance mais on y gagne en sincérité.
— Tu t’y connais en games? J’veux dire, en jeux vidéo?
Madeleine n’en connaît qu’un, celui des voyageurs du RER A.
— Je sais qu’en ce moment, on joue beaucoup à Candy Crush.
Camille ne peut lui cacher sa déception. Elle considère Madeleine avec pitié, comme un chirurgien sur le point de lui annoncer son amputation.
— Fortnite Battle Royale, le jeu en réseau, ça te dit quelque chose?
— Vaguement. Une collègue m’a raconté que son fils y passait ses nuits. Elle se faisait du souci parce qu’il ne dormait plus assez…
— Faudra que tu me donnes son pseudo, j’le connais peut-être.
— Ça consiste à quoi, ton Fortnite?
— À tuer un maximum de personnes pour survivre.
— Charmant… Et tu es bonne à ce jeu?
— La meilleure de la région. Si mon père me donnait l’autorisation, j’participerais à des compétitions. Le fils de ta collègue de bureau, il doit connaître mon pseudo, DarkAngelus.
— Je n’aurai pas l’occasion de lui communiquer.
— Pourquoi?
— Je ne travaille plus dans cette entreprise. Le soir où je t’ai vue dans le bus, je sortais d’un entretien de licenciement.
— Tu me l’as pas trop montré.
— C’est toi qui pleurais, pas moi.
Camille préfère esquiver plutôt que de lui donner une explication. Elle n’est pas du genre à se confier dans l’espoir de tisser des liens plus rapidement. Non par pudeur, mais par fierté. Son modus operandi, c’est l’offensive.
— Pourquoi ils t’ont virée? Parce que t’étais trop vieille?
Madeleine a beau être tolérante, la remarque de Camille l’a sonnée. Elle réalise qu’elle n’a pas pris le temps de comprendre ce qui lui était arrivé, qu’elle s’est contentée de vaquer aux affaires courantes. Elle répond le premier truc qui lui passe par la tête :
— Je leur coûtais trop cher.
— C’était quoi, ton boulot?
— Je conseillais des sociétés sur leur stratégie et leurs investissements.
— Bah dis donc, ça t’a pas trop servi, t’aurais pu commencer par toi-même!
Camille a sorti de sa poche un bout de papier sur lequel elle griffonne tout en conversant avec Madeleine. Elle est douée, elle a un bon coup de crayon, mais elle a tendance à répéter le même motif.
— Pourquoi tu ne dessines que des cœurs? lui demande Madeleine.
— Tu préfères que j’fasse des têtes de mort, à la place?
— Non, tu peux garder les cœurs.
— T’as une idée de c’que tu vas faire?
— Je commence par vider la maison. Je me débarrasse de tout ce dont je n’ai plus besoin. Ça faisait un moment que j’y pensais, mais je n’étais jamais passée à l’acte. Depuis lundi, je me suis lancée, j’ai vendu plein de trucs sur Le Bon Coin. Je me suis bien amusée.
Le début de la semaine a été moins divertissant que Madeleine ne le prétend. Elle a d’abord pointé à Pôle Emploi. Dans l’interminable file d’attente, elle n’en menait pas large, coincée entre une chômeuse de longue durée et un quinquagénaire grisonnant qui lui racontait comment sa boîte l’avait sacrifié au nom de la révolution digitale. Elle a éprouvé des sentiments contradictoires, la honte de s’inscrire, le soulagement de ne pas être un cas isolé, d’appartenir à la communauté des infortunés.
Sur Le Bon Coin, le pseudonyme de Bernardone n’a pas eu l’effet escompté. Il a semé le trouble chez des acheteurs qui ne faisaient pas le lien entre le flamboyant portrait de Madeleine et ce nom bizarre que l’un d’entre eux a même orthographié à l’américaine, « Bernard1 ». Comprendre : « Le meilleur des Bernard ». À chaque visite, Madeleine s’est égarée dans des explications de texte que seuls les plus instruits ont comprises. Les autres l’ont cataloguée parmi les vieilles folles, ils ont attendu qu’elle finisse sa démonstration.
Au total, elle a reçu chez elle une douzaine d’acquéreurs dont elle a apprécié l’affabilité, à quelques excentricités près. Un jeune couple a voulu régler la chaise en tickets-restaurant. Une septuagénaire s’est assoupie, par désespoir, sur le canapé qu’elle n’avait pas réussi à fourrer dans sa voiture. Un retraité lui a fait la cour, ignorant le guéridon pour lequel il avait fait le déplacement depuis Paris. Un jeune couple d’origine africaine a marchandé sa table basse jusqu’à l’épuisement. Madeleine a fini par la céder à la moitié de son prix initial, tant pour récompenser l’originalité du bagout que pour s’assurer de la disparition de ce reliquat de sa période Ikea.
— Pourquoi tu tiens autant à vider ta maison?
— Pour tourner la page.
— Il en pense quoi, ton mari?
— Il en penserait du bien s’il avait l’occasion de m’en parler mais il est mort d’un cancer, il y a trois ans.
— Ça nous fait un poids en commun. Ma mère s’est fait bouffer par le crabe quand j’étais petite. Celui du pancréas. Le plus salaud, il paraît.
Madeleine se demande si Camille a déformé l’expression « point en commun » par ignorance, par inadvertance ou pour faire de l’esprit.
— Je suis désolée, Camille.
— Oh, c’était il y a longtemps. Mais toi… Ça veut dire que t’es revenue dans le game! Tu n’as plus qu’à te trouver un match!
— Je ne comprends pas ce que tu me racontes.
— Tu es célibataire, Mad. Il faut que tu te trouves quelqu’un.
Cette gamine a l’art de remuer le couteau dans la plaie avec tant d’ingénuité qu’il est impossible de la soupçonner de perversité. Elle a raison. Madeleine pourrait retrouver quelqu’un si elle le voulait. Elle s’y est toujours refusée, entourée qu’elle était des souvenirs de son défunt mari, qu’elle brade aujourd’hui. Le moment est-il venu? Peut-être. Elle n’a pas été insensible au numéro de séduction du retraité, ses manières désuètes lui ont arraché quelques éclats de rire. Pour être tout à fait sincère, elle n’a eu aucune envie de le renvoyer chez lui. Ni de le garder, d’ailleurs. Mais elle s’est sentie rajeunir au contact d’un homme qui s’intéressait à elle.
— C’est compliqué de rencontrer la bonne personne.
— J’suis d’accord.
Madeleine attrape la perche que lui tend Camille.
— Tu as un petit ami?
— Tu rigoles? Les mecs d’ici me calculent pas. J’existe pas pour eux…
— Et quand tu joues à Fortnite, il n’y a pas un garçon avec qui tu t’entends bien?
— Il y a KillerBoy. J’aime bien comment il me parle.
— Tu l’as rencontré?
— T’es tarée?
— Pourquoi, il habite loin?
— Non, non, il vit à Paris. C’est pas le problème.
— C’est quoi le « problème », Camille?
— Il n’a jamais vu ma face, tu comprends. On a juste fait des chats. On est en mode incognito.
— Tu n’as pas mis ta photo?
— Jamais de la vie. Je ne suis pas prête à le voir IRL. Dans la vraie vie, j’veux dire. J’ai trop peur qu’il soit déçu. C’est pour ça que je ne serai jamais streamer. Tu vois de qui je veux parler, les gens qui commentent leur jeu en direct. Je ne veux pas qu’on voie mon visage. »

Extraits
« Sa réputation va grandissante, On apprécie ses classiques, la fraise-rhubarbe, la framboise-figue, la pêche-mûre, savamment équilibrés, qui ne laissent jamais les fruits de ces mariages se disputer leurs arômes, On loue ses audacieuses combinaisons, mangue-menthe, abricot-cardamome.
Sans conviction, elle a créé une page Facebook où elle met en scène ses créations. Le nombre de followers n’a pas dépassé le premier cercle de ses amis, jusqu’à ce qu’elle se fasse repérer par une habituée du marché, une journaliste culinaire qui officie sur une grande radio nationale, une passionnée de gastronomie qui ne jure que par les produits frais et vrais. Elle a adoré Madeleine, ainsi que ses confitures. » p. 62
« Pietro regarde sa femme qui dort. Dans son sommeil, elle est telle qu’il l’a toujours connue. Aucun changement n’est perceptible. Il l’observe comme si c’était la dernière fois qu’il la voyait. Il enregistre chaque détail de son visage que la vieillesse n’a pas trop abimé. Il se retient de lui caresser la joue. Dehors, un nouveau jour commence. La rue s’anime. » p. 146

« Le père Kervenn a été le grand témoin et le maître de cérémonie de tous les événements qui ont jalonné la vie de Jean-Paul. Son mariage avec sa première femme, Viviane, puis l’enterrement de celle-ci, dix ans plus tard. Le baptême de leur fils, Eliott. Son mariage avec sa deuxième femme, Sophie. Et le voilà aujourd’hui qui célèbre les obsèques de Jean-Paul, ignorant tout de la farce qui se joue. Sa voix posée ne trahit pas l’émotion qui le submerge La fonction dépasse l’homme, le sens du devoir abroge le chagrin. » p. 154

« Au fil des mois, Alma est devenue cette grand-mère attentionnée qui manquait à Gabin. Elle le garde à son appartement quand François doit s’absenter. Elle ne manque aucune des sorties aux Tuileries, qu’il fasse un grand cagnard ou un froid de canard. Elle regarde Les Minions qui la font rire «tellement ils sont bêtes». Cécile n’a pas vu ces nouveautés d’un bon œil. Moins en raison de l’affection que son fils porte à Alma que pour l’influence grandissante que celle-ci a sur lui. Quand il est en week-end avec sa mère, Gabin ne parle que d’elle, de ses jeux, de ses chansons, de ces choses incroyables qu’il a vues dans son appartement, des histoires qu’elle lui raconte avant de s’endormir. Cécile a fini par accepter sa défaite au terme de trois phases distinctes, assez classiques d’un point de vue psychologique: frustration, réaction et résignation. » p. 288-289

À propos de l’auteur
AUROY_Olivier_©Sidney KwanoneOlivier Auroy © Photo Sidney Kwanone

Olivier Auroy est un onomaturge – celui qui fabrique des mots – et écrivain français. Il a également publié sous le nom de plume Gabriel Malika. Les Déraisonnables est son cinquième livre. (Source: Éditions Anne Carrière)

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L’été en poche (29)

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La blancheur qu’on croyait éternelle

En 2 mots
Lucien et Mathilde habitent le même immeuble, vont se retrouver sans vraiment pouvoir faire connaissance lors de la soirée costumée organisée pour faire connaissance avec les voisins. Ils vont finir par se retrouver et Virginie Carton nous prouver avec un humour léger que la nostalgie est bien ce qu’elle était.

Ma note
etoileetoileetoileetoile (j’ai adoré)

Si vous voulez en savoir plus…
Ma chronique complète publiée lors de la parution du roman en grand format

Les premières lignes

L’avis de… Nathalie Dupuis (ELLE)
« Dans La blancheur qu’on croyait éternelle, le deuxième livre de Virginie Carton, au génial titre emprunté à une chanson d’Alain Souchon, on est embarqués dans l’univers de deux personnages très déconnectés de la réalité, peu adeptes des nouvelles technologies, deux sentimentaux perdus dans un monde plus vraiment sentimental. Ce que j’adore, chez cette auteure, c’est sa manière de mêler le joyeux au mélancolique. Son écriture est ludique et ses mots ont un vrai tempo. »

Vidéo


La lilloise Virginie Carton présente « La Blancheur qu’on croyait éternelle » © Production Grand Lille TV

Cet été-là

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Cet été là
Lee Martin
Sonatine
Roman
traduit de l’anglais par Fabrice Pointeau
320 p., 21 €
EAN : 9782355845581
Paru en février 2017

Où?
Le roman se déroule aux Etats-Unis, principalement dans l’Indiana. On y traverse des endroits appelés Gooseneck, Honeywell, Tower Hill, Georgetown, Jasper, Brazil ou encore Martinsville.

Quand?
Le narrateur se situe de nos jours pour raconter des faits qui se sont déroulés trente ans auparavant (voir extrait ci-dessous).

Ce qu’en dit l’éditeur
Un thriller poignant, sélectionné pour le prix Pulitzer du meilleur roman.
Tout ce qu’on a su de cette soirée-là, c’est que Katie Mackey, 9 ans, était partie à la bibliothèque pour rendre des livres et qu’elle n’était pas rentrée chez elle. Puis peu à peu cette disparition a bouleversé la vie bien tranquille de cette petite ville de l’Indiana, elle a fait la une des journaux nationaux, la police a mené l’enquête, recueilli des dizaines de témoignages, mais personne n’a jamais su ce qui était arrivé à Kathy.
Que s’est-il réellement passé cet été là ?
Trente ans après, quelques-uns des protagonistes se souviennent.
Le frère de Katie, son professeur, la veuve d’un homme soupçonné du kidnapping, quelques voisins, tous prennent la parole, évoquent leurs souvenirs. Des secrets émergent, les langues se délient.
Qui a dit la vérité, qui a menti, et aujourd’hui encore, qui manipule qui ?
Avec ce magnifique roman polyphonique, littéralement habité par le désir et la perte, Lee Martin nous entraîne dans la résolution d’un crime à travers une exploration profonde et déchirante de la nature humaine.

Ce que j’en pense
***
« J’avais pris trop de came, deux fois plus que d’habitude, et maintenant, la vérité, c’est que je me souviens de rien. Croyez-moi, mon frère, j’ai essayé. Tout a disparu. C’est comme si c’était jamais arrivé.
Il étaient dans une impasse. Que faites-vous, se demanda M. Dees, quand votre fille a disparu depuis quatre jours, que vous avez un revolver pointé sur la tête de l’homme que vous savez responsable, mais que celui-ci ne peut pas – ou ne veut pas – vous dire ce que vous voulez savoir ? Vous revenez en arrière. Voilà ce que pensa M. Dees. C’est ce qu’il disait à ses élèves. Décomposez le problème en ses parties, focalisez-vous sur un calcul plus simple et apprenez-le. Remontez jusqu’à avoir appris tout ce que vous avez besoin de savoir pour trouver la réponse que vous croyiez hors de portée. »
M. Dees ne pouvait pas mieux résumer ce thriller, ni mieux expliquer comment il va tenter d’expliquer au lecteur ce qui s’est passé chez les Mackey ce soir-là, quand Katie a disparu : en décomposant le problème, en retraçant morceau par morceau le fait divers qui a secoué toute la communauté, que l’on imaginait sans histoires, de Gooseneck. Dans un tel endroit, où chacun connaît son voisin, où la plupart des habitants travaillent à la verrerie – même si cette dernière est sur le déclin – et où tout étranger est repéré dès qu’il entre en ville, la vie est paisible. La famille Mackey peut même être le symbole de ce petit bonheur tranquille. C’est du reste ce que pense Henry Dees, qui observe les faits et gestes des Mackey à la manière d’un entomologiste. Engagé pour donner des leçons de mathématiques à Katie, il est littéralement fasciné par cette élève si belle et si gentille.
Il profite de ses loisirs pour humer les mêmes pétales de fleurs que la jeune fille, pour lui soustraire une mèche de cheveux, pour prendre des photos de la maison et même pour s’introduire dans la maison. Poussé par une irrépressible envie, il ira même jusqu’à embrasser son élève sur la joue.
Un geste qui va énormément le perturber et qui pourrait même l’anéantir s’il savait que Raymond R., son voisin, l’épie à son tour. Pourtant lorsque Katie prend son vélo pur ramener des livres à la bibliothèque et qu’elle ne rentre pas, ni l’un ni l’autre ne sera en mesure d’expliquer cette disparation.
Contrairement aux thrillers qui mettent les enquêteurs au premier plan, la trame tourne ici autour de ce curieux microcosme, de cette communauté et des relations que les uns entretiennent avec les autres. La bonne idée de l’auteur étant de donner successivement à chacun la parole.
Outre Henry et Raymond, Junior et Gilley, les père et frère de Katie et Clare, l’épouse de Raymond vont nous livrer «leur» vérité dans une ambiance de plus en plus lourde au fur et à mesure que la disparition de Katie prend un caractère définitif.
Entre omissions et témoignages partiels, voire partiaux, on va découvrir que chacun cache des choses, des déviances, des obsessions.
Cependant, à force de déconstruire et de reconstruire, d’assembler des bribes, la vérité va finir par éclater…
Le premier roman – pour moi, il ne s’agit pas à proprement parler d’un thriller – de Lee Martin traduit en français nous permet de découvrir une plume incisive et une œuvre que l’on ne manquera pas de suivre.

Autres critiques
Babelio 
Blog Les pages de Sam
Blog Croqueuse-Livres
Blog L’écran à la page 

Extrait
« Je n’ai jusqu’à présent jamais réussi à relater cette histoire et le rôle que j’y ai tenu, mais écoutez, je la raconterai en toute honnêteté : un homme ne peut vivre qu’un temps avec une telle chose sans la partager. Mon nom est Henry Dees et j’étais alors enseignant – professeur de mathématiques et tuteur pendant l’été auprès d’enfants tels que Katie qui en avaient besoin. Je suis désormais un vieil homme, et même si plus de trente années se sont écoulées, je me rappelle encore cet été et ses secrets, la chaleur et la manière qu’avait la lumière de se prolonger le soir comme si elle n’allait jamais partir. Si vous voulez écouter, vous allez devoir me faire confiance. Sinon, refermez ce livre et retournez à votre vie. Je vous préviens : cette histoire est aussi dure à entendre qu’elle l’est pour moi à raconter. »

A propos de l’auteur
Lee Martin vit à Colombus, dans l’Ohio, ou il enseigne la littérature. Cet été-là est son premier roman traduit en français. (Source : Éditions Sonatine)

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Arrêt non demandé

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En deux mots
Six histoires qui sont autant de tranches de vie savoureuses. De l’enfant qui assiste à une rixe en famille jusqu’au candidat au suicide qui dialogue avec la mort, voilà des embryons de roman furieusement cyniques, joyeusement déjantés et terriblement frustrants pour le lecteur qui en voudrait encore plus !

Arrêt non demandé
Arnaud Modat
Alma éditeur
Nouvelles
160 p., 17 €
EAN : 9782362792113
Paru en janvier 2017

Ma note
etoile etoile etoileetoile (j’ai adoré)

Où?
Les nouvelles sont situées en France, notamment dans la région de Strasbourg, à Schiltigheim, mais également dans des lieux qui ne sont pas précisés.

Quand?
L’action se situe en 1989 pour la première nouvelle et de nos jours pour les histoires suivantes.

Ce qu’en dit l’éditeur
Dans la maison Modat, on rit, on blague, on s’insurge, on affronte. Tout commence par la rédaction d’un enfant de huit ans. « J’aimerais raconter mes vacances si ça dérange personne, où plutôt une chose qui m’est arrivée pendant les vacances et qui a failli gâcher ma belle jeunesse. »
La vie étant ce qu’elle est sur l’échelle du temps, résumons les épisodes : la paternité, la responsabilité, l’art d’exister et de disparaître… Tout cela : grave, et furieusement désopilant.
Roman de l’enfance, Arrêt non demandé raconte comment grandir peut faire mal aux os, aux cheveux ou à l’âme. Une opération qui dure toute la vie…

Ce que j’en pense
Je n’aime pas les recueils de nouvelles, surtout quand ils sont bons. Et celui-ci est très bon. À tel point qu’en le lisant j’ai quelquefois pensé à Annie Saumont – qui vient de nous quitter – et qui était considérée comme la sœur française de Raymond Carver, ainsi qu’à J. D. Salinger, autre nouvelliste hors-pair. J’imagine du reste que dans l’autoportrait qui clôt ce recueil, la citation tirée de L’Attrape-cœurs est un clin d’œil à une source d’inspiration de ce jeune nordiste installé à Strasbourg.
Non, si je n’aime pas les recueils de nouvelles, c’est que ma frustration croît au fur et à mesure que j’entre dans les histoires, que je vis avec les personnages, que je suis leur parcours. Prenez par exemple La Mer dans le ventre qui ouvre ce recueil.
Il vous suffira de quelques lignes pour vous sentir bien, pour vous imaginer aux côtés de ce petit garçon dans cette réunion de famille houleuse. Racontée par l’enfant, ce drame va vite prendre la dimension d’une épopée déjà esquissée lors du voyage effectué au volant d’une Fiat Tipo : « Papa conduit comme si demain n’existait pas et il double dans les ronds-points, pris de colère ancestrale. Il passe les vitesses sans arrêt. Il a des problèmes dans ses rapports. Papa pilote comme un chien enragé parce qu’on doit se pointer sans faute à un apéro. »
On se régale de cette altercation verbale, puis physique qui prend des allures d’opéra et qui culmine sur le grand air de la rupture. Je ne peux m’empêcher d’imaginer le plaisir que nous autres lecteurs aurions eu à suivre cette famille et à voir ce garçon grandir. Laisser ainsi le lecteur en plan est bien cruel. D’autant que je soupçonne la préméditation. Rappelons que ce recueil s’intitule Arrêt non demandé et qu’en effet nous n’avons pas demandé que l’histoire s’arrête au bout de 28 pages !
Plus grave encore : le cas d’Arnaud Modat s’aggrave avec les nouvelles suivantes, tout aussi brillantes. Raoul raconte l’étape cruciale pour de nombreux couples, celui du premier enfant. Pour Aurore et Quentin, cet épisode survient « après trois ans de vie commune, la perte de nos amis respectifs, l’adoption d’un chat de merde, un mariage clef en mains et un crédit immobilier mal négocié ». Au baby-blues viendront s’ajouter tous les tue-l’amour inhérents à la post-grossesse. Quand Raoul aura montré le bout de son nez, il faudra faire preuve d’imagination pour retrouver une vie amoureuse épanouie. Faites confiance à l’auteur et à son double (le narrateur s’essaie au roman) pour trouver le truc. Une seconde fois, cet embryon de roman devient formidablement addictif et nous laisse sur notre faim.
Et que dire de Tapage nocturne et neige précoce ? De J’existe (je ne fais que ça) ?, de La dernière nuit du hibou ? et de La fourchette à poisson ? Que ces quatre autres nouvelles sont de la même veine. Qu’on s’y amuse beaucoup, que l’on a sans doute tous déjà rencontré des voisins bruyants qu’il a fallu calmer, que l’on adore le côté transgressif de cet employé d’agence intérimaire chargé de répondre au courrier adressé au père Noël, que l’on se délecte du dialogue entre le candidat au suicide et la mort (après l’appel quasi surréaliste à SOS amitié) et qu’enfin on «voit» déjà sur grand écran le joli film proposé dans l’ultime nouvelle, avec tous les extraits de films référencés ici.
Non, décidément, je ne pardonnerai ce crime de lèse-lecteur à Arnaud Modat que le jour où paraîtra son premier roman. Le plus vite sera le mieux!

Autres critiques
Babelio
Blog Cultur’Elle (Caroline Doudet)
Blog Les lectures du mouton (Virginie Vertigo)
Le Blog de YV

Extrait de la nouvelle 4. J’existe (je ne fais que ça)

À propos de l’auteur
Arnaud Modat a 37 ans. Il est né à Douai (Hauts-de-France) et vit aujourd’hui à Strasbourg. Il a publié deux recueils de nouvelles humoristiques : La fée Amphète, le 1er mai 2012 aux éditions Quadrature, et Comic strip, paru le 19 octobre 2012 chez Intervalles. (Source : Livres Hebdo /Alma éditeur)

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Focus Littérature

Tags :
#arnaudmodat #RL2017 #roman #rentreelitteraire #almaediteur #arretnondemande

J’ai vu un homme

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J’ai vu un homme
Owen Sheers
Rivages
Roman
traduit de l’anglais par Mathilde Bach
352 p., 21,50 €
ISBN: 9782743633219
Paru en août 2015

Où?
Le roman se déroule principalement à Londres, mais aussi aux Etats-Unis, à New York, et au Pakistan.

Quand?
L’action se situe de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
Michael laisse planer le doute jusqu’à la dernière page, tel un héros de Hitchcock. Est-il simplement un mari détruit par la mort de sa femme, reporter de guerre tuée au Pakistan ? Ou un personnage manipulateur ? J’ai vu un homme est un formidable page-turner, dans la lignée de Samedi de Ian McEwan. Histoire d’amour, portrait d’un monde globalisé qui a banalisé la violence, récit d’un deuil, ce roman magnifique sera publié dans une douzaine de pays et s’annonce comme un succès international.

Ce que j’en pense
****
En refermant ce livre, une image m’est revenue en mémoire. Terrible. Celle de ce film montrant une bavure de l’armée américaine lors de la guerre en Irak. En juillet 2007, deux journalistes de l’agence Reuters et deux enfants ont notamment été tués «par erreur» par des tirs de l’armée américaine.
C’est une histoire semblable qui sert de point de départ au roman du Gallois Owen Sheers, en s’attachant aux conséquences d’un tel acte, à ce que l’on appelle prudemment les dégâts collatéraux, et qui feront trois victimes supplémentaires. Michael Turner est la première à entrer en scène. En rencontrant Caroline, ce journaliste devenu écrivain, a trouvé non seulement une âme sœur ¬– elle est grand reporter – mais au fil des semaines, elle devient aussi son épouse et la future mère de leurs enfants. Mais le rêve se brise lors d’un reportage au Pakistan. Un drone de l’armée américaine fait exploser son convoi. Michael se retrouve veuf, désemparé et cherche à tromper sa peine en partant s’installer à Londres. En emménageant, il croise son voisin Josh Nelson.
Ce banquier est la seconde victime. En décidant de prendre son voisin sous son aile protectrice, en lui faisant partager sa vie de famille, il ne se doute pas combien des conséquences de sa bonne action. Michael devient si proche de Josh, de Samantha son épouse et des enfants qu’il n’hésite pas à pénétrer dans l’appartement du voisin quand il constate qu’une porte est restée ouverte. Il voulait simplement récupérer un tournevis. Seulement voilà, en le voyant, la fille bascule de l’escalier et se tue. Michael décide de fuir. La suite ne se raconte pas, je vous laisse la découvrir tant elle est bien racontée.
Reste la troisième victime, le commandant McCullen. Il s’agit d’un pilote de drones sur une base près de Las Vegas. C’est lui qui a tué par méprise, Caroline. Et qui ne supporte plus cette mort qu’il a sur la conscience et qui, pour sa hiérarchie, fait partie des «risques du métier». Mc Cullen décide quant à lui de prendre la plume et d’écrire à Michael. Plus pour mettre des mots sur le drame qu’il vit que pour s’excuser. Puis, il prend la route, entend essayer de se reconstruire en vivant une nouvelle vie on the road again
La force de ce roman est de mettre en scène ces trois hommes qui ne sont pas coupable, mais qui tous se sentent responsables de la situation dramatique qu’ils ont contribué à engendrer. Comment peuvent-ils continuer à vivre avec ce poids ? Construit comme une enquête qui rend vite le lecteur addictif (on sent par exemple très bien sur les pas de Michael que quelque chose n’est pas normal dans la maison de son maison), excellent dans l’analyse psychologique, voilà sans aucun doute l’un des romans étrangers les plus réussis de la dernière rentrée littéraire. Ne passez pas à côté, comme j’aurais pu le faire sans le pouvoir de persuasion d’un libraire passionné, dont c’est ici l’occasion de souligner combien ils demeurent indispensables !

Autres critiques
Babelio
L’Express (Marianne Payot)
France Inter (L’humeur vagabonde – Kathleen Evin)
Blog Fragments de lecture (Virginie Neufville)
Blog A l’ombre du noyer
On l’a lu (Interview)
Blog Sur mes brizées
Blog Les chroniques assidues

Extraits
« L’événement qui bouleversa leur existence survint un samedi après-midi de juin, quelques minutes à peine après que Michael Turner, croyant la maison des Nelson déserte, eut franchi le seuil de la porte du jardin. Ce n’était que le début du mois, mais Londres se boursouflait déjà sous la chaleur. Les fenêtres béaient le long de South Hill Drive. Garées des deux côtés de la route, les voitures bouillaient, brûlantes, leurs carrosseries prêtes à craqueler au soleil. La brise du matin s’était retirée, laissant la rangée de platanes parfaitement immobile. Les chênes et les hêtres du parc alentour ne bruissaient pas davantage. La vague de chaleur s’était abattue sur la ville une semaine plus tôt, et cependant les herbes hautes qui s’étendaient hors de l’ombre protectrice des arbres commençaient à jaunir.
Michael avait trouvé la porte du jardin des Nelson entrouverte. Il s’était penché dans l’entrebâillement, l’avant-bras appuyé au cadre de la porte, et avait appelé ses voisins. »

« De la même manière , Michael trouvait un certain soulagement à ce que Caroline soit une inconnue pour Josh et Samantha. Josh croyait bien avoir vu l’un de ses reportages une fois dans un hôtel à Berlin, mais il n’en était pas persuadé. Ce qui était sûr , en revanche, c’est que ni l’un ni l’autre ne l’avaient jamais rencontrée en personne. A leurs yeux, sa mort était juste un événement dans la vie de Michael. Une chose avec laquelle il était arrivé à leur porte, comme avec le reste de son passé, alors qu’avec ses amis d’avant, il se sentait lesté d’une perte. Pour Samantha et Josh, Caroline n’existait qu’à travers ce que Michael racontait. Quand il leur parlait d’elle, il s’entendait raconter sa vie, et non sa mort. Ainsi, pour eux, il n’y avait pas d’ »avant » Caroline, il n’y avait que l’écho d’un être, qui résonnait encore chez cet homme assis à leur table, non pas comme une absence mais comme une partie de lui. » (p. 91)

« Las Vegas fournissait à l’Amérique des versions du monde, afin que l’Amérique n’ait pas besoin de s’y aventurer. D’autres pays, d’autres lieux étaient ainsi simultanément rapprochés et tenus à distance. Exactement comme ils l’étaient sur ces écrans qu’il observait à Creech. »  (p. 260)

A propos de l’auteur
Owen Sheers, né en 1974 aux îles Fidji, a grandi au pays de Galles. Ecrivain, poète et dramaturge, il a remporté de nombreux prix et publié plusieurs romans, dont Résistance traduit en français. (Source : Editions Payot & Rivages)

Site Wikipédia de l’auteur

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Vieux, râleur et suicidaire – La Vie selon Ove

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Vieux, râleur et suicidaire
La Vie selon Ove

Fredrik Backman
Presses de la Cité
Roman
Littérature étrangère
343 pages, 21,50 €
ISBN: 2258103665
Paru le: 13.03.14

Où?
En Suède.

Quand?
Le roman est situé de nos jours.

Ce qu’en dit l’éditeur
La nouvelle comédie irrésistible venue de Suède !
« Ove et le chat se sont rencontrés un matin à six heures moins cinq. Le chat a détesté Ove sur-le-champ. Le sentiment était plus que réciproque. »
Dans le lotissement où il vit depuis quarante ans, Ove est connu pour être un râleur de la pire espèce. Mais depuis qu’il est sans travail, il se sent seul et inutile. Il erre dans sa maison, fait des rondes de quartier pour relever les infractions des habitants. Jusqu’au jour où, las de cette routine, il décide d’en finir. Corde au cou, debout dans le salon, il est prêt à passer à l’acte…
C’est sans compter l’arrivée de nouveaux voisins et d’un chat abandonné. Interrompant involontairement ses tentatives de suicide, ceux-ci vont peu à peu pousser Ove dans ses derniers retranchements et le ramener à la vie !
Tel un chat de gouttière amoché et craintif, à la fois drôle et touchant, Ove réveille l’instinct protecteur qui sommeille en chacun de nous. Mais attention, il griffe !

Ce que j’en pense
****

J’ai succombé à mon tour au charme de ce roman. Si je suis à priori plutôt hésitant devant les modes qui tendent à nous faire croire que les meileurs auteurs de thrillers glaçants viennent du froid et qu’il existe aussi en Scandinavie une veine d’auteurs de comédies mettant en scène de vieux ronchons aussi excentriques que philosophes.
D’un autre côté, il suffit de prendre la peine de se plonger dans le livre pour se faire une opinion. C’est ce que j’ai donc fini par faire. Force est de constater que l’on s’attache très vite au personnage principal de cette comédie grinçante, car on connaît tous un Ove autour de nous. Suivant notre âge il est comme notre frère, notre oncle, notre père ou notre grand-père.
Un de ces «vieux» qui ne comprennent rien aux technologies numériques et à la génération Y, qui ne jurent que par l’ampoule à filament, le moteur à explosion – surtout celui de la Saab – ou la tondeuse à gazon thermique.
Ove se retrouve donc veuf et incompris, au milieu de voisins qui ont des modes de vie bien différents du sein, sans véritables perspectives sinon de mettre fin à ses jours.
Sauf qu’un suicide n’est pas forcément aisé, surtout dans un monde où on ne peut même plus faire confiance dans la solidité d’une corde, où les voisins ont toujours quelque chose à vous demander et où les voyageurs n’arrivent même plus à attendre patiemment les trains sur les quais de gare.
Bref, s’il vous est déjà arrivé de rouspéter devant un dysfonctionnement quelconque, voire une administration tâtillone, sachez que grâce à Ove vous pourrez savourer l’heure de la vengeance. Avec délectation!

Autres critiques
Babelio
Psychologies
Femina
Elle
France bleu (La grande librairie)

Citations
« La société actuelle ne jure plus que par l’informatique ; on ne peut plus bâtir de maison avant qu’un consultant engoncé dans une chemise trop petite n’ait compris comment allumer un ordinateur portable. Les gens croient-ils que le Colisée et les pyramides de Gizeh ont été construits de cette façon ? Bon Dieu, on avait érigé la tour Eiffel en 1889, mais à présent, personne n’est fichu de tracer le plan d’un simple pavillon de plain-pied sans s’interrompre pour recharger un téléphone ! »

A propos de l’auteur
Né à Stockholm en 1981, Fredrik Backman enchaîne les petits boulots avant de devenir journaliste. En 2012, il publie son premier roman, Vieux, râleur et suicidaire – La vie selon Ove, qui remporte un succès retentissant en Suède, avec plus de 500 000 exemplaires vendus en un an. Actuellement en cours de publication dans une douzaine de pays, cette nouvelle comédie qui vient du froid place d’emblée son auteur parmi les écrivains suédois sur lesquels il faut compter. (Source: Presses de la Cité)

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